Les derniers avis (105152 avis)

Par Hervé
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Swinging Island
Swinging Island

Très belle découverte avec cet auteur que je ne connaissais pas du tout. Avec cette histoire d'échangisme, Andrew Tarusov nous offre un scénario solide basé sur un superbe dessin. En effet, les dessins de Tarusov sont tout simplement lumineux. Certes, l'auteur nous présente des scènes de sexe explicites sur un temps très court, celui d'une rencontre à la plage. J'ai littéralement été séduit par le style de Tarusof, qui illustre des corps parfaits de pin-up, des visages souriants, respirant la joie de vivre, bref l'auteur met en scène une partie de jambe en l'air joyeuse entre 4 adultes consentants. Un véritable hymne à l'amour libre sous le soleil. Une bande dessinée pour adulte rafraichissante qui mérite de s'y attarder. Une suite serait bienvenue, bien que l'histoire pourrait se conclure ici, mais le "à suivre" laisse présager de bonnes nouvelles. Un auteur à suivre, un dessin de très bonne qualité...bref, je recommande ce bouquin des éditions "dynamite".

24/04/2024 (modifier)
Couverture de la série La Légende Oubliée de Perceval
La Légende Oubliée de Perceval

Frédéric Brrémaud propose une nouvelle série destinée à la jeunesse (et plus) autour de la légende du roi Arthur. L'originalité de son récit n'est pas de nous plonger dans la jeunesse du futur chevalier Perceval mais de la faire correspondre avec celle de la fée Noisette. Comme souvent Brrémaud y ajoute un contexte historique dramatique , ici l'invasion de Angleterre par les Saxons. Cela permet à l'auteur de présenter une vision souvent caustique et décalée sur les malheurs de la guerre. Dans ce tome 1 l'auteur reste sur un humour très accessible aux plus jeunes même si certaines scènes avec le renard rappelle la dureté de la vie. Les auteurs prennent le temps d'installer leur récit. Perceval reste au second plan et je l'ai perçu un peu comme le Arthur de Merlin de Disney. A mes yeux c'est la fée Noisette qui donne son cachet à ce tome. Elle permet d'installer le récit dans un Fantastique/Fantasy assez cohérent avec un fond de récit plus réaliste ( lieu et fait précis). L'équilibre entre fantasy et réalisme est bien réalisé. Ensuite c'est Noisette qui tire Perceval vers une aventure pas du tout guimauve. Enfin le graphisme de Noisette me rappelle par un petit côté coquin la fée Clochette de Loisel. Cela me permets de louer le très beau graphisme de Bertolucci qui devrait convenir à un très large public. Son dessin est à la fois doux, rond et paisible mais il est aussi tonique et d'une construction et d'une présentation très moderne. C'est une lecture agréable qui ne dévoile pas le chemin que compte prendre les auteurs. Cette imprévisibilité est un atout pour aiguiser ma curiosité. Un bon 3 d'attente.

24/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Satchmo
Satchmo

J'ai bien apprécié la lecture de cette série de Léo Heitz. La ligne principale du scénario est assez classique. On y retrouve les heurs et malheurs d'un jeune Afro-Américain petit génie de la trompette au début du XXème siècle. Le trajet est commun: un mentor qui perçoit le génie, des péripéties qui mènent à la case prison, une montée vers Chicago rare ville US de cette époque où un musicien Afro pouvait faire réellement carrière. On y retrouve le racisme systémique de l'époque et une ambiance des bas-fonds de la Nouvelle Orléans assez bien exposée. J'ai surtout aimé le personnage de la maman prostituée. L'auteur propose dans les rapports mère-fils une psychologie bien travaillée et crédible. C'est ce rapport qui porte l'essentiel de la dramaturgie du récit. Le graphisme propose un récit animalier à base de souris ( noires ou blanches) qui rappelle un trait assez vintage que ce soit Jano ou même pour certaines adaptations de Mickey. J'aime bien ce trait rond et souple. Malheureusement j'ai une réserve dans la mise en couleur qui efface les contrastes entre les personnages Afro et un fond très brun. Le personnage ne se détache pas assez ce qui rend la lecture parfois difficile. Malgré cette réserve je reste sur une appréciation positive de ma lecture qui m'a apporté un agréable moment.

