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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Winter Road
Winter Road

La reproduction des schémas comportementaux - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. L'histoire a été publiée initialement en 2017, d'un seul tenant, sans prépublication. Il s'agit de l'œuvre de Jeff Lemire : scénariste, dessinateur et metteur en couleurs, et qui a également réalisé le lettrage. À Pimitamon dans le nord de l'Ontario, Derek Ouelette est en train de descendre des bières au comptoir et de fumer des clopes, dans le bar The Pit Stop, tenu par Gerry. Lisa propose qu'il lui paye un coup, mais il décline, pas ce soir. Deux gugusses s'approchent de lui : ils l'ont reconnu comme étant un joueur de hockey professionnel qui avaient atteint un niveau national. Ouelette ne leur serre par la main. Son interlocuteur l'asticote un peu, et Ouelette lui flanque un violent coup de boule sur le nez et le tabasse. L'homme tombe sans connaissance sur le sol. Ouelette sort se soulager sur le mur dans la ruelle. Un chien vient lui aboyer dessus puis s'en va. La voiture de police s'arrête et le shérif Ray en descend. Il dit à Ouelette qu'il devrait l'arrêter, pas pour se soulager sur la voie publique, mais pour avoir brutalisé le conducteur de motoneige. Ouelette répond que c'est l'autre qui l'a cherché, et demande à Ray s'il n'aurait pas une bouteille. Ray finit par lui tendre une flasque. Ouelette en boit une rasade et s'en va, sans même prendre la peine de récupérer son manteau dans le bar. Il garde la flasque avec lui. Il se rend au stade hockey sur glace, et se rend compte que la clef de la loge du gardien qu'il occupe est restée dans son manteau. Il descend les tribunes et pénètre sur la glace du terrain. Il contemple la surface le regard dans le vide. Beth Ouelette, la sœur de Derek, est en train de marcher le long de la route nationale à Pimmins, à 120 kilomètres au sud de Pimitamon. Elle rentre dans le restaurant routier de la station-service, après avoir remis à leur place deux hommes lui ayant demandé où elle va. Elle demande un café au comptoir dans l'établissement vide. La serveuse remarque que Beth est frigorifiée et qu'elle n'est pas assez habillée pour le temps. Beth répond qu'elle a dû partir à la hâte : elle a décidé de quitter son copain et de se rendre Pimitamon là où elle a de la famille. La serveuse lui demande si elle a de l'argent. La réponse étant négative, elle lui déconseille de faire du stop. Elle ajoute que Beth peut rester une nuit ou deux dans l'une des chambres à l'arrière. Attendrie par la situation de la jeune femme, la serveuse finit par lui donner quelques billets, en lui conseillant de finir son café. À peine s'est-elle retournée vers la machine à café, que Beth sort, sans un mot, sans un remerciement, sans même attendre l'heure du bus. Le lendemain matin, au stade couvert de Pimitamon, Al, le responsable du stade, retrouve Derek endormi sur la glace avec la flasque vide du shérif dans la main. Entre deux séries plus longues, majoritairement avec un dessinateur, Jeff Lemire réalise une histoire complète et indépendante de toute autre qu'il met lui-même en images avec son graphisme si particulier. Il donne l'impression de réaliser ses dessins de manière spontanée, avec un trait un peu irrégulier, un niveau de détails sommaire. Pour habiller ces cases, il applique de l'aquarelle, généralement une seule teinte (ici un bleu entre Gris de lin et gris Horizon). Il n'utilise d'autres couleurs que pour les scènes peu nombreuses et courtes se déroulant dans le passé. L'impression générée par ces pages est celle de l'essentiel : pas de fioriture, pas d'embellissement, une réalité plutôt crue, sans fard, un peu fruste en phase parfaite avec les personnages et leur condition sociale. Ça fonctionne également parfaitement pour les paysages urbains, une petite ville sans beaucoup de personnalité, avec des bâtiments surtout fonctionnels, et pour les paysages naturels, une zone enneigée et boisée, sans rien de remarquable si ce n'est de la neige terne et des bouleaux dénudés. En deux scènes, Jeff Lemire a établi son personnage principal : Derek Ouelette, un individu costaud, très soupe-au-lait et ayant tôt fait d'atteindre sa limite et de frapper son interlocuteur, de le cogner trop fort, pour faire mal, pour blesser. Il a été un joueur de hockey, mais il a été expulsé de la Ligue National de Hockey pour avoir envoyé à l'hôpital, un membre de l'équipe adverse. Depuis, il a repris l'emploi auparavant occupé par sa mère dans le petit restaurant de Pimitamon, semblable à tant d’autres. Il n'a pas de maison ni d'appartement, et dort dans la loge du concierge du stade de hockey, en fait juste une grande pièce rectangulaire avec un lit et une ou deux étagères. Le soir, il va descendre des verres au bar du coin, en regardant les matchs de hockey, un bon à rien. Le retour de sa sœur n'améliore pas les choses, car elle-même se classe dans la catégorie des bons à rien. Elle a quitté Pimitamon il y a quelques années pour aller à Toronto, où elle a zoné dans la rue, avec de prendre un emploi de serveuse dans un café, puis de se mettre à la colle avec un gugusse violent, étant devenue accro à l'oxycodone. C'est pas gai tout ça. Pourtant, ce n'est pas une lecture qui donne le cafard. Jeff Lemire raconte une tranche de vie, un peu particulière dans un coin du monde finalement particulier lui aussi, sans misérabilisme. Il est visible que Derek Ouelette ne s'aime pas et qu'il est incapable d'envisager une autre vie. Il est visible que Beth Ouelette ne s'aime pas, mais qu'elle ne peut plus supporter la vie avec Wade Daniel Lachine. Il apparaît quelques autres personnages, un peu mieux lotis dans la vie : Ray le shérif (un emploi régulier et stable), Al le gérant du stade. Ce sont les deux personnages secondaires principaux. En les regardant, le lecteur constate que l'apparente simplicité des dessins est trompeuse : chaque personnage dispose d'une morphologie spécifique, d'une forme de visage spécifique, et même de postures particulières. Ray est plus filiforme que Derek, Al est beaucoup plus âgé. Brenda, le médecin, a des hanches un peu larges. Wade a une chevelure tignasse plus fournie. Il ne fait pas de doute que l'artiste a réalisé des études graphiques pour définir l'apparence de chaque personnage. Étrangement, le lecteur ne se sent pas agressé par le comportement de Derek Ouelette, ni plombé par l'addiction de Beth Ouelette. Pourtant, il ressent bien de l'empathie pour eux. Il faut un peu de temps se rendre compte que cela vient à la fois des deux personnages, à la fois de leur environnement. S'il est possible de compatir au fait que Derek ne se maîtrise pas, il n'est pas possible de cautionner de brutaliser toux ceux dont il estime qu'ils l'ont agacé. De même, si elle ne l'a pas bien cherché, Beth s'est mise toute seule dans sa situation. De plus, l'un comme l'autre ne sont que moyennement affectés par leur condition : ils n'en sont pas satisfait, mais ils font avec. Autour d'eux, Ray, Al et Brenda indiquent qu'il faudrait qu'ils évoluent, mais sans non plus s'ériger en sauveur. Il y a une autre caractéristique de la narration qui reste très posée, calme sans être indolente : la longueur. En tant qu'auteur complet, Jeff Lemire maîtrise sa pagination et a décidé de se donner la place de raconter son histoire. Il peut ainsi consacrer une page muette à Derek en train de se soulager contre un mur, 3 pages muettes à montrer Beth marcher sur le bas-côté de la nationale, consacrer un dessin en pleine page à montrer Beth sortant du café en vue du ciel, une page de 3 cases de la largeur de la page montrant deux motoneiges venant vers le lecteur en plan fixe, un dessin en pleine page avec la neige qui tombe sur les bouleaux, etc. Cela donne un rythme apaisant à la narration. Le lecteur éprouve vite la sensation que l'environnement de cette petite ville au nord de l'Ontario impose son rythme aux personnages : elle ne les englue, elle ne rend pas leurs efforts dérisoires, mais elle fait comme un tampon pour leurs émotions, ce qui les rend plus supportables pour le lecteur. Celui-ci est à la fois concerné par les personnages, à la fois il dispose d'une forme de recul. Les pages se tournent rapidement du fait du faible nombre de cases par page, généralement 4 ou 5, et des dialogues succincts. S'il connaît déjà les œuvres indépendantes de l'auteur, le lecteur se doute bien que ce moment de crise pour Derek et pour Beth correspond à la cristallisation d'un élément de leur passé. Beth fait remarquer à son frère qu'il est devenu le même genre d'individu que son père, brutal et alcoolique, et Derek lui répond qu'elle-même s'est mise avec un individu brutal et alcoolique. Jeff Lemire révèle par petites touches le relationnel entre Mary et Pat, la mère et le père de Beth et Derek, ainsi que l'empreinte que ça a laissé sur leurs enfants, la façon dont ils reproduisent ce schéma, sans forcément en avoir conscience. L'auteur n'a rien perdu de sa sensibilité émotionnelle et psychologique et de sa capacité à mettre en scène ces mécanismes au travers d'individus complexes, avec une délicatesse épatante, comme il l'avait fait dans Royal City . Cela n'aboutit pas à un mélo larmoyant, mais à une histoire touchante et émouvante. Jeff Lemire est passé maître dans l'art de raconter une histoire simple, avec des individus ordinaires, un peu paumés, dans un bled sans éclat. Il raconte histoire l'histoire d'un mec trop violent cuistot dans un diner d'une petite ville, sans avenir, et de ses retrouvailles avec sa sœur qui fuit un compagnon violent, et qui est dépendante à l'oxycodone. À l'opposé d'un drame social pesant, la narration raconte une prise de conscience plus ou moins explicite pour les personnages, dans une petite ville banale, en emmenant le lecteur relever des pièges à martres d'Amérique, sans que cela n'apparaisse comme le comble de l'exotisme.

