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Couverture de la série Appels en absence
Appels en absence

Si autant la couverture que le style graphique étaient de nature à refroidir mon enthousiasme, le sujet de cet album, lui, a suffi à me pousser à passer outre mes a priori. Appels en absence a pour toile de fond un drame lié au terrorisme qui a eu lieu en Norvège en 2011, avec comme point culminant le massacre de 69 jeunes sur l’île d’Utøya par un militant d’extrême droite, ce dernier avait peu auparavant fait exploser une bombe à Oslo, tuant par la même occasion 8 autres personnes. Le grand intérêt d’Appels en absence est de nous montrer les conséquences psychiques que ce drame a eu sur les jeunes Norvégiens. Il n’est ici nullement question de revenir sur les événements mais bien de nous proposer le portrait d’une jeune lycéenne que ce drame ronge alors même qu’elle n’a pas été impactée directement (ni elle ni aucun membre de sa famille n’ont été touchés physiquement par ces attaques terroristes). L’auteure, Nora Dasnes, elle-même norvégienne, avait plus ou moins le même âge que son héroïne au moment des faits et on sent bien qu’elle a mis beaucoup d’elle dans ce récit. Le portrait est sensible et très humain. On a là une adolescente sensible et déstabilisée mais rationnelle, intelligente : elle voudrait comprendre et c’est cette absence de réponse qui la fait bugguer. Et alors que sa meilleure amie, musulmane, s’engage dans des mouvements politiques (histoire d’avoir l’impression de pouvoir agir, de pouvoir changer les choses), Rebekka, elle, ressasse, tourne en rond, s’enfonce, peu aidée par son environnement familial (surtout son grand frère dont le profil propose des similitudes inquiétantes avec Anders Behring Breivik, l’auteur des attentats). J’ai dévoré cet album, passant outre ce dessin que je trouve peu engageant pour vraiment m’attacher au personnage. Et rarement je me serai senti aussi proche d’une adolescente d’aujourd’hui, comprennant ses craintes, ses angoisses face au monde actuel, son incompréhension tant devant l’acte du terroriste que devant ce spectacle de fin d’année scolaire qu’il faut organiser alors que plus rien n’a de sens. Vraiment, un beau portrait, moderne et universel. Pas le plus engageant mais peut-être l’album qui m’a le plus parlé en cette première partie d’année 2024.

07/05/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 2/5
Couverture de la série Crotales
Crotales

Bon, c'est pas franchement fou. Je ne connais pas la série Jessica Blandy et elle m'intéresse vaguement par l'idée de voir d'autre série de Dufaux, mais en dehors de ça je ne suis pas spécialement attiré. Et disons que cette série ne m'a pas spécialement envie de lire autre chose sur cette thématique. Si le trait de Renaud joue beaucoup sur un érotisme que j'ai trouvé parfois inséré au chausse-pied, il m'a semblé aussi imprécis par moment. Les visages, les proportions et surtout les attitudes m'ont parfois parues artificielles. Pour le reste, l'histoire ne m'a pas particulièrement intéressée. C'est assez classique dans le polar type Arizona ou Nouveau-Mexique. On a une équipe de tueurs implacables, un shérif qui veut s'imposer, une riche veuve à la sexualité gourmande, bref du classique vu et revu. Et autant je peux apprécier dans une série type Preacher qui développe autour de ces archétypes des métaphores de l'Amérique, là c'est ... ben c'est plat. Au final, j'ai eu l'impression d'une longue mise en situation jusqu'à un final pas forcément intéressant. C'est assez basique, à mon gout, ça incite plus à voir du côté de la série-mère, mais en l'état je trouve l'ensemble très racoleur pour pas grand-chose. Pas intéressé, je ne le relirais pas.

07/05/2024 (modifier)
Couverture de la série Habemus Bastard
Habemus Bastard

Il est certain que cette série ne renouvellera pas le genre. Elle se développe en effet sur un grand classique : un truand amené à se faire passer pour homme d'église le temps de se faire oublier. On retrouve ainsi le personnage typique de ce style de récit comme héros. Lucien (puisque c'est de lui qu'il s'agit) dispose de sa propre vision de la morale (plutôt élastique), n'est pas dénué de bon sens et même s'il n'hésite pas à sortir la grosse artillerie, on sent bien que le fond est bon. Rien de neuf, donc... mais j'ai vraiment bien aimé. Certes, certains passages m'ont semblés un peu forcés mais, la majeure partie du temps, l'humour passe bien et la tension est bien dosée. On se demande bel et bien comment notre héros va s'en sortir tout en s'amusant de ses manœuvres en sa qualité de curé de village pas spécialement emballé à l'idée de devoir tendre l'autre joue. Par ailleurs, outre le scénario, l'aspect visuel de l'album est parfaitement maitrisé. Faut-il encore présenter Sylvain Vallée ? Mise en page cinématographique, tronches variées et bien croquées, dynamisme du trait, clarté de lecture. c'est vraiment un style tout public d'une extrême qualité et ce style semi-réaliste s'accorde parfaitement avec le ton de la série. Donc voilà : rien de neuf mais si vous cherchez une série grand public de qualité, sans prise de tête avec de l'humour, de l'action, de bonnes réparties, un peu de tension, un bon dessin, une bonne colorisation, cet Habemus Bastard a de quoi vous séduire. Amen ! PS : la série est prévue en deux tomes, de quoi convaincre encore un peu plus les indécis.

07/05/2024 (modifier)
Par Bruno :)
Note: 4/5
Couverture de la série Swallow me whole
Swallow me whole

Dur. Mettre en scène -et en images !- les troubles psychologiques liés à la schizophrénie n'est pas une mince affaire, quand on s'attache à en faire partager les aspects les plus intimes et déstabilisants, loin des clichés spectaculairement meurtriers chers aux auteurs à sensation. Nate Powell s'y emploie en brouillant, dés le début de l'histoire, notre perception du quotidien des personnages, tant leur univers subit graphiquement l'influence de leurs déboires hallucinatoires. La représentation des corps comme des décors, obscurs et mouvants, n'obéit plus qu'aux lois de la perception ; et la subjectivité l'emporte (de loin !) sur la réalité. Il devient alors facile de s'égarer (... S'ennuyer ?!) à la lecture de ces pages où, parfois, même les mots dans les phylactères se désagrègent au point de n'être plus lisibles... L'absconse de la démonstration peut rebuter, car même les dernières pages forcent le lecteur à l'interprétation (peut-être même à une deuxième lecture ?) ; mais, du point de vue narratif, c'est très réussi et le glissement progressif vers les ténèbres de la maladie particulièrement bien rendu. Une certaine expérience de ce genre de récit aide certainement à en saisir plus rapidement les clés et, donc, pourrait contribuer à d'avantage apprécier la valeur de cet ouvrage, au delà de son traitement volontairement peu commercial car complètement partial au sujet. Scénaristiquement créatif et résolument courageux.