24/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Brume
Brume

Je n'ai pas été convaincu par cette série jeunesse. Il n'y a rien de rédhibitoire mais je trouve que les propositions de Jérôme Pelissier manquent cruellement d'originalité. Brume est une petite sorcière malicieuse en quête d'identité. Elle est flanquée de Hubert un cochon qui sert à la narration et d'un copain Hugo qui sert de faire valoir trouillard dans les dialogues plus ou moins humoristiques. Ma réserve la plus prononcée est que les auteurs réutilisent les images usées des animaux qui font peur comme les loups ou les araignées. Je n'adhère pas du tout à cette imagerie vieillotte. Pelissier abuse aussi des solutions miracles qui permettent de se sortir d'un mauvais pas avec beaucoup de facilité. De plus je ne comprends pas les emprunts très superficiels à des légendes ancestrales. Le graphisme de Carine Hinder correspond aux standards actuels pour les enfants avec une grosse tête bien ronde sur un petit corps peu expressif. C'est l'expressivité des visages qui portent l'essentiel du dynamisme du récit. C'est travaillé avec goût avec de jolies planches d'extérieurs Par contre j'ai beaucoup aimé la mise en couleur qui crée une belle ambiance mystérieuse. Une déception pour une sélection Angoulême. Un petit 3.

24/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Le Tirailleur
Le Tirailleur

Il n’y a peut-être pas dans ce récit toute la passion qui aurait pu donner un souffle épique à cette vie étalée sous nos yeux. Mais c’est un parti pris que je comprends, et préfère, finalement. Et la partie conclusive, sous forme de reportage accompagné de photos, lorsque Bujak est allé rencontrer une dernière fois Abdesslem dans son village paumé au Maroc, confirme bien l’aspect intimiste mis en avant. Il ne s’agit pas de montrer l’histoire au travers d’un homme – même si elle est bien présente, dans ses aspects douloureux – mais plutôt de donner voix et corps à un homme à qui on a sans doute volé une partie de sa vie, et qui a été rejeté dans l’oubli dès lors qu’on n’a plus eu besoin de lui. Le récit est touchant. Jamais Abdesslem ne se plaint réellement, lui qui aurait matière à le faire ! il a miraculeusement survécu aux nombreux combats (Seconde guerre mondiale – dont l’attaque du Monte Cassino, guerre d’Indochine) dans lesquels l’armée française l’avait enrôlé (contre son gré, en exploitant sa candeur et sa naïveté, sa bonté). Et puis, lorsqu’il quitte l’armée française, il subit le sort des anciens combattants des « colonies », privés de reconnaissances. On admire au passage la mesquinerie, le cynisme des autorités françaises qui, ayant finalement accepté de verser une pension à ces combattants, leur impose de vivre dans la misère dans un foyer en France (loin de leur famille) au moins 9 mois par an. Cela n’a changé que depuis quelques années – au moment où la plupart de ces anciens combattants étaient morts… Sans pathos, avec dignité, Abdesslem raconte donc sa destinée. Et le dessin de Macola, qui joue lui aussi sur la simplicité, est tout à fait raccord avec le ton adopté par ce récit touchant.

24/04/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Le Temps perdu
Le Temps perdu

Une jolie lecture, qui m'a plu parce qu'elle reste dans l'atmosphère poétique et décalée que je connais bien de Rodolphe, et qu'il exploite surtout dans L'Autre Monde. L’association avec Vink me parait assez naturel d'ailleurs et le récit est franchement un plaisir de lecture. C'est avant tout une BD poétique sur l'imagination et le pouvoir, mais aussi sur les souvenirs. Cette promenade dans des vieilles gravures au fil des nuits pour cet auteur de BD passé par hasard est assez vite compréhensible (la clé de lecture intervient peut-être un poil trop tôt à mon gout), mais ajoute à la première lecture décalée et pleine d'imagination une couche de nostalgie mais aussi de relecture de la composition d'une œuvre. En définitive, Rodolphe nous parle du processus créatif et de la façon dont nous réarrangeons continuellement la vie dans les histoires que nous racontons. Surtout lorsque le temps a passé, que l'ensemble s'est recomposé ou que nous avons oublié d'où cela venait. La BD est simple, légère, un peu trop courte à mon gout, mais confirme que Rodolphe sait manier les univers fantaisistes pour nous parler d'autre chose. C'est toujours un régal à lire, et je dois dire que Vink me convainc beaucoup plus ici avec ses dessins, moins figés et plus agréable à l’œil. A la base, je pensais mettre un 3* mais je vais arrondir à 4, parce que le plaisir de lecture était quand même présent.

