Les derniers avis (105305 avis)

Par Gaston
Note: 2/5
Couverture de la série Moon Knight (Ellis)
Moon Knight (Ellis)

Je suis tombé sur l'intégrale et cela m'avait l'air vaguement intéressant alors je l'ai emprunté. Cette série de Moon Knight date de 2014 à une époque où encore une fois Marvel relançait ses séries au numéro 1. Il y a eu 17 numéro et chaque arc de 6-5 numéros est faite par une équipe différente. Je trouve Moon Knight un peu intéressant vu qu'il a un trouble de la personnalité multiple, mais la manière dont les différents auteurs l'utilisent est vraiment peu passionnante. On retrouve le gros défaut des comics modernes: chaque arc doit automatiquement faire 5 ou 6 numéros comme ça on peut ensuite le publier en album comme une histoire complet et souvent le scénariste n'a pas assez de matériel pour que son scénario tient en autant de numéro et du coup le scénario est lent, parfois on dirait qu'il se passe rien durant une vingtaine de pages et certaines parties se lisent vraiment rapidement tellement c'est vide (notamment l'arc scénarisé par Ellis). Si au moins il y avait des éléments intéressant dans le scénario mais j'ai juste trouvé cela ennuyeux et parfois un peu confus, mais c'était peut-être juste confus parce que j'ai tellement pas accroché que j'oublias rapidement ce qui venais de se passer. Quant au dessin, cela va du passage au franchement pas terrible. En tout cas, cet album ne m'a pas du tout donné envie de recommencer à lire les titres modernes de Marvel.

01/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Le Rythme du coeur
Le Rythme du coeur

