Les derniers avis (205 avis)

Couverture de la série Les Âmes noires
Les Âmes noires

Aurélien Ducoudray met son expérience de journaliste au service de ses scénarios : la Bosnie, la Tchétchénie, ... et ici la Chine profonde. Et c'est Fred Druart qui est aux pinceaux de ce "polar documentaire" : Les âmes noires. • On aime beaucoup le sujet dont se sont inspirés Ducoudray et Druart. L'idée est curieuse mais idéale pour les curieux. Leur récit est basé sur un documentaire (de 2008) du cinéaste chinois Wang Bing : L'argent du charbon. Ne gardant que l'essentiel, Ducoudray a épuré scénario et dialogues jusqu'à l'os, exactement comme il convient dans cette région sèche et pauvre où il ne fait pas bon vivre. • Au diapason, Druart illustre cette courte histoire avec un dessin nerveux et délibérément "sale" qui fait ressortir le côté terreux et pierreux des paysages. Nous sommes au fin fond de la Chine du nord, dans une région minière reculée, sans doute la province de Shanxi près de la Mongolie. Entre la gigantesque mine de charbon et les usines ou les ports, une noria de vieux camions bringuebalants sillonnent une mauvaise route. Dans ces régions arides, pauvres et désolées, l'or noir est l'objet de toutes les convoitises et de tous les trafics. Yuan est chauffeur de camion sur cette route du salaire de la peur, mais un salaire de misère. Son camion, c'est ce qui les nourrit, lui, sa femme et sa fille. [...] - Assieds-toi, tu veux jouer ? - Tu joues quoi ? - Ton camion. - Contre ? - Mon commerce ? [avec les dés en main] - Ils sont truqués ? - Bien sûr. Tous les dés sont truqués ... On doit rien laisser au hasard dans la vie, ça serait bien trop dangereux.

05/03/2025 (modifier)
Couverture de la série La France de l'ombre (Les Années rouge & noir)
La France de l'ombre (Les Années rouge & noir)

Cet album dresse un véritable panorama autour de celles et ceux qui œuvraient dans les coulisses du pouvoir, après-guerre. On y révise l'Histoire d'une France gaulliste pas toujours très reluisante, celle des années 50 et 60. Il s'agit d'une “intégrale” qui regroupe les 4 tomes précédemment sortis (en 2016) sous le titre “Les années rouge et noir”, une bande dessinée librement inspirée d'un roman éponyme de Gérard Delteil (2014). Didier Convard et Pierre Boisserie sont au scénario, Stéphane Douay au dessin. Un album qui fait bien sûr écho à celui d'Etienne Davodeau et Benoît Collombat : Cher pays de notre enfance (2015). Le scénario va faire se croiser les destinées de plusieurs personnages imaginaires : Aimé Bacchelli, un futur ex-collabo intriguant dans l'ombre, Agnès Laborde, une jeune résistante engagée chez les gaullistes, Alain Véron, le frère d'un militant communiste qui a été exécuté, et Simone Baroux, future journaliste. De quoi balayer un large panorama de la reconstruction après-guerre de la France. Certains de ces personnages “imaginaires” sont inspirés de la vraie vie : le parcours d'Aimé Bacchelli ressemble à celui de Georges Albertini, Simone Baroux pourrait être l'avatar de Françoise Giroud, ... On rencontrera également des personnages de la vraie vie sous leurs vrais noms comme René Bousquet, le patron de la police vichyste ou Hélène Lazareff, la journaliste qui fonda le magazine Elle. Et outre le Général, d'autres personnages plus ou moins brillants de notre République : George Pompidou, Marie-France Garaud, Pierre Juillet, Charles Pasqua, ... Ce sont les années de la création du SAC et de ses barbouzes, quand l'ombre du général plane sur le pays. Le canevas : Cette Histoire de France commence à la veille de la Libération. À Paris, ça sent le roussi pour les allemands et les vichystes. Et les manœuvres ont commencé autour des fiches perforées utilisées pour recenser les juifs, les communistes ou qui l'on veut. C'est de ce fichier que naîtront plus tard notre recensement INSEE et notre fameux numéro de sécu. [...] Je comprends. D'après ce que m'a dit Bacchelli, ces fiches représentent un moyen de pression et donc une arme redoutable pour qui les détient, c'est ça ? [...] Il faut jouer avec les cartes que l'on a en main. À propos de cartes, il se trouve que ... Fil rouge de ce thriller politique, ces fiches mécanographiques (c'était avant l'informatique) sont un véritable enjeu dans les comptes qui vont se régler entre vrai-faux collabos et faux-vrais résistants, tout au long de la France gaulliste, jusqu'à l'arrivée de Giscard d'Estaing et Jacques Chirac qui ferment le ban de ces années gaulliennes. On aime le côté très politique de ce récit : on y retrouve la plupart des événements qui ont marqué le pays depuis les années 50 jusqu'en 1974. C'est une véritable leçon d'Histoire qui donne envie de (re)lire le roman de Gérard Delteil. On apprécie le récit fait des parcours entrecroisés des quatre personnages principaux. Chacun tente de jouer avec les cartes (mécanographiques ou pas !) qu'il a en main et on se prend au jeu. Le dessin reste très simple pour laisser toute la place au récit, à peine teinté de sépia pour mieux dater le contexte rétro.