24/04/2024 (modifier)
Par Ro
Note: 2/5
Couverture de la série Joueur du Grenier
Joueur du Grenier

A l'époque de la sortie du premier tome de cette BD, je ne connaissais pas vraiment le youtubeur Joueur du Grenier et j'avais survolé cet album de gags en librairie sans les trouver drôles mais en me disant qu'il devait me manquer les références que les fans devaient avoir pour mieux l'apprécier. Mais maintenant, une douzaine d'années plus tard, je connais JDG sur le bout des doigts et l'apprécie beaucoup... et je ne peux que constater en relisant ces albums que cette BD n'a rien à voir avec l'esprit du personnage et de son humour. Les vidéos du Joueur du Grenier basent leur humour sur des coups de gueule, une dose d'autodérision, une part de politiquement incorrect, un zeste d'humour noir et un soupçon d'absurde, le tout axé autour de tests de jeux vidéo rétro. Mais cette BD, qui met en scène une version enfant du Joueur (alias Fred), se contente de conserver la partie jeux vidéo et de faire de lui un petit nerd couillon et assez loser pour produire des gags basiques dans l'esprit d'un ersatz de Kid Paddle et autres gamins gaffeurs. Que reste-t-il du vrai Joueur du Grenier ? La chemise hawaïenne et quelques insertions de noms de ses amis Youtubeurs de l'époque... C'est à peu près tout. D'ailleurs le nom de Frédéric Molas est noté sur la couverture des albums et en tant que co-scénariste mais de ce que j'ai compris de sa part, c'est qu'il s'était contenté de jeter un oeil et de donner quelques idées pour le premier tome, mais les scénarios étaient en réalité de Piratesourcil. Pire ! Le dernier tome est même sorti sans son accord ! Concrètement, je n'ai pas trouvé ces gags drôles et n'ai pas trouvé du tout les personnages attachants. Et quand s'ajoute à ça ce sentiment d'une récupération commerciale d'un succès Internet, j'ai une très faible estime de cette série.

24/04/2024 (modifier)
Couverture de la série La Querelle des arbres
La Querelle des arbres

Si ce récit semble reposer sur une solide assise historique, l’histoire qui nous est contée tient bien plus de la fable fantastique. Et comme toute fable, celle-ci nous parle autant sinon plus de nous et de notre époque que de l’Indochine des années ‘20. N’espérez donc pas trouver ici une évocation réaliste de cette Indochine (malgré des éléments historiques intéressants), les personnages vous apparaitraient alors sans doute trop modernes. Par contre, prise pour ce qu’elle est, cette fable nous propose des personnages attachants et une histoire très touchante. Les thèmes abordés vont de l’éducation des masses (ou le maintien dans l’ignorance de ces mêmes masses) à la compréhension entre les peuples en passant par les croyances animistes (et principalement le lien qui unit un jeune enfant et les arbres). C’est à la fois vaste et cohérent, la dimension fantastique apporte à la fois exotisme et fantaisie alors que la dimension historique permet d’ancrer ce récit dans un contexte précis (celui de la colonisation). Le résultat est un récit porté par de multiples personnages tous intéressants et souvent moins manichéens que ce qu’ils semblent être au premier regard. J’ai trouvé ce récit très touchant, digne d’une grande fresque historique alors même que nous sommes devant un récit fantaisiste, les personnages principaux m’ont touché, les rôles secondaires apportent tous quelque chose, l’aspect animiste du récit m’a beaucoup parlé, et la fin m’a profondément ému. Le dessin de Renaud Farace est d’une belle qualité. L’artiste joue beaucoup avec les ombres, les cadrages et les regards tout en gardant un style accessible au plus grand nombre. C’est agréable à lire, souvent beau à voir (pas mal de grandes cases) et toujours pertinent vis-à-vis de ce que les auteurs cherchent à nous raconter (jusque dans les changements de style effectués lors de certaines séquences). Les personnages sont bien typés et malgré leur profusion, le risque de confusion est des plus restreints. Les décors sont soignés et souvent immersifs, même si la priorité est donnée aux interactions entre les différents acteurs. Franchement, tout m’a plu. C’est une lecture que je recommande, qui touche tout en donnant matière à réflexion.

