Nous suivons l’histoire de Jbara, jeune femme née dans une pauvre famille d’un trou perdu au fin fond d’un pays maghrébin (que je n’ai pas identifié). Promise à un destin misérable, soumise à une famille peu aimante et aux diktats qu’une vision rigoriste de l’islam lui impose, tout semble faire de Jbara une potiche, jouet des hommes qui l’exploitent et la violent.
Mais, une volonté de se sortir de ce cercle vicieux, et quelques petits hasards plus ou moins heureux (comme cette valise d’une touriste américaine, tombée du bus près de chez elle) vont lui faire découvrir autre chose que son bled paumé. Mais si l’horizon s’élargit, elle ne va pas moins continuer à être soumise aux desiderata des hommes. Mais ils sont plus riches, et en mettant son amour propre de côté (dans tous les sens du terme), sa prostitution assumée (à défaut d’avoir été choisie) la fait un temps sortir d’une certaine misère.
Le parti pris du récit est intéressant, puisque tout est raconté par Jbara elle-même, de façon dépassionnée, comme si elle s’auto-analysait. Et en permanence elle se confie à Allah, son témoin, à qui elle raconte tout, sans concession, ayant avec Dieu une relation finalement plus sincère que la plupart de ceux qui la prennent de haut ou qui lui reprochent sa condition de pute.
Une vision très noire d’une certaine condition féminine au Maghreb, avec une femme qui n’arrive pas à échapper à un triste destin. Une lecture intéressante, avec une narration fluide et agréable en tout cas.
Note réelle 3,5/5.
Seules les femmes sont capables de sauver les hommes de leurs démons.
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Ce tome contient une biographie très partielle de l’artiste Gustav Klimt, correspondant à l’année 1907, qui ne nécessite pas de connaissance préalable de cet artiste. La première édition date de 2017. Il a été réalisé par Jean-Luc Cornette pour le scénario, par Marc-Renier pour les dessins, et par Mathieu Barthelemy pour les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de huit pages, intitulé Gustav Klimt (1862-1918), l’artisan aux doigts d’or, rédigé par Dimitri Joannidès. Ce dossier est structuré en sept chapitres : Un succès précoce, Vers la libération esthétique, Insaisissable style fin de siècle…, L’objet du scandale, Adèle Bloch-Bauer ou la Joconde autrichienne, Vers la peinture de chevalet, Une postérité à retardement. Il comprend également la reprographie de plusieurs œuvres de l’artiste : Judith et la tête de Holopherne (1901), Pallas Athéna déesse de la guerre, de la sagesse, des artisans et des techniques (1898), Les puissances ennemies (1902), L’attente (1905-1906), Portrait d’Adèke Bloch-Bauer (1907), Maison à Unterach (1916), Femme au chapeau et au boa de plume (1909).
À chaque époque son art, à l’art sa liberté. À Vienne en 1907, Gustav Klimt rend visite au couple Bloch-Baeur. Il sonne à la porte et il est accueilli par leur servante Rosa. Elle le reconnaît immédiatement et lui la salue par son prénom. Il ajoute que les années passent et qu’elle est toujours aussi belle, elle leur manque à l’atelier. Elle va pour l’embrasser, mais son geste est interrompu par Adèle Bloch-Bauer qui trouve que Rosa met légèrement trop de passion dans sa façon d’accueillir les invités. D’un autre côté, elle reconnaît qu’il est difficile de résister à ce cher Gustav. Celui-ci indique qu’elle l’a convié et qu’il est venu aussitôt car c’est elle qui est irrésistible. Il lui offre un gugelhupf, il est passé à la pâtisserie Demel. Il salue également le petit chat Prodigo. Le peintre prend ensuite le café avec Ferdinand Bloch-Bauer et son épouse Adèle. Ils se rappellent qu’ils ont fait connaissance il y a six ans, au moment de l’affaire de La Médecine. Le mari pense que le temps est venu pour lui de demander à Klimt de peindre sa femme. L’artiste prend congé et promet à Adèle de la couvrir d’or.
Six ans plus tôt, les critiques se déchaînent en contemplant le tableau La Médecine : Ignoble, c’est ignoble ! Tous ces corps mélangés les uns aux autres ! Qu’a-t-il voulu représenter, une orgie ? C’est censé représenter la médecine, et on dirait qu’il fait l’éloge de la maladie et de la vieillesse. C’est clairement pornographique ! Dans la salle, Gustav Klimt écoute ces commentaires désagréables. Un ami lui propose d’aller boire un coup, mais il décline car sa mère l’attend. Celle-ci lui a préparé de la soupe aux pommes de terre, comme il aime. Il lui lâche tout ce qu’il a sur le cœur, contre tous ces médecins qui ont critiqué son œuvre : c’est à Hypocrite que tous ces médecins ont prêté serment ! La nuit, il rêve qu’il est le général Holopherne que Nabuchodonosor envoie en campagne, pour assiéger Béthulie.
Une portion assez courte de la vie de Gustav Klimt (1862-1918), qui se focalise sur les affres de la création de l’un de ses tableaux les plus célèbres : Le portrait d’Adele Bloch-Bauer (également appelé La dame en or, ou La femme en or), réalisé entre 1903 et 1907. Le début déroute car un cartouche indique que la première scène se déroule en 1907, c’est-à-dire après la réalisation de ce tableau, mais au cours de la discussion Ferdinand Bloch Bauer indique qu’il est temps pour le peintre de réaliser le portrait de son épouse, mais Rosa est au service du couple, et effectivement sept ans plus tôt elle était une des muses de l’artiste dans son atelier. Et en page quatorze, Klimt se rêve en général de l’empire néo-babylonien, recevant les ordres de Nabuchodonosor II (-642 à -562), évoquant le Livre de Judith de l’Ancien Testament. Le lecteur comprend que certaines séquences sont à envisager comme teintée d’onirisme, s’inspirant de la réalité, sans pour autant relever de la reconstitution historique rigoureuse ou exacte. Dans un premier temps, la narration visuelle peut provoquer un même décalage cognitif. La première page semble fermement ancrée dans un registre descriptif, avec un savant équilibre entre ce qui est montré dans le détail (la façade de l’immeuble des Bloch-Bauer), et ce qui est suggéré (la circulation dans une large avenue). Puis le rêve se charge d’éléments visuels symboliques, les dimensions de l’escalier intérieur dépassent la réalité, certains fonds de case ne sont habillés que par des camaïeux.