24/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 2/5
Couverture de la série Amazing Fantasy
Amazing Fantasy

Fantaisie basique - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui ne demande qu’une connaissance superficielle des personnages. Il regroupe les cinq épisodes de la minisérie, ainsi que le prélude, initialement parus en 2021, écrits, dessinés et encrés par Kaare Kyle Andrews. Ce dernier a également réalisé la mise en couleurs des épisodes 1 & 2 et du prélude. Celle des épisodes 3 à 5 a été réalisée par Brian Reber. En 12943, Captain America se trouve sur un navire de guerre dans un convoi, traversant des eaux infestées de bateaux allemands. En pleine nuit, les soldats sont sur les nerfs. Smitty ouvre le feu, ayant cru voir une petite embarcation. Captain America le rassure, lui dit qu’il rentrera chez lui et qu’il pourra élever son bébé, quand une double explosion se produit. Tous les hommes sont à la baille, et le superhéros essaye de ramener à la surface, tous les soldats qu’il peut localiser entre deux eaux. Mais il sent qu’il perd conscience. Il revient à lui allongé sur le ventre sur une plage, encore à demi dans l’eau. Son costume est déchiré, il est affublé d’une longue barbe, mais il a encore son bouclier sur le dos. Il n’a aucune idée d’où il se trouve, mais il n’a pas le temps d’y réfléchir car un immense faucon-lion s’abat devant lui, la gueule portant des traces de griffes. Steve Rogers parvient à le calmer, quand l’animal est soudain emporté dans les airs, entre les griffes d’un immense dragon bleu. Rogers n’hésite pas : il lance son bouclier et il parvient à faire lâcher prise au dragon. Il y a deux décennies de cela, une très jeune Natasha Romanoff s’entraine au sein de l’organisation Red Room, se battant contre d’autres jeunes filles, sous le regard d’un adulte. Elle fait mordre la poussière à Daria. Le soir, cette dernière a décidé de se venger et, avec plusieurs autres filles, elle suit Natasha dans les toilettes. Elle découvre que sa rivale s’est échappée par la petite fenêtre. Natasha parvient à déjouer l’attention des sentinelles et elle rejoint les bois pour aller au point de rendez-vous fixé par Alexa, où doit les attendre un avion. Ce dernier doit les emporter en Allemagne de l’ouest, mais il n’y a aucun appareil au lieu convenu. Daria l’a retrouvé et elle lui tire dessus, la touchant. Natasha s’écroule au sol, inconsciente. Dans le ciel de Manhattan, Spider-Man se balance au bout de sa toile, essayant d’échapper aux tirs de Green Goblin qui est à ses trousses, tout en sortant des vannes comme d’habitude. Il ne parvient pas à éviter une bombe citrouille, il lâche sa toile et chute dans le vide. Quand il rouvre les yeux, il est ligoté et dans une marmite en train de bouillir. Il se redresse d’un coup ce qui fait sauter le couvercle et découvre que des grenouilles anthropomorphes sont en train de danser autour du feu sous le récipient. Il saute hors de la marmite, alors que les autochtones sont attaqués par des oiseaux géants. La particularité des dessins animés est qu’ils peuvent s’emparer des actes les plus violents qui soient, et les présenter de manière ce qu’ils en deviennent amusants. Pour autant, Spider-Man, toujours ligoté, ne rigole pas quand un oiseau anthropomorphe géant lui retourne un coup de massue. Dans le prélude, Wolverine se bat contre une créature ourse, et succombe aux charmes d’une femme à la peau bleue. Un projet spécial de la part de l’éditeur Marvel : un artiste avec une forte personnalité graphique, l’utilisation d’un titre de série correspondant à la première apparition de Spider-Man dans le numéro 15 en 1962, une histoire ne s’inscrivant pas dans la continuité officielle de l’univers partagé Marvel. De quoi faire saliver le lecteur qui tient en ses mains une édition grand format dite Treasury Edition. L’auteur dispose effectivement d’une grande liberté puisqu’il peut choisir les superhéros qu’il veut, et mélanger l’époque de leur provenance : Captain America pris pendant la seconde guerre mondiale, Natasha Romanoff pas encore adolescente, Peter Parker adolescent semblant aux débuts de sa carrière, et encore un ou deux autres dans des versions différentes. Les voilà transportés dans un monde de Fantasy : des clans rivaux qui se font la guerre, de grandes étendues sauvages avec des bêtes fantastiques, un magnifique palais avec de grands vitraux de plusieurs mètres de haut, des combats à l’arc et la flèche, à la lance, à l’épée. Un environnement dans lequel le bouclier de Captain America trouve naturellement sa place, ainsi que les compétences d’arts martiaux de Natasha, et les acrobaties de Spider-Man. Les différents superhéros se retrouvent dans des clans opposés, et ils doivent essayer de sauver ces peuples d’un despote cruel. Un récit qui embrasse et utilise les conventions basiques de la Fantasy, avec des personnages un peu décalés, enfin surtout le costume de Spider-Man. Ce tome attire l’attention grâce à sa couverture, celle de l’épisode 1, qui évoque une peinture de Boris Vallejo, voire de Frank Frazetta (1928-2010). Elle