24/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Winter Road
Winter Road

La reproduction des schémas comportementaux - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. L'histoire a été publiée initialement en 2017, d'un seul tenant, sans prépublication. Il s'agit de l'œuvre de Jeff Lemire : scénariste, dessinateur et metteur en couleurs, et qui a également réalisé le lettrage. À Pimitamon dans le nord de l'Ontario, Derek Ouelette est en train de descendre des bières au comptoir et de fumer des clopes, dans le bar The Pit Stop, tenu par Gerry. Lisa propose qu'il lui paye un coup, mais il décline, pas ce soir. Deux gugusses s'approchent de lui : ils l'ont reconnu comme étant un joueur de hockey professionnel qui avaient atteint un niveau national. Ouelette ne leur serre par la main. Son interlocuteur l'asticote un peu, et Ouelette lui flanque un violent coup de boule sur le nez et le tabasse. L'homme tombe sans connaissance sur le sol. Ouelette sort se soulager sur le mur dans la ruelle. Un chien vient lui aboyer dessus puis s'en va. La voiture de police s'arrête et le shérif Ray en descend. Il dit à Ouelette qu'il devrait l'arrêter, pas pour se soulager sur la voie publique, mais pour avoir brutalisé le conducteur de motoneige. Ouelette répond que c'est l'autre qui l'a cherché, et demande à Ray s'il n'aurait pas une bouteille. Ray finit par lui tendre une flasque. Ouelette en boit une rasade et s'en va, sans même prendre la peine de récupérer son manteau dans le bar. Il garde la flasque avec lui. Il se rend au stade hockey sur glace, et se rend compte que la clef de la loge du gardien qu'il occupe est restée dans son manteau. Il descend les tribunes et pénètre sur la glace du terrain. Il contemple la surface le regard dans le vide. Beth Ouelette, la sœur de Derek, est en train de marcher le long de la route nationale à Pimmins, à 120 kilomètres au sud de Pimitamon. Elle rentre dans le restaurant routier de la station-service, après avoir remis à leur place deux hommes lui ayant demandé où elle va. Elle demande un café au comptoir dans l'établissement vide. La serveuse remarque que Beth est frigorifiée et qu'elle n'est pas assez habillée pour le temps. Beth répond qu'elle a dû partir à la hâte : elle a décidé de quitter son copain et de se rendre Pimitamon là où elle a de la famille. La serveuse lui demande si elle a de l'argent. La réponse étant négative, elle lui déconseille de faire du stop. Elle ajoute que Beth peut rester une nuit ou deux dans l'une des chambres à l'arrière. Attendrie par la situation de la jeune femme, la serveuse finit par lui donner quelques billets, en lui conseillant de finir son café. À peine s'est-elle retournée vers la machine à café, que Beth sort, sans un mot, sans un remerciement, sans même attendre l'heure du bus. Le lendemain matin, au stade couvert de Pimitamon, Al, le responsable du stade, retrouve Derek endormi sur la glace avec la flasque vide du shérif dans la main. Entre deux séries plus longues, majoritairement avec un dessinateur, Jeff Lemire réalise une histoire complète et indépendante de toute autre qu'il met lui-même en images avec son graphisme si particulier. Il donne l'impression de réaliser ses dessins de manière spontanée, avec un trait un peu irrégulier, un niveau de détails sommaire. Pour habiller ces cases, il applique de l'aquarelle, généralement une seule teinte (ici un bleu entre Gris de lin et gris Horizon). Il n'utilise d'autres couleurs que pour les scènes peu nombreuses et courtes se déroulant dans le passé. L'impression générée par ces pages est celle de l'essentiel : pas de fioriture, pas d'embellissement, une réalité plutôt crue, sans fard, un peu fruste en phase parfaite avec les personnages et leur condition sociale. Ça fonctionne également parfaitement pour les paysages urbains, une petite ville sans beaucoup de personnalité, avec des bâtiments surtout fonctionnels, et pour les paysages naturels, une zone enneigée et boisée, sans rien de remarquable si ce n'est de la neige terne et des bouleaux dénudés. En deux scènes, Jeff Lemire a établi son personnage principal : Derek Ouelette, un individu costaud, très soupe-au-lait et ayant tôt fait d'atteindre sa limite et de frapper son interlocuteur, de le cogner trop fort, pour faire mal, pour blesser. Il a été un joueur de hockey, mais il a été expulsé de la Ligue National de Hockey pour avoir envoyé à l'hôpital, un membre de l'équipe adverse. Depuis, il a repris l'emploi auparavant occupé par sa mère dans le petit restaurant de Pimitamon, semblable à tant d’autres. Il n'a pas de maison ni d'appartement, et dort dans la loge du concierge du stade de hockey, en fait juste une grande pièce rectangulaire avec un lit et une ou deux étagères. Le soir, il va descendre des verres au bar du coin, en regardant les matchs de hockey, un bon à rien. Le retour de sa sœur n'améliore pas les choses, car elle-même se classe dans la catégorie des bons à