Un Binet relativement surprenant, dans un registre en tout cas moins purement humoristique et caustique qu’à l’habitude. Mais après tout, il a déjà touché le drame, avec L'Institution, et, finalement, il y a ici aussi un peu d’humour – on rit jaune, désabusé par les propos de certains médecins par exemple, ou la froideur administrative gérant l’humain derrière le patient et sa famille.
L’album raconte l’histoire d’une jeune femme, victime d’un AVC probablement après la prise d’une pilule contraceptive – en lisant un Bidochon. L’anecdote a permis la rencontre entre la jeune femme et Binet, et celui-ci en a fait un album (qui s’inspire de l’histoire et du livre qui en avait été tiré).
L’histoire est touchante. Et les propos de certains médecins, qui manquent franchement de tact, voire de simple intelligence, mais aussi la défense – un peu à la Servier – du laboratoire fabriquant la pilule (comme toujours, c’est à la charge de la victime de fournir la preuve que son problème est lié au produit du laboratoire, et seulement à lui !) amusent un peu, et scandalisent.
Mais, comme l’ont souligné mes prédécesseurs, l’album est très – trop – court. On aurait en particulier apprécié d’en savoir plus sur le combat judiciaire de Marion.
Pillage des ressources
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016/2017, coécrits par William Gibson & Michael St. John Smith (cocréateurs de la série), aidés par Michael Benedetto qui a effectué le découpage du scénario. Butch Guice a dessiné les épisodes 1 à 4 et en a encré une partie. Alejandro Barrionuevo a aidé Guice pour les dessins de l'épisode 4. L'épisode 5 a été dessiné par Wagner Reis. L'encrage des épisodes 1 à 5 a été réalisé par Tom Palmer. Les couleurs ont été réalisées par Diego Rodriguez et Wes Dzioba. Les couvertures ont été réalisées par Tula Lotay. Les couvertures alternatives ont été réalisées par Butch Guice (*3), David Fabbri (*1), James Biggie (*5, dont celle utilisée pour la couverture), Alejandro Barrionuevo (*1) et Wagner Reis (*1). le tome comprend également une postface de 2 pages rédigée par William Gibson (en juin 2017), et 9 pages de crayonnés d'étude de personnages réalisées par Butch Guice.
En 2016, la Terre est en piteux état, que ce soit à Tokyo, à Moscou ou à Londres. Dans un hôpital, un médecin vient de terminer son opération de chirurgie esthétique : le vice-président Henderson a maintenant le visage de son grand-père Aloysius Henderson, major dans l'OSS. le major Guadalupe Torres préside au maniement de la machine à remonter dans le temps qui permet d'envoyer Henderson et 6 soldats dans le passé, en février 1945, au Pentagone. Ils sont à la recherche d'Archangel. Toujours en 2016, le docteur Jack Davis demande au major Torres d'éteindre la machine Splitter. Au lieu de cela, elle abat les gardes dans la pièce, ligote le docteur Davis et lui explique qu'elle refuse de se rendre plus longtemps complice dans ce projet d'aller piller une Terre alternative.
En août 1945, dans un Berlin occupé, le lieutenant Naomi Givens met la dernière touche à son uniforme et sort à l'extérieur où l'attend Fritz, son contact avec le milieu du marché du noir. Elle se rend au quartier général de la British Royal Air Force, toujours dans Berlin. le commandant Gordon Tully lui présente un court film montrant un avion non identifié percuter un bombardier B-17 américain. Un des pilotes a été capturé par les militaires américains. le commandant suggère que Naomi Givens demande une faveur au capitaine Vince Matthews de l'armée américaine, qui fut son amant pendant un temps. Avec un petit chantage bien adroit, elle réussit à convaincre Matthews de l'introduire dans la cellule du Pilote (du mystérieux aéronef), puis dans la morgue pour regarder le cadavre d'un des autres membres d'équipage, et enfin de lui montrer un éclat de plastique provenant de l'aéronef lui-même.
Sur la couverture n'apparaît que le nom de William Gibson, en gros caractère, sans mention des autres créateurs. Ce n'est pas étonnant puisque cet auteur est un romancier de science-fiction réputé, qui a créé le genre cyberpunk avec Neuromancien en 1984. Il a depuis écrit plusieurs romans dont certains relevant plus d'une légère anticipation comme l'excellent Identification des schémas (2004). Un lecteur rompu aux comics sait que les éditeurs sont friands de ce type de comics écrits par des romanciers. Cela permet d'attirer des lecteurs qui ne lisent jamais de comics, et de profiter de la notoriété d'un auteur connu, extérieur au petit monde des comics. Ce même lecteur sait également que cette promesse d'un comics écrit par un romancier ou par un scénariste de télé ou du cinéma peut s'avérer trompeuse : il arrive que l'auteur au nom connu n'ait apporté qu'une idée et qu'elle ait été développée par un autre scénariste. Il arrive également que l'auteur ne sache pas écrire une bande dessinée et incorpore de longues plages d'exposition, anathème d'une narration visuelle. En regardant qui a fait quoi, le lecteur devient un peu dubitatif. Non seulement, Michael Benedetto a réalisé le chapitrage du récit, mais en plus William Gibson n'a pas écrit le scénario tout seul, mais en plus il n'a pas imaginé le concept tout seul (mais avec Michael St. John Smith). Dans la postface, William Gibson explique qu'il s'agissait au départ d'un projet de film proposé à un producteur allemand, et déjà coécrit à la base par lui et St. John Smith.
Évidemment, en choisissant de lire ce tome, il est vraisemblable que le lecteur espère un récit de type cyberpunk, mais qu'il accepte de retrouver le regard décillé de William Gibson dans un récit appartenant à un autre genre. Dans la postface, il explique qu'il souhaitait écrire un récit se déroulant durant la seconde guerre mondiale. Il s'agit donc plus d'une histoire de science-fiction avec voyage temporel et une Terre alternative. Pour donner corps à cette reconstitution historique, les responsables éditoriaux ont réussi à débaucher le vétéran Jackson Guice qui a débuté sa carrière en 1982, sur la série Micronauts écrite par Bill Mantlo. Il bénéficie de l'encrage d'un autre vétéran Tom Palmer, ayant lui débuté sa carrière dans le courant des années 1960. Là encore, le lecteur tique un peu quand il constate que ce tandem n'a réalisé que 3 épisodes, et qu'à partir du quatrième Jackson Guice a commencé à céder sa place à un autre artiste. Cela peut s'expliquer par le fait qu'il s'est écoulé 8 mois entre la parution de l'épisode 3 et celle de l'épisode 4. Les 3 premiers épisodes offrent effectivement une belle immersion dans un Berlin en partie en ruine. Guice ne reconstitue pas la ville à partir de photographies, mais il crée des endroits plausibles, avec un bon niveau de détails dans les agencements, les ameublements et les accessoires. Les personnages sont représentés de manière réaliste avec des visages et des morphologies spécifiques, et des tenues conformes à la réalité historique. L'artiste a donc choisi une approche réaliste avec des séquences d'action, en se tenant à l'écart des tics graphiques des comics de superhéros.
L'encrage de Tom Palmer est à la fois précis et peu lâche, insufflant une réelle vitalité dans les dessins. Jackson Guice n'exagère pas les capacités physiques des personnages, ni l'étendue des destructions. Il n'y a que la petite amie de Fritz qui détonne vraiment, avec sa tenue laissant voir son nombril et sa mitrailleuse à la main. le lecteur suit donc des individus normaux essayant d'échapper aux balles, et se déplaçant dans des endroits plausibles et variés, les auteurs ayant bien assimilé que la narration d'une bande dessinée repose sur des éléments visuels. S'il y prête attention, le lecteur remarque que les dessins de l'épisode 4 présentent un degré de finition un peu moindre, même si l'encrage de Tom Palmer est toujours aussi vivant. En particulier, vers la fin de l'épisode, les visages commencent à être moins consistants. Étrangement, il ne ressent pas la même impression avec l'épisode 5 qui s'inscrit dans la continuité des dessins de Guice, mais avec un découpage de séquence moins fluide et des angles de prise de vue plus accentué.
Le lecteur plonge donc dans un thriller (la course à Archangel) juste à la fin de la seconde guerre mondiale, avec une dimension de science-fiction. Les auteurs partent d'un postulat de départ un peu classique et très efficace. Une Terre parallèle a épuisé ses ressources et l'une de ses nations (les États-Unis) dispose des moyens d'aller s'approprier les richesses d'une autre Terre, peu importe ses habitants. Gibson et St. John Smith utilisent pour de vrai la situation de l'époque à laquelle se déroule l'histoire, et pas seulement comme un vague décor interchangeable. Ils construisent une course-poursuite dans laquelle les héros avancent en aveugle. Ils n'ont effectivement pas oublié qu'ils écrivent une bande dessinée et qu'il faut qu'un maximum d'informations soit apporté de manière visuelle. Ainsi, ils prennent soin que l'histoire change régulièrement d'endroit, et que les personnages en rencontrent des nouveaux parfois étonnants, comme Herr Saügling (surnommé Mister Baby). Ils développent un suspense à 2 niveaux, celui du temps présent dans la Terre parallèle et celui en 1945 sur la Terre principale.
Le lecteur fait son deuil de l'absence d'éléments cyberpunk, pour un récit de science-fiction plus traditionnel. Les auteurs mettent en scène la rapacité d'une humanité consommant tout au fil de son existence, et n'hésitant pas à aller se servir chez le voisin. Au fur et à mesure de la prise de conscience de la dangerosité de cet ennemi venu du futur, les militaires de différentes nations (Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis, URSS) finissent par s'allier contre cet ennemi commun. D'un côté, le récit bénéficie de sa brièveté car les auteurs ne peuvent pas se permettre de temps de mort, et ils restent donc en avance sur le lecteur qui découvre révélation après rebondissement. D'un autre côté, ils n'ont pas le temps ou la place de s'attarder sur les personnages qui finissent vite par être un peu lisse, passée leur scène de présentation initiale.
Par rapport à d'autres histoires plus ou moins écrites par des auteurs de renom n'appartenant pas au monde des comics, celle-ci tient la route, sous la forme d'un thriller effectivement raconté avec les outils narratifs de la bande dessinée. Jackson Guice effectue un bon travail pour donner de la consistance aux personnages et aux environnements, avec un encrage toujours aussi vivant de Tom Palmer. le lecteur regrette que cette équipe artistique n'ait pas réalisé l'ensemble des 5 épisodes. Les auteurs racontent une bonne histoire de science-fiction qui finit par perdre un peu de se sensibilité dans la mesure où les personnages ne disposent pas d'assez de place pour exister.
Nouvelle adaptation d'un classique de Marcel Pagnol, la Fille du puisatier est à la base le scénario d'un film tourné durant la Seconde guerre mondiale et marqué par celle-ci et son impact sur la population française. On y retrouve pourtant la majorité des thèmes chers à Pagnol : le décor provençal, les petites gens, artisans et hommes du peuple aux relations simples et franches, un amour compliqué par la vie et aussi le destin d'une fille-mère abandonnée par le père de son enfant comme c'était le cas pour Fanny dans la trilogie marseillaise.
C'est une histoire plutôt dense, s'étalant sur quelques années. C'est l'histoire de la rencontre entre la jolie Patricia, très honorable fille d'un puisatier qui l'aime beaucoup, et de Jacques, fringant pilote d'avion issu d'une classe sociale supérieure. Alors que ce dernier envisageait de la séduire comme une fille de rien, ils tombent amoureux mais sont brusquement séparés par la guerre qui envoie Jacques au front. Patricia se retrouve alors seule et enceinte, abandonnée en grande partie parce que la mère de Jacques a rompu les ponts entre son fils et elle, laissant croire à l'un que l'autre s'est mariée, et à l'autre que son fils ne lui a jamais écrit.
Le dessin d'Emilio Van Der Zuiden est appréciable et lumineux. Il retransmet bien le soleil de Provence mais aussi la beauté des protagonistes, notamment les femmes rendues charmantes avec leurs lèvres noires. On notera aussi son choix de présenter ses propres personnages plutôt que d'imiter vaguement les visages des acteurs du film : ici point de Fernandel ou de Raimu mais des personnages propres au dessinateur.
Si l'histoire est intéressante, l'adaptation en BD passe moyennement bien. Certains passages paraissent précipités, transmettant mal leur intensité. On ressent peu les émotions et les intentions des personnages. Et on est parfois mis devant le fait accompli des actes des uns et des autres, sans avoir participé émotionnellement aux raisons qui les ont poussé à agir ainsi. De même, la ferveur amoureuse entre les deux protagonistes est peu visible, difficile à ressentir, et la fin heureuse a des airs de compromis qui arrange chacun plutôt que de la victoire de l'amour.
Il en découle une belle BD, avec une bonne histoire, mais qui dégage assez mal son lot d'émotions et maintient une certaine distance entre son lecteur et les actes et sentiments de ses personnages.
Je n'ai malheureusement pas retrouvé la même intensité émotionnelle qui m'avait tant bouleversé lors de ma lecture du roman. Les moments de tension, si marquants dans le livre, m'ont ici semblé manquer de rythme et de profondeur. Bon, mes souvenirs remontent à plus de 20 ans, donc je compare surtout avec les impressions émotionnelles que le roman m'avait laissées.
Le dessin et la colorisation ne m'ont pas non plus vraiment convaincu, mais c'est sans doute parce que je les compare aux images bien plus réalistes et sombres que j'avais en tête. Si je mets de côté cette comparaison, ce style de dessin m'aurait totalement charmé dans une autre lecture.
Cela étant dit, quelle agréable surprise de découvrir cette adaptation en BD ! Même si elle ne m'a pas transporté autant que le livre, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire cette intégrale. Quelle aventure, et quelle force mentale pour des enfants si jeunes ! c'est un périple incroyable à découvrir !
Construire un environnement partagé au goût steampunk
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Il s'agit d'un récit complet et indépendant, initialement paru sous la forme de 7 épisodes, en 2013/2014. le scénario a été écrit par Bill Willingham (le scénariste de Fables). Les dessins et l'encrage ont été réalisés par Sergio Fernandez Davila. Wes Hartman a effectué la mise en couleurs. Les couvertures principales sont de Joe Benitez, avec l'aide d'Ivan Nunes. Ce tome contient aussi toutes les couvertures alternatives, ainsi que le script du premier épisode, et les dessins de conception graphique des personnages, réalisés par Johnny Desjardins.
L'histoire commence à New York, à une date indéterminée (sûrement la fin du dix-neuvième siècle, pour être cohérent avec le concept du Steampunk). Dans un restaurant huppé, Vampirella (dans une superbe robe rouge & noire) est en train de dîner avec Brit Reid (dans un beau costume trois pièces vert bouteille, évoquant la couleur de son costume de Green Hornet). Une femme fait irruption dans la salle, poursuivie par une demi-douzaine de tueurs cagoulés. Vampirella a vite fait de s'en occuper de manière très brutale.
Cette jeune femme s'appelle Magna Spadarossa, et elle est à la recherche de sa sœur, une certaine Red Sonja. Brit Reid (et son homme de main Kano) va essayer de déterminer qui a commandité ces tueurs. Par la suite, elle va voyager sur un autre continent à bord d'un vaisseau sous le commandement de Captain Victory. Elle sera ensuite amenée à faire équipe avec Phantom (Kit Walker) & Devil, Flash Gordon, Silver Star, Steve Austin et Don Diego de la Vega (Zorro).
Dès la couverture, le lecteur comprend bien qu'il s'agit d'un projet fabriqué de toutes pièces. L'éditeur Dynamite a été chercher Joe Benitez (l'auteur de Lady Mechanika) pour qu'il apporte sa touche steampunk aux couvertures (alors qu'il ne dessine rien à l'intérieur), et Benitez s'en tient strictement à dessiner des personnages, sans aucun arrière-plan. L'apparence des personnages a été conçue par un artiste engagé spécialement pour cette tâche : Johnny Desjardins.
L'association de héros est assez hétéroclite, et reflète surtout le catalogue de personnages dont Dynamite détient les droits au moment de la parution de l'ouvrage. Red Sonja est un personnage annexe de la série Conan le Barbare (mais pas créé par Robert E. Howard). Vampirella est une vampire (oui, c'est marqué dans son nom) rescapé d'un magazine des années 1970. Green Hornet (et Kato) provient d'une série télé, dont la renommée doit beaucoup à la présence de Bruce Lee au générique. Flash Gordon était le héros d'un comic-strip d'Alex Raymond dans les années 1930. The Phantom (& Devil) provient lui aussi d'un comic-strip des années 1930, créé par Lee Falk. Steve Austin était le personnage principal d'une série télé dans les années 1970. Zorro fut créé en 1919 par l'écrivain Johnston McCulley, et a bénéficié d'une série télé réalisée par les studios Disney dans les années 1950 (avec Guy Williams). Enfin Silver Star et Captain Victory sont des personnages de comics, créés, écrits et dessinés par Jack Kirby au début des années 1980.
Le lecteur se rassure un peu quand il voit que ce bel emballage d'un assemblage hétéroclite d'héros (devant plus à l'exploitation de licences, qu'à une logique d'auteurs) bénéficie d'un scénariste de grand renom : Bill Willingham. Il apparaît rapidement que son objectif est de donner corps à ces versions steampunk de personnages établis et de construire et développer un monde cohérent à partir de ce concept artificiel. La notion de steampunk qualifie un genre littéraire dont l'action se déroule dans l'atmosphère de la société industrielle du dix-neuvième siècle, avec une utilisation massive des machines à vapeur.
Les dessins de Sergio Fernandez Davila montrent une utilisation un peu libérale et parfois trop littérale de l'imagerie associée au steampunk. Il y a donc les tenues vestimentaires, croisement stylistique entre les vêtements de l'époque de la reine Victoria, et des tenues un peu plus décolletées pour les femmes, un peu plus moulantes pour les hommes (voire carrément collantes pour Silver Star, comme un costume de superhéros). Ensuite il y a la présence sur chaque tenue de quelques éléments ou accessoires en cuivre. D'un côté, Davila reprend le métal en vogue à l'époque ; de l'autre côté il s'agit d'un élément visuel sans réelle signification autre que visuel (il n'y a pas de logique technologique d'anticipation rétrofuturiste justifiant cette omniprésence du cuivre). de même Davila a décidé que les lunettes de protection (avec monture en cuivre) constituent un élément indispensable du steampunk. du coup tous les personnages (sauf peut-être les figurants) en portent systématiquement, tout le temps. le lecteur comprend que Davila veut à tout prix faire "steampunk", sans se soucier d'une logique pour l'usage ou la présence de ces éléments.
Passé ce petit agacement pour ces éléments steampunk utilisés à tort et à travers, les dessins de Davila sont agréables, de bonne facture pour un comics. Les personnages se distinguent aisément. Les vêtements comportent des détails en quantité suffisante. Les arrière-plans sont présents régulièrement, et assez développés pour rendre de compte de la spécificité des lieux. Les scènes de combats disposent d'un minimum de mise en scène pour ne pas se limiter à une juxtaposition de cases avec des gens se tapant dessus au hasard de postures que le dessinateur trouve cool.
Davila arrive à reproduire assez d'éléments spécifiques à chaque héros pour qu'ils ne soient ni interchangeables, ni fades. Il n'y a vraiment que les héros de Kirby qu'il n'arrive pas à assimiler au steampunk (il faut dire que le choix de ces personnages était incongru dès le départ). Bien sûr quand Red Sonja finit par apparaître, elle arbore son soutien-gorge en cotte de mailles (mais elle porte un vrai pantalon). Par contre le mode de représentation fait ressortir avec force l'idiotie pour Steve Austin de disposer d'un bras bionique, puisque le reste de sa musculature humaine est incapable de supporter les poids soulevés ou maniés par ce bras.
De son côté, Bill Willingham ne dispose que de 7 épisodes pour concevoir, présenter et installer une dizaine de personnages, dans un environnement où tout est à construire. Il ne faut donc pas espérer beaucoup de personnalité pour chaque héros. le scénariste s'appuie sur les particularités déjà connues du lecteur et arrive tout juste à donner quelques répliques sémillantes à Zorro, et un semblant de suffisance à Silver Star. Pour le reste, ils sont tous valeureux et courageux. Finalement, c'est encore Devil (le chien robotique de Phantom) qui sort les répliques les plus piquantes. Il s'appuie également sur les criminels de chaque héros pour fomenter un complot à grande échelle, afin de régner sur tous les territoires. le lecteur voit donc apparaître Lidia Valcallan, Felix Avalon, Ming, Docteur Moreau, Général Tara, Kulan Gath.
L'intrigue et le développement de l'environnement priment donc sur les personnages. Willingham a conçu une trame générale (la recherche de Red Sonja portée disparue) qui fournit le motif des pérégrinations de Magna Spadarossa, au cours desquelles elle croise tous ces héros. le plan de conquête tient la route. Les rencontres sont justifiées par le scénario. Willingham a conçu son intrigue de manière satisfaisante. Alors que le lecteur peut s'agacer des disparités de technologies existant dans ce monde (pas que des moteurs à vapeur), l'apparition de Flash Gordon fournit une explication à ces divergences.
Au final ce tome constitue un divertissement léger à base d'aventures grand spectacle, dans le cadre d'un environnement steampunk qui dépasse les limites strictes du genre. Les personnages n'ont que peu de personnalité, l'objectif étant de poser les fondations d'un environnement dans lequel d'autres créateurs pourront venir jouer par la suite (l'amorce d'une franchise d'un genre très pointu). Si le lecteur est venu chercher un récit bien ficelé, rigoureux, avec des thèmes adultes, il sera déçu par un récit attaché à servir de bible pour les auteurs suivants. 3 étoiles. S'il vient chercher une aventure sans conséquence, il pourra apprécier une histoire facile à lire, avec des personnages hauts en couleurs, et un parfum steampunk un peu original.
A priori pas ma came, mais pas encore référencé ici, donc j’ai emprunté cette nouveauté au hasard dans ma médiathèque. Je ne suis pas du tout adepte des bouquins de conseils, de coaching en tous genres, qui encombrent les devantures et accumulent souvent lapalissades et autres stratégies et considérations fumeuses, se contredisant les uns les autres.
Commencée avec appréhension et recul – et les premières pages n’ont fait que renforcer mes préventions, cette lecture ne s’est pas révélée aussi pénible que je ne le craignais. Disons que si ça reste quelque chose qui ne m’intéresse pas forcément, tout n’est pas à jeter, et certains lecteurs peuvent y trouver leur compte.
Le dessin est minimaliste – et cela est accentué par les différentes bichromies utilisées par la coloriste. Mais ça fait le boulot et c’est dynamique et très lisible.
En fait, plus que les différentes techniques présentées ici pour se « défendre », ce sont les questionnements, les réflexions qui les introduisent qui sont intéressantes. En effet, les préjugés – sexistes surtout mais pas seulement – sont souvent bien présentés, avec quelques touches d’humour, et l’auteure, qui se met en scène, parvient à montrer comment on peut ne pas les laisser s’installer.
Kei Lam et sa coach Anne van Hyfte (qui est aussi chercheuse) donnent ici quelques pistes pour combattre pas mal de petites – et grosses – agressions du quotidien. Et la bibliographie en fin de volume est intéressante.
Note réelle 2,5/5.
La construction de l’intrigue est assez prenante, et relativement surprenante au début. J’ai même un temps cru que ce diptyque était la suite d’une autre série, « Résonance » en lisant les deux/trois premières pages, jusqu’à ce que je comprenne que c’était une série du narrateur, mangaka, qui va se trouver embarquer dans sa propre série, côtoyant ses personnages, dans une mise en abime parfois renversée, puisque certains personnages virtuels viennent dans son monde réel.
Le procédé est dynamique, et plutôt bien utilisé pour donner du rythme et de l’intérêt à l’intrigue. Heureusement, car l’histoire créée par le mangaka est peu intéressante. Mais elle dévie totalement pour se transformer en une course poursuite, une lutte pour la survie incluant l’auteur, voire une lutte pour sauver le monde !
Il y a quelques longueurs, et certaines scènes de baston sont un peu trop étirées (moins quand même que dans beaucoup de mangas).
Le dessin est fluide, très lisible. Il fait la part belle aux personnages, mais ne s’encombre pas de détails (très peu de décors).
Une lecture relativement rapide, mais globalement intéressante.
Russie de nos jours, une vingtaine de patients acceptent d'intégrer un programme destiné à essayer de les guérir d'un traumatisme que chacun a vécu en les isolant du reste du monde pendant une année. I.R.M, electrochocs et autres tests neurobiologiques sont prévus pour ces engagés volontaires. Sauf que tous partagent les mêmes soucis d'amnésies partielles et que le doute s'insinue rapidement chez eux quand ils constatent qu'ils ne sont pas libres de leurs mouvements et que la surveillance est permanente.
Le premier tome de ce qui s'annonce comme une série d'histoires en un tome est assez dense et complexe. On y suit la patiente principale de cet institut, une jeune femme supérieurement intelligente qui attire l'attention privilégiée du directeur qui en sait visiblement beaucoup sur elle. Secrets enfouis dans des secrets, Natacha va devoir jouer en finesse pour s'évader et comprendre ce qui se trame autour d'elle et des autres patients.
En quatre chapitres et 72 pages, les auteurs mêlent expériences médicales, évasion, enquête policière, complots gouvernementaux et crimes passionnels. Le graphisme est de bonne facture quoiqu'il manque d'âme et que les couleurs soient sans charme. La narration est claire et l'intrigue prenante. Le lecteur est facilement pris dans l'histoire et l'envie d'en comprendre le ou les mystères. C'est intense et parfois même trop alambiqué. Certains éléments paraissent en outre un peu bancals, comme notamment une telle implication et dévotion à protéger l'innocent de la part d'agents du FSB qui se comportent ici en héros de série à l'américaine. Leurs motivations m'ont parfois paru difficiles à capter et j'ai même dû revenir en arrière dans ma lecture pour comprendre ce qui les avaient amenés à mener l'enquête qu'ils mènent avec tant de motivation.
Hormis ces points un peu factices, j'ai passé un plutôt bon moment de lecture.
Le second tome se déroule quelques temps plus tard et embarque notre héroïne sur la piste d'un serial-killer aux Etats-Unis dans le cadre d'une coopération entre la Russie et les USA. En effet, alors qu'elle vivait une nouvelle vie tranquille en Russie, un tueur arrange ses scènes de meurtres aux Etats-Unis de manière complexe et laisse aux enquêteurs l'indice que seule elle comprendra la clé du mystère. Appelée à l'aide, elle devra donc mettre son intelligence supérieure au service de l'enquête et décrypter les messages secrets laissés par le meurtrier qui semble avoir mis en place un sanglant jeu de piste pour elle.
C'est une histoire policière complexe, faite de cryptographie et d'un jeu de piste vraiment très alambiqué. Si les indices et leurs résolutions tiennent la route, c'est un peu prise de tête et on se demande parfois comment l'héroïne arrive à la bonne conclusion vu la distance entre les énigmes et leurs solutions. Et surtout, de la même manière que pour le premier tome, quand on arrive à la fin de l'histoire, on ne peut s'empêcher de ressentir un sentiment de "Pourquoi avoir fait si compliqué pour arriver à ce résultat ? N'y avait-il pas des moyens plus simples d'arriver à la même chose ?".
De plus, alors que la fin officielle de l'histoire semble laisser l'héroïne dans un échec et la promesse de nouvelles complications pour la suite de la série, on notera la présence d'un épilogue surprenant qui, en quelques textes et un bout de bande dessinée, semble étonnamment clore en quatre pages ces promesses et rendre finalement l'héroïne victorieuse des nouveaux défis qui allaient se dresser face à elle. C'est un peu bizarre, comme si c'était le troisième tome qui avait été résumé dans cet épilogue. Est-ce que cela annonce la fin prématurée de la série ? Ou est-ce que l'auteur a finalement décidé qu'il n'avait pas envie d'aller dans la direction que la fin de ce second tome laissait présager ? Je reste un peu perplexe...
Intégrer de la fantasy dans l'Histoire avec un grand H pour créer une forme d'uchronie, c'est toujours une idée appréciable. Et d'ailleurs Froideval avait déjà eu la même dans la série Mens Magna où là aussi des mages côtoyaient Napoléon qui avait là encore trouvé une relique égyptienne lui permettant de conquérir le monde. Mais l'idée est ici poussée encore plus loin car c'est toute la Terre des environs de 1800 sur laquelle humains historiques et créatures surnaturelles se côtoient au quotidien. Ainsi les armées mamelouks sont aidées de momies et autres djinns, celles de Napoléon comportent des éclaireurs fées et des mages de guerre dans leurs rangs, et vampires, sorcières et autres monstres spécifiques aux légendes de chaque région rôdent ici et là.
Dans ce contexte, deux mages et leur guerrière protectrice sont chargés par l'Empereur lui-même de retrouver la trace d'un parchemin peut-être volé par le jeune tsar de Russie lors de son ambassade auprès de Napoléon.
Même s'il ne faut pas en général trop pousser la réflexion à leur sujet au risque d'y trouver des incohérences, j'aime ces uchronies fantaisistes. Elles permettent de revisiter l'Histoire et de la modifier au gré de l'imaginaire de l'auteur, et de créer des situations et confrontations fantasmées tout en ouvrant de belles opportunités de récit.
Le graphisme de Brice Bingono se fait ici réaliste et crédible. Il est soigné et appréciable mais les couleurs souvent sombres masquent une part de ses détails ce qui est un peu dommage.
