Auteurs et autrices / Interview de Thierry Gloris

Thierry Gloris est un auteur récent dans la BD, mais le foisonnement de ses projets en fait l’un des acteurs à suivre pour les prochaines années. Découverte.

Voir toutes les séries de : Thierry Gloris


Thierry Gloris Quelle est la série qui t’a donné envie de faire de la BD ?
Astérix ! C’est LA série qui a bercé toute mon enfance.

Comment es-tu « entré » dans le milieu ?
Une grosse envie de raconter des histoires, une passion pour le 9ème art, beaucoup de ténacité, beaucoup de travail… et un jour, la chance de rencontrer le talent de Mickaël Bourgoin.

C'est quoi la réponse de la foutue charade en quatrième de couverture du dernier tome du Le Codex angélique ?
Ha ! Ha !
La charade de 4ème de couverture du Codex 3 :
1) Mon premier est le pseudonyme du véritable auteur du C3: NATAZAËLLE (C'est elle qui se confie à Angus et qui met ses dires par écrit dans le Codex Angélique...)
2) Le reflet de la lettre Z: S !
3) N'est là que pour le folklore séraphique (synonyme d'angélique): Les ailes ! autrement dit les : ËLLE, après les prénoms angéliques (Rapha-ël, Micha-ël, Ezeki-el... etc...)
Au final, il reste: NATAS... et là, 99% du boulot est fait. J'avais bien dit: "Bon mal de tête" ou comment réinterpréter une troisième fois la trilogie.

Accéder à la BD Le Codex angélique Vas-tu retravailler avec Mikael Bourgouin ?
Rien n’est fermé. Nous avons terminé notre trilogie dans la sérénité. C’est essentiellement à Mickaël qu’il faut poser la question, pour savoir s’il veut revenir dans le monde de la BD ou passer à autre chose. En tout cas, de mon côté, je suis ouvert !

Combien de tomes pour Waterloo 1911 et pour Souvenirs d'un Elficologue ?
Des trilogies pour les deux avec possibilité de suite pour l’Elficologue sous forme de diptyques.

Apparemment Saint-Germain est basée sur une idée de JF Bergeron, donc je voulais savoir quelle est la part qui lui revient et ce que tu as apporté à l'histoire de départ.
Ce qui revient à JF, c’est l’envie de travailler sur le personnage de Saint-Germain et ce côté très iconoclaste du traitement : De la science-fiction en plein siècle des Lumières. Lui était plus fantastique, j’ai poussé vers une sorte de « science-fiction » du rouage et du pendule.

Accéder à la BD Saint-Germain Saint-Germain avait tout pour être publié chez Delcourt. Qu'est-ce qui l'a amenée à être publiée chez Glénat ?
Les aléas de l’édition ! Saint-Germain aurait pu être signé un peu partout. JF travaillant déjà chez Soleil, il ne se sentait pas de « passer au frère ennemi », essentiellement par respect pour son éditeur historique. Le premier accueil chez Glénat avait été chaleureux (juste avant la césure avec 12bis), nous avons donc signé chez eux.

Je n'ai pas compris ce que représentait l'ombre de la fumée sur la lune. Ca représente quoi ? On dirait un masque bien sûr, mais celui de qui ?
Tout simplement le masque du Babillard, l’alter ego de Saint-Germain.

Saint-Germain est très souvent comparé à De Cape et de Crocs par rapport au dessin et aux fins dialogues. Cela t’énerve-t-il ou te flatte-t-il au contraire ?
Je suis très flatté de la comparaison, De Cape et de Crocs est une série que j’adore. Ceci dit, je pense vraiment que nous sommes au niveau du fond de l’histoire très loin d’Eusèbe et d’Armand…

Accéder à la BD Malgré nous Ton actualité est brûlante, avec la sortie récente de Missi Dominici et de Malgré nous… cette concomittance était-elle voulue ou est-ce le fruit du hasard ?
Comme souvent, le hasard total !