rien. Elle a quitté Pimitamon il y a quelques années pour aller à Toronto, où elle a zoné dans la rue, avec de prendre un emploi de serveuse dans un café, puis de se mettre à la colle avec un gugusse violent, étant devenue accro à l'oxycodone. C'est pas gai tout ça. Pourtant, ce n'est pas une lecture qui donne le cafard. Jeff Lemire raconte une tranche de vie, un peu particulière dans un coin du monde finalement particulier lui aussi, sans misérabilisme. Il est visible que Derek Ouelette ne s'aime pas et qu'il est incapable d'envisager une autre vie. Il est visible que Beth Ouelette ne s'aime pas, mais qu'elle ne peut plus supporter la vie avec Wade Daniel Lachine. Il apparaît quelques autres personnages, un peu mieux lotis dans la vie : Ray le shérif (un emploi régulier et stable), Al le gérant du stade. Ce sont les deux personnages secondaires principaux. En les regardant, le lecteur constate que l'apparente simplicité des dessins est trompeuse : chaque personnage dispose d'une morphologie spécifique, d'une forme de visage spécifique, et même de postures particulières. Ray est plus filiforme que Derek, Al est beaucoup plus âgé. Brenda, le médecin, a des hanches un peu larges. Wade a une chevelure tignasse plus fournie. Il ne fait pas de doute que l'artiste a réalisé des études graphiques pour définir l'apparence de chaque personnage. Étrangement, le lecteur ne se sent pas agressé par le comportement de Derek Ouelette, ni plombé par l'addiction de Beth Ouelette. Pourtant, il ressent bien de l'empathie pour eux. Il faut un peu de temps se rendre compte que cela vient à la fois des deux personnages, à la fois de leur environnement. S'il est possible de compatir au fait que Derek ne se maîtrise pas, il n'est pas possible de cautionner de brutaliser toux ceux dont il estime qu'ils l'ont agacé. De même, si elle ne l'a pas bien cherché, Beth s'est mise toute seule dans sa situation. De plus, l'un comme l'autre ne sont que moyennement affectés par leur condition : ils n'en sont pas satisfait, mais ils font avec. Autour d'eux, Ray, Al et Brenda indiquent qu'il faudrait qu'ils évoluent, mais sans non plus s'ériger en sauveur. Il y a une autre caractéristique de la narration qui reste très posée, calme sans être indolente : la longueur. En tant qu'auteur complet, Jeff Lemire maîtrise sa pagination et a décidé de se donner la place de raconter son histoire. Il peut ainsi consacrer une page muette à Derek en train de se soulager contre un mur, 3 pages muettes à montrer Beth marcher sur le bas-côté de la nationale, consacrer un dessin en pleine page à montrer Beth sortant du café en vue du ciel, une page de 3 cases de la largeur de la page montrant deux motoneiges venant vers le lecteur en plan fixe, un dessin en pleine page avec la neige qui tombe sur les bouleaux, etc. Cela donne un rythme apaisant à la narration. Le lecteur éprouve vite la sensation que l'environnement de cette petite ville au nord de l'Ontario impose son rythme aux personnages : elle ne les englue, elle ne rend pas leurs efforts dérisoires, mais elle fait comme un tampon pour leurs émotions, ce qui les rend plus supportables pour le lecteur. Celui-ci est à la fois concerné par les personnages, à la fois il dispose d'une forme de recul. Les pages se tournent rapidement du fait du faible nombre de cases par page, généralement 4 ou 5, et des dialogues succincts. S'il connaît déjà les œuvres indépendantes de l'auteur, le lecteur se doute bien que ce moment de crise pour Derek et pour Beth correspond à la cristallisation d'un élément de leur passé. Beth fait remarquer à son frère qu'il est devenu le même genre d'individu que son père, brutal et alcoolique, et Derek lui répond qu'elle-même s'est mise avec un individu brutal et alcoolique. Jeff Lemire révèle par petites touches le relationnel entre Mary et Pat, la mère et le père de Beth et Derek, ainsi que l'empreinte que ça a laissé sur leurs enfants, la façon dont ils reproduisent ce schéma, sans forcément en avoir conscience. L'auteur n'a rien perdu de sa sensibilité émotionnelle et psychologique et de sa capacité à mettre en scène ces mécanismes au travers d'individus complexes, avec une délicatesse épatante, comme il l'avait fait dans Royal City . Cela n'aboutit pas à un mélo larmoyant, mais à une histoire touchante et émouvante. Jeff Lemire est passé maître dans l'art de raconter une histoire simple, avec des individus ordinaires, un peu paumés, dans un bled sans éclat. Il raconte histoire l'histoire d'un mec trop violent cuistot dans un diner d'une petite ville, sans avenir, et de ses retrouvailles avec sa sœur qui fuit un compagnon violent, et qui est dépendante à l'oxycodone. À l'opposé d'un drame social pesant, la narration raconte une prise de conscience plus ou moins explicite pour les personnages, dans une petite ville banale, en emmenant le lecteur relever des pièges à martres d'Amérique, sans que cela n'apparaisse comme le comble de l'exotisme.