Les auteurs naviguent entre des repères historiques concrets et avérés, et des interprétations personnelles ou des métaphores. Parmi les premiers, le lecteur identifie Ferdinand Bloch-Bauer (1864-1945), fabricant de sucre austro-tchèque et amateur d'art, époux d’Adele Bloch-Bauer, visiblement peu jaloux. Klimt a peint au moins deux portraits d’Adele Bloch-Bauer (1881-1925), entre 1903 et 1907, et en 1915, à la suite d’une demande adressée par courrier écrit par le mari. Lors d’une discussion avec le peintre, cette dame lui conseille de ne pas aller voir le docteur Sigmund Freud (1856-1939) s’il veut éviter d’entendre des choses ignobles sur sa mère. S’il est allé regarder les photographies de cette dame, le lecteur peut constater une bonne ressemblance des dessins, et il apprécie la sophistication de ses toilettes, ses robes comme ses chapeaux. Il relève encore la présence d’Anna Finster-Klimt (1836-1915, la mère de l’artiste), d’Emilie Louise Flöge (1874-1952, styliste et créatrice de mode), et du ministre Johannes Wilhelm Rittér von Hartel. Il est également fait mention de l’exposition du tableau La médecine (1901) au Palais de la Sécession à Vienne, sa qualité du peintre comme membre de la Sécession viennoise. Les cases nourrissent la reconstitution historique : les façades des rues de Vienne, la devanture d’une pâtisserie aux desserts aussi appétissants que viennois, l’intérieur d’un café, le superbe bâtiment du parlement autrichien, le parc du château de Schönbrunn, l’atelier de Klimt, le lac de l’Attersee, et le Palais de la Sécession, avec la devise À chaque âge son art, à chaque art sa liberté, et son magnifique dôme. Dessinateur et coloriste assument également la tâche délicate de reproduire des œuvres d’art, les peintures Klimt : ils le font avec conviction, les fac-similés reprenant une partie des intentions artistiques, entre tracé, composition et fidélité à la représentation, avec une prise de recul empreinte d’humilité.
Le lecteur observe que dessinateur et coloriste reprennent des éléments de l’œuvre picturale de Klimt, par petites touches discrètes dans un détail ou un autre d’une case, introduisant ainsi un glissement entre symbole et onirisme. Ce décalage entre réalité et rêve prend une forme explicite dans la séquence de la page douze à la page quinze. Gustav Klimt dort profondément et il est réveillé par deux de ses modèles, Edith & Margarethe, nues : elles l’enjoignent à les suivre en l’appelant général, car il est attendu. Le peintre se lève, les suit et traverse des pièces aux proportions gigantesques, évoquant aussi bien un palais qu’un tombeau, pour être mené devant Nabuchodonosor. Le lecteur voit flotter des symboles comme l’œil dans la pyramide, ou la présence de félins. Puis dans un dessin en pleine page, il assiste à une scène fantasmagorique dans laquelle Klimt est un guerrier, maniant le sabre et l’arc sur son char, donnant l’assaut à une citadelle, des cadavres d’ennemis à ses pieds. Les auteurs laissent le lecteur libre de son interprétation. Peut-être une mise en perspective de l’artiste se mesurant à grands maîtres qui l’ont précédé et qui ont eux aussi interprété cette scène biblique : Donatello (vers 1455-1460), Sandro Botticelli (trois fois, 1470, 1472, 1495), Lucas Cranach l'Ancien (vers 1530), Paolo Veronese (1581), Le Titien (1565), Rubens (vers 1616), Le Caravage (vers 1598), etc.
Il est également possible de voir en Holopherne assiégeant Béthulie, une métaphore de Klimt assiégeant l’Académisme, comme s’il était envoyé par le courant artistique La sécession de Vienne qui serait Nabuchodonosor pour anéantir ce bastion de l’art officiel. Toutefois, l’issue de ce récit biblique n’est pas à l’avantage du conquérant. Dans la décapitation d’Holopherne, le lecteur peut voir l’artiste au service de la beauté féminine, conquis par elle, et ne pouvant que s’y soumettre, le jeu avec l’ordre chronologique déroutant encore le lecteur puisque ce tableau date de 1901, vraisemblablement avant que Klimt n’ait fait la connaissance d’Adele Bloch-Bauer. Les auteurs montrent également trois modèles féminins, Rosa, Edith et Margareth, vivant dans l’atelier du peintre, très sensuelles, parfois érotiques. En fonction de sa sensibilité, il peut prendre cette représentation au premier degré, entre comportement licencieux et vieil homme libidineux, ou comme une métaphore des muses qui inspirent l’artiste que la force créatrice ne laisse jamais en repos, pour une vie en perpétuel déséquilibre. De ce point de vue, les chatons présents dans son atelier constituent cet élément perturbateur, joueur, espiègle, indifférent, épris de liberté. Le lecteur poursuit sa découverte de cet artiste avec le dossier qui contextualisent la bande dessinée dans le cours de la vie de l’artiste, le mouvement de la Sécession viennoise, la qualification de Joconde autrichienne, la longue lutte de la famille Bloch-Bauer pour récupérer la propriété du tableau après la seconde guerre mondiale, la période d’oubli de l’œuvre de Klimt après sa mort.
Évoquer la vie de Gustav Klimt lors de la création de son tableau Judith et Holopherne (1901), et aussi lors de la réalisation du portrait d’Adele Bloch-Bauer (1907), dans une intrication des deux années : cela peut déconcerter le lecteur dans un premier temps. Le dessinateur et le coloriste mettent en œuvre un équilibre sophistiqué entre description détaillée pour la reconstitution historique, pour les tableaux du maître, évocation plus impressionniste, utilisation de symboles, reprise d’éléments des tableaux de Klimt dans son quotidien. Le lecteur s‘abandonne à cette narration sophistiquée, pas toujours conventionnelle, se laissant emporter dans la métaphore du récit biblique de Judith et Holopherne, succombant à la séduction de la Joconde autrichienne. Déroutant et séduisant.