06/05/2024 (modifier)
Couverture de la série Luxley
Luxley

C’est une série que je voulais lire depuis très longtemps. La couverture du premier tome m’avait fait de l’œil (hélas lors de la « reprise » par la collection Quadrant Solaire elle a changé : si elle se rapproche davantage du contenu – j’ai trouvé la nouvelle couverture moche). Mais surtout je salivais à propos de cette uchronie, qui avait un réel potentiel. Relativement original, et permettant de « renverser » un certain cours de l’Histoire, à un moment où, peut-être, les « avancées » respectives des différentes civilisations pouvaient rendre crédible une lutte « d’égal à égal ». Accessoirement, je suis plutôt amateur des civilisations de Méso-Amérique et du moyen-âge central : le cadre général avait tout pour me plaire. Cette idée de rencontre a aussi été – mieux – traitée (après, mais j’ai lu le roman avant la série BD de Mangin) dans son roman « Civilizations » par Laurent Binet (sauf que lui situe l’arrivée des Incas – et des Incas seulement ! – trois siècles et demi plus tard, et cherche à respecter une certaine crédibilité historique). Et en fait c’est là que le bât blesse d’entrée. Une uchronie bien faite doit, malgré les contorsions qu’elle lui impose à l’Histoire, respecter certains cadres historiques pour rester crédible. Et dès le départ je n’y ai pas cru. En fait tout nous est amené – imposé – trop rapidement et brutalement. On ne saura rien des moyens employés par les Amérindiens pour se rendre maîtres des principaux royaumes chrétiens à la fin du XIIème siècle (eux qui ne connaissaient ni métal ni chevaux – je passe sur leurs connaissances et capacités à traverser l’océan Atlantique, par dizaines de milliers qui plus est !). Surtout d’emblée, là aussi sans explication ni réelle crédibilité, sont mélangés Incas, Mayas et Aztèques (alors qu’à cette époque les Aztèques sont un peuple mineur, pas encore installé dans le futur Mexique, en tout rien de l’Empire guerrier qu’il sera plusieurs siècles plus tard). Je passe sur l’adaptation visiblement express desdits Amérindiens aux chevaux, aux mœurs, langages européens, etc… Du coup, j’ai été d’entrée refroidi par ce salmigondis, et une bonne partie de ma curiosité s’est évanouie. D’autant plus que Mangin a aussi choisi d’insuffler du fantastique – à forte dose en plus – dans son histoire. Je n’en suis pas fan a priori, et là ça ne passe pas non plus. D’abord parce que ça déséquilibre le récit (l’aspect « historique » s’efface trop – ce qu’il en restait en tout cas), ensuite par ce que certains aspects sont un peu grotesques en l’état (la lévitation de l’Apu, de femmes soldats, voire de navires !, les boules incrustées dans le crâne permettant de lire l’avenir, etc.), rien n’étant réellement expliqué et/ou explicable (du coup on est dans le fantastique pur et je ne suis pas Mangin sur cette trajectoire). Mangin essaye par la suite d’arrimer son récit à une Histoire consistante (références à L’inquisition, aux relations entre chrétiens et musulmans, etc.) mais c’est trop tard pour moi, et si j’ai fini la série, c’est franchement sans enthousiasme et un peu à reculons, d’autant plus déçu que j’avais placé pas mal d’espoirs dans cette uchronie (avant de savoir la tournure qu’elle allait prendre). Les apparitions de Mangin elle-même dans le dernier album (et une bonne partie de cet album d’ailleurs) ont fini de me convaincre qu’elle avait navigué à vue après l’idée de départ. On n’est pas loin du n’importe quoi quand même. Seule chose qui trouve réellement grâce à mes yeux, le dessin de Ruizgé, agréable et bon (il s’améliore même au fil des tomes je trouve). Mais c’est loin de me suffire. Une grosse déception me concernant en tout cas.

06/05/2024 (modifier)
Par Pathy
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série The Beginning - After the End
The Beginning - After the End

Cette histoire possède, comparée à d'autres dans le même style, un univers et des personnages tous bien construits. La série est satisfaisante à lire. On se prend vite de curiosité pour l’histoire, on s’attache aux personnages. Cette série a tout pour plaire, je recommande.

06/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 3/5
Couverture de la série We stand on guard
We stand on guard