05/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Submersion
Submersion

Polar celtique et familial à l'époque où bientôt les 'méga marées' repousseront les habitants loin du rivage. Avec de beaux dessins d'architecture 'brutaliste'. On ne connaissait pas encore Iwan Lépingle qui signe le scénario et les dessins de cet album : Submersion publié chez Sarbacane. Un autodidacte qui a commencé sa carrière chez les Humanoïdes Associés et qui est surtout un amateur de grands espaces et de voyages. Cette fois il ne nous emmène pas très loin, tout au nord de l'Écosse mais à une époque (vers 2045) où les marées géantes auront commencé à noyer les côtes. Quelques bonnes raisons de découvrir cet album ? Pour l'ambiance de ce petit polar celtique dans un décor qui paraît presque normal. Presque. Si le scénario évoque bien des 'méga marées', ce n'est pourtant pas un récit post-apocalyptique, encore moins un film catastrophe. De temps à autre apparaît ici ou là, un bâtiment déserté, une zone inondée, des bungalows que l'on recule un peu plus loin, des pêcheurs qui sont devenus cultivateurs d'algues, ... Bref, les changements futurs qui nous attendent sûrement, patiemment et sans esbroufe. Pour le dessin qui s'apparente à la ligne claire franco-belge avec des aplats de couleurs aux teintes orangées, aux ombres bleutées. Des personnages dont les visages sont parfois taillés au couteau. Et puis surtout ces bâtiments, cette architecture brutaliste (c'est à la mode en ce moment !), ces belles perspectives fuyantes (Iwan Lépingle dessine tout cela sans assistance logiciel). Pour l'intrigue enfin de cet agréable roman policier qui fait la part belle aux histoires de famille. Non loin d'Inverness, il y a là les trois frères Calloway. En fait, il n'en reste plus que deux : Wyatt, le plus jeune, c'est tué en voiture il y a 6 mois sur une grande ligne droite, peut-être après avoir bu une pinte de trop. Badger et Travis ont un peu de mal à s'en remettre, Travis est persuadé que ce n'était pas un banal accident. Il y a là aussi Jenny, la femme de Wyatt, et leur fils Kyle. Et puis un black, Joseph, un garagiste à la réputation de ... garagiste, donc pas très apprécié de ses clients. Lors d'une soirée chez des amis, "Travis a entendu le petit truc qu'il attendait, la petite info qu'il lui fallait pour démarrer la machine à embrouilles". Vers 2045, la mer a repoussé les habitants loin du rivage. La pêche ne donne plus rien et il faut se contenter de cultiver et ramasser des algues. Il faut rehausser régulièrement les digues et déménager les baraquements toujours plus loin. [...] La mer nous a poussés loin du rivage. Nous lui avons abandonné nos maisons. Nous avons vidé les lieux. Quand elle a monté et monté encore, elle a léché les murs qui nous avaient vu grandir. Elle les a grignotés méthodiquement, comme une bête affamée qui serait venue se délecter de nos vies d'avant et les engloutir à jamais. Travis reste accroché obstinément au passé : il n'arrive pas à faire le deuil de son frère Wyatt, tout comme il n'arrive pas à s'habituer à la nouvelle vie que la mer envahissante impose aux habitants, à un littoral qui devient inhabitable, recule d'année en année et redevient sauvage. Travis s'emporte un peu trop rapidement, mais ne dit-on pas que ce n'est qu'après la colère que vient l'acceptation ?