Malgré nous inaugure, parmi tes œuvres du moins, ton entrée dans le genre historique. Qu’est-ce qui t’a motivé à raconter cette histoire ?
Cela faisait un petit moment que j’avais envi de me frotter à une fiction réaliste, me remettre en question, essayer de nouvelles choses. Le fait que ma grand-mère ait été alsacienne et m’ait raconté quelques anecdotes de son expérience durant la seconde guerre mondiale, m’a poussé à écrire cette histoire. Cette série est très certainement une de mes plus personnelles.

C’est marrant parce qu’au départ tu étais historien, mais tu t’es d’abord fait connaître dans le genre fantastique… Comment concilies-tu les deux ?
Ma formation me permet d’avoir des bases solides pour travailler sur toutes les époques. En revanche, elle n’a jamais fait de moi ni un conteur, ni un scénariste. Au début je cherchais avant tout à apprendre, à raconter par la dramaturgie. Je n’ai pas voulu travailler sur de l’Historique pure à cette date afin de ne pas rendre un « devoir d’Histoire », mais une dramaturgie.

Accéder à la BD Missi Dominici Tu as bossé chez Spirou, mais tu n’as encore rien publié chez Dupuis… Flipville aura une suite ?
L’expérience Spirou/Dupuis a représenté pour moi une expérience difficile et en même temps très formatrice. Ceci dit, je ne regrette rien et je serai ravi d’écrire une série pour la maison du groom. Flipville n’aura pas de suite.

A moins que tu prépares quelque chose mettant en scène un groom et un grand échalas blond ?
Hé ! Hé ! L’abus de consultation de ma page facebook entraîne des idées saugrenues…

Au milieu de toutes les séries actuellement en cours, à ton actif, laquelle te motive le plus, s’il y en a une ?
J’aime toutes mes séries à parts égales. Certaines sont plus difficiles d’accès, d’autres s’adressent à des publics populaires ou adolescents, d’autres encore sont soutenues par des graphismes singuliers. En tout cas, elles sont toutes différentes. C’est cette hétérogénéité que j’aime et que je recherche. Parfois, cela me joue quelques tours avec les lecteurs qui suivent mes aventures scénaristiques d’album en album. Je comprends que certains peuvent se sentir floués d’avoir aimé une série et ne pas retrouver les mêmes sensations sur la suivante. Mais c’est le jeu. De mon bord, cette démarche est directement liée à une volonté d’auteur d’expérimenter le plus possible, quitte parfois à me planter.

Te vois-tu, un jour, scénariser une série de SF ou d'anticipation, genres assez éloigné de tes horizons actuels ?
Je suis actuellement sur l’écriture de deux projets de SF… à ma sauce forcément !

Un extrait de ASPIC - Les détectives de l'étrange On a entendu parler d'un projet chez Quadrant avec Lamontagne, le dessinateur de Les Druides, ça s’appelle pour l’heure "Les Mystères de Paname" et on peut voir quelques jolies planches sur internet... Peut-on en savoir plus à ce propos ?
Le projet, « ASPIC, Détectives de l’étrange », est né de la volonté des auteurs de renouer avec la veine fantastique et populaire des romans feuilletons du XIXème siècle. Le but est donc de retranscrire en bande dessinée l’atmosphère de tous ces ouvrages qui ont peuplé l’imaginaire de notre enfance. De ce fait, notre histoire campe son intrigue à la fin d’un XIXème siècle légèrement décalé, où peuvent se croiser dans la même rue, les grands auteurs de la littérature classique et les personnages fictifs nés sous leurs plumes.

Le scénario est structuré à partir d’une trame policière conventionnelle qui vire progressivement dans le fantastique. Le cahier des charges est donc classique : Un meurtre/un vol ; une recherche d’indices ; une résolution d’énigme par déduction analytique.