Carcajou inclus - Ce tome comprend une histoire complète et indépendante de toute autre. Il contient les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2015, écrits par Brian K. Vaughan, dessinés et encrés par Steve Skroce, et mis en couleurs par Matt Hollingsworth. le titre du récit est une phrase extraite de l'hymne national canadien. En 2112, des drones bombardent la Maison Blanche et les images sont retransmises de par le monde, en particulier dans la maison de la famille Roos, à Ottawa dans l'Ontario. le gouvernement des États-Unis détermine rapidement (à tort ou à raison) que l'attaque venait du Canada, et déclenche une riposte militaire immédiate par le biais de missiles. Les parents Roos sont tués dans les bombardements, mais leurs 2 enfants Amber et Tommy y survivent. En 2124, le sud du Canada est un territoire militairement occupé, sous domination des américains. Amber Roos a pris le maquis et survit toute seule dans le grand nord canadien. Alors qu'elle chasse un renne, elle tombe sous le feu d'un droïde américain. Elle doit sa survie à l'intervention d'un petit groupe armé de rebelles composé de 6 personnes : Oscar Booth (caucasien, blond), Chief McFadden (mi asiatique, mi caucasien), Dunn (avec une prothèse à a place du bras droit), Highway (un indien d'Amérique), Lee LesPage (afro-canadien québécois, s'exprimant en français non traduit) et Qabani (musulmane). Alors que Booth panse la blessure au bras d'Amber Roos, un énorme véhicule tout terrain, une sorte de mécha d'une dizaine de mètre de hauteur sur 4 pattes, surgit et s'attaque au groupe. Après avoir affronté le mécha terrestre, le petit groupe (appelé Two-Four) teste la loyauté d'Amber Roos, puis lui bande les yeux et l'emmène dans leur base secrète. de leur côté, la responsable militaire des forces américaines interroge un suspect qui détient peut-être des informations décisives sur les rebelles canadiens. En parallèle, des retours en arrière évoque succinctement la manière dont Amber et Tommy Roos ont pu gagner la zone libre et échapper à l'armée étatsunienne. L'étau se resserre autour du groupe Two-Four et leurs options diminuent d'heure en heure. En parallèle de sa série à succès Saga, le scénariste Brian K. Vaughan développe d'autres projets, avec d'autres artistes. le point de départ du présent récit repose sur une idée fortement enracinée dans l'inconscient collectif canadien : le risque d'une opération militaire américaine pour annexer leur pays (sous un prétexte fallacieux), afin de mettre la main sur leurs ressources naturelles. Vaughan joue à plein sur cette théorie du complot, en la transposant dans un environnement d'anticipation. Il laisse planer le doute sur la culpabilité réelle ou supposée des canadiens dans l'acte terroriste perpétré sur la Maison Blanche, et il enfonce le clou avec l'objectif militaire des américains, à savoir sécuriser les ressources en eau douce du Canada pour irriguer les territoires américains transformés en désert par la sécheresse. Sur cette trame légèrement teintée de paranoïa (les rebelles étant persuadés que le gouvernement américain n'a jamais eu de preuve de la culpabilité des canadiens, voire que tout a été inventé, les américains étant persuadé des intentions criminelles des canadiens), le scénario suit les actes de résistance d'une minuscule cellule de rebelles canadiens (moins d'une dizaine) contre la grosse machine de guerre américaine. Pour rétablir l'équilibre, le climat rude du nord du Canada joue en faveur des rebelles. Vaughan s'amuse d'ailleurs à parsemer son récit de références au Canada, à commencer par sa géographie et son climat, mais aussi aux noms de villes ou de régions construits sur les dialectes des tribus indiennes, ou sur le français, aux consonances aussi exotiques qu'imprononçables pour des américains. Bien sûr, il n'oublie pas d'intégrer une blague sur les carcajous (en anglais wolverine). Tout du long du récit, Les Lepage s'exprime en français châtié, dépourvu de tout anglicisme comme un québécois pur souche qui se respecte, avec juste 2 fautes de français dans ses dialogues (ce qui représente un exploit pour un comics américain). Cette histoire relève du récit d'anticipation, tendance politique-fiction, avec plus de fiction que de politique. le scénariste a fait plaisir au dessinateur en incluant des méchas (soit autonomes, soit pilotés par un humain à bord), une prothèse bionique en guise de bras, des forteresses volantes (assurant leur vol autonome stationnaire par le biais d'une technologie non précisée), des dérèglements climatiques ayant conduit à la désertification de grandes étendues en Amérique du Nord, des drones aux capacités et à la technologie largement supérieure à ce qui existe, un réseau de communication accessible depuis des implants cybernétiques sous-cutanés, et des armements futuristes. Il s'agit également d'un récit de guerre, avec à la base l'invasion d'un territoire par un gouvernement étranger. le lecteur suit donc un petit groupe de rebelles tentant de résister à l'envahisseur, s'interrogeant sur la confiance qu'ils peuvent accorder à un élément exogène. Il est question d'armes, d'exécution sommaire des prisonniers de guerre, d'interrogatoires avec recours à la torture, de stratégie à l'échelle d'une poignée de résistants, mais aussi à l'échelle d'une nation. Bien évidemment, le lecteur assiste à des affrontements, avec blessures, morts au champ de bataille et opérations commando. Dès le départ, il comprend bien que le petit groupe Two-Four mène un combat contre l'armée d'une nation, David contre Goliath. L'aspect spectaculaire et divertissant de ces affrontements repose donc sur les épaules de Steve Skroce. Celui-ci réalise des dessins très détaillés dans une veine descriptive appuyée. le lecteur commence par découvrir la pièce à vivre de la famille Roos, très haute de plafond, joliment décorée, avec une grande baie vitrée et un canapé confortable. D'une manière générale, le dessinateur s'investit pour inclure une vue générale de chaque prise de vue en intérieur, avec un aménagement adéquat (entre meubles fonctionnels et dépourvus de personnalité pour les locaux militaires, et intérieurs privés attestant du soin pris par leur propriétaire pour les personnaliser). L'histoire continue par la chute des missiles sur le territoire canadien et sur les centres urbains. Skroce ne se complaît pas dans le gore, mais il n'en détourne pas non plus pudiquement le regard. le lecteur voit donc les blessures, la peau déchirée, les os protubérants, la chair calcinée, les membres arrachés et même des intestins à l'air suite à une éventration. Les auteurs ont donc choisi de ne pas édulcorer les blessures, encore moins de les rendre romantiques. Les individus meurent, estropiés, en souffrance. Pire encore, l'utilisation de rayons laser découpe les individus, libérant la pression artérielle. Les blessures sont nettes et sans bavure, mais c'est une vraie boucherie car il ne cautérise pas les plaies. Cet aspect de la violence s'exerce avec d'autant plus d'impact émotionnel, que chaque personnage est aisément identifiable et dispose d'une morphologie réaliste, à l'opposé des superhéros, ou même des récits d'aventure avec héros musculeux. Le dessinateur a également l'occasion de représenter 2 animaux dont un chien bizarre (sa véritable nature provient d'un croisement génétique improbable) et un magnifique renne broutant dans un champ de neige. Les grands espaces naturels canadiens invitent au tourisme, mais le degré de réalisme reste relatif, car il n'y a par exemple qu'une seule essence d'arbres (des sapins). Cela n'empêche qu'une vue d'ensemble sur un champ ensemencé reste très convaincante. Le gros du spectacle réside donc dans les affrontements et dans les méchas. le lecteur suppose que Vaughan a dû demander à Skroce ce qu'il voulait dessiner au préalable et qu'il a aménagé son scénario en fonction de la réponse. Cela commence donc avec ce drone automatisé en forme de gros chien métallique de 2 mètres de haut. Ça continue avec espèce de forteresse à 4 pattes d'une dizaine de mètres de haut. Ça culmine avec un dessin en double page montrant une vingtaine de forteresses volantes en plein ciel. Les combats présentent une excellente visibilité, permettant de suivre les déplacements des différentes factions. le dessinateur n'abuse pas des explosions, et elles sont spectaculaires quand elles sont présentes, sans être démesurées. Il s'en suit un spectacle visuel de qualité qui se lit une fois et demi plus vite qu'un comics ordinaire de la même pagination. Dans le fond, Brian K. Vaughan n'a pas trop exagéré le point de départ, puisqu'effectivement les États-Unis avaient conçu et développé un plan d'invasion du Canada dans les années 1920/1930, appelé Plan de Guerre Rouge, et évoqué par l'un des personnages. Il s'investit dans la conception et la mise en place de la situation, avec des personnages dont la diversité reflète celle de la population canadienne, des références géographiques et une forme de patriotisme (jusqu'à l'un des résistants qui soutient que Superman est canadien). Néanmoins, le lecteur s'aperçoit que l'histoire revient vite vers un récit de confrontation entre 2 factions, avec des rebelles qui finalement ont quand même une sacrée chance face à l'armée de tout un pays (même si Vaughan fait tout ce qu'il fut pour rendre cette chance plausible). le spectacle est assuré par les dessins méticuleux, clairs et détaillés de Steve Skroce. Il s'agit avant tout d'un divertissement, sans regard personnel sur la guerre, encore moins sur le patriotisme ou la géopolitique.