05/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Wagner - L'histoire secrète des mercenaires de Poutine
Wagner - L'histoire secrète des mercenaires de Poutine

Du Donbass au Sahel, deux journalistes de Jeune Afrique nous livrent un reportage en images sur la fameuse milice Wagner : l'histoire secrète des mercenaires de Poutine après 3 ans d'enquête. On a entendu beaucoup de choses et leurs contraires sur la tristement fameuse milice russe Wagner qu'il était bien commode de diaboliser autour de son patron Evgueni Prigojine, mais qui lui survit sans problème depuis sa mort en août 2023. Benjamin Roger et Mathieu Olivier sont tous deux journalistes : autant dire que cette BD n'est pas un album d'aventures de guerre mais une très sérieuse BD-reportage. Ils ont travaillé tous deux pour le magazine Jeune Afrique et connaissent donc parfaitement leur sujet. Thierry Chavant s'est engagé à leurs côtés pour illustrer cette enquête qui s'étend sur plusieurs années et plus d'un continent. Cette bande dessinée est une façon bien commode d'améliorer sa connaissance du sujet : l'ascension du groupe Wagner, les exactions commises, les enjeux financiers, la géopolitique africaine, ... Le récit est très documenté : basé sur les investigations des deux journalistes et les témoignages recueillis, c'est un gros travail de plusieurs années qui nous est résumé dans ces planches. [...] Nous ne sommes pas des soldats, juste des mercenaires Wagner. [...] On n'est pas ici pour les médailles ou vaincre les nazis, juste pour toucher la solde et rentrer en un seul morceau. [...] On est des mercenaires, pas des soldats ! Tout ça, c'est du business ! Simple et sans fioritures, le dessin de Thierry Chavant est tout au service du texte et il sait même s'estomper ou s'éloigner quand les horreurs sont trop dures pour notre regard. L'album, très pédagogique, use de la voix off, de témoignages et de dialogues entre personnages de fiction. Le récit est découpé en plusieurs mouvements (tel un drame lyrique wagnérien !) et n'hésite pas à faire des aller-retour entre les époques et les lieux pour nous brosser un tableau aussi intelligible que possible. Cet album est aussi le portrait des principaux dirigeants de Wagner : le fameux oligarque Evgueni Prigojine qui fit d'abord fortune dans la restauration (!) avant de s'associer avec un mercenaire expérimenté, Dimitri Outkine, qui sera le commandant opérationnel de Wagner, Prigojine restant le grand chef et le grand financier. Mais en bons journalistes, les auteurs ne se contentent pas des leaders médiatiques et nous avons droit à tous les principaux acteurs du groupe Wagner et quelques personnages de fiction pour fluidifier le récit. On retrouve même quelques figures de la diplomatie française ... qui ne sort pas vraiment grandie de ce tableau. Après quelques faits d'armes au Donbass en Ukraine en 2014 ou en Syrie en 2016, la "compagnie" (c'est le surnom interne de Wagner) se déploie à Bangui en CentrAfrique (sous la coupe de Bokassa jusqu'en 1996) et bientôt au Mali. Dans chaque pays, un scénario bien éprouvé se répète : corruption des dirigeants locaux, élimination des gêneurs, déploiement de mercenaires, formation de troupes locales, propagande anti-française et ... surexploitation des ressources minières (de l'or, notamment) qui sont exportées à l'étranger en toute illégalité, une contrebande source de gigantesques profits pour Wagner et la Russie. La diplomatie française sous-estimera l'influence grandissante de Wagner et des russes jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Dans le centre du Mali, en mars 2022, le village peul de Moura est le lieu d'un massacre perpétré au nom de la lutte anti-terroriste : plus de 500 victimes ... dont à peine une trentaine de djihadistes. Mais au plan militaire et face aux rebelles, les mercenaires de Wagner ne sont finalement pas beaucoup plus efficaces que leurs prédécesseurs européens ou américains : "l'État Islamique au Grand Sahara (EIGS), la filiale sahélienne de l'État Islamique, a repris progressivement pied". Bientôt la folle guerre d'Ukraine vient de nouveau brasser les cartes : le groupe Wagner y rapatrie le gros de ses troupes, dépense des millions de dollars et envoie au casse-pipe des dizaines de milliers de "volontaires" dont les fameux prisonniers de droit commun. Mais rapidement le torchon brûle entre Wagner et le Kremlin : en juin 2023, un convoi de mercenaires roule vers Moscou et il faudra la médiation du biélorusse Alexandre Loukachenko pour éteindre ce début d'incendie. Hélas, Prigogine et Outkine ont oublié que "Vladimir Poutine ne pardonne jamais la traîtrise. Le maître du Kremlin n'oublie jamais rien". C'est lui dont l'ombre menaçante et inquiétante clôture l'album !

