Auteurs et autrices / Interview de Christian De Metter

Retour sur notre rencontre fort sympathique avec Christian De Metter lors du dernier Festival d'Angoulême à l'occasion de la sortie du tome 3 de sa série du moment, "No Body".

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Christian De Metter (Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Christian_De_Metter) Paco : Salut Christian. J'ai découvert ton boulot avec Shutter Island, d'ailleurs il y a des collègues de Bdthèque qui avaient déjà fait une interview de toi à l'époque pour cet album. Depuis tu as fait pas mal d'adaptations. J'avais bien aimé Piège nuptial ; d'ailleurs, je préférais le titre original.
C. De Metter : Alors le titre original qui était Cul-de-sac était mieux oui.

Paco : Plus énigmatique je trouve, parce que Piège nuptial...
C. De Metter : Oui mais ça c'est une histoire de droits par rapport à des éditeurs. Entre temps il avait été racheté par un autre éditeur donc le titre avait changé et moi j'adaptais à partir de cet éditeur là donc j'étais obligé de garder Piège nuptial comme titre que je trouvais assez pourri. Ca faisait penser un peu à un téléfilm de M6 genre "Piège mortel"...

Sloane : Mais quand on a lu le bouquin c'est vrai que "Cul-de-sac" est plus sympa quand même.
C. De Metter : Sinon il y avait la possibilité de faire avec le titre en anglais qui était "Dead hand" et qui était encore mieux mais ça n'a pas été possible non plus, donc on a gardé Piège nuptial.

Paco : Là du coup tu sors un peu des one-shots pour te lancer dans une série ambitieuse, un peu nébuleuse au niveau du concept. Peux-tu nous présenter le projet ?
C. De Metter : Alors, justement oui je faisais beaucoup de one-shots jusqu'à présent et j'étais arrivé jusqu'à 160 pages mais j'avais encore un besoin de plus de pages pour raconter des histoires. Donc il fallait que je passe à un modèle plus proche de la série mais je n'étais pas très attiré par la série bande dessinée où on commence mais on ne sait pas où on finit ; je ne voulais pas ça. Donc j'ai cherché un peu du côté de la série anglo-saxonne, la série télé, j'ai regardé un peu les formats et ce qui m'a tout d'un coup fait tilt par rapport au vague projet que j'avais en tête à ce moment là, c'était les séries comme True Detective avec un titre générique. En l'occurrence moi ça a été No body, avec une thématique que j'ai envie de creuser et d'une saison à l'autre je peux changer de personnages et d'univers. La première saison se passe sur quatre albums, enfin sur quatre épisodes avec un personnage, une histoire de puzzle. On reconstruit le puzzle d'un personnage qui se raconte petit à petit...

Accéder à la BD No body Sloane : Donc les quatre tomes prévus, ce sera toujours le même personnage ?
C. De Metter : Oui c'est lui qu'on voit à différents moments de sa vie qu'il raconte et puis normalement le dernier album vous avez tout le puzzle. Et j'espère vous mettre une date dans la gueule. J'espère, je ne sais pas si je vais y arriver !

Sloane : D'accord, on se reverra.
C. De Metter : Et après saison 2 : j'irai dans les années 70 en Italie pendant les années de plomb avec d'autres personnages, d'autres flics. Saison 3 a priori dans l'univers du football etc. Normalement j'ai 5 saisons que j'aimerais bien pouvoir faire mais on verra.

Paco : D'accord.
C. De Metter : Donc ça s'appellera toujours No body et il y a toujours cette question autour de l'identité, du corps, de la vérité, des choses comme ça.

Paco : Cette idée justement de mettre en scène cette absence de corps en tant qu'axe central elle t'est venue comment ?
C. De Metter : Comment ça m'est venu ? C'est toujours difficile d'arriver à resituer comment germe ce genre d'idée... Il y a cette histoire qui est née il y a quelques années, de ce personnage-là, que j'avais raconté comme ça vite fait à ma femme, pensant qu'elle allait me dire "Mouais…" et puis en fait quand j'ai vu sa tête à la fin, je ne pensais pas la surprendre autant. Et j'ai commencé à me poser la question de pourquoi j'étais parti dans cette histoire, pourquoi... mais je ne peux pas vous révéler certaines choses...