Regarde ce nuage, moi je ne suis pas le vent. - Il s'agit d'un récit complet, indépendant de tout autre. Il comporte 44 pages de bande dessinée en noir & blanc, avec une courte introduction de 5 lignes écrites par Federico Fellini, et un poème de Danijel Žeželj, ce dernier étant l'auteur complet de la BD : scénario, dessin et encrage. Ce tome est initialement paru en 1993 en Italie. Il a été publié pour la première fois en France en 2005 par les éditions Mosquito. Avec ce tome, le lecteur assiste aux débuts d'un artiste capable par la suite de réaliser une version personnelle du Chaperon Rouge (2015), en en conservant la trame, et en lui insufflant des saveurs psychanalytiques uniquement par le dessin, sans un seul mot. Dans un dessin en pleine page, une jeune femme afro-américaine pose le torse nu devant un panorama de d'ossatures métalliques d'immeubles de grande hauteur, avec un pont aérien et une rivière en contrebas. Elle porte un pendentif en forme de d'étoile à 8 branches, inscrite dans un cercle avec une pierre ronde au milieu. le même motif que celui de son pendentif a été dessiné dans le sable d'une plage, avec 2 coquillages à proximité. Le narrateur indique que le sable est la première chose qui lui revient en mémoire, celui du désert. Il a grandi dans une petite ville de l'Arizona, dans le désert, et se souvient de vielles photographies (celle d'un groupe de jazz afro-américain), de journaux et de la publicité. Il se souvient également que son père jouait de la contrebasse dans cet orchestre, et que parfois des individus cagoulés allumaient des feux de bûcher dans le désert pour y faire brûler des croix. Le narrateur (Joe) se souvient de son arrivée dans une grande métropole, de la pluie qu'il regardait tomber chez sa tante, de l'église, du premier tambour qu'il a volé. Dans les premiers temps, Joe n'osait pas trop sortir en ville, puis il en a découvert certains coins. Dans une salle de bar, il a pu écouter de la musique jouée en public, et danser sur un sol recouvert de sable, ou plutôt de sciure. Après avoir chanté un cantique à l'église, parlant d'une terre lointaine où les lézards et les serpents sont sacrés, il a commencé à faire toujours le même rêve. Il se trouve sur une plage bordée de palmiers. Sur la plage se trouve un coquillage spiralé avec des pointes. Il pénètre dans la forêt et y remarque une superbe fleur. Il continue d'avancer vers une trouée au loin et y distingue la silhouette d'une femme. Elle est torse nu et porte un médaillon circulaire avec des une étoile à 8 branches et une pierre au milieu. Dans sa chambre, il se tient immobile, assis sur une chaise, le tambour entre ses jambes. Il regarde un pigeon venir se poser sur le rebord de sa fenêtre. Il se lève pour remplir une soucoupe de lait et la poser par terre pour son chat Léopâtre. À partir de 1999, les éditions Mosquito commencent à éditer les oeuvres de l'artiste croate Danijel Žeželj, en français. le rythme du cœur est une de ses premières œuvres publiées et recensées, et elle bénéficie déjà d'une introduction de Federico Fellini qui dit apprécier ses perspectives fantomatiques et menaçantes et la manière dont l'artiste exprime le sens du chagrin et du malheur immanent. de fait sur 44 pages de bande dessinée, 13 sont dépourvues de tout texte, et quelques autres ne comprennent qu'une courte cellule de texte introductive ou une remarque. Il s'agit donc d'un mode narratif contemplatif, propice à l'introspection et favorisant le rapprochement d'images par le lecteur. Ce mode de lecture par rapprochement visuel commence dès la première page avec le médaillon en forme de soleil. En fait le lecteur n'effectue le rapprochement avec le soleil qu'à la page d'après quand il est dessiné dans le sable, avec une approche très similaire. Il retrouve un autre soleil dessiné dans le sable en page 11, mais avec sous la forme d'un rond dont partent des traits radiaux, et non plus des triangles. Il retrouve le motif du soleil en pages 16 (sous la forme d'un coquillage), et en page 17 (à nouveau le pendentif). Ce motif se retrouve encore dans les pages 24, 42, 44, 45, 46 et 48. Par la force des choses, la répétition de ce motif visuel (le soleil) et les variations de représentation conduisent le lecteur à jouer à repérer ce qui appartient au même registre géométrique. Il se surprend à regarder la soucoupe de lait en page 18, et à considérer qu'il s'agit de 2 cercles concentriques, rappelant l'astre solaire, et une forme d'aura autour. Une association visuelle se reproduit en page 30 avec les verres et les cendriers laissés sur les tables du bar. À nouveau, il s'agit de cercles qui cette fois-ci semblent graviter les uns par rapport aux autres, comme autant d'astres dont le déplacement est lié par une logique qui apparaît lorsque la caméra effectue un travelling arrière. le lecteur effectue encore une association page 40 en voyant un clown jongler à l'emplacement où s'était installé un cirque ambulant. Cette fois-ci la force qui meut les cercles participe d'une autre logique. Cette récurrence de forme provoque des associations d'idées chez le lecteur qui en vient à imaginer les intentions de l'auteur, à procéder par induction. Cet astre solaire est associé à un lieu paradisiaque, à une époque mythologique, au bonheur. Par voie de conséquence, les lieux ou les objets revêtant une forme approchante constituent des objets transitionnels permettant d'accéder par procuration à un état de ce bonheur. Dans le même temps, la narration visuelle de Danijel Žeželj s'inscrit dans un registre très descriptif. L'histoire semble se dérouler dans les années 1950, au vu des modèles de voitures et d'avion. le lecteur éprouve l'impression que certains dessins ont été réalisés d'après photographie : la ville des années 1930 dans une zone désertiques des États-Unis, les prises de vue dans la rue avec les façades d'immeubles en brique avec poutrelles métalliques apparentes, et les façades des gratte-ciels, la texture des briques, la texture du carrelage. L'artiste semble avoir poussé le contraste sur des photographies noir & blanc, puis augmenté la granularité, pour aboutir à des cases où certains détails sont noyés, et des images comme revêtues d'une patine déposée par les ans. le lecteur se dit qu'il lit un récit devenu intemporel, figé par les années qui ont passé. Ce phénomène est également à l’œuvre sur les êtres humains, émoussant leurs contours, gommant les traits les plus saillants du visage, mais sans les rendre interchangeable. Il n'y a que Maria, le seul personnage féminin, qui échappe à l'usure du temps. Avec ces caractéristiques visuelles très personnelles et très marquées, les séquences s'enchaînent sans solution de continuité, dans des teintes marron brou de noix tirant sur le gris qui donnent une impression d'homogénéité visuelle. Mais en fait, le lecteur passe de ce qui semble être la photographie d'une femme avec des gratte-ciels dans le lointain, à un dessin dans le sable, en passant par une vue ciel de la métropole, une sculpture sur bois, un reportage dans la rue, une image totalement abstraite s'il la lit sans la lier à celle d'à côté. Il est ainsi pris par surprise à chaque séquence. Après 4 pages (22 à 25) passées à déambuler dans les rues, rien ne peut le préparer à une nuit passée aux côtés de Joe jouant de la batterie dans un bar, avec un saxophoniste et un contrebassiste. Dans ces 4 pages muettes (26 à 29), l'auteur opère un glissement progressif du registre de l'art figuratif, vers celui de l'art abstrait avec une fibre expressionniste. le lecteur éprouve les mêmes sensations que Joe se concentrant sur son jeu, et ressentant la communion qui s'installe avec les clients jusqu'à devenir totale, et que tout le monde soit à l'unisson. C'est une séquence extraordinaire, par sa force graphique et la clarté de son propos, à nouveau sans utilisation de mots. Au fur et à mesure des séquences, le lecteur se sent partir vers un autre monde, empli de non-dits et de sensations. Il ressent la solitude et l'inquiétude de Joe, son plaisir à exprimer son ressenti par le biais du tambour puis de la batterie. Il comprend à demi-mots (ou à demi-dessins) le drame de son enfance. Il ressent la force de son aspiration à un ailleurs plus accueillant et plus prometteur. Il se retrouve, comme lui, écartelé entre la banalité d'un quotidien dans un environnement urbain coupé de la nature, et la joie intérieure que lui amène la pratique de la musique. Il ressent la promesse d'une complémentarité avec une femme, à la fois pour ce qu'elle lui apportera, mais aussi parce que le partage sera plus gratifiant, plus intense. Au final, le lecteur ne sait pas trop ce que raconte l'histoire, mais il sait qu'elle lui a parlé de ses attentes, de ses espérances, de trouver un cadre de vie qui est le sien, à partager avec une autre personne pour accéder à un épanouissement plein et entier. En découvrant cette bande dessinée, le lecteur ne sait pas trop dans quoi il se lance. le titre évoque un récit intimiste et émotionnel. Un rapide feuilletage montre des dessins monochromes allant du photoréalisme à l'abstraction. La bande dessinée l'emmène au cœur d'une métropole froide et impersonnelle, pour accompagner un individu qui reste une énigme, tout en partageant son aspiration à une vie moins solitaire et plus lumineuse. Sous les dehors d'une narration visuelle simple et immédiate, Danijel Žeželj fait vibrer le lecteur au rythme du cœur de Joe.

01/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série La Mort dans les yeux
La Mort dans les yeux