a été réalisée par Kaare Kyle Andrews comme un hommage. Il découvre la couverture variante qu’il a réalisé pour le même épisode, dans un registre différent, un hommage à Jack Kirby pour une couverture de comics de guerre avec Captain America au premier plan. La couverture du numéro deux est dans un registre tout aussi Fantasy, beaucoup plus colorée, évoquant les peintures des frères Greg & Tim Hildebrandt. La couverture variante du même épisode est un hommage au dessin animé de Spider-Man de 1967. La couverture de l’épisode trois a été peinte à la manière de Bill Sienkiewicz dans les années 1980. Celle de l’épisode quatre est une variation sur la peinture Death Dealer de Frazetta, et celle du cinq revient à Vallejo. Quant à la couverture du prélude, il s’agit d’un hommage à la couverture de Elektra lives again (1990) de Frank Miller. En fin de tome, se trouvent les couvertures alternatives réalisées par d’autres artistes : Simone Bianchi, Alex Horley, Peach Momoko, Felipe Massafera, E.M. Gist, Mark Bagley, Phil Noto, moins inspirés que Andrews. Le lecteur entame donc sa lecture avec un horizon d’attente assez élevé : une histoire originale et des visuels au moins dépaysants, au mieux décoiffants. La première page l’agrippe de suite, avec des cases de la largeur de la page pour un effet cinématique, une sorte de trame mécanographiée pour assombrir la nuit et faire apparaître le manque de visibilité, les traits de pluie qui cingle chaque case, à la fois pour l’orage et pour une impression de scène du passé. L’artiste choisit des formes simplifiées et une stature massive pour Captain America, faisant de lui une légende vivante. L’apparition du faucon-lion est saisissante. Il change de registre graphique pour les pages consacrées à Natasha, évoquant Joe Chiodo, sans sa propension à exagérer la plastique féminine. Il repasse à des représentations simplifiées, mais avec des couleurs plus vives pour Spider-Man. Tout cela est très bien parti. Lorsque Steve Rogers reprend ses esprits, c’est sur une plage dénudée, avec quelques vagues tâches de vert pour des végétaux informes. Lorsque Peter Parker reprend ses esprits, il n’y a que des silhouettes d’arbres au fond, sans caractéristique reconnaissable. Quand Natasha reprend ses esprits, elle aperçoit une superbe tour effilée et immense dans le lointain, mais qui ne figure plus dans les cases suivantes. Par la suite, l’artiste s’en tient à cette représentation minimaliste des environnements, ne donnant pas grand-chose à voir au lecteur. Par comparaison, les personnages sont représentés avec plus de détails, et animée par une vitalité convaincante, un savoir-faire impressionnant de traits de contour pouvant sembler grossiers et approximatifs, ce qui donne une sensation de croquis réalisé sur le vif, et un sens du détail signifiant, des expressions de visage, de la posture parlante. L’artiste n’abuse pas des gros plans sur les visages. Il utilise des plans de prise de vue assez simples, qui sont faciles à suivre. La mise en couleurs vient nourrir les surfaces délimitées par les traits de contour, avec des effets de nuances maîtrisés, et des camaïeux remarquables, sans tomber dans l’épate systématique. Puis le lecteur passe au prélude consacré à Wolverine et il retrouve Kaare Kyle Andrews plus exubérant, reproduisant à merveille l’esprit de la narration de Frank Miller pour Elektra lives again, continuant en mode débridé comme il avait pu le faire pour la saison de Iron Fist qu’il a réalisée. Le lecteur se prend à regretter que le dessinateur ne se soit pas montré aussi enjoué dans les cinq épisodes de la présente minisérie. L’histoire s’avère assez linéaire : une guerre des clans ourdie par un individu qui compte bien en sortir victorieux sans avoir à se salir les mains, les autres s’étant exterminés sans qu’il n’ait à intervenir. Il faut attendre le dernier épisode pour que l’intrigue prenne une autre dimension, que la nature de l’ennemi fasse sens malgré son côté très convenu, que le comportement de l’oncle Ben trouve une explication rationnelle. Mais à ce stade, le lecteur se dit que les quatre épisodes précédents étaient un peu longs. En découvrant ce tome, le lecteur se prend à rêver d’un récit à la narration visuelle riche et enchanteresse, et à une intrigue qui utilise les conventions du genre Fantasy, pour creuser le thème de l’héroïsme. Les couvertures et le début le confortent dans cet espoir, mais arrivé à la fin du premier épisode, et en passant aux suivants, il se rend compte que l’artiste ne s’intéresse qu’aux personnages, sans chercher à concevoir des prises de vue sophistiquées, et ne faisant que le minimum pour les décors à peine existants. L’histoire reste sur une trame minimaliste, s’appuyant sur les principes caractéristiques des superhéros, la bravoure et l’expérience de Captain America, la froideur et l’efficacité de Black Widow, l’entrain et la gentillesse de Spider-Man, sans les développer. La résolution génère un regain d’intérêt, mais arrive bien tardivement. Le prélude fait miroiter ce qui aurait pu être en termes de narration visuelle.