Voila une histoire très sympathique qui pose des bases qu'on aurait presque envie de voir exploitée par la suite. C'est une lecture qui fait bien écho à la situation actuelle, mais qui présente une originalité sur le monde : c'est un monde post-apocalyptique mais version plus sympa. Loin d'un univers à la Mad Max, on a plutôt un univers bouleversé par les catastrophes (notamment climatiques) qui tente de se relever et revivre. L'ensemble suit un personnage dont la mère va partir pour un programme spatial osé, voir inconscient, qui divise la population.
En le lisant, j'ai pensé à L'Héritage fossile de Philippe Valette lue récemment, et je trouve les deux œuvres complémentaires. Une sorte d'écho entre la version d'un avenir positif tandis que l'autre est cruellement négatif. Ici, c'est plus le drame familial et intimiste d'un jeune homme qui doit apprendre et comprendre le choix de sa mère, choix contestable d'ailleurs, tandis que nous explorons un monde qui a du tout faire pour ne pas disparaitre. L'idée de cet univers est intéressante, propice à des développements d'ailleurs, mais je trouve que le récit reste un peu trop dans le road-trip entre les différentes villes de ce monde, tandis que l'humanité présentée comme exsangue semble encore assez vivace. C'est le seul point qui m'a semblé un peu trop en contradiction avec l'univers présenté, mais pour le reste j'aime bien certaines idées sur le déroulement des opérations et l'humanité qui en est ressortie.
La Bd est servie par le dessin de Benjamin Adam qui fonctionne plutôt bien, je trouve. Je n'ai pas encore lu d'autre ouvrages de sa main mais il a un coup de crayon agréable qui fonctionne bien, servi par une colorisation en bichromie très efficace. Si je l'ai trouvé moins percutante dans le fond que L'Héritage fossile, la BD aborde plus frontalement les questions d'écologie et de gaspillage d'énergie (et de ressources), ce qui est très sympathique aussi. Et pour une fois, la BD porte un message plus positif, ce qui n'est pas pour me déplaire !
Super!!
Vraiment sympa comme BD de zombies! Scénario atypique et dans la continuité de Zombies.
Les 4 livres sont bien, mais alors le dernier est une apothéose! Il est vraiment vraiment bien!!
Je mettrais 4 aux 3 premiers, et 4,5 au 4e.
Ça fait plaisir en tout cas d'avoir une bd de zombies différente des autres.
Adaptation du roman éponyme de l’écrivain finlandais Arto Paasilinna, cette BD nous transporte dans un petit village du nord de la Finlande, peu après la Seconde Guerre mondiale, où un étranger, Gunnar Huttunen (dit Nanar), rachète et remet en marche le vieux moulin local. Bien que d’abord accueilli à bras ouverts, Huttunen révèle une particularité troublante : une certaine propension à hurler et à l'excentricité qui va perturber la quiétude des villageois. Ces derniers, dérangés par ses frasques, n’ont dès lors qu’une idée en tête : l’envoyer à l’asile.
Dumontheuil s’approprie avec jubilation cette histoire tragique où l’humour et une certaine soif d’absolu sont de mise. J'avais déjà adoré le dessin dans de Nicolas Dumontheuil dans Qui a tué l'idiot ?, et ai retrouvé ici avec grand plaisir les traits vivants, les formes dynamiques et les libertés géométrique qui créent ce dessin assez virevoltant qui colle très bien à l'histoire. Les décors faits de paysages forestiers sombres et de bâtiments en bois aux structures imposantes finissent de poser l’atmosphère visuelle.
Le récit oscille entre drame et comédie grinçante, offrant une critique en règle d’une société régie par les préjugés et l’arbitraire. Sous les aspects d'une comédie loufoque, c'est une critique subtile et incisive des groupes humains qui se met en place. À travers le rejet dont il est victime, l’œuvre pointe du doigt les travers d’une société conformiste, méfiante envers ceux qui sortent du cadre établi. Huttunen, avec son excentricité et sa sensibilité exacerbée, devient le bouc émissaire d’un village où l’ordre social repose sur des codes implicites mais rigides.
L’histoire met en lumière le poids des normes sociales et la peur de la différence, transformant une communauté apparemment paisible en un tribunal implacablement injuste. Les villageois, au lieu d’accepter les singularités de Gunnar, s’unissent pour l’exclure, symbolisant une société qui préfère réprimer ce qu’elle ne comprend pas plutôt que de chercher à l’intégrer. La folie apparente de Gunnar est en réalité un cri de liberté, un refus des carcans imposés, tandis que la “normalité” des villageois se révèle dans toute sa petitesse et sa cruauté tant et si bien qu'on finit par se demander qui est le fou de l'histoire.
C'est très grinçant mais contrairement à Canarde, je trouve que c'est une œuvre qui fait du bien, parce qu'elle a le mérite de remettre l'église au milieu du village.
Bravo Monsieur Dumontheuil, un coup de coeur pour moi.
Avec "Mémoires de Gris", Sylvain Ferret nous offre un magnifique conte médiéval, pour qui aime aller frayer avec la noirceur de l'âme humaine.
L'objet est déjà très réussit et attrayant : un grand format dos toilé présentant une couverture très engageante, tout aussi magnifique que mystérieuse. C'est ensuite le XIIe siècle qu'on nous propose de retrouver, dans toute la noirceur de son Moyen-Âge. Oubliez les paillettes et les banquets dans des châteaux façon Dysney, on est ici dans la rudesse et la survie d'une période qui ne donnait pas dans la délicatesse, que ce soit pour la populace ou les petits seigneurs en place. La guerre a un coût qui transcende les conditions sociales... Chacun paye chèrement sa survie.
