Les derniers avis (82 avis)

Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Les Navigateurs
Les Navigateurs

Fidèle à son sacerdoce, consistant à réintégrer la tradition littéraire « fantastique » européenne dans la pop-culture mondiale, Serge Lehman a mis en lumière une mouvance marginale dans l’art du XIXe siècle, celle de la peinture symboliste et ésotérique. Pour ce faire, il s’est centré plus particulièrement sur Odilon Redon, artiste tourmenté et décalé qui eut sa période noire, où il représentait des chimères cauchemardesques, avant de s’orienter vers des thèmes plus sobres, plus lumineux. Partant de là, Lehman, scénariste érudit à l’imagination féconde, va tisser un univers fictif et original en évoquant des courriers imaginaires du grand Jean Cocteau, des œuvres disparues, des artistes obscurs ou inventés tel ce Ferdinand Krebs, auteur supposé de la fresque dans la chambre d’une des protagonistes, Neige Agopian. Et si Serge Lehman se réfère à Cocteau, ce n’est pas totalement par hasard, puisqu’avec « Les Navigateurs », il reprend le credo de l’artiste de mêler le rêve à la réalité. Par la découverte d’une fresque dissimulée sous un vieux papier peint, va naître, comme si une porte avait été ouverte sur l’inconnu, une aventure étrange, entraînant les protagonistes vers une dimension onirique parallèle à la réalité plus familière. Particulièrement bien ficelé et d’une originalité rare, ce récit nous entraîne en région parisienne, où trois potes d’enfance vont mener leur propre enquête pour retrouver leur amie Neige revenue récemment de l’étranger, celle-ci ayant disparu corps et biens dans la maison familiale où elle venait de s’installer, de façon très mystérieuse. La psychologie des personnages, principaux comme secondaires, est très bien dessinée, et c’est le point fort de cet auteur. Il y a d’abord Max Faubert, écrivain technophobe amoureux de la poésie, rédac-chef d’une petite maison d’édition héritée par Sébastien, fils à papa stylé et faux snob très cultivé, aux opinions bien tranchées. Vivant sa vie un peu à l’écart, Arthur est le rebelle du trio, l’aventurier un brin asocial qui a fait les 400 coups depuis l’enfance, doté d’une prothèse de tibia qui lui donne de faux airs de pirate. Celui-ci, vivant toujours avec ses deux tantes, console sans modération ses douleurs diverses avec l’alcool ou l’herbe. Quant à Max, cette aventure lui permettra-t-elle d’exorciser des traumatismes très enfouis, qui s’accrochent à sa psyché comme le sparadrap qu’il porte sur sa joue ? Tout au long de ces captivantes 200 pages, les indices vont s’accumuler pour reconstituer peu à peu toutes les pièces d’un puzzle incroyable, jusqu’à ce point de bascule vers une dimension parallèle aux accents oniriques, où une étonnante poésie horrifique échappe à tous les repères temporels, une poésie magnifiée par l’excellent dessin de Caneva. Et comme le suggère le titre, « Les Navigateurs » ont à voir avec le monde de la mer, d’une portée symbolique très riche qui part des mythes ancestraux jusqu’à Freud, pour qui elle représente l’inconscient du rêveur dans son immensité, ce que Lehman va exploiter abondamment ici. Ce fameux « monde de la vieille mer » décrit dans le livre s’appuie sur les recherches hydrologiques du XIXe siècle de l’ingénieur Belgrand, qui avait découvert que le Bassin parisien était complètement submergé par les eaux à la préhistoire, que Montmartre était une île et Montreuil une ville côtière… N’était-ce pas le sujet rêvé pour l’amateur de mythes et de mystères qu’est Serge Lehman ? Ainsi, comme on le verra, cette aventure vers une réalité maritime alternative donnera à Max l’opportunité de laver son âme blessée… Stéphane de Caneva, qui en est à sa troisième collaboration avec Serge Lehman, nous livre un dessin maîtrisé qui évoquerait les comics US, mais dans un style écartant la violence souvent inhérente au genre. Il y adjoint une jolie touche poétique qui atteint son summum dans la dernière phase de l’histoire, avec une étonnante variation graphique pour signifier le basculement dans une dimension parallèle. Véritable invitation au rêve, qui plus est bénéficiant d’une édition soignée pour mettre en valeur la très belle couverture, « Les Navigateurs » s’impose comme une des meilleures aventures fantastiques de l’année, avec en filigrane une quête initiatique plus psychologique sur la façon d’échapper à des traumatismes culpabilisants. Par une documentation poussée qui sert de socle à son imaginaire foisonnant, Serge Lehman parvient à réenchanter un pays qui en a bien besoin (le nôtre !), faisant que ses citoyens n’en finissent pas d’être désabusés par l’absence de perspectives politiques. Depuis le début, Lehman s’inscrit en passeur — moderniste et non nostalgique — d’une tradition littéraire fantastique délaissée en France et en Europe, souvent au profit des productions américaines ou japonaises. Et ça, c’est extrêmement précieux.