Quel malheur d'être soi. - Ce tome contient une histoire complète qui peut se comprendre indépendamment de la série dont elle est dérivée : Sandman, de Neil Gaiman. Il regroupe les 3 épisodes, initialement parus en 2001/2002, écrits par Darko Macan, dessinés et encrés par Danijel Žeželj. L'édition originale était mise en couleurs par Sherilyn van Valkenburgh, avec des couvertures de Dave McKean. La présente édition en français est en noir & blanc, avec une couverture inédite du dessinateur. En 1920, dans un train qui file au-dessus de la lagune de Venise, le major Gordon Gravett et son épouse Rosalind sont en lune de miel. Stefan Wasserman s'approche de leur table dans le wagon et demande du feu au mari. Il engage la conversation. le major indique qu'il a servi cinq ans en France pendant la guerre et que c'est là qu'il y a perdu son bras. Stefan emploie une image dérangeante : les blessures sont les bébés des hommes, ce qui provoque une mine de dégout sur le visage de madame. Elle se tourne vers la fenêtre et s'extasie devant la vue de Venise comme posée sur la lagune. Stefan continue à tenir des propos morbides comparant Venise à un sarcophage, évoquant les carnages à venir pour lesquels il faudra des bébés et c'est à madame Gravette de jouer, pour élever de futurs soldats dont les bras, la cervelle et le sang se répandront sur les champs de bataille. le major lui décoche une baffe pour le faire taire. Wasserman s'en va après avoir présenté des excuses. Sur l'un des quais de la cité des Doges, Coco et Charles Constantine sont en train de discuter : elle lui explique que Caroline c'est le lundi, Cremona le mardi, Croazia hier, et qu'aujourd'hui elle s'appelle Coco. Ils abordent le mendiant assis par terre avec un bandeau sur les yeux. Coco lui demande s'il a bien perdu ses yeux à cause de la maladie et il répond que oui. Pour une lire, il est prêt à lui raconter comment il les a perdus. Charles s'avance à son tour et lui dit qu'hier il leur avait raconté comment il avait perdu ses yeux à la guerre. Leopold acquiesce et il est prêt à lui raconter son histoire pour une lire. Les amants l'apostrophent et lui demandent laquelle de ces deux versions constitue la vérité. Il répond que la vérité est la lire, une lire pour entendre ce qu'ils veulent. Coco lui jette une lire, et Charles une autre au bord du canal. Coco indique que c'est le moment pour que Charles pousse le mendiant dans le canal. Il répond qu'elle peut très bien le faire elle-même. Un agent de police arrive et demande si ce sale mendiant les embête. Ils répondent que non, mais le policier a déjà poussé Leopold dans le canal. Charles demande si c'est vraiment un étranger, l'agent répond qu'il n'en est rien et demande quel pays voudrait d'un pauvre. Il leur suggère de continuer leur visite de Venise en allant voir le carnaval. Charles se retourne brièvement : il a eu la sensation d'apercevoir quelqu'un. Alors qu'il s'éloigne Stefan Wasserman s'approche du bord du quai et saisit la main qui dépasse de l'eau pour ramener Leopold sur le quai. Ce dernier s'enfuit effrayé par cet homme en blanc. Ce récit est paru comme une histoire dérivée de la série de Sandman, créée par Neil Gaiman, 75 épisodes parus de 1989 à 1996, avec quelques numéros spéciaux en plus. le Corinthien a été créé par Morphée, le maître des rêves et du domaine des rêves pour incarner les ténèbres et la peur des ténèbres qui est au cœur de chaque être humain, un miroir noir fabriqué pour réfléchir tout ce que l'humanité ne veut pas regarder en face. Par ailleurs, il croise le chemin de Charles Constantine, qui indique être le frère jumeau non mort de John Constantine, ce qui renvoie à la mythologie de ce personnage. Il est possible d'apprécier ce récit sans disposer de ces références. L'éditeur Mosquito a publié tous les premières bandes dessinées de Danijel Žeželj, allant négocier les droits de celles publiées par Vertigo, c'est-à-dire celle-ci et Congo Bill (1999) avec Scott Cunningham. Il a choisi de publier le récit en noir & blanc, ce qui n'obère en rien le plaisir de lecture, car les traits encrés entre impressionnisme et expressionnisme se suffisent à eux-mêmes. Le lecteur plonge dans une sombre histoire avec des individus au comportement déviant ou à la vie tragique : ce couple à la dynamique toxique jouant avec l'idée commettre un meurtre, ce policier brutal prêt à exterminer les clochards, Amedeo un jeune homme acceptant de jouer les gigolos pour pouvoir offrir une meilleure vie à sa propre fiancée, ce jeune soldat dont le propre supérieur a tiré dans les parties parce qu'il refusait d'abattre froidement un soldat ennemi, ce militaire incapable de tuer à la guerre, cette femme qui veut devenir autre, cet homosexuel refoulé, cette veuve noire, etc. le lecteur voit comment les trajectoires de vie de Coco & Charles s'entremêlent avec celle de Leopold, Silvana & Amedeo, en la présence vénéneuse du Corinthien, sur fond de passions et de meurtre, de ce pouvoir d'ôter la vie à quelqu'un, avec une touche onirique. le Corinthien incarne bien ce que les personnages ne veulent pas regarder en face. D'une certaine manière, le récit aurait pu se dérouler dans un autre environnement et l'histoire n'en aurait pas été changée. Pour autant, scénariste et artiste prennent soin d'utiliser quelques caractéristiques de Venise, que ce soit son carnaval, ou son urbanisme unique. Au vu du contexte très particulier de la publication de cette histoire, il est vraisemblable que le lecteur soit venu surtout pour les dessins de cet artiste, plus que pour trouver une histoire dérivée de Sandman, assez obscure. du fait de la forte personnalité graphique du dessinateur, il n'éprouve pas de déception à l'absence de couleurs, d'autant que la majeure partie de ses œuvres est en noir & blanc. Dès la première page, le lecteur retrouve les idiosyncrasies de Danijel Žeželj : un trait noir un peu charbonneux, réalisé au pinceau, et donc une approche de l'ombrage intégré au contour des éléments plutôt que noirci par la suite. Cela donne une apparence un peu moins précise aux contours, les traits des visages pouvant sembler un peu trop appuyés, avec le noir qui mange une partie du dessin un peu plus importante que d'habitude. Ceci n'empêche pas les paysages d'être de toute beauté : le train sur la voie juste au-dessus du niveau des eaux, la silhouette des bâtiments historiques de Venise au loin, le pavage irrégulier des quais, le candélabre typique, les gondoles avec et les gondoliers avec leur maillot rayé, le grand luxe de la chambre d'hôtel de Coco & Charles, la rue d'une grande ville européenne montrant des signes d'une occupation militaire, etc. Il est visible que le scénariste a pensé sa narration en termes de dialogue, et en termes de séquences visuelles. L'artiste doit donc s'acquitter de quelques cases avec uniquement un ou deux visages, mais la plupart du temps les personnages agissent en même temps qu'ils parlent ce qui donne des scènes plus visuelles. La narration visuelle commence à attirer l'attention du lecteur d'abord avec ces personnages qui ont visiblement une part d'ombre, puis les visuels gagnent en originalité : Coco & Charles jouant au chat et à la souris avec Leopold au bord d'un canal, une case avec les prémices du récit de Leopold sous forme de gravure. Puis rapidement, les images gagnent en ampleur et en inattendu : les personnages qui semblent parfois jouer comme sur une scène au théâtre avec une ampleur un peu appuyée de leurs gestes, l'attaque brutale des tommys en train de passer des soldats allemands à la baïonnette, la magnifique vue des cabines de plage sur ponton de bois au-dessus du sable de la plage, des soldats en train d'uriner sur un ennemi qu'ils viennent de mettre à terre, un globe oculaire sur le pavage, la noirceur du carnaval avec ces individus masqués et ces costumes grotesques, cette vue en contreplongée sur un capitaine monté sur un rhinocéros tenant un drapeau avec le marteau et la faucille, et un alignement de potence avec des condamnés au bout de la corde, etc. le mode de représentation manie avec dextérité plusieurs niveaux de réalité : une représentation premier degré et descriptive, une représentation plus expressionniste ajoutant une dimension de conte, des éléments métaphoriques ouvrant l'envergure du récit, à la fois drame, tragédie d'individus habités par des névroses ayant tourné à l'obsession pour des comportements anormaux, ballotés par des grands mouvements de société dont ils ne ressentent que les répercussions, sans y prendre part, sans même en avoir connaissance. Au départ, en version originale, il ne s'agit que d'une histoire dérivée d'une série à succès, confiée à deux jeunes créateurs originaux. En version française, il s'agit d'une volonté éditoriale de proposer l'ensemble de l’œuvre de l'artiste au lecteur. En fonction de ses lectures, il peut apprécier de retrouver le personnage secondaire du Corinthien, et ce qu'il incarne, dans une histoire originale et prenante. Il peut aussi souhaiter découvrir un récit de Danijel Žeželj pour retrouver ses dessins si habités par la noirceur de l'âme, mais aussi son romantisme et ses émotions. il est comblé par un récit bien noir, une tragédie de bonne facture, avec une narration visuelle inquiétante.