06/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Maestros
Maestros

Pour un bénéfice mutuel - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 7 de la minisérie, initialement parus en 2018, écrits, dessinés et encrés par Steve Skroce, avec une mise en couleurs réalisée par Dave Stewart. La quatrième de couverture comporte un petit mot gentil écrit par Brian K. Vaughan qui avait réalisé We stand on guard : de foi trempée (2015) avec Skroce. Quelque part dans le multivers sur Zainon une planète lointaine où règne la magie, Meethra, le Maestro régnant (de la lignée Kahzar) a été déchiqueté, massacré par Mardok, qui a également massacré toute sa famille rassemblée pour les fêtes du festival de Shuriek. En tant que grand intendant, Gah'Ree reçoit Margaret (l'une des innombrables épouses de Meethra, mais divorcée depuis ce qui lui a évité d'être massacrée avec les autres) pour lui annoncer la terrible nouvelle. Elle comprend que, tous les membres de la lignée Kahzar ayant été massacrés, cela signifie que son fils William Little va pouvoir revenir sur Zainon, son bannissement n'ayant plus lieu d'être. Elle décide d'aller le chercher lui-même, s'armant de Loyal Backstabber, une épée dotée de conscience. Sur Terre, un riche magnat de l'industrie du pétrole est en train de mettre en doute les compétences magiques de William Little. Ce dernier prend la mallette pleine de billets du magnat et en échange il lui rend sa capacité d'avoir un sexe turgescent. Un peu désabusé quant à son usage de la magie, Will va prendre un verre à table, et accepte une danse lascive d'une jolie professionnelle. Mais celle-ci se transforme en une créature monstrueuse pleine de dents, et dévore Will. Sa mère Margaret surgit à ce moment, commence à se battre contre la créature maléfique et lance une petite bille magique dans la bouche éclatée de son fils, ce qui a pour effet de le guérir instantanément de ses blessures horribles. Ainsi régénéré, Will peut se battre aux côtés de sa mère Margaret contre les monstres qui ont envahi la boîte de nuit et sont en train de se repaître des pauvres humains. Alors qu'ils sont en train de regagner le dessus, Mardok apparaît, immédiatement reconnu par Margaret. Elle fait apparaître une porte vers un autre monde, et emmène son fils dans l'instant, avec que Mardok ne puisse s'en prendre à eux. de retour sur Zainon sa mère annonce à Will que son père est mort, ainsi que tous ceux qui pouvaient prétendre à son trône et qu'il se retrouve de fait être le nouveau Maestro. Loyal Backstabber sort une moquerie bien sentie. Will se rappelle le matin où il avait entendu du bruit dans la chambre de sa mère. Il s'y était précipité avec une batte de baseball, et l'enfant de 10 ans qu'il était avait vu Meethra Kahzar prendre sa mère tout debout. Meethra avait raconté l'origine des mondes à son fils, et l'avait emmené sur Zainon avec sa mère, pour qu'il poursuive son éducation dans l'institut de magie. Au temps présent, il reste encore à Will à rencontrer Lord Rygol, le bras droit de son père. Dans la deuxième moitié des années 2010, l'éditeur Image Comics publie des miniséries par brouette entière, parfois réalisée par des débutants, parfois par des vétérans, et très souvent d'une excellente qualité. Pour Maestros, le lecteur est attiré par le nom de Steve Skroce, dessinateur pour Marvel de séries comme Cable et X-Men, et réalisateur de storyboards de nombreux films, dont la Trilogie Matrix des Wachowski. La couverture indique que l'artiste n'a rien perdu de son obsession du détail, et qu'il s'agit d'un récit avec magie. le premier épisode établit la dynamique du récit. Un méchant amoureux du néant a décidé d'en finir avec une dynastie de magiciens. Après avoir trucidé toute la lignée des maestros, il ne reste plus qu'à supprimer un rejeton autrefois banni sur Terre. le récit se focalise sur Will, ses idées progressistes, ses capacités à manier la magie, bien assisté par sa mère et par Wren, son amour de toujours, jusqu'alors cantonnée à servir le magicien Lord Rygol. Dans un premier temps, le récit suit 2 lignes temporelles différentes : le présent où Will revient sur Zainon et implémente des changements radicaux dans la société, à la fois des formes de démocraties, à la fois des programmes sociaux, le passé où le lecteur voit comment Will a subi des brimades à l'école de magie de la part de ses camarades, et des tortures de la part de son père. Rapidement, le lecteur fait le constat que Will possède une capacité de réflexion déroutant ses adversaires, et que ses pouvoirs magiques sont bien opportuns pour se sortir de situations désespérées. Les capacités magiques opportunes de Will ont pour effet de dédramatiser les situations puisqu'il est vraisemblable qu'il utilisera un sort bien pratique pour s'en sortir au dernier moment, y compris des sorts de résurrection. Mais dans le même temps, Steve Skroce assure le spectacle avec ses dessins minutieux fourmillant de détails. Dès la première scène, celle du carnage de la lignée royale, le lecteur peut constater que l'artiste ne ménage pas sa peine pour représenter en détails la foule de figurants, ou plutôt de cadavres déchiquetés. Les autres scènes de foule sont tout autant peuplées, qu'i s'agisse des clients du club de strip-tease, de la foule des courtisans à la cour du Maestro régnant, de la masse grouillante de vers à épine de Mardok, de la horde sans nombre de démons du monde souterrain. Au fur et à mesure des épisodes, Skroce s'en donne également à cœur joie avec les décors : la cité impériale du Maestro, la bibliothèque de l'appartement de Margaret, le monument funéraire de la famille des Maestros, le trône du maestro, la réserve des objets magiques et enchantés, les venelles du monde souterrain, et même les allées d'un hypermarché discount. le lecteur voit bien que le dessinateur sait comment faire pour éviter d'avoir à dessiner les décors, mais en fait soit ils sont représentés avec une minutie maniaque, soit il y a tellement de personnages représentés dans le détail qu'il n'y a plus de place pour représenter les décors sans que les cases deviennent illisibles. Même si le lecteur ressent bien que l'intrigue est tout public, la narration visuelle place le récit dans un registre pour lecteur consentant. Steve Skroce se montre très inventif pour les différents monstres, des monstres pleins de dents, à l'être anthropoïde à la tête de fleurs, en passant par le gros démon rouge. Il sait transcrire l'horreur avec une touche de gore : le cadavre déchiqueté de Meethra Kahzar, la tête écrabouillée de Will, la chair d'un individu carbonisé, Mardok en train de manger les entrailles de Will, etc. Par ailleurs, l'auteur a décidé de ne pas montrer la nudité du corps féminin, mais il n'hésite pas à montrer le sexe masculin, ce qui à nouveau indique qu'il ne s'agit d'une lecture tout public. le lecteur se retrouve donc complètement immergé dans des mondes très concrets, peuplés de créatures fantastiques et dangereuses, avec des actions brutales et une utilisation de la magie inventive. Cela n'empêche pas quelques moments d'humour visuel, comme lorsque Will se retrouve affublé d'un costume sadomaso aussi révélateur que déplacé sur son frêle corps. Dave Stewart accomplit un travail remarquable pour donner un peu de relief à chaque surface, à les faire ressortir les unes par rapport aux autres, et à accentuer et faciliter la lisibilité des cases. Le lecteur se laisse donc porter par cette histoire de vengeance aussi amusante que riche visuellement. Il sourit en voyant les maltraitances subies par Will jeune adolescent, à la fois pour leur inventivité, à la fois pour leur absence de conséquence autre que la souffrance. Il sourit encore plus quand Will demande à Mardok quels ont été ses traumatismes de jeunesse pour qu'il se montre aussi méchant, raillant ainsi ce trope dramatique. Il apprécie que malgré sa toute-puissance, Will demande l'avis de sa mère sur la bonne conduite à tenir. Il apprécie l'inventivité du scénariste pour relancer l'intrigue par une nouvelle épreuve à chaque épisode. Steve Skroce a su trouver le point d'équilibre entre une aventure au premier degré, avec quelques facilités, des rebondissements inattendus, des personnages sortant de l'ordinaire, que ce soit Will avec ses idées progressistes, ou sa mère et Wren combattantes émérites. Il se rend compte que de confrontation en confrontation, Will refuse d'envisager la situation en noir & blanc, et cherche toujours à voir comment trouver une alternative à la confrontation physique. Il apprécie l'inventivité des astuces pour sortir le héros d'une situation mortelle après l'autre. Il se rend compte que sans prêche ni leçon de morale, l'auteur met en scène un héros qui envisage toujours les choses de manière constructive, sans pour autant se laisser marcher sur les pieds. A priori le lecteur peut se dire que ce récit risque d'avoir été écrit par un artiste qui se fait plaisir, en privilégiant la qualité de ses dessins à l'intrigue. Il découvre une trame d'intrigue assez basique, mais effectivement servie par des dessins d'une grande précision et d'une grande richesse, avec une inventivité pour les personnages, les créatures monstrueuses, les différents environnements, les affrontements physiques et magiques, tout en conservant une lisibilité immédiate. Dès le début, il se laisse prendre au jeu, grâce à la personnalité positive et constructive du personnage principal qui n'est pas naïf pour autant. Au final, il a passé un moment de lecture très divertissant, avec une narration visuelle savoureuse, et une défense inattendue du principe démocratique.