05/03/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Camus - Entre Justice et Mère
Camus - Entre Justice et Mère

Quel écrivain, dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? - Ce tome contient une histoire complète, de nature biographique. Son édition originale date de 2013 Il a été réalisé par José Lenzini (auteur des livres : Derniers jours de la vie d’Albert Camus, Camus et l’Algérie) pour le scénario, et par Laurent Gnoni pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-vingt-trois pages de bande dessinée. Il se termine avec une liste des vingt ouvrages d’Albert Camus sous forme d’un petit dessin dans une case carrée et du titre situé au-dessus, avec une liste en bonne et due forme et les dates dans la colonne de gauche. Quand le narrateur a appris la nouvelle, il a ressenti la nécessité d’écrire. Il a hésité. De l’eau a coulé sous les ponts depuis l’école Aumerat, depuis leurs virées au jardin d’Essai et aux Sablettes, depuis les matchs de foot au Champ-Vert ! Il a froissé plusieurs feuilles de papier sans pouvoir aller plus loin que les quelques mots du début. Albert, Bébert, Moustique ? Ils étaient si proche… Comment l’appeler sans être inconvenant ? L’enfance est loin et Albert a eu le prix Nobel, c’est quand même autre chose qu’un prix d’honneur de fin d’année ! Tiens le prix Nobel… Il pourrait commencer par ça, pourquoi pas ? Les copains et lui étaient tellement fiers quand Camus l’a eu ! Alors, il a ressorti une vieille machine à écrire, mais pas aussi vieille que leurs souvenirs de gosses, et il se met à lui parler avec ses mots écrits au fil de la mémoire partagée. Des lignes que Camus ne lira pas… Le jour est le 10 décembre 1957. Sous les ors et les brocarts de l’Hôtel de ville de Stockholm. Le narrateur imagine Camus… un goût âcre dans la bouche. Des gestes ankylosés par un engourdissement diffus. Tête lourde et tempes folles. Le souffle encore plus court qu’à l’issue de la récré. Il doit être blême. Au bord de l’évanouissement. Le doute oppresse une fois encore l’écrivain. Toujours ce vieux complexe face à un monde qui n’est pas le sien. Des flashs crépitent tels des soleils terribles. Comme il l’a dit à quelques proches, ce prix Nobel de littérature devait revenir à André Malraux. Albert n’a que quarante-trois ans. C’est un peu jeune. Et puis… son œuvre n’en est qu’à ses débuts. Une musique de cour retentit. Les applaudissements fusent dans un bruit de plage tourmentée. Impossible de se jeter à l’eau. Pourtant, il doit s’en souvenir, aux Sablettes, on y allait même par fortes vagues on y allait ! La guerre fait rage en Algérie. En ce moment de gloire, les pensées d’Albert Camus vont sûrement vers sa mère, là-bas, toujours silencieuse, résignée et digne dans sa pauvreté. Albert Camus entame son discours devant l’assemblée du prix Nobel : En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste, désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m’a pas été possible d’apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Pas facile de restituer toutes les dimensions d’un tel homme que Albert Camus (1913-1960) : philosophe, écrivain, journaliste militant en particulier pendant la seconde guerre mondiale, romancier, dramaturge et novelliste, s’étant engagé en faveur des indépendantistes algériens, et ayant également dénoncé la barbarie de l’arme atomique utilisée sur Hiroshima et sur Nagasaki (comme rappelé dans le présent ouvrage). Le scénariste propose un point de vue original : celui d’un ancien copain et camarade de classe de l’auteur. Ce dispositif permet aux auteurs d’utiliser des mises en page sortant de l’ordinaire. Régulièrement, le lecteur découvre un page de texte avec des illustrations, le narrateur écrivant ses souvenirs ou ses ressentis et ses attentes vis-à-vis de Camus. Une vingtaine de pages s’apparentent à du texte illustré, et quelques-unes encore à un récitatif courant au fil de cases de bande dessinée. La page intitulée Épilogue correspond à une page de texte sans illustration et elle introduit la dernière partie de huit pages, consacrée à la déclaration relative à la préférence accordée à sa mère avant la justice. En page cinq, le lecteur découvre un titre : Discours de Suède, première partie. Il y a encore quatre extraits dudit discours, qui ouvrent chacune un nouveau chapitre dans la vie de l’auteur. Le lecteur voit alors Albert Camus à la tribune devant l’assemblée convoquée par l’Académie suédoise, avec des phylactères contenant des extraits authentiques de son discours. D’une certaine manière, Albert Camus devient celui passé à la postérité, un peu après la moitié de l’ouvrage. Le scénariste a déjà consacré quatre ouvrages à cet écrivain, et il en présente la vie, faisant des choix sur les moments de sa vie retenus, et en intégrant plusieurs des convictions de Camus. Le lecteur plonge donc dans une présentation à la structure sophistiquée, plus ambitieuse qu’une reconstitution historique chronologique des faits. L’auteur accorde la moitié de la bande dessinée, à l’enfance d’Albert pour montrer d’où il vient, à la fois son histoire familiale, le contexte sociopolitique du milieu dans lequel il a grandi. La partie biographique commence avec la mère âgée de l’auteur se replongeant dans ses souvenirs, le pendant se trouvant dans l’épilogue qui est consacré à la phrase de l’auteur sur la défense de sa mère avant la justice. L’écrivain engagé naît en 1913 dans la campagne