01/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 3/5
Couverture de la série Congo Bill
Congo Bill

Au bout du fleuve Zaïre - Ce tome regroupe les 4 épisodes de la minisérie initialement en 1999, dans le label Vertigo de l'éditeur DC Comics. Ils ont été réalisés par le scénariste Scott Cunningham, le dessinateur Danijel Žeželj, et le coloriste Lee Loughridge, avec des couvertures de Richard Corben. La présente édition correspond à la version française qui est en noir & blanc, sans les couvertures de Corben. L'éditeur Mosquito s'était lancé dans la publication de l'intégrale des œuvres de Žeželj et il était parvenu à obtenir les droits de cette histoire. Dans le parc national des Virunga en 1997 au Zaïre, un groupe de grands singes est en train de se reposer assis dans la forêt, quand ils entendent un bruit de branche brisée. Un groupe d'homme armés arrive, et ils ouvrent le feu massacrant les gorilles. L'un d'eux s'allume une cigarette et la met dans la bouche d'un primate pour se marrer. Il y a un bruit de petite branche cassée, et le braconnier est comme aspiré dans les branches au-dessus de lui. Puis un deuxième. Puis le troisième alors que du sang commence à dégouter. Sept jours après dans une salle de réunion à Langley en Virginie, un gradé explique la situation à une douzaine d'agents. Il montre une photographie projetée au mur sur laquelle on voit trois pieux de bambou dans une clairière, chacun surmonté de la tête d'un des braconniers. Trois soldats Hutu, de ceux qui dirigeaient les camps de réfugiés au Zaïre. Les pieux sont disposés avec soin, alors que les têtes ont été violemment arrachées. Les corps restent introuvables. L'intervenant continue. Pour les États-Unis, les guerriers hutus ont toujours été un atout. Leur petit gouvernement exilé à la frontière rwandaise a permis de déstabiliser la zone, le genre de chaos sous contrôle, que les États-Unis encouragent. En 94, plus de deux millions de hutus se réfugièrent en une nuit dans la jungle. Ayant perdu la guerre contre les tutsis au Rwanda, ils ont dû bouger leurs fesses. Les tutsis voulaient du sang après le génocide orchestré par les leaders hutus. Là-bas, les guerres tribales riment avec épuration ethnique. L'intervenant poursuit : suite à la disparition des trois soldats hutus, une expédition est partie à leur recherche. Elle n'est jamais revenue. Ces cent huit soldats ont fini par être retrouvés, enfin juste leur tête, toutes au sommet d'un pieu de bambou dans une clairière. Mobutu soutient les hutus et les États-Unis soutiennent Mobutu. Mais si un adversaire s'avérait une menace sérieuse, les États-Unis seraient obligés de reconsidérer leur position au Zaïre. Comme c'est l'Afrique, on pourrait penser que ce rituel sanglant est un coup de Kabila pour effrayer l'ennemi, sauf que par pur hasard un satellite a découvert que les pieux sont disposés selon un schéma précis qui forme un mot ou plutôt un nom : Devilin. Devilin DuPaul se lève et sort de la salle. Deux jours après, il est à bord d'un petit avion militaire qui va se poser à Kinshasa, accompagné par trois militaires. Thomas Glass le noir, spécialiste de la gâchette, Toni Lin asiatique et sniper, et un ancien combattant du Salvador. En 1993, l'éditeur DC Comics officialise la réalité de plusieurs séries destinées aux adultes, avec la création d'un label appelé Vertigo. Au sein de ce label, se trouvent des séries indépendantes de toutes autres, des histoires courtes également indépendantes, et des séries de personnages dont la propriété intellectuelle appartient à DC, mais qui ont migré vers Vertigo, comme Swamp Thing ou Doom Patrol, ou d'une manière un peu différente Sandman. de temps à autre, l'éditeur donne le feu vert pour la migration d'un autre de ses personnages. C'est ainsi que Congo Bill bénéficie de la présente minisérie, qui ne nécessite aucune connaissance préalable du personnage. Ce dernier a été créé en en 1940 par Whitney Ellsworth & George Papp, et ses aventures ont été publiées de 1940 à 1960. Avec la séquence d'ouverture, le lecteur comprend que c'est ce grand singe Congo Bill animé par l'esprit d'une être humain, William Glenmore, qui a massacré les 3 soldats, puis les 108 autres un peu plus tard. Cela découle tout simplement du titre. En revanche, il ne s'attend pas forcément à l'exposé de géopolitique de la scène suivante. Le scénariste a décidé d'inscrire son récit dans la réalité de la situation politique du Zaïre et de la République Démocratique du Congo à cette époque, avec le spectre du génocide des Tustsis au Rwanda qui a eu lieu du 7 avril au 17 juillet 1994. Il vaut mieux que le lecteur soit familier de cette situation avant d'entamer sa lecture. Tout d'abord l'exposé de l'intervenant est très lacunaire, et les remarques des personnages par la suite le sont tout autant. Pour saisir le contexte, le lecteur doit donc être familier des grandes lignes de l'histoire du Congo Belge, pouvoir situer Joseph-Désiré Mobutu / Mobutu Sese Seko président de la République Démocratique du Congo, de 1965 à 1997, Laurent-Désiré Kabila (président du Congo de 1997 à 2001), Patrice Lumumba (1925-1960), homme d'État congolais, ainsi que le génocide des Tutsis par les Hutus. Sous cette réserve, il peut alors saisir les enjeux politiques, et comprendre ce que représente la mission de Devilin DuPaul à Kinshasa, puis dans la jungle. Il établit alors le parallèle avec Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola. La structure de l'intrigue est similaire, sans que le déroulement soit identique. Il y a par exemple un passage au cours duquel DuPaul et ses soldats sont sur un bateau remontant le fleuve Zaïre, mais sans qu'il ne survienne les mêmes événements que lors de la remontée du fleuve Nùng par la capitaine Willard. Cunnigham n'est ni Joseph Conrad, ni Coppola, mais il parvient à développer la métaphore des États-Unis incarnés par Devilin DuPaul qui doivent revenir sur le site de leurs opérations et se confronter aux conséquences de leur ingérence. En 1999, Danijel Žeželj a déjà une dizaine de bandes dessinées derrière lui et une personnalité graphique bien affirmée. D'un côté, le lecteur regrette un peu que la taille des pages ait été réduite d'un centimètre en hauteur et en largeur par rapport au format comics original, ce qui tasse un tout petit peu les dessins. D'un autre côté, il est plutôt satisfait que cette version soit en noir & blanc, sans les couleurs de Lee Loughridge, malgré les qualités de ce professionnel, car l'artiste joue beaucoup sur les contrastes entre des zones de noir solides et le blanc de la page. Pour le coup, il met en œuvre une vision d'artiste, à la fois en tant que réalisateur et directeur de la photographie. Son parti pris esthétique apparaît dès la première page, avec la silhouette des arbres et des tiges de bambou, et la silhouette massive des gorilles avec leur regard humain, ainsi que l'intense lumière qui semble effriter la dureté des contours. Lorsque les trois soldats viandards arrivent, ce ne sont que des silhouettes en contre-jour, avec l'éclat du canon de l'arme à feu gommant une partie de leur silhouette. Comme d'habitude avec les pages de cet artiste, le lecteur éprouve la sensation qu'il a sculpté ses personnages et ses décors au burin, pour obtenir un effet expressionniste, de formes primordiales, essentielles. Les visages sont fascinants dans leur aspect brut, sans fard, énigmatiques, ne révélant que peu de chose sur l'état d'esprit, et rien sur les pensées intérieures. Les individus deviennent indéchiffrables, insondables, avec une force de caractère singulière. le calme apparent de Thomas Glass n'est pas identique à celui de Toni Lin : le sien est étudié grâce à une grande capacité de contrôle de lui-même, celui de Toni semble plus naturel. D'un côté, le lecteur constate bien qu'il s'agit uniquement d'encre noire sur du papier, déposée par des coups de pinceau. de l'autre côté, il s'en dégage une force émotionnelle irrésistible qui implique le lecteur avec intensité. Il frémit en voyant le massacre des grands singes. Il ressent le même malaise que Thomas Glass quand il repense à l'assassinat qu'il a mené à bien, mais en tuant par mégarde un enfant, ce qui le hante. Il ressent son mélange d'amusement et d'intérêt lors de la séance de divination du futur avec la sorcière, ainsi que son cynisme quand il fait le compte de ce que cela lui a coûté. Il voit l'altérité des crocodiles, des sauriens qui n'ont rien de commun avec la race humaine, une force de la nature étrangère et terrible. Il est choqué par le décalage visuel entre Toni en bikini plongeant dans la piscine, et l'exécution sommaire qui se déroule à quelques mètres de là. Il ressent la force primale de Congo Bill quand il apparaît en entier dans le dernier épisode, une force spirituelle, une facette de l'âme de l'Afrique, sans aucune connotation colonialiste, sans une trace de condescendance occidentale. Lors des presque 30 ans d'existence de la ligne Vertigo, de nombreux projets sortant de l'ordinaire ont vu le jour, souvent très réussis. Ici, le scénariste a l'ambition de mettre les États-Unis face à leur responsabilité dans les massacres en Afrique, à la suite d'une politique extérieure interventionniste. Pour ce faire, il se calque sur Apocalypse Now pour la structure de son récit, sans le même génie narratif, ni la même profondeur, mais en réussissant à tenir la métaphore tout du long de l'intrigue. Le récit acquiert plus de consistance grâce à la mise en image expressionniste de Danijel Žeželj, évitant le regard occidental sur l'Afrique, pour une narration visuelle moins littérale. En revanche, le récit peut paraître parfois un peu décousu si le lecteur n'est pas familier du contexte géopolitique et historique.

