Comment survivre à l’impensable ?
Au travers de courtes scènes souvent très intimes, Luz raconte comment il tente de surmonter son traumatisme suite à l’attentat de Charlie Hebdo, et de renouer avec son dessin. Ce dessin qui joue un rôle thérapeutique. Ce dessin qui l’accompagne dans sa reconstruction. Ce dessin d’une puissance incroyable, tant il parvient à retranscrire la noirceur, la sidération, l’angoisse, mais aussi l’amour et la vie qui reprennent le dessus.
Ce qu’a vécu Luz est d’une telle violence qu’il me paraît utopique de vouloir comprendre ce qu’il a pu traverser suite à l’attentat (et qu’il doit encore traverser aujourd’hui, même dix ans après). Mais la force de cet album est justement de m’avoir donné le sentiment, le temps de ma lecture, de toucher du doigt sa détresse.
Un album très poignant, dont la lecture continue de me marquer quelques semaines après.
La présence de cet album dans le catalogue de Mosquito surprend, cet éditeur publiant surtout des BDs d’aventure et d’action. Or, « La première couleur fut le noir » est une des autobiographies les plus noires que j’ai lues (et j’en ai lues beaucoup !).
Anne-Sophie Servantie nous propose une (psych)analyse approfondie des évènements catastrophiques qui ont jonché sa vie, à commencer par deux formes de maltraitance infantile : l’endoctrinement religieux, sujet tabou dont on ne parle selon moi pas assez (on y viendra, j’en suis certain). Et surtout les abus sexuels perpétrés par un membre de sa famille pendant plusieurs années, la première fois alors qu’elle était âgée d’à peine 4 ans et demi (« oui enfin, presque 5 ans », comme lui rappelle sa maman). Elle aborde le manque de soutien de sa famille, sa colère, son désespoir, mais aussi sa survie, et son échappatoire principale, la peinture.
Elle parle aussi de sa sclérose en plaque, se demande si « elle se serait déclenchée à cause de tout ça ». Puis l’album se termine sur un autre drame terrible, mais je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler l’effet de « surprise ». L’histoire est forcément larmoyante, l’autrice avoue même dans l’intro avoir « réalisé certaines planches en larmes ». La réalisation de l’album fut sans doute un processus cathartique et thérapeutique, mais la lecture reste assez ardue et minante pour le BDphile que je suis.
Un album perturbant, qui m’a bouleversé, révolté, parfois mis mal à l’aise… en tout cas, j’admire l’honnêteté et le courage de l’autrice.
C'est par hasard que je suis tombée sur cette série dans les étagères de ma bibliothèque. Les dessins sur les tranches et sur les couvertures m'ont semblé très jolis et j'ai eu bien envie de voir de quoi il retournait.
L'histoire se passe dans un Japon féodal où vivent principalement deux espèces : les centaures et les humains. Les premiers vivaient paisiblement dans leurs montagnes et leurs plaines, loin des humains, jusqu'à ce que ces derniers décident de venir sur les territoires centaures afin de les capturer et en faire des armes de guerre. Traqué-e-s, forcé-e-s à fuir et survivre pour éviter la mort sur les champs de batailles humains, les centaures n'ont plus beaucoup d'espoir. Quand Matsuzake, grand et fort centaure des montagne, se fait capturer par des humains, il fait la rencontre de Kohibari, un centaure des plaines amputé des deux bras qui va lui proposer un plan de fuite un peu fou.
C'est une histoire de conflit entre deux espèces, de guerre, de cruauté, de survie, d'amour et d'espoir.
Le récit se passe sur plusieurs époques. Les deux premiers albums nous racontent l'histoire et de la lutte de Matsuzake et de Kohibari en plein cœur du conflit avec les humains, les deux suivants se déroulent trente ans plus tard et nous racontent l'histoire de Gonta et Tanikaze qui quittent leur montagne pour voir si la cohabitation entre humain-e-s et centaures est possible, et les deux derniers reviennent dans le passé pour nous raconter la jeunesse de nos deux premiers protagonistes et enfin nous faire comprendre comment ils en sont arrivés là où nous les avons rencontrés.
Le gros point fort de cette série est incontestablement son dessin. Les traits sont beaux, les mouvements vifs et toujours lisibles, l'encrage parvient toujours à donner de la profondeur aux ombrages et aux décors, iconisant également les personnages. C'est du bonbon pour les yeux.
Je constate après recherche que l'autrice est également designer vidéoludique, notamment sur la saga Monster Hunter, et je ne suis pas très étonnée. Elle sait créer des chara-design convaincants et marquants avec peu de traits et de détails.
Petits défauts tout de même, il en faut bien.
La quasi-totalité des personnages féminins présentés dans cette série joue un rôle de love interest ou de poule pondeuse (pouliche pondeuse ?) pour un autre personnage masculin. Bon, chez certaines leur rôle ne se résume pas qu'à ça et elles parviennent à avoir suffisamment de personnalité et de motivations pour être de véritables personnages, mais trois/quatre d'entre elles ne jouent vraiment aucun autre rôle dans l'intrigue (sachant qu'il n'y a que huit personnages féminins en tout et que seuls quatre sont nommés). Une seule échappe à tout ça, ni romance ni marmot, je peux au moins me rassurer en disant qu'il y a une exception.
Second défaut, spécifique à l'impression je dirais. En fait, la composition des images à l'impression, le découpage des cases et des phylactères, est à plusieurs reprises coupé trop court. On sent que la planche a été imprimée sur un papier plus petit et qu'une partie du haut a été coupée. Il y a plusieurs phylactères qui sont notamment coupés si bas qu'une partie de la première phrase est coupée. Rien de grave en soi, on arrive encore à lire, mais reconnaissons que c'est dommageable.