C'est donc Pierre de Brume que nous allons découvrir ; fils d'un petit seigneur, il est de retour de croisade plus mort que vivant. Il ne doit sa survie qu'à Marion, son amour de jeunesse devenue guérisseuse. Mais chaque acte a un prix et se paye comptant en pays de Gris...
J'ai vraiment apprécié cet album, âpre, sombre et exigeant. Sa lecture nécessite en effet une attention soutenue pour ne pas se perdre en chemin. Car la construction du récit jouant énormément sur les flashbacks pour tisser la toile de cette histoire, il faut que le lecteur soit pleinement immergé pour suivre le fil d’Ariane, ou plutôt de Marion dans notre cas, qui nous guide. Pour autant, le travail graphique et de colorisation de Sylvain Ferret nous permet de nous y retrouver dans ces nombreux allez/retours temporels.
Si le récit proposé reste dans une ligne assez classique, c'est du côté des grands qu'il lorgne, avec un petit côté tragédie shakespearienne fort appréciable. D'autant que le graphisme de Sylvain Ferret sert parfaitement son récit. Les ambiances sont très réussies et son coup de crayon un peu sec sied parfaitement à ce Moyen-Âge implacable et sauvage ou viennent se glisser une petite touche de fantastique parfaitement dosée.
J'ai beaucoup apprécié cette fiction documentaire rappelant l'histoire du bidonville de Nanterre. J'aurais presque pu croiser les enfants de Kader à l'école puisque j'habitais Courbevoie qui est tout proche de Nanterre. La construction du site de la Défense, les jeux dans les terrains vagues (encore nombreux à l'époque), me rappelle des souvenirs d'enfances. Bien sûr nous connaissions l'existence du grand bidonville de Nanterre sans y avoir jamais pénétrer mais nous pouvions le voir de la route et cette image est restée gravée dans ma mémoire. Laurent Maffre reprend le témoignage de Monique Hervo qui est intervenu pendant dix ans pour aider (aide scolaire, écrivaine public, conseil et accompagnement humain) auprès de ce public très vulnérable. Je troue que l'auteur réussit très bien à traduire les paradoxes de cette époque. En effet le scénario met bien en valeur la complexité d'une situation où la population était officiellement Française ( jusqu'en 62), travailleuse et discrète et officieusement perçue comme un ennemi ( FLN, 17 octobre 61). Le récit se veut non polémique (Papon n'est jamais cité) et se veut très optimiste sans tomber dans l'angélisme. La narration est fluide malgré quelques flash back pour insérer quelques éléments historiques qui, expliquent le contexte ( guerre en Algérie, manif du 17 octobre). Les auteurs préfèrent minimiser le racisme ambiant pour honorer les Français aidants . Monique Hervo est ainsi mis en scène sous les traits de Françoise. Ce récit-témoignage est à mes yeux très important 60 ans plus tard dans un contexte où les relations Franco Algériennes sont toujours compliquées.
Le graphisme en N&B de Maffre amplifie le côté reportage du récit. Le trait est épuré avec une belle recherche sur les visages masculins. J'ai eu un peu plus de mal sur les visages féminins. Surtout j'ai admiré le travail pour transcrire les détails du bidonville. A la fois dans ces extérieurs et pour la vie intime les atmosphères décrites sont très crédible. J'ai vraiment été impressionné.
Une lecture qui traverse de nombreuses thématiques: historique, sociale, sociétale qui mérite la lecture d'un public large.
Perso un très bon 4
Ah oui quand même ! Si j'ai été de suite séduit par le dessin (et le sujet) de cette BD au point d'en faire l'acquisition, j'avoue que je ne m'attendais pas à un être atteint à ce point. J'imaginais quelque chose d'assez drôle et finalement léger. Or drôle, ça l'est, mais il s'y lit quelque chose de bien plus profond. Quelque chose qui chez moi résonne avec la série italienne Anna, vue récemment. Quelque chose qui interroge sur le type même d'êtres humains que nous sommes actuellement en train de "lâcher dans la nature".
Notre auteur à la gomme nous embarque dans son expérience aussi aisément qu'un toboggan. Très vite, il plante le contexte : profondément secoué par la mort de Samuel Paty, il décide de prendre les armes par les cornes et de monter au front. En quelques mois, il passe le concours et devient prof, avec la volonté farouche d'accomplir son devoir du mieux possible. Il se heurte rapidement aux discours ineptes du système éducatif et son imbitable catalogue d'acronymes, mais surtout à la réalité du terrain. Et c'est là que Fred Leclerc dresse une carte des opérations proprement glaçante. Il se passe manifestement quelque chose de grave dans la jeunesse d'aujourd'hui, et l'Education Nationale se révèle totalement incapable d'agir. Ce à quoi le lecteur assiste ici, c'est au sauvetage désespéré des enfants par des professeurs qui font tout ce qu'ils peuvent.
Tout cela, Fred nous le raconte avec une franchise sans reproche. Il nous expose ses faiblesses et comment il a fini par renoncer devant cette tâche herculéenne qui consiste aujourd'hui à éduquer les enfants dans les zones délaissées. Au cours de la lecture, on passe par tous les états du spectre émotionnel. On partage ses ironies face aux discours, ses colères devant l'impuissance, et derrière tout ça, l'amour pour ses élèves, malgré tout. Mais au passage, Leclerc n'oublie pas d'être drôle. S'il use de quelques ressorts comiques très sattoufiens, on ne lui en tient pas rigueur. Journal d'un prof à la gomme est un petit condensé vif d'une situation, une chronique vivante et honnête. Ca ne donne aucune leçon, c'est humble, mais c'est dit ! Et montré.
Enfin, last but not least, tout cela est emballé par un formidable petit coup de crayon. Franchement !
Lu après La Route, je ne peux qu'ajouter une belle note à cette adaptation du roman de Claudel que j'ai lu il y a un paquet d'années maintenant mais qui m'avait marqué. Une histoire de la cruauté et de la lâcheté humaine que Larcenet retranscrit dans certaines images choc. Les nazis sont figurés plus comme des animaux que des humains.