24/04/2024 (modifier)
Couverture de la série L'Imprimerie du diable
L'Imprimerie du diable

Traité sous forme d’un roman graphique, cette histoire nous donne à voir l’utilisation par les autorités – ecclésiastiques en tête – de la « sorcellerie » pour maintenir leur pouvoir, et pour « ramener à leur place » les femmes, que l’Église accuse depuis longtemps d’être source de péchés. Les deux personnages principaux – présents sur la couverture – qui se sont connus – et aimés adolescents dans un village proche de la Suisse, représentent les deux catégories qui vont s’opposer. D’un côté Reine, qui perpétue la tradition et l’enseignement familial en soignant, accouchant presque tous les habitants du village grâce à ses connaissances des herbes et autres simples. De l’autre Étienne, que le curé a instruit et qui jeune a quitté le village, pour travailler dans une imprimerie et ensuite gravir les échelons et devenir un spécialistes des livres dénonçant les sorcières (comme « Le marteau des sorcières »), et par là même un des chefs de la lutte contre l’ « œuvre de Satan ». Ils vont se retrouver face à face lorsque les rancœurs villageoises vont faire fondre sur ses habitants la foudre de l’Inquisition. Le dessin et la colorisation sont vraiment très bon, fluides et dynamiques. La narration est, elle aussi, aisée et agréable à suivre. Je regrette juste quelques facilités : Reine tient un discours à la fois trop « moderne » (féministe et anachronique je trouve dans ses termes) et surprenant pour une femme qui n’a jamais lu ou suivi d’instruction. Quant aux rebondissements de la fin, je les ai trouvés parfois un peu trop brutaux et faciles. De la même manière, je suis surpris que les édiles et dirigeants ecclésiastiques tiennent un discours si cynique et exposent si clairement l’utilisation de la lutte contre les sorcières pour maintenir le troupeau des fidèles en laisse. Qu’ils le pensent certes, mais qu’ils le formulent ainsi, et si ouvertement m’a surpris. Mais bon, ça n’en reste pas moins une lecture agréable sur le plan BD, et une ouverture sur un sujet qui est revenu sur le devant de l’actualité (nombreux ont été récemment les écrits – livres, revues – consacrés à ces « sorcières », et leur « diabolisation » au profit d’intérêts pas toujours religieux). A noter le très beau travail éditorial des Arènes. Une belle mise en pages, une couverture et un dos épais et toilés avec des livres en surbrillance. Note réelle 3,5/5.

23/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Ducky Coco
Ducky Coco

J’aime bien Anouk Ricard (cf. Coucous Bouzon, Animan), je trouve qu’elle arrive toujours avec son ton délicat et décalé à trouver le bon angle pour nous faire marrer ou insuffler un peu de "poésie" dans ces histoires. Ici, la formule fonctionne à merveille et Ducky Coco se révèle un vrai plaisir de lecture, dans un univers western ou l’on se sent bien. Mention spéciale à Guiguite, compagnon canasson, parfait complément de notre héros. Comme souvent avec Anouk Ricard, un trait d’apparence simpliste mais très efficace et une lecture qui conviendra à tous les publics. Presque un gout de trop peu malgré ses 72 pages tellement l'ouvrage est très agréable et se lit avec bonhomie. Beaucoup de potentiel pour encore faire mieux par la suite (si suite il y a!). 03.5/5

23/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Délivrance
Délivrance

Une couverture intrigante…et un livre vraiment spécial. Je vais débuter cette chronique par une petite aparté, et donc un léger coup de gueule pour un brillant coup de Coeur! Je commence donc par les choses qui fâchent. Je note en ce début d’année au fil de mes lectures une recrudescence de maladresses, typos ou autres fautes d’orthographes dans les parutions. C’est assez désagréable et à tendance à me sortir du livre, de son ambiance et à m’agacer. Il m’arrive parfois de me demander si c’est voulu ou pas par l’auteur quand le sujet pourrait s’y prêter (la folie, uchronie, vrai/faux reportage, etc…). Un exemple me vient en tête, Kosmos. Dans sa première édition, il sera régulièrement mentionné atterrissage (sur la lune) y compris dans la bouche de scientifique de renoms. La ou le bas blesse c’est quand on découvre des coquilles dans les dessins (mauvais collage? voulu ou pas ? ça interroge). Cette bande dessinée dans sa première édition ne fait pas exception à la règle. Ikar interpelle Solon par son prénom alors qu’elle ne s’est visiblement jamais présentée à lui (Page 147) …ras de la marée (page 145, si c’est volontaire, ça pique quand même les yeux !) Page 184 "comme peut-on traiter une enfant ainsi?" au lieu de comment. Voilà pour les plus évidentes! Le Summum, en page 287 quand Ikar s’interpelle lui-même et Solon alors qu’il aperçoit en fait son frère Graham et donc Solon …Outch, à ce moment-là, j’ai buggé, légèrement décontenancé. Bon, passons outre, car cette Bande Dessinée mérite toute votre attention, elle est très originale et vraiment réussie. Elle arrive à instaurer un certain malaise et une ambiance malsaine rarement atteint dans ce média (ce qui n’est pas pour me déplaire). Sorti peu de temps avant La Route de Larcenet, je retrouve une atmosphère et un mal-être commun aux confins du désespoir, bien qu’ici l’espoir renaitra finalement à travers les pouvoirs à la Tetsuo (cf. Akira, mais à la sauce écologique, le réchauffement climatique étant passé par-là) d’une jeune fille. Ma critique de La Route ayant fortement influencer les ventes, souhaitons à "Délivrance" de subir le même écho. Bd hybride par excellence, on y retrouve un savant mélange d’influence croisé, parfaitement et savamment assimilé par l’auteur (manga, franco belge et comics). Pour une première œuvre, je trouve ça vraiment très fort et démontre un fort potentiel à l'avenir. Pas exempt de maladresses, pas totalement abouti, cette BD fait pourtant mouche par son originalité, son dynamisme et sa prise de risque. Impressionnant pour un débutant en la matière. Un auteur à suivre et un véritable coup de coeur. 3.5/5 et plus..