19/12/2024 (modifier)
Par Cacal69
Note: 2/5
Couverture de la série Sandman – Dead Boy Detectives
Sandman – Dead Boy Detectives

Mouais, mouais, et mouais... Une BD qui a inspiré la série « Dead Boy detectives » sur Netflix, inconnue au bataillon. Une préface de Patrick Marcel pour contextualiser la BD. Cette mini série met en lumière deux personnages secondaires de Sandman dont je n'ai pas souvenir : Edwin Paine et Charles Roland. Deux gamins morts à l'internat de St. Hilarion, l'un au début du XXe siècle et l'autre dans les années quatre-vingt. Et c'est sous la forme de fantômes qu'ils vont mener leurs enquêtes. Un duo qui sera vite rejoint par Crystal, une jeune fille du même âge qui entretient une relation singulière avec ses parents, la mère est une artiste reconnue et le père est un célèbre musicien. Deux chats fantômes vont aussi venir se greffer à ce petit groupe. Une lecture qui m'a décontenancé, je n'ai pas retrouvé l'ambiance féérique, sombre et gothique de la série mère (Death n’apparaît que sur deux cases). Des intrigues où le fantastique aura évidemment une place importante mais ça reste simpliste et sans grande profondeur. Un récit où une partie des aventures se déroulent dans un jeu vidéo. Je n'ai pas trouvé nos adolescents spécialement attachants. La narration est rythmée, mais pas toujours fluide et elle sera accompagnée par de nombreuses facilités scénaristiques. Ma lecture ne fut pas désagréable, mais je pense qu'elle est destinée aux 13/15 ans en priorité. Mark Buckingham réalise un travail passable, j'ai aimé sa mise en page qui donne du punch au récit, mais beaucoup moins son trait gras et statique. Un dessin qui manque de constance du fait des différents encreurs au générique. Un problème de casquette sur quelques vignettes où elle ne devrait pas apparaître. Les couleurs monotones de Lee Loughridge ne sont pas folichonnes. Note réelle : 2,5. Une note sévère, à la hauteur de ma déception !

19/12/2024 (modifier)
Par PAco
Note: 4/5
Couverture de la série BRZRKR - Bloodlines
BRZRKR - Bloodlines

Après la série mère développée sur 3 tomes, revoici BRZRKR ; une série spin-off qui revient sur les nombreux passés de notre immortel. Ce recueil est composé de deux récits : le premier nous narre son passé de gardien de l'Atlantide ; le second revient sur son amour pour la femme du Roi Arnak. Dans les deux cas, on ne va pas faire dans la dentelle, mais plutôt dans le puzzle... C'est ce petit côté "too much" assumé qui fait la saveur de cette série ; "Oui allo bonjour, ça serait pour coller une branlée à Chtullu." "Voilà c'est fait". Faut pas chercher à réfléchir, juste profiter du spectacle. Après les récits sont quand même bien amenés et construits, on est pas dans la série Z non plus. La deuxième histoire en est le meilleur exemple. Côté dessin, idem, les auteurs ont bien bossé et se sont fait plaisir pour ces scènes de boucherie ou de batailles où l'adjectif "épique" parait bien dérisoire. On est dans le dantesque et dans la démesure. Une petite envie de pause gore/pop corn ? Cet série est faite pour vous !