Une planche de No body Saison 1 Épisode 1 - Soldat inconnu J'ai une obsession pour l'identité. Dans tous mes bouquins l'identité est présente, ça a toujours été comme ça. Mon premier bouquin c'était pareil. C'était un amnésique qui revenait de la guerre, on ne savait pas qui il était, les gens s'amusaient avec lui à reconstruire qui il pouvait être. Il rencontrait les surréalistes qui s'amusaient un petit peu par jeu.

Je pars du principe qu'un individu c'est un peu une statue de terre meuble et en fonction de ses rencontres on rajoute de la terre, on en retire, ça sèche un peu avec le temps mais ça peut toujours quand même se casser. Et donc j'ai cette approche de l'identité, de la rencontre, et des choix qui font qu'on est quelqu'un et qu'on peut être quelqu'un d'autre ou qu'on peut devenir quelqu'un d'autre et ça m'obsède un peu. Qui est-on vraiment ? Quelle est notre vraie identité au fond ? Est-ce que finalement on existe ? Enfin on existe par le regard des autres mais, dans quelle mesure ? Ils nous construisent mais nous déconstruisent aussi beaucoup. Donc c'est un truc qui tourne en boucle l'identité.

Mais, je suis allé un peu plus loin ; je me suis aussi posé la question par rapport au corps et à ce que l'on vit aujourd'hui. Les pertes d'identité conduisent à la quête d'identité, avec souvent des réponses religieuses pour certains parce que c'est quand même beaucoup plus simple : on nous dit comment penser et comment le monde s'organise. Mais il n'empêche que dans le monde occidental on n'a pas beaucoup de réponses sur l'identité je trouve. C'est peut-être aussi pour ça qu'on est très désarmé face à ce qui s'oppose à nous aujourd'hui.

Et je me suis posé beaucoup de questions aussi par rapport aux tatouages : l'identité qu'on grave sur notre corps. Certains se gravent vraiment une identité, c'est-à-dire qu’on peut savoir qui ils sont, ce qu'ils aiment, etc. Et puis d'autres qui font des choses, comment dire... Par exemple je vois beaucoup de jeunes filles avec des dauphins, des machins etc... ils se font quand même du mal parce que souvent ces gens là sont les mêmes qu'on retrouve plus tard en train d'effacer leur tatouage et c'est très douloureux. Et donc voilà, je me suis fait toute une réflexion sur le corps qu'on maltraite.

Pour résumer tout ça No body c'est un peu l'idée des magazines qu'on lit tous, qu'on feuillette chez le dentiste ou qu'on lit, peu importe. On voit des mannequins hyper jolies, la peau parfaite, des jambes super longues ou des hommes nickels. Sauf qu'on sait que tout ça c'est bidon, tout ça c'est retouché sur photoshop. Mais malgré tout, la majorité des gens veut ressembler à ça. Et les gens font des régimes, de la chirurgie esthétique… Il y a quand même beaucoup de souffrance parfois pour ressembler à un truc qui n'existe pas. Ca n'existe pas !

Voilà un peu le sens de ma réflexion. Pas tout à fait dans cette saison là, encore que, mais ce sera plus dans les saisons qui vont venir. Là je l'ai rapproché de la réflexion que je me fais sur le monde. Il y a des choses qu'on sait : aux Etats-Unis, la NSA qui nous espionne, on le sait mais j'ai l'impression qu'on s'en fout. Et j'ai l'impression qu‘on préfère le rêve qu'on nous vend. On préfère Hollywood, le bien, le mal, les gentils, les méchants. Mais la vérité qui est un peu cachée, on n'a pas envie de la voir. Et je me demande : pourquoi on ne veut pas la voir ? C'est un peu le principe de la pilule bleue et rouge dans Matrix, celui qui veut voir le monde tel qu'il est et celui qui dit "Non je me contente du rêve ça m'ira très bien". C'est une question que je me pose beaucoup et ça tourne autour de ça.