23/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Pensées profondes
Pensées profondes

Non est le point de départ d'un chemin rempli d'opportunités. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Anne-Laure Reboul pour le scénario, et par Régis Penet pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-dix-neuf pages de bande dessinée. Préambule : Louise écrit dans son journal. Elle a un quart de siècle aujourd'hui et un immense élan de gratitude envers la vie. Si elle doit établir un bilan, à vingt-cinq ans, elle a un emploi stable, une amie fidèle et fantasque et un compagnon amoureux comme au premier jour. Certes elle ne nie pas que l'on peut toujours s'améliorer. Il ne s'agit pas de se reposer sur ses lauriers : ce serait verser dans la paresse ou l'orgueil, et elle ne veut ni l'un ni l'autre. Non, elle doit tendre vers le meilleur tout en restant une belle personne. Par exemple, ce travail à la mairie, il faut avouer qu'elle s'y encroûte un peu. Ne serait-elle pas plus utile si elle mettait ses qualités professionnelles au service d'une boîte de com, par exemple ? C'est comme Rozanne. Elle l'adore, mais il faut bien convenir que ça ne vole pas très haut. Elle écrit ces lignes avec beaucoup d'amour. Mais elle est consciente de ses limites et s'ouvrir à d'autres cercles que son groupe d'alcooliques altermondialistes (à leur âge, c'est ridicule) contribuerait à l'élever un peu plus. Ils ne sentent pas toujours très bon. En vérité, pourquoi devrait-elle perdre son temps avec ces révolutionnaires d'arrière-cuisine ? Qu'est-ce qui l'oblige à écouter leurs diatribes incohérentes et leurs petits trucs et astuces pour conserver le RSA ? C'est tellement petit ! Et en parlant de petitesse, c'est la transition parfaite pour faire un état des lieux sur sa vie de couple. Petitesse des conversations ! Petitesse des repas dans la belle-famille ! Petitesse de leur appartement si pratique et si laid, il ne faut pas avoir peur des mots ! Petitesse de leurs aspirations communes, qui se limitent à décider où l'on va diner ce soir ! Elle a vingt-cinq ans aujourd'hui, et, pour des questions de survie, elle doit s'extirper de cette existence de nul ! Allez, en selle, Louise ! Aujourd'hui c'est le premier jour du reste de sa vie Rester bons amis : Louise et son amoureux transi sortent du restaurant où ils ont dîné, et ils rentrent à pied vers son immeuble. Dans son for intérieur, elle s'admoneste : échec cuisant, très chère. Elle se parle à elle-même : elle avait pourtant tout bien préparé, et ce, depuis des jours. Mais non, la lâcheté a pris les rênes de la conversations (d'un ennui, d'un ennui !) de l'entrée jusqu'au digestif. Mille fois, elle aurait eu l'occasion d'annoncer la fin de cette histoire, et mille fois, elle a préféré se taire. À ce train-là, elle va finir par porter ses enfants. Cette perspective est-elle envisageable ? Non. Il faut qu'elle se décide à agir. L‘amoureux interrompt ses pensées en lui disant qu'il a bien remarqué son air et qu'il est sûr qu'elle pense à Véronique du service urbanisme. Elle lui répond qu'il la connaît bien, et elle repart dans son monologue intérieur en se morigénant d'être aussi nulle. D'un côté un titre évoquant une forme de réflexion sur soi, de l'autre un dessin avec des annotations plutôt sur le ton de la dérision. En quatrième de couverture, un dessin de Louise perdue dans ses pensées profondes, entourée de termes évoquant les différentes formes de pression auxquelles elle est soumise : sororité douloureuse, victime de l'univers, conquête du monde, belle personne, ambition dévorante, surmoi tyrannique, injonctions sociétales, plans machiavéliques, échecs retentissants, stratégie bienveillante, affirmation de soi. le préambule de deux pages montre Louise en train d'écrire dans son journal, d'abord allongée sur le lit, puis assise à une table. le lecteur la voit commencer sereine, puis s'échauffer au fur et à mesure qu'elle devient plus critique envers elle-même, ou qu'elle aborde des sujets qui l'énervent. Pour enfin arborer un air résolu : c'est le premier jour du reste de sa vie. L'ouvrage se compose ensuite de cinq chapitres et d'un épilogue. Dans le premier, le lecteur peut voir Louise faire tout ce qu'elle peut, surtout dans sa tête, pour rompre avec son amoureux, transi et stupide comme le précise la couverture. Puis elle plonge dans les affres de l'angoisse parce qu'elle a menti sur ses toutes les lignes dans un curriculum pour répondre à une offre d'emploi. Ensuite elle se retrouve dans des toilettes nauséabondes alors qu'elle essaye de faire bonne impression dans une soirée chez un potentiel employeur très influent. Elle se retrouve après à voyager dans un bus avec une très grosse dame qui s'assoit à côté d'elle. Et enfin, elle savoure sa liberté reconquise avec le pouvoir de dire non. De prime abord, les dessins présentent une forme épurée, très facile à saisir par l'œil, avec une légère touche féminine dans la délicatesse des personnages, et une discrète influence manga très bien assimilée dans les visages, avec l'œil un peu plus grand. le lecteur remarque rapidement que le dessinateur se plaît à ne pas dessiner la bouche de Louise. Cela fait sens : ce choix donne plus d'importance à son flux de pensée, en soulignant le