06/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Fredric, William et l'Amazone
Fredric, William et l'Amazone

La blessure à l'œil - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, rehaussée de lavis, avec quelques cases en couleurs, dont la première édition date de 2020. Elle a été réalisée par Jean-Marc Lainé pour le scénario, Thierry Olivier pour les dessins, l'encrage et les lavis. Ce tome se termine avec un dossier de 20 pages comprenant des pages à différents stades d'avancement, des documents d'époque, et un texte édifiant de Lainé commentant le processus de création. La dernière page comprend une bibliographie présentant 6 ouvrages de référence, ainsi qu'une courte biographie d'un paragraphe présentant les deux auteurs. Chapitre 1 : 1922-1935. Fredric Wertham écrit une lettre à son ancien professeur Sigmund Freud. Il relate qu'il se trouve accoudé au bastingage du navire arrivant en vue de New York, en train de passer au large de la Statue de la Liberté. Dans le même temps, il s'interroge sur les paramètres du déterminisme social susceptibles d'engendrer la violence. Il se fait déposer à destination par un taxi. Il avise un kiosque à journaux en descendant du taxi et achète un journal. En le feuilletant, il est frappé par l'expressivité des personnages du comicstrip. Dans sa maison, William Moulton Marston est confortablement installé dans son fauteuil, et sa femme lui apporte le journal où un article évoque ses travaux sur le détecteur de mensonge, et plus particulièrement sur la pression systolique. Il se félicite qu'on parle de ses travaux, réalisées avec son assistante Olive Byrne, alors que sa femme ironise sur le fait qu'il s'agit plutôt de sa maîtresse. Il ajoute qu'il travaille sur le manuscrit de son prochain livre le détecteur de mensonges, et qu'il a été contacté par un avocat qui souhaite utiliser ledit détecteur pour innocenter son client. Wertham est reçu par le directeur de l'université Johns-Hopkins de Baltimore dans le Maryland, qui l'engage. L'avocat présente son client James Frye à Marston en prison. Il teste le détecteur de mensonges. le jugement a lieu et Frye est reconnu coupable, les résultats du détecteur n'étant pas reconnus par le tribunal. L'avocat fait observer à Marston que grâce à lui, son client a quand même échappé à la chaise électrique. le compte-rendu de l'audience fait l'objet d'un article dans un grand quotidien, et il se félicite que son invention y soit mentionnée. Wertham peste contre la supercherie de la pression systolique dont il ne reconnaît pas la validité scientifique. William Moulton Marston continue de tester son invention, cette fois-ci dans ses bureaux, sur une jeune femme qui capte bien le sous-entendu d'être attachée sur un fauteuil. Peu de temps après, il impose à sa femme Elizabeth le fait qu'Olive Byrne s'installe chez eux, instituant ainsi un ménage à trois. En 1927, Wertham est naturalisé citoyen américain. En 1928, Marston travaille pour un studio d'Hollywood à essayer d'anticiper les goûts du public. À Los Angeles, la police de Chicago engage un dénommé Leonarde Keeler, l'inventeur de l'émotographe. le 26 août 1928 naît Pete, le fils d'Elizabeth et William. Peu de temps après, le studio d'Hollywood apprend à Marston qu'ils n'ont plus besoin de ses services, du fait de la mise en oeuvre du code Hays. Il comprend bien qu'ils l'ont remplacé pour un prestataire moins cher, vraisemblablement Keeler. En décembre 1934, la police arrête le tueur en série Albert Fish. Son évaluation psychologique échoit à Fredric Wertham. Voici un projet aussi alléchant que sujet à caution : rapprocher deux psychologues ayant vécu à la même époque, et ayant une incidence à long terme sur les comics américains. L'un a créé Wonder Woman en 1941, l'autre a jeté durablement l'opprobre sur les comics avec un livre paru en 1954. Indéniablement, la structure et la narration présentent des particularités qui attirent l'oeil et l'attention du lecteur. Les auteurs ont choisi de ne pas toujours respecter l'unité de lieu et de temps dans certaines pages : une séquence peut se terminer aux deux tiers, et une autre sans rapport commencer dans le dernier tiers. Marston semble systématiquement arborer un sourire factice, d'autant plus éclatant que le dessinateur ne représente pas de séparation entre les dents. Il peut arriver que certaines scènes ne débouchent sur rien. Par exemple page 15, Marston place ses capteurs sur les bras et les jambes d'une jeune femme pour un test : le sourire et le regard intense de la demoiselle semble indiquer qu'elle saisit bien le sous-entendu de domination contenu dans cette situation. Pour autant la page d'après passe à une discussion sans rapport évident entre Marston et son épouse, et il n'est plus jamais question de cette jeune dame. de temps à autre, un bras ou une tête semblent un peu trop gros ou un peu trop petit, ou trop court. Les emprunts à Watchmen (1986/1987) de Dave Gibbons & Alan Moore s'apparentent à du recopiage, par exemple la scène d'entretien entre Albert Fish et Wertham, avec un découpage en 9 cases de la planche et une mise en couleurs contrastée entre présent et images dans l'esprit du psychologue. Dans le même temps, le lecteur se rend vite compte qu'il ne s'agit pas d'amateurisme. Les auteurs reconstituent une époque précise, ou plutôt développent plusieurs thèmes dans une structure complexe totalement maîtrisée : l'évolution de l'image des comics, au travers de la trajectoire en miroir de deux personnalités très différentes. Au fur et à mesure qu'il découvre les pages, le lecteur relève de nombreuses autres caractéristiques qui attestent d'un ouvrage très réfléchi. Pour commencer, il est découpé en 4 chapitres, chacun correspondant