Très beau travail graphique indéniable, un noir et blanc proche de la gravure dont on admire chaque page, des animaux par exemple d'un beau niveau de détail. Le format paysage permet de voir les choses en format cinéma avec souvent peu de textes. D'ailleurs dans le premier tome on a presque l'impression qu'il se passe peu de choses. Quel est ce fameux événement et qui est cet étranger venu dans le village isolé à propos duquel Brodeck doit rédiger un rapport ?
On le découvre dans le tome 2 qui révèle l'injustice subie par Brodeck et sa famille, on peut le trouver étonnamment passif de continuer à vivre dans ce village avec ces lourds souvenirs.
« Phantom Road » est une nouvelle série fantastique/horreur de Jeff Lemire, et le moins qu’on puisse dire c’est que ce premier tome est scotchant !
L’histoire s’emballe après à peine 7 pages, et ne lâche rien pendant les 130 pages de ce premier tome, que j’ai englouti en un temps record. L’intrigue est prenante et enjouée, et parle de mondes parallèles, d’agents du FBI, de monstres bizarres et d’un objet mystérieux (et magique ?) devant être transporté par nos 2 compagnons d’infortune… ces derniers sont attachants et bien définis, grâce à une narration en flashbacks nous montrant leur passé. Les deux dernières pages introduisent un personnage qui m’a laissé dubitatif, mais je lirai quand-même la suite, en espérant que l’auteur réussisse à contenir son histoire et son univers.
Gabriel Hernandez Walta avait déjà bossé avec Lemire sur Sentient, et propose ici une mise en image classique mais efficace. Les couleurs de Jordie Bellaire (qui n’en est plus à son coup d’essai) participent grandement à l’ambiance inquiétante du récit, tout en contribuant directement à la narration (les tons sont différents pour les deux « mondes »).
Un premier tome prenant au possible, vivement la suite !
MAJ après lecture du tome 2 : pas de surprise, l’histoire continue sur sa lancée et reste scotchante, même si je déplore le manque de réponses après 2 tomes, on nage toujours en plein mystère, clairement les auteurs vont développer l’intrigue sur la longue… je lirai la suite, c’est sûr !
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Confidences à Allah
Nous suivons l’histoire de Jbara, jeune femme née dans une pauvre famille d’un trou perdu au fin fond d’un pays maghrébin (que je n’ai pas identifié). Promise à un destin misérable, soumise à une famille peu aimante et aux diktats qu’une vision rigoriste de l’islam lui impose, tout semble faire de Jbara une potiche, jouet des hommes qui l’exploitent et la violent. Mais, une volonté de se sortir de ce cercle vicieux, et quelques petits hasards plus ou moins heureux (comme cette valise d’une touriste américaine, tombée du bus près de chez elle) vont lui faire découvrir autre chose que son bled paumé. Mais si l’horizon s’élargit, elle ne va pas moins continuer à être soumise aux desiderata des hommes. Mais ils sont plus riches, et en mettant son amour propre de côté (dans tous les sens du terme), sa prostitution assumée (à défaut d’avoir été choisie) la fait un temps sortir d’une certaine misère. Le parti pris du récit est intéressant, puisque tout est raconté par Jbara elle-même, de façon dépassionnée, comme si elle s’auto-analysait. Et en permanence elle se confie à Allah, son témoin, à qui elle raconte tout, sans concession, ayant avec Dieu une relation finalement plus sincère que la plupart de ceux qui la prennent de haut ou qui lui reprochent sa condition de pute. Une vision très noire d’une certaine condition féminine au Maghreb, avec une femme qui n’arrive pas à échapper à un triste destin. Une lecture intéressante, avec une narration fluide et agréable en tout cas. Note réelle 3,5/5.
Klimt
Seules les femmes sont capables de sauver les hommes de leurs démons. - Ce tome contient une biographie très partielle de l’artiste Gustav Klimt, correspondant à l’année 1907, qui ne nécessite pas de connaissance préalable de cet artiste. La première édition date de 2017. Il a été réalisé par Jean-Luc Cornette pour le scénario, par Marc-Renier pour les dessins, et par Mathieu Barthelemy pour les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de huit pages, intitulé Gustav Klimt (1862-1918), l’artisan aux doigts d’or, rédigé par Dimitri Joannidès. Ce dossier est structuré en sept chapitres : Un succès précoce, Vers la libération esthétique, Insaisissable style fin de siècle…, L’objet du scandale, Adèle Bloch-Bauer ou la Joconde autrichienne, Vers la peinture de chevalet, Une postérité à retardement. Il comprend également la reprographie de plusieurs œuvres de l’artiste : Judith et la tête de Holopherne (1901), Pallas Athéna déesse de la guerre, de la sagesse, des artisans et des techniques (1898), Les puissances ennemies (1902), L’attente (1905-1906), Portrait d’Adèke Bloch-Bauer (1907), Maison à Unterach (1916), Femme au chapeau et au boa de plume (1909). À chaque époque son art, à l’art sa liberté. À Vienne en 1907, Gustav Klimt rend visite au couple Bloch-Baeur. Il sonne à la porte et il est accueilli par leur servante Rosa. Elle le reconnaît immédiatement et lui la salue par son prénom. Il ajoute que les années passent et qu’elle est toujours aussi belle, elle leur manque à l’atelier. Elle va pour l’embrasser, mais son geste est interrompu par Adèle Bloch-Bauer qui trouve que Rosa met légèrement trop de passion dans sa façon d’accueillir les invités. D’un autre côté, elle reconnaît qu’il est difficile de résister à ce cher Gustav. Celui-ci indique qu’elle