Editeurs et éditrices / Interview de Michel Jans - Editions Mosquito

Michel Jans a d’abord été auteur avant de fonder les Editions Mosquito, label indépendant qui trace le sillon de sa singularité avec beaucoup de passion et de talent.

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Michel Jans (cliquez pour voir la photo complète de Sergio Toppi et Michel Jans) Bonjour Michel, pouvez-vous retracer votre parcours ?
J’ai toujours été un amateur de BD. Dans les années 1980, je me suis retrouvé, de par mon boulot, à avoir beaucoup de temps libre devant moi. Je me suis remis à dessiner, sans idée de publication. Au bout d’un moment, j’ai pensé quand même faire le tour des maisons d’édition, et je me suis fait jeter. Rétrospectivement, je me dis que c’était probablement justifié. Comme je croyais à ce que je faisais, j’ai été un peu vexé.

J’ai intégré un fanzine de la région grenobloise, qui s’appelait Bulles dingues. On m’y a accueilli à bras ouverts, j’ai été publié et j’ai réalisé plusieurs couvertures du fanzine… Et puis, de fil en aiguille, j’ai essayé d’améliorer ce fanzine, je voulais que mon travail soit en bonne compagnie. Je me suis piqué au jeu, et je suis devenu rédacteur en chef ; j’ai été également publié dans beaucoup de fanzines de l’époque, un peu partout, et même à l’étranger.

Comment sont nées les Editions Mosquito ?
À la fin des années 80, j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de l’expérience fanzine. J’avais compris pas mal de choses, en termes d’organisation, de technique, de commercialisation. Comme je trouvais que nous n’évoluions plus, j’ai proposé à mes acolytes de monter une maison d’édition.

En 1989, Mosquito, petite maison d’édition associative, est né. Plus d’une centaine d’ouvrages sont parus depuis cette date. On y trouve bien sûr des albums, mais aussi des ouvrages sur la bande dessinée et quelques bouquins inclassables. Dans notre catalogue et dans notre façon de procéder on retrouve ce qui faisait notre originalité en tant que fanzineux. Dans Bulles dingues, il y avait les travaux de nouveaux auteurs, des articles sur des sujets particuliers autour de la bande dessinée. Tout cela se retrouve de manière amplifiée dans nos collections. À présent chaque rubrique est devenue un livre autonome.

Notre catalogue est assez large, avec souvent des auteurs peu connus, mais là aussi les choses évoluent : nous nous construisons avec les auteurs. Moi-même j’ai publié cinq ouvrages sous notre label. Nous sommes bien loin à présent des débuts bricolés, mais nous revendiquons le côté amateur, nous sommes des passionnés. Petit à petit le catalogue a grandi, nous nous sommes perfectionnés et notre public s’est élargi. Dans le petit monde des labels indépendants, nous avons apporté notre touche particulière.

Logo Mosquito Comment avez-vous trouvé le nom, le logo ?
Le nom est venu en réaction par rapport au titre de notre fanzine. Bulles dingues c’était un nom un peu ballot, connoté années 70. L’association que nous avions montée s’appelait Dauphylactère, autre mot-valise puisque nous étions du Dauphiné et que nous faisions dans le phylactère. C’était très malin, et souvent on nous a pris pour des ramasseurs de champignons (rires). Personne n’était jamais capable de se souvenir d’un nom aussi barbare ! Tout cela m’a poussé à chercher un nom facile à mémoriser.

J’ai trouvé « mosquito », qui me plaisait bien, cela reflète notre philosophie : un poil d’autodérision et un peu d’humilité. Nous étions conscients de n’être qu’une petite chose. Nous ne nous la sommes jamais jouée à la Rastignac ! Et le seul souhait que l’on pourrait avoir en tant qu’éditeur, ce serait de se multiplier, et d’être un peu piquant. Pour le logo, c’est un des copains de l’époque qui l’a réalisé. Son nom d’artiste était Kléda. Il a fait un album chez Futuropolis (Illia, en 1988), puis il a disparu de la circulation pour se consacrer à sa vie de famille et à l’enseignement. C’est bien dommage, parce que c’était probablement le plus talentueux dessinateur de l’équipe.

Une grande partie du catalogue est constituée d’auteurs italiens. Est-ce un hasard ?
Comme dans toute maison d’édition qui se respecte, le catalogue est le reflet des choix d’une personne. À la grande époque de Casterman avec [À Suivre], le meneur de jeu c’était Mougin, derrière le Futuropolis historique il y avait Etienne Robial, pour l’Association, on sait qu’il y a Menu qui impulse… Sans vouloir me comparer à ces figures de l’édition, il me semble qu’il y a toujours quelqu’un qui influe, qui fait des choix, et c’est ce qui va donner la tonalité, la couleur d’une maison d’édition.