algérienne. Le lecteur ne s’attend pas forcément au dénuement qu’il voit : pas de voiture à l’époque mais une charrette, pas d’hôpital mais un médecin-colonel qui arrive après l’accouchement. L’emploi modeste du père : caviste dans une grande propriété vinicole, ce qui consiste à surveiller les vendanges en cours, veiller à la bonne marche des opérations dans un contexte colonial, avec un fond de racisme. Un voyage en train jusqu’à Alger en troisième classe du fait des faibles revenus du père. Un séjour chez la grand-mère qui compte chaque centime. L’opposition de cette dernière à ce que son petit-enfant continue des études car il doit travailler dès que possible pour améliorer les revenus de la famille. Etc. Le lecteur a peut-être relevé l’emploi d’une palette de couleurs assez particulière sur la couverture, avec ce fond jaune et cette ombre carmin. L’artiste compose ses cases avec un mixte de figures détourées par un trait de contour, et d’autres éléments représentés en couleur directe. En outre il met régulièrement en œuvre une palette de couleur avec des compositions expressionnistes, plutôt que naturalistes. Il en va ainsi pour la scène de déplacement sous la pluie et d’accouchement dans la cuisine : des aplats de deux tons de jaune, d’orange, de bleu foncé, développant une ambiance entre isolement dans la nuit et chaleur humaine de solidarité. Au fil des séquences, le lecteur ressent cette sensibilité apportée par les couleurs : la robe majoritairement en aplat noir solide de la grand-mère, les fonds de case rouge alors que l’enfant Albert ressent de plein fouet la colère sourde de sa grand-mère, le blanc éclatant alors que l’enfant court dans les rues d’Alger pour exprimer la force de la lumière du soleil, le marron terne lors du séjour à l’hôpital, la superbe alliance d’un rouge carmin pour un tapis avec les rats noirs formant une svastika sur le cercle blanc comme allégorie de La peste, etc. L’artiste sait rendre l’apparence d’Albert Camus. Il représente des personnages à la morphologie normale, sans exagération anatomique, en simplifiant leur représentation, moins de traits, tout en conservant leur humanité et leur capacité à susciter l’empathie chez le lecteur. Ce dernier sent la séduction graphique opérer sur lui : un équilibre parfait entre ce qui est montré et délimité par des traits de contour et ce qui est suggéré par les couleurs, sous-entendu et laissé à l’imagination. Il remarque la coordination étroite entre scénariste et artiste pour des mises en page pensées et imaginées spécifiquement en fonction de la scène. Il voit des trouvailles visuelles très expressives : des pages sans bordure avec des images se fondant l’une dans l’autre pour exprimer une continuité (par exemple dans les différentes tâches professionnelles de Lucien Auguste Camus), des cases de la largeur de la page pour un effet panoramique mettant en valeur la beauté des paysages algériens, des personnages dessinés par-dessus les cases d’une page pour indiquer qu’ils passent de l’une à l’autre lors de leur trajet, trois cases de la hauteur de la page pour conférer la sensation d’étroitesse de l’appartement de la grand-mère, une case se déployant comme une bande médiane sur deux pages en vis-à-vis avec les personnages représentés dans différentes positions, un fac-similé de une d’un journal, un champignon atomique avec un monceau de crânes à son pied, le visage de Camus en noir sur fond blanc dans la partie gauche de la planche s’opposant à celui de Sartre en contraste inversé (traits de contour blancs sur fond noir) pour marquer l’opposition irréconciliable, etc. Le lecteur sent bien que les auteurs brossent un portrait orienté d’Albert Camus. Du fait de la pagination, ils ont dû faire des choix : en particulier, ils ne s’appesantissent pas les rappels historiques, ils ne développent ni le contexte de la seconde guerre mondiale, ni celui de la guerre d’Algérie (1954-1962) dont il vaut mieux disposer d’une connaissance basique pour apprécier et comprendre la position de l’écrivain. De la même manière, ils évoquent les titres des ouvrages de l’écrivain, sans les présenter que ce soit leur intrigue, ou leur contenu philosophique. Là encore, une connaissance superficielle ajoute à la richesse de cette lecture. Ils ont choisi le point de vue familial et celui du contexte géographique, social et historique. Ils se tiennent à l’écart d’une narration de type Moments clés ayant défini à tout jamais la trajectoire de vie d’Albert Camus, se positionnant plutôt dans une optique montrant les conditions dans lesquelles se sont opérées son enfance et sa trajectoire de vie jusqu’à l’âge adulte, le lecteur étant libre d’en déduire comment se sont forgées ses convictions morales, et comment il a été conduit à s’engager dans certaines causes. Impossible de présenter Albert Camus de façon complète dans un ouvrage de moins de cent-cinquante pages. Aussi, il apparaît que les auteurs ont choisi sciemment un point de vue, celui d’un ancien camarade de classe de l’écrivain, pour évoquer des composantes précises de la vie de l’auteur. La narration visuelle s’avère très agréable, avec des émotions portées par des compositions de couleurs, et une mise à profit de solutions visuelles variées. Le lecteur découvre la singularité du parcours de vie d’Albert Camus, en tant qu’homme de son temps, avec des origines qui lui sont propres, l’amenant à mieux comprendre ses choix d’auteur. Enrichissant.