l’a convié et qu’il est venu aussitôt car c’est elle qui est irrésistible. Il lui offre un gugelhupf, il est passé à la pâtisserie Demel. Il salue également le petit chat Prodigo. Le peintre prend ensuite le café avec Ferdinand Bloch-Bauer et son épouse Adèle. Ils se rappellent qu’ils ont fait connaissance il y a six ans, au moment de l’affaire de La Médecine. Le mari pense que le temps est venu pour lui de demander à Klimt de peindre sa femme. L’artiste prend congé et promet à Adèle de la couvrir d’or. Six ans plus tôt, les critiques se déchaînent en contemplant le tableau La Médecine : Ignoble, c’est ignoble ! Tous ces corps mélangés les uns aux autres ! Qu’a-t-il voulu représenter, une orgie ? C’est censé représenter la médecine, et on dirait qu’il fait l’éloge de la maladie et de la vieillesse. C’est clairement pornographique ! Dans la salle, Gustav Klimt écoute ces commentaires désagréables. Un ami lui propose d’aller boire un coup, mais il décline car sa mère l’attend. Celle-ci lui a préparé de la soupe aux pommes de terre, comme il aime. Il lui lâche tout ce qu’il a sur le cœur, contre tous ces médecins qui ont critiqué son œuvre : c’est à Hypocrite que tous ces médecins ont prêté serment ! La nuit, il rêve qu’il est le général Holopherne que Nabuchodonosor envoie en campagne, pour assiéger Béthulie. Une portion assez courte de la vie de Gustav Klimt (1862-1918), qui se focalise sur les affres de la création de l’un de ses tableaux les plus célèbres : Le portrait d’Adele Bloch-Bauer (également appelé La dame en or, ou La femme en or), réalisé entre 1903 et 1907. Le début déroute car un cartouche indique que la première scène se déroule en 1907, c’est-à-dire après la réalisation de ce tableau, mais au cours de la discussion Ferdinand Bloch Bauer indique qu’il est temps pour le peintre de réaliser le portrait de son épouse, mais Rosa est au service du couple, et effectivement sept ans plus tôt elle était une des muses de l’artiste dans son atelier. Et en page quatorze, Klimt se rêve en général de l’empire néo-babylonien, recevant les ordres de Nabuchodonosor II (-642 à -562), évoquant le Livre de Judith de l’Ancien Testament. Le lecteur comprend que certaines séquences sont à envisager comme teintée d’onirisme, s’inspirant de la réalité, sans pour autant relever de la reconstitution historique rigoureuse ou exacte. Dans un premier temps, la narration visuelle peut provoquer un même décalage cognitif. La première page semble fermement ancrée dans un registre descriptif, avec un savant équilibre entre ce qui est montré dans le détail (la façade de l’immeuble des Bloch-Bauer), et ce qui est suggéré (la circulation dans une large avenue). Puis le rêve se charge d’éléments visuels symboliques, les dimensions de l’escalier intérieur dépassent la réalité, certains fonds de case ne sont habillés que par des camaïeux. Les auteurs naviguent entre des repères historiques concrets et avérés, et des interprétations personnelles ou des métaphores. Parmi les premiers, le lecteur identifie Ferdinand Bloch-Bauer (1864-1945), fabricant de sucre austro-tchèque et amateur d'art, époux d’Adele Bloch-Bauer, visiblement peu jaloux. Klimt a peint au moins deux portraits d’Adele Bloch-Bauer (1881-1925), entre 1903 et 1907, et en 1915, à la suite d’une demande adressée par courrier écrit par le mari. Lors d’une discussion avec le peintre, cette dame lui conseille de ne pas aller voir le docteur Sigmund Freud (1856-1939) s’il veut éviter d’entendre des choses ignobles sur sa mère. S’il est allé regarder les photographies de cette dame, le lecteur peut constater une bonne ressemblance des dessins, et il apprécie la sophistication de ses toilettes, ses robes comme ses chapeaux. Il relève encore la présence d’Anna Finster-Klimt (1836-1915, la mère de l’artiste), d’Emilie Louise Flöge (1874-1952, styliste et créatrice de mode), et du ministre Johannes Wilhelm Rittér von Hartel. Il est également fait mention de l’exposition du tableau La médecine (1901) au Palais de la Sécession à Vienne, sa qualité du peintre comme membre de la Sécession viennoise. Les cases nourrissent la reconstitution historique : les façades des rues de Vienne, la devanture d’une pâtisserie aux desserts aussi appétissants que viennois, l’intérieur d’un café, le superbe bâtiment du parlement autrichien, le parc du château de Schönbrunn, l’atelier de Klimt, le lac de l’Attersee, et le Palais de la Sécession, avec la devise À chaque âge son art, à chaque art sa liberté, et son magnifique dôme. Dessinateur et coloriste assument également la tâche délicate de reproduire des œuvres d’art, les peintures Klimt : ils le font avec conviction, les fac-similés reprenant une partie des intentions artistiques, entre tracé, composition et fidélité à la représentation, avec une prise de recul empreinte d’humilité. Le lecteur observe que dessinateur et coloriste reprennent des éléments de l’œuvre picturale de Klimt, par petites touches discrètes dans un détail ou un autre d’une case, introduisant ainsi un glissement entre symbole et onirisme. Ce décalage entre réalité et rêve prend une forme explicite dans la séquence de la page douze à la page quinze. Gustav Klimt dort profondément et il est réveillé par deux de ses modèles, Edith & Margarethe, nues : elles l’enjoignent à les suivre en l’appelant général, car il est attendu. Le peintre se lève, les suit et traverse des pièces aux proportions gigantesques, évoquant aussi bien un palais qu’un tombeau, pour être mené devant Nabuchodonosor. Le