Un extrait de ASPIC - Les détectives de l'étrange Les personnages principaux sont Flora Vernet, jeune fille de bonne famille qui s’encanaille à jouer les enquêtrices et son premier client, Hugo Beyle, qui va rapidement devenir son coéquipier. Ils travaillent sur une affaire apparemment mineure : un vol de montre à gousset. A côté de cette équipe peu expérimentée et juvénile, le grand détective parisien Auguste Dupin - personnage inventé par E. A. Poe - suit une piste beaucoup plus sanguinolente et périlleuse.

Tout au long du récit, nous procéderons à une série de références littéraires qui s’intégreront soit à l’énigme à résoudre soit aideront à décrire une atmosphère « historico romanesque ». Notre volonté est de réunir dans le média BD, les deux grands courants littéraires « concurrents » du XIXème siècle et du début XXème : La littérature populaire (Dumas, Verne, Gaboriau, Leroux…) et les « grandes auteurs » (Flaubert, Stendhal, Balzac, Hugo…). L’intention première est d’utiliser le moins possible d’auteurs anglo-saxons comme références hormis le plus francophile d’entre eux : Edgar Allan Poe.


Comment choisis-tu tes multiples dessinateurs ?
Il n’y aucune règle. Le plus souvent, je travaille avec des dessinateurs que je connais depuis plusieurs années: Bergeron, Lamontagne. Parfois, c’est le hasard des rencontres : Bourgoin, Zarcone, Terray, Dellac, Cyrielle. Et de plus en plus souvent une mise en relation effectuée par un éditeur : Bordier, Mouclier...

La couverture de Tokyo Home Dans tes différentes séries, tu te plais à voyager à travers les époques mais demeures de préférence dans le passé et en Europe. L'époque actuelle ne t’inspire-t-elle pas ? Pas plus que les autres régions du monde ? Ou n'est-ce qu'un hasard ou un manque d'opportunité ?
Alors désolé, mais je vais sortir deux autres albums début 2010. L’un se passe à Tokyo actuellement et mettra en œuvre une jeune française : Julie Wallon. L’histoire sera amusante et burlesque, le titre sera : « Tokyo Home » et sera édité par Dargaud.
Le second plantera son décor à Paris, à notre époque et se nommera : « Ainsi va la vie… » aux éditions Drugstore. Il s’agira d’une histoire « chorale » qui mettra en scène les désillusions et les espoirs de quelques adulescents issus de ma génération.
L’un et l’autre comporteront une forte pagination même s’ils s’adresseront à des publics forts différents. Si vous me suivez, ces séries ont été signées, il y a bien longtemps déjà ! Donc non, je n’ai aucun a priori sur de quelconques sujets, lieux ou époques, il suffit juste d’avoir des choses à raconter dessus.

Tu peux nous en dire plus sur Tokyo Home ? Et sur Ainsi va la vie ?
Alors : La démarche première de « Tokyo Home » est de marcher sur les traces de la grande tradition du « SHOJO » japonais. N’étant pas issus de la culture nippone, il est évident que nous ne cherchons pas à rivaliser avec les maîtres de cette « discipline » mais plutôt à l’amender avec notre vision européenne du monde et nos mœurs latines. Nous introduirons donc dans ce genre très codifié des thématiques plus proches des préoccupations des adolescentes de l’Hexagone. Le biais pour parvenir à nos fins va peut-être paraître saugrenu, mais il répond à une attente, au fantasme de toutes les jeunes fans de shôjô : connaître le Japon intimement. Pour ce faire, notre héroïne, Julie Wallon, va s’installer au Japon.

Un extrait de Tokyo Home Suite à un chagrin d’amour compliqué et douloureux advenu en France, notre héroïne trouve refuge chez son père - Jean-Raymond Wallon dit Dji-Ray – qu’elle connaît peu. En effet, il s’est séparé de la mère de Julie, il y a plus de dix ans et s’est exilé dans la foulée au pays du Soleil levant. Elle ne le connaît donc que par photos et conversations téléphoniques.