01/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Van Gogh - Fragments d'une vie en peintures
Van Gogh - Fragments d'une vie en peintures

Je vois beaucoup de choses nouvelles et magnifiques. (Van Gogh) - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, dont la première édition date de 2016. Elle a été réalisée par Danijel Žeželj. Elle comporte 15 chapitres, avec un lieu et un mois. Il comprend également 2 pages d'éléments biographiques, revenant sur chacune des 15 dates. Chapitre I : Londres, juillet 1873. Au milieu d'une rue de Londres, dans un quartier industriel, avec les cheminées qui fument, une charrette avec un cheval, une brouette poussée par un homme, des badauds. Vincent van Gogh marche dans la rue en regardant les façades noircies des façades de petits immeubles. Il avance en marchant sur les pavés de la chaussée, et en jetant un regard alentour. Il s'arrête soudainement en découvrant des pieds qui se balancent dans le vide dans une ruelle. Il finit par voir qu'il s'agit d'un mannequin. Un groupe de jeunes gens se moque de lui en voyant sa réaction. Van Gogh poursuit son chemin, la tête passe, puis il se met à courir. Il arrive devant un grand hangar et y pénètre. Un nœud coulant au bout d'une corde se balance. Dans une lettre adressée à Caroline et Willem van Stockum-Haanebek, il évoque son installation à Londres, et son travail pour la branche de l'entreprise par laquelle il est employé, installée dans un simple entrepôt. Cela lui laisse du temps pour travailler, pour se promener dans la ville et admirer les maisons avec leur jardin devant, ainsi que les parcs splendides avec une richesse florale telle qu'il n'en a jamais vu. Chapitre II : Ramsgate, avril 1876. Un maître d'école est en train de faire classe à une vingtaine d'enfants, pour une leçon de calcul. Vincent van Gogh se promène sur la plage de cette ville de la côte Nord-Est du comté de Kent. Il y a de hautes falaises derrière lui. Il observe des enfants en train d'observer quelque chose sur le sable. Il s'approche du petit groupe et découvre le squelette d'un poisson, entièrement nettoyé. Il a la vision de ce squelette gigantesque dressé dans le ciel, une hallucination très palpable. Dans le même temps, il écrit une lettre à son frère Theo dans laquelle il évoque son arrivée, l'internat qu'il voit de sa fenêtre, sa promenade sur le bord de la plage le soir même de son arrivée, et il joint quelques algues à sa lettre, les maisons en brique, le port et la couleur de la mer. Dans les expériences et lettres suivantes, il est question d'une promenade dans les champs, de l'impression laissée par un incendie, d'une après-midi mélancolique dans sa chambre, de sa relation avec Clasina Maria Hoornik, de ses interrogations esthétiques sur le noir & blanc, sur les couleurs, d'une séance de peinture avec une modèle à Anvers, de son retour à Paris, de son ressenti que les maladies sont des moyens de transport célestes, des hauts et des bas de sa relation avec Paul Gauguin, de son nouveau séjour à l'hôpital à Arles, etc. En découvrant cet ouvrage, le lecteur est tout d'abord impressionné par ses dimensions : 26cm*37cm, soit plus grand qu'un format franco-belge, pour une reproduction à l'échelle 1 des planches originales de l'artiste. Ensuite la couverture arrête le regard avec ses couleurs évoquant celles de van Gogh pour une partie de sa série de tableaux sur les tournesols, ainsi que pour ces fleurs entre description fidèle et impressionnisme. Il découvre ensuite la forme de l'ouvrage : 15 courts chapitres 5 de 4 pages, 8 de 6 pages, 2 de 8 pages. Chaque séquence est en noir & blanc, commence avec une page de titre : numéro du chapitre, lieu et date en caractères blancs sur fond noir, et se termine avec une lettre de Vincent van Gogh écrite à ce moment-là. En fonction de sa curiosité, de son envie, le lecteur peut soit enchaîner les séquences en BD, ou lire les lettres après chaque séquence, ou aller consulter le court paragraphe de notes sur ladite séquence, en fin d'ouvrage. Il commence par le premier chapitre à Londres en juillet 1873. Il n'est pas bien certain que la dimension descriptive des dessins représente avec exactitude la réalité historique de ce quartier de Londres, que ce soit pour la largeur des voies, la faible densité de fréquentation, les façades d'immeuble, ou même les tenues vestimentaires. Il se dit que l'intention de l'auteur ne doit pas être d'effectuer une reconstitution historique minutieuse, encore moins maniaque, mais de retranscrire les sensations du peintre, la manière dont il a ressenti les choses à ce moment de sa vie, ses impressions psychiques. Le lecteur est tout de suite frappé par le parti pris très contrasté entre noir et blanc, comme des coups de pinceau tracés à l'encre de Chine la plus impénétrable possible. La première page du premier chapitre correspond à une illustration en pleine page, le blanc immaculé de la chaussée répond au blanc immaculé du ciel, et contraste totalement avec le noir profond de la fumée des cheminées d'usine, de celui des bâtiments, des individus. Dans la première case de la page suivante, l'artiste utilise la même technique, tout au long de l'ouvrage, mais réussit cette fois une impression quasi photographique dans la représentation de la façade des bâtiments de la rue, comme si le contraste avait été poussé à fond, tout en