05/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Superman - Lois & Clark
Superman - Lois & Clark

Avec Superman: Lois & Clark, Dan Jurgens signe un récit à la fois nostalgique et rafraîchissant, mettant en scène le Superman issu de l’ancienne continuité DC (post-Crisis on Infinite Earths), qui a survécu aux événements de Flashpoint et vit désormais dans l’ombre avec Lois Lane et leur fils Jonathan sur la Terre du New 52. L’un des atouts majeurs de ce récit est son approche intimiste. On y découvre un Superman plus humain, plus mature, qui doit protéger sa famille tout en continuant d’agir discrètement pour ne pas perturber ce nouvel univers. Lois, quant à elle, reste une journaliste perspicace et engagée, tandis que Jonathan, encore jeune, grandit sous l’influence de ses parents exceptionnels. Le scénario de Jurgens est efficace, mêlant moments de tension et scènes plus introspectives. L’écriture met en avant les valeurs fondamentales de Superman : espoir, justice et famille. Lee Weeks, au dessin, apporte une touche classique et réaliste qui colle parfaitement à l’ambiance du récit, avec des planches dynamiques et des expressions faciales soignées. Ce comics est une lecture incontournable pour les fans de Superman de longue date, mais aussi pour ceux qui cherchent une porte d’entrée vers une version plus traditionnelle du personnage. 3,5/5

05/03/2025 (modifier)
Par cac
Note: 2/5
Couverture de la série La Fabrique du prince charmant
La Fabrique du prince charmant

Clairement une déception pour ce roman-photo qui a priori devrait se classer en humour. Pourtant il me semble le voir assez régulièrement mis en avant en boutique. On ne sait pas trop qui fait quoi des 2 autrices. Car certes il n'y a pas de dessin mais il y a un choix des photos, du montage et séquençage etc. Malgré l'imagerie vintage, c'est globalement très peu drôle à mon sens. Ajoutons à cela qu'il y a quasi un mot par planche que je ne connaissais pas (j'ai "pegger" qui me reste en tête...), je n'ai pas toujours fait l'effort de chercher leur signification. Les textes sont du langage plutôt moderne et argotique avec certaines expressions qui sont en décalage avec le côté ringard des images. Ni savoureux, ni hilarant.