Julie débarque donc à Tokyo avec un regard ingénu et utopique. Elle ne connaît de l’archipel que ce qu’elle en a lu dans les mangas et vu à la TV. Une fois le contact (difficile) rétabli avec son géniteur, le premier défi pour Julie sera l’apprentissage de la langue. Graphiquement, nous ferons apparaître cette progressive imprégnation du japonais sur notre héroïne en mixant dans les bulles des autochtones, des kanji et l’alphabet occidental. Au fur et à mesure, le français s’imposera faisant ainsi comprendre aux lecteurs que Julie devient bilingue.

Au final, Tokyo Home se veut d’une lecture fluide, sentimentale et humoristique afin de ne pas heurter les habituées des shôjô. Néanmoins, l’univers que nous mettrons en relief sera plus proche du Japon contemporain avec ses travers. Le défi à relever est de créer une nouvelle forme de BD adressée aux jeunes filles de l’hexagone sans pour autant les considérer comme des consommatrices mais comme des lectrices avisées et indépendantes dans leurs choix.

Un extrait de Ainsi va la vie Le titre - « Ainsi va la vie… » - peut sembler abscons au premier abord. Pourtant, il retranscrit ce qui fait, à mon sens, notre existence: une suite de petits moments, agréables ou irritants qui, mis bout à bout, font une vie bien remplie. Les grandes idées et les utopies ne font vivre que les archétypes de romans et s’effritent à se confronter au quotidien. De là à dire que la vie n’a guère de sens, il n’y a qu’un pas. Ceci dit, nous n’avons guère de choix et nous devons tracer notre chemin cahin-caha. Les six acteurs de cette nouvelle graphique sont au cœur de cette problématique et devront chacun à leur façon trouver un sens à leur propre vie...

Nos héros sont six trentenaires. Laurent et Sophie sont en couple et ont réussi socialement. L’un travaille dans la banque, l’autre dans l’éducation nationale. Stéphane et Natacha, les voisins de palier, luttent pour subsister et jonglent régulièrement entre petits boulots et Assedic. Jean-Édouard, le colocataire de Stéphane, s’enfonce dans sa dépression. Cette dernière le condamne au RMI et aux aides sociales. Quant à François, le rêveur, il semble déconnecté de la réalité et ne vivre béatement qu’à travers ses souvenirs idéalisés. Aux origines, ils étaient tous étudiants et rêvaient de changer le monde. Ils formaient une petite tribu hétérogène qui ne pensait qu’à jouir du moment présent sans se soucier de l’avenir. Le temps a passé avec ses aléas, ses déceptions et chacun a construit sa vie dans l’indifférence des autres. Certains sont restés en contact, d’autres ont rompu les ponts avec le passé et leurs amitiés de jeunesse. Pourtant, chaque année, à l’approche du printemps, ils se rassemblent à la terrasse du bar-tabac, « Chez Lucette ». Ce rituel immuable pèse lourdement sur chacun des acteurs de notre récit comme une épée de Damoclès. Il est une fatalité, une date fixe cochée sur le calendrier dont on sait l’avènement inéluctable dès la venue des beaux jours.

Tous les personnages ont un vernis social qui craquelle tout au long du récit. Chaque acteur, dans un jeu de miroir renvoie sa psychose aux autres personnages. Ceux-ci se protègent en rejetant à leur tour, leurs propres angoisses dans une partie de ping-pong psychologique qui semble ne pas avoir ni fin ni finalité. Dans cette joute de rancœurs, terriblement banale, il n’y a pas de règle. Chacun devra passer par un processus de résilience afin d’accepter le passé et peut-être tourner la page… La solution ne se trouvera pas dans l’opposition avec l’autre, mais dans l’acceptation de sa propre fragilité.

Quels sont tes autres projets ?
Beaucoup de choses dans les tubes mais il est encore trop tôt pour en parler ! De sûr, beaucoup de « suites » en perspective.

Thierry, merci.
Interview réalisée le 15/11/2009, par Spooky, avec la participation de GiZeus, Guillaume.M, kalish, Mac Arthur, Ro et pol.