conservant l'effet réel des détails. Il s'opère ensuite un glissement progressif : le contraste est encore accentué mais laissant plus de place aux surfaces noires qu'aux surfaces blanches, sous-entendant une montée de l'inquiétude ou de la déstabilisation de Vincent, de manière quasi expressionniste. C'est encore renforcé dans la troisième page, avec les trainées apparentes des coups de pinceaux, et une distanciation partielle d'avec une représentation purement réaliste. L'effet est saisissant et le lecteur ressent l'effet déstabilisateur qu'a le mannequin de chiffon pendu sur Van Gogh. La dernière case appartient à un autre registre : une corde pendant du haut de la case sans qu'il soit possible de deviner à quoi elle est attachée, avec ce nœud coulant à un mètre au-dessus de la tête de van Gogh, en pleine lumière, les ténèbres recouvrant les bords droit et gauche de cette case de la largeur de la page. le lecteur est plongé dans une expérience sensorielle et spirituelle, à laquelle il participe inconsciemment, mais automatiquement. En effet tous les chapitres sont dépourvus de mot, aucun phylactère, aucun cartouche, amenant le lecteur à découvrir le récit visuellement, avant toute utilisation d'un langage écrit. Enfin, il découvre la courte lettre correspondant à cette phase de la vie du peintre, puis il peut se rendre en fin d'ouvrage pour avoir d'autres éléments de contexte dans un court paragraphe. Après avoir découvert ce premier chapitre, le lecteur a facilement compris le principe de cette œuvre : passer en revue quinze moments de la vie de Vincent van Gogh (1853-1890), en partant d'une de ses lettres, et en proposant une interprétation de ce qu'il a pu ressentir lors de ce séjour. Danijel Žeželj est un bédéaste aguerri qui a commencé sa carrière au début des années 1990, avec le rythme du cœur (1993) qui avait bénéficié d'une introduction de Fredrico Fellini (1920-1993). Il a régulièrement réalisé des bandes dessinées depuis, soit avec des scénaristes (souvent des comics), soit tout seul, dont une version muette extraordinaire du conte du Chaperon Rouge en 2015. Qu'il soit familier de cet auteur ou non, le lecteur reste bouche bée devant de nombreuses planches, souvent des dessins en pleine page : cette vue étonnante de la dimension industrielle de Londres, le gigantesque squelette de poisson dressé dans le ciel, la noirceur des flammes de l'incendie au-dessus des mines, Vincent recroquevillé par terre dans sa chambre, un navire marchand échoué sur une plage, Van Gogh semblant tomber du ciel en perdant ses chaussures, Van Gogh en train de peindre semblant enraciné dans la terre qui le nourrit, un chien à la fourrure trempée sous la pluie, un magnifique taureau sous le soleil, la vision fugitive d'un cerf dans une clairière, etc. Chaque séquence apporte son lot d'enchantement, une interprétation de la vie intérieure du peintre, mais aussi une façon de voir les intentions et les émotions de l'individu qui transforment la perception de la réalité. Bien sûr, cette lecture est différente en fonction de sa familiarité avec la vie du peintre, avec son œuvre, s'il identifie tel détail qu'il connaît déjà, ou s'il le découvre. Dans les tous les cas, cette bande dessinée s'avère une expérience narrative hors du commun, riche en émotions, en impressions, en ressentis, en expérience de la réalité. Bien sûr, il est facile de reconnaitre l'automutilation de l'oreille, ou encore la chambre dans la Maison jaune d'Arles. Bien sûr, on peut ne pas adhérer à la vision que Danijel Žeželj donne de la vie intérieure de van Gogh, mais elle est très cohérente, et convaincante. D'ailleurs personne ne peut dire ce qui passait par la tête du peintre à ces moments-là, ce qui rend l'interprétation de l'auteur aussi valide qu'une autre. D'un autre côté, c'est une approche cohérente avec son instabilité mentale, une façon d'évoquer le fait que ses peintures montrent la réalité d'une manière différente de celle perçue par le commun des mortels, d'évoquer ses préoccupations. le lecteur fait l'expérience de la force créatrice qui peut s'emparer du peintre, de son regard qui s'attache à des éléments singuliers jugés banals par le commun des mortels, à sa sensibilité aux éléments naturels (paysages ou faune), à la distance qui le sépare des personnes qu'il peut être amené à côtoyer. L'auteur sait faire partager l'impression d'une démarche créatrice exceptionnelle, engendrée par un individu spécial, en décalage avec les valeurs et les pensées qui définissent la normalité de la société dans laquelle il vit. En découvrant le format de cet ouvrage, et sa composition, le lecteur constate qu'il sort physiquement de l'ordinaire. En lisant le premier chapitre, il a la confirmation de l'originalité de l'approche : des chapitres courts en noir & blanc, dépourvus de mots, complétés par une lettre du peintre. Il découvre en fin d'ouvrage que l'auteur complète chaque séquence par un court paragraphe développant son contexte. le titre annonce des fragments d'une vie : la promesse est tenue par des mises en situation en noir & blanc très contrasté, des images saisissantes, pour une proposition des visions intérieures de Vincent van Gogh. le résultat est personnel, d'une grande force évocatrice, faisant partager les états d'esprit d'un individu habité par la force de la création d'une vision singulière.