24/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 2/5
Couverture de la série Amazing Fantasy
Amazing Fantasy

Fantaisie basique - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui ne demande qu’une connaissance superficielle des personnages. Il regroupe les cinq épisodes de la minisérie, ainsi que le prélude, initialement parus en 2021, écrits, dessinés et encrés par Kaare Kyle Andrews. Ce dernier a également réalisé la mise en couleurs des épisodes 1 & 2 et du prélude. Celle des épisodes 3 à 5 a été réalisée par Brian Reber. En 12943, Captain America se trouve sur un navire de guerre dans un convoi, traversant des eaux infestées de bateaux allemands. En pleine nuit, les soldats sont sur les nerfs. Smitty ouvre le feu, ayant cru voir une petite embarcation. Captain America le rassure, lui dit qu’il rentrera chez lui et qu’il pourra élever son bébé, quand une double explosion se produit. Tous les hommes sont à la baille, et le superhéros essaye de ramener à la surface, tous les soldats qu’il peut localiser entre deux eaux. Mais il sent qu’il perd conscience. Il revient à lui allongé sur le ventre sur une plage, encore à demi dans l’eau. Son costume est déchiré, il est affublé d’une longue barbe, mais il a encore son bouclier sur le dos. Il n’a aucune idée d’où il se trouve, mais il n’a pas le temps d’y réfléchir car un immense faucon-lion s’abat devant lui, la gueule portant des traces de griffes. Steve Rogers parvient à le calmer, quand l’animal est soudain emporté dans les airs, entre les griffes d’un immense dragon bleu. Rogers n’hésite pas : il lance son bouclier et il parvient à faire lâcher prise au dragon. Il y a deux décennies de cela, une très jeune Natasha Romanoff s’entraine au sein de l’organisation Red Room, se battant contre d’autres jeunes filles, sous le regard d’un adulte. Elle fait mordre la poussière à Daria. Le soir, cette dernière a décidé de se venger et, avec plusieurs autres filles, elle suit Natasha dans les toilettes. Elle découvre que sa rivale s’est échappée par la petite fenêtre. Natasha parvient à déjouer l’attention des sentinelles et elle rejoint les bois pour aller au point de rendez-vous fixé par Alexa, où doit les attendre un avion. Ce dernier doit les emporter en Allemagne de l’ouest, mais il n’y a aucun appareil au lieu convenu. Daria l’a retrouvé et elle lui tire dessus, la touchant. Natasha s’écroule au sol, inconsciente. Dans le ciel de Manhattan, Spider-Man se balance au bout de sa toile, essayant d’échapper aux tirs de Green Goblin qui est à ses trousses, tout en sortant des vannes comme d’habitude. Il ne parvient pas à éviter une bombe citrouille, il lâche sa toile et chute dans le vide. Quand il rouvre les yeux, il est ligoté et dans une marmite en train de bouillir. Il se redresse d’un coup ce qui fait sauter le couvercle et découvre que des grenouilles anthropomorphes sont en train de danser autour du feu sous le récipient. Il saute hors de la marmite, alors que les autochtones sont attaqués par des oiseaux géants. La particularité des dessins animés est qu’ils peuvent s’emparer des actes les plus violents qui soient, et les présenter de manière ce qu’ils en deviennent amusants. Pour autant, Spider-Man, toujours ligoté, ne rigole pas quand un oiseau anthropomorphe géant lui retourne un coup de massue. Dans le prélude, Wolverine se bat contre une créature ourse, et succombe aux charmes