à une époque : de 1922 à 1935, de 1935 à 1940, de 1940 à 1945, et de 1945 à 1956, chacune placée sous le signe d'une personnalité historique différente (Sigmund Freud, puis Albert Fish, Adolph Hitler, Joseph McCarthy). À l'opposé d'un dispositif gadget pour ajouter une caution historique factice et creuse, ces références apportent une profondeur de champ thématique au récit. Au fil des pages, le lecteur relève d'autres références visuelles : à Dave Gibbons, à Richard Corben, à un ou deux artistes ayant travaillé pour EC Comics. Là encore il ne s'agit pas simplement de manque d'inspiration ou de citations serviles. Au dos de chaque page annonçant le chapitre, se trouve un facsimilé de comics d'époque constituant à la fois une référence visuelle dessinée à la manière de l'époque, et un jeu thématique avec les éléments développés dans le chapitre en question. Quand il prend un peu de recul, le lecteur se rend compte du soin avec lequel le récit a été construit, par exemple en remarquant que chaque chapitre s'ouvre avec une vue différente de New York, à autant d'époques différentes, avec un investissement tangible pour respecter l'authenticité historique. Ainsi il s'impose comme une évidence qu'il s'agit d'une BD très soignée, tant sur le plan de sa construction, que sur le plan visuel. S'il est néophyte en histoire des comics, le lecteur découvre deux individus sortant de l'ordinaire. Un psychologue élève de Sigmund Freud (1856-1939) effectuant un métier éprouvant, constructif pour la société : professeur dans une école de médecine de Baltimore, psychologue expert auprès des tribunaux, être humain soumis à l'exposition la plus crue des horreurs commises par un tueur en série, professionnel écoutant la parole des enfants, individu concerné par la société dans laquelle il vit et souhaitant faire de la prévention. Par contraste, les qualifications professionnelles de William Moulton Marston ne sont jamais explicitées. Son apport à la création du détecteur de mensonges n'est pas forcément très important en pourcentage. Il présente un côté bateleur faisant son autopromotion et sa vie privée recèle des zones d'ombre discutables, en particulier en ce qui concerne sa relation avec sa femme. le récit n'est pas à charge contre lui, mais il ne provoque pas la sympathie. L'artiste met en scène ses personnages avec une direction d'acteur naturaliste, des individus avec une présence souvent intense, un grand soin apporté à la reconstitution historique (décors, tenues vestimentaires, éléments culturels). le lecteur découvre ainsi plus qu'un pan de l'histoire des comics : la manière dont la société gère une facette de l'image de la violence en son sein, en particulier dans ses publications à destination de la jeunesse. Pour un lecteur de comics un peu familier de l'histoire des comics, la narration recèle des richesses impressionnantes. L'utilisation de la scénographie de Watchmen (l'entretien entre Walter Joseph Kovacs & le docteur Malcolm Long) s'impose comme une évidence pour celui entre Albert Fish et Wertham : ce n'est pas du plagiat mais un hommage intelligent à bon escient. L'utilisation du kiosque à journaux se révèle tout aussi pertinente et intelligente. le retournement de la polarisation affective entre les 2 psychologues fait sens : à la fois pour réhabiliter Fredric Wertham, à la fois pour montrer les failles de Marston. D'ailleurs les auteurs ne grossissent pas le trait. Ils évoquent en passant l'intégration d'Olive Byrne dans le cercle familial, le lecteur sachant peut-être que Marston a imposé un ménage à trois à son épouse. le lecteur relève d'autres références de la culture comics comme le thème visuel de la blessure à l’œil, pointé du doigt par Wertham, l'exemple positif de Wonder Woman pour les lectrices, et bien sûr la participation de Carmine Infantino (1925-2013) et Julius Schwartz (1915-2004), ainsi que l'image de conclusion. Il se rend compte que les aveux d'Albert Fish sont encore plus terrifiants que la confession de Kovacs : voyeurisme, sadisme, masochisme, fétichisme, flagellation active, zoophilie, prostitution, autocastration, pédophilie, ondinisme, coprophilie, cannibalisme. Il prête une attention plus importante aux autres éléments historiques, ayant conscience qu'il s'agit d'autant de parties émergées d'événements qu'il peut aller approfondir s'il est intéressé : par exemple, l'émotographe de Leonarde Keeler (1903-1949), le code Hays (1930-1968), la carrière personnelle d'Elizabeth Holloway Marston (1893-1993, avocate et psychologue), l'activisme militant de Margaret Sanger (1879-1966), etc. Il observe que William Moulton Marston a écrit les aventures de Wonder Woman de 1941 à 1947, alors que Robert Kanigher les a écrites de 1947 à 1968, avec une interprétation différente de celle de son créateur. Le lecteur peut partir avec un a priori négatif sur une tranche d'histoire des comics réalisée par des français, et un feuilletage rapide de la BD peut le conforter dans son opinion. Si sa curiosité le mène à entamer la lecture, celle-ci s'avère d'une grande richesse, en termes de reconstitution historique, d'évocation de la vie de Fredric et William, de l'importance culturelle de l'amazone, de thèmes abordés qui sont plus larges que juste les comics. En tant que néophyte, il découvre une facette de la société des États-Unis sur la gestion des comics en tant que vecteur culturel de la violence, mais aussi de l'image de la femme. En tant que lecteur chevronné, il découvre que l'ampleur de la richesse de l’œuvre est encore plus grande qu'il n'imaginait, et que Jean-Marc Lainé & Thierry Olivier ont fait œuvre d'auteur pour un ouvrage à la construction sophistiquée et élégante, et à la narration fluide et très agréable.