01/05/2024 (modifier)
Couverture de la série Slocum
Slocum

Immédiatement, j'ai été happé par ce récit. Surtout, l'étrange association entre un dessin d'apparence naïf et un sujet on ne peut plus dramatique a réussi à capter mon attention. Et très clairement, je ne regrette pas mon achat (même si l'album se lit très vite). Le naufrage du Slocum est une tragédie sans égale, plus de 1000 personnes y trouvèrent la mort (ce qui en faisait le plus grand drame que connut New-York avant que ne surviennent les attentats du 11 septembre 2001). Ce sujet aurait pu donner naissance à une œuvre plombante mais, du fait des multiples comportements ineptes qui ont mené à ce naufrage, Jan Soeken a choisi de le traiter à la manière d'une farce burlesque. Et bien lui en a pris. Le récit est un délice d'humour noir et naïf dans lequel les différents comportements absurdes sont mis en évidence. C'est cet enchainement de circonstances parfois aux limites du croyables qui donne tout son sel à ce récit. J'ai particulièrement apprécié cette partie de golf qui réunit les différents dirigeants responsables de la tragédie. Rien de spécial, on les voit juste taper la balle alors que le narrateur nous présente le personnage et en quoi il intervient dans la tragédie mais le décalage entre l'aspect calme et posé de la scène et les images du naufrage où équipage et passagers courent en tous sens, pris au piège sur ce bateau, marche en plein avec moi. A la limite, j'entendais une petite musique sereine lors de ces scènes succédant aux cris de désespoir sur le bateau. C'est dramatiquement drôle ! Le récit est bien construit, très instructif, revenant chronologiquement sur les circonstances du drame. Le style naïf et les cases très aérées permettent une lecture facile et rapide de l'ensemble. C'est prenant, ahurissant à plus d'une occasion, mais ça reste toujours léger, drôle et désespérant en même temps. Une très chouette découverte !

01/05/2024 (modifier)
Par pol
Note: 2/5
Couverture de la série Envoyez l'armée !
Envoyez l'armée !