19/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Racaille de bibliothèque
Racaille de bibliothèque

Ra(t)caille de bibliothèque est un manga qui permet de découvrir le travail des bibliothécaires et autres documentalistes. La série, par sa simplicité, s’adresse prioritairement aux jeunes lecteurs et jeunes lectrices. Elle s’appuie sur trois personnages centraux dont l’un, la racaille du titre, découvre cet univers. La série se structure en différents chapitres qui permettent d’aborder plusieurs aspects du métier. Le ton est léger, avec un personnage central assez crétin que ses nouveaux collègues vont écoler. Franchement, je n’ai pas été plus emballé que ça. Je trouve intéressant d’expliquer en quoi consiste exactement le travail de bibliothécaire, je trouve plaisante l’idée de nous faire rentrer dans cet univers via une série légère et humoristique. Le problème est que je n’ai ni ri ni rien appris. Le dessin lui-même m’est apparu trop épuré dans ses décors d’arrière-plan (comme c’est malheureusement trop souvent le cas dans les mangas) et je ne suis pas fan du style ultra-expressif utilisé pour décrire les réactions des personnages (je m’en lasse très vite, en fait). J’ai lu le premier tome par curiosité. Je vais m’arrêter là. A voir avec un public plus jeune et moins au fait du métier de bibliothécaire.

19/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Les Blagues de Toto
Les Blagues de Toto

Je vais venir défendre Thierry Coppée sur le site car perso, j'aime assez cette série. J'ai acheté les premiers numéros quand mes premiers enfants étaient assez jeunes et j'ai emprunté certains des derniers numéros pour me faire une idée de son évolution. Pouvoir faire une série sur un concept aussi réduit et ancien que "0+0= la tête à Toto" est déjà une prouesse. Compte tenu de la finesse du concept , on retrouve bien sûr une redite sur de nombreux gags. Pourtant un certain nombre, nous a fait sourire, voire plus, en famille. J'apprécie en outre que la série ne s'appuie pas sur la méchanceté, le pipi-caca ou l'instit super sexy. Toto est un enfant de 7/8 ans qui comprend les mots au premier degré comme souvent un enfant de son âge. Comme les blagues sont surtout dans le texte, le graphisme des personnages ont des expressions assez limitées. C'est surtout avec les extérieurs qui entourent Toto, ses copains ou les adultes que je trouve un plaisir visuel. C'est travaillé avec une bonne précision et de nombreux détails. Un moment de détente sans se prendre au sérieux et avec un bon esprit, c'est déjà pas mal.

19/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Jérôme K. Jérôme Bloche
Jérôme K. Jérôme Bloche

Je ne connaissais pas cette ancienne série. Je la découvre à travers les douze premiers opus que possède ma BM. C'est de la bonne série jeunesse qui peut s'ouvrir à un public plus large. J'ai eu un peu de mal à accrocher à cet pseudo détective naïf , pateau qui tient plus du lieutenant Colombo que du Magnum excepté pour son succès auprès des très jolies filles (Babette en premier lieu). Avec son prénom impossible et son allure à la Bogart à contre emploi, il fait "idiot de service" dont on ne se méfie pas assez. Cela permet d'introduire une dose d'humour autour de ses habitudes alimentaires , sa nonchalance ou son permis de conduire. J'ai même eu quelques réserves quand sa bonhomie arrange certaines scènes où il n'est pas trop à son avantage ( jeu de trois). Les enquêtes relèvent souvent du drame familial intime mais font quelquefois appel à des thématiques assez pointues pour la jeunesse ( viol, justice, enfant illégitime…). Par contre j'ai apprécié la galerie de personnages qui gravitent autour de lui. C'est surtout Babette qui apporte avec un charme fou (parfois coquin) et des voisines hautes en couleurs. Les scénarii se renouvèlent bien avec un schéma à la Colombo efficace. Graphiquement j'aime bien le travail de Dodier. Dans un style semi réaliste classique, l'auteur crée de très belles ambiances que ce soit à Paris, en banlieue ou dans les petites villes de province. C'est toujours très bien travaillé avec une belle précision. Dodier réussit très bien à rendre les atmosphères nocturnes ou brumeuse qui ajoutent à l'ambiance de mystère qui plane sur le récit. Une bonne lecture récréative pour tous.