Accéder à la fiche de La Légende de Potosi, de Sergio Toppi Mon histoire personnelle fait que je me suis très tôt intéressé à la bande dessinée italienne. Je lisais toutes les revues quand j’allais en vacances en Italie. Je n’avais que les 2-3 numéros de l’été, et je les avais conservés précieusement sans jamais connaître la fin des histoires… Tout cela est remonté à la surface quand il s’est agi d’élargir le catalogue Mosquito : très rapidement nous nous étions rendus compte que nous ne pouvions pas publier uniquement les copains et les gens de la région… Je me suis souvenu des gens que j’admirais dans ces revues italiennes et qui n’étaient pas publiés en France, j’avais envie de partager mes coups de cœur ! Il y avait en particulier celui qui allait devenir notre auteur phare : Sergio Toppi.

Avec des gens comme Hugo Pratt, Crépax et Battaglia il avait contribué à l’âge d’or de la bande dessinée italienne, mais étrangement il n’avait pas attiré l’attention des « grandes » maison d’édition, sans doute trop déroutant, pas assez commercial... Le fait d’avoir publié Toppi a attiré l’attention sur nous en Italie et cela a conduit chez nous bien des auteurs italiens, ils savaient qu’ils seraient compris… Parler italien cela facilite les choses ! Et de fil en aiguille, sans que cela soit planifié, nous avons pris une couleur latine. Mais si nous avons publié des grands anciens comme Toppi, Battaglia et Micheluzzi, nous n’avons jamais voulu n’être qu’un éditeur patrimonial. La création jeune et contemporaine est elle aussi très présente, je pense que ce qui fédère tous ces talents c’est la qualité… Jeune ou vieux ce sont des catégories qui ne présentent aucun intérêt.

L’une des spécificités des Editions Mosquito est d’avoir lancé une collection très intéressante, les « Monographies »… Que pouvez-vous en dire ?
Il y a une quinzaine de titres, parmi lesquels des auteurs tels qu’Andreas, Margerin, Caza, Juillard… Une jolie brochette d’auteurs reconnus. Dans le fanzine, quand nous réalisions des entretiens de 12 à 15 pages avec un auteur, nous nous sentions frustrés, à cause du manque de place, nous avions le sentiment d’être superficiels. Tout naturellement quand Mosquito s’est monté nous avons voulu aller plus avant avec les auteurs. Dans le même ordre d’idée, nous avons toujours gardé une forme d’intégrité éditoriale : nous n’avons consacré de livre qu’aux auteurs que nous aimions. Il y a des auteurs très commerciaux que nous ne sommes jamais allés voir parce que nous les apprécions modérément comme artistes.

Monographie Yann et Conrad Les années ont passé, nous sommes toujours dans la même logique de passion. Ce qui a changé, ce sont les moyens et le temps consacré à la préparation. Nous n’arrivons pas la bouche en cœur chez un auteur pour lui poser des questions passe-partout, nous essayons d’aller plus au cœur des choses. Nous ne sommes pas sectaires, notre collection va de Juillard à Baudoin en passant par Macherot, un grand auteur aujourd’hui trop oublié… Ce qui nous intéresse avant tout, c’est la démarche de l’auteur, nous avons toujours cette envie de comprendre et de partager.

Nous savons que nous ne gagnerons pas notre vie avec ça, les monographies ne se vendent pas à la brouette ! Personnellement j’ai impulsé beaucoup de ces Monographies, je les ai toutes mises en forme, et je me suis encore plus impliqué dans les deux dernières consacrées à Battaglia et à Toppi, c’était une façon logique de boucler la boucle, de leur rendre un légitime hommage. Je continue à maquetter les prochaines, et je viens de terminer celle consacrée à Yann et Conrad, annoncée pour octobre. Il y en a une en route sur Lepage, mais je ne m’investis plus dans les entretiens. Je ne voudrais pas jouer les Jacques Chancel de la BD ! Je pense qu’il est important qu’il y ait d’autres personnes qui réalisent les entretiens, c’est bien d’avoir une pluralité d’intervenants. Ce ne sont pas forcément des membres de notre association. Par exemple, je ne connaissais pas du tout le gars qui a fait l’interview de Yann et Conrad. Il m’a contacté, m’a montré ce qu’il avait réalisé. Cela tombait bien : nous aimons bien Yann et Conrad, et après avoir vérifié que nous étions bien sur la même longueur d’onde, nous avons travaillé ensemble, c’est très enrichissant ce type de rencontre.