fait qu'elle n'exprime pas à haute voix ce flux de doutes et de réflexions. Il est impossible de résister aux mimiques de Louise, qui, elles aussi, traduisent plus son état d'esprit qu'elles ne sont descriptives de la réalité physique de ses expressions de visage. Cela vient encore renforcer le ressenti de l'héroïne par comparaison avec les visages des autres personnages, qui restent dans une gamme d'expression modérée. L'artiste utilise une direction d'acteurs qui reste dans un registre naturel pour les mouvements et les postures, sans caricature comique, même quand Louise se retrouve dans des toilettes empuanties et qu'elle ne veut, pour rien au monde, être rendue responsable de ces effluves nauséabonds dont elle n'est pas à l'origine. Il sait donner une forme spécifique à chaque tenue vestimentaire en quelques lignes élégantes : le manteau clair de Louise et celui foncé de son amoureux avec des coupes bien distinctes, un sweatshirt avec une écharpe bariolée (même si la mise en couleurs se limite à la bichromie) pour Rozanne, le short et le long teeshirt de Louise devant son ordinateur chez elle, sa belle petite robe pour la soirée, la tenue décontractée de hôte, son sweatshirt noir et pantalon noir pour se rendre à entretien, son élégant tailleur pour promouvoir son livre, etc. Le lecteur remarque que l'artiste représente avec la même précision légère les différents décors : la façade d'un restaurant, une rue avec ses immeubles, une terrasse de café, le bureau de Louise, sa voiture, la maison de son hôte, sa salle à manger et bien sûr ses toilettes, l'intérieur d'un bus, ou encore la salle de bain de l'appartement de Louise. Il note, ici et là, quelques accessoires du quotidien : le panneau des boutons de la cabine de l'ascenseur, la table de chevet avec ses pieds incurvés, le plan de travail de la cuisine de Louise, le panier en osier dans la salle de bain de son hôte, les barres de maintien dans le bus, ou encore le meuble de salle de bain de Louise dans lequel elle range tous ses produits. D'une certaine manière, Louise présente la nudité de son esprit au lecteur : son flux de pensées, sans filtre ni fard, ses pensées plutôt intimes que profondes, ou alors profondes dans le sens où elles proviennent des profondeurs de sa personnalité. Il découvre également la nudité de son corps dans la première histoire lors d'une relation sexuelle avec son stupide amoureux transi et dans la dernière histoire alors qu'elle prend un bain. Ces représentations ne génèrent pas de ressenti érotique, dans la mesure où son corps est représenté avec des traits de contour rapide, sans s'appesantir sur ses organes sexuels, quasiment chastement. Le lecteur prend immédiatement Louise en sympathie, avec une petite pointe de pitié, parce qu'elle ne sait pas dire non, ou plutôt elle ne parvient pas à exprimer son désaccord, et même plus simplement sa volonté. Elle se met toute seule dans une situation intenable en ne parvenant pas à dire à son amoureux qu'elle souhaite le quitter. Pour se faire pardonner à l'avance de la souffrance qu'elle va lui occasionner, elle décide de lui offrir une partie de jambe en l'air mémorable, allant même jusqu'à lui demander d'entrer par la petite porte. Elle se laisse convaincre par sa meilleure amie de mentir effrontément sur son curriculum vitae en se vantant de compétences dont elle n'a pas le moindre début (spécialiste de l'art persan du Xe siècle, parlant couramment le mandarin). Elle se retrouve acculée dans les toilettes empuanties de la propriété d'un potentiel employeur. Sa voisine de bus est persuadée que Louise souffre d'incontinence urinaire. Pour couronner le tout, elle finit par accepter la présence de squatteurs envahissants dans son propre appartement, faute de n'avoir pas su dire non, ou au moins imposer des limites. Le lecteur ressent une forte empathie pour cette jeune femme voulant bien faire, ne souhaitant pas faire du mal à autrui, tout en étant conscience de ses propres limites, de la médiocrité moyenne de sa vie. En même temps, il ne parvient pas à la plaindre car dans le préambule, elle brosse un portrait très positif de sa situation : emploi stable, amie fidèle, compagnon très amoureux, et un appartement confortable. Il se reconnaît bien en elle quand elle s'empêtre dans des raisonnements alambiqués qui la conduise à l'autodénigrement, à se conduire en dépit du bon sens, à rendre une situation désagréable de plus en plus humiliante pour elle et pour son amour propre. Il identifie bien ce sentiment très particulier : avoir conscience de sa propre gêne, et la sensation que chaque effort, chaque action pour s'en défaire ne fait qu'aggraver la situation. Les auteurs donnent accès aux pensées profondes d'une jeune femme ayant tout pour être heureuse, sauf la confiance en elle, et le recul nécessaire pour éviter de s'enfoncer toute seule. le lecteur se trouve immédiatement séduit par les dessins fluides et faciles d'accès, par l'intimité avec Louise à la fois émotionnelle et physique. Il compatit de tout cœur, partagé entre un vague sentiment de supériorité sur cette jeune femme qui se fait des noeuds au cerveau, et celui d'être lui aussi passé par ces pensées profondes qui participent à rendre la situation plus humiliante. Trop navrant, trop vrai.