Sloane : Parce qu'en plus de cette histoire de tatouage pour s'abîmer le corps il fait de la boxe. Ce qui n'est pas neutre comme sport.
C. De Metter : Tout à fait et puis de toute façon il a un problème avec le corps parce que tous les gens qu'il aime disparaissent sans laisser de trace, sans laisser de corps. Son frère disparaît au Vietnam dans un crash d'hélicoptère : pas de corps, pas de deuil. Moi je pars du principe : pas de corps, deuil difficile en tout cas. Sans révéler la fin de l'histoire, il y a un amour qui disparaît et qui ne laisse pas de corps. Dans la suite il y aura beaucoup de choses qui tourneront autour de ça. On le découvre surtout dans le tome 2, pourquoi ces tatouages sur son corps lui permettent de raconter des choses fausses. [SPOIL] Mais c'est parce que c'est un flic infiltré ; il n‘a pas vraiment choisi son destin mais on lui a proposé cette solution à un moment. Il va travailler pour le FBI et ses tatouages vont l'aider à infiltrer certains milieux. Dans le tome 2 ça va être les bikers des années 70, parce que les Etats-Unis avaient décidé d'éliminer les Hell's Angels à cette époque là. C'est pas très officiel, même s‘il semblerait qu'il y ait eu une organisation qui ait existé et qui avait toutes les cartes en mains de tous les services de l'état pour éliminer les Hell's Angels, jusqu'à l'assassinat éventuellement. Lui va devoir infiltrer ces milieux là ; il va donc devoir se tatouer des choses sur le corps, qui sont fausses. En plus c'est un groupe néo-nazi, il ne va pas jusqu'à se mettre des croix gammées non plus sur le corps mais il aurait pu potentiellement. [/SPOIL] Donc voilà, il a un rapport à la vérité très compliqué. Il est en quête de vérité, et il a une psy en face de lui qui est en quête de sa vérité et il est bourré de mensonges, partout ; il faut arriver à refaire le puzzle de ce personnage. Je suis en train de vous noyer là, hein ? (rires)

Sloane/Paco : Non, non, non ! Mais qu'est-ce qu'il raconte ? Mais où il va ?
C. De Metter : En fait je vous révèle, c'est Mickey. Et vous allez voir Pluto dans le tome 2.

Sloane : Le petit chien meurt toujours à la fin...
C. De Metter : Et oui... (rires)

Paco : Revenons à nos moutons et au début de l'album. Moi ça m'a énormément fait penser à Hannibal Lecter. Est-ce que c'est un clin d'oeil volontaire ?
C. De Metter : Non je n'y ai pas du tout pensé en fait. Mais ça fait partie de ma culture donc c'est présent sans que j'y pense. C'était juste que pour moi c'était un mec en taule dans un univers froid ; une prison, donc des bleus, des verts comme ça, avec ces espèces de couleurs oranges flashy. Face à cette petite femme qui a priori n'a rien à faire là, que personne ne prend au sérieux mais qui, justement, par ce côté différent, plus jeune, féminin, a une écoute stéréotypée, administrative et compagnie. En plus, son prénom qui est particulier pour lui, va éveiller quelque chose et l'amener à se confier et à enfin aller jusqu'au bout de sa vérité d'une certaine façon. Il va devoir tout raconter. Mais non, "Le Silence des agneaux" c'était pas du tout présent dans ma tête. Tout comme on m'a dit que je m'étais inspiré de Sean Connery pour mon personnage principal, mais pas du tout !

On m'a parlé d'un film de Sean Connery mais j'ai oublié le titre. Apparemment il a les cheveux tirés en arrière et la même moustache et en plus il est habillé en orange ; je comprends que ça fasse encore plus penser à lui. Souvent pour chercher mes personnages je les fais en terre ou en 3D. Je crée rarement mes personnages. Donc je suis parti sur un truc un peu au hasard. Un personnage que je pouvais rajeunir, vieillir... qui avait toujours la même tête mais en même temps qu'on sente que les années l'ont vraiment changé. C'est la même tête mais pas la même tête non plus; la 3D me permettait de mieux chercher mon personnage.

Paco : D'accord. Et hormis ces influences là, par rapport au roman noir américain, tu lis beaucoup de polar ?
C. De Metter : Je suis très roman noir oui. Par goût et puis par nécessité professionnelle aussi. C'est-à-dire qu'à un moment je me suis un peu trop enfermé là dedans parce que c'était aussi source d'inspiration et d'apprentissage. Mais à la base j'ai un goût pour ça. Je ne suis pas très roman policier par contre; le côté flic, enquête, qui trouve l'assassin je m'en fous un peu. Par contre le roman noir qui décrit une société un peu mal foutue et qui la montre en poussant les curseurs en allant dans les milieux noirs des rues mal famées ça m'intéresse. On peut dire beaucoup de choses sur l'humain en allant dans ces ruelles. Ce n'est pas ma lecture unique mais c'est très présent.