L'histoire se déroule un peu vite du fait du format serré de 48 pages seulement. Avec un tel cadre et de tels personnages, on sent le scénariste à l'étroit, n'arrivant à exprimer qu'une partie de ses idées. Si l'intrigue de la majorité de l'album est relativement attendue, la conclusion apporte un retournement de situation appréciable et plutôt bien trouvé, quoique légèrement facile sur le fond. On reste toutefois sur une vraie frustration à l'idée que cette histoire puisse s'en tenir à un simple one-shot car il donne clairement l'impression d'en avoir encore sous le coude et de pouvoir étendre davantage l'aventure des jeunes héros dans ce monde de fantasy uchronique. Tel quel, l'album est simplement pas mal, mais si elle devait présenter une suite un jour, la série pourrait devenir franchement bien.
Qu'est-ce qui explique une telle ferveur ?
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Ce tome constitue une biographie tout public de la chanteuse Oum Klathoum. Sa première parution date de 2023. Il a été réalisé par Chadia Loueslati pour les dessins, et Nadia Hathroubi-Safsaf pour le scénario. Il se termine avec trois pages consacrées à la présentation de son entourage (Cheikh Aboul al Mohammed, Zakaria Amhmed, Ahmed Mohammed Rami, Sadik Ahmed, Gamal Abdel Nasser, Hassan el Hafnaoui), un arbre généalogique (ses parents, son frère, sa soeur), deux pages recensant les décorations et distinctions reçues à travers le monde arabe par la chanteuse), une page consacrée à une aperçu de sa discographie, une page de bibliographie, expositions et documentaires, huit pages croquis et de recherches graphiques.
Paris, le treize novembre 1967, la journaliste Diane Moulins se rend à un concert à l'Olympia. Elle remonte la longue file de spectateurs, canalisés par des barrières de police, qui attendent pour pouvoir accéder à la salle de spectacle. Elle n'en croit pas ses yeux, du nombre de personnes dans la queue. L'un d'eux lui adresse la parole, surpris qu'elle ne sache pas qui est Oum Kalthoum, car c'est la plus grande chanteuse du monde arabe. L'astre d'Orient, la diva égyptienne. Elle parvient à entrer dans le bâtiment. Elle explique qu'elle est journaliste et qu'elle a été invitée par Bruno Coquatrix. Un monsieur à l'accueil lui indique qu'il va l'en informer. Elle rejoint la salle et s'assoit. Les musiciens en costume entrent en scène. Les applaudissements retentissent, fournis. L'orchestre entame la première chanson, et Oum Kalthoum fait son apparition, rejoignant lentement le micro, son mouchoir à la main. Elle entame la mélopée, et dans les spectateurs sont en extase, en transe même pour certains.
La représentation se termine sous des applaudissements nourris. Quelle performance ! Tenir trois heures sur scène avec seulement trois chansons. Chaque récital est unique. C'est la signature d'une diva. Diane Moulins fait la connaissance de Bruno Coquatrix qui lui confie que la réussite de ce soir n'était pas gagnée d'avance. Il y a trois jours, il n'avait pas vendu la moitié des billets, et aujourd'hui c'est plein à craquer. L'idée de ce spectacle lui a été suggérée par Charles de Gaulle lui-même qui a beaucoup d'admiration pour elle. Alors que la chanteuse sort sous le crépitement des flashs, la journaliste demande au directeur s'il pourrait lui organiser un entretien avec elle avant son départ. le lendemain, elle pénètre dans la suite de Kalthoum à l'hôtel George V. Elle fait la connaissance de Sadik Ahmed, son imprésario, puis d'Oum Kalthoum elle-même. Tout le monde prend place dans le salon, avec une tasse de thé, et l'entretien peut commencer. À la question sur son succès, la chanteuse répond qu'elle ne triche pas et que les spectateurs le sentent. Elle est à eux totalement à chaque récital. Elle ne se cache derrière aucun artifice. Ils la reconnaissent comme une des leurs. Une femme du peuple ! Elle continue : elle est née en Égypte, un soir de ramadan à Tmaé, un village du delta du Nil, au nord du Caire.
Le lecteur peut être intimidé par la couverture austère de l'ouvrage, capturant bien l'identité visuelle de la chanteuse. Il ouvre le tome et entame sa lecture : il se rend compte qu'il s'agit d'une narration tout public emprunte de gentillesse, sans aspérité ou critique sur l'artiste, avec un niveau basique d'information. Pour autant les autrices ne donnent pas dans l'hagiographie. Elles s'en tiennent aux informations essentielles, factuelles, sans jugement de valeur, sans louanges. Elles ont opté pour une tonalité qui montre le chemin parcouru depuis le petit village et l'absence d'éducation, jusqu'à devenir une chanteuse en arabe à la renommée internationale. En quelque sorte, il s'agit d'un ouvrage de vulgarisation sur la vie d'Oum Kalthoum. le lecteur ne doit pas s'attendre à une analyse de ses chansons, de l'évolution de son orchestre au fil des décennies, ou de ses prises de position politiques. Pour autant, l'ouvrage s'appuie sur un véritable travail de recherche. Il suffit de découvrir la première scène pour pouvoir apprécier la maîtrise du sujet par les autrices. Elles ont choisi la première prestation d'Oum Kalthoum dans un pays occidental, sa première date à l'Olympia (elle s'y est produite également le 15 novembre 1967). Elles ne mentionnent pas qu'elle a exigé du directeur, d'être l'artiste la mieux payée à jouer à l'Olympia, ni qu'elle a fait don de son cachet au gouvernement égyptien.
Après la très belle couverture, le lecteur découvre la narration visuelle des pages intérieures. Cela commence par une magnifique case occupant les deux tiers de la page, et montrant les toits de Paris, avec la tour Eiffel en fond. L'effet est magnifique avec des dégradés de gris pour différencier les surfaces contigües. La journaliste remonte la file d'attente, et le lecteur apprécie à nouveau la qualité esthétique des cases, tout en s'interrogeant sur l'exactitude de ce qui est représenté. Il remarque qu'un fois à l'intérieur de l'Olympia, les fonds de case perdent en niveau de détail, même si l'usage de camaïeux à base de nuances de gris produit des fonds du plus bel effet. le lecteur continue de regarder les paysages et les environnements : d'autres toits de Paris très, très propres sur eux, un peu plus conformes à la réalité, la salle de réception de la suite de de la chanteuse au George V, très propre sur elle, le village Tmaé et ses rues en terre battue, un champ de coton, les jardins d'une demeure luxueuse, le train qui emmène la jeune adolescente au Caire, les pyramides du plateau de Gizeh, etc. Tout baigne dans une douce lumière, avec une sensation aseptisée et apaisée. le lecteur se dit que d'un côté il éprouve la sensation d'évoluer dans des décors tellement nets qu'ils en deviennent factices, et que de l'autre côté, il comprend bien où se déroule chaque scène. D'un côté, il voyage dans ce wagon de train bondé ; de l'autre côté la largeur intérieure du wagon est peu plausible. Juste auparavant, il effectue un voyage en carriole (page 75) dont les rayons des roues sont d'une perfection géométrique et d'une finesse impossibles. Et dans le même temps, le niveau de détails de certains environnements est d'une densité impressionnante.
Les personnages produisent une autre impression : ils sont tous souriants, ou au moins gentils, mais aussi avec des caractéristiques physiques ou vestimentaires bien différenciées, permettant de les distinguer facilement. La ressemblance d'Oum Kalthoum est rendue avec justesse, ainsi que celle des autres personnalités connues. Dans un premier temps, le lecteur peut se dire que ces individus bienveillants semblent sortir d'un manga pour filles, mais en avançant dans sa lecture, il se dit que ce mode de représentation se rapproche plus des caractéristiques des dessins animés tout public des grands studios américains. Cependant la narration visuelle n'en devient pas mièvre ou naïve pour autant. Cette approche tout public, avec des décors créés à l'infographie et une douce luminosité qui nimbe tout, rend les pages très agréables à l’œil et accentue les moments délicats. le lecteur suspend sa lecture à plusieurs reprises pour apprécier un visuel marquant : les cinq pages (douze à seize) du concert parisien d'Oum Kalthoum (une vraie diva : sa présence, ses gestes, son absence de retenue pour être tout entière pour son public), la très jeune Oum essayant de convaincre ses parents de l'envoyer étudier au kouttab (école coranique) avec l'innocence de l'enfance, la récolte du coton dans les champs, la représentation du chant du rossignol sous la forme de calligraphies arabes superbes, la suite d'une dizaine de petites silhouettes pour montrer Oum s'habillant en garçon en page quatre-vingt-un, Oum et Hassen el Hafnaoui se donnant la main sur une berge du Nil alors qu'ils viennent de décider de se marier, etc. La dessinatrice apparaît d'une belle sincérité dans sa narration visuelle.
En fonction de sa familiarité avec la chanteuse, le lecteur peut trouver l'ouvrage très léger, une présentation très sommaire, ou au contraire apprécier d'avoir ainsi un premier contact avec une dame à la vie hors du commun. Entre les deux, il peut regretter que les autrices ne développent pas la dimension musicale de son œuvre, son inscription dans la tradition et son intégration d'éléments modernes, ou même tout simplement la qualité de sa voix et sa capacité à transmettre les émotions dans ses interprétations. Il aurait bien aimé également en savoir plus sur ses engagements politiques. Dans le même temps, à voir ainsi se dérouler la vie d'Oum Kalthoum, il mesure l'exemple qu'elle a donné d'une femme émancipée, respectable, pouvant faire elle-même ses choix de carrière, apportant son soutien à l'indépendance de l'Égypte. Il découvre une vie rendue un peu lisse par les choix narratifs, impressionnante par le talent de la chanteuse, et par son implication dans la société.
La superbe couverture quelque peu austère ne doit pas effrayer le lecteur : à l'intérieur, il découvre une narration tout public, un peu lisse, très plaisante à l’œil, quelque peu édulcorée. Pour autant l'ouvrage remplit son office : une forme de vulgarisation de la vie d'Oum Kalthoum, permettant de découvrir son parcours, l'ampleur grandissante de sa renommée, la singularité de ses chansons en arabe, son implication dans la vie de son pays. Un ouvrage qui donne envie d'en savoir beaucoup plus et d'écouter l'astre de l'Orient.
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Marion
Un Binet relativement surprenant, dans un registre en tout cas moins purement humoristique et caustique qu’à l’habitude. Mais après tout, il a déjà touché le drame, avec L'Institution, et, finalement, il y a ici aussi un peu d’humour – on rit jaune, désabusé par les propos de certains médecins par exemple, ou la froideur administrative gérant l’humain derrière le patient et sa famille. L’album raconte l’histoire d’une jeune femme, victime d’un AVC probablement après la prise d’une pilule contraceptive – en lisant un Bidochon. L’anecdote a permis la rencontre entre la jeune femme et Binet, et celui-ci en a fait un album (qui s’inspire de l’histoire et du livre qui en avait été tiré). L’histoire est touchante. Et les propos de certains médecins, qui manquent franchement de tact, voire de simple intelligence, mais aussi la défense – un peu à la Servier – du laboratoire fabriquant la pilule (comme toujours, c’est à la charge de la victime de fournir la preuve que son problème est lié au produit du laboratoire, et seulement à lui !) amusent un peu, et scandalisent. Mais, comme l’ont souligné mes prédécesseurs, l’album est très – trop – court. On aurait en particulier apprécié d’en savoir plus sur le combat judiciaire de Marion.
Archangel
Pillage des ressources - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il comprend les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016/2017, coécrits par William Gibson & Michael St. John Smith (cocréateurs de la série), aidés par Michael Benedetto qui a effectué le découpage du scénario. Butch Guice a dessiné les épisodes 1 à 4 et en a encré une partie. Alejandro Barrionuevo a aidé Guice pour les dessins de l'épisode 4. L'épisode 5 a été dessiné par Wagner Reis. L'encrage des épisodes 1 à 5 a été réalisé par Tom Palmer. Les couleurs ont été réalisées par Diego Rodriguez et Wes Dzioba. Les couvertures ont été réalisées par Tula Lotay. Les couvertures alternatives ont été réalisées par Butch Guice (*3), David Fabbri (*1), James Biggie (*5, dont celle utilisée pour la couverture), Alejandro Barrionuevo (*1) et Wagner Reis (*1). le tome comprend également une postface de 2 pages rédigée par William Gibson (en juin 2017), et 9 pages de crayonnés d'étude de personnages réalisées par Butch Guice. En 2016, la Terre est en piteux état, que ce soit à Tokyo, à Moscou ou à Londres. Dans un hôpital, un médecin vient de terminer son opération de chirurgie esthétique : le vice-président Henderson a maintenant le visage de son grand-père Aloysius Henderson, major dans l'OSS. le major Guadalupe Torres préside au maniement de la machine à remonter dans le temps qui permet d'envoyer Henderson et 6 soldats dans le passé, en février 1945, au Pentagone. Ils sont à la recherche d'Archangel. Toujours en 2016, le docteur Jack Davis demande au major Torres d'éteindre la machine Splitter. Au lieu de cela, elle abat les gardes dans la pièce, ligote le docteur Davis et lui explique qu'elle refuse de se rendre plus longtemps complice dans ce projet d'aller piller une Terre alternative. En août 1945, dans un Berlin occupé, le lieutenant Naomi Givens met la dernière touche à son uniforme et sort à l'extérieur où l'attend Fritz, son contact avec le milieu du marché du noir. Elle se rend au quartier général de la British Royal Air Force, toujours dans Berlin. le commandant Gordon Tully lui présente un court film montrant un avion non identifié percuter un bombardier B-17 américain. Un des pilotes a été capturé par les militaires américains. le commandant suggère que Naomi Givens demande une faveur au capitaine Vince Matthews de l'armée américaine, qui fut son amant pendant un temps. Avec un petit chantage bien adroit, elle réussit à convaincre Matthews de l'introduire dans la cellule du Pilote (du mystérieux aéronef), puis dans la morgue pour regarder le cadavre d'un des autres membres d'équipage, et enfin de lui montrer un éclat de plastique provenant de l'aéronef lui-même. Sur la couverture n'apparaît que le nom de William Gibson, en gros caractère, sans mention des autres créateurs. Ce n'est pas étonnant puisque cet auteur est un romancier de science-fiction réputé, qui a créé le genre cyberpunk avec Neuromancien en 1984. Il a depuis écrit plusieurs romans dont certains relevant plus d'une légère anticipation comme l'excellent Identification des schémas (2004). Un lecteur rompu aux comics sait que les éditeurs sont friands de ce type de comics écrits par des romanciers. Cela permet d'attirer des lecteurs qui ne lisent jamais de comics, et de profiter de la notoriété d'un auteur connu, extérieur au petit monde des comics. Ce même lecteur sait également que cette promesse d'un comics écrit par un romancier ou par un scénariste de télé ou du cinéma peut s'avérer trompeuse : il arrive que l'auteur au nom connu n'ait apporté qu'une idée et qu'elle ait été développée par un autre scénariste. Il arrive également que l'auteur ne sache pas écrire une bande dessinée et incorpore de longues plages d'exposition, anathème d'une narration visuelle. En regardant qui a fait quoi, le lecteur devient un peu dubitatif. Non seulement, Michael Benedetto a réalisé le chapitrage du récit, mais en plus William Gibson n'a pas écrit le scénario tout seul, mais en plus il n'a pas imaginé le concept tout seul (mais avec Michael St. John Smith). Dans la postface, William Gibson explique qu'il s'agissait au départ d'un projet de film proposé à un producteur allemand, et déjà coécrit à la base par lui et St. John Smith. Évidemment, en choisissant de lire ce tome, il est vraisemblable que le lecteur espère un récit de type cyberpunk, mais qu'il accepte de retrouver le regard décillé de William Gibson dans un récit appartenant à un autre genre. Dans la postface, il explique qu'il souhaitait écrire un récit se déroulant durant la seconde guerre mondiale. Il s'agit donc plus d'une histoire de science-fiction avec voyage temporel et une Terre alternative. Pour donner corps à cette reconstitution historique, les responsables éditoriaux ont réussi à débaucher le vétéran Jackson Guice qui a débuté sa carrière en 1982, sur la série Micronauts écrite par Bill Mantlo. Il bénéficie de l'encrage d'un autre vétéran Tom Palmer, ayant lui débuté sa carrière dans le courant des années 1960. Là encore, le lecteur tique un peu quand il constate que ce tandem n'a réalisé que 3 épisodes, et qu'à partir du quatrième Jackson Guice a commencé à céder sa place à un autre artiste. Cela peut s'expliquer par le fait qu'il s'est écoulé 8 mois entre la parution de l'épisode 3 et celle de l'épisode 4. Les 3 premiers épisodes offrent effectivement une belle immersion dans un Berlin en partie en ruine. Guice ne reconstitue pas la ville à partir de photographies, mais il crée des endroits plausibles, avec un bon niveau de détails dans les agencements, les ameublements et les accessoires. Les personnages sont représentés de manière réaliste avec des visages et des morphologies spécifiques, et des tenues conformes à la réalité historique. L'artiste a donc choisi une approche réaliste avec des séquences d'action, en se tenant à l'écart des tics graphiques des comics de superhéros. L'encrage de Tom Palmer est à la fois précis et peu lâche, insufflant une réelle vitalité dans les dessins. Jackson Guice n'exagère pas les capacités physiques des personnages, ni l'étendue des destructions. Il n'y a que la petite amie de Fritz qui détonne vraiment, avec sa tenue laissant voir son nombril et sa mitrailleuse à la main. le lecteur suit donc des individus normaux essayant d'échapper aux balles, et se déplaçant dans des endroits plausibles et variés, les auteurs ayant bien assimilé que la narration d'une bande dessinée repose sur des éléments visuels. S'il y prête attention, le lecteur remarque que les dessins de l'épisode 4 présentent un degré de finition un peu moindre, même si l'encrage de Tom Palmer est toujours aussi vivant. En particulier, vers la fin de l'épisode, les visages commencent à être moins consistants. Étrangement, il ne ressent pas la même impression avec l'épisode 5 qui s'inscrit dans la continuité des dessins de Guice, mais avec un découpage de séquence moins fluide et des angles de prise de vue plus accentué. Le lecteur plonge donc dans un thriller (la course à Archangel) juste à la fin de la seconde guerre mondiale, avec une dimension de science-fiction. Les auteurs partent d'un postulat de départ un peu classique et très efficace. Une Terre parallèle a épuisé ses ressources et l'une de ses nations (les États-Unis) dispose des moyens d'aller s'approprier les richesses d'une autre Terre, peu importe ses habitants. Gibson et St. John Smith utilisent pour de vrai la situation de l'époque à laquelle se déroule l'histoire, et pas seulement comme un vague décor interchangeable. Ils construisent une course-poursuite dans laquelle les héros avancent en aveugle. Ils n'ont effectivement pas oublié qu'ils écrivent une bande dessinée et qu'il faut qu'un maximum d'informations soit apporté de manière visuelle. Ainsi, ils prennent soin que l'histoire change régulièrement d'endroit, et que les personnages en rencontrent des nouveaux parfois étonnants, comme Herr Saügling (surnommé Mister Baby). Ils développent un suspense à 2 niveaux, celui du temps présent dans la Terre parallèle et celui en 1945 sur la Terre principale. Le lecteur fait son deuil de l'absence d'éléments cyberpunk, pour un récit de science-fiction plus traditionnel. Les auteurs mettent en scène la rapacité d'une humanité consommant tout au fil de son existence, et n'hésitant pas à aller se servir chez le voisin. Au fur et à mesure de la prise de conscience de la dangerosité de cet ennemi venu du futur, les militaires de différentes nations (Royaume-Uni, Allemagne, États-Unis, URSS) finissent par s'allier contre cet ennemi commun. D'un côté, le récit bénéficie de sa brièveté car les auteurs ne peuvent pas se permettre de temps de mort, et ils restent donc en avance sur le lecteur qui découvre révélation après rebondissement. D'un autre côté, ils n'ont pas le temps ou la place de s'attarder sur les personnages qui finissent vite par être un peu lisse, passée leur scène de présentation initiale. Par rapport à d'autres histoires plus ou moins écrites par des auteurs de renom n'appartenant pas au monde des comics, celle-ci tient la route, sous la forme d'un thriller effectivement raconté avec les outils narratifs de la bande dessinée. Jackson Guice effectue un bon travail pour donner de la consistance aux personnages et aux environnements, avec un encrage toujours aussi vivant de Tom Palmer. le lecteur regrette que cette équipe artistique n'ait pas réalisé l'ensemble des 5 épisodes. Les auteurs racontent une bonne histoire de science-fiction qui finit par perdre un peu de se sensibilité dans la mesure où les personnages ne disposent pas d'assez de place pour exister.
La Fille du puisatier
Nouvelle adaptation d'un classique de Marcel Pagnol, la Fille du puisatier est à la base le scénario d'un film tourné durant la Seconde guerre mondiale et marqué par celle-ci et son impact sur la population française. On y retrouve pourtant la majorité des thèmes chers à Pagnol : le décor provençal, les petites gens, artisans et hommes du peuple aux relations simples et franches, un amour compliqué par la vie et aussi le destin d'une fille-mère abandonnée par le père de son enfant comme c'était le cas pour Fanny dans la trilogie marseillaise. C'est une histoire plutôt dense, s'étalant sur quelques années. C'est l'histoire de la rencontre entre la jolie Patricia, très honorable fille d'un puisatier qui l'aime beaucoup, et de Jacques, fringant pilote d'avion issu d'une classe sociale supérieure. Alors que ce dernier envisageait de la séduire comme une fille de rien, ils tombent amoureux mais sont brusquement séparés par la guerre qui envoie Jacques au front. Patricia se retrouve alors seule et enceinte, abandonnée en grande partie parce que la mère de Jacques a rompu les ponts entre son fils et elle, laissant croire à l'un que l'autre s'est mariée, et à l'autre que son fils ne lui a jamais écrit. Le dessin d'Emilio Van Der Zuiden est appréciable et lumineux. Il retransmet bien le soleil de Provence mais aussi la beauté des protagonistes, notamment les femmes rendues charmantes avec leurs lèvres noires. On notera aussi son choix de présenter ses propres personnages plutôt que d'imiter vaguement les visages des acteurs du film : ici point de Fernandel ou de Raimu mais des personnages propres au dessinateur. Si l'histoire est intéressante, l'adaptation en BD passe moyennement bien. Certains passages paraissent précipités, transmettant mal leur intensité. On ressent peu les émotions et les intentions des personnages. Et on est parfois mis devant le fait accompli des actes des uns et des autres, sans avoir participé émotionnellement aux raisons qui les ont poussé à agir ainsi. De même, la ferveur amoureuse entre les deux protagonistes est peu visible, difficile à ressentir, et la fin heureuse a des airs de compromis qui arrange chacun plutôt que de la victoire de l'amour. Il en découle une belle BD, avec une bonne histoire, mais qui dégage assez mal son lot d'émotions et maintient une certaine distance entre son lecteur et les actes et sentiments de ses personnages.
Un sac de billes
Je n'ai malheureusement pas retrouvé la même intensité émotionnelle qui m'avait tant bouleversé lors de ma lecture du roman. Les moments de tension, si marquants dans le livre, m'ont ici semblé manquer de rythme et de profondeur. Bon, mes souvenirs remontent à plus de 20 ans, donc je compare surtout avec les impressions émotionnelles que le roman m'avait laissées. Le dessin et la colorisation ne m'ont pas non plus vraiment convaincu, mais c'est sans doute parce que je les compare aux images bien plus réalistes et sombres que j'avais en tête. Si je mets de côté cette comparaison, ce style de dessin m'aurait totalement charmé dans une autre lecture. Cela étant dit, quelle agréable surprise de découvrir cette adaptation en BD ! Même si elle ne m'a pas transporté autant que le livre, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire cette intégrale. Quelle aventure, et quelle force mentale pour des enfants si jeunes ! c'est un périple incroyable à découvrir !
Legenderry - L'Aventure Steampunk
Construire un environnement partagé au goût steampunk - Il s'agit d'un récit complet et indépendant, initialement paru sous la forme de 7 épisodes, en 2013/2014. le scénario a été écrit par Bill Willingham (le scénariste de Fables). Les dessins et l'encrage ont été réalisés par Sergio Fernandez Davila. Wes Hartman a effectué la mise en couleurs. Les couvertures principales sont de Joe Benitez, avec l'aide d'Ivan Nunes. Ce tome contient aussi toutes les couvertures alternatives, ainsi que le script du premier épisode, et les dessins de conception graphique des personnages, réalisés par Johnny Desjardins. L'histoire commence à New York, à une date indéterminée (sûrement la fin du dix-neuvième siècle, pour être cohérent avec le concept du Steampunk). Dans un restaurant huppé, Vampirella (dans une superbe robe rouge & noire) est en train de dîner avec Brit Reid (dans un beau costume trois pièces vert bouteille, évoquant la couleur de son costume de Green Hornet). Une femme fait irruption dans la salle, poursuivie par une demi-douzaine de tueurs cagoulés. Vampirella a vite fait de s'en occuper de manière très brutale. Cette jeune femme s'appelle Magna Spadarossa, et elle est à la recherche de sa sœur, une certaine Red Sonja. Brit Reid (et son homme de main Kano) va essayer de déterminer qui a commandité ces tueurs. Par la suite, elle va voyager sur un autre continent à bord d'un vaisseau sous le commandement de Captain Victory. Elle sera ensuite amenée à faire équipe avec Phantom (Kit Walker) & Devil, Flash Gordon, Silver Star, Steve Austin et Don Diego de la Vega (Zorro). Dès la couverture, le lecteur comprend bien qu'il s'agit d'un projet fabriqué de toutes pièces. L'éditeur Dynamite a été chercher Joe Benitez (l'auteur de Lady Mechanika) pour qu'il apporte sa touche steampunk aux couvertures (alors qu'il ne dessine rien à l'intérieur), et Benitez s'en tient strictement à dessiner des personnages, sans aucun arrière-plan. L'apparence des personnages a été conçue par un artiste engagé spécialement pour cette tâche : Johnny Desjardins. L'association de héros est assez hétéroclite, et reflète surtout le catalogue de personnages dont Dynamite détient les droits au moment de la parution de l'ouvrage. Red Sonja est un personnage annexe de la série Conan le Barbare (mais pas créé par Robert E. Howard). Vampirella est une vampire (oui, c'est marqué dans son nom) rescapé d'un magazine des années 1970. Green Hornet (et Kato) provient d'une série télé, dont la renommée doit beaucoup à la présence de Bruce Lee au générique. Flash Gordon était le héros d'un comic-strip d'Alex Raymond dans les années 1930. The Phantom (& Devil) provient lui aussi d'un comic-strip des années 1930, créé par Lee Falk. Steve Austin était le personnage principal d'une série télé dans les années 1970. Zorro fut créé en 1919 par l'écrivain Johnston McCulley, et a bénéficié d'une série télé réalisée par les studios Disney dans les années 1950 (avec Guy Williams). Enfin Silver Star et Captain Victory sont des personnages de comics, créés, écrits et dessinés par Jack Kirby au début des années 1980. Le lecteur se rassure un peu quand il voit que ce bel emballage d'un assemblage hétéroclite d'héros (devant plus à l'exploitation de licences, qu'à une logique d'auteurs) bénéficie d'un scénariste de grand renom : Bill Willingham. Il apparaît rapidement que son objectif est de donner corps à ces versions steampunk de personnages établis et de construire et développer un monde cohérent à partir de ce concept artificiel. La notion de steampunk qualifie un genre littéraire dont l'action se déroule dans l'atmosphère de la société industrielle du dix-neuvième siècle, avec une utilisation massive des machines à vapeur. Les dessins de Sergio Fernandez Davila montrent une utilisation un peu libérale et parfois trop littérale de l'imagerie associée au steampunk. Il y a donc les tenues vestimentaires, croisement stylistique entre les vêtements de l'époque de la reine Victoria, et des tenues un peu plus décolletées pour les femmes, un peu plus moulantes pour les hommes (voire carrément collantes pour Silver Star, comme un costume de superhéros). Ensuite il y a la présence sur chaque tenue de quelques éléments ou accessoires en cuivre. D'un côté, Davila reprend le métal en vogue à l'époque ; de l'autre côté il s'agit d'un élément visuel sans réelle signification autre que visuel (il n'y a pas de logique technologique d'anticipation rétrofuturiste justifiant cette omniprésence du cuivre). de même Davila a décidé que les lunettes de protection (avec monture en cuivre) constituent un élément indispensable du steampunk. du coup tous les personnages (sauf peut-être les figurants) en portent systématiquement, tout le temps. le lecteur comprend que Davila veut à tout prix faire "steampunk", sans se soucier d'une logique pour l'usage ou la présence de ces éléments. Passé ce petit agacement pour ces éléments steampunk utilisés à tort et à travers, les dessins de Davila sont agréables, de bonne facture pour un comics. Les personnages se distinguent aisément. Les vêtements comportent des détails en quantité suffisante. Les arrière-plans sont présents régulièrement, et assez développés pour rendre de compte de la spécificité des lieux. Les scènes de combats disposent d'un minimum de mise en scène pour ne pas se limiter à une juxtaposition de cases avec des gens se tapant dessus au hasard de postures que le dessinateur trouve cool. Davila arrive à reproduire assez d'éléments spécifiques à chaque héros pour qu'ils ne soient ni interchangeables, ni fades. Il n'y a vraiment que les héros de Kirby qu'il n'arrive pas à assimiler au steampunk (il faut dire que le choix de ces personnages était incongru dès le départ). Bien sûr quand Red Sonja finit par apparaître, elle arbore son soutien-gorge en cotte de mailles (mais elle porte un vrai pantalon). Par contre le mode de représentation fait ressortir avec force l'idiotie pour Steve Austin de disposer d'un bras bionique, puisque le reste de sa musculature humaine est incapable de supporter les poids soulevés ou maniés par ce bras. De son côté, Bill Willingham ne dispose que de 7 épisodes pour concevoir, présenter et installer une dizaine de personnages, dans un environnement où tout est à construire. Il ne faut donc pas espérer beaucoup de personnalité pour chaque héros. le scénariste s'appuie sur les particularités déjà connues du lecteur et arrive tout juste à donner quelques répliques sémillantes à Zorro, et un semblant de suffisance à Silver Star. Pour le reste, ils sont tous valeureux et courageux. Finalement, c'est encore Devil (le chien robotique de Phantom) qui sort les répliques les plus piquantes. Il s'appuie également sur les criminels de chaque héros pour fomenter un complot à grande échelle, afin de régner sur tous les territoires. le lecteur voit donc apparaître Lidia Valcallan, Felix Avalon, Ming, Docteur Moreau, Général Tara, Kulan Gath. L'intrigue et le développement de l'environnement priment donc sur les personnages. Willingham a conçu une trame générale (la recherche de Red Sonja portée disparue) qui fournit le motif des pérégrinations de Magna Spadarossa, au cours desquelles elle croise tous ces héros. le plan de conquête tient la route. Les rencontres sont justifiées par le scénario. Willingham a conçu son intrigue de manière satisfaisante. Alors que le lecteur peut s'agacer des disparités de technologies existant dans ce monde (pas que des moteurs à vapeur), l'apparition de Flash Gordon fournit une explication à ces divergences. Au final ce tome constitue un divertissement léger à base d'aventures grand spectacle, dans le cadre d'un environnement steampunk qui dépasse les limites strictes du genre. Les personnages n'ont que peu de personnalité, l'objectif étant de poser les fondations d'un environnement dans lequel d'autres créateurs pourront venir jouer par la suite (l'amorce d'une franchise d'un genre très pointu). Si le lecteur est venu chercher un récit bien ficelé, rigoureux, avec des thèmes adultes, il sera déçu par un récit attaché à servir de bible pour les auteurs suivants. 3 étoiles. S'il vient chercher une aventure sans conséquence, il pourra apprécier une histoire facile à lire, avec des personnages hauts en couleurs, et un parfum steampunk un peu original.
Défends-toi toi-même
A priori pas ma came, mais pas encore référencé ici, donc j’ai emprunté cette nouveauté au hasard dans ma médiathèque. Je ne suis pas du tout adepte des bouquins de conseils, de coaching en tous genres, qui encombrent les devantures et accumulent souvent lapalissades et autres stratégies et considérations fumeuses, se contredisant les uns les autres. Commencée avec appréhension et recul – et les premières pages n’ont fait que renforcer mes préventions, cette lecture ne s’est pas révélée aussi pénible que je ne le craignais. Disons que si ça reste quelque chose qui ne m’intéresse pas forcément, tout n’est pas à jeter, et certains lecteurs peuvent y trouver leur compte. Le dessin est minimaliste – et cela est accentué par les différentes bichromies utilisées par la coloriste. Mais ça fait le boulot et c’est dynamique et très lisible. En fait, plus que les différentes techniques présentées ici pour se « défendre », ce sont les questionnements, les réflexions qui les introduisent qui sont intéressantes. En effet, les préjugés – sexistes surtout mais pas seulement – sont souvent bien présentés, avec quelques touches d’humour, et l’auteure, qui se met en scène, parvient à montrer comment on peut ne pas les laisser s’installer. Kei Lam et sa coach Anne van Hyfte (qui est aussi chercheuse) donnent ici quelques pistes pour combattre pas mal de petites – et grosses – agressions du quotidien. Et la bibliographie en fin de volume est intéressante. Note réelle 2,5/5.
Opus
La construction de l’intrigue est assez prenante, et relativement surprenante au début. J’ai même un temps cru que ce diptyque était la suite d’une autre série, « Résonance » en lisant les deux/trois premières pages, jusqu’à ce que je comprenne que c’était une série du narrateur, mangaka, qui va se trouver embarquer dans sa propre série, côtoyant ses personnages, dans une mise en abime parfois renversée, puisque certains personnages virtuels viennent dans son monde réel. Le procédé est dynamique, et plutôt bien utilisé pour donner du rythme et de l’intérêt à l’intrigue. Heureusement, car l’histoire créée par le mangaka est peu intéressante. Mais elle dévie totalement pour se transformer en une course poursuite, une lutte pour la survie incluant l’auteur, voire une lutte pour sauver le monde ! Il y a quelques longueurs, et certaines scènes de baston sont un peu trop étirées (moins quand même que dans beaucoup de mangas). Le dessin est fluide, très lisible. Il fait la part belle aux personnages, mais ne s’encombre pas de détails (très peu de décors). Une lecture relativement rapide, mais globalement intéressante.
Ceux qui n'existaient plus
Russie de nos jours, une vingtaine de patients acceptent d'intégrer un programme destiné à essayer de les guérir d'un traumatisme que chacun a vécu en les isolant du reste du monde pendant une année. I.R.M, electrochocs et autres tests neurobiologiques sont prévus pour ces engagés volontaires. Sauf que tous partagent les mêmes soucis d'amnésies partielles et que le doute s'insinue rapidement chez eux quand ils constatent qu'ils ne sont pas libres de leurs mouvements et que la surveillance est permanente. Le premier tome de ce qui s'annonce comme une série d'histoires en un tome est assez dense et complexe. On y suit la patiente principale de cet institut, une jeune femme supérieurement intelligente qui attire l'attention privilégiée du directeur qui en sait visiblement beaucoup sur elle. Secrets enfouis dans des secrets, Natacha va devoir jouer en finesse pour s'évader et comprendre ce qui se trame autour d'elle et des autres patients. En quatre chapitres et 72 pages, les auteurs mêlent expériences médicales, évasion, enquête policière, complots gouvernementaux et crimes passionnels. Le graphisme est de bonne facture quoiqu'il manque d'âme et que les couleurs soient sans charme. La narration est claire et l'intrigue prenante. Le lecteur est facilement pris dans l'histoire et l'envie d'en comprendre le ou les mystères. C'est intense et parfois même trop alambiqué. Certains éléments paraissent en outre un peu bancals, comme notamment une telle implication et dévotion à protéger l'innocent de la part d'agents du FSB qui se comportent ici en héros de série à l'américaine. Leurs motivations m'ont parfois paru difficiles à capter et j'ai même dû revenir en arrière dans ma lecture pour comprendre ce qui les avaient amenés à mener l'enquête qu'ils mènent avec tant de motivation. Hormis ces points un peu factices, j'ai passé un plutôt bon moment de lecture. Le second tome se déroule quelques temps plus tard et embarque notre héroïne sur la piste d'un serial-killer aux Etats-Unis dans le cadre d'une coopération entre la Russie et les USA. En effet, alors qu'elle vivait une nouvelle vie tranquille en Russie, un tueur arrange ses scènes de meurtres aux Etats-Unis de manière complexe et laisse aux enquêteurs l'indice que seule elle comprendra la clé du mystère. Appelée à l'aide, elle devra donc mettre son intelligence supérieure au service de l'enquête et décrypter les messages secrets laissés par le meurtrier qui semble avoir mis en place un sanglant jeu de piste pour elle. C'est une histoire policière complexe, faite de cryptographie et d'un jeu de piste vraiment très alambiqué. Si les indices et leurs résolutions tiennent la route, c'est un peu prise de tête et on se demande parfois comment l'héroïne arrive à la bonne conclusion vu la distance entre les énigmes et leurs solutions. Et surtout, de la même manière que pour le premier tome, quand on arrive à la fin de l'histoire, on ne peut s'empêcher de ressentir un sentiment de "Pourquoi avoir fait si compliqué pour arriver à ce résultat ? N'y avait-il pas des moyens plus simples d'arriver à la même chose ?". De plus, alors que la fin officielle de l'histoire semble laisser l'héroïne dans un échec et la promesse de nouvelles complications pour la suite de la série, on notera la présence d'un épilogue surprenant qui, en quelques textes et un bout de bande dessinée, semble étonnamment clore en quatre pages ces promesses et rendre finalement l'héroïne victorieuse des nouveaux défis qui allaient se dresser face à elle. C'est un peu bizarre, comme si c'était le troisième tome qui avait été résumé dans cet épilogue. Est-ce que cela annonce la fin prématurée de la série ? Ou est-ce que l'auteur a finalement décidé qu'il n'avait pas envie d'aller dans la direction que la fin de ce second tome laissait présager ? Je reste un peu perplexe...
Les Mages de Bonaparte
Intégrer de la fantasy dans l'Histoire avec un grand H pour créer une forme d'uchronie, c'est toujours une idée appréciable. Et d'ailleurs Froideval avait déjà eu la même dans la série Mens Magna où là aussi des mages côtoyaient Napoléon qui avait là encore trouvé une relique égyptienne lui permettant de conquérir le monde. Mais l'idée est ici poussée encore plus loin car c'est toute la Terre des environs de 1800 sur laquelle humains historiques et créatures surnaturelles se côtoient au quotidien. Ainsi les armées mamelouks sont aidées de momies et autres djinns, celles de Napoléon comportent des éclaireurs fées et des mages de guerre dans leurs rangs, et vampires, sorcières et autres monstres spécifiques aux légendes de chaque région rôdent ici et là. Dans ce contexte, deux mages et leur guerrière protectrice sont chargés par l'Empereur lui-même de retrouver la trace d'un parchemin peut-être volé par le jeune tsar de Russie lors de son ambassade auprès de Napoléon. Même s'il ne faut pas en général trop pousser la réflexion à leur sujet au risque d'y trouver des incohérences, j'aime ces uchronies fantaisistes. Elles permettent de revisiter l'Histoire et de la modifier au gré de l'imaginaire de l'auteur, et de créer des situations et confrontations fantasmées tout en ouvrant de belles opportunités de récit. Le graphisme de Brice Bingono se fait ici réaliste et crédible. Il est soigné et appréciable mais les couleurs souvent sombres masquent une part de ses détails ce qui est un peu dommage. L'histoire se déroule un peu vite du fait du format serré de 48 pages seulement. Avec un tel cadre et de tels personnages, on sent le scénariste à l'étroit, n'arrivant à exprimer qu'une partie de ses idées. Si l'intrigue de la majorité de l'album est relativement attendue, la conclusion apporte un retournement de situation appréciable et plutôt bien trouvé, quoique légèrement facile sur le fond. On reste toutefois sur une vraie frustration à l'idée que cette histoire puisse s'en tenir à un simple one-shot car il donne clairement l'impression d'en avoir encore sous le coude et de pouvoir étendre davantage l'aventure des jeunes héros dans ce monde de fantasy uchronique. Tel quel, l'album est simplement pas mal, mais si elle devait présenter une suite un jour, la série pourrait devenir franchement bien.
