Editeurs et éditrices / Interview de Patrick Pinchart - Sandawe

Dans la jungle des éditeurs numériques, Sandawe propose une voie originale, qui a fait ses preuves dans la musique. Rencontre avec l’éditeur, Patrick Pinchart.

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Patrick Pinchart - Sandawe Hello Patrick, peux-tu nous présenter Sandawe en quelques mots ?
Sandawe est la première maison d'édition de bande dessinée fondée sur le principe du financement participatif, qui laisse aux lecteurs la possibilité d'éditer les albums de bande dessinée qu'ils aiment en achetant des "parts" d'édition. Lorsque l'album paraît, ils se partagent les bénéfices en fonction de leur investissement, et reçoivent divers collectors. Mais, surtout, ils ont la possibilité de suivre la réalisation de l'œuvre, de dialoguer avec les auteurs, etc. Des choses qui, auparavant, n'étaient accessibles qu'aux professionnels.

Comment vous est venue cette idée, à toi et tes camarades ?
J'ai eu cette idée en écrivant un article sur Akamusic et MyMajorCompany, qui avaient appliqué ce principe à la musique. J'ai travaillé 22 ans aux éditions Dupuis, comme rédacteur en chef du journal "Spirou", puis comme responsable du "Multimédia", et enfin comme éditeur. J'étais frustré car paraissaient dans le journal "Spirou" d'excellentes séries que l'éditeur, finalement, ne publiait pas en album. En tant que lecteur, je trouvais cela injuste, d'autant plus que j'appréciais ces séries. Le principe du financement participatif permet aux lecteurs de donner leur avis et de choisir les bandes dessinées qu'ils souhaitent voir éditées, en participant à leur financement. En fait, c'est déjà le lecteur qui, dans l'édition traditionnelle, fait le succès d'un album, mais en l'acquérant ou non chez le libraire. Ici, il peut faire ce choix avant même sa création.

Et le nom de la maison d’édition ?
C'est le nom d'une tribu africaine qui a des valeurs qui me plaisaient. Il n'y a pas de leader, tout se décide en commun ; il n'y a pas de propriété, tout appartient à la communauté ; ils ont un profond respect pour les femmes et les enfants ; très débrouillards, ils sont habitués à survivre dans des conditions très dures (et, vu le marché actuel de la bande dessinée, c'est bien nécessaire) ; et, finalement, ils ont un langage par "clics", comme dans "Les dieux sont tombés sur la tête". Pour une communauté sur internet où l'on doit cliquer sur des liens pour participer, cela m'a plu... malgré les difficultés de prononciation de ce nom.

Cliquez pour accéder à la page de Il Pennello sur le site de Sandawe Quels sont les rapports entre ActuaBD et Sandawe ?
Je suis l'éditeur d'ActuaBD et de Sandawe. Les deux sites sont partenaires. La rédaction est libre de ses choix, et soutient les projets qu'elle juge intéressants, en toute indépendance. Les rédacteurs sont donc libres ou non d'écrire des articles nous concernant, mais s'engagent à défendre les projets qu'ils ont soutenus. Et le site ActuaBD leur donne un coup de pouce publicitaire en fonction des possibilités.

Comment peut-on faire pour entrer dans la Tribu Sandawe ?
Simplement, en s'inscrivant sur le site www.sandawe.com.

J’imagine que ton expérience d’ancien rédacteur en chef de Spirou a dû t’aider pour amener et choisir des projets…
Les premiers projets ont en effet été ceux de séries et d'auteurs que j'appréciais. Mais dès l'annonce de la création de la société, d'autres auteurs m'ont contacté. Je reçois de nombreux projets. Et, effectivement, dans un premier temps, je dois faire le tri, et mon expérience de rédacteur en chef et d'éditeur au journal "Spirou" m'est bien utile pour conseiller les auteurs. Je suis très sélectif car je ne veux autoriser au financement que des albums professionnels, par des auteurs qui ont le potentiel de réaliser une œuvre qui aura une chance d'exister dans la jungle de la surproduction.

Le premier tome financé par les édinautes est justement le fait de deux auteurs de chez Dupuis, Zidrou et E411… Un hasard ?
Le hasard, c'est qu'ils aient été les premiers édités ; par contre, c'est "Il Pennello", un projet qui n'a rien à voir avec Dupuis, qui fut le premier à avoir été financé.

Accéder à la BD Maître Corbaque Ne crains-tu pas que du coup Sandawe recevra l’étiquette d’éditeur d’humour ?
Au début, nous avons été confrontés au scepticisme de certains : "C'est la STAR'AC', votre projet, les lecteurs vont choisir de la BD facile, vous allez éditer de la soupe, vite consommée, vite digérée". Si Maître Corbaque est une bande dessinée d'humour, on est loin de la soupe annoncée : c'est de la bonne BD d'humour classique. Et les trois autres projets sont très différents, démontrant que les auteurs ont des goûts très variés, et choisissent des œuvres qui ne correspondent pas forcément à ce qu'on pourrait appeler avec dénigrement de la "BD commerciale".

J’ai eu un exemplaire « presse » de ce premier album, avec quelques bonus. Comment se présente un album vendu dans le commerce ? Y précise-t-on la démarche de Sandawe ?
C'est un album traditionnel de 48 pages de gags et de récits complets, dont deux pages qui expliquent le concept de Sandawe. Nos albums ne se différencient pas de l'édition classique, seuls les modes de financement et de promotion (effectuée elle aussi avec l'aide des "édinautes" comme je les ai nommés) nous différencient.


Une BD financée à 100% est-elle automatiquement éditée ou y-a-t-il tout de même un regard éditorial dessus ?
Le regard éditorial est à l'entrée. Les projets ne sont pas proposés au financement s'ils ne sont pas de qualité. C'est moi qui choisis. J'essaie d'être le plus objectif afin de ne faire intervenir que des critères de qualité, et pas mes goûts personnels. Mais, bien sûr, les lecteurs, en fonction de leurs goûts propres, apprécieront ou non certains de mes choix.

Cliquez pour accéder à la page de Maudit Mardi ! sur le site de Sandawe En ce moment les initiatives en termes de BD numériques fleurissent, quelle est vraiment l’originalité de Sandawe ?
Le filtrage à l'entrée est certainement un premier point : les autres sites laissent tout le monde financer leurs projets et les œuvres professionnelles sont donc perdues dans les travaux d'amateurs (je parle de la musique). Nous utilisons toutes les possibilités de la technologie actuelle : le livre est automatiquement disponible en version papier et en version numérique, et un livre-bonus gratuit peut être téléchargé gratuitement en numérique ; s'il plaît aux lecteurs, ils peuvent en faire imprimer un exemplaire via un prestataire de "POD" ("Print on Demand").

Quels autres albums vont sortir ?
En août, le premier tome de "Maudit Mardi !", album très personnel de Nicolas Vadot, digne de ce que l'on trouve dans la prestigieuse collection "Aire Libre" des éditions Dupuis ; et "Il Pennello", une bande dessinée d'anticipation de Jean-Marc Allais et Serge Perrotin, qui démarre en clin d'œil à La Quête de l'Oiseau du Temps de Loisel et Letendre, dans un Paris du milieu du XXIe siècle. Le quatrième financé, "Hell West", est un western fantastique très original de Thierry Lamy, superbement dessiné en noir et blanc par Frédéric Vervisch. Que du très bon, donc !

Patrick, merci.
Interview réalisée le 05/04/2011, par Spooky.