23/04/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Playboy
Le Playboy

Pulsion masculine - Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre, en noir & blanc, écrite et dessinée par Chester Brown. Elle a été sérialisée dans "Yummy Fur" 21 à 23, parus en 1990. La bibliographie de Chester Brown est la suivante : (1) le petit homme, (2) Ed the happy clown (en anglais, inédit en français en 2013), (3) "Le Playboy", (4) Je ne t'ai jamais aimé, (5) Louis Riel, (6) Vingt-trois prostituées. L'histoire débute le 23 mai 1975 à Chateauguay dans la banlieue de Montréal, où a grandit Chester Brown. Il se représente sous la forme d'un petit diablotin avec les ailes et un short qui va commenter chaque scène. Ce petit diablotin indique que le jeune Chester est âgé de 15 ans et qu'il assiste à la messe, en ayant à l'esprit le numéro de Playboy qu'il est en train de décider d'acheter après l'office. À la fin de la messe, il se rend à vélo à la supérette la plus éloignée pour l'acheter (pour éviter d'être vu par quelqu'un qui le connaîtrait). En sortant il croise des voisins et fait de son mieux pour dissimuler la nature de son achat. Il rentre chez lui et profite de l'absence des autres pour aller se masturber dans sa chambre. Il lui reste alors à cacher le magazine. La suite de ce récit autobiographique relate l'évolution de ses achats et de l'utilisation du magazine jusqu'en 1990. le tome s'achève avec une postface d'une vingtaine de pages de l'auteur commentant les modifications qu'il a apportées pour la présente édition (avec la reprographie des cases supprimées), ainsi que certaines précisions sur ce qu'il avait souhaité exprimer, et l'état actuel de son usage des magazines de charme et pornographiques. Dans la postface, Chester Brown confirme que cette histoire autobiographique a été composée et construite pour aborder le thème de son rapport à la pornographie, par le biais de sa lecture du magazine Playboy. le style graphique de Brown est assez épuré avec une apparence de dessins d'amateur qui induit une forme de distanciation avec une forme de naïveté visuelle. de ce fait les quelques dessins de photographies de Playmates sont dépourvus de toute forme d'érotisme. Par opposition les scènes de masturbation en sont d'autant plus choquantes dans leur coté prosaïque et presque déplacées par contraste entre ce qui est montré (jusqu'à la tâche de sperme par terme) et le dessin simple et spontané, sans fioritures. En effet Brown se montre le plus honnête possible quant à son usage de la pornographie. Suivant son parti pris, il ne décortique pas ses processus mentaux lorsqu'il se livre à l'onanisme, mais il montre comment il le fait (une posture originale qui a interpellée d'autres lecteurs jusqu'à Peter Bagge qui a été jusqu'à la baptiser la "Chester", authentique). Il ne s'agit pas pour Brown de jouer à choquer en enfilant des scènes de masturbation, mais de montrer à 3 reprises la finalité de son achat. Cette approche concrète de cette pratique lui permet également de montrer le dégout plus ou moins fort qui suit, issu de la culpabilité. À nouveau, Brown préfère le sous-entendu que la psychologie de comptoir. Il ne se lance pas dans une explication de l'existence de cette culpabilité, il ne décrit pas ses processus mentaux (il n'évoque pas l'incidence de son éducation religieuse). Il établit son ressenti. Ses réactions montrent d'ailleurs que ce sentiment est plus complexe que la simple culpabilité, et qu'il s'agit peut-être plus de la perte de repère générée lorsque l'individu brave un interdit sociétal ou moral. Cela ne devient de la culpabilité que lorsqu'il risque d'avoir à se justifier auprès d'autrui, en particulier face à sa copine Kris. En ça Chester Brown est un auteur incroyable qui avec une économie de moyens réussit à mettre en scène sa propre vie, en mettant en lumière des sentiments et des sensations universels. À partir de là, le lecteur (masculin) peut alors comparer sa propre expérience et son propre ressenti par rapport à son usage de la pornographie. La lectrice peut avoir accès à une représentation honnête de la force de la pulsion sexuelle chez l'individu de sexe mâle. En effectuant son travail de composition, Chester Brown a trouvé des solutions naturelles pour évoquer les différentes facettes de sa relation avec ce magazine. Il ne s'agit pas d'une fascination aveugle, et il y a eu une réflexion qu'il sait exposer par le biais des dialogues, ou des commentaires du petit diablotin Chester adulte. Dans l'épilogue, il évoque la parution de la première partie de l'histoire dans "Yummy Fur", avec Mark Askwith. Ce dernier indique qu'il n'a jamais acheté Playboy, mais qu'il se souvient de la première Playmate qu'il a vu dans un numéro qu'on lui avait prêté, et du décor en arrière plan. Brown est alors capable de lui citer le nom de cette femme et le numéro du magazine, à partir de la description du décor. le lecteur constate ainsi le degré d'implication et d'investissement affectif de Brown vis-à-vis de ces photographies de femme. Les commentaires du diablotin permettent aussi de comprendre qu'en fonction de ses réactions physiologiques, Brown a pu établir des échelles de critères physiques quant à celles qui lui plaisent plus. Cela aboutit à un questionnement sur la formation des goûts sexuels par le biais de la pornographie, leur formatage, mais aussi leur pluralité. Dans la postface, il élargit le contexte en relatant son usage d'autres sources de pornographie (le magazine Penthouse, puis les vidéos). D'une certaine manière, l'apparition de Carrie et Sky (des voisines de Chester) rappelle qu'il a également consacré "I never liked you" à la formation du sentiment amoureux (formant ainsi un diptyque avec ce volume consacré à la pulsion sexuelle). "Le Playboy" est un récit où la masturbation est représentée à l'opposé de la sexualité en tant que performance physique. Du fait de la force polémique du sujet, le lecteur peut ne porter aucune attention au travail de construction et de représentation du récit. Outre l'élégance habile avec laquelle il sait mettre en scène ses sentiments sans explications pesantes, il y a ces dessins d'apparence un peu fruste. Ce choix esthétique s'observe avec les bordures des cases qui ne sont pas tracées à la règle, mais à main levée, et irrégulière. Il y a également la disposition des cases collées sur la page sans respecter un positionnement rigoureux en ligne ou en colonne. Elles sont littéralement collées car Brown les dessine une par une sur des bouts de papier indépendant, et les agence ensuite sur la page. Cela a pour effet de donner plus d'importance à chaque image, de la rendre plus indépendante, ainsi le lecteur y accorde plus d'attention. C'est une façon qui sort de l'ordinaire pour influer sur la vitesse de lecture. Chaque image devient ainsi une composition réfléchie où chaque trait a été pesé pour ce qu'il apporte comme signification. Brown entraîne le lecteur dans sa vision du monde avec des personnages filiformes, et des arbres au développement torturé. Avec "Le Playboy", Chester Brown évoque avec une franchise rafraîchissante son usage du magazine Playboy sur plus d'une décennie à la fois en tant qu'excitant visuel, et en tant que transgression d'un tabou. Pour les lecteurs ce thème leur renverra à leur propre expérience, leurs propres choix et les difficultés psychiques auxquels ils ont pu être confrontés. Pour les lectrices, il s'agira d'une illustration sensible de la force de la pulsion sexuelle masculine.