L’avenir de cette collection sera dans les mains d’autres personnes, au gré des rencontres et des propositions qu’on nous fera. Il nous est arrivé de décliner certaines propositions, parce que les auteurs n’étaient pas très intéressants à nos yeux. En tout cas, nous espérons que la collection va perdurer, car elle représente un travail de recherche qui devrait rester.

Accéder à la fiche de Carnaval Rouge, de Michel Jans Vous êtes vous-même auteur de plusieurs albums ; comment gérez-vous cette double casquette auteur/éditeur ?
Le premier album que j’avais fait avait été publié par une petite maison d’édition dans le Nord. Cela m’a paru logique de continuer chez Mosquito lorsque nous avons lancé la maison d’édition. À présent, l’aspect éditeur a pris le dessus parce que j’ai une telle charge de travail que je ne peux plus vraiment dessiner.

Je n’exclus pas du tout d’y revenir, je pense encore et toujours à des sujets de bande dessinée. J’ai réalisé récemment les illustrations d’un livre que nous avons publié… La porte n’est donc pas totalement fermée. Je dois avouer que même si le travail est souvent lourd : faire naître des livres, monter des projets, rencontrer des auteurs bref, jouer à l’éditeur c’est vraiment passionnant. Mosquito reste une association, nous n’avons pas de salariés, uniquement des bénévoles et ce depuis 17 ans ! Les seuls à être rétribués dans cette aventure, ce sont les imprimeurs, et les auteurs, auxquels nous versons des droits. Je suis donc toujours obligé de travailler à côté pour pouvoir croûter. Mais je ne me plains pas, ce sont des choix assumés, parfois ils sont lourds notamment pour mon entourage…


Accéder à la fiche de Sharaz-De, de Sergio Toppi Vous nous avez permis de redécouvrir cet immense auteur qu’est Sergio Toppi, quasiment oublié depuis la série « Un Homme, une aventure », chez Dargaud en 1979. Merci ! Avez-vous quelque chose à dire sur cet auteur ?
J’étais sur le cul en lisant ses histoires dans les revues italiennes. Quand nous avons lancé Mosquito, je me suis rendu compte qu’il n’y avait eu que trois albums publiés en France, plus quelques fascicules de L’Histoire de France en BD. J’étais pantois d’admiration, aussi bien esthétiquement que narrativement. Je me disais que si cela me faisait autant d’effet, il devait bien y avoir d’autres zozos dans mon genre à qui cela plairait également.

J’ai donc été en Italie pour lui rendre visite, et je suis arrivé chez un vieux monsieur, qui était très étonné de voir un éditeur venu de France lui proposer de le publier. Il pensait qu’on l’avait oublié. Il travaillait encore à cette époque. Quand les revues italiennes ont disparu, Toppi a dû, pour continuer à vivre, réaliser ce qu’il faisait déjà à côté, c'est-à-dire travailler pour la presse enfantine catholique italienne. Il faisait des illustrations, des bandes dessinées plus ou moins didactiques, mais sa période totalement créatrice s’était arrêtée faute de supports. Quand nous sommes allés le voir, c’était pour republier les histoires qu’il avait accumulées durant les années 70 à 90, et qui n’avaient jamais été publiées en France. Notre grande fierté, c’est d’avoir réussi à lui retrouver un public chez nous.

Puis, quand Mosquito a eu des moyens financiers un peu plus importants, nous lui avons donné la possibilité de refaire de la création. Nous lui avons laissé carte blanche pour réaliser ce qu’il avait envie de faire. Ces dernières années, les bouquins publiés ont été créés pour nous, pour le marché français, et l’ironie de l’histoire, c’est que nous revendons actuellement les droits pour le marché italien ! Il faut toutefois garder les pieds sur terre, et reconnaître que tout cela reste bien marginal. Nous sommes bien loin des tirages de Titeuf ou de XIII !

Accéder à la fiche de Le Trésor de Cibola, de Sergio Toppi Toppi est maintenant un monsieur d’un âge certain, puisqu’il approche les 75 ans. Je me rappelle lors l’exposition de ses œuvres à Saint-Malo, il y a deux ans, Andreas, un grand monsieur, m’a dit :« Je vais sur la soixantaine, je craignais d’avoir fait le tour de ce que j’avais à dire ; mais quand je vois les planches de Toppi, réalisée à son âge et quand je vois la pêche qu’il y a dans son trait, je me dis que ce n’est pas le moment de raccrocher les gants ! » Le trait de Toppi a évolué, quoique extrêmement reconnaissable, mais il y a plus que jamais une formidable énergie. Et cela aurait été bien dommage de ne pas lui donner la possibilité de créer à nouveau. Il y a maintenant un public qui vient naturellement vers lui, mais bien des gens lourdauds, dans les milieux institutionnels, ne se rendent compte qu’il est un cran au-dessus du tout-venant.