04/03/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Naduah
Naduah

J'ai souvent souligné que le western est le genre que j'apprécie le moins, mais cette fois-ci je dois bien dire que le récit est bien plus intéressant que d'autres que j'ai pu lire. Déjà parce qu'on parle d'une femme, chose plus rare qu'on ne le pense, tandis que le récit s'articule non pas autour d'actes violents mais autour d'une vie. Une vie qui sera brisée par des actes violents ... Je ne connaissais pas l'histoire de Naduah, mais le récit est intéressant et original. J'ai apprécié ce détail de montrer le tout du point de vu d'une petite fille et de ne pas insister outre mesure sur les actes de violence. Seulement la vie de Naduah -ou ce que les auteurs en disent- et la façon dont l'humanité l'a dépossédé deux fois de ce qu'elle avait de vie. Loin des clichés de l'ouest sauvage, Naduah est une BD qui rappelle que ces scènes de films et de BD souvent dantesque et sanglante cachent également des souffrances pour les femmes. La BD est servie par un dessin qui colle tout à fait à l'atmosphère, avec une utilisation des décors et des couleurs qui plonge dans les grandes plaines. C'est beau, bien mené et je suis franchement content de l'avoir lu. Il est assez originale de tomber sur un tel récit et c'est ce qui me semble justifier ma note. La BD est un peu courte, quelques pages en plus n'auraient pas fait de mal. Mais oui, c'est sympa !

04/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Batman - Les Contes de Gotham
Batman - Les Contes de Gotham

Je serai moins généreux dans ma note que Gaston mais cet album me reste très sympathique. C’est joliment exécuté, l’idée d’allier l’univers de Gotham à celui des contes est bien vu et surtout bien tenu. Franchement du boulot très honnête, je regrette juste ce petit côté anecdotique. On passe un bon moment mais qui ne restera pas bien en mémoire. Cependant ça m’a bien donné envie de poursuivre ma découverte des auteurs. Le dessin (et couleurs) de Dustin Nguyen m’a chatouillé l’œil (j’adore la couverture au passage) et les 4 récits, bien que disparates en terme d’intérêt, restent de bonnes qualités. Je vois que l’album est paru dans la collection Urban Kids mais l’ambiance toute mignonne plaira à tout le monde. A lire quand même, que si on s’intéresse à minima aux chevaliers noirs. De la came franchement pas mal.

04/03/2025 (modifier)
Couverture de la série Retour à Tomioka
Retour à Tomioka

Une série jeunesse, mais le lecteur adulte que je suis ne l’a pas trouvée trop mièvre ou naïve. Mon ressenti serait de 3 étoiles tirant sur le niveau supérieur, j’arrondirai à 4 pour le public cible. En fait l’album arrive à évoquer un sujet sensible et grave (les conséquences de la catastrophe de Fukushima, la mort d’un être cher) en le faisant de façon douce, autour de deux gamins pleins de vie et de ressources. Deux gamins qui ont perdu leurs parents dans la catastrophe (le tsunami), et qui veulent à tout prix amener les cendres de leur grand-mère décédée dans sa maison abandonnée dans la zone fortement irradiée et désormais interdite. En particulier le plus jeune, Osamu, qui depuis les drames qui l’ont touché mélange rêve et réalité, préférant la compagnie des Yôkaï à celle des humains. L’album se lit vite, car il y a peu de textes. Et aussi parce que la narration est fluide, rythmée (c’est une sorte de course-poursuite entre Osamu, sa sœur Akiko, et les autorités contrôlant la zone dangereuse. Si les auteurs sont bien européens, on est dans un univers japonisant. Bien sûr pour le cadre. Mais aussi parce que le dessin de Michaël Crouzat – en particulier pour les visages et leurs expressions – joue sur des influences de manga. On est aussi parfois dans quelque chose de proche de ce que les studios Ghibli ont pu proposer (Miyazaki bien sûr, mais aussi Takahata), en particulier lorsque les Yokaï apparaissent, mais aussi pour la présence d’une nature plus que résiliente. Bon, ce sont surtout les plus jeunes qui y trouveront leur compte quand même. J’ai en particulier trouvé un peu trop grosses les ficelles pour tout ce qui touche aux interventions des autruches. Note réelle 3,5/5.

04/03/2025 (modifier)