d’une femme à la peau bleue. Un projet spécial de la part de l’éditeur Marvel : un artiste avec une forte personnalité graphique, l’utilisation d’un titre de série correspondant à la première apparition de Spider-Man dans le numéro 15 en 1962, une histoire ne s’inscrivant pas dans la continuité officielle de l’univers partagé Marvel. De quoi faire saliver le lecteur qui tient en ses mains une édition grand format dite Treasury Edition. L’auteur dispose effectivement d’une grande liberté puisqu’il peut choisir les superhéros qu’il veut, et mélanger l’époque de leur provenance : Captain America pris pendant la seconde guerre mondiale, Natasha Romanoff pas encore adolescente, Peter Parker adolescent semblant aux débuts de sa carrière, et encore un ou deux autres dans des versions différentes. Les voilà transportés dans un monde de Fantasy : des clans rivaux qui se font la guerre, de grandes étendues sauvages avec des bêtes fantastiques, un magnifique palais avec de grands vitraux de plusieurs mètres de haut, des combats à l’arc et la flèche, à la lance, à l’épée. Un environnement dans lequel le bouclier de Captain America trouve naturellement sa place, ainsi que les compétences d’arts martiaux de Natasha, et les acrobaties de Spider-Man. Les différents superhéros se retrouvent dans des clans opposés, et ils doivent essayer de sauver ces peuples d’un despote cruel. Un récit qui embrasse et utilise les conventions basiques de la Fantasy, avec des personnages un peu décalés, enfin surtout le costume de Spider-Man. Ce tome attire l’attention grâce à sa couverture, celle de l’épisode 1, qui évoque une peinture de Boris Vallejo, voire de Frank Frazetta (1928-2010). Elle a été réalisée par Kaare Kyle Andrews comme un hommage. Il découvre la couverture variante qu’il a réalisé pour le même épisode, dans un registre différent, un hommage à Jack Kirby pour une couverture de comics de guerre avec Captain America au premier plan. La couverture du numéro deux est dans un registre tout aussi Fantasy, beaucoup plus colorée, évoquant les peintures des frères Greg & Tim Hildebrandt. La couverture variante du même épisode est un hommage au dessin animé de Spider-Man de 1967. La couverture de l’épisode trois a été peinte à la manière de Bill Sienkiewicz dans les années 1980. Celle de l’épisode quatre est une variation sur la peinture Death Dealer de Frazetta, et celle du cinq revient à Vallejo. Quant à la couverture du prélude, il s’agit d’un hommage à la couverture de Elektra lives again (1990) de Frank Miller. En fin de tome, se trouvent les couvertures alternatives réalisées par d’autres artistes : Simone Bianchi, Alex Horley, Peach Momoko, Felipe Massafera, E.M. Gist, Mark Bagley, Phil Noto, moins inspirés que Andrews. Le lecteur entame donc sa lecture avec un horizon d’attente assez élevé : une histoire originale et des visuels au moins dépaysants, au mieux décoiffants. La première page l’agrippe de suite, avec des cases de la largeur de la page pour un effet cinématique, une sorte de trame mécanographiée pour assombrir la nuit et faire apparaître le manque de visibilité, les traits de pluie qui cingle chaque case, à la fois pour l’orage et pour une impression de scène du passé. L’artiste choisit des formes simplifiées et une stature massive pour Captain America, faisant de lui une légende vivante. L’apparition du faucon-lion est saisissante. Il change de registre graphique pour les pages consacrées à Natasha, évoquant Joe Chiodo, sans sa propension à exagérer la plastique féminine. Il repasse à des représentations simplifiées, mais avec des couleurs plus vives pour Spider-Man. Tout cela est très bien parti. Lorsque Steve Rogers reprend ses esprits, c’est sur une plage dénudée, avec quelques vagues tâches de vert pour des végétaux informes. Lorsque Peter Parker reprend ses esprits, il n’y a que des silhouettes d’arbres au fond, sans caractéristique reconnaissable. Quand Natasha reprend ses esprits, elle aperçoit une superbe tour effilée et immense dans le lointain, mais qui ne figure plus dans les cases suivantes. Par la suite, l’artiste s’en tient à cette représentation minimaliste des environnements, ne donnant pas grand-chose à voir au lecteur. Par comparaison, les personnages sont représentés avec plus de détails, et animée par une vitalité convaincante, un savoir-faire impressionnant de traits de contour pouvant sembler grossiers et approximatifs, ce qui donne une sensation de croquis réalisé sur le vif, et un sens du détail signifiant, des expressions de visage, de la posture parlante. L’artiste n’abuse pas des gros plans sur les visages. Il utilise des plans de prise de vue assez simples, qui sont faciles à suivre. La mise en couleurs vient nourrir les surfaces délimitées par les traits de contour, avec des effets de nuances maîtrisés, et des camaïeux remarquables, sans tomber dans l’épate systématique. Puis le lecteur passe au prélude consacré à Wolverine et il retrouve Kaare Kyle Andrews plus exubérant, reproduisant à merveille l’esprit de la narration de Frank Miller pour Elektra lives again, continuant en mode débridé comme il avait pu le faire pour la saison de Iron Fist qu’il a réalisée. Le lecteur se prend à regretter que le dessinateur ne se soit pas montré aussi enjoué dans les cinq épisodes de la présente minisérie. L’histoire s’avère assez linéaire : une guerre des clans ourdie par un individu qui compte bien en sortir victorieux sans avoir à se salir les mains, les autres s’étant exterminés sans qu’il n’ait à intervenir. Il faut attendre le dernier épisode pour que l’intrigue prenne une autre dimension, que la nature de l’ennemi fasse sens malgré son côté très convenu, que le comportement de l’oncle Ben trouve une explication rationnelle. Mais à ce stade, le lecteur se dit que les quatre épisodes précédents étaient un peu longs. En découvrant ce tome, le lecteur se prend à rêver d’un récit à la narration visuelle riche et enchanteresse, et à une intrigue qui utilise les conventions du genre Fantasy, pour creuser le thème de l’héroïsme. Les couvertures et le début le confortent dans cet espoir, mais arrivé à la fin du premier épisode, et en passant aux suivants, il se rend compte que l’artiste ne s’intéresse qu’aux personnages, sans chercher à concevoir des prises de vue sophistiquées, et ne faisant que le minimum pour les décors à peine existants. L’histoire reste sur une trame minimaliste, s’appuyant sur les principes caractéristiques des superhéros, la bravoure et l’expérience de Captain America, la froideur et l’efficacité de Black Widow, l’entrain et la gentillesse de Spider-Man, sans les développer. La résolution génère un regain d’intérêt, mais arrive bien tardivement. Le prélude fait miroiter ce qui aurait pu être en termes de narration visuelle.

24/04/2024 (modifier)