Le trait de Fabrice Erré est tout à fait adapté à ce genre d'album humoristique. Indépendamment de la qualité des gags, ses personnages ont toujours des bonnes têtes avec leur yeux exorbités. Rien que ça, c'est un bon prétexte à sourire. Et en plus comme les situations ne mettent pas vraiment les protagonistes à leur avantage, c'est généralement une raison supplémentaire de passer un moment de lecture divertissant. Sauf qu'ici, si le dessin est de la veine habituelle, les gags tombent un peu trop souvent à plat. Ils usent, voire abusent, du même mécanisme et on tourne un peu en rond. Au moindre prétexte notre général veut tout faire péter. Et régulièrement il va faire péter un peu plus que ce qu'il faudrait, voire pas du tout ce qu'il faudrait. C'est un peu répétitif. Quelques gags par ci par là sont amusants, mais il y a la plupart sont quelconques et quelques uns ne sont pas du tout rigolos. Au final, ça ne tient pas vraiment la longueur sur un album entier. C'est le genre de gags plus efficaces lorsqu'on les lit un par un que tous à la suite.

01/05/2024 (modifier)
Couverture de la série C'est une belle journée pour un labyrinthe !
C'est une belle journée pour un labyrinthe !

Alors, vous prenez un univers de style post-apocalyptique, une cité labyrinthe enfouie dont l’architecture semble résulter des ruines d’une civilisation proche de la nôtre mais plus futuriste. Vous ajoutez de mystérieux kidnappeurs, dont les habitants ne savent trop dire s’il s’agit d’une légende ou si effectivement, ils sont responsables de l’enlèvement de familles entières. Enfin, vous prenez quatre jeunes filles (entre 11 et 14 ans), et dans cet univers, vous leur faites vivre des aventures dignes de Martine à la plage ! Pas besoin de s’inquiéter de leurs parents, on ne les verra jamais. Et si elles semblent être scolarisées, leur quotidien se résume à faire de la pâtisserie, aller à la plage et surtout explorer leur cité (mais sans angoisse, à la manière d’enfants qui se baladeraient dans un jardin public sans rien craindre des autres habitants). Honnêtement, je pense qu’il n’y a que dans le genre manga que l’on peut retrouver ce genre d’association d’idées. Le plus étonnant est que le résultat est plutôt correct, voire pas mal. Les courtes histoires qui rythment les deux premiers tiers de l’album sont des plus futiles (l'avion en papier qui s'envole par la fenêtre, la baignade, la chambre secrète pleine de peluches, le plaisir de manger une glace, la joie de courir sous la pluie, le beau garçon qui arrive toujours au bon/mauvais moment… et puis l’éveil à la sexualité parce que bon, on est quand même dans un manga) mais placées dans cet univers, elles deviennent étrangement décalée, accentuant le caractère insouciant des quatre amies et par là même leur candeur. Et lorsque nous nous sommes habitués à ce ton, le récit bascule enfin. Non qu’il devienne subitement plus dramatique mais les différents éléments mis en place permettent une montée du suspense et le dernier quart du manga verse alors vers le récit d’aventure avec explications du mystère qui entoure cette cité souterraine et de ce qui est arrivé au monde extérieur. Mais à nouveau, tout est cool et gentil. On sent bien que rien de fâcheux ne peut arriver aux quatre gamines et à leur ami. De ce fait, cet album convient parfaitement à un jeune public (les allusions sexuelles restent d’ailleurs très enfantines et donc adaptées à un public dès 10 ans). Le dessin est agréable dans l’ensemble. Les décors sont bien présents, les personnages sont bien typés. C’est à la fois facile à lire et immersif. Le découpage est bon et de nombreuses planches se ‘lisent’ très rapidement, de sorte que l’album, malgré ses 200 pages, est vite englouti. Là encore, le style adopté permet à un large public d’y trouver son compte. Franchement surprenant. Pas un chef-d’œuvre mais une œuvre originale et positive : une sorte de récit post-apocalyptique feelgood, candide et naïf.

01/05/2024 (modifier)
Couverture de la série Nos rives partagées
Nos rives partagées

Mais quelle bonne idée d'avoir adjoint à ce récit d'amours une dimension fantastique ! Nos rives partagées aurait pu n'être qu'un simple récit choral dans lequel nous aurions suivi trois couples de trois tranches d'âges différentes. Le récit aurait été touchant, à l'image des personnages qui l'animent, mais peu original. Le lecteur se serait simplement identifié à l'un ou l'autre personnage, aurait pris en affection tel ou tel autre, aurait apprécié l'évolution des relations entre ces couples, les débuts hésitants, les maladresses, les failles cachées. C'aurait été agréable... mais il aurait sans doute manqué quelque chose. Pour remédier à cette situation, les auteurs ont apporté une dimension fantastique au récit, en donnant à des animaux la fonction de témoins privilégiés. Nous suivons ainsi leurs digressions à propos de la race humaine, de ses incohérences, de sa futilité. Deux animaux se voient ainsi dotés d'un rôle de taille dans cette histoire : la sage grenouille et le chat cynique, par leur regard extérieur, jugent nos couples avec un regard vierge, parfois attendri mais souvent narquois. Cette dimension apporte beaucoup de poésie au récit et lui permet de sortir du tout-venant. Je guettais cette sortie depuis quelques temps, appâté par le nom des auteurs. J'avoue avoir eu un peu de mal à rentrer dedans mais une fois que la sauce a pris, je n'ai plus lâché prise. Le scénario de Zabus dégage la poésie et la bienveillance à laquelle il m'a déjà habitué par ailleurs. Le dessin de Nicoby est toujours aussi frais et accessible. Lui aussi dégage une forme de bienveillance qui convient parfaitement au récit. Au final, sans pouvoir parler d'un pur chef-d'œuvre, je trouve que les auteurs ont réussi à créer quelque chose d'original tout en restant très classique. Franchement pas mal du tout !

01/05/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 3/5
Couverture de la série Séverin Blaireau
Séverin Blaireau

Une jolie petite histoire bien menée sur la thématique de la mémoire. L'histoire clairement orientée vers les enfants amuse tout de même le grand dadais que je suis par des petites touches souvent bien senties, et une utilisation graphique d'un terrier qui donne envie d'aller y habiter. C'est un joli petit conte, où le blaireau joue le rôle du sage, pour changer de son image du nuisible. La colorisation fait bien ressortir l'ensemble et on sent un travail dans la composition, les cadrages et les moments marquants. Si l'histoire est vite lue, j'apprécie l'idée de faim (huhu) qui redonne sa mémoire à la pirate. Une jolie histoire qui plaira sans doute aux enfants et que je recommande facilement !

01/05/2024 (modifier)