Le Festival d’Angoulême va lui consacrer une exposition l’an prochain. Les choses évoluent heureusement. Un autre petit signe : la première publication que nous avions faite de lui, en 1997 (le Dossier Kokombo), et qui était sortie de façon confidentielle, est maintenant cotée au BDM ! Alors que nous avions eu tellement de mal à vendre les premiers tirages. Au premier Angoulême de Toppi, il n’y avait quasiment personne pour lui. Maintenant, il y a du beau monde dans les files de dédicaces. Giraud est venu le saluer pour lui dire toute l’admiration qu’il avait pour lui. L’an dernier, au festival de Solliès, Tardi a dîné avec nous pour nous dire qu’il admirait le travail de Toppi depuis très longtemps… S’il y a une chose dont je suis fier dans notre petit parcours éditorial, c’est d’avoir permis à un maître comme Toppi de refaire de la création et de retrouver un public digne de lui.

Que pensez-vous de la vague actuelle d’auteurs italiens sur le marché français, notamment chez Delcourt, Soleil et les Humanos ?
C’est une chose normale et cyclique, l’Italie a une véritable tradition et une culture de la bande dessinée. Il existe une foule de dessinateurs de grand talent, de véritables pros très rôdés qui tombent leurs pages sans état d’âme et qui rêvent tous du marché français, car chez nous -même s’il y a encore des raisons de se plaindre- il y a un public plus vaste, plus exigeant et pour un auteur plus de liberté créatrice qu’actuellement en Italie. Le gros des publications italiennes est trusté par l’éditeur Bonelli, le travail est de qualité, mais à mon sens pas très excitant. Le problème pour bien des auteurs italiens est de s’acclimater chez nous car les habitudes prises en travaillant sur des séries populaires très calibrées sont aussi un peu sclérosantes. Le passage d’un pays à l’autre n’est pas toujours très évident, ce qui marche là-bas ne fonctionne pas automatiquement chez nous et nos grandes stars ne trouvent pas automatiquement leur public en Italie.

Les livres des Editions Mosquito sont tirés entre 2 000 et 4 000 exemplaires. Comment comptez-vous devenir plus visibles ?
C’est vrai que depuis deux ans, avec la surproduction démente qui a cours dans la BD, on a de plus en plus de mal à être visibles. Il y a des libraires compétents qui font bien leur boulot, mais ils sont tous submergés par la masse des sorties, et les bouquins restent en place de moins en moins longtemps. Il n’y a plus de fonds : la nouveauté pousse la nouveauté, un livre n’a plus le temps de s’installer. À cela il faut ajouter que les médias, quand ils évoquent le 9ème art, vont toujours s’intéresser aux mêmes personnes. Je n’ai rien contre Satrapi ou Sfar, d’autant plus que ce dernier parle de la BD toujours brillamment, mais c’est agaçant de voir que les médias manquent à ce point de curiosité et d’ouverture d’esprit.

Accéder à la fiche de Afghanistan, de Attilio Micheluzzi Je ne veux pas prêcher pour ma paroisse, mais chez les labels indépendants il existe aussi des productions remarquables qui ne sont pas forcément estampillées « L’Association ». Chez Mosquito, nous avons une politique éditoriale plus classique que certains de nos collègues indés, nous ne sommes pas outrageusement avant-gardistes, nous essayons de publier des bouquins de qualité avec une certaine originalité et surtout une lisibilité. C’est dur d’aller à contre-courant de la mode imbécile de la nouveauté à tout prix. Cette fuite en avant tendrait à faire oublier que nous avons des racines. Prenons l’exemple de Micheluzzi, qui était pour moi l’un des meilleurs auteurs de bande dessinée. Du jour où il est mort, son éditeur français, en l’occurrence Casterman, a arrêté d’imprimer ses œuvres. Il y avait du matériel inédit, qui aurait permis de continuer à faire connaître ses productions pendant des années…

Nous travaillons actuellement sur une série de Micheluzzi, avec une héroïne Petra Chérie qui a tout pour plaire : plus de deux cent pages d’aventures racontées avec classe, avec humour. C’était paru en Italie uniquement en magazines, jamais en album. Battaglia est mort, il y a presque trente ans, et il avait été complètement délaissé alors qu’il reste encore de véritables perles à publier. Ce n’est pas in, la dictature des crétins du marketing qui sévissent dans les grosses boîtes a décrété que ce type d’ouvrage n’est pas digne d’exister parce que ça ne se vend pas assez ! Je ne peux que me réjouir de voir votre démarche, quand un site comme le vôtre essaye de montrer des ouvrages différents, et essaye d’attirer l’attention, je me sens moins seul !