06/05/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série La Vie extraordinaire de Jack Kirby
La Vie extraordinaire de Jack Kirby

La version moins médiatique de l'histoire - Ce tome contient une biographie complète de Jacob Kurtzberg (1917-1994) qui a changé légalement son nom en Jack Kirby et qui a réalisé des comics de 1936 à sa mort. Elle a été entièrement réalisée par Tom Scioli (scénario, dessins, couleurs). Elle comprend 191 pages de bandes dessinées, une courte note de l'auteur en introduction, 4 pages de notes explicitant la source de certains propos de Kirby, 1 page de bibliographie et un index de 4 pages. L'auteur explique qu'il s'agit d'une biographie de Jack Kirby, mais présentée comme si Kirby lui-même racontait sa vie. Les parents de Kirby venaient de Galicie, une région de l'empire austro-hongrois. Sa mère Rose Bernstein a quitté cette région encore enfant et est venue aux États-Unis avec ses sœurs. Son père Benjamin Kurtzberg venait d'une riche famille mais avait offensé un noble qui l'avait défié à duel au pistolet ou à l'épée. Son propre père lui avait conseillé de fuir le pays, en lui remettant une somme d'argent. Ses parents se sont rencontrés grâce à un intermédiaire de la communauté installée à New York. Ils se sont mariés rapidement et se sont installés dans l'East Side. Son père travaillait dans la confection. Jacob Kurtzberg est né 28 août 1917. Son petit frère David est né quatre ans plus tard, mais lui avait été confié quelques jours aux voisins. C'est là qu'il a découvert les illustrés des journaux comme Krazy Kat de George Herriman, et Little Orphan Annie de Harold Gray. Il s'est alors mis à lire les comic-strips en couleurs du dimanche tels que Tarzan, Prince Valiant, Flash Gordon. Une année, il a attrapé une pneumonie, et ses parents sont allés chercher des rabbins pour qu'ils effectuent un exorcisme, ce qui a fortement marqué le jeune garçon. Rapidement, il s'est mis à dessiner, en particulier sur les murs du couloir de leur immeuble. À l'époque, les enfants jouaient au baseball dans la rue, et ils y avaient des guerres gangs dans son quartier. Après une échauffourée un peu violente, ses camarades l'avaient déposé inanimés devant la porte de l'appartement de ses parents. Sa mère lui racontait souvent des histoires du pays, et il a appris à son tour à les raconter à ses camarades de classe. Les années continuent de passer, et le jeune Jacob découvre les magazines Pulp, les avions qui passent dans le ciel, une école d'art, la récession économique et l'obligation de prendre un boulot de distributeur de journaux. Il intègre un club de jeunes garçons, en distribue la feuille de chou et y réalise des illustrations. Il découvre les films de Charlie Chaplin, de Buster Keaton, des Marx Brothers, de Douglas Fairbanks, etc. Il devient un boxeur amateur. Il travaille pour les studios de Max Fleischer, d'abord pour nettoyer les planches des animateurs, puis comme intervalliste. Il devient l'assistant de Horace T. Elmo sur ses comic-strips Teddy, Soko, et lui propose de réaliser un comic-strip original de science-fiction. Il produit également des affiches sur des conseils de santé, ainsi que des dessins politiques. Étant ainsi parvenu à se constituer un portfolio, il réussit à se faire embaucher dans les studios de Will Eisner & Jerry Iger. Là, il travaille en compagnie de Mort Meskin, Bob Kane, Lou Fine, et d'autres. Par la force des choses, le lecteur de comics Marvel connaît bien la version de Stan Lee sur la création des superhéros de cette maison d'édition, sur son rôle de grand créateur et de coordinateur, avec son apparence qu'il a développée comme une image de marque, jusqu'à en devenir quasiment la mascotte. Il sait peut-être qu'au fil du temps Stan Lee a accordé un peu plus d'importance à Steve Ditko et à Jack Kirby dans la création de ces superhéros devenus des licences générant des centaines de millions de dollars avec leur adaptation cinématographique. Pour peu qu'il soit curieux, cette bande dessinée présente la possibilité de découvrir la version de Jack Kirby. Tom Scioli s'est fait connaître en illustrant la série Godland (205-2013) avec Joe Casey, et en réalisant Fantastic Four: Grand Design (2019). En feuilletant juste ce tome, le lecteur peut avoir un instant de recul. Il comprend vite que l'auteur a choisi sciemment de jaunir un peu le papier pour lui donner la patine du temps. Il en déduit que le lettrage en apparence un peu irrégulier mais très aéré a également été choisi pour apporter une saveur vintage à l'ensemble. Il voit des dessins un peu simplifiés, avec une sensation de naïveté tout aussi assumée. Enfin, le visage de Jack Kirby devient de plus en plus enfantin au fur et à mesure des pages, évoquant un personnage de dessin animé pour jeune public. Il peut être un peu rebuté a priori par les cellules de texte qui peuvent manger un quart à deux tiers de la case. Sous réserve qu'il surmonte ses réticences vis-à-vis des idiosyncrasies graphiques, le lecteur se retrouve vite agréablement surpris par la fluidité de sa lecture, et par le bon niveau d'informations visuelles. Finalement le lettrage vieillot