Paco : Et au niveau du cinéma c'est pareil ?
C. De Metter : Alors cinéma ces dernières années non, ni séries ni rien parce que je me l'interdisais... C'est ridicule... Je partais du principe que dans la journée je devais bosser et que regarder un film ou une série télé c'était ne rien foutre. Ce qui est stupide parce que ça fait partie de l'inspiration et même de l'apprentissage comme un bouquin. J'ai donc rattrapé un peu le temps perdu ces derniers temps à partir du moment où j'ai compris que je voulais faire une série ; il fallait que j'aille un peu voir ce qui s'était fait. L'avantage c'est que je peux regarder 8 saisons de The wire d'affilée sans avoir à attendre l'année suivante. Je me suis fait plein de trucs comme ça et j'ai vu quelques chefs-d'oeuvres.

Sloane : Oui c'est pareil, il y avait True Detective.
C. De Metter : True Detective oui j'avais beaucoup aimé la première saison. J'ai beaucoup aimé le principe. Je ne sais pas si j'aurai pensé tout seul au fait de garder le titre. Donc j'ai appris que ça s'appelait une série d'anthologie, c'est-à-dire qu'il y a un seul titre "True Detective", moi c'est No body et d'une saison à l'autre on a d'autres personnages, d'autres histoires. Et c'est ça que je veux ! Je ne voulais pas m'enfermer dans un truc. Mais là, quatre épisodes pour une saison ça m'allait très très bien, je pouvais faire un album tous les 6 mois, et puis la saison suivante passer à autre chose et même utiliser des techniques d'écriture différentes. Là je suis vraiment dans la tête d'un personnage. Je vous emmène dans le cerveau d'un type sain/pas sain, vrai/pas vrai, à vous de voir, mais je suis vraiment dans son crâne. Pour la saison 2 je serai dans quelque chose d'un peu plus choral, il y aura plus de personnages ; j'espère un ton un peu plus léger par moment, encore que, je ne suis pas sûr d'arriver à le faire. Pour la saison 3 normalement je serai dans l'univers du football si j'arrive à aller au bout de mon idée. Normalement il y aura une saison qui devrait être dans l'univers steam punk. C'est pas tout à fait écrit non plus mais j'ai le principal. Ca me permet d'une saison à l'autre d'aller dans des quartiers différents et moi j'en ai besoin.

Paco : Et au niveau du dessin comment travailles-tu ?
C.DeMetter : Comment je travaille par rapport au dessin ?

Sloane : Tu parlais de sculpture tout à l'heure.
C. De Metter : Oui ça c'est la page, enfin la phase... ohlala, j'ai pas bu j'vous le jure... (rires) la phase recherche. Moi je dessine au pinceau donc j'ai tendance à voir les choses souvent sous un crayonné qui est assez "faux" parce que je sais que je vais modéliser au pinceau. Mais j'ai l'impression de faire de la sculpture quand je rajoute un peu de matière là ou là pour récupérer le dessin. Alors maintenant pour gagner du temps j'ai une base Photoshop parce que j'en pouvais plus de rechercher l'encre dont je m'étais servi pour la chemise de machin, quelle encre je prenais pour la peau, les cheveux… j'imprime ma base Photoshop comme ça c'est assez simple et je travaille sur cette base là ; je ne retouche pas par dessus. J'ai une base de colorimétrie et j'ai mon premier dessin qui est aussi imprimé ; du coup si je me plante je réimprime, c'est un vrai gain de temps quoi. Dans la mesure où je veux sortir un bouquin tous les six mois je suis obligé d'avoir un minimum de perte de temps.

Sinon mon dessin c'est un rapport de plus en plus douloureux ; physiquement et moralement douloureux parce que je ne suis pas un amoureux de mon travail. A chaque fois je me dis le prochain bouquin va être bien, je vais enfin prendre conscience qu'il faut que je dessine, que je montre que je suis au coeur des choses et puis en fait non, j'ai l'impression de ne pas y arriver ; j'ai donc un rapport un peu douloureux avec mon travail.

Paco : Moi je trouve que tu as une identité graphique très personnelle.
C. De Metter : Je ne sais pas, moi je ne vois que les défauts. C'est mon quotidien, mon mode d'expression depuis toujours ; j'ai l'impression d'avoir un défaut de prononciation.

Sloane : Ce que je trouve intérressant c'est que c'est un dessin très repérable, on voit que c'est du De Metter.
C. De Metter : C'est un tel bordel que pour m'imiter c'est compliqué.