lecteur voit flotter des symboles comme l’œil dans la pyramide, ou la présence de félins. Puis dans un dessin en pleine page, il assiste à une scène fantasmagorique dans laquelle Klimt est un guerrier, maniant le sabre et l’arc sur son char, donnant l’assaut à une citadelle, des cadavres d’ennemis à ses pieds. Les auteurs laissent le lecteur libre de son interprétation. Peut-être une mise en perspective de l’artiste se mesurant à grands maîtres qui l’ont précédé et qui ont eux aussi interprété cette scène biblique : Donatello (vers 1455-1460), Sandro Botticelli (trois fois, 1470, 1472, 1495), Lucas Cranach l'Ancien (vers 1530), Paolo Veronese (1581), Le Titien (1565), Rubens (vers 1616), Le Caravage (vers 1598), etc. Il est également possible de voir en Holopherne assiégeant Béthulie, une métaphore de Klimt assiégeant l’Académisme, comme s’il était envoyé par le courant artistique La sécession de Vienne qui serait Nabuchodonosor pour anéantir ce bastion de l’art officiel. Toutefois, l’issue de ce récit biblique n’est pas à l’avantage du conquérant. Dans la décapitation d’Holopherne, le lecteur peut voir l’artiste au service de la beauté féminine, conquis par elle, et ne pouvant que s’y soumettre, le jeu avec l’ordre chronologique déroutant encore le lecteur puisque ce tableau date de 1901, vraisemblablement avant que Klimt n’ait fait la connaissance d’Adele Bloch-Bauer. Les auteurs montrent également trois modèles féminins, Rosa, Edith et Margareth, vivant dans l’atelier du peintre, très sensuelles, parfois érotiques. En fonction de sa sensibilité, il peut prendre cette représentation au premier degré, entre comportement licencieux et vieil homme libidineux, ou comme une métaphore des muses qui inspirent l’artiste que la force créatrice ne laisse jamais en repos, pour une vie en perpétuel déséquilibre. De ce point de vue, les chatons présents dans son atelier constituent cet élément perturbateur, joueur, espiègle, indifférent, épris de liberté. Le lecteur poursuit sa découverte de cet artiste avec le dossier qui contextualisent la bande dessinée dans le cours de la vie de l’artiste, le mouvement de la Sécession viennoise, la qualification de Joconde autrichienne, la longue lutte de la famille Bloch-Bauer pour récupérer la propriété du tableau après la seconde guerre mondiale, la période d’oubli de l’œuvre de Klimt après sa mort. Évoquer la vie de Gustav Klimt lors de la création de son tableau Judith et Holopherne (1901), et aussi lors de la réalisation du portrait d’Adele Bloch-Bauer (1907), dans une intrication des deux années : cela peut déconcerter le lecteur dans un premier temps. Le dessinateur et le coloriste mettent en œuvre un équilibre sophistiqué entre description détaillée pour la reconstitution historique, pour les tableaux du maître, évocation plus impressionniste, utilisation de symboles, reprise d’éléments des tableaux de Klimt dans son quotidien. Le lecteur s‘abandonne à cette narration sophistiquée, pas toujours conventionnelle, se laissant emporter dans la métaphore du récit biblique de Judith et Holopherne, succombant à la séduction de la Joconde autrichienne. Déroutant et séduisant.
Soon
Voila une histoire très sympathique qui pose des bases qu'on aurait presque envie de voir exploitée par la suite. C'est une lecture qui fait bien écho à la situation actuelle, mais qui présente une originalité sur le monde : c'est un monde post-apocalyptique mais version plus sympa. Loin d'un univers à la Mad Max, on a plutôt un univers bouleversé par les catastrophes (notamment climatiques) qui tente de se relever et revivre. L'ensemble suit un personnage dont la mère va partir pour un programme spatial osé, voir inconscient, qui divise la population. En le lisant, j'ai pensé à L'Héritage fossile de Philippe Valette lue récemment, et je trouve les deux œuvres complémentaires. Une sorte d'écho entre la version d'un avenir positif tandis que l'autre est cruellement négatif. Ici, c'est plus le drame familial et intimiste d'un jeune homme qui doit apprendre et comprendre le choix de sa mère, choix contestable d'ailleurs, tandis que nous explorons un monde qui a du tout faire pour ne pas disparaitre. L'idée de cet univers est intéressante, propice à des développements d'ailleurs, mais je trouve que le récit reste un peu trop dans le road-trip entre les différentes villes de ce monde, tandis que l'humanité présentée comme exsangue semble encore assez vivace. C'est le seul point qui m'a semblé un peu trop en contradiction avec l'univers présenté, mais pour le reste j'aime bien certaines idées sur le déroulement des opérations et l'humanité qui en est ressortie. La Bd est servie par le dessin de Benjamin Adam qui fonctionne plutôt bien, je trouve. Je n'ai pas encore lu d'autre ouvrages de sa main mais il a un coup de crayon agréable qui fonctionne bien, servi par une colorisation en bichromie très efficace. Si je l'ai trouvé moins percutante dans le fond que L'Héritage fossile, la BD aborde plus frontalement les questions d'écologie et de gaspillage d'énergie (et de ressources), ce qui est très sympathique aussi. Et pour une fois, la BD porte un message plus positif, ce qui n'est pas pour me déplaire !
No Zombies
Super!! Vraiment sympa comme BD de zombies! Scénario atypique et dans la continuité de Zombies. Les 4 livres sont bien, mais alors le dernier est une apothéose! Il est vraiment vraiment bien!! Je mettrais 4 aux 3 premiers, et 4,5 au 4e. Ça fait plaisir en tout cas d'avoir une bd de zombies différente des autres.