La série reste très intéressante. Une lecture recommandée, ne serait-ce que pour les beaux dessins.
(Note réelle 3,5)
Didier Tronchet a commencé sa carrière d'auteur de BD dans l'humour, avec des personnages réputés pour leur autodérision, qu'il s'agisse de Raymond Calbuth ou de Jean-Claude Tergal. Plus récemment, il a produit de nombreux ouvrages autobiographiques, racontant telle ou telle période de sa vie ainsi que quelques sujets familiaux plus intimes. Le Cahier à spirale peut être considéré comme l'aboutissement de cette production autobiographique car c'est un ouvrage qui non seulement revient à nouveau sur la vie de l'auteur mais aussi sur son introspection et son analyse de ses ouvrages précédents et de ce qu'ils cachaient sur lui-même. C'est en effet par cette analyse qu'il a réalisé ce qu'il se cachait à lui-même et notamment que tout semblait découler de son rapport à sa mère et à sa famille de manière plus générale avec qui les non-dits et la difficulté à communiquer ont été tels qu'ils ont façonné son état d'esprit et lui ont masqué certains pans de son propre esprit. Il entreprend alors un retour sur les lieux du passé et une communication plus claire avec sa mère, ses sœurs et son frère.
Le tout est présenté de manière aussi authentique que l'auteur le pouvait, avec une narration qui s'affiche sans structure, comme elle vient, comme si l'auteur ne savait pas où tout cela allait le mener et le présentait à ses proches au fur et à mesure qu'il la racontait. Il y mélange une part de vérité et une légère part de fictif ou du moins de mise en scène destinée à la relever d'un peu de légèreté et d'humour.
Cette forme d'improvisation semi mise en scène surprend un peu mais ajoute au sentiment d'authenticité du récit, comme si l'auteur se livrait entièrement et plus que jamais auparavant. C'est à la fois assez touchant et déstabilisant car on ne sait pas où ça va nous mener. Car en même temps que l'avatar de l'auteur se cherche, on cherche quel sera le message et l'objectif réel de l'ouvrage. Celui-ci multiplie les fausses pistes, à la manière de ce moment où arrive ce fameux cahier à spirale et l'entretien ouvert avec sa mère qui au final sera abandonné quelques pages plus tard sans avoir permis d'avancer davantage que de quelques pas. Il ne sera ensuite quasiment plus question de ce cahier à part comme objet symbolique lors d'un autodafé libératoire.
Il revient ici sur un très grand nombre de ses anciens ouvrages, les évoquant et les analysant brièvement pour voir comment ils expliquaient son état d'esprit au moment de leur création. C'est d'autant plus intéressant quand on a lu ces derniers et qu'on voit bien à quoi il fait référence. A l'inverse, j'ai pu constater que je restais en dehors du sujet quand il abordait un ouvrage que je n'avais pas lu, et je me dis du coup que cette BD là doit rester assez hermétique à ceux qui ne connaissent pas déjà bien la bibliographie de Tronchet.
J'ai trouvé cette lecture touchante, très instructive sur un auteur de BD pour lequel j'ai une certaine affection et qui a su me le rendre plus attachant et me donner envie de relire certains de ses ouvrages et de découvrir ceux que je n'ai pas encore lus. Mais pour ceux qui le connaissent moins bien, je ne sais pas si cet album leur parlera autant.
Note : 3,5/5
Les contes de la Pieuvre, c’est magique (oui je sais je me répète).
Fannie, le dernier en date, m’a donné envie de me replonger dans cet univers. Et c’est avec une grande délectation que je m’exécute.
Célestin ne déroge pas à la magie, mieux elle lui donne ces titres de noblesse. C’est toujours maîtrisé et exécuté de mains de maître.
Un grand moment de bonheur cette série et particulièrement la lecture de ce récit. Je l’avais évidemment apprécié lors de ma 1ere découverte mais connaissant dorénavant la suite ou le destin de certains intervenants, il se savoure davantage.
Bravo à Gess de dépeindre ce petit monde toujours avec autant de brio, il m’avait déjà conquis dès Gustave Babel (le 1er album autour de la Pieuvre) mais chaque nouvelle rencontre ajoute sa pierre (complexifiant tout en simplifiant notre compréhension de l’univers), pour en faire un tas de cailloux qui se déguste.
Un Must pour moi.
C'est une histoire qui fait mal.
En tout cas, c'est une histoire qui a su toucher avec une grande justesse le sentiment de détresse, de perdition, d'incompréhension et parfois d'autodestruction qui caractérise le sentiment de dysphorie de genre à un âge adolescent.
Les éponymes Diana et Charlie sont trans, binaire et non-binaire.
Diana est une femme, mais souffre quotidiennement du fait que presque personne ne la perçoit comme telle. Tout le monde l'appelle par son deadname, personne ne comprend ce qu'elle ressent lorsque cela la blesse, elle aimerait pouvoir exister comme tout le monde, sans avoir à se forcer à vomir pour tenter de rentrer dans les carcans de l'esthétique féminine. Personne ne la désire non plus, et elle en souffre, si ce n'est les hommes gays, la percevant comme un homme aimant le travestissement. Mais elle n'aime pas les hommes et ces hommes ne l'aime pas non plus, alors quand Diana accepte leur chaleur elle se hait toujours un peu plus.
Charlie est non-binaire, mais personne à part ses ami-e-s ne le sait. Et à part Diana, personne ne semble lae comprendre. Iel souffre, iel est perdu-e, iel est désespéré-e, alors iel fait la fête sans arrêt, cherche à s'oublier dans l'alcool et les médicaments. De toute façon, quand iel ne le fait pas, c'est vers les lames de rasoir qu'iel se dirige. Mais iel n'a pas de problème, iel ne veut surtout pas aller en urgence psychiatrique, iel ne faut surtout pas alerter sa mère. Alors iel garde ses envies suicidaire dans son coin.
Tous-tes deux sont dépendant-e-s l'un-e de l'autre, tous-tes deux s'aiment sincèrement mais se font souffrir malgré elleux, tous-tes ne savent plus quoi faire.
C'est une histoire de jeunesse queer, pleine de doutes, de sentiment de perdition, de peur et de dégoût envers soi-même. C'est réaliste. Cruellement réaliste. Les personnages sont imparfaits, complexes, parfois méchants mais toujours attachants.
Les personnages parlent et se comportent comme des jeunes perdus typiques de l'époque (début des années 2010). J'ai d'ailleurs beaucoup aimé la fin, où tout n'est pas magiquement réglé mais où les choses avancent. En tout cas les choses changent. Et la situation de Diana et Charlie est mise en parallèle avec l'avancée des droits trans en Suède en 2012.
Le dessin est très intéressant.
En tout cas je l'ai trouvé original et sincèrement beau. Je trouve que ces lignes tremblotante et cette colorisation très simple (noir et blanc) mais jouant très souvent avec les ombrages donnent un vrai plus à l'album.
Un récit jeunesse magnifique et touchant dans sa retranscription de la souffrance des personnes transgenres (binaires comme non-binaires).
Je me dis aussi que cette histoire peut toujours illustrer les problématiques types des personnes transgenres aux personnes n'y connaissant rien. C'est un plus non-négligeable.
Un polar de Donald E. Westlake adapté par Doug Headline avec les dessins de Kieran, qui inaugure la nouvelle collection Aire Noire chez Dupuis.
Doug Headline (bon sang ne saurait mentir, c'est le fils de JP. Manchette !) n'en est pas à sa première adaptation de polar en bandes dessinées. Il a déjà adapté quelques romans de son père et même d'autres bouquins de Donald Westlake (alias Richard Stark, décédé en 2008) tout comme son confrère Matz.
Avec "Parker 1969 : La proie", il adapte un roman de 1969, The sour lemon score, paru chez nous sous le titre Un petit coup de vinaigre.
C'est l'un des nombreux épisodes qui mettent en scène notre ami Parker, un clone littéraire d'acteurs comme Lee Marvin ou Richard Widmark : élégant, taciturne, froid et menaçant, c'est le parangon du braqueur professionnel (Westlake voulait gommer tout sentiment de son récit).
« [...] - Bon Dieu, essayer de te faire causer, c'est plus difficile que d'arracher une dent à un môme. Parle-moi Parker bon sang ! »
Une histoire de braquage comme souvent avec l'ami Parker !
« [...] Parker ne croyait pas à la chance, bonne ou mauvaise.
Il ne croyait qu'aux types qui connaissaient leur boulot et le faisait bien. »
Parker et ses comparses sont effectivement des pros et ils réussissent brillamment le braquage d'une banque, le plan était parfait.
Hélas, le butin est un peu maigre.
« [...] - Trente-trois mille. Huit mille malheureux dollars chacun.
- On savait que ça ne serait pas lourd. Huit mille, c'est déjà pas si mal pour une matinée de boulot. »
Mais cela ne suffit pas à l'un des gars de la bande qui file avec le magot.
« [...] - Vous n'êtes pas du genre à vous venger, Parker. Pas s'il n'y a rien à la clé. Que lui voulez-vous à ce garçon ?
- Il nous trahis. Il a tiré une balle dans la tête de votre mari. Il a tué l'autre gars de l'équipe, et il a essayé de me tuer moi aussi ... Et puis il s'est enfui avec l'argent. »
Parker se met donc en chasse à la poursuite du traître ... et du magot.
« [...] Parker se disait que beaucoup de temps s'était écoulé et qu'il n'était arrivé à rien. Ils avaient braqué la banque le lundi, et ce n'est que le jeudi qu'il avait trouvé Brock. Et maintenant on était vendredi. Quatre jours passés à courir en tous sens, et [l'autre] était toujours là-dehors, quelque part, assis sur le fric. »
Le personnage de Parker (il n'a pas de prénom) est l'une des grandes réussites de D. Westlake et il se prête parfaitement aux adaptations en BD. C'est du polar à l'ancienne, façon hard-boiled.
Quand il s'agit de bâtir le scénario d'un polar pour une BD, Doug Headline n'en est pas à son coup d'essai, on l'a dit, et il a su trouver le ton juste pour dérouler ce récit en comblant les silences de Parker, personnage taciturne, par de brefs encarts de texte, une sorte de voix off.
Les graphismes de Kieran évoquent les comics US avec un beau noir & blanc, dur et violent, dynamique et moderne.
Ces dessins sont un bel hommage à ceux du canadien Darwyn Cooke (décédé en 2016) qui avait déjà adapté plusieurs polars de Westlake en BD dont notamment le casse en 2012 (traduit par Matz en 2013).
Cet album inaugure chez Dupuis, la collection Aire Noire dédiée au roman noir graphique (par analogie avec la collection Aire Libre) : Doug Headline et Olivier Jalabert sont aux commandes de cette ligne éditoriale. Les éditions Dupuis nous promettent déjà plusieurs beaux albums pour cette année et, de plus, ont signé avec les héritiers de Westlake pour adapter plusieurs de ses romans.
Je viens de relire cette série m'ayant marqué il y a plus de 25 ans, comme tout lecteur je pense (en bien ou en mal).
Un dessin unique, un univers immersif (je ne connaissais pas encore la bande de Métal Hurlant), tant de codes de BD brisés... Wow! Et pourtant, plus j'avançais dans les albums et moins j'y comprenais. En effet, j'avais lu les 3 albums d'une traite, une oeuvre s'étalant sur 10 ans et reflétant l'évolution de l'auteur qui passe de dessinateur BD pur à celui d'artiste complet, à la manière de Giraud devenu Moebius.
Du tome 1 purement SF et dystopique, on passe à un tome 2 plus romancé et un tome 3 onirique. Point de vue graphique, un découpage en gaufrier fait place à des cases de plus en plus grandes, les planches devenant des tableaux, les coups de fusain se faisant de plus en plus voyants.
Même en lisant les albums l'un après l'autre, l'oeuvre demande une acceptation à suivre Bilal qui tantôt nous tient par la main et tantôt nous abandonne dans sa forêt mentale, remplie de névroses de toutes sortes. C'est fou de voir que ces 3 albums laissent voir ce que Bilal avait fait avant (par exemple Mémoires d'outre-espace) ou fera ensuite (Bug me vient de suite à l'esprit), un artiste toujours en doute de lui et de notre monde.
L'oeuvre est dépressive mais offre de beaux moments de répits comiques ou d'action. Comment prendre au sérieux ces Dieux égyptiens en quête de carburant pour leur pyramide ? Pourtant gare à Horus narguant ses pairs comme nous autres simples mortels insignifiants (pourtant, à bien y regarder, qui souhaiterait vivre dans leur Olympe dépeuplé, condamné à des séances de sauna éternelles ?).
Vraiment une oeuvre marquante que j'aurai noté différemment suivant la date de lecture ou la découverte tome par tome. Dans tous les cas, une série qui mérite une belle place dans l'histoire de la BD.
Je viens de lire pour la première fois une œuvre de Bechdel, autrice que je ne connaissais jusque là que le nom et la célèbre planche ayant donné naissance malgré elle à l'éponyme "test de Bechdel" (test étant tout sauf infaillible pour déterminer si une œuvre est féministe ou ne l'est pas).
L'album est une autobiographie. L'autrice nous raconte sa vie, de son enfance jusqu'à l'évènement central de cet album : le décès de son père.
Les évènements ne nous sont pas racontés dans un ordre chronologique mais thématique, on revient régulièrement sur des moments précis, on rajoute des détails à chaque fois, le tableau s'assemble progressivement. Du point de vue de la construction narrative, l'album est exemplaire.
Le texte, lui-aussi, brille. Alison Bechdel emploi de nombreuses métaphores et comparaisons littéraires pour parler de sa vie familiale (dû en grande partie à l'amour littéraire de son père, justement).
Le caractère étouffant, morbide et paradoxalement quotidien de sa famille, avec les parents ne s'aimant pas et les secrets gangrénant progressivement tout le monde, m'a beaucoup parlé. Sans avoir vécu une situation familiale parfaitement similaire, je me retrouve quand-même un peu dans cette histoire de famille dysfonctionnelle, de jeunesse queer ayant du mal à se définir, dans ce besoin de retranscrire les évènements de sa vie dans un journal puis de progressivement rendre ses écrits illisibles, ou même dans ces tocs qui se développent pour contrebalancer le stress ambiant (personnellement je compte mes pas et je dois toujours m'arrêter sur une dizaine, avec le pied gauche frappant les paires et le pied droit les impaires). Je me sens obligée de le mentionner, car cela a indéniablement joué dans le fait que cette biographie m'ai autant touchée.
L'album est bon, je m'essaierai sans doute au reste des créations de l'autrice.
Marc Cuadrado, essentiellement connu pour sa série Parker et Badger, quitte complètement le registre de l'humour gros nez pour raconter sa vie de couple, celle d'un jeune grand-père auteur de BD et motard dont la femme, déjà aveugle d'un œil depuis sa jeunesse, perd de plus en plus la vue de l'autre. Tanie est désormais malvoyante, ne voyant à peine que ce qui se trouve à quelques centimètres devant ses yeux, mais elle refuse de laisser le handicap lui dicter sa vie. Marc, son mari, est en permanence à ses côtés pour la soutenir au quotidien, l'observant avec des yeux pleins d'amour, d'admiration pour la force mentale qui l'anime mais aussi parfois de surprise face aux décisions qu'elle peut prendre.
C'est un album empli de sincérité. Le dessin de l'auteur y est rigoureusement différent de celui de ses BD d'humour. Il a choisi ici un style que je qualifierai de cool, un dessin au feutre fin au trait légèrement lâché, à la bichromie élégante et dont la narration coule tout fluidement. Le genre de dessin qui invite à la lecture comme on rencontrerait un ami avec qui on aime passer du bon temps. Seuls les yeux tout ronds, presque hypnotisés, des personnages parfois surprend, mais je m'y suis fait.
Il met en scène sa vie quotidienne avec un léger soupçon d'autodérision derrière l'authenticité des faits, se moquant très légèrement de lui-même et de certains réactions de sa femme ou de conséquences de sa maladie, mais c'est avant tout l'admiration et l'amour qui en ressortent. C'est une situation terrible, surtout pour une historienne de l'art comme sa femme, et c'est avec une volonté incroyable qu'elle arrive à passer outre et à faire presque comme si de rien était, malgré les doutes et les craintes. En parallèle d'un récit au présent, l'auteur raconte aussi le passé de sa femme et de leur couple, expliquant comment les choses en sont arrivés là, comment de simple myope on peut devenir malvoyante.
C'est instructif mais jamais ennuyeux, sérieux mais jamais larmoyant, et ici et là réhaussé d'une part d'humour qui permet de ne pas sombrer dans la tristesse ou le fatalisme.
Bref c'est très bien.
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Catharsis
Comment survivre à l’impensable ? Au travers de courtes scènes souvent très intimes, Luz raconte comment il tente de surmonter son traumatisme suite à l’attentat de Charlie Hebdo, et de renouer avec son dessin. Ce dessin qui joue un rôle thérapeutique. Ce dessin qui l’accompagne dans sa reconstruction. Ce dessin d’une puissance incroyable, tant il parvient à retranscrire la noirceur, la sidération, l’angoisse, mais aussi l’amour et la vie qui reprennent le dessus. Ce qu’a vécu Luz est d’une telle violence qu’il me paraît utopique de vouloir comprendre ce qu’il a pu traverser suite à l’attentat (et qu’il doit encore traverser aujourd’hui, même dix ans après). Mais la force de cet album est justement de m’avoir donné le sentiment, le temps de ma lecture, de toucher du doigt sa détresse. Un album très poignant, dont la lecture continue de me marquer quelques semaines après.
La Première Couleur fut le Noir
La présence de cet album dans le catalogue de Mosquito surprend, cet éditeur publiant surtout des BDs d’aventure et d’action. Or, « La première couleur fut le noir » est une des autobiographies les plus noires que j’ai lues (et j’en ai lues beaucoup !). Anne-Sophie Servantie nous propose une (psych)analyse approfondie des évènements catastrophiques qui ont jonché sa vie, à commencer par deux formes de maltraitance infantile : l’endoctrinement religieux, sujet tabou dont on ne parle selon moi pas assez (on y viendra, j’en suis certain). Et surtout les abus sexuels perpétrés par un membre de sa famille pendant plusieurs années, la première fois alors qu’elle était âgée d’à peine 4 ans et demi (« oui enfin, presque 5 ans », comme lui rappelle sa maman). Elle aborde le manque de soutien de sa famille, sa colère, son désespoir, mais aussi sa survie, et son échappatoire principale, la peinture. Elle parle aussi de sa sclérose en plaque, se demande si « elle se serait déclenchée à cause de tout ça ». Puis l’album se termine sur un autre drame terrible, mais je n’en dirai pas plus pour ne pas spoiler l’effet de « surprise ». L’histoire est forcément larmoyante, l’autrice avoue même dans l’intro avoir « réalisé certaines planches en larmes ». La réalisation de l’album fut sans doute un processus cathartique et thérapeutique, mais la lecture reste assez ardue et minante pour le BDphile que je suis. Un album perturbant, qui m’a bouleversé, révolté, parfois mis mal à l’aise… en tout cas, j’admire l’honnêteté et le courage de l’autrice.
Centaures (Sumiyoshi)
C'est par hasard que je suis tombée sur cette série dans les étagères de ma bibliothèque. Les dessins sur les tranches et sur les couvertures m'ont semblé très jolis et j'ai eu bien envie de voir de quoi il retournait. L'histoire se passe dans un Japon féodal où vivent principalement deux espèces : les centaures et les humains. Les premiers vivaient paisiblement dans leurs montagnes et leurs plaines, loin des humains, jusqu'à ce que ces derniers décident de venir sur les territoires centaures afin de les capturer et en faire des armes de guerre. Traqué-e-s, forcé-e-s à fuir et survivre pour éviter la mort sur les champs de batailles humains, les centaures n'ont plus beaucoup d'espoir. Quand Matsuzake, grand et fort centaure des montagne, se fait capturer par des humains, il fait la rencontre de Kohibari, un centaure des plaines amputé des deux bras qui va lui proposer un plan de fuite un peu fou. C'est une histoire de conflit entre deux espèces, de guerre, de cruauté, de survie, d'amour et d'espoir. Le récit se passe sur plusieurs époques. Les deux premiers albums nous racontent l'histoire et de la lutte de Matsuzake et de Kohibari en plein cœur du conflit avec les humains, les deux suivants se déroulent trente ans plus tard et nous racontent l'histoire de Gonta et Tanikaze qui quittent leur montagne pour voir si la cohabitation entre humain-e-s et centaures est possible, et les deux derniers reviennent dans le passé pour nous raconter la jeunesse de nos deux premiers protagonistes et enfin nous faire comprendre comment ils en sont arrivés là où nous les avons rencontrés. Le gros point fort de cette série est incontestablement son dessin. Les traits sont beaux, les mouvements vifs et toujours lisibles, l'encrage parvient toujours à donner de la profondeur aux ombrages et aux décors, iconisant également les personnages. C'est du bonbon pour les yeux. Je constate après recherche que l'autrice est également designer vidéoludique, notamment sur la saga Monster Hunter, et je ne suis pas très étonnée. Elle sait créer des chara-design convaincants et marquants avec peu de traits et de détails. Petits défauts tout de même, il en faut bien. La quasi-totalité des personnages féminins présentés dans cette série joue un rôle de love interest ou de poule pondeuse (pouliche pondeuse ?) pour un autre personnage masculin. Bon, chez certaines leur rôle ne se résume pas qu'à ça et elles parviennent à avoir suffisamment de personnalité et de motivations pour être de véritables personnages, mais trois/quatre d'entre elles ne jouent vraiment aucun autre rôle dans l'intrigue (sachant qu'il n'y a que huit personnages féminins en tout et que seuls quatre sont nommés). Une seule échappe à tout ça, ni romance ni marmot, je peux au moins me rassurer en disant qu'il y a une exception. Second défaut, spécifique à l'impression je dirais. En fait, la composition des images à l'impression, le découpage des cases et des phylactères, est à plusieurs reprises coupé trop court. On sent que la planche a été imprimée sur un papier plus petit et qu'une partie du haut a été coupée. Il y a plusieurs phylactères qui sont notamment coupés si bas qu'une partie de la première phrase est coupée. Rien de grave en soi, on arrive encore à lire, mais reconnaissons que c'est dommageable. La série reste très intéressante. Une lecture recommandée, ne serait-ce que pour les beaux dessins. (Note réelle 3,5)
Le Cahier à spirale
Didier Tronchet a commencé sa carrière d'auteur de BD dans l'humour, avec des personnages réputés pour leur autodérision, qu'il s'agisse de Raymond Calbuth ou de Jean-Claude Tergal. Plus récemment, il a produit de nombreux ouvrages autobiographiques, racontant telle ou telle période de sa vie ainsi que quelques sujets familiaux plus intimes. Le Cahier à spirale peut être considéré comme l'aboutissement de cette production autobiographique car c'est un ouvrage qui non seulement revient à nouveau sur la vie de l'auteur mais aussi sur son introspection et son analyse de ses ouvrages précédents et de ce qu'ils cachaient sur lui-même. C'est en effet par cette analyse qu'il a réalisé ce qu'il se cachait à lui-même et notamment que tout semblait découler de son rapport à sa mère et à sa famille de manière plus générale avec qui les non-dits et la difficulté à communiquer ont été tels qu'ils ont façonné son état d'esprit et lui ont masqué certains pans de son propre esprit. Il entreprend alors un retour sur les lieux du passé et une communication plus claire avec sa mère, ses sœurs et son frère. Le tout est présenté de manière aussi authentique que l'auteur le pouvait, avec une narration qui s'affiche sans structure, comme elle vient, comme si l'auteur ne savait pas où tout cela allait le mener et le présentait à ses proches au fur et à mesure qu'il la racontait. Il y mélange une part de vérité et une légère part de fictif ou du moins de mise en scène destinée à la relever d'un peu de légèreté et d'humour. Cette forme d'improvisation semi mise en scène surprend un peu mais ajoute au sentiment d'authenticité du récit, comme si l'auteur se livrait entièrement et plus que jamais auparavant. C'est à la fois assez touchant et déstabilisant car on ne sait pas où ça va nous mener. Car en même temps que l'avatar de l'auteur se cherche, on cherche quel sera le message et l'objectif réel de l'ouvrage. Celui-ci multiplie les fausses pistes, à la manière de ce moment où arrive ce fameux cahier à spirale et l'entretien ouvert avec sa mère qui au final sera abandonné quelques pages plus tard sans avoir permis d'avancer davantage que de quelques pas. Il ne sera ensuite quasiment plus question de ce cahier à part comme objet symbolique lors d'un autodafé libératoire. Il revient ici sur un très grand nombre de ses anciens ouvrages, les évoquant et les analysant brièvement pour voir comment ils expliquaient son état d'esprit au moment de leur création. C'est d'autant plus intéressant quand on a lu ces derniers et qu'on voit bien à quoi il fait référence. A l'inverse, j'ai pu constater que je restais en dehors du sujet quand il abordait un ouvrage que je n'avais pas lu, et je me dis du coup que cette BD là doit rester assez hermétique à ceux qui ne connaissent pas déjà bien la bibliographie de Tronchet. J'ai trouvé cette lecture touchante, très instructive sur un auteur de BD pour lequel j'ai une certaine affection et qui a su me le rendre plus attachant et me donner envie de relire certains de ses ouvrages et de découvrir ceux que je n'ai pas encore lus. Mais pour ceux qui le connaissent moins bien, je ne sais pas si cet album leur parlera autant. Note : 3,5/5
Célestin et le coeur de Vendrezanne
Les contes de la Pieuvre, c’est magique (oui je sais je me répète). Fannie, le dernier en date, m’a donné envie de me replonger dans cet univers. Et c’est avec une grande délectation que je m’exécute. Célestin ne déroge pas à la magie, mieux elle lui donne ces titres de noblesse. C’est toujours maîtrisé et exécuté de mains de maître. Un grand moment de bonheur cette série et particulièrement la lecture de ce récit. Je l’avais évidemment apprécié lors de ma 1ere découverte mais connaissant dorénavant la suite ou le destin de certains intervenants, il se savoure davantage. Bravo à Gess de dépeindre ce petit monde toujours avec autant de brio, il m’avait déjà conquis dès Gustave Babel (le 1er album autour de la Pieuvre) mais chaque nouvelle rencontre ajoute sa pierre (complexifiant tout en simplifiant notre compréhension de l’univers), pour en faire un tas de cailloux qui se déguste. Un Must pour moi.
Diana & Charlie
C'est une histoire qui fait mal. En tout cas, c'est une histoire qui a su toucher avec une grande justesse le sentiment de détresse, de perdition, d'incompréhension et parfois d'autodestruction qui caractérise le sentiment de dysphorie de genre à un âge adolescent. Les éponymes Diana et Charlie sont trans, binaire et non-binaire. Diana est une femme, mais souffre quotidiennement du fait que presque personne ne la perçoit comme telle. Tout le monde l'appelle par son deadname, personne ne comprend ce qu'elle ressent lorsque cela la blesse, elle aimerait pouvoir exister comme tout le monde, sans avoir à se forcer à vomir pour tenter de rentrer dans les carcans de l'esthétique féminine. Personne ne la désire non plus, et elle en souffre, si ce n'est les hommes gays, la percevant comme un homme aimant le travestissement. Mais elle n'aime pas les hommes et ces hommes ne l'aime pas non plus, alors quand Diana accepte leur chaleur elle se hait toujours un peu plus. Charlie est non-binaire, mais personne à part ses ami-e-s ne le sait. Et à part Diana, personne ne semble lae comprendre. Iel souffre, iel est perdu-e, iel est désespéré-e, alors iel fait la fête sans arrêt, cherche à s'oublier dans l'alcool et les médicaments. De toute façon, quand iel ne le fait pas, c'est vers les lames de rasoir qu'iel se dirige. Mais iel n'a pas de problème, iel ne veut surtout pas aller en urgence psychiatrique, iel ne faut surtout pas alerter sa mère. Alors iel garde ses envies suicidaire dans son coin. Tous-tes deux sont dépendant-e-s l'un-e de l'autre, tous-tes deux s'aiment sincèrement mais se font souffrir malgré elleux, tous-tes ne savent plus quoi faire. C'est une histoire de jeunesse queer, pleine de doutes, de sentiment de perdition, de peur et de dégoût envers soi-même. C'est réaliste. Cruellement réaliste. Les personnages sont imparfaits, complexes, parfois méchants mais toujours attachants. Les personnages parlent et se comportent comme des jeunes perdus typiques de l'époque (début des années 2010). J'ai d'ailleurs beaucoup aimé la fin, où tout n'est pas magiquement réglé mais où les choses avancent. En tout cas les choses changent. Et la situation de Diana et Charlie est mise en parallèle avec l'avancée des droits trans en Suède en 2012. Le dessin est très intéressant. En tout cas je l'ai trouvé original et sincèrement beau. Je trouve que ces lignes tremblotante et cette colorisation très simple (noir et blanc) mais jouant très souvent avec les ombrages donnent un vrai plus à l'album. Un récit jeunesse magnifique et touchant dans sa retranscription de la souffrance des personnes transgenres (binaires comme non-binaires). Je me dis aussi que cette histoire peut toujours illustrer les problématiques types des personnes transgenres aux personnes n'y connaissant rien. C'est un plus non-négligeable.
Parker 1969
Un polar de Donald E. Westlake adapté par Doug Headline avec les dessins de Kieran, qui inaugure la nouvelle collection Aire Noire chez Dupuis. Doug Headline (bon sang ne saurait mentir, c'est le fils de JP. Manchette !) n'en est pas à sa première adaptation de polar en bandes dessinées. Il a déjà adapté quelques romans de son père et même d'autres bouquins de Donald Westlake (alias Richard Stark, décédé en 2008) tout comme son confrère Matz. Avec "Parker 1969 : La proie", il adapte un roman de 1969, The sour lemon score, paru chez nous sous le titre Un petit coup de vinaigre. C'est l'un des nombreux épisodes qui mettent en scène notre ami Parker, un clone littéraire d'acteurs comme Lee Marvin ou Richard Widmark : élégant, taciturne, froid et menaçant, c'est le parangon du braqueur professionnel (Westlake voulait gommer tout sentiment de son récit). « [...] - Bon Dieu, essayer de te faire causer, c'est plus difficile que d'arracher une dent à un môme. Parle-moi Parker bon sang ! » Une histoire de braquage comme souvent avec l'ami Parker ! « [...] Parker ne croyait pas à la chance, bonne ou mauvaise. Il ne croyait qu'aux types qui connaissaient leur boulot et le faisait bien. » Parker et ses comparses sont effectivement des pros et ils réussissent brillamment le braquage d'une banque, le plan était parfait. Hélas, le butin est un peu maigre. « [...] - Trente-trois mille. Huit mille malheureux dollars chacun. - On savait que ça ne serait pas lourd. Huit mille, c'est déjà pas si mal pour une matinée de boulot. » Mais cela ne suffit pas à l'un des gars de la bande qui file avec le magot. « [...] - Vous n'êtes pas du genre à vous venger, Parker. Pas s'il n'y a rien à la clé. Que lui voulez-vous à ce garçon ? - Il nous trahis. Il a tiré une balle dans la tête de votre mari. Il a tué l'autre gars de l'équipe, et il a essayé de me tuer moi aussi ... Et puis il s'est enfui avec l'argent. » Parker se met donc en chasse à la poursuite du traître ... et du magot. « [...] Parker se disait que beaucoup de temps s'était écoulé et qu'il n'était arrivé à rien. Ils avaient braqué la banque le lundi, et ce n'est que le jeudi qu'il avait trouvé Brock. Et maintenant on était vendredi. Quatre jours passés à courir en tous sens, et [l'autre] était toujours là-dehors, quelque part, assis sur le fric. » Le personnage de Parker (il n'a pas de prénom) est l'une des grandes réussites de D. Westlake et il se prête parfaitement aux adaptations en BD. C'est du polar à l'ancienne, façon hard-boiled. Quand il s'agit de bâtir le scénario d'un polar pour une BD, Doug Headline n'en est pas à son coup d'essai, on l'a dit, et il a su trouver le ton juste pour dérouler ce récit en comblant les silences de Parker, personnage taciturne, par de brefs encarts de texte, une sorte de voix off. Les graphismes de Kieran évoquent les comics US avec un beau noir & blanc, dur et violent, dynamique et moderne. Ces dessins sont un bel hommage à ceux du canadien Darwyn Cooke (décédé en 2016) qui avait déjà adapté plusieurs polars de Westlake en BD dont notamment le casse en 2012 (traduit par Matz en 2013). Cet album inaugure chez Dupuis, la collection Aire Noire dédiée au roman noir graphique (par analogie avec la collection Aire Libre) : Doug Headline et Olivier Jalabert sont aux commandes de cette ligne éditoriale. Les éditions Dupuis nous promettent déjà plusieurs beaux albums pour cette année et, de plus, ont signé avec les héritiers de Westlake pour adapter plusieurs de ses romans.
La Trilogie Nikopol
Je viens de relire cette série m'ayant marqué il y a plus de 25 ans, comme tout lecteur je pense (en bien ou en mal). Un dessin unique, un univers immersif (je ne connaissais pas encore la bande de Métal Hurlant), tant de codes de BD brisés... Wow! Et pourtant, plus j'avançais dans les albums et moins j'y comprenais. En effet, j'avais lu les 3 albums d'une traite, une oeuvre s'étalant sur 10 ans et reflétant l'évolution de l'auteur qui passe de dessinateur BD pur à celui d'artiste complet, à la manière de Giraud devenu Moebius. Du tome 1 purement SF et dystopique, on passe à un tome 2 plus romancé et un tome 3 onirique. Point de vue graphique, un découpage en gaufrier fait place à des cases de plus en plus grandes, les planches devenant des tableaux, les coups de fusain se faisant de plus en plus voyants. Même en lisant les albums l'un après l'autre, l'oeuvre demande une acceptation à suivre Bilal qui tantôt nous tient par la main et tantôt nous abandonne dans sa forêt mentale, remplie de névroses de toutes sortes. C'est fou de voir que ces 3 albums laissent voir ce que Bilal avait fait avant (par exemple Mémoires d'outre-espace) ou fera ensuite (Bug me vient de suite à l'esprit), un artiste toujours en doute de lui et de notre monde. L'oeuvre est dépressive mais offre de beaux moments de répits comiques ou d'action. Comment prendre au sérieux ces Dieux égyptiens en quête de carburant pour leur pyramide ? Pourtant gare à Horus narguant ses pairs comme nous autres simples mortels insignifiants (pourtant, à bien y regarder, qui souhaiterait vivre dans leur Olympe dépeuplé, condamné à des séances de sauna éternelles ?). Vraiment une oeuvre marquante que j'aurai noté différemment suivant la date de lecture ou la découverte tome par tome. Dans tous les cas, une série qui mérite une belle place dans l'histoire de la BD.
Fun Home - Une tragicomédie familiale
Je viens de lire pour la première fois une œuvre de Bechdel, autrice que je ne connaissais jusque là que le nom et la célèbre planche ayant donné naissance malgré elle à l'éponyme "test de Bechdel" (test étant tout sauf infaillible pour déterminer si une œuvre est féministe ou ne l'est pas). L'album est une autobiographie. L'autrice nous raconte sa vie, de son enfance jusqu'à l'évènement central de cet album : le décès de son père. Les évènements ne nous sont pas racontés dans un ordre chronologique mais thématique, on revient régulièrement sur des moments précis, on rajoute des détails à chaque fois, le tableau s'assemble progressivement. Du point de vue de la construction narrative, l'album est exemplaire. Le texte, lui-aussi, brille. Alison Bechdel emploi de nombreuses métaphores et comparaisons littéraires pour parler de sa vie familiale (dû en grande partie à l'amour littéraire de son père, justement). Le caractère étouffant, morbide et paradoxalement quotidien de sa famille, avec les parents ne s'aimant pas et les secrets gangrénant progressivement tout le monde, m'a beaucoup parlé. Sans avoir vécu une situation familiale parfaitement similaire, je me retrouve quand-même un peu dans cette histoire de famille dysfonctionnelle, de jeunesse queer ayant du mal à se définir, dans ce besoin de retranscrire les évènements de sa vie dans un journal puis de progressivement rendre ses écrits illisibles, ou même dans ces tocs qui se développent pour contrebalancer le stress ambiant (personnellement je compte mes pas et je dois toujours m'arrêter sur une dizaine, avec le pied gauche frappant les paires et le pied droit les impaires). Je me sens obligée de le mentionner, car cela a indéniablement joué dans le fait que cette biographie m'ai autant touchée. L'album est bon, je m'essaierai sans doute au reste des créations de l'autrice.
Dans ses yeux
Marc Cuadrado, essentiellement connu pour sa série Parker et Badger, quitte complètement le registre de l'humour gros nez pour raconter sa vie de couple, celle d'un jeune grand-père auteur de BD et motard dont la femme, déjà aveugle d'un œil depuis sa jeunesse, perd de plus en plus la vue de l'autre. Tanie est désormais malvoyante, ne voyant à peine que ce qui se trouve à quelques centimètres devant ses yeux, mais elle refuse de laisser le handicap lui dicter sa vie. Marc, son mari, est en permanence à ses côtés pour la soutenir au quotidien, l'observant avec des yeux pleins d'amour, d'admiration pour la force mentale qui l'anime mais aussi parfois de surprise face aux décisions qu'elle peut prendre. C'est un album empli de sincérité. Le dessin de l'auteur y est rigoureusement différent de celui de ses BD d'humour. Il a choisi ici un style que je qualifierai de cool, un dessin au feutre fin au trait légèrement lâché, à la bichromie élégante et dont la narration coule tout fluidement. Le genre de dessin qui invite à la lecture comme on rencontrerait un ami avec qui on aime passer du bon temps. Seuls les yeux tout ronds, presque hypnotisés, des personnages parfois surprend, mais je m'y suis fait. Il met en scène sa vie quotidienne avec un léger soupçon d'autodérision derrière l'authenticité des faits, se moquant très légèrement de lui-même et de certains réactions de sa femme ou de conséquences de sa maladie, mais c'est avant tout l'admiration et l'amour qui en ressortent. C'est une situation terrible, surtout pour une historienne de l'art comme sa femme, et c'est avec une volonté incroyable qu'elle arrive à passer outre et à faire presque comme si de rien était, malgré les doutes et les craintes. En parallèle d'un récit au présent, l'auteur raconte aussi le passé de sa femme et de leur couple, expliquant comment les choses en sont arrivés là, comment de simple myope on peut devenir malvoyante. C'est instructif mais jamais ennuyeux, sérieux mais jamais larmoyant, et ici et là réhaussé d'une part d'humour qui permet de ne pas sombrer dans la tristesse ou le fatalisme. Bref c'est très bien.