Sloane : Et puis ce qui est intéressant c'est que ce n'est pas un dessin formaté ; je veux pas être méchant mais ça c'est un dessin formaté (là nous lui montrons une Bd d'un auteur que la bienséance nous interdit de nommer). Il y a plein de BD qui sortent avec le même style de dessins, de visages.
C. De Metter : Oui c'est vrai que j'essaie d'être dans le vivant donc de donner vie à mes personnages. Forcément il y a des moments où ça marche, d’autres pas trop ; c'est comme dans la vie des fois, on a une sale gueule, mais moi j'ai un rapport (comme beaucoup de dessinateurs) compliqué à mon travail. Enfin je pense qu'il y a ceux qui ne se posent pas de questions, tant mieux pour eux, d'autres qui s'en posent et dont c'est le moteur. J'ai l'impression que le temps passant on ne règle pas nos problèmes ; en fait ils augmentent. Moi maintenant j'ai des phases de trac avant de commencer un bouquin. Quand j'attaque j'ai un trac fou et je repousse, je repousse… Pas trop parce que je n'ai pas la possibilité mais je me dis "Bon allez, lundi prochain...". Ca va mieux, mais un trac dingue, je suis tétanisé.

Paco : Et puis hop les interviews et il faut s'y remettre !
C. De Metter : En fait je pense que c'est pareil pour n'importe qui dans son boulot, on s'arrête un peu et on a l'impression de ne pas savoir faire ; je pensais qu'avec le temps ça disparaîtrait, que ça n'augmenterait pas en tous cas… Du coup on fait avec.

Paco : Vu ta technique de dessin tu as des influences au niveau des peintres ? Quels sont ceux que tu aimes beaucoup et qui t'inspirent ?
C. De Metter : Quand j'étais jeune oui mais aujourd'hui c'est moins présent ; peut-être pas assez présent d'ailleurs, mais j'étais très marqué quand j'étais jeune par les illustrateurs anglo saxons de la BD : Dave McKean, la famille Wyatt, Andrew Wyatt, je ne sais plus le nom du grand père… Sinon les peintres, je suis très fasciné par les Degas, Manet, Eugène Carrière… J'aimerais bien oser aller vers du Eugène Carrière. Lui en fait ce sont des tableaux avec carrément du grain et du sombre partout et tout à coup il y a un visage lumineux qui apparaît en quelques touches. C'est exactement ça qui me plait, arriver à raconter une histoire entière avec juste quelques touches de lumière. Ca parait compliqué mais graphiquement c'est ce qui me plait. Qu'est ce qu‘il y a d'autre : Lucian Freud, si j'arrivais à avoir cette touche je serais ravi, c'est une touche très très épaisse ; il avait un liant très particulier, ses tableaux sont très épais ; va scanner ça !!! ( rires ).

Donc oui j'aime beaucoup les peintres. La peinture j'aimerais y aller quand je serai grand, quand je serai libre. Si un jour je n'ai pas de soucis d'argent, j'aimerais faire de la peinture pour gagner ma vie ; c'est un rapport au temps, de plaisir comme quelqu'un qui regarde la nature et qui se laisse vivre. J'espère avoir le temps de faire ça quand je serai plus vieux.

Paco : Tu es dans ce que tu racontes et en fait tu es très charnel.
C. De Metter : Oui il y a plein de choses que je dessine dont je me fous mais qui sont nécessaires à l'histoire comme par exemple dans le tome deux de faire des bikers ou des motos. Moi en fait les motos je m'en fous mais dans la BD si tu veux que le lecteur comprenne ton histoire tu es obligé de dessiner ça. En fait tu dessines des tonnes de cases dont tu te fous éperdument. Tu vois, si je pouvais dessiner en très grand, pour moi une case il faudrait qu'elle soit grande comme ça (avec ses mains il nous montre un format juste plus grand qu'un double A3) mais ce n'est pas possible. Quand je prends naturellement le crayon et que j'ai un peu d'espace, je suis là avec mes lunettes qui ne sont plus très bonnes et donc c'est un rapport un peu douloureux mais bon, j'essaie d'être le plus sincère possible. Mais attention je ne me moque pas de ce que je fais !