Les 5 jours de Grenoble Pouvez-vous nous parler des 5 jours de Grenoble ?
C’est un festival que nous organisons chaque année, et c’est l’occasion de réunir des auteurs qui nous plaisent. Nous prenons comme invité d’honneur une personnalité qui a un impact grand public, car ce type de manifestation pour être viable se doit d’être populaire. À ce niveau-là, notre démarche est bien différente de celle que nous avons en tant qu’éditeur : là nous sommes résolument œcuméniques. À côté des « vedettes » nous invitons des auteurs plus difficiles ou moins connus, nous aimons également recevoir des « vieux crocodiles », ils ont des tas d’anecdotes à raconter, ils sont la mémoire vive de la profession, j’ai passé avec eux des soirées inoubliables. Rencontrer les gens qui ont travaillé avec Hergé comme sa coloriste Josette Baujot et son compagnon Azara, c’est fabuleux ! Quand on voit Eddy Paape, qui a 60 ans de carrière, se réjouir comme un gosse de la foule qui fait la queue pour avoir une dédicace, c’est super ! Et souvent, dans ces longues soirées de festival, il arrive que l’on monte des projets éditoriaux inattendus. C’est enfin un moment de rencontre avec le public et là, comme pour les auteurs, on a un retour sur son travail, c’est agréable de discuter avec ceux qui nous soutiennent !

Quelle est l’ambition des Editions Mosquito ?
Faire découvrir au public d’aujourd’hui des productions qui n’existeraient pas, si on suivait la logique actuelle des grosses maisons d’édition. Il est ahurissant de constater qu’il n’y a aucune maison d’édition en France qui ait jugé utile de publier l’adaptation de Gargantua et Pantagruel par Battaglia. Il en va de même pour les œuvres de Toppi, ce sont des merveilles de beauté et de subtilité. Il faut faire vivre ces grands classiques toujours actuels, au même titre que Terry et les pirates, la Ballade de la mer salée ou Ici même…

Je nous vois dans le rôle humble mais indispensable de passeur. Les nouvelles générations de dessinateurs, en découvrant cela, verront qu’il existe une forme de bande dessinée différente de la soupe mise en tête de gondole à Carrefour, ils comprendront qu’il est possible de raconter en sortant des stéréotypes. La bande dessinée n’est pas condamnée à raconter la 53 millième histoire du gros balèze qui court dans la forêt pour délivrer la petite trolle aux gros seins… Toute cette bande dessinée de merde-là, n’est pas la seule qui doive exister. Giraud, Bourgeon, Juillard, Boucq sont des créateurs forts, mais il faut arrêter de les copier servilement.

Blues, de Sergio Toppi Il faut être exigeant, et là je reviens à mon Mosquito, fatalement, quand on est exigeant, on reste marginal. On sait qu’avec une telle ligne éditoriale, on ne vendra pas en supermarché. C’était clair dès le départ et cela ne nous chagrine pas, notre ambition n’est pas de rouler en Ferrari et d’avoir une Rolex de barbeau comme certains éditeurs ! Nous ne travaillons pas pour nous faire des couilles en or, ni pour flatter le grand public. Mais ce que nous éditons a le mérite d’exister. Les gens qui ont un sens de l’esthétique, le goût de l’histoire forte et graphiquement originale, se retrouveront avec nous. Cette revendication de faire de la bande dessinée « autre » s’inscrit pleinement dans notre identité d’éditeur indépendant. Les labels indépendants ont tous contribué, avec des sensibilités différentes, à montrer qu’il y avait des manières alternatives de raconter des histoires.

Des nouveautés, des parutions prochaines à signaler ?
Nous allons sortir en septembre un nouvel album de Toppi, Blues dont l’une des histoires a été dessinée pour nous au début de l’année. Rien que la couverture est un bijou : c’est tout un monde en une image ! Et puis il y aura également une monographie sur Yann et Conrad, un livre de Milazzo qui se passe en Amazonie et un album de notre nouvelle série de western fantastique Esprit du vent… Après, nous attendrons gentiment 2008, faut quand même pas trop contribuer à la surproduction actuelle, non ?!

Michel, merci.



A voir :
Une photo de Sergio Toppi et Michel Jans
Le site officiel "Mosquito"
Interview réalisée le 19/06/2007, par Spooky.