Le Meunier hurlant
Adaptation du roman éponyme de l’écrivain finlandais Arto Paasilinna, cette BD nous transporte dans un petit village du nord de la Finlande, peu après la Seconde Guerre mondiale, où un étranger, Gunnar Huttunen (dit Nanar), rachète et remet en marche le vieux moulin local. Bien que d’abord accueilli à bras ouverts, Huttunen révèle une particularité troublante : une certaine propension à hurler et à l'excentricité qui va perturber la quiétude des villageois. Ces derniers, dérangés par ses frasques, n’ont dès lors qu’une idée en tête : l’envoyer à l’asile. Dumontheuil s’approprie avec jubilation cette histoire tragique où l’humour et une certaine soif d’absolu sont de mise. J'avais déjà adoré le dessin dans de Nicolas Dumontheuil dans Qui a tué l'idiot ?, et ai retrouvé ici avec grand plaisir les traits vivants, les formes dynamiques et les libertés géométrique qui créent ce dessin assez virevoltant qui colle très bien à l'histoire. Les décors faits de paysages forestiers sombres et de bâtiments en bois aux structures imposantes finissent de poser l’atmosphère visuelle. Le récit oscille entre drame et comédie grinçante, offrant une critique en règle d’une société régie par les préjugés et l’arbitraire. Sous les aspects d'une comédie loufoque, c'est une critique subtile et incisive des groupes humains qui se met en place. À travers le rejet dont il est victime, l’œuvre pointe du doigt les travers d’une société conformiste, méfiante envers ceux qui sortent du cadre établi. Huttunen, avec son excentricité et sa sensibilité exacerbée, devient le bouc émissaire d’un village où l’ordre social repose sur des codes implicites mais rigides. L’histoire met en lumière le poids des normes sociales et la peur de la différence, transformant une communauté apparemment paisible en un tribunal implacablement injuste. Les villageois, au lieu d’accepter les singularités de Gunnar, s’unissent pour l’exclure, symbolisant une société qui préfère réprimer ce qu’elle ne comprend pas plutôt que de chercher à l’intégrer. La folie apparente de Gunnar est en réalité un cri de liberté, un refus des carcans imposés, tandis que la “normalité” des villageois se révèle dans toute sa petitesse et sa cruauté tant et si bien qu'on finit par se demander qui est le fou de l'histoire. C'est très grinçant mais contrairement à Canarde, je trouve que c'est une œuvre qui fait du bien, parce qu'elle a le mérite de remettre l'église au milieu du village. Bravo Monsieur Dumontheuil, un coup de coeur pour moi.
Mémoires de Gris
Avec "Mémoires de Gris", Sylvain Ferret nous offre un magnifique conte médiéval, pour qui aime aller frayer avec la noirceur de l'âme humaine. L'objet est déjà très réussit et attrayant : un grand format dos toilé présentant une couverture très engageante, tout aussi magnifique que mystérieuse. C'est ensuite le XIIe siècle qu'on nous propose de retrouver, dans toute la noirceur de son Moyen-Âge. Oubliez les paillettes et les banquets dans des châteaux façon Dysney, on est ici dans la rudesse et la survie d'une période qui ne donnait pas dans la délicatesse, que ce soit pour la populace ou les petits seigneurs en place. La guerre a un coût qui transcende les conditions sociales... Chacun paye chèrement sa survie. C'est donc Pierre de Brume que nous allons découvrir ; fils d'un petit seigneur, il est de retour de croisade plus mort que vivant. Il ne doit sa survie qu'à Marion, son amour de jeunesse devenue guérisseuse. Mais chaque acte a un prix et se paye comptant en pays de Gris... J'ai vraiment apprécié cet album, âpre, sombre et exigeant. Sa lecture nécessite en effet une attention soutenue pour ne pas se perdre en chemin. Car la construction du récit jouant énormément sur les flashbacks pour tisser la toile de cette histoire, il faut que le lecteur soit pleinement immergé pour suivre le fil d’Ariane, ou plutôt de Marion dans notre cas, qui nous guide. Pour autant, le travail graphique et de colorisation de Sylvain Ferret nous permet de nous y retrouver dans ces nombreux allez/retours temporels. Si le récit proposé reste dans une ligne assez classique, c'est du côté des grands qu'il lorgne, avec un petit côté tragédie shakespearienne fort appréciable. D'autant que le graphisme de Sylvain Ferret sert parfaitement son récit. Les ambiances sont très réussies et son coup de crayon un peu sec sied parfaitement à ce Moyen-Âge implacable et sauvage ou viennent se glisser une petite touche de fantastique parfaitement dosée.
Demain, demain
J'ai beaucoup apprécié cette fiction documentaire rappelant l'histoire du bidonville de Nanterre. J'aurais presque pu croiser les enfants de Kader à l'école puisque j'habitais Courbevoie qui est tout proche de Nanterre. La construction du site de la Défense, les jeux dans les terrains vagues (encore nombreux à l'époque), me rappelle des souvenirs d'enfances. Bien sûr nous connaissions l'existence du grand bidonville de Nanterre sans y avoir jamais pénétrer mais nous pouvions le voir de la route et cette image est restée gravée dans ma mémoire. Laurent Maffre reprend le témoignage de Monique Hervo qui est intervenu pendant dix ans pour aider (aide scolaire, écrivaine public, conseil et accompagnement humain) auprès de ce public très vulnérable. Je troue que l'auteur réussit très bien à traduire les paradoxes de cette époque. En effet le scénario met bien en valeur la complexité d'une situation où la population était officiellement Française ( jusqu'en 62), travailleuse et discrète et officieusement perçue comme un ennemi ( FLN, 17 octobre 61). Le récit se veut non polémique (Papon n'est jamais cité) et se veut très optimiste sans tomber dans l'angélisme. La narration est fluide malgré quelques flash back pour insérer quelques éléments historiques qui, expliquent le contexte ( guerre en Algérie, manif du 17 octobre). Les auteurs préfèrent minimiser le racisme ambiant pour honorer les Français aidants . Monique Hervo est ainsi mis en scène sous les traits de Françoise. Ce récit-témoignage est à mes yeux très important 60 ans plus tard dans un contexte où les relations Franco Algériennes sont toujours compliquées. Le graphisme en N&B de Maffre amplifie le côté reportage du récit. Le trait est épuré avec une belle recherche sur les visages masculins. J'ai eu un peu plus de mal sur les visages féminins. Surtout j'ai admiré le travail pour transcrire les détails du bidonville. A la fois dans ces extérieurs et pour la vie intime les atmosphères décrites sont très crédible. J'ai vraiment été impressionné. Une lecture qui traverse de nombreuses thématiques: historique, sociale, sociétale qui mérite la lecture d'un public large. Perso un très bon 4
Journal d'un prof à la gomme
Ah oui quand même ! Si j'ai été de suite séduit par le dessin (et le sujet) de cette BD au point d'en faire l'acquisition, j'avoue que je ne m'attendais pas à un être atteint à ce point. J'imaginais quelque chose d'assez drôle et finalement léger. Or drôle, ça l'est, mais il s'y lit quelque chose de bien plus profond. Quelque chose qui chez moi résonne avec la série italienne Anna, vue récemment. Quelque chose qui interroge sