Sur le moment, j’ai mis ça sur le compte de la jalousie. Je me trompais lourdement.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2001. Il a été réalisé par Jean van Hamme pour le scénario, et par Grzegorz Rosinski pour les dessins et le scénario. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. La réédition de 2022 se termine par un cahier de vingt pages reprenant le synopsis du scénariste pour les dix-neuf premières planches du récit, avec des études préparatoires réalisées par l’artiste.
L’homme que Nate a tué ce jour-là s’appelait Van Deer. Ambrosius van Deer. Il avait quarante-deux ans. Il venait du Kansas où son père avait créé un ranch dans les années quarante, quand ce territoire s’était ouvert aux premiers colons. Le ranch Double D Barré des Van Deer s’étendait sur 600.000 acres et comptait 80.000 têtes de bétail, un croisement de Longhorns et de vaches frisonnes importées de Hollande. À la mort de son père, Ambrosius van Deer était donc devenu un des plus riches éleveurs de l’ouest. Jess avait expliqué à Nate, que son ranch était aussi grand qu’un pays d’Europe qui s’appelle Luxembourg. Fort Laramie marquait alors la fin provisoire de la ligne construite par l’Union Pacific, le train y arriva avec seulement trois heures de retard. À l’époque, le voyage du Kansas au Wyoming durait quatre jours. Avant le chemin de fer, il aurait fallu plus d’un mois pour faire le même trajet, avec le risque permanent d’être attaqué par les Indiens ou des outlaws. C’était le 18 juillet 1886 et il faisait 35 degrés à l’ombre. Mais ce que Jess n’avait pas prévu, c’est que Van Deer ne serait pas seul. Le propriétaire descend du train avec sa fille Cathy. Il est accueilli par Jess Chisum qui l’emmène jusqu’au meilleur, et seul, hôtel de la ville où la meilleure chambre, dite présidentielle, a été réservée pour Van Deer. Chemin faisant, ce dernier rappelle à Chisum que Cathy ne sait rien de la raison de sa venue.
Après avoir laissé Cathy dans la suite présidentielle, Ambrosius van Deer ressort avec Jess Chisum qui l’emmène jusqu’à une cabane dans les bois. Il lui explique qu’il a retrouvé le fils perdu du frère d’Ambrosius. Nicholas van Deer, son épouse Margret et leurs deux fils aînés Charlie et Jimmy ont été torturés, égorgés et scalpés par des Sioux Lakotas. Ils ont emmené avec eux Edwin le plus jeune fils. Ils arrivent devant la cabane ou Jess Chisum a enfermé le jeune Edwin qu’il a retrouvé dans une tribu, et il demande si Van Deer a bien l’argent avec lui. Ni l’un, ni l’autre ne se sont rendu compte que la petite Cathy les a suivis en courant avec ses petites jambes. Chisum et Van Deer pénètrent dans la cabane : un adolescent au cheveux blancs en tenue indienne est ligoté à terre et bâillonné. Jess lui retire son bâillon, et le garçon se met à lancer des invectives en sioux. Ambrosius van Deer montre un portrait dans le médaillon de sa montre à gousset, et Edwin se met à se rouler par terre, le traumatisme remontant à la surface, à la vue du portrait de ses parents. Convaincu, Van Deer appelle un homme de main, Cole, qui était resté invisible à l’écart. Tout dégénère.
À l’annonce de cette bande dessinée ou à sa découverte, la curiosité de l’amateur se trouve immédiatement en éveil. Scénariste et dessinateur ont longtemps collaboré sur la série Thorgal qu’ils ont créée : vingt-neuf albums réalisés ensemble, de 1977 à 2006, l’artiste a continué à illustrer les aventures de ce héros jusqu’à l’album trente-six, avec d’autres scénaristes, après le départ de Van Hamme. L’horizon d’attente du lecteur se trouve d’autant plus élevé que cette histoire est parue dans la collection Signé de l’éditeur, réservée à des œuvres avec une ambition certaine. En outre les auteurs ont opté pour un titre qui sonne comme définitif : Western, soit un terme qui définit tout un genre à lui tout seul, promettant ainsi un récit qui englobe l’intégralité de ce qui fait l’essence de ce genre. De fait, la couverture tient cette promesse : une illustration évoquant une photographie, un jeune homme que la vie n’a pas ménagé, une tenue vestimentaire adaptée à une vie nomade et rude, et bien sûr deux armes à feu, l’assurance d’une violence omniprésente contraignant chaque individu à savoir se défendre, à tuer si nécessaire. Les premières pages confirment ce niveau de qualité. Des dessins mêlant traits encrés et couleur directe, pour une sensation de chaleur et de poussière, et une forte densité d’éléments descriptifs. Les cellules de texte sont copieuses, apportant de nombreuses informations, le point de vue personnel du narrateur, et un sens de destin inéluctable.
Pour commencer, le lecteur attend une reconstitution historique solide et bien nourrie, avec des images iconiques de Western. Il est contenté dès la première page avec l’arrivée en gare du train : la colonne de fumée, le chasse-buffle, un compartiment, la gare avec son quai en planches de bois, les habitants qui attendent à pied ou à cheval. Tout du long, le lecteur peut ainsi se projeter à cette époque, dans cette région du monde. La petite ville de Fort Laramie dans le Wyoming, ses constructions en bois bien alignées de part et d’autre de la rue principale en terre, le magasin général, l’hôtel au confort tout relatif, le bureau du shérif, la banque où chaque personne vient déposer son argent avec son poêle pour chauffer la pièce, la riche demeure de la famille propriétaire du ranch, le saloon, la cabane dans les bois. L’artiste s’investit avec le même degré d’intensité pour les accessoires de toute nature : les différentes tenues vestimentaires pour les hommes et pour les femmes dont les uniformes pour garder la banque, les chevaux et leur selle, les carrioles avec leurs grandes roues à rayon, les lampes à pétrole, la montre à gousset avec un portrait dans le couvercle, le râtelier à fusil dans le bureau du shérif, la baignoire chez les Dougherty, le coffre-fort, les pierres tombales assez frustes, un fauteuil roulant assez rudimentaire, etc.
Grzegorz Rosinski prend visiblement plaisir à représenter les différents paysages : la petite ville de Fort Laramie, comme les espaces sauvages. En tournant la page quinze, le lecteur découvre une peinture en couleur directe en double page, sur les seize et dix-sept. Les pins ont perdu leurs aiguilles, la neige recouvre le sol, un trappeur chaudement emmouflé avec une chaud couvre-chef avance précautionneusement raquettes au pied, avec son fusil à la main, suivi par un adolescent. Les couleurs passent du bleu au gris, pour une ambiance lumineuse entre pénombre du bois et clarté correspondant à la lumière reflétée par la neige. L’artiste a ainsi réalisé quatre autres illustrations peintes en double page : deux cavaliers contemplant les montagnes dans le lointain en page 26 & 27, deux hommes en train de creuser des fosses dans le cimetière en vue d’un enterrement en pages 36 & 37, un cavalier s’avançant dans une grande zone herbeuse après être passé sous le portique indiquant l’entrée du ranch en pages 44 & 45, une carriole avançant dans la grand-rue de Fort Laramie sous la neige suivie par des cavaliers avec des enfants jouant dans la neige en pages 56 & 57. Ces illustrations incitent le lecteur à prendre le temps de les contempler, ce qui induit qu’il se met à s’imprégner de ces grands espaces, de la nature, mais aussi de différentes facettes de la vie dans cette société, telles que la solitude, l’isolement, ce qu’apporte d’être à deux, le caractère exceptionnel d’une fête sociale en ville.
Jean van Hamme a également mis les petits plats dans les grands pour son intrigue. Après l’introduction, le récit est vécu principalement du point de vue de Nate Colton, quatorze ans au début, vingt-cinq ans à la fin du récit. Il va être amené à endosser deux autres identités, à souffrir l’amputation traumatique de son bras gauche dans des conditions épouvantables. Après quelques années d’errance, il décide de mettre à exécution son plan pour se faire une situation. Il ne rencontre pas que des personnes bien intentionnées, et sa simple présence dérange rapidement. Le destin lui joue de drôles de tours. Le scénariste veille à rester dans un registre plausible, sans coïncidence qui tirerait trop sur la corde de la suspension consentie d’incrédulité du lecteur. Les caractéristiques de l’humanité ressortent bien dans le contexte de cette ville proche de la frontière du monde civilisé : les forts profitent des faibles, racisme contre les Indiens, spoliation de leurs terres et création de réserves, usage d’armes à feu pour l’attaque de la banque, propriétaires s’enrichissant grâce au travail des ouvriers rémunérés avec des bas salaires, justice expéditive pour les voleurs de bétail (ils sont abattus à vue), et bien sûr quelques arrangements illégaux entre personnes ayant des intérêts communs, mais pas des amis, parce qu’il n’y a pas d’amis dans les affaires de ce type.
Le lecteur ne se prend pas vraiment d’amitié pour Nate Colton, même s’il éprouve une réelle compassion pour cet adolescent mal servi par la vie. Il relève qu’il est question de temps à autre de destin, ce qui induit l’orientation de la fin du récit. En ayant terminé sa lecture, il est fortement impressionné par l’honnêteté et l’habileté du scénariste qui a joué cartes sur table tout du long du récit, exposant chaque élément qui participe de la résolution, et pourtant le lecteur ne s’en trouve pas plus avancé pour l’anticiper. Dans le même temps, cet engrenage parfait fait ressortir qu’il s’agit d’une histoire imaginée et conçue pour fonctionner ainsi, ce qui attire l’attention du lecteur sur quelques moments. Il se souvient par exemple de la facilité avec laquelle Cathy, une dizaine d’années, parvient à suivre à pied, deux hommes à cheval qui ne la remarquent pas, sans parler de Cole, l’homme de main qui les avait pris en filature. Il se rappelle également la remarque de Nate à propos du trappeur Jonas : ce dernier lui a appris à fabriquer ses balles avec du plomb fondu dans des moules, sans que l’on sache où ils trouvaient du plomb en pleine forêt. À la réflexion, Hank Bass qui prend le risque de se rendre en ville dans le bureau du shérif, ça semble un peu gros également, une prise de risque inconsidérée qu’un tel voleur aussi chevronné ne prendrait pas. Enfin l’ultime révélation apparaît comme trop parfaite, sans produire l’effet voulu car le lecteur n’a pas eu l’occasion de s’attacher à Cathy Van Deer.
Un duo de créateurs comme Grzegorz Rosinski & Jean van Hamme qui s’associent pour réaliser une histoire auto-contenue dont le titre indique qu’elle incarne l’essence du Western : ça ne se refuse pas… et ça place l’attente du lecteur très haut. La narration visuelle s’avère impeccable, rêche à souhait, avec une reconstitution historique très immersive, et la surprise de ces cinq illustrations en double page, magnifiques transportant le lecteur dans ces paysages sauvages grandioses, et dans la petite ville animée. Le scénario raconte la vie de Nate Colton, jeune homme pas gâté par la vie, en évitant le ressort de la vengeance, pour simplement gagner sa place au soleil, malgré son handicap. L’histoire se lit avec grand plaisir rehaussé par l’art avec lequel le scénariste étale tout sous les yeux du lecteur, un peu obéré par quelques moments peu plausibles qu’une fin trop parfaite vient rappeler.
Je connaissais Mitton pour ses séries historiques – parfois franchement mâtinées d’érotisme – mais je le découvre ici scénariste d’une série qui, si elle s’ancre bien dans l’Histoire, joue surtout de ressors comiques.
L’intrigue se déroule en France durant l’année 1519, à Amboise dans le premier tome, puis à Paris dans le second. Elle commence durant l’agonie de Léonard de Vinci. Mais Mitton lui donne du rab’ puisque, rejoint par Rabelais, Nostradamus (et tous les personnages grand-guignolesques issus de l'oeuvre de Rabelais), celui-ci va vivre quelques moments aventureux et loufoques supplémentaires, luttant entre autres contre un inquisiteur Borgia.
L’atmosphère est franchement paillarde – ce qui est normal avec Rabelais. Mais c’est surtout un humour potache qui domine, à base de jeux de mots, de quelques citations anachroniques (la scène de beuverie dans la cuisine des Tontons flingueurs y est par exemple singée). Parti de quelques bases historiques, Mitton s’en affranchit largement.
C’est amusant, mais hélas vite lassant. Il faut dire que le plat est un peu indigeste. Les cases débordent, les décors et arrière-plans sont presque invisibles, souvent masqués derrière les personnages – très nombreux et gesticulant – et surtout les dialogues ! Le texte est souvent beaucoup trop abondant, les bulles débordent. C’est surtout le cas dans le premier tome, mais aussi dans une bonne moitié du suivant.
Le dessin de Rodrigue, dans un style semi-réaliste, convient plutôt bien à ce type d’histoire. Il est inégal, mais globalement bien fichu. J’ai juste été surpris par le changement de coloriste d’un tome à l’autre, le contraste est violent en ce domaine – ça devient plus léché, mais moins nuancé (de manière générale, je n’aime pas trop ces changements à l’intérieur d’une même série).
Contrairement à ce qu’indique la fiche, la série n’est pas terminée, et un troisième tome était même annoncé (« Pâté de paltoquets à la Pantagruel »), mais il n’a semble-t-il jamais paru.
Au final, c’est une série très méconnue de Mitton, qui est bourrée de clins d’œil (connaitre l’histoire de l’époque et l’œuvre de Léonard et surtout de Rabelais permet de mieux les apprécier). Mais il aurait sans doute fallu canaliser le verbe, et rendre plus punchy certaines saillies. Car le lecteur est emporté par dialogues et péripéties, comme si Mitton avançait en improvisant.
Une curiosité à (re)découvrir à l’occasion.
Note réelle 2,5/5.
Une série très violente et assez déroutante car mélangeant intrigue policière et magie noire vaudou teintée de fantastique.
Tout d'abord, je ne sais pas qui a eu l'idée de ce siamois greffé sur le nez du Big Boss, méchant de l'histoire, mais il faut y reconnaitre une certaine originalité dans le mauvais goût ! Question scénario, ce triptyque ne fait toutefois pas toujours dans l'originalité avec notre héroïne, policière qui est mutée dans un commissariat peuplé de flics pour la plupart misogynes et dopés à la testostérone. Ça flingue et se castagne à tout va entre flics et mafia, quitte à parfois à ce que l'histoire soit vraiment peu crédible. Mais il faut reconnaitre que ça se laisse lire et que l'on s'ennuie peu tant les événements s'enchainent rapidement. Quelques éléments m'ont tout de même un peu gêné : les personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres (flics corrompus, petites frappes de la mafia, etc) et une mention spéciale au personnage de l'infirmière en minijupe, très stéréotypée, qui va voir son corsage se dégrafer à de nombreuses reprises durant les trois tomes (un peu ridicule).
Côté dessin et colorisation, j'ai eu entre les mains l'intégrale des 3 tomes en petit format, ce qui ne m'a peut-être pas aidé à apprécier les graphismes. L'ensemble reste relativement classique, sans éléments notables. Les couvertures ne sont également pas transcendantes tout comme celle de l'intégrale.
Au final, une BD d'action divertissante comme un thriller du dimanche après-midi, sans réel point notable qui me restera en mémoire après la lecture.
SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 6/10
GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 5/10
NOTE GLOBALE : 11/20
Je ne crois pas connaitre Albert Algoud et ce n'est qu'en lisant cette BD que j'ai appris son lien avec Canal+ et Hara-Kiri. J'ai donc entamé cette lecture comme celle de la simple découverte du parcours d'un jeune professeur de Français dans les années 70/80 en Savoie.
Je n'y ai vu au départ qu'un jeune homme désireux d'enseigner à des jeunes qu'il voyait certes avec le regard un peu condescendant d'un parisien en province mais aussi bienveillant et ouvert d'esprit : très de gauche, dans le bon sens du terme. Face à une direction d'établissement un peu trop rigide, il va utiliser de méthodes assez libres pour donner l'envie de lire à ses élèves, mais aussi pour gérer les récalcitrants et les visiblement nombreux fauteurs de trouble. Des initiatives sympathiques, parfois assez convenues pour un esprit moderne (on ne parle pas vraiment du Cercle des Poètes Disparus non plus), mais louables... ça et là entrecoupées de détails faisant réaliser que le personnage lui-même joue avec la limite de l'ordre et de la loi. Ça commence par quelques vols de livres, "pour la bonne cause", puis des actes violents pour corriger des harceleurs, des troubles à l'ordre public du collège en représailles contre le directeur d'établissement ou encore des relations trop proches avec des élèves et anciens élèves, souvent faites d'alcool et de pêtards. Bref, d'un professeur ouvert d'esprit mais restant dans son rôle, on voit que le personnage ne se sent plus à sa place dans son métier et dans son système. Jusqu'à la rupture qu'il présente comme le moment qui a sauvé sa vie.
Je suis un peu circonspect vis-à-vis d'un tel parcours de vie, et notamment de son impact sur les élèves, sûrement positif par bien des aspects mais peut-être limite dans plusieurs cas, en tout cas trop anarchiste pour moi. Mais j'apprécie la sincérité avec laquelle il est raconté, et j'ai apprécié de voir comment on peut passer de prof de lettres à humoriste télé et dans les journaux. C'est finalement l'aspect documentaire et humain qui m'a intéressé dans cet album, sans pour autant me convaincre.
L’essentiel est d’avoir un bon fixatif.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une biographie partielle du peintre Jérôme Bosch. Son édition originale date de 2015 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par Griffo (Werner Goelen) pour le scénario et les dessins, par Florent Daniel pour les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, composé de huit parties intitulées : Le joueur de symboles, Une vie des origines entourées de mystère, De multiples sources d’inspiration, Bosch aux origines de la bande dessinée, La reconnaissance d’un art énigmatique, Le jardin des délices fête des métamorphoses, Une sagesse parfois timorée, Un diable caché dans les détails.
Bois-le-Duc, anno domini 1459, la nuit, dans la maison familiale, Jérôme van Aken se réveille en sursaut, étant la proie des cauchemars. Il réveille également ses deux frères qui dorment dans le même lit, et ses parents qui dorment dans un autre lit dans la même pièce. Ses frères se plaignent de ses maudits cauchemars, car ils ont envie de dormir. Sa mère se lève et le prend par la main, pour l’emmener dormir dans la cuisine, en traversant la cour. Il lui demande de ne rien en faire, car c’est la cachette des démons, il a peur. Elle le laisse dans la cuisine en lui demandant d’arrêter ses histoires car elle va finir par croire qu’il est vraiment possédé par le diable ! Elle lui dit de répéter la prière qu’elle lui a apprise, qu’elle commence pour lui remettre en mémoire, et elle s’en va en fermant la porte. Il s’exécute et récite la prière tout en voyant les ustensiles de cuisine s’animer, se mettre à voler dans la pièce. Les couteaux et tous les instruments tranchants vont se ficher dans la porte à côté de lui, et les démons commencent à apparaître, sortant de partout. Revenue auprès de son époux Antoine, la mère lui dit que Jérôme l’inquiète : ses visions démoniaques deviennent de plus en plus fréquentes, il faut en parler à l’abbé. Antoine répond en lui montrant les dessins de leur fils : l’an prochain, dès qu’il aura l’âge, le père le prendra dans son atelier.
À Gand en 2016, la professeure Mathilde de Vlaeminck donne un cours aux étudiants sur Hieronimus Bosch. Elle explique que : En contemplant son œuvre, on peut constater que Hieronimus Bosch était un conteur d’histoires uniques. Durant les sessions précédentes, ils ont vu que des dizaines d’auteurs ont commenté ses tableaux rivalisant d’érudition, admiratifs devant l’universalité d’un langage accessible à tous. Exactement comme on peut apprécier la musique sans savoir lire une partition. Parce que la relation d’un amateur d’art à l’objet d’art est une relation d’amour. Elle continue : L’homme du XVIe siècle doit nous être intelligible en fonction de ses propres idées, et non des siennes. Cet homme du moyen âge se situait entre une dévotion quasi enfantine et le fanatisme du fameux Malleus Maleficarum. Avec Bosch, c’est le dessous du moyen âge qui se vide ! Hieronimus Bosch était le maître qui donnait un visage à tous ces fantasmes, comme s’il les avait vraiment vus. Bosch, le peintre des diables, était un dompteur qui cherchait à dominer ses démons en les peignant.
Pas facile de réaliser une bande dessinée sur Jérôme van Aken, dit Hieronymus Bosch, car les éléments biographiques sont assez limités et proviennent de documents établis tardivement. L’auteur est un bédéiste chevronné, ayant commencé sa carrière en 1975, et ayant travaillé avec des scénaristes comme Jean Dufaux, Patrick Cothias, Stephen Desberg, Rodolphe, Valérie Mangin, Jean Van Hamme, Yves Swolfs, etc. Il a choisi de focaliser son récit sur une courte période de la vie du peintre, après une scène en 1459, le récit passe en 1468, enfin… Le lecteur observe qu’il est difficile de se fier aux dates indiquées dans les cartouches car la première indique 1469, la seconde 1468 alors que Bosch est visiblement plus âgé avec du poil au menton, puis 1463 alors qu’il s’agit de scènes se déroulant juste après celle étiquetée en 1468. Puis quand il fait le calcul avec la date de naissance du peintre, entre 1450 et 1453, cela ne semble pas correspondre en termes d’âge, et en termes de production des premiers tableaux. Quoi qu’il en soit, avec l’apparition d’un ange incarné en hibou, le lecteur interprète la narration comme relevant du conte, et que tous les éléments factuels ne doivent pas être pris au premier degré. La seconde ligne temporelle est fixe : en 2016 à Gand, dans une université ayant la responsabilité d’un tableau célèbre, peut-être La tentation de Saint Antoine, ou Le jugement dernier, qui ont, tous les deux, été peints après 1495 (autre exemple de la relativité des dates annoncées).
Les dates fluctuantes n’empêchent pas le lecteur de faire connaissance avec Jérôme van Acken, en proie à un terrible cauchemar. Le dessinateur commence par montrer une vue générale de Bois-le-Duc, puis la grande pièce principale du foyer de la famille. Il détoure les objets avec un trait fin et assuré, alliant les arrondis avec les tracés plus secs et droits. Il représente les décors et les accessoires de manière réaliste, avec un bon niveau de détails. Dans la première séquence, le lecteur peut prendre le temps de regarder chaque ustensile de cuisine : les assiettes, les couteaux, les bols et les saladiers, les chaudrons, la cruche, les pots, la table, le soufflet, le balais, l’âtre, les pinces, les râteliers, le hachoir, la pique, la broche, etc. Par la suite, le dessinateur représente le coffre en bois à côté du lit des parents, l’atelier dans lequel Jérôme apprend son métier, une clairière riante, une petite chaumière au milieu des ruines d’une église dont il ne reste que deux pans de mur, l’intérieur de la chaumière avec toutes les cornues du mage, la façade de l’hôtel particulier d’un riche marchand à Anvers, une geôle. Bien sûr, le lecteur attend avec impatience l’apparition des démons : il est servi dès la troisième planche. L’artiste prend visiblement un grand plaisir à les représenter. Dans la première scène, les démons sortent de leur cachette au fur et à mesure avec des caractéristiques grotesques : roulant des yeux, un nez métallique, des lunettes sur un museau de taupe, le célèbre entonnoir sur la tête, et même une trompe fichée dans un postérieur. Le lecteur s’amuse à détailler les apparitions suivantes pour voir les caractéristiques grotesques imaginées par l’artiste, ou reprises du peintre.
Ce fil narratif correspond a priori à celui qui a attiré le lecteur : découvrir la vie de Jérôme / Hieronymus / Jheronimus Bosch, ou en apprendre plus sur son compte. L’auteur a choisi un point de vue bien défini : mettre en scène le jeune homme en proie à des visions de démons et voir comment il réagit à ces apparitions qui, pour lui, prennent vie et se répandent dans le monde. L’auteur intègre les croyances religieuses de l’époque : le risque que l’enfant soit déclaré possédé par l’abbé, la conviction que les démons existent bel et bien de manière concrète et incarnée, une référence au Malleus Maleficarum (traité de démonologie des Dominicains et inquisiteurs Henri Institoris et Jacques Sprenger, publié en en 1486, Oups ! une autre date venant infirmer celles du récit), la mention de Philippe le Beau (1478-1506), une autre au mouvement religieux des Adamites. En fonction de sa sensibilité ou de ses convictions, le lecteur peut y voir une interprétation psychanalytique, psychiatrique ou spirituelle, mystique. Dans la dernière page, Jérôme Bosch lui-même effectue une synthèse : Certains exégètes ont même cru voir un langage codifié dans ses tableaux. Il en irait de messages alchimistes, astrologiques, judéo gnostiques, rosicrucien, voire carrément hérétiques. Tout cela peint sous l’influence de drogues hallucinatoires ! Et il conclut : Rien de tout cela, sire. En réalité, il est surtout un dompteur de diables, il les chasse, il les peint et il les enferme dans ses tableaux. L’essentiel est d’avoir un bon fixatif.
En alternance avec la vie de Jérôme Bosch, le lecteur découvre Mathilde de Vlaeminck, responsable de la restauration d’un tableau de Bosch, et mystifiée par la composition du vernis (ou du fixatif). Le directeur van der Kercke s’en remet à elle, plutôt qu’au technicien Bernard qui préconise d’attendre les résultats de l’analyse dudit vernis. La narration visuelle s’avère très agréable : également dans un registre descriptif, avec un bon niveau de détails et de précision, des individus ordinaires avec des mimiques plus en retenue, et une séquence de cauchemar impressionnante où Mathilde déambule dans la rue et se retrouve assaillie par des démons. Le lecteur sourit en voyant que l’attention de Mathilde est attirée par un joueur de flute traversière dans la rue, évoquant la légende allemande du joueur de flûte de Hamelin, ici il semble plutôt attirer les démons. Le lecteur reste un peu perplexe quant au fond de ce deuxième fil narratif. Il est relié en direct au premier par le tableau du peintre, et par les démons qui en sortent, ainsi que par le miracle qui permet de les y faire retourner. Cela semble indiquer que la force de l’œuvre de Jérôme Bosch perdure jusqu’à aujourd’hui : le talent artistique par lequel il a réalisé ces images saisissantes, inégalé, inégalable, dangereux d’y toucher au risque que les mêmes démons ne répandent à nouveau sur terre, sans personne sachant comment les juguler.
Une étrange bande dessinée : la promesse implicite de découvrir une biographie, peut-être partielle, du célèbre peintre. La réalité : une chronologie mise à mal, laissant penser qu’il faut prendre le récit comme un conte, une narration visuelle vivante et concrète avec un humour discret et léger. L’auteur se demande comment Jérôme Bosch a pu être amené à réaliser des peintures aussi radicales, littéralement habitées par des démons, et il propose une vie intérieure de l’artiste qui laisse la place à plusieurs interprétations par le lecteur, tout en montrant que les individus contemporains sont toujours sous le charme de ce grand maître au talent inégalé.
Quatre enfants se retrouvent naufragés sur une ile mystérieuse. Tous amnésiques, ils se souviennent juste de leur nom et d'informations étrangement sans lien visible avec leur passé. En fouillant les lieux, ils découvrent un pensionnat abandonné et un automate énorme qui leur délivre une mission à remplir pour le lendemain sous peine de sanction. Ne le prenant au départ pas au sérieux, ils vont réaliser que le danger est bien réel et qu'ils vont devoir découvrir les mystères de cette île sous peine d'en subir les conséquences.
Série jeunesse d'aventure teintée de fantastique ou de science-fiction masquée derrière un large voile de mystère, son contexte fait fortement penser à un cocktail entre la série télévisée Lost et la série jeunesse Seuls. Des naufragés sur une île étrange qui cache un passé incompréhensible, une bande d'enfants amnésiques qui se retrouvent esseulés et en plein survival, des autres qui font peser une menace sur les héros et des dangers tellement proches du fantastique que la limite entre réalité et monde parallèle est ténue.
Si le concept est efficace, il est aussi éculé. D'autant que de nombreux éléments paraissent cousus de fil blanc. Outre le sentiment de déjà vu, les caractères des protagonistes sont tellement marqués que ça parait exagérément factice, qu'il s'agisse de la grande sportive qui prend dès son apparition le rôle de la farouche guerrière ou de l'intello qui tient de l'encyclopédie sur pattes. Idem pour le sentiment que les personnages ne voient que ce que les auteurs veulent qu'ils voient, même depuis le sommet de l'île où forcément des nuages survenus au bon moment leur cachent la moitié du paysage. Et il y a ce décalage entre vues extérieures et intérieures, comme cette énorme chute et ce cours d'eau digne d'un fleuve sur une île où l'on ne voyait rien de cela auparavant, ou l'intérieur du pensionnat qui parait dix fois plus grand que son extérieur. Tout cela laisse le lecteur perplexe, à se demander si c'est voulu et plus tard expliqué par le scénario quand il lèvera le voile sur son intrigue, ou si ce sont de vraies maladresses des auteurs.
Pour l'instant, on reste capté par la curiosité et le rythme élevé de la narration, mais je demande quand même encore à voir la suite pour affiner mon jugement.
D'allure extérieure et à lire son résumé, on pourrait s'attendre à une série d'aventure et de science-fiction à base de réalité virtuelle. Et on sera d'autant plus surpris de découvrir son contexte très centré sur l'Auvergne et son aspect documentaire très poussé sur le volcanisme et la géothermie. Le mélange des genres est surprenant. Cela tient à la fois de la BD régionale vantant tous les mérites touristiques et énergétiques des monts d'Auvergne, de la BD d'aventure pour les jeunes modernes adeptes de codage informatique et de jeux en réseaux, et donc du pur documentaire presque scientifique sur le fonctionnement des centrales thermiques, les forages géothermiques et l'application du volcanisme et des sources chaudes depuis l'antiquité.
Sur la forme, c'est celle d'une série jeunesse moderne. Le dessin est maîtrisé, souple et dynamique. Les couleurs sont informatiques mais lumineuses et chaleureuses. L'intrigue use comme fil rouge l'histoire d'une IA installée par la jeune héroïne dans le programme du jeu vidéo et qui le modifie à son insu, créant du mystère dans un monde virtuel qu'elle pensait avoir créé du début à la fin. Ce mystère et ce monde virtuel sont tous deux très inspirés de l'Auvergne, de ses paysages et donc énormément aussi de sa géothermie. Et pour mieux comprendre tout ça, l'héroïne visite sa région, ses musées et les centrales géothermiques où des experts lui apprennent tout ce qu'il y a à savoir sur le sujet, parfois de manière très poussée.
L'instruction par l'amusement donc, mais en même temps un cocktail qui sonne un peu faux, surtout quand le texte documentaire remplit soudainement les bulles de dialogues de manière peu naturelle. Il y a un aspect légèrement publicitaire dans tout ça : publicité pour une région et publicité pour les bienfaits environnementaux et énergétiques de sa géothermie. A côté de cela, la partie intrigue et découverte du monde virtuel parait très annexe, factice et juste prétexte à maintenir le jeune lecteur attentif au reste.
L'ensemble demeure sympathique et instructif mais un peu bancal dans son choix de mélanger les genres.
C’est bien le dessin qui sauve cet album à mes yeux.
Parce qu’on a connu Van Hamme plus inspiré. Un western avec tout ce qu’il faut dedans, le héros qui est le meilleur tireur de la région, la tête mise à prix, le shériff, les meurtres et les coups bas, les ranchs avec leur bétail. Bon la seule originalité est l’infirmité du héros et peut-être un petit jeu de qui est qui.
D’ailleurs la toute dernière révélation est de trop et l’histoire se tenait mieux en enlevant les dernières pages, c’est dommage.
Je note quand même, et pour beaucoup grâce au dessin et aux ambiances distillées par Rosinski, que l’histoire se laisse lire. Le découpage est bon et ça coule bien, force est de le reconnaître.
Mais voilà, je ne suis pas fan des ambiances western, entre éloge de la violence par les armes et conquête des terres, pas mon truc.
Ce n'est pas la première BD sur l'épopée de Gilgamesh que je lis mais c'est certainement la plus claire et la plus maîtrisée d'entre elles.
Elle pose bien son sujet, son contexte, l'identité de Gilgamesh et de sa situation initiale, ainsi que ses origines semi-divines. Le cadre géographique est également assez clair tout en étant proche des décors bibliques, d'une Terre des débuts de la civilisation humaine, dans des paysages plus ou moins désertiques. C'est à la fois historiquement crédible, et propice au mélange entre réalisme et magie divine et mythologique. Et j'apprécie la propreté du dessin, aussi frustes que puissent paraitre les personnages, en particulier Gilgamesh et Enkidu avec leur physique d'übermenschen à la machoire en parpaing.
L'histoire quant à elle n'a pas vraiment mes faveurs en terme de récit mythologique. Elle contient quelques bons thèmes, comme l'amitié, la quête de sagesse et surtout le deuil. Mais le contexte est trop cru, trop rustique. C'est bien normal puisqu'il s'agit d'un des mythes les plus anciens de l'homme, mais il est tellement loin de l'élégance et de l'équilibre des mythes grecs notamment que je le trouve un peu... grossier, lourdaud. Cette histoire en a inspiré bien d'autres, que ce soit les récits bibliques ou quelques mythes grecs, mais c'est sans doute Herakles qui se rapproche le plus de Gilgamesh et c'est justement l'un des héros grecs que j'aime le moins.
Bref, s'il faut chercher une bonne adaptation en BD du mythe de Gilgamesh, celle-ci remplit complètement les critères voulus. Mais c'est le mythe lui-même qui ne me passionne pas, même si j'ai aimé le soin, la clarté et le sens du rythme avec lesquels il est raconté ici.
Un peu comme Panaccione l’avait fait en faisant un album uniquement basé sur la retranscription exhaustive d’un match de tennis (Match), Debon ose le pari audacieux de nous présenter un album qui ne fait que dérouler une course de marathon (celui des Jeux olympiques de 1928).
Panaccione usait de la carte humoristique, mais Debon – par ailleurs avare de commentaires, le texte et peu présent) choisit de rester sur du réalisme, quelque chose de très factuel. Le résultat est quand même intéressant, quand bien même on ne s’intéresse pas à cette discipline ou au sport (et même si on n’a pas de connaissances en ces domaines).
En effet, parmi les rares textes accompagnant le récit, Debon place un certain nombre d’informations, présentant les différents athlètes, mais aussi le contexte. Et il laisse percer le racisme qui dominait à l’époque (car le vainqueur surprise est un Français algérien).
L’autre atout de cet album est sans conteste le dessin. Très simple, avare de détails, il est très lisible, mais surtout très beau dans son rendu, avec un trait charbonneux que j’ai bien aimé.
Enfin, le dossier biographique et historique en fin d’album est un très bon complément. Sur un sujet de niche, et avec un traitement relativement aride, Nicolas Debon réussit son pari de captiver au-delà des amateurs du sujet.
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Western
Sur le moment, j’ai mis ça sur le compte de la jalousie. Je me trompais lourdement. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2001. Il a été réalisé par Jean van Hamme pour le scénario, et par Grzegorz Rosinski pour les dessins et le scénario. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. La réédition de 2022 se termine par un cahier de vingt pages reprenant le synopsis du scénariste pour les dix-neuf premières planches du récit, avec des études préparatoires réalisées par l’artiste. L’homme que Nate a tué ce jour-là s’appelait Van Deer. Ambrosius van Deer. Il avait quarante-deux ans. Il venait du Kansas où son père avait créé un ranch dans les années quarante, quand ce territoire s’était ouvert aux premiers colons. Le ranch Double D Barré des Van Deer s’étendait sur 600.000 acres et comptait 80.000 têtes de bétail, un croisement de Longhorns et de vaches frisonnes importées de Hollande. À la mort de son père, Ambrosius van Deer était donc devenu un des plus riches éleveurs de l’ouest. Jess avait expliqué à Nate, que son ranch était aussi grand qu’un pays d’Europe qui s’appelle Luxembourg. Fort Laramie marquait alors la fin provisoire de la ligne construite par l’Union Pacific, le train y arriva avec seulement trois heures de retard. À l’époque, le voyage du Kansas au Wyoming durait quatre jours. Avant le chemin de fer, il aurait fallu plus d’un mois pour faire le même trajet, avec le risque permanent d’être attaqué par les Indiens ou des outlaws. C’était le 18 juillet 1886 et il faisait 35 degrés à l’ombre. Mais ce que Jess n’avait pas prévu, c’est que Van Deer ne serait pas seul. Le propriétaire descend du train avec sa fille Cathy. Il est accueilli par Jess Chisum qui l’emmène jusqu’au meilleur, et seul, hôtel de la ville où la meilleure chambre, dite présidentielle, a été réservée pour Van Deer. Chemin faisant, ce dernier rappelle à Chisum que Cathy ne sait rien de la raison de sa venue. Après avoir laissé Cathy dans la suite présidentielle, Ambrosius van Deer ressort avec Jess Chisum qui l’emmène jusqu’à une cabane dans les bois. Il lui explique qu’il a retrouvé le fils perdu du frère d’Ambrosius. Nicholas van Deer, son épouse Margret et leurs deux fils aînés Charlie et Jimmy ont été torturés, égorgés et scalpés par des Sioux Lakotas. Ils ont emmené avec eux Edwin le plus jeune fils. Ils arrivent devant la cabane ou Jess Chisum a enfermé le jeune Edwin qu’il a retrouvé dans une tribu, et il demande si Van Deer a bien l’argent avec lui. Ni l’un, ni l’autre ne se sont rendu compte que la petite Cathy les a suivis en courant avec ses petites jambes. Chisum et Van Deer pénètrent dans la cabane : un adolescent au cheveux blancs en tenue indienne est ligoté à terre et bâillonné. Jess lui retire son bâillon, et le garçon se met à lancer des invectives en sioux. Ambrosius van Deer montre un portrait dans le médaillon de sa montre à gousset, et Edwin se met à se rouler par terre, le traumatisme remontant à la surface, à la vue du portrait de ses parents. Convaincu, Van Deer appelle un homme de main, Cole, qui était resté invisible à l’écart. Tout dégénère. À l’annonce de cette bande dessinée ou à sa découverte, la curiosité de l’amateur se trouve immédiatement en éveil. Scénariste et dessinateur ont longtemps collaboré sur la série Thorgal qu’ils ont créée : vingt-neuf albums réalisés ensemble, de 1977 à 2006, l’artiste a continué à illustrer les aventures de ce héros jusqu’à l’album trente-six, avec d’autres scénaristes, après le départ de Van Hamme. L’horizon d’attente du lecteur se trouve d’autant plus élevé que cette histoire est parue dans la collection Signé de l’éditeur, réservée à des œuvres avec une ambition certaine. En outre les auteurs ont opté pour un titre qui sonne comme définitif : Western, soit un terme qui définit tout un genre à lui tout seul, promettant ainsi un récit qui englobe l’intégralité de ce qui fait l’essence de ce genre. De fait, la couverture tient cette promesse : une illustration évoquant une photographie, un jeune homme que la vie n’a pas ménagé, une tenue vestimentaire adaptée à une vie nomade et rude, et bien sûr deux armes à feu, l’assurance d’une violence omniprésente contraignant chaque individu à savoir se défendre, à tuer si nécessaire. Les premières pages confirment ce niveau de qualité. Des dessins mêlant traits encrés et couleur directe, pour une sensation de chaleur et de poussière, et une forte densité d’éléments descriptifs. Les cellules de texte sont copieuses, apportant de nombreuses informations, le point de vue personnel du narrateur, et un sens de destin inéluctable. Pour commencer, le lecteur attend une reconstitution historique solide et bien nourrie, avec des images iconiques de Western. Il est contenté dès la première page avec l’arrivée en gare du train : la colonne de fumée, le chasse-buffle, un compartiment, la gare avec son quai en planches de bois, les habitants qui attendent à pied ou à cheval. Tout du long, le lecteur peut ainsi se projeter à cette époque, dans cette région du monde. La petite ville de Fort Laramie dans le Wyoming, ses constructions en bois bien alignées de part et d’autre de la rue principale en terre, le magasin général, l’hôtel au confort tout relatif, le bureau du shérif, la banque où chaque personne vient déposer son argent avec son poêle pour chauffer la pièce, la riche demeure de la famille propriétaire du ranch, le saloon, la cabane dans les bois. L’artiste s’investit avec le même degré d’intensité pour les accessoires de toute nature : les différentes tenues vestimentaires pour les hommes et pour les femmes dont les uniformes pour garder la banque, les chevaux et leur selle, les carrioles avec leurs grandes roues à rayon, les lampes à pétrole, la montre à gousset avec un portrait dans le couvercle, le râtelier à fusil dans le bureau du shérif, la baignoire chez les Dougherty, le coffre-fort, les pierres tombales assez frustes, un fauteuil roulant assez rudimentaire, etc. Grzegorz Rosinski prend visiblement plaisir à représenter les différents paysages : la petite ville de Fort Laramie, comme les espaces sauvages. En tournant la page quinze, le lecteur découvre une peinture en couleur directe en double page, sur les seize et dix-sept. Les pins ont perdu leurs aiguilles, la neige recouvre le sol, un trappeur chaudement emmouflé avec une chaud couvre-chef avance précautionneusement raquettes au pied, avec son fusil à la main, suivi par un adolescent. Les couleurs passent du bleu au gris, pour une ambiance lumineuse entre pénombre du bois et clarté correspondant à la lumière reflétée par la neige. L’artiste a ainsi réalisé quatre autres illustrations peintes en double page : deux cavaliers contemplant les montagnes dans le lointain en page 26 & 27, deux hommes en train de creuser des fosses dans le cimetière en vue d’un enterrement en pages 36 & 37, un cavalier s’avançant dans une grande zone herbeuse après être passé sous le portique indiquant l’entrée du ranch en pages 44 & 45, une carriole avançant dans la grand-rue de Fort Laramie sous la neige suivie par des cavaliers avec des enfants jouant dans la neige en pages 56 & 57. Ces illustrations incitent le lecteur à prendre le temps de les contempler, ce qui induit qu’il se met à s’imprégner de ces grands espaces, de la nature, mais aussi de différentes facettes de la vie dans cette société, telles que la solitude, l’isolement, ce qu’apporte d’être à deux, le caractère exceptionnel d’une fête sociale en ville. Jean van Hamme a également mis les petits plats dans les grands pour son intrigue. Après l’introduction, le récit est vécu principalement du point de vue de Nate Colton, quatorze ans au début, vingt-cinq ans à la fin du récit. Il va être amené à endosser deux autres identités, à souffrir l’amputation traumatique de son bras gauche dans des conditions épouvantables. Après quelques années d’errance, il décide de mettre à exécution son plan pour se faire une situation. Il ne rencontre pas que des personnes bien intentionnées, et sa simple présence dérange rapidement. Le destin lui joue de drôles de tours. Le scénariste veille à rester dans un registre plausible, sans coïncidence qui tirerait trop sur la corde de la suspension consentie d’incrédulité du lecteur. Les caractéristiques de l’humanité ressortent bien dans le contexte de cette ville proche de la frontière du monde civilisé : les forts profitent des faibles, racisme contre les Indiens, spoliation de leurs terres et création de réserves, usage d’armes à feu pour l’attaque de la banque, propriétaires s’enrichissant grâce au travail des ouvriers rémunérés avec des bas salaires, justice expéditive pour les voleurs de bétail (ils sont abattus à vue), et bien sûr quelques arrangements illégaux entre personnes ayant des intérêts communs, mais pas des amis, parce qu’il n’y a pas d’amis dans les affaires de ce type. Le lecteur ne se prend pas vraiment d’amitié pour Nate Colton, même s’il éprouve une réelle compassion pour cet adolescent mal servi par la vie. Il relève qu’il est question de temps à autre de destin, ce qui induit l’orientation de la fin du récit. En ayant terminé sa lecture, il est fortement impressionné par l’honnêteté et l’habileté du scénariste qui a joué cartes sur table tout du long du récit, exposant chaque élément qui participe de la résolution, et pourtant le lecteur ne s’en trouve pas plus avancé pour l’anticiper. Dans le même temps, cet engrenage parfait fait ressortir qu’il s’agit d’une histoire imaginée et conçue pour fonctionner ainsi, ce qui attire l’attention du lecteur sur quelques moments. Il se souvient par exemple de la facilité avec laquelle Cathy, une dizaine d’années, parvient à suivre à pied, deux hommes à cheval qui ne la remarquent pas, sans parler de Cole, l’homme de main qui les avait pris en filature. Il se rappelle également la remarque de Nate à propos du trappeur Jonas : ce dernier lui a appris à fabriquer ses balles avec du plomb fondu dans des moules, sans que l’on sache où ils trouvaient du plomb en pleine forêt. À la réflexion, Hank Bass qui prend le risque de se rendre en ville dans le bureau du shérif, ça semble un peu gros également, une prise de risque inconsidérée qu’un tel voleur aussi chevronné ne prendrait pas. Enfin l’ultime révélation apparaît comme trop parfaite, sans produire l’effet voulu car le lecteur n’a pas eu l’occasion de s’attacher à Cathy Van Deer. Un duo de créateurs comme Grzegorz Rosinski & Jean van Hamme qui s’associent pour réaliser une histoire auto-contenue dont le titre indique qu’elle incarne l’essence du Western : ça ne se refuse pas… et ça place l’attente du lecteur très haut. La narration visuelle s’avère impeccable, rêche à souhait, avec une reconstitution historique très immersive, et la surprise de ces cinq illustrations en double page, magnifiques transportant le lecteur dans ces paysages sauvages grandioses, et dans la petite ville animée. Le scénario raconte la vie de Nate Colton, jeune homme pas gâté par la vie, en évitant le ressort de la vengeance, pour simplement gagner sa place au soleil, malgré son handicap. L’histoire se lit avec grand plaisir rehaussé par l’art avec lequel le scénariste étale tout sous les yeux du lecteur, un peu obéré par quelques moments peu plausibles qu’une fin trop parfaite vient rappeler.
Les Truculentes Aventures de Rabelais
Je connaissais Mitton pour ses séries historiques – parfois franchement mâtinées d’érotisme – mais je le découvre ici scénariste d’une série qui, si elle s’ancre bien dans l’Histoire, joue surtout de ressors comiques. L’intrigue se déroule en France durant l’année 1519, à Amboise dans le premier tome, puis à Paris dans le second. Elle commence durant l’agonie de Léonard de Vinci. Mais Mitton lui donne du rab’ puisque, rejoint par Rabelais, Nostradamus (et tous les personnages grand-guignolesques issus de l'oeuvre de Rabelais), celui-ci va vivre quelques moments aventureux et loufoques supplémentaires, luttant entre autres contre un inquisiteur Borgia. L’atmosphère est franchement paillarde – ce qui est normal avec Rabelais. Mais c’est surtout un humour potache qui domine, à base de jeux de mots, de quelques citations anachroniques (la scène de beuverie dans la cuisine des Tontons flingueurs y est par exemple singée). Parti de quelques bases historiques, Mitton s’en affranchit largement. C’est amusant, mais hélas vite lassant. Il faut dire que le plat est un peu indigeste. Les cases débordent, les décors et arrière-plans sont presque invisibles, souvent masqués derrière les personnages – très nombreux et gesticulant – et surtout les dialogues ! Le texte est souvent beaucoup trop abondant, les bulles débordent. C’est surtout le cas dans le premier tome, mais aussi dans une bonne moitié du suivant. Le dessin de Rodrigue, dans un style semi-réaliste, convient plutôt bien à ce type d’histoire. Il est inégal, mais globalement bien fichu. J’ai juste été surpris par le changement de coloriste d’un tome à l’autre, le contraste est violent en ce domaine – ça devient plus léché, mais moins nuancé (de manière générale, je n’aime pas trop ces changements à l’intérieur d’une même série). Contrairement à ce qu’indique la fiche, la série n’est pas terminée, et un troisième tome était même annoncé (« Pâté de paltoquets à la Pantagruel »), mais il n’a semble-t-il jamais paru. Au final, c’est une série très méconnue de Mitton, qui est bourrée de clins d’œil (connaitre l’histoire de l’époque et l’œuvre de Léonard et surtout de Rabelais permet de mieux les apprécier). Mais il aurait sans doute fallu canaliser le verbe, et rendre plus punchy certaines saillies. Car le lecteur est emporté par dialogues et péripéties, comme si Mitton avançait en improvisant. Une curiosité à (re)découvrir à l’occasion. Note réelle 2,5/5.
District 77
Une série très violente et assez déroutante car mélangeant intrigue policière et magie noire vaudou teintée de fantastique. Tout d'abord, je ne sais pas qui a eu l'idée de ce siamois greffé sur le nez du Big Boss, méchant de l'histoire, mais il faut y reconnaitre une certaine originalité dans le mauvais goût ! Question scénario, ce triptyque ne fait toutefois pas toujours dans l'originalité avec notre héroïne, policière qui est mutée dans un commissariat peuplé de flics pour la plupart misogynes et dopés à la testostérone. Ça flingue et se castagne à tout va entre flics et mafia, quitte à parfois à ce que l'histoire soit vraiment peu crédible. Mais il faut reconnaitre que ça se laisse lire et que l'on s'ennuie peu tant les événements s'enchainent rapidement. Quelques éléments m'ont tout de même un peu gêné : les personnages tous plus caricaturaux les uns que les autres (flics corrompus, petites frappes de la mafia, etc) et une mention spéciale au personnage de l'infirmière en minijupe, très stéréotypée, qui va voir son corsage se dégrafer à de nombreuses reprises durant les trois tomes (un peu ridicule). Côté dessin et colorisation, j'ai eu entre les mains l'intégrale des 3 tomes en petit format, ce qui ne m'a peut-être pas aidé à apprécier les graphismes. L'ensemble reste relativement classique, sans éléments notables. Les couvertures ne sont également pas transcendantes tout comme celle de l'intégrale. Au final, une BD d'action divertissante comme un thriller du dimanche après-midi, sans réel point notable qui me restera en mémoire après la lecture. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 6/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 5/10 NOTE GLOBALE : 11/20
Le Prof qui a sauvé sa vie
Je ne crois pas connaitre Albert Algoud et ce n'est qu'en lisant cette BD que j'ai appris son lien avec Canal+ et Hara-Kiri. J'ai donc entamé cette lecture comme celle de la simple découverte du parcours d'un jeune professeur de Français dans les années 70/80 en Savoie. Je n'y ai vu au départ qu'un jeune homme désireux d'enseigner à des jeunes qu'il voyait certes avec le regard un peu condescendant d'un parisien en province mais aussi bienveillant et ouvert d'esprit : très de gauche, dans le bon sens du terme. Face à une direction d'établissement un peu trop rigide, il va utiliser de méthodes assez libres pour donner l'envie de lire à ses élèves, mais aussi pour gérer les récalcitrants et les visiblement nombreux fauteurs de trouble. Des initiatives sympathiques, parfois assez convenues pour un esprit moderne (on ne parle pas vraiment du Cercle des Poètes Disparus non plus), mais louables... ça et là entrecoupées de détails faisant réaliser que le personnage lui-même joue avec la limite de l'ordre et de la loi. Ça commence par quelques vols de livres, "pour la bonne cause", puis des actes violents pour corriger des harceleurs, des troubles à l'ordre public du collège en représailles contre le directeur d'établissement ou encore des relations trop proches avec des élèves et anciens élèves, souvent faites d'alcool et de pêtards. Bref, d'un professeur ouvert d'esprit mais restant dans son rôle, on voit que le personnage ne se sent plus à sa place dans son métier et dans son système. Jusqu'à la rupture qu'il présente comme le moment qui a sauvé sa vie. Je suis un peu circonspect vis-à-vis d'un tel parcours de vie, et notamment de son impact sur les élèves, sûrement positif par bien des aspects mais peut-être limite dans plusieurs cas, en tout cas trop anarchiste pour moi. Mais j'apprécie la sincérité avec laquelle il est raconté, et j'ai apprécié de voir comment on peut passer de prof de lettres à humoriste télé et dans les journaux. C'est finalement l'aspect documentaire et humain qui m'a intéressé dans cet album, sans pour autant me convaincre.
Bosch
L’essentiel est d’avoir un bon fixatif. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une biographie partielle du peintre Jérôme Bosch. Son édition originale date de 2015 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par Griffo (Werner Goelen) pour le scénario et les dessins, par Florent Daniel pour les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, composé de huit parties intitulées : Le joueur de symboles, Une vie des origines entourées de mystère, De multiples sources d’inspiration, Bosch aux origines de la bande dessinée, La reconnaissance d’un art énigmatique, Le jardin des délices fête des métamorphoses, Une sagesse parfois timorée, Un diable caché dans les détails. Bois-le-Duc, anno domini 1459, la nuit, dans la maison familiale, Jérôme van Aken se réveille en sursaut, étant la proie des cauchemars. Il réveille également ses deux frères qui dorment dans le même lit, et ses parents qui dorment dans un autre lit dans la même pièce. Ses frères se plaignent de ses maudits cauchemars, car ils ont envie de dormir. Sa mère se lève et le prend par la main, pour l’emmener dormir dans la cuisine, en traversant la cour. Il lui demande de ne rien en faire, car c’est la cachette des démons, il a peur. Elle le laisse dans la cuisine en lui demandant d’arrêter ses histoires car elle va finir par croire qu’il est vraiment possédé par le diable ! Elle lui dit de répéter la prière qu’elle lui a apprise, qu’elle commence pour lui remettre en mémoire, et elle s’en va en fermant la porte. Il s’exécute et récite la prière tout en voyant les ustensiles de cuisine s’animer, se mettre à voler dans la pièce. Les couteaux et tous les instruments tranchants vont se ficher dans la porte à côté de lui, et les démons commencent à apparaître, sortant de partout. Revenue auprès de son époux Antoine, la mère lui dit que Jérôme l’inquiète : ses visions démoniaques deviennent de plus en plus fréquentes, il faut en parler à l’abbé. Antoine répond en lui montrant les dessins de leur fils : l’an prochain, dès qu’il aura l’âge, le père le prendra dans son atelier. À Gand en 2016, la professeure Mathilde de Vlaeminck donne un cours aux étudiants sur Hieronimus Bosch. Elle explique que : En contemplant son œuvre, on peut constater que Hieronimus Bosch était un conteur d’histoires uniques. Durant les sessions précédentes, ils ont vu que des dizaines d’auteurs ont commenté ses tableaux rivalisant d’érudition, admiratifs devant l’universalité d’un langage accessible à tous. Exactement comme on peut apprécier la musique sans savoir lire une partition. Parce que la relation d’un amateur d’art à l’objet d’art est une relation d’amour. Elle continue : L’homme du XVIe siècle doit nous être intelligible en fonction de ses propres idées, et non des siennes. Cet homme du moyen âge se situait entre une dévotion quasi enfantine et le fanatisme du fameux Malleus Maleficarum. Avec Bosch, c’est le dessous du moyen âge qui se vide ! Hieronimus Bosch était le maître qui donnait un visage à tous ces fantasmes, comme s’il les avait vraiment vus. Bosch, le peintre des diables, était un dompteur qui cherchait à dominer ses démons en les peignant. Pas facile de réaliser une bande dessinée sur Jérôme van Aken, dit Hieronymus Bosch, car les éléments biographiques sont assez limités et proviennent de documents établis tardivement. L’auteur est un bédéiste chevronné, ayant commencé sa carrière en 1975, et ayant travaillé avec des scénaristes comme Jean Dufaux, Patrick Cothias, Stephen Desberg, Rodolphe, Valérie Mangin, Jean Van Hamme, Yves Swolfs, etc. Il a choisi de focaliser son récit sur une courte période de la vie du peintre, après une scène en 1459, le récit passe en 1468, enfin… Le lecteur observe qu’il est difficile de se fier aux dates indiquées dans les cartouches car la première indique 1469, la seconde 1468 alors que Bosch est visiblement plus âgé avec du poil au menton, puis 1463 alors qu’il s’agit de scènes se déroulant juste après celle étiquetée en 1468. Puis quand il fait le calcul avec la date de naissance du peintre, entre 1450 et 1453, cela ne semble pas correspondre en termes d’âge, et en termes de production des premiers tableaux. Quoi qu’il en soit, avec l’apparition d’un ange incarné en hibou, le lecteur interprète la narration comme relevant du conte, et que tous les éléments factuels ne doivent pas être pris au premier degré. La seconde ligne temporelle est fixe : en 2016 à Gand, dans une université ayant la responsabilité d’un tableau célèbre, peut-être La tentation de Saint Antoine, ou Le jugement dernier, qui ont, tous les deux, été peints après 1495 (autre exemple de la relativité des dates annoncées). Les dates fluctuantes n’empêchent pas le lecteur de faire connaissance avec Jérôme van Acken, en proie à un terrible cauchemar. Le dessinateur commence par montrer une vue générale de Bois-le-Duc, puis la grande pièce principale du foyer de la famille. Il détoure les objets avec un trait fin et assuré, alliant les arrondis avec les tracés plus secs et droits. Il représente les décors et les accessoires de manière réaliste, avec un bon niveau de détails. Dans la première séquence, le lecteur peut prendre le temps de regarder chaque ustensile de cuisine : les assiettes, les couteaux, les bols et les saladiers, les chaudrons, la cruche, les pots, la table, le soufflet, le balais, l’âtre, les pinces, les râteliers, le hachoir, la pique, la broche, etc. Par la suite, le dessinateur représente le coffre en bois à côté du lit des parents, l’atelier dans lequel Jérôme apprend son métier, une clairière riante, une petite chaumière au milieu des ruines d’une église dont il ne reste que deux pans de mur, l’intérieur de la chaumière avec toutes les cornues du mage, la façade de l’hôtel particulier d’un riche marchand à Anvers, une geôle. Bien sûr, le lecteur attend avec impatience l’apparition des démons : il est servi dès la troisième planche. L’artiste prend visiblement un grand plaisir à les représenter. Dans la première scène, les démons sortent de leur cachette au fur et à mesure avec des caractéristiques grotesques : roulant des yeux, un nez métallique, des lunettes sur un museau de taupe, le célèbre entonnoir sur la tête, et même une trompe fichée dans un postérieur. Le lecteur s’amuse à détailler les apparitions suivantes pour voir les caractéristiques grotesques imaginées par l’artiste, ou reprises du peintre. Ce fil narratif correspond a priori à celui qui a attiré le lecteur : découvrir la vie de Jérôme / Hieronymus / Jheronimus Bosch, ou en apprendre plus sur son compte. L’auteur a choisi un point de vue bien défini : mettre en scène le jeune homme en proie à des visions de démons et voir comment il réagit à ces apparitions qui, pour lui, prennent vie et se répandent dans le monde. L’auteur intègre les croyances religieuses de l’époque : le risque que l’enfant soit déclaré possédé par l’abbé, la conviction que les démons existent bel et bien de manière concrète et incarnée, une référence au Malleus Maleficarum (traité de démonologie des Dominicains et inquisiteurs Henri Institoris et Jacques Sprenger, publié en en 1486, Oups ! une autre date venant infirmer celles du récit), la mention de Philippe le Beau (1478-1506), une autre au mouvement religieux des Adamites. En fonction de sa sensibilité ou de ses convictions, le lecteur peut y voir une interprétation psychanalytique, psychiatrique ou spirituelle, mystique. Dans la dernière page, Jérôme Bosch lui-même effectue une synthèse : Certains exégètes ont même cru voir un langage codifié dans ses tableaux. Il en irait de messages alchimistes, astrologiques, judéo gnostiques, rosicrucien, voire carrément hérétiques. Tout cela peint sous l’influence de drogues hallucinatoires ! Et il conclut : Rien de tout cela, sire. En réalité, il est surtout un dompteur de diables, il les chasse, il les peint et il les enferme dans ses tableaux. L’essentiel est d’avoir un bon fixatif. En alternance avec la vie de Jérôme Bosch, le lecteur découvre Mathilde de Vlaeminck, responsable de la restauration d’un tableau de Bosch, et mystifiée par la composition du vernis (ou du fixatif). Le directeur van der Kercke s’en remet à elle, plutôt qu’au technicien Bernard qui préconise d’attendre les résultats de l’analyse dudit vernis. La narration visuelle s’avère très agréable : également dans un registre descriptif, avec un bon niveau de détails et de précision, des individus ordinaires avec des mimiques plus en retenue, et une séquence de cauchemar impressionnante où Mathilde déambule dans la rue et se retrouve assaillie par des démons. Le lecteur sourit en voyant que l’attention de Mathilde est attirée par un joueur de flute traversière dans la rue, évoquant la légende allemande du joueur de flûte de Hamelin, ici il semble plutôt attirer les démons. Le lecteur reste un peu perplexe quant au fond de ce deuxième fil narratif. Il est relié en direct au premier par le tableau du peintre, et par les démons qui en sortent, ainsi que par le miracle qui permet de les y faire retourner. Cela semble indiquer que la force de l’œuvre de Jérôme Bosch perdure jusqu’à aujourd’hui : le talent artistique par lequel il a réalisé ces images saisissantes, inégalé, inégalable, dangereux d’y toucher au risque que les mêmes démons ne répandent à nouveau sur terre, sans personne sachant comment les juguler. Une étrange bande dessinée : la promesse implicite de découvrir une biographie, peut-être partielle, du célèbre peintre. La réalité : une chronologie mise à mal, laissant penser qu’il faut prendre le récit comme un conte, une narration visuelle vivante et concrète avec un humour discret et léger. L’auteur se demande comment Jérôme Bosch a pu être amené à réaliser des peintures aussi radicales, littéralement habitées par des démons, et il propose une vie intérieure de l’artiste qui laisse la place à plusieurs interprétations par le lecteur, tout en montrant que les individus contemporains sont toujours sous le charme de ce grand maître au talent inégalé.
L'Île de Minuit
Quatre enfants se retrouvent naufragés sur une ile mystérieuse. Tous amnésiques, ils se souviennent juste de leur nom et d'informations étrangement sans lien visible avec leur passé. En fouillant les lieux, ils découvrent un pensionnat abandonné et un automate énorme qui leur délivre une mission à remplir pour le lendemain sous peine de sanction. Ne le prenant au départ pas au sérieux, ils vont réaliser que le danger est bien réel et qu'ils vont devoir découvrir les mystères de cette île sous peine d'en subir les conséquences. Série jeunesse d'aventure teintée de fantastique ou de science-fiction masquée derrière un large voile de mystère, son contexte fait fortement penser à un cocktail entre la série télévisée Lost et la série jeunesse Seuls. Des naufragés sur une île étrange qui cache un passé incompréhensible, une bande d'enfants amnésiques qui se retrouvent esseulés et en plein survival, des autres qui font peser une menace sur les héros et des dangers tellement proches du fantastique que la limite entre réalité et monde parallèle est ténue. Si le concept est efficace, il est aussi éculé. D'autant que de nombreux éléments paraissent cousus de fil blanc. Outre le sentiment de déjà vu, les caractères des protagonistes sont tellement marqués que ça parait exagérément factice, qu'il s'agisse de la grande sportive qui prend dès son apparition le rôle de la farouche guerrière ou de l'intello qui tient de l'encyclopédie sur pattes. Idem pour le sentiment que les personnages ne voient que ce que les auteurs veulent qu'ils voient, même depuis le sommet de l'île où forcément des nuages survenus au bon moment leur cachent la moitié du paysage. Et il y a ce décalage entre vues extérieures et intérieures, comme cette énorme chute et ce cours d'eau digne d'un fleuve sur une île où l'on ne voyait rien de cela auparavant, ou l'intérieur du pensionnat qui parait dix fois plus grand que son extérieur. Tout cela laisse le lecteur perplexe, à se demander si c'est voulu et plus tard expliqué par le scénario quand il lèvera le voile sur son intrigue, ou si ce sont de vraies maladresses des auteurs. Pour l'instant, on reste capté par la curiosité et le rythme élevé de la narration, mais je demande quand même encore à voir la suite pour affiner mon jugement.
Les Mondes d'Arven
D'allure extérieure et à lire son résumé, on pourrait s'attendre à une série d'aventure et de science-fiction à base de réalité virtuelle. Et on sera d'autant plus surpris de découvrir son contexte très centré sur l'Auvergne et son aspect documentaire très poussé sur le volcanisme et la géothermie. Le mélange des genres est surprenant. Cela tient à la fois de la BD régionale vantant tous les mérites touristiques et énergétiques des monts d'Auvergne, de la BD d'aventure pour les jeunes modernes adeptes de codage informatique et de jeux en réseaux, et donc du pur documentaire presque scientifique sur le fonctionnement des centrales thermiques, les forages géothermiques et l'application du volcanisme et des sources chaudes depuis l'antiquité. Sur la forme, c'est celle d'une série jeunesse moderne. Le dessin est maîtrisé, souple et dynamique. Les couleurs sont informatiques mais lumineuses et chaleureuses. L'intrigue use comme fil rouge l'histoire d'une IA installée par la jeune héroïne dans le programme du jeu vidéo et qui le modifie à son insu, créant du mystère dans un monde virtuel qu'elle pensait avoir créé du début à la fin. Ce mystère et ce monde virtuel sont tous deux très inspirés de l'Auvergne, de ses paysages et donc énormément aussi de sa géothermie. Et pour mieux comprendre tout ça, l'héroïne visite sa région, ses musées et les centrales géothermiques où des experts lui apprennent tout ce qu'il y a à savoir sur le sujet, parfois de manière très poussée. L'instruction par l'amusement donc, mais en même temps un cocktail qui sonne un peu faux, surtout quand le texte documentaire remplit soudainement les bulles de dialogues de manière peu naturelle. Il y a un aspect légèrement publicitaire dans tout ça : publicité pour une région et publicité pour les bienfaits environnementaux et énergétiques de sa géothermie. A côté de cela, la partie intrigue et découverte du monde virtuel parait très annexe, factice et juste prétexte à maintenir le jeune lecteur attentif au reste. L'ensemble demeure sympathique et instructif mais un peu bancal dans son choix de mélanger les genres.
Western
C’est bien le dessin qui sauve cet album à mes yeux. Parce qu’on a connu Van Hamme plus inspiré. Un western avec tout ce qu’il faut dedans, le héros qui est le meilleur tireur de la région, la tête mise à prix, le shériff, les meurtres et les coups bas, les ranchs avec leur bétail. Bon la seule originalité est l’infirmité du héros et peut-être un petit jeu de qui est qui. D’ailleurs la toute dernière révélation est de trop et l’histoire se tenait mieux en enlevant les dernières pages, c’est dommage. Je note quand même, et pour beaucoup grâce au dessin et aux ambiances distillées par Rosinski, que l’histoire se laisse lire. Le découpage est bon et ça coule bien, force est de le reconnaître. Mais voilà, je ne suis pas fan des ambiances western, entre éloge de la violence par les armes et conquête des terres, pas mon truc.
Gilgamesh (Glénat)
Ce n'est pas la première BD sur l'épopée de Gilgamesh que je lis mais c'est certainement la plus claire et la plus maîtrisée d'entre elles. Elle pose bien son sujet, son contexte, l'identité de Gilgamesh et de sa situation initiale, ainsi que ses origines semi-divines. Le cadre géographique est également assez clair tout en étant proche des décors bibliques, d'une Terre des débuts de la civilisation humaine, dans des paysages plus ou moins désertiques. C'est à la fois historiquement crédible, et propice au mélange entre réalisme et magie divine et mythologique. Et j'apprécie la propreté du dessin, aussi frustes que puissent paraitre les personnages, en particulier Gilgamesh et Enkidu avec leur physique d'übermenschen à la machoire en parpaing. L'histoire quant à elle n'a pas vraiment mes faveurs en terme de récit mythologique. Elle contient quelques bons thèmes, comme l'amitié, la quête de sagesse et surtout le deuil. Mais le contexte est trop cru, trop rustique. C'est bien normal puisqu'il s'agit d'un des mythes les plus anciens de l'homme, mais il est tellement loin de l'élégance et de l'équilibre des mythes grecs notamment que je le trouve un peu... grossier, lourdaud. Cette histoire en a inspiré bien d'autres, que ce soit les récits bibliques ou quelques mythes grecs, mais c'est sans doute Herakles qui se rapproche le plus de Gilgamesh et c'est justement l'un des héros grecs que j'aime le moins. Bref, s'il faut chercher une bonne adaptation en BD du mythe de Gilgamesh, celle-ci remplit complètement les critères voulus. Mais c'est le mythe lui-même qui ne me passionne pas, même si j'ai aimé le soin, la clarté et le sens du rythme avec lesquels il est raconté ici.
Marathon
Un peu comme Panaccione l’avait fait en faisant un album uniquement basé sur la retranscription exhaustive d’un match de tennis (Match), Debon ose le pari audacieux de nous présenter un album qui ne fait que dérouler une course de marathon (celui des Jeux olympiques de 1928). Panaccione usait de la carte humoristique, mais Debon – par ailleurs avare de commentaires, le texte et peu présent) choisit de rester sur du réalisme, quelque chose de très factuel. Le résultat est quand même intéressant, quand bien même on ne s’intéresse pas à cette discipline ou au sport (et même si on n’a pas de connaissances en ces domaines). En effet, parmi les rares textes accompagnant le récit, Debon place un certain nombre d’informations, présentant les différents athlètes, mais aussi le contexte. Et il laisse percer le racisme qui dominait à l’époque (car le vainqueur surprise est un Français algérien). L’autre atout de cet album est sans conteste le dessin. Très simple, avare de détails, il est très lisible, mais surtout très beau dans son rendu, avec un trait charbonneux que j’ai bien aimé. Enfin, le dossier biographique et historique en fin d’album est un très bon complément. Sur un sujet de niche, et avec un traitement relativement aride, Nicolas Debon réussit son pari de captiver au-delà des amateurs du sujet.