19/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série L'Essentiel
L'Essentiel

S’accorder, l’essence même d’être ensemble par volonté. L’essentiel. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa publication originale date de 2022. Il a été réalisé par Laurent Bonneau pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il compte cent-dix pages de bande dessinée. Laurent conduit sa voiture sur une route de basse montagne avec les bas-côtés enneigés. Un panneau indique un virage un peu serré à gauche. Les glissières succèdent aux fossés sans protection. Un peu de verdure sur les côtés par moment. Un ciel entre gris et blanc, laissant parfois entrevoir un petit morceau de bleu. En son for intérieur, son flux de pensée se déroule. Il voit la route. Il sent le froid. Il respire profondément l’air glacé et il plonge dans ses songes que son dessin prolonge. Le paysage zigzague comme ses pensées. On s’enfonce dans la montagne. Recouverte par la neige, la surface de la terre s’aplanit. On continue d’avancer. Ici la lumière semble jaillir d’ailleurs. Les roches archaïques. Les arbres séculaires. Il écoute le bruit du silence qui craquèle sur cette neige immaculée. Il tente d’esquisser le profil de sa compagne. Elle est là. Elle respire. Ses soupirs l’inspirent. Il voudrait suivre le bruit de ses syllabes intimes à elle au milieu du silence extérieur. On voudrait souvent entrer en l’autre, savoir ce qu’il pense, ce qu’il veut. Âme, esprit, corps, quoi encore ? Il la dessine dans un mouvement de cœur. Trouver les mots pour parler d’elle, son aimée. On progresse dans cette nature que la neige, étonnamment, semble dissimuler. Un frémissement. Comme lorsqu’elle se penche derrière lui, ses lèvres sur son cou. Il la dessine. Il l’écrit. Il essaie, à sa manière, d’essuyer sur la buée des verres de ses pensées. Ça l’aide à la regarder et découvrir une autre figure enfouie en elle : celle, peut-être, de la première fois. La voilà arrivée. Cette vieille maison dans la nature. Il aime lorsque le paysage ne s’arrête plus. Il ne sent plus enfermé. Elle avance. Il sent un chemin se dessiner sous ses pas à elle dans l’immense lumière naissante. Laurent est arrivé à la maison : il regarde sa compagne. Il se dit qu’il avance près d’elle, bien incapable aujourd’hui d’imaginer la vie sans sa présence auprès de lui. Un autre jour, un autre trajet en voiture sous un ciel grisâtre : Laurent se rend au centre pénitentiaire pour animer un atelier de bande dessinée. À nouveau les pensées coulent en flux dans son esprit : il se questionne sur les raisons d’entreprendre ce projet de bande dessinée. Pourquoi encore écrire et dessiner sur l’amour en plus de le vivre ? Serait-ce parce qu’une fois devenus parents, la source initiale de la famille qu’est le couple voit ses repères changer complètement ? Serait-ce une manière pour lui de prendre du recul sur ce nouvel équilibre ? Il arrête sa voiture, il éteint son téléphone et il range ses interrogations dans la boîte à gants. Là où il va tout moyen de communication autre que la parole physique est interdit. Il est amené à voir un autre monde. Un monde que l’on tient caché. Rien que la couverture permet de savoir que cette bande dessinée adopte une approche particulière de la narration en accolant ainsi l’image d’un très gros plan sur le visage d’une femme (sans qu’il soit possible de déterminer ce qu’est l’arrière-plan) et en-dessous un mur rehaussé de barbelés, à l’évidence un mur d’enceinte soit d’un endroit à l’accès bien gardé, soit d’un endroit servant à enfermer. Le lecteur commence le premier chapitre : pas de numéro en bas de page, pas de phylactères ni de cartouches, juste un monologue intérieur et un homme qui conduit. Ce premier chapitre dure treize pages dont les onze premières sont structurées à l’identique : deux cases de la largeur de la page et un court texte entre les deux. Les deux dernières pages accueillent un dessin en double page. Sur ces vingt-trois illustrations, douze sont consacrées au paysage qui défile, ou plutôt la vision qu’en a le conducteur. Trois cases permettent de voir le buste du conducteur. Le reste correspond à ce qu’il voit en vue subjective, une fois arrivé chez lui. Les choix de technique de représentation apparaissent également assez particuliers : des contours pas tout à fait assurés, parfois avec un trait fin, parfois avec un trait plus épais, des traces de couleurs comme du crayon de couleur étalé par frottement avec un papier sur la planche, venant apporter l’impression de couleur naturelle à la surface sur laquelle elles sont appliquées, plus comme une impression, voire une sensation, que de manière naturaliste. Quant à lui, le texte évoque le sentiment amoureux de Laurent pour sa compagne, comment il appréhende cet amour. Pour autant, pas de doute, il s’agit bien d’une bande dessinée : narration séquentielle & interaction entre le texte et les images, tout en étant assez éloignée d’une forme traditionnelle. Le récit est construit en dix chapitres, généralement séparés par une page blanche, entre sept et quinze pages chacun, avec une