Oum Kalthoum - Naissance d'une diva
Qu'est-ce qui explique une telle ferveur ? - Ce tome constitue une biographie tout public de la chanteuse Oum Klathoum. Sa première parution date de 2023. Il a été réalisé par Chadia Loueslati pour les dessins, et Nadia Hathroubi-Safsaf pour le scénario. Il se termine avec trois pages consacrées à la présentation de son entourage (Cheikh Aboul al Mohammed, Zakaria Amhmed, Ahmed Mohammed Rami, Sadik Ahmed, Gamal Abdel Nasser, Hassan el Hafnaoui), un arbre généalogique (ses parents, son frère, sa soeur), deux pages recensant les décorations et distinctions reçues à travers le monde arabe par la chanteuse), une page consacrée à une aperçu de sa discographie, une page de bibliographie, expositions et documentaires, huit pages croquis et de recherches graphiques. Paris, le treize novembre 1967, la journaliste Diane Moulins se rend à un concert à l'Olympia. Elle remonte la longue file de spectateurs, canalisés par des barrières de police, qui attendent pour pouvoir accéder à la salle de spectacle. Elle n'en croit pas ses yeux, du nombre de personnes dans la queue. L'un d'eux lui adresse la parole, surpris qu'elle ne sache pas qui est Oum Kalthoum, car c'est la plus grande chanteuse du monde arabe. L'astre d'Orient, la diva égyptienne. Elle parvient à entrer dans le bâtiment. Elle explique qu'elle est journaliste et qu'elle a été invitée par Bruno Coquatrix. Un monsieur à l'accueil lui indique qu'il va l'en informer. Elle rejoint la salle et s'assoit. Les musiciens en costume entrent en scène. Les applaudissements retentissent, fournis. L'orchestre entame la première chanson, et Oum Kalthoum fait son apparition, rejoignant lentement le micro, son mouchoir à la main. Elle entame la mélopée, et dans les spectateurs sont en extase, en transe même pour certains. La représentation se termine sous des applaudissements nourris. Quelle performance ! Tenir trois heures sur scène avec seulement trois chansons. Chaque récital est unique. C'est la signature d'une diva. Diane Moulins fait la connaissance de Bruno Coquatrix qui lui confie que la réussite de ce soir n'était pas gagnée d'avance. Il y a trois jours, il n'avait pas vendu la moitié des billets, et aujourd'hui c'est plein à craquer. L'idée de ce spectacle lui a été suggérée par Charles de Gaulle lui-même qui a beaucoup d'admiration pour elle. Alors que la chanteuse sort sous le crépitement des flashs, la journaliste demande au directeur s'il pourrait lui organiser un entretien avec elle avant son départ. le lendemain, elle pénètre dans la suite de Kalthoum à l'hôtel George V. Elle fait la connaissance de Sadik Ahmed, son imprésario, puis d'Oum Kalthoum elle-même. Tout le monde prend place dans le salon, avec une tasse de thé, et l'entretien peut commencer. À la question sur son succès, la chanteuse répond qu'elle ne triche pas et que les spectateurs le sentent. Elle est à eux totalement à chaque récital. Elle ne se cache derrière aucun artifice. Ils la reconnaissent comme une des leurs. Une femme du peuple ! Elle continue : elle est née en Égypte, un soir de ramadan à Tmaé, un village du delta du Nil, au nord du Caire. Le lecteur peut être intimidé par la couverture austère de l'ouvrage, capturant bien l'identité visuelle de la chanteuse. Il ouvre le tome et entame sa lecture : il se rend compte qu'il s'agit d'une narration tout public emprunte de gentillesse, sans aspérité ou critique sur l'artiste, avec un niveau basique d'information. Pour autant les autrices ne donnent pas dans l'hagiographie. Elles s'en tiennent aux informations essentielles, factuelles, sans jugement de valeur, sans louanges. Elles ont opté pour une tonalité qui montre le chemin parcouru depuis le petit village et l'absence d'éducation, jusqu'à devenir une chanteuse en arabe à la renommée internationale. En quelque sorte, il s'agit d'un ouvrage de vulgarisation sur la vie d'Oum Kalthoum. le lecteur ne doit pas s'attendre à une analyse de ses chansons, de l'évolution de son orchestre au fil des décennies, ou de ses prises de position politiques. Pour autant, l'ouvrage s'appuie sur un véritable travail de recherche. Il suffit de découvrir la première scène pour pouvoir apprécier la maîtrise du sujet par les autrices. Elles ont choisi la première prestation d'Oum Kalthoum dans un pays occidental, sa première date à l'Olympia (elle s'y est produite également le 15 novembre 1967). Elles ne mentionnent pas qu'elle a exigé du directeur, d'être l'artiste la mieux payée à jouer à l'Olympia, ni qu'elle a fait don de son cachet au gouvernement égyptien. Après la très belle couverture, le lecteur découvre la narration visuelle des pages intérieures. Cela commence par une magnifique case occupant les deux tiers de la page, et montrant les toits de Paris, avec la tour Eiffel en fond. L'effet est magnifique avec des dégradés de gris pour différencier les surfaces contigües. La journaliste remonte la file d'attente, et le lecteur apprécie à nouveau la qualité esthétique des cases, tout en s'interrogeant sur l'exactitude de ce qui est représenté. Il remarque qu'un fois à l'intérieur de l'Olympia, les fonds de case perdent en niveau de détail, même si l'usage de camaïeux à base de nuances de gris produit des fonds du plus bel effet. le lecteur continue de regarder les paysages et les environnements : d'autres toits de Paris très, très propres sur eux, un peu plus conformes à la réalité, la salle de réception de la suite de de la chanteuse au George V, très propre sur elle, le village Tmaé et ses rues en terre battue, un champ de coton, les jardins d'une demeure luxueuse, le train qui emmène la jeune adolescente au Caire, les pyramides du plateau de Gizeh, etc. Tout baigne dans une douce lumière, avec une sensation aseptisée et apaisée. le lecteur se dit que d'un côté il éprouve la sensation d'évoluer dans des décors tellement nets qu'ils en deviennent factices, et que de l'autre côté, il comprend bien où se déroule chaque scène. D'un côté, il voyage dans ce wagon de train bondé ; de l'autre côté la largeur intérieure du wagon est peu plausible. Juste auparavant, il effectue un voyage en carriole (page 75) dont les rayons des roues sont d'une perfection géométrique et d'une finesse impossibles. Et dans le même temps, le niveau de détails de certains environnements est d'une densité impressionnante. Les personnages produisent une autre impression : ils sont tous souriants, ou au moins gentils, mais aussi avec des caractéristiques physiques ou vestimentaires bien différenciées, permettant de les distinguer facilement. La ressemblance d'Oum Kalthoum est rendue avec justesse, ainsi que celle des autres personnalités connues. Dans un premier temps, le lecteur peut se dire que ces individus bienveillants semblent sortir d'un manga pour filles, mais en avançant dans sa lecture, il se dit que ce mode de représentation se rapproche plus des caractéristiques des dessins animés tout public des grands studios américains. Cependant la narration visuelle n'en devient pas mièvre ou naïve pour autant. Cette approche tout public, avec des décors créés à l'infographie et une douce luminosité qui nimbe tout, rend les pages très agréables à l’œil et accentue les moments délicats. le lecteur suspend sa lecture à plusieurs reprises pour apprécier un visuel marquant : les cinq pages (douze à seize) du concert parisien d'Oum Kalthoum (une vraie diva : sa présence, ses gestes, son absence de retenue pour être tout entière pour son public), la très jeune Oum essayant de convaincre ses parents de l'envoyer étudier au kouttab (école coranique) avec l'innocence de l'enfance, la récolte du coton dans les champs, la représentation du chant du rossignol sous la forme de calligraphies arabes superbes, la suite d'une dizaine de petites silhouettes pour montrer Oum s'habillant en garçon en page quatre-vingt-un, Oum et Hassen el Hafnaoui se donnant la main sur une berge du Nil alors qu'ils viennent de décider de se marier, etc. La dessinatrice apparaît d'une belle sincérité dans sa narration visuelle. En fonction de sa familiarité avec la chanteuse, le lecteur peut trouver l'ouvrage très léger, une présentation très sommaire, ou au contraire apprécier d'avoir ainsi un premier contact avec une dame à la vie hors du commun. Entre les deux, il peut regretter que les autrices ne développent pas la dimension musicale de son œuvre, son inscription dans la tradition et son intégration d'éléments modernes, ou même tout simplement la qualité de sa voix et sa capacité à transmettre les émotions dans ses interprétations. Il aurait bien aimé également en savoir plus sur ses engagements politiques. Dans le même temps, à voir ainsi se dérouler la vie d'Oum Kalthoum, il mesure l'exemple qu'elle a donné d'une femme émancipée, respectable, pouvant faire elle-même ses choix de carrière, apportant son soutien à l'indépendance de l'Égypte. Il découvre une vie rendue un peu lisse par les choix narratifs, impressionnante par le talent de la chanteuse, et par son implication dans la société. La superbe couverture quelque peu austère ne doit pas effrayer le lecteur : à l'intérieur, il découvre une narration tout public, un peu lisse, très plaisante à l’œil, quelque peu édulcorée. Pour autant l'ouvrage remplit son office : une forme de vulgarisation de la vie d'Oum Kalthoum, permettant de découvrir son parcours, l'ampleur grandissante de sa renommée, la singularité de ses chansons en arabe, son implication dans la vie de son pays. Un ouvrage qui donne envie d'en savoir beaucoup plus et d'écouter l'astre de l'Orient.