23/04/2024 (modifier)
Par karibou79
Note: 4/5
Couverture de la série L'Ecole emportée
L'Ecole emportée

Des couvertures moches, un graphisme très daté, des personnages tête-à-claque en rage ou chiale constante (à part Yu le bébé, trouver un personnage qui ne braille pas plus de 2 cases d'affilée relève de la gageure), des situations über-alles qui s'enchaînent, un titre n'évoquant rien... vraiment rien n'est fait pour que le lecteur qui feuillette cette courte mais riche série de 6 tomes soit partant pour la prendre. Mais bienheureux sera celui qui le fera car ce manga lui ouvrira les portes de la fantaisie la plus débridée mêlant les genres (survivalisme, sentimentalisme, fantastique, horreur, thriller, (comique involontaire?), SF). Comme le dit l'introduction du petit dossier terminant le tome 1, décrire des situations serait gâcher le plaisir de la découverture donc mon avis sans spoilers sera assez court (comme c'est déjà le cas de la plupart de mes avis je vous l'accorde). Une expérience incroyable qui a sans doute influencé de nombreux auteurs (Junji Ito me vient de suite à l'esprit en voyant le mal rongeant les protagonistes et la perte de raison collective). Le chapitrage court assure au lecteur des rebondissements permanents et lorsqu'un filon s'épuise, le récit prend une direction à 90° pour relancer l'intérêt, les cliffhangers pirouette-cacahouète sont dignes de la série TV Batman des 60s. Est-ce de l'improvisation ou une volonté de l'auteur de prendre le lecteur à contre-pied de temps à autres? Quelque soit la réponse, je vous promets que vous serez régulièrement trèèèès surpris de l'héroïsme ou la bêtise de ces élèves de maternelle et de primaire sacrément précoces! Achtung, le discours d'époque est très misogyne et le gore parfois bien présent, il convient donc de prévenir les enfants du contenu. Et ensuite préparez-vous à quelques fous-rires si vous lisez ce récit avec les autres en constatant le fossé entre les savoirs-faires de ces enfants par rapport aux nôtres. Les situations sont horribles mais sombrent souvent dans un grand-guignol permettant de faire retomber la pression et relativiser la gravité des propos. A l'instar du premier film Godzilla, ce récit apocalyptique profite de son scénario catastrophe pour passer quelques messages bien amenés sur l'écologie, l'impact de chacun sur le futur de notre planète, l'importance du savoir et de la solidarité. Une épopée décomplexée finalement pas si bête. Donc pour résumer, sautez le pas: soit vous ne décrocherez pas une fois la lecture commencée ou bien vous serez atterrés et vaccinés contre les mangas sortant du rang. ------- MAJ après retour à la biblio -------- Bon sang, quels bons moments passés avec les maternelles, Shô et les primaires… Finalement, nous faisons partie de cette tribu qui a été balloté par tout le probable et l'improbable jusqu'à un final lumineux, à la fois plein de résignation et d'espoir (c'est beau, snif). L'auteur également qui s'est positionné à la hauteur des protagonistes et pénétré leur psyché pour coucher sur papier leurs peurs, leurs angoisses, leurs espoirs. C'est là que prend source tous ces coups de crise soudaine, ces corps menaçants prenant des dimensions gigantesques, de l'effroi de l'inconnu qui prend des formes plus douces une fois que les créatures prennent leurs quartiers (mais elles ne deviennent pas des popples pour autant). Allez, mon top des scènes qui resteront gravées en mémoire: --- SPOILERS --- - la scène de l'appendicite évidemment - les défenses anti-fourmi géante - le paradis du mont Fuji - le bûcher à ceux ayant le malheur d'avoir un nom commençant par Ta - la 1ère dégustation de champignon - le pourquoi du comment de la moment - les tomahawks Halala c'était autre chose que nos semaines colo dans les Vosges!

22/04/2024 (MAJ le 23/04/2024) (modifier)
Couverture de la série Le Sac à malices
Le Sac à malices

« Le sac à malices » ou SAM est une association qui distribue de l’aide alimentaire, mais qui entretient aussi du lien social, en apprenant à faire du vélo, en organisant des ateliers divers. Implantée à Tours, dans un quartier populaire (vers Saint-Pierre-des-corps), elle permet à de nombreux « exclus » de s’en sortir, tout en restant digne : une somme est allouée pendant quelques mois à chaque inscrit, et il doit l’utiliser pour payer la nourriture qu’il vient chercher au Sac à malices (nourriture récupérée dans les invendus des supermarchés). Le récit présente les principaux acteurs de l’association, très majoritairement bénévoles, leur implication, et cette partie est intéressante – comme l’est le fonctionnement du Sac à malices. Au cours des discussions, on a aussi droit à un historique du quartier, des quartiers populaires paupérisés (très intéressant). A la fin pointe la « rationalisation » par la municipalité de ce genre d’actions, en regroupant les structures. Si l’on devine les économies, on voit bien ce que ça va faire perdre d’âme et d’efficacité à ce genre de structure (le découragement pointe parfois aussi chez certains bénévoles). Une lecture intéressante, sur une structure dont on se dit qu’elle ne devrait pas avoir à exister.

23/04/2024 (modifier)
Couverture de la série Tous à la campagne !
Tous à la campagne !

J’aime bien ce que fait Tronchet, et j’ai rarement été déçu par ce qu’il me proposait. Mais ça a pourtant été le cas ici avec cet album, que j’ai trouvé un peu poussif au niveau de l’humour. Nous suivons un couple qui a « fait le saut », c’est-à-dire qu’ils ont quitté la ville pour s’installer à la campagne, la vraie, loin de tout. Enfin, quand on dit qu’ils ont fait ce choix, c’est surtout madame qui l’assume, le revendique, et en tire son parti. Monsieur lui, suit tout d’abord le mouvement, goguenard, pensant sans doute que cette lubie va passer à sa femme, et qu’il n’aura donc pas besoin d’argumenter pour lutter contre. Mais rapidement – et c’est là-dessus que l’humour de Tronchet joue - il n’en peut plus, et cherche à tout prix (mais discrètement) à esquiver les contraintes d’un univers et d’une solitude qu’il ne supporte pas. Il y a quelques gags vraiment amusants, le type est un peu pathétique. Mais c’est trop inégal, et globalement décevant. Disons que l’histoire de ces néoruraux en elle-même est assez plate. Ce sont juste les oppositions entre les deux personnages principaux qui valent – parfois – le détour. A emprunter à l’occasion, mais ça n’est pas le meilleur Tronchet. Note réelle 2,5/5.

23/04/2024 (modifier)