exception pour le septième composé d’un court texte sur fond blanc en une page. Le fil directeur de cet ouvrage correspond au flux de pensée du narrateur, que le lecteur a tôt fait d’assimiler à l’auteur lui-même. Tout commence avec un retour à la maison, un retour vers l’être aimé, qui aboutit au constat que Laurent est incapable d’imaginer la vie sans elle. Il ne s’agit pas d’une figure de style, mais bien d’une déclaration à prendre au premier degré : ce créateur ne dispose pas d’assez d’imagination pour pouvoir se figurer cette configuration. Ce constat l’amène à mettre en scène l’amour qu’il porte à sa compagne au travers d’abord de ce retour au foyer, puis dans une tentative de scène de dialogue au chapitre trois : de très belles images où il la suit dans la maison jusqu’à l’extérieur. Puis dans le chapitre cinq, au cours duquel il la suit et la dessine de dos alors qu’elle traverse une pelouse va se baigner nue dans un cours d’eau, une ode à la liberté et à la nature, en contraste total avec le chapitre précédent. Enfin dans le dernier chapitre où une autre déambulation le ramène à la suivre, toujours représentée de dos, réfléchissant à la notion de liberté, et à l’essentiel (dans la vie) : S’accorder, l’essence même d’être ensemble par volonté. Le lecteur partage à la fois l’intimité des pensées très personnelles de l’auteur, et à la fois ressent des émotions universelles. Du coup, il perçoit comme un contrepoint les autres chapitres (deux, quatre et six), comme construits pour obtenir un contraste maximal. Le bédéiste intervient dans un centre de détention pour un atelier avec les prisonniers qui s’y sont inscrits. L’ambiance change radicalement, ne serait-ce qu’en passant de couleurs chaudes à une morne grisaille bien plombée. Le décor lui-même se fait plus dur : tout en lignes droites bien tracées, des formes géométriques stériles et inhospitalières. Laurent se fait la réflexion que lui entre de son plein gré dans cette prison, alors que les individus qu’il va voir ne peuvent pas sortir. Il observe les effets de la privation de liberté sur eux : la promiscuité, le silence de ce fait impossible. Il sait qu’il ne fera connaissance avec eux que superficiellement, qu’il ne pourra percevoir que ce qu’ils accepteront de lui montrer. Il est frappé par la récurrence du thème des valeurs morales, tout en en percevant la relativité. Il se pose plusieurs questions, tout en ressentant fortement la souffrance incarnée dans les fils de fer barbelés. Dans le chapitre six, la grisaille au reflet d’acier met en avant le motif des barreaux : des espaces délimités, finis, et la réflexion d’un détenu sur les effets les plus dévastateurs, à savoir être renié ou même simplement jugé par sa famille. Le chapitre huit fait coexister des images de paysages magnifiques entre figuratif et conceptuel, avec l’aboutissement de la réflexion sur l’emprisonnement, le contraste entre monde clos et horizon ouvert, entre solitude choisie dans la nature et l’absence imposée de regard de l’autre sur soi. Le lecteur arrive au chapitre neuf, totalement sous le charme de cette réflexion déambulatoire, un flux de pensées entre ressentis et réflexions, constats et émotions, une expression très personnelle d’une rare honnêteté, transcrivant une façon de voir le monde, à la fois par la manière de le représenter en images porteuses de la sensibilité de l’artiste, à la fois par ce que ses pensées disent de sa manière d’appréhender sa relation amoureuse, ainsi que sa capacité d’empathie à percevoir le ressenti de privation de liberté des détenus. L’avant-dernier chapitre prend le lecteur au dépourvu, en relatant un accident domestique horrible, générant une culpabilité quasi insurmontable chez l’auteur. Le caractère tout relatif de la liberté apparaît alors mis à nu, ainsi que la nature de l’essentiel. Le point de vue de Laurent sur le monde s’en trouve changé, encore moins égocentré, par la prise de conscience de ce qui est essentiel pour lui. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut alors percevoir la construction littéraire de l’ouvrage, bien plus qu’un simple vagabondage de pensées, ou d’une alternance de contraste entre vie personnelle libre et vie carcérale. Pour autant, la narration conserve son goût spontané et franc, honnête et venant du cœur. Ainsi la conclusion présente une force peu commune, entre la critique sur l’hypocrisie des hauts responsables toujours plus médiocres et la profession de foi sur l’essentiel : S’accorder, l’essence même d’être ensemble par volonté. Un coup d’œil superficiel donne l’impression d’une bande dessinée d’art et d’essai, avec des dessins à l’allure empruntée et un flux de pensée égocentré. La lecture génère une impression bien différente : une vision personnelle au travers des images, et un ressenti plein d’humanité et de gratitude envers la richesse de sa vie grâce à sa compagne et la conscience de sa liberté par comparaison avec des détenus. Avec cette narration personnelle, Laurent partage des facettes intimes de son expérience de vie, et le cheminement vers ses convictions profondes.