Paco : Moi ce qui m'a beaucoup interésse c'est le travail de la lumière ; les clairs obscurs qui donnent une ambiance et des personnages qui sont dans le double jeu : clair le côté officiel et le sombre...
C. De Metter : Moi j'avais l'impression d'avoir un peu raté ça, j'avais l'impression que j'avais des trucs en tête et que justement quand je les ai faits, d'être passé un peu à côté, d'être resté dans le gris. Mais en même temps ça me correspond, j'aime bien la nuance. Pour moi personne n'est ni blanc, ni noir, tout le monde est gris. J'avais envie d'un peu plus de clair/obscur comme tu dis, qui est présent sur la couverture, mais qu'à l'intérieur c'était un peu raté. Il faudrait que je le réouvre un de ces jours mais comme je ne réouvre pas mes bouquins...

(Nous lui montrons une case de son travail.)
C. De Metter : Oui c'est vrai que c'est bien présent sur lui.

Paco : Moi franchement ça m'a marqué.
C. De Metter : On a toujours l'impression de faire un peu mieux mais je sais que certains de mes camarades sont un peu comme moi et on ne retient que le négatif ; c'est un peu pénible, mais ça ne m'empêche pas de vivre.

Paco : Dans l'interview que j'ai faite tout à l'heure on m'a dit la même chose.
C. De Metter : On est tous des grands malades en même temps, c'est toujours pareil. Tu fais un bouquin et tu te dis "Il est nickel, je ne vois pas comment je peux en faire un autre derrière".

Paco : Tu es un fan des Doors ?
C. De Metter : J'aime bien le rock des années 60/70, les Doors, Led Zeppelin, Jimmy Hendrix, oui c'est ma culture.

Paco : Avoir situé l'histoire dans cette période c'était pour te faire plaisir ou ça évoquait quelque chose de particulier ?
C. De Metter : Au départ j'avais situé son incarcération dans les années 2000 et avec mon petit calcul ses 20 ans tombaient dans ces années là, ce qui m'arrangeait bien. Ce sont les années que j'aurais voulu vivre je pense et ça me permettait aussi un petit peu de symboliser son histoire. Il vient juste au moment où le rêve est fini ; il y a eu l'espoir hippie naïf des années 60 et à ce moment là c'est déjà en train de descendre. On se rend compte que l'héroïne ça tue, les Beatles se séparent, donc oui ça commence au moment où le rêve est fini. Au début j'avais mis des extraits de musique dans la BD mais il fallait payer des droits. Les Doors chantaient et il y avait les paroles ; il a fallu retirer tout ça. Il y avait aussi Dylan qui était présent, il y avait une chanson des Who un peu légère sur le mensonge, mais bon les maisons de disque demandent des trucs dingues, donc avec l'éditrice on a laissé tomber.

Paco : Tu t'es bien fait plaisir à dessiner les Doors quand même ?
C. De Metter : Oui mais pour moi il manque le petit truc en plus. Je précise que vous avez le générique sur le bouquin.

Paco/Sloane : Oui mais on ne l'a flashé ni l'un ni l'autre.
C. De Metter : C'est un petit générique comme à la télé avec une musique maison.

Paco/Sloane : Va falloir qu'on flashe alors maintenant.
C. De Metter : Obligé les gars et si vous n'y arrivez pas demandez à un flic, ils savent eux.

Sloane : Du coup vous travaillez en musique ?
C. De Metter : Il fut un temps oui mais plus maintenant. Maintenant c'est le silence. J'ai un petit bureau à moi tout seul et je n'ai pas de sono mais j'ai un poste de radio pourri. Et puis mettre de la musique sur ordinateur c'est pas extra. Fut un temps où je ne travaillais qu'en musique et je mettais de tout : du rock, Gainsbourg, du classique, du jazz...

Là le tome deux sort en avril, le tome trois est pratiquement fini au niveau du dessin mais je vais refaire deux planches parce qu'au niveau mise en scène ça ne fonctionne pas très bien. Donc sortie octobre 2017 et dernier tome printemps 2018. Après a priori on est parti pour un tome tous les six mois, je ne veux pas que ce soit au delà de ça. Déjà une série complète, attendre un an c'est long, alors là un bout de série...

Sloane : Oui ça évite de perdre le fil de l'histoire.
C. De Metter : Oui, déjà six mois je trouve ça un peu long mais je ne peux pas faire mieux et puis c'est vrai que la BD c'est long à fabriquer.

Paco/ Sloane : Bien, merci à toi et bonne continuation.
C. De Metter : Merci à vous.
Interview réalisée le 30/01/2017, par PAco et Sloane.