s'avère très facile à lire, donnant un rythme de lecture rapide, à l'opposé de l'impression lors du feuilletage. Si l'apparence des dessins paraît parfois un peu grossière ou malhabile, la lecture montre que l'artiste accomplit un incroyable travail de reconstitution historique, jamais pesant, toujours pertinent. La représentation un peu enfantine de Jack Kirby permet à l'auteur de plus facilement faire apparaître ses émotions et ses états d'esprit, et elle finit par transcrire l'inventivité de ce créateur, ayant conservé toute la fougue de sa jeunesse, ainsi que le sens du merveilleux des enfants. En cours de récit, il apparaît une autre qualité extraordinaire dans la narration visuelle : Tom Scioli sait reproduire les planches de Kirby et d'autres artistes de chaque époque concernée, en les intégrant dans les cases, sans solution de continuité. Cela apporte le témoignage nécessaire sur les œuvres de l'artiste en les illustrant avec ses créations, sans encourir le risque des droits d'auteurs… à l'américaine, c'est-à-dire surtout les droits à verser aux éditeurs. Une fois rassuré sur la qualité de la narration visuelle, le lecteur se laisse porter par le flux de pensée de Jack Kirby. Il garde bien à l'esprit que ce n'est pas une autobiographie même s'il s'agit souvent de propos qu'il a tenus dans des entretiens. Il constate que la vie de ce créateur est indissolublement liée à celle du siècle au cours duquel il a vécu, presque de son début à la presque la fin. Il prend très vite conscience qu'il ne s'agit pas d'une hagiographie comme celle de Stan Lee Amazing Fantastic Incredible (2015) réalisée par Peter David & Colleen Doran. le propos de Tom Scioli est beaucoup plus dense, dépourvu d'enjolivements et de boniments. Pour autant, le scénariste a un point de vue bien affirmé sur la place de Kirby dans la création de l'empire Marvel. Quand paraît le numéro 1 de la série Fantastic Four, Jack Kirby a 44 ans et plus de 20 ans de carrière professionnelle comme auteur de comics. le lecteur commence donc par découvrir la jeunesse de Jacob dans un quartier new-yorkais, les débuts de sa carrière, l'association avec Joe Simon (1913-2011), la création de Captain America en 1940 (20 ans avant les Fantastic Four), etc. le lecteur suit en parallèle la vie professionnelle de Jack Kirby et sa vie privée. Bien sûr, il se demande à quoi il peut ajouter foi dans ce qu'il lit. S'il a déjà lu le Rêveur (1985) de Will Eisner, il retrouve une description du milieu professionnel des comics très cohérente, vraisemblablement avec un bon niveau d'exactitude historique. Il saisit bien que le duo Simon & Kirby a participé de manière significative au développement de la jeune industrie des comics. S'il est un peu connaisseur, le lecteur va consulter la liste de références bibliographiques et y relèvent trois sources qui font autorité : l'ouvrage Kirby: King of Comics (2008) de Mark Evanier, l'interview de Jack Kirby par Gary Groth parue dans le numéro 134 de la revue Comics Journal en février 1990, ainsi que la revue The Jack Kirby Collector, publiée par l'éditeur Two Morrows, sans compter de nombreuses autres interviews. Il corrèle également ce qu'il lit avec ce qu'il connait déjà de la carrière de Jack Kirby et les comics qu'il en a lus. Il constate une parfaite cohérence entre ce qui est raconté, et ce qu'il peut savoir. Il comprend pourquoi l'auteur a choisi cette forme un peu étrange de raconter la vie d'une personne ayant réellement existé à la première personne : son ressenti est capital pour comprendre ses décisions, pour donner sens à ce qui ne serait autrement que des revirements bizarres, et pour faire partager la passion de ce créateur pour son art. Bien sûr, le lecteur sait qu'il s'agit d'une reconstitution, et pas uniquement d'un reportage sur le vif, et que les déclarations de Kirby en interview peuvent également être sujettes à caution. Il voit bien que l'auteur développe un point de vue personnel en arrière-plan. Pour autant, la cohérence du propos est telle que les certitudes du lecteur le plus critique s'en trouvent ébranlées. Après avoir lu cet ouvrage, le lecteur a une vision bien différente de l'industrie des comics, de la manière dont les éditeurs traitent la main d’œuvre créatrice dans ce processus industriel, et du drame de la vie de Jack Kirby, contrecarré dans ses élans créatifs les uns après les autres. Indubitablement cette biographie de la vie de Jack Kirby est indispensable, et formidablement bien réalisée, en dépit du ressenti a priori sur l'apparence de la narration visuelle. Tom Scioli a effectué un travail remarquable de recherches pour proposer une vision de la vie de Jack Kirby très facile à lire, très instructive, poignante. le lecteur en ressort encore plus admiratif du génie créatif de Kirby, avec un goût amer provenant des revers successifs qu'il a essuyés, de la manière dont il a été traité par ses employeurs, de l'impossibilité de mener à son terme sa vision et son ambition d'auteur. Il en ressort également avec la certitude que Kirby mérite pleinement le qualificatif d'auteur, en plus d'être une véritable machine à créer.

06/05/2024 (modifier)