19/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Borges - Le Labyrinthe de l'infini
Borges - Le Labyrinthe de l'infini

Ça n’est pas une biographie classique. Ça n’est d’ailleurs pas forcément une biographie. D’abord parce que c’est très décousu, passant d’une date à une autre sans respecter l’ordre chronologique. Et en ne se focalisant à chaque fois que sur un « moment », une anecdote, un rêve, qui vont ensuite faire sens dans la vie du grand auteur argentin. On est plutôt là dans la tête du créateur, le bouillonnement intellectuel d’où sont sorties nombre de belles choses. Avec des bibliothèques omniprésentes. Un certain surréalisme affleure, il ne faut pas s’attendre à un roman graphique classique et linéaire. Mais j’ai trouvé plaisante cette lecture, qui rend bien certaines obsessions de l’auteur, mais aussi ses fêlures (amoureuses par exemple).

19/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Kosmos
Kosmos

J’avais lu – et apprécié – il n’y a pas si longtemps L'Odyssée de l'espace - Une histoire de la conquête spatiale. J’ai retrouvé ici un très beau dessin épuré mais d’un grand réalisme. Avec peu de détail, on a de superbes planches de l’espace ou de la surface lunaire. Pour le reste, l’optique est ici différente, puisqu’il ne s’agit pas de retracer toute l’histoire de la conquête spatiale, mais de se focaliser sur le moment où, en 1969, un humain met pour la première fois les pieds sur la lune. Et on bascule ici vers une uchronie – présentée comme un scoop – à savoir que ce n’est pas un homme américain qui a réalisé le premier cet exploit, mais une femme, et soviétique de surcroit ! Le récit se lit très vite, malgré une pagination conséquente. Il faut dire qu’il y a peu de texte. Mais c’est aussi que la narration est fluide et agréable, et l’uchronie imaginée par Perna est bien amenée et narrativement crédible. Une lecture très sympathique. Note réelle 3,5/5.

19/12/2024 (modifier)
Couverture de la série Bleu à la lumière du jour
Bleu à la lumière du jour

Un ressenti ambivalent, et globalement réservé. Sur le dessin déjà. Je ne suis pas fan des traits de visage effacés. Mais ce dessin épuré, et la colorisation, m’ont globalement plu. Le rendu est agréable, une ambiance vaguement médiévale qui convient bien à l’ambiance noire et poétique qui domine. J’ai parlé d’ambiance, et c’est avant tout ça que je vais retenir. Une poésie évanescente, une certaine mélancolie étrange mais pas désagréable. Mais pour le reste, je reste perplexe concernant l’histoire, dont beaucoup d’aspects m’ont sans doute échappé. Certains passages sont un peu surprenants. En particulier lorsqu’une longue séance muette (il n’y a pas beaucoup de texte en général) et plutôt poétique est brusquement ponctuée d’un ou deux gros mots dans la bouche d’une des jeunes femmes que nous suivons). Les quelques dialogues sont presque déclamés comme des sentences poétiques, mais ici ça donne un résultat bizarre et j’avoue ne pas avoir tout saisi dans ce récit. Note réelle 2,5/5.

19/12/2024 (modifier)