Cette bande dessinée, qui au premier abord, s’apparenterait à de la grosse artillerie, dissimule contre toute attente quelques charmes insoupçonnés, qui vont se révéler au fil de la lecture. Si la narration respire le déjà vu, elle joue à bon escient sur les contrastes, comme la couverture pourrait assez bien le résumer, laquelle montre une fillette se dressant contre un monstre gigantesque au milieu de gratte-ciel. Et en effet, « Mega » n’est pas juste un prétexte pour montrer des scènes de combat spectaculaires entre deux créatures géantes, avec rien autour…
Assez habilement, Salvador Sanz fait référence non seulement à Godzilla — le mythique blockbuster japonais auquel on pense immédiatement —, mais a puisé son inspiration dans les légendes anciennes ou plus contemporaines, alimentées par les croyances populaires (notamment avec le Chupacabra, équivalent sud-américain de la bête du Gevaudan qui sucerait le sang des animaux de ferme), ainsi que dans la littérature ou le cinéma fantastique, de Lovecraft à « Alien » en passant par « La Guerre des mondes » de H.G. Wells. Une approche très pop-culture qui, par l’entremise de la fillette Tina, nous ramène aussi vers le monde de l’enfance et des rêves. Et de ce point de vue, c’est plutôt réussi et assez prenant.
Quant au dessin de cet auteur « multitâches », force est de constater qu’il dégage pas mal de puissance dans la représentation très détaillée des monstres. Ces derniers, sortes de dragons métalliques dépourvus d’yeux, ont un aspect à la fois terrifiant et intrigant, forcément extra-terrestres. Cela donne lieu à des scènes de « catch » très spectaculaires au milieu des tours en flammes de Montevideo, et pour plus de vraisemblance, retransmises en boucle sur la chaîne d’info locale. Mais ce « vacarme graphique », que d’aucuns pourraient très bien ne pas apprécier, est contrebalancé par la magie et la douceur des scènes oniriques où la fillette dialogue avec son « papi », nous faisant pénétrer dans le domaine merveilleux du conte.
Salvador Sanz est un auteur argentin célébré et bénéficiant d’une certaine notoriété chez lui ainsi que dans les pays latinos. Ce touche à tout, qui travaille aussi dans l’illustration et réalise des courts métrages d’animation, a même eu les honneurs du Comic-con de San Diego aux USA, mais reste encore assez méconnu sous nos contrées. Dans le monde francophone, « Méga » est sa deuxième bande dessinée, et cette seconde mise en lumière est permise par l’éditeur français iLatina, spécialisé dans la BD sud-américaine.
Ce premier tome d’une trilogie en cours est suffisamment bien mené, avec son lot d’images prodigieuses et féériques, pour nous donner envie de découvrir la suite, qui nous dira si la petite Tina sera de taille pour anéantir la titanesque Salamandre et le vicieux Chupacabra…
Je ne suis pas sûr d'avoir bien saisi la fin.
Bien que la narration soit originale, elle m'a plutôt ennuyé par moment. C'est probablement un très bon thriller sombre, mais ça n'a pas vraiment matché avec moi. Enfin je reconnais tout de même que l'histoire m'a tenu en haleine tout au long de ma lecture, mais ça ne m’a pas convaincu au point de lui attribuer une meilleure note.
De plus, je ne suis pas particulièrement fan de ce style de dessin : le noir et blanc est superbe avec un beau travail d'encrage et une bonne compréhension des scènes, mais les traits des personnages et des décors ne m'attirent pas vraiment.
Une 2nd lecture pourrait être envisageable pour essayer de mieux comprendre et apprécier davantage cette histoire.
Cette série profite du succès commercial de la série mère pour proposer un complément. Je ne suis vraiment pas le lecteur cible mais je trouve que les épisodes que j'ai lus n'apportent pas trop à la série mère.
L'autrice en profite pour proposer des histoires en deux volumes où on retrouve nos deux héros à la mode Zorro. Il y a en plus des chicaneries d'amoureux et un zest de fantastique. Le côté roman rose avec une touche de féminisme plaira probablement à un public plutôt féminin et assez jeune (8/10 ans).
Le vocabulaire reste agréable et le graphisme cédé à Jenny et Mister Choco Man correspond à la série mère en moins dynamique dans les combats à mon avis. Le style manga est plus prononcé sur un fond de dessin d'animation. C'est propre et bien maîtrisé mais bien trop standardisé à mes yeux.
Une lecture assez lisse pour passer le temps assez agréablement quand on est enfant. 2.5
Hommage à HR Giger et à Alien
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Ce tome regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2014, écrits par Garth Ennis, dessinés par Facundo Percio, encrés par Sebastian Cabrol, et mis en couleurs par Hernan Cabrera. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre.
Quelque part au fin de fond de l'espace, l'équipage du vaisseau minier Caliban se déplace dans l'hyperespace. En plein pendant ce saut, il heurte un autre vaisseau de taille gigantesque et d'origine extraterrestre. du fait des propriétés particulières à l'hyperespace, ils sont fusionnés entre eux, au niveau moléculaire. Il n'y a d'autre choix que de revenir dans l'espace normal et d'évaluer les dégâts.
Au poste de pilotage, les survivants font le point et analysent leurs possibilités d'action. Il faut déterminer l'ampleur des dommages, savoir où est le reste de l'équipage dans cet enchevêtrement entre les 2 vaisseaux, chercher les éventuelles fuites d'oxygène, et réfléchir à une exploration de l'autre vaisseau.
En exergue, Garth Ennis a inclus une dédicace à Hans Ruedi Giger, le créateur d'Alien et d'autres bestioles, toutes aussi angoissantes (voir HR Giger ARh+). le lecteur sait donc avant de commencer le récit qu'il s'agit d'une variation sur le film Alien (1979). En affichant clairement la nature de cet hommage, Ennis neutralise une partie du suspense, et crée une attente chez le lecteur pour une partie de cache-cache mortel et peut-être horrifique. C'est à la fois très honnête de sa part, et un peu risqué.
Ce genre de récit d'épouvante lié à la présence d'une créature hostile (rodant dans les parages et prête à attaquer n'importe qui au dépourvu) nécessite un bon sens du rythme et du dosage au cinéma pour que le spectateur reste sur ses gardes, alors même qu'il s'attend à être pris au dépourvu. C'est encore plus compliqué à mettre en œuvre dans une bande dessinée, dans la mesure où c'est le lecteur qui contrôle le rythme de sa lecture.
Le récit commence bien, avec un personnage principal (Nomi, technicienne spécialisée en communication) qui tient un journal intime permettant au lecteur de découvrir la mission du vaisseau, quelques membres de l'équipage, ainsi que quelques particularités de cet environnement de science-fiction. L'accident de la route en hyperespace est assez original, et le résultat est convaincant.
Ennis s'attache à clarifier quelques éléments pragmatiques, telle que la fuite d'oxygène, ou encore la difficulté pour l'équipage de se faire une idée de la masse et de la forme de ce qu'ils ont percuté. Il évoque également le processus délicat pour que les ordinateurs de chaque vaisseau réussissent à établir une forme d'échange de données, avec l'apprentissage délicat de reconnaissance et d'établissement de protocoles.
Ennis montre que l'équipage éprouve quelques difficultés à prendre une décision sur la conduite à tenir, leur commandement direct étant hors d'état. Il accroche son récit sur 2 personnages principaux féminins (Nomi, et Sanchita Mali). Il se trouve que cet accident correspond au premier contact entre l'humanité et une race extraterrestre, particularité qu'Ennis développe et exploite avec délicatesse lorsque les membres de l'équipage en prennent conscience. Il prend également le temps de montrer un aspect de la culture de cette race extraterrestre, d'expliquer pourquoi elle parcourt le cosmos, etc.
Par contre il ne réussit pas à innover sur le schéma classique des membres de l'équipage se faisant exterminer à tour de rôle par le monstre. Ce dernier dispose de capacités exceptionnelles, expliquées dans le récit. Nomi et Sanchita finissent par être placée devant un dilemme moral très classique dans ce genre de récit.
Facundo Percio avait déjà illustré des récits publiés par Avatar : Anna Mercury - The cutter de Warren Ellis, et Fashion beast d'Alan Moore. le premier épisode est immersif à souhait. Malgré leur tenue réglementaire, les personnages sont facilement identifiables, et dotés de morphologie normale.
Les coursives du vaisseau présentent une largeur normale, l'espace étant compté à bord. La technologie du vaisseau en arrière-plan comporte des voyants et des tubes, évoquant des appareillages complexes de manière discrète, sans être passe-partout. Les mises en scène sont adaptées à chaque séquence, et font bien ressortir l'horreur des situations (perte des individus en sommeil artificiel, enchevêtrement des 2 vaisseaux). L'encrage est net et précis.
Cette bonne impression s'atténue un peu dans les épisodes suivants. Pour commencer le lecteur observe que Percio utilise les mêmes arrière-plans à répétition, de plus en plus génériques, quand ils ne disparaissent pas plusieurs cases durant. En fait il n'a conçu l'intérieur des 2 vaisseaux que de manière superficielle, sans apporter de réflexion à la technologie, ou à la logique de la conception technique. Sans grande surprise, les extraterrestres de l'autre vaisseau sont anthropomorphes, certes pas tout à fait de la même taille qu'un être humain.
Dans le détail, la taille de la combinaison spatiale que revêt l'un des membres de l'équipage laisse à désirer, car le lecteur constate que les bras du personnage sont trop courts pour arriver jusqu'aux mains de la combinaison. Dans un même ordre d'idée, les expressions des visages manquent de finesse dans la deuxième moitié du récit.
Cependant, Percio continue à représenter les individus avec un langage corporel normal et réaliste. En fonction des événements, il réussit à représenter de manière cohérente des éléments qui augmentent le niveau d'exigence en suspension consentie d'incrédulité (par exemple la capacité du monstre à modifier le corps humain, pour le rendre plus fort). Ces modifications donnent lieu à quelques cases de nature horrifiques qui fonctionnent bien sur un plan visuel.
Avec cette histoire, Garth Ennis et Facundo Percio réalisent un récit de genre aux conventions bien établies : la survie d'un équipage dans l'espace, face à un extraterrestre impitoyable. Leur récit de genre ne réussit pas à bien adapter les techniques de l'écriture cinématographique, pour les transposer à celles de l'écriture d'une bande dessinée. Sans être fade, sur ce point, le récit est plutôt convenu.
Le récit se révèle moins convenu et plus intéressant quand Ennis s'intéresse aux personnages et à leurs interactions. L'histoire d'amour n'a rien de conventionnelle et est touchante. Les motivations des deux personnages principaux pour voyager dans l'espace sont convaincantes. Ennis transcrit avec habilité la fragilité de l'être humain dans cet environnement inhospitalier qu'est l'espace. Il titille avec adresse la sensibilité de l'amateur de science-fiction, avec les implications de cette première rencontre entre humains et extraterrestres, mais sans les creuser vraiment.
C'est mignon, j'ai lu l'intégrale et les 4 histoires sont agréables à lire, avec une petite préférence pour la 2eme et la 3eme.
Les histoires tournent autour du thème de la nature, mais abordent surtout la question de la différence et ses implications dans diverses sphères sociales.
Les récits sont très simples, se lisent rapidement (environ 40 pages), et plairont bien plus aux jeunes qu'aux adultes.
La 1ere histoire dégage une forme de poésie que j'ai particulièrement apprécié pour son ton, la 2eme m'a beaucoup plu pour la leçon de vie qu'elle peut apporter à un jeune lecteur, la 3eme pour son aspect SF, et enfin la 4eme, que j'ai un peu moins aimé, mais qui a son charme et offre également une petite leçon de vie intéressante.
En bref, c'est une BD sympathique, parfaite pour la jeunesse, qui inculque de belles valeurs.
Supercriminel supersadique
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À Tokyo, un homme dans un costume tout blanc (avec cape et masque) s'apprête à donner le coup de grâce au chef de la police. Il est assisté de deux hommes. le chef de la police est ligoté et Nemesis a annoncé qu'il l'exécuterait à 10h35. Pour passer le temps, il énumère les crimes qu'il a commis avant cette mise à mort finale : l'empoisonnement d'un réservoir d'eau, une attaque au gaz dans une salle de spectacle et le vol d'un bijou précieux. Cette scène se termine par un carnage provoquant la mort de plusieurs centaines de d'innocents. Deuxième scène : Blake Morrow (un policier haut gradé) se salit les mains en mettant un terme à une prise d'otages dans une effusion de sang (le sang des preneurs d'otages). À l'issue de son action d'éclat, un policier lui remet un carton indiquant qu'il est la nouvelle cible de Nemesis qui a projeté de le tuer le 12 mars courant. Nemesis arrive aux États-Unis et il commence par attaquer Air Force One.
Mark Millar (le scénariste) est devenu à la fin des années 2000, le roi de l'esbroufe dans le monde des comics. En 2008, il a créé Kick-Ass (dessiné par John Romita junior) dont il a vendu les droits directement au cinéma avec le film réalisé dans la foulée (Kick Ass). Fort de ses succès passés (Wanted également adapté en film, et Ultimates) Millar a le droit d'avoir quelques prétentions et Marvel a publié deux de ses séries en 2010 (Nemesis et Superior avec Leinil Yu). Nemesis correspond également à sa troisième bande dessinée avec Steve McNiven, les deux premières s'étant également classées dans les premières ventes (Civil War en 2006 et Old Man Logan en 2008/2009). Impossible d'ignorer un tel pédigrée.
À la lecture Nemesis s'avère une histoire assez courte, complète, initialement 4 épisodes, soit environ 90 pages de bande dessinée. Némésis est le nom de la déesse de la vengeance dans la mythologie grecque. le lecteur apprend rapidement (dans le premier quart) quelle vengeance lie les deux personnages principaux. Millar a claironné partout que cette histoire correspond à une version de Batman s'attachant à faire le mal plutôt que le bien, dans un monde où il n'y a pas de superhéros. Effectivement, la première rencontre avec Nemesis le montre portant ce costume de superhéros ou supercriminel, tout de blanc vêtu comme un double inversé de Batman avec son costume sombre. Cet élément place d'emblée ce récit dans le registre des superhéros (sans superpouvoir) avec une exigence assez élevée de suspension consentie de l'incrédulité. Ne vous attendez pas à du réalisme ou du plausible ; par exemple dans une scène d'action enlevée, Nemesis conduit une voiture qui s'ouvre en 2 pour révéler une moto futuriste que Nemesis pilote avec les mêmes commandes que celles de la voiture. Coté crimes, le lecteur est servi par un Mark Millar en verve. le premier cité (l'empoisonnement d'un réservoir) évoque évidemment le méfait perpétré par le Joker lors de sa première apparition. Les suivants s'avèrent plus cruels et sadiques avec une volonté perverse de briser l'esprit des victimes. En ceci, Millar s'inscrit dans une longue tradition des comics dans laquelle une partie du plaisir de lecture dérive de la fascination pour la barbarie des crimes commis.
Millar construit son récit sur l'horreur des crimes perpétrés et sur des scènes d'action spectaculaires dans lesquelles McNiven peut s'en donner à cœur joie. Il compose ses pages sur la base de 3 à 6 cases, une mise en page assez aérée. Il s'est éloigné de l'encrage minutieux de Dexter Vines pour Old Man Logan, pour un style un tout petit peu plus lâche avec une légère influence manga dans la représentation des mouvements (fluidité et rapidité). À la vue des pages, le lecteur peut constater les influences d'Akira dans la mise en scène des mouvements et des impacts, et les influences de Gary Frank dans les dessins des visages (Supreme Power). le résultat dégage une énergie impressionnante. Ses choix graphiques inscrivent fortement cette histoire dans la tradition des comics de superhéros : il n'y a qu'à regarder le repaire de Nemesis pour contempler une variation de la Batcave. le lecteur contemple un aménagement souterrain spacieux qui abrite une voiture sur une plaque tournante, ainsi qu'un avion de chasse dans une autre salle. Cette pleine page est représentative du ton du récit : la fantaisie adolescente. Dans la réalité un tel déploiement de technologie nécessite une armée de techniciens assurant la maintenance. Dans cette histoire, il tombe sous le sens que toutes ses merveilles n'ont pas besoin d'entretien ou de contrôle technique. McNiven réalise des planches très agréables à regarder, efficaces, fluides et brutales, en mélangeant un réalisme sec avec des influences superhéros. Il s'amuse également avec le blanc immaculé du costume de Nemesis pour faire apparaître les fines traînées de sang des victimes.
Ce tome constitue une lecture agréable bien ficelée avec une chute qui ouvre une nouvelle perspective sur les événements contés et des illustrations précises et pleines de vie. le récit s'éloigne des comics de superhéros pour s'inscrire dans le registre du thriller, avec quelques éléments trop gros pour y croire. À différentes reprises, j'ai eu l'impression que Millar avait calibré ses ingrédients pour contenter son cœur de cible, un peu comme des auteurs comme Douglas Preston et Lincoln Child composent artificiellement leur roman en insérant telle et telle scènes afin de plaire aux lecteurs (je pense par exemple à Danse de mort qui sent plus une recette toute faite qu'autre chose).
Un album mignon.
Une aventure légère de notre héros dans un monde médiéval teinté de magie. J’ai bien accroché à l’univers.
J-L Cornette propose un récit un poil trop jeunesse pour m’emporter totalement. Cependant c’est divertissant et bien construit, il ne faut juste pas être allergique aux dialogues un peu naïf.
C’est surtout la partie graphique qui a retenu mon attention, je l’ai trouvé très agréable. Thierry Martin fournit un gros boulot. Ses personnages m’ont bien plu dans leurs mimiques, les couleurs sont bien senties et j’ai particulièrement apprécié sa narration et son soucis des détails.
Vite oublié mais bien réalisé.
Un autre manga que j'avais découvert en premier via l'anime. Le principe de découvrir le corps humain avec des cellules qui sont humanoïdes me fait penser au dessin animée Il était une fois la vie, mais comme ça vient du Japon il y a évidemment plus de baston que dans ce dessin animé français.
Le résultat est pas mal, avec des personnages attachants et on s'amuse tout en s'éduquant. Malgré tout, j'ai trouvé que c'était sympathique sans plus. Les combats ne m'ont pas trop passionné (je pense que le public-cible est surtout les jeunes) et comme la biologie n'est pas ma matière scientifique préférée, je n'ai pas pris autant de plaisir à apprendre des choses que si c'était dans le cade d'une matière que j'apprécie plus (l'histoire par exemple).
À emprunter si on a des jeunes qui sont curieux de tout.
« Colette, un ouragan sur la Bretagne » est un biopic assez classique dans la forme. Si le style narratif, fluide et dynamique, correspond assez bien au personnage vibrant de vie que représentait l’écrivaine française, il pêche un peu par son absence de séquences fortes et de respirations. On reste sur cette impression que toute la vie de Colette, avec ses multiples rebondissements et ses péripéties amoureuses, est diluée dans un magma bouillonnant ou chaque séquence succède à l’autre sur un rythme effréné, sans doute un peu trop vite pour marquer vraiment le lecteur.
Le trait témoigne de la maîtrise de son auteur, Joub, mais son aspect un peu naïf, inspiré de l’école « franco-belge », peut dérouter également, assez éloigné de ce qu’on pourrait attendre d’un ouvrage consacré à une autrice de renom. Là encore, d’aucuns pourront arguer, et cela s’entend, qu’il colle bien à l’image virevoltante d’une femme toujours en mouvement, véritable « ouragan ». Quant aux côtés les plus controversés de Colette – qui assumait totalement sa vie libertine propre à choquer le bourgeois —, ils semblent ici presque édulcorés sous le caractère gentillet du dessin.
Quoiqu’on en pense, il serait difficile d’imaginer cet ouvrage s’imposer parmi les meilleures BDs de l’année. Ce n’est pas tant qu’il soit mauvais, c’est juste qu’il reste globalement assez moyen, dépourvu d’éléments de nature à le faire sortir du lot. Par ailleurs, on pourra aussi regretter le fait que le récit ne démarre qu’en 1910, alors que Colette cherche une maison en Bretagne, une région qu’elle adorait. A cette époque, Colette approche de la quarantaine, avec déjà une petite carrière derrière elle (avec notamment sa série des « Claudine »). Hors des contraintes de format, on a donc un peu de mal à comprendre pour quelle raison ce pan de sa vie a été ignoré par Jean-Claude Cornette, qui s'est centré sur la période « bretonne » en terminant par Monte Carlo en 1925. De même, on aurait aimé voir évoquer son enfance à Saint-Sauveur-en-Puisaye et sa relation très spéciale qu’elle avait avec sa mère, Sido, féministe et athée convaincue.
Exercice de style
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Après la fin de la série 100 bullets en 2009, Brian Azzarello et Eduardo Risso ont à nouveau collaboré sur une histoire de science-fiction Spaceman en 2012. Puis en 2013/2014, ils ont réalisé une histoire complète en 8 épisodes, ayant comme protagoniste principal Lono. Ce recueil contient la minisérie complète, qu'il est possible de comprendre sans avoir lu 100 bullets.
Ces événements se déroulent après la fin de 100 bullets. Lono s'est retiré dans un orphelinat géré par le prêtre Manny, dans une lointaine banlieue de Mexico. le prologue est constitué d'une séance de torture particulièrement sadique durant laquelle un sinistre individu extirpe des renseignements d'un pauvre hère ligoté sur une chaise. À l'aéroport de Mexico, Lono prend en charge sœur June qu'il escorte jusqu'à l'orphelinat. Sur place, le père Manny profite des dons financiers de Cortez, un criminel gérant le trafic de drogues local pour le compte des jumeaux Tower (Torres). L'équilibre précaire des pouvoirs chavire peu à peu avec la découverte de cadavres sur les terres de l'orphelinat, et des négociations musclées menées par les sbires de Cortez et Cortez lui-même pour étendre le secteur géographique de son trafic de dope.
Pas facile pour le lecteur de savoir sur quel plan placer cette histoire. Pour un lecteur étranger à 100 bullets, il découvre dans un environnement malsain, d'une violence écœurante (la séance de torture initiale est des plus éprouvantes), d'un sadisme nauséabond, avec une sombre histoire de trafic de drogues, tournant autour d'une extension de territoire. Lono est un personnage au passé aussi mystérieux qu'inquiétant, au point d'avoir engendré une répulsion incommensurable chez le prêtre qui l'a entendu en confession. Malgré sa carrure massive, il ne fait qu'encaisser, refusant de se laisser aller à la violence, cherchant une forme de rédemption pour on ne sait quelle raison. Tout le monde a un grain plus ou moins prononcé. L'ambiance est poisseuse, ça ne peut que finir mal, et on ne donne pas cher du bien être des petits pensionnaires de l'orphelinat.
Il s'agit donc d'un polar bien noir, avec une dose de violence élevée, des personnages prisonniers de leurs limites, des magouilles à haut risque, des comportements sadiques (de l'arrachage d'ongle à la mutilation avec un chalumeau), où le pauvre shérif esseulé ne peut que compter les points.
Cette intrigue bénéficie de dessins à la forte personnalité, marqués de diverses influences. Eduardo Risso ne dessine pas pour faire joli, mais pour décrire la situation en y intégrant toute la tension et les émotions qui s'y expriment. Il sait faire exister les environnements en quelques éléments soigneusement choisis, qui peuvent être soit détaillés, soit esquissés en fonction du besoin de la scène. Il peut passer du temps pour peaufiner une case et montrer tous les meubles et accessoires du bureau du shérif, ou l'aménagement du Coyote Bar que fréquente Lono (chaises, tables, rangées de bouteilles, comptoir). Il peut également s'en tenir à des silhouettes à moitié mangées par l'ombre sans arrière plan, à de simples formes en ombre chinoise, telles les croix du cimetière, des plans de maïs de nuit, les barreaux des cellules de la prison, etc.
Si certaines séquences peuvent sembler manquer de substance le temps d'une page ou deux dépourvues de tout décor, elles ne sont jamais fades. Risso sait concevoir des personnages à l'apparence visuelle unique et marquante, qu'il s'agisse de l'énorme masse de muscle qu'est Lono, de la silhouette gracile de sœur June, du père Manny marqué d'une certaine mollesse, ou du trop suave señor Cortez. Chaque personnage dispose de vêtements spécifiques et adaptés. Les hommes de main de Cortez sont affublés de tatouages faciaux qui valent le détour (marque de pneu). La direction d'acteur est impeccable, et la mise en scène parfaitement fluide et lisible.
Risso s'avère également très doué pour transcrire le sadisme et la cruauté des tortures et des violences, sans se complaire dans le gore. Même pour un lecteur aguerri, l'équilibre entre ce qui est montré et ce qui est sous-entendu rend ces séquences éprouvantes. Patricia Mulvihill utilise un outil infographique qui lui permet d'introduire quelques dégradés discrets, tout en retenue. Elle maîtrise à la perfection la méthode qui consiste à choisir une teinte dominante pour chaque scène, ou pour un lieu particulier, et faire ressortir quelques éléments choisis du dessin par des couleurs qui tranchent. Elle améliore la lisibilité de chaque case, en la complétant discrètement, et elle assure l'unité de chaque séquence par le biais d'une teinte prédominante.
De temps à autre, le lecteur remarque que Risso s'amuse à introduire un élément caricatural dans une case : une expression un plus appuyée que nécessaire (la vieille dame à l'aéroport, la lassitude sur le visage de June, l'air idiot du père Manny devant l'armoire de Cortez dans le chapitre 7), des personnages caricaturaux (les espèces de zombies venant hanter Lono dans l'épisode 3), des éléments exagérés (les traces en spirale des balles tirées par Lono dans le chapitre 8). Il s'agit de quelques moments fugaces, mais bien présents, comme si Risso souhaitait attirer l'attention du lecteur sur une dimension parodique du récit (légère mais réelle). Cette impression se trouve renforcée par les incroyables couvertures réalisées par Dave Johnson, combinant une interprétation très personnelle et premier degré des affiches du cinéma grindhouse, avec là encore une dimension parodique consciente.
Au final, le lecteur finit par avoir l'impression que les auteurs lui adressent un clin d'œil pour lui dire que tout ceci n'est pas à prendre trop au sérieux, qu'il s'agit d'un exercice de style, d'un hommage personnel à un type de récit noir, cruel et brutal.
Pour un le lecteur de 100 bullets en manque, il se fait un plaisir à l'avance de retrouver cette terrifiante ordure psychopathe de Lono. Il constate que le tatouage Croatoa est bien présent sur son ventre, ce qui confirme que le récit se déroule après la fin de la série. Il constate avec surprise que Lono a décidé de renoncer à la violence, ce qui en fait un nouveau personnage. Azzarello entretient le doute de séquence en séquence, ce qui fait que le lecteur ronge son frein ne sachant que penser. Évidemment, en 8 épisodes, Azzarello ne pouvait pas déployer une intrigue aussi tentaculaire et labyrinthique que celle de 100 bullets. Toutefois ces 8 épisodes se lisent aussi vite que 4, et parvenu à la fin le lecteur se dit que l'histoire était un peu mince.
Bien sûr, Azzarello se montre aussi doué que Risso pour créer des scènes totalement inscrites dans le sous-genre du polar mexicain, puant la sueur, la peur diffuse, la violence latente, et la cruauté mentale surdéveloppée pour les tortures. du coup le récit s'apprécie plus pour l'ambiance de chaque séquence que pour l'intrigue. Toutefois, 100 bullets recelait plusieurs niveaux de lecture et des portraits de personnages complexes, ainsi qu'une critique personnelle et intelligente du capitalisme sauvage et de la loi du plus fort. Ici, les personnages sont à peine plus que des stéréotypes, des pions personnalisés au service de l'intrigue. le thème principal peut difficilement s'apparenter à la rédemption de Lono dans la mesure où le lecteur ne sait pas ce qui a pu provoquer ce revirement chez lui. Une fois écartée cette rédemption, il ne reste plus qu'un exercice de style virtuose, sans guère autre chose que des individus englués dans leur mode de vie, incapables d'évoluer ou d'en changer.
"Brother Lono" est donc à prendre comme un petit plaisir coupable de série B ou Z, réalisé par des auteurs exceptionnels, mais souhaitant juste réaliser une histoire "à la manière de" rendant hommage au grindhouse. Au regard de la production mensuelle de comics, cette histoire mérite entre 4 (roman très noir manquant un peu de fond) et 5 étoiles (exercice de style virtuose). Au regard de 100 bullets, le lecteur éprouvera une déception de voir cette coda qui n'est pas à la hauteur de l'original et qui n'est pas indispensable.
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Mega
Cette bande dessinée, qui au premier abord, s’apparenterait à de la grosse artillerie, dissimule contre toute attente quelques charmes insoupçonnés, qui vont se révéler au fil de la lecture. Si la narration respire le déjà vu, elle joue à bon escient sur les contrastes, comme la couverture pourrait assez bien le résumer, laquelle montre une fillette se dressant contre un monstre gigantesque au milieu de gratte-ciel. Et en effet, « Mega » n’est pas juste un prétexte pour montrer des scènes de combat spectaculaires entre deux créatures géantes, avec rien autour… Assez habilement, Salvador Sanz fait référence non seulement à Godzilla — le mythique blockbuster japonais auquel on pense immédiatement —, mais a puisé son inspiration dans les légendes anciennes ou plus contemporaines, alimentées par les croyances populaires (notamment avec le Chupacabra, équivalent sud-américain de la bête du Gevaudan qui sucerait le sang des animaux de ferme), ainsi que dans la littérature ou le cinéma fantastique, de Lovecraft à « Alien » en passant par « La Guerre des mondes » de H.G. Wells. Une approche très pop-culture qui, par l’entremise de la fillette Tina, nous ramène aussi vers le monde de l’enfance et des rêves. Et de ce point de vue, c’est plutôt réussi et assez prenant. Quant au dessin de cet auteur « multitâches », force est de constater qu’il dégage pas mal de puissance dans la représentation très détaillée des monstres. Ces derniers, sortes de dragons métalliques dépourvus d’yeux, ont un aspect à la fois terrifiant et intrigant, forcément extra-terrestres. Cela donne lieu à des scènes de « catch » très spectaculaires au milieu des tours en flammes de Montevideo, et pour plus de vraisemblance, retransmises en boucle sur la chaîne d’info locale. Mais ce « vacarme graphique », que d’aucuns pourraient très bien ne pas apprécier, est contrebalancé par la magie et la douceur des scènes oniriques où la fillette dialogue avec son « papi », nous faisant pénétrer dans le domaine merveilleux du conte. Salvador Sanz est un auteur argentin célébré et bénéficiant d’une certaine notoriété chez lui ainsi que dans les pays latinos. Ce touche à tout, qui travaille aussi dans l’illustration et réalise des courts métrages d’animation, a même eu les honneurs du Comic-con de San Diego aux USA, mais reste encore assez méconnu sous nos contrées. Dans le monde francophone, « Méga » est sa deuxième bande dessinée, et cette seconde mise en lumière est permise par l’éditeur français iLatina, spécialisé dans la BD sud-américaine. Ce premier tome d’une trilogie en cours est suffisamment bien mené, avec son lot d’images prodigieuses et féériques, pour nous donner envie de découvrir la suite, qui nous dira si la petite Tina sera de taille pour anéantir la titanesque Salamandre et le vicieux Chupacabra…
Lodger
Je ne suis pas sûr d'avoir bien saisi la fin. Bien que la narration soit originale, elle m'a plutôt ennuyé par moment. C'est probablement un très bon thriller sombre, mais ça n'a pas vraiment matché avec moi. Enfin je reconnais tout de même que l'histoire m'a tenu en haleine tout au long de ma lecture, mais ça ne m’a pas convaincu au point de lui attribuer une meilleure note. De plus, je ne suis pas particulièrement fan de ce style de dessin : le noir et blanc est superbe avec un beau travail d'encrage et une bonne compréhension des scènes, mais les traits des personnages et des décors ne m'attirent pas vraiment. Une 2nd lecture pourrait être envisageable pour essayer de mieux comprendre et apprécier davantage cette histoire.
La Rose écarlate - Missions
Cette série profite du succès commercial de la série mère pour proposer un complément. Je ne suis vraiment pas le lecteur cible mais je trouve que les épisodes que j'ai lus n'apportent pas trop à la série mère. L'autrice en profite pour proposer des histoires en deux volumes où on retrouve nos deux héros à la mode Zorro. Il y a en plus des chicaneries d'amoureux et un zest de fantastique. Le côté roman rose avec une touche de féminisme plaira probablement à un public plutôt féminin et assez jeune (8/10 ans). Le vocabulaire reste agréable et le graphisme cédé à Jenny et Mister Choco Man correspond à la série mère en moins dynamique dans les combats à mon avis. Le style manga est plus prononcé sur un fond de dessin d'animation. C'est propre et bien maîtrisé mais bien trop standardisé à mes yeux. Une lecture assez lisse pour passer le temps assez agréablement quand on est enfant. 2.5
Caliban
Hommage à HR Giger et à Alien - Ce tome regroupe les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2014, écrits par Garth Ennis, dessinés par Facundo Percio, encrés par Sebastian Cabrol, et mis en couleurs par Hernan Cabrera. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre. Quelque part au fin de fond de l'espace, l'équipage du vaisseau minier Caliban se déplace dans l'hyperespace. En plein pendant ce saut, il heurte un autre vaisseau de taille gigantesque et d'origine extraterrestre. du fait des propriétés particulières à l'hyperespace, ils sont fusionnés entre eux, au niveau moléculaire. Il n'y a d'autre choix que de revenir dans l'espace normal et d'évaluer les dégâts. Au poste de pilotage, les survivants font le point et analysent leurs possibilités d'action. Il faut déterminer l'ampleur des dommages, savoir où est le reste de l'équipage dans cet enchevêtrement entre les 2 vaisseaux, chercher les éventuelles fuites d'oxygène, et réfléchir à une exploration de l'autre vaisseau. En exergue, Garth Ennis a inclus une dédicace à Hans Ruedi Giger, le créateur d'Alien et d'autres bestioles, toutes aussi angoissantes (voir HR Giger ARh+). le lecteur sait donc avant de commencer le récit qu'il s'agit d'une variation sur le film Alien (1979). En affichant clairement la nature de cet hommage, Ennis neutralise une partie du suspense, et crée une attente chez le lecteur pour une partie de cache-cache mortel et peut-être horrifique. C'est à la fois très honnête de sa part, et un peu risqué. Ce genre de récit d'épouvante lié à la présence d'une créature hostile (rodant dans les parages et prête à attaquer n'importe qui au dépourvu) nécessite un bon sens du rythme et du dosage au cinéma pour que le spectateur reste sur ses gardes, alors même qu'il s'attend à être pris au dépourvu. C'est encore plus compliqué à mettre en œuvre dans une bande dessinée, dans la mesure où c'est le lecteur qui contrôle le rythme de sa lecture. Le récit commence bien, avec un personnage principal (Nomi, technicienne spécialisée en communication) qui tient un journal intime permettant au lecteur de découvrir la mission du vaisseau, quelques membres de l'équipage, ainsi que quelques particularités de cet environnement de science-fiction. L'accident de la route en hyperespace est assez original, et le résultat est convaincant. Ennis s'attache à clarifier quelques éléments pragmatiques, telle que la fuite d'oxygène, ou encore la difficulté pour l'équipage de se faire une idée de la masse et de la forme de ce qu'ils ont percuté. Il évoque également le processus délicat pour que les ordinateurs de chaque vaisseau réussissent à établir une forme d'échange de données, avec l'apprentissage délicat de reconnaissance et d'établissement de protocoles. Ennis montre que l'équipage éprouve quelques difficultés à prendre une décision sur la conduite à tenir, leur commandement direct étant hors d'état. Il accroche son récit sur 2 personnages principaux féminins (Nomi, et Sanchita Mali). Il se trouve que cet accident correspond au premier contact entre l'humanité et une race extraterrestre, particularité qu'Ennis développe et exploite avec délicatesse lorsque les membres de l'équipage en prennent conscience. Il prend également le temps de montrer un aspect de la culture de cette race extraterrestre, d'expliquer pourquoi elle parcourt le cosmos, etc. Par contre il ne réussit pas à innover sur le schéma classique des membres de l'équipage se faisant exterminer à tour de rôle par le monstre. Ce dernier dispose de capacités exceptionnelles, expliquées dans le récit. Nomi et Sanchita finissent par être placée devant un dilemme moral très classique dans ce genre de récit. Facundo Percio avait déjà illustré des récits publiés par Avatar : Anna Mercury - The cutter de Warren Ellis, et Fashion beast d'Alan Moore. le premier épisode est immersif à souhait. Malgré leur tenue réglementaire, les personnages sont facilement identifiables, et dotés de morphologie normale. Les coursives du vaisseau présentent une largeur normale, l'espace étant compté à bord. La technologie du vaisseau en arrière-plan comporte des voyants et des tubes, évoquant des appareillages complexes de manière discrète, sans être passe-partout. Les mises en scène sont adaptées à chaque séquence, et font bien ressortir l'horreur des situations (perte des individus en sommeil artificiel, enchevêtrement des 2 vaisseaux). L'encrage est net et précis. Cette bonne impression s'atténue un peu dans les épisodes suivants. Pour commencer le lecteur observe que Percio utilise les mêmes arrière-plans à répétition, de plus en plus génériques, quand ils ne disparaissent pas plusieurs cases durant. En fait il n'a conçu l'intérieur des 2 vaisseaux que de manière superficielle, sans apporter de réflexion à la technologie, ou à la logique de la conception technique. Sans grande surprise, les extraterrestres de l'autre vaisseau sont anthropomorphes, certes pas tout à fait de la même taille qu'un être humain. Dans le détail, la taille de la combinaison spatiale que revêt l'un des membres de l'équipage laisse à désirer, car le lecteur constate que les bras du personnage sont trop courts pour arriver jusqu'aux mains de la combinaison. Dans un même ordre d'idée, les expressions des visages manquent de finesse dans la deuxième moitié du récit. Cependant, Percio continue à représenter les individus avec un langage corporel normal et réaliste. En fonction des événements, il réussit à représenter de manière cohérente des éléments qui augmentent le niveau d'exigence en suspension consentie d'incrédulité (par exemple la capacité du monstre à modifier le corps humain, pour le rendre plus fort). Ces modifications donnent lieu à quelques cases de nature horrifiques qui fonctionnent bien sur un plan visuel. Avec cette histoire, Garth Ennis et Facundo Percio réalisent un récit de genre aux conventions bien établies : la survie d'un équipage dans l'espace, face à un extraterrestre impitoyable. Leur récit de genre ne réussit pas à bien adapter les techniques de l'écriture cinématographique, pour les transposer à celles de l'écriture d'une bande dessinée. Sans être fade, sur ce point, le récit est plutôt convenu. Le récit se révèle moins convenu et plus intéressant quand Ennis s'intéresse aux personnages et à leurs interactions. L'histoire d'amour n'a rien de conventionnelle et est touchante. Les motivations des deux personnages principaux pour voyager dans l'espace sont convaincantes. Ennis transcrit avec habilité la fragilité de l'être humain dans cet environnement inhospitalier qu'est l'espace. Il titille avec adresse la sensibilité de l'amateur de science-fiction, avec les implications de cette première rencontre entre humains et extraterrestres, mais sans les creuser vraiment.
Punch ! Saison 1
C'est mignon, j'ai lu l'intégrale et les 4 histoires sont agréables à lire, avec une petite préférence pour la 2eme et la 3eme. Les histoires tournent autour du thème de la nature, mais abordent surtout la question de la différence et ses implications dans diverses sphères sociales. Les récits sont très simples, se lisent rapidement (environ 40 pages), et plairont bien plus aux jeunes qu'aux adultes. La 1ere histoire dégage une forme de poésie que j'ai particulièrement apprécié pour son ton, la 2eme m'a beaucoup plu pour la leçon de vie qu'elle peut apporter à un jeune lecteur, la 3eme pour son aspect SF, et enfin la 4eme, que j'ai un peu moins aimé, mais qui a son charme et offre également une petite leçon de vie intéressante. En bref, c'est une BD sympathique, parfaite pour la jeunesse, qui inculque de belles valeurs.
Nemesis (Millar)
Supercriminel supersadique - À Tokyo, un homme dans un costume tout blanc (avec cape et masque) s'apprête à donner le coup de grâce au chef de la police. Il est assisté de deux hommes. le chef de la police est ligoté et Nemesis a annoncé qu'il l'exécuterait à 10h35. Pour passer le temps, il énumère les crimes qu'il a commis avant cette mise à mort finale : l'empoisonnement d'un réservoir d'eau, une attaque au gaz dans une salle de spectacle et le vol d'un bijou précieux. Cette scène se termine par un carnage provoquant la mort de plusieurs centaines de d'innocents. Deuxième scène : Blake Morrow (un policier haut gradé) se salit les mains en mettant un terme à une prise d'otages dans une effusion de sang (le sang des preneurs d'otages). À l'issue de son action d'éclat, un policier lui remet un carton indiquant qu'il est la nouvelle cible de Nemesis qui a projeté de le tuer le 12 mars courant. Nemesis arrive aux États-Unis et il commence par attaquer Air Force One. Mark Millar (le scénariste) est devenu à la fin des années 2000, le roi de l'esbroufe dans le monde des comics. En 2008, il a créé Kick-Ass (dessiné par John Romita junior) dont il a vendu les droits directement au cinéma avec le film réalisé dans la foulée (Kick Ass). Fort de ses succès passés (Wanted également adapté en film, et Ultimates) Millar a le droit d'avoir quelques prétentions et Marvel a publié deux de ses séries en 2010 (Nemesis et Superior avec Leinil Yu). Nemesis correspond également à sa troisième bande dessinée avec Steve McNiven, les deux premières s'étant également classées dans les premières ventes (Civil War en 2006 et Old Man Logan en 2008/2009). Impossible d'ignorer un tel pédigrée. À la lecture Nemesis s'avère une histoire assez courte, complète, initialement 4 épisodes, soit environ 90 pages de bande dessinée. Némésis est le nom de la déesse de la vengeance dans la mythologie grecque. le lecteur apprend rapidement (dans le premier quart) quelle vengeance lie les deux personnages principaux. Millar a claironné partout que cette histoire correspond à une version de Batman s'attachant à faire le mal plutôt que le bien, dans un monde où il n'y a pas de superhéros. Effectivement, la première rencontre avec Nemesis le montre portant ce costume de superhéros ou supercriminel, tout de blanc vêtu comme un double inversé de Batman avec son costume sombre. Cet élément place d'emblée ce récit dans le registre des superhéros (sans superpouvoir) avec une exigence assez élevée de suspension consentie de l'incrédulité. Ne vous attendez pas à du réalisme ou du plausible ; par exemple dans une scène d'action enlevée, Nemesis conduit une voiture qui s'ouvre en 2 pour révéler une moto futuriste que Nemesis pilote avec les mêmes commandes que celles de la voiture. Coté crimes, le lecteur est servi par un Mark Millar en verve. le premier cité (l'empoisonnement d'un réservoir) évoque évidemment le méfait perpétré par le Joker lors de sa première apparition. Les suivants s'avèrent plus cruels et sadiques avec une volonté perverse de briser l'esprit des victimes. En ceci, Millar s'inscrit dans une longue tradition des comics dans laquelle une partie du plaisir de lecture dérive de la fascination pour la barbarie des crimes commis. Millar construit son récit sur l'horreur des crimes perpétrés et sur des scènes d'action spectaculaires dans lesquelles McNiven peut s'en donner à cœur joie. Il compose ses pages sur la base de 3 à 6 cases, une mise en page assez aérée. Il s'est éloigné de l'encrage minutieux de Dexter Vines pour Old Man Logan, pour un style un tout petit peu plus lâche avec une légère influence manga dans la représentation des mouvements (fluidité et rapidité). À la vue des pages, le lecteur peut constater les influences d'Akira dans la mise en scène des mouvements et des impacts, et les influences de Gary Frank dans les dessins des visages (Supreme Power). le résultat dégage une énergie impressionnante. Ses choix graphiques inscrivent fortement cette histoire dans la tradition des comics de superhéros : il n'y a qu'à regarder le repaire de Nemesis pour contempler une variation de la Batcave. le lecteur contemple un aménagement souterrain spacieux qui abrite une voiture sur une plaque tournante, ainsi qu'un avion de chasse dans une autre salle. Cette pleine page est représentative du ton du récit : la fantaisie adolescente. Dans la réalité un tel déploiement de technologie nécessite une armée de techniciens assurant la maintenance. Dans cette histoire, il tombe sous le sens que toutes ses merveilles n'ont pas besoin d'entretien ou de contrôle technique. McNiven réalise des planches très agréables à regarder, efficaces, fluides et brutales, en mélangeant un réalisme sec avec des influences superhéros. Il s'amuse également avec le blanc immaculé du costume de Nemesis pour faire apparaître les fines traînées de sang des victimes. Ce tome constitue une lecture agréable bien ficelée avec une chute qui ouvre une nouvelle perspective sur les événements contés et des illustrations précises et pleines de vie. le récit s'éloigne des comics de superhéros pour s'inscrire dans le registre du thriller, avec quelques éléments trop gros pour y croire. À différentes reprises, j'ai eu l'impression que Millar avait calibré ses ingrédients pour contenter son cœur de cible, un peu comme des auteurs comme Douglas Preston et Lincoln Child composent artificiellement leur roman en insérant telle et telle scènes afin de plaire aux lecteurs (je pense par exemple à Danse de mort qui sent plus une recette toute faite qu'autre chose).
Mickey et les mille Pat
Un album mignon. Une aventure légère de notre héros dans un monde médiéval teinté de magie. J’ai bien accroché à l’univers. J-L Cornette propose un récit un poil trop jeunesse pour m’emporter totalement. Cependant c’est divertissant et bien construit, il ne faut juste pas être allergique aux dialogues un peu naïf. C’est surtout la partie graphique qui a retenu mon attention, je l’ai trouvé très agréable. Thierry Martin fournit un gros boulot. Ses personnages m’ont bien plu dans leurs mimiques, les couleurs sont bien senties et j’ai particulièrement apprécié sa narration et son soucis des détails. Vite oublié mais bien réalisé.
Les Brigades Immunitaires
Un autre manga que j'avais découvert en premier via l'anime. Le principe de découvrir le corps humain avec des cellules qui sont humanoïdes me fait penser au dessin animée Il était une fois la vie, mais comme ça vient du Japon il y a évidemment plus de baston que dans ce dessin animé français. Le résultat est pas mal, avec des personnages attachants et on s'amuse tout en s'éduquant. Malgré tout, j'ai trouvé que c'était sympathique sans plus. Les combats ne m'ont pas trop passionné (je pense que le public-cible est surtout les jeunes) et comme la biologie n'est pas ma matière scientifique préférée, je n'ai pas pris autant de plaisir à apprendre des choses que si c'était dans le cade d'une matière que j'apprécie plus (l'histoire par exemple). À emprunter si on a des jeunes qui sont curieux de tout.
Colette - Un ouragan sur la Bretagne
« Colette, un ouragan sur la Bretagne » est un biopic assez classique dans la forme. Si le style narratif, fluide et dynamique, correspond assez bien au personnage vibrant de vie que représentait l’écrivaine française, il pêche un peu par son absence de séquences fortes et de respirations. On reste sur cette impression que toute la vie de Colette, avec ses multiples rebondissements et ses péripéties amoureuses, est diluée dans un magma bouillonnant ou chaque séquence succède à l’autre sur un rythme effréné, sans doute un peu trop vite pour marquer vraiment le lecteur. Le trait témoigne de la maîtrise de son auteur, Joub, mais son aspect un peu naïf, inspiré de l’école « franco-belge », peut dérouter également, assez éloigné de ce qu’on pourrait attendre d’un ouvrage consacré à une autrice de renom. Là encore, d’aucuns pourront arguer, et cela s’entend, qu’il colle bien à l’image virevoltante d’une femme toujours en mouvement, véritable « ouragan ». Quant aux côtés les plus controversés de Colette – qui assumait totalement sa vie libertine propre à choquer le bourgeois —, ils semblent ici presque édulcorés sous le caractère gentillet du dessin. Quoiqu’on en pense, il serait difficile d’imaginer cet ouvrage s’imposer parmi les meilleures BDs de l’année. Ce n’est pas tant qu’il soit mauvais, c’est juste qu’il reste globalement assez moyen, dépourvu d’éléments de nature à le faire sortir du lot. Par ailleurs, on pourra aussi regretter le fait que le récit ne démarre qu’en 1910, alors que Colette cherche une maison en Bretagne, une région qu’elle adorait. A cette époque, Colette approche de la quarantaine, avec déjà une petite carrière derrière elle (avec notamment sa série des « Claudine »). Hors des contraintes de format, on a donc un peu de mal à comprendre pour quelle raison ce pan de sa vie a été ignoré par Jean-Claude Cornette, qui s'est centré sur la période « bretonne » en terminant par Monte Carlo en 1925. De même, on aurait aimé voir évoquer son enfance à Saint-Sauveur-en-Puisaye et sa relation très spéciale qu’elle avait avec sa mère, Sido, féministe et athée convaincue.
100 bullets - Brother Lono
Exercice de style - Après la fin de la série 100 bullets en 2009, Brian Azzarello et Eduardo Risso ont à nouveau collaboré sur une histoire de science-fiction Spaceman en 2012. Puis en 2013/2014, ils ont réalisé une histoire complète en 8 épisodes, ayant comme protagoniste principal Lono. Ce recueil contient la minisérie complète, qu'il est possible de comprendre sans avoir lu 100 bullets. Ces événements se déroulent après la fin de 100 bullets. Lono s'est retiré dans un orphelinat géré par le prêtre Manny, dans une lointaine banlieue de Mexico. le prologue est constitué d'une séance de torture particulièrement sadique durant laquelle un sinistre individu extirpe des renseignements d'un pauvre hère ligoté sur une chaise. À l'aéroport de Mexico, Lono prend en charge sœur June qu'il escorte jusqu'à l'orphelinat. Sur place, le père Manny profite des dons financiers de Cortez, un criminel gérant le trafic de drogues local pour le compte des jumeaux Tower (Torres). L'équilibre précaire des pouvoirs chavire peu à peu avec la découverte de cadavres sur les terres de l'orphelinat, et des négociations musclées menées par les sbires de Cortez et Cortez lui-même pour étendre le secteur géographique de son trafic de dope. Pas facile pour le lecteur de savoir sur quel plan placer cette histoire. Pour un lecteur étranger à 100 bullets, il découvre dans un environnement malsain, d'une violence écœurante (la séance de torture initiale est des plus éprouvantes), d'un sadisme nauséabond, avec une sombre histoire de trafic de drogues, tournant autour d'une extension de territoire. Lono est un personnage au passé aussi mystérieux qu'inquiétant, au point d'avoir engendré une répulsion incommensurable chez le prêtre qui l'a entendu en confession. Malgré sa carrure massive, il ne fait qu'encaisser, refusant de se laisser aller à la violence, cherchant une forme de rédemption pour on ne sait quelle raison. Tout le monde a un grain plus ou moins prononcé. L'ambiance est poisseuse, ça ne peut que finir mal, et on ne donne pas cher du bien être des petits pensionnaires de l'orphelinat. Il s'agit donc d'un polar bien noir, avec une dose de violence élevée, des personnages prisonniers de leurs limites, des magouilles à haut risque, des comportements sadiques (de l'arrachage d'ongle à la mutilation avec un chalumeau), où le pauvre shérif esseulé ne peut que compter les points. Cette intrigue bénéficie de dessins à la forte personnalité, marqués de diverses influences. Eduardo Risso ne dessine pas pour faire joli, mais pour décrire la situation en y intégrant toute la tension et les émotions qui s'y expriment. Il sait faire exister les environnements en quelques éléments soigneusement choisis, qui peuvent être soit détaillés, soit esquissés en fonction du besoin de la scène. Il peut passer du temps pour peaufiner une case et montrer tous les meubles et accessoires du bureau du shérif, ou l'aménagement du Coyote Bar que fréquente Lono (chaises, tables, rangées de bouteilles, comptoir). Il peut également s'en tenir à des silhouettes à moitié mangées par l'ombre sans arrière plan, à de simples formes en ombre chinoise, telles les croix du cimetière, des plans de maïs de nuit, les barreaux des cellules de la prison, etc. Si certaines séquences peuvent sembler manquer de substance le temps d'une page ou deux dépourvues de tout décor, elles ne sont jamais fades. Risso sait concevoir des personnages à l'apparence visuelle unique et marquante, qu'il s'agisse de l'énorme masse de muscle qu'est Lono, de la silhouette gracile de sœur June, du père Manny marqué d'une certaine mollesse, ou du trop suave señor Cortez. Chaque personnage dispose de vêtements spécifiques et adaptés. Les hommes de main de Cortez sont affublés de tatouages faciaux qui valent le détour (marque de pneu). La direction d'acteur est impeccable, et la mise en scène parfaitement fluide et lisible. Risso s'avère également très doué pour transcrire le sadisme et la cruauté des tortures et des violences, sans se complaire dans le gore. Même pour un lecteur aguerri, l'équilibre entre ce qui est montré et ce qui est sous-entendu rend ces séquences éprouvantes. Patricia Mulvihill utilise un outil infographique qui lui permet d'introduire quelques dégradés discrets, tout en retenue. Elle maîtrise à la perfection la méthode qui consiste à choisir une teinte dominante pour chaque scène, ou pour un lieu particulier, et faire ressortir quelques éléments choisis du dessin par des couleurs qui tranchent. Elle améliore la lisibilité de chaque case, en la complétant discrètement, et elle assure l'unité de chaque séquence par le biais d'une teinte prédominante. De temps à autre, le lecteur remarque que Risso s'amuse à introduire un élément caricatural dans une case : une expression un plus appuyée que nécessaire (la vieille dame à l'aéroport, la lassitude sur le visage de June, l'air idiot du père Manny devant l'armoire de Cortez dans le chapitre 7), des personnages caricaturaux (les espèces de zombies venant hanter Lono dans l'épisode 3), des éléments exagérés (les traces en spirale des balles tirées par Lono dans le chapitre 8). Il s'agit de quelques moments fugaces, mais bien présents, comme si Risso souhaitait attirer l'attention du lecteur sur une dimension parodique du récit (légère mais réelle). Cette impression se trouve renforcée par les incroyables couvertures réalisées par Dave Johnson, combinant une interprétation très personnelle et premier degré des affiches du cinéma grindhouse, avec là encore une dimension parodique consciente. Au final, le lecteur finit par avoir l'impression que les auteurs lui adressent un clin d'œil pour lui dire que tout ceci n'est pas à prendre trop au sérieux, qu'il s'agit d'un exercice de style, d'un hommage personnel à un type de récit noir, cruel et brutal. Pour un le lecteur de 100 bullets en manque, il se fait un plaisir à l'avance de retrouver cette terrifiante ordure psychopathe de Lono. Il constate que le tatouage Croatoa est bien présent sur son ventre, ce qui confirme que le récit se déroule après la fin de la série. Il constate avec surprise que Lono a décidé de renoncer à la violence, ce qui en fait un nouveau personnage. Azzarello entretient le doute de séquence en séquence, ce qui fait que le lecteur ronge son frein ne sachant que penser. Évidemment, en 8 épisodes, Azzarello ne pouvait pas déployer une intrigue aussi tentaculaire et labyrinthique que celle de 100 bullets. Toutefois ces 8 épisodes se lisent aussi vite que 4, et parvenu à la fin le lecteur se dit que l'histoire était un peu mince. Bien sûr, Azzarello se montre aussi doué que Risso pour créer des scènes totalement inscrites dans le sous-genre du polar mexicain, puant la sueur, la peur diffuse, la violence latente, et la cruauté mentale surdéveloppée pour les tortures. du coup le récit s'apprécie plus pour l'ambiance de chaque séquence que pour l'intrigue. Toutefois, 100 bullets recelait plusieurs niveaux de lecture et des portraits de personnages complexes, ainsi qu'une critique personnelle et intelligente du capitalisme sauvage et de la loi du plus fort. Ici, les personnages sont à peine plus que des stéréotypes, des pions personnalisés au service de l'intrigue. le thème principal peut difficilement s'apparenter à la rédemption de Lono dans la mesure où le lecteur ne sait pas ce qui a pu provoquer ce revirement chez lui. Une fois écartée cette rédemption, il ne reste plus qu'un exercice de style virtuose, sans guère autre chose que des individus englués dans leur mode de vie, incapables d'évoluer ou d'en changer. "Brother Lono" est donc à prendre comme un petit plaisir coupable de série B ou Z, réalisé par des auteurs exceptionnels, mais souhaitant juste réaliser une histoire "à la manière de" rendant hommage au grindhouse. Au regard de la production mensuelle de comics, cette histoire mérite entre 4 (roman très noir manquant un peu de fond) et 5 étoiles (exercice de style virtuose). Au regard de 100 bullets, le lecteur éprouvera une déception de voir cette coda qui n'est pas à la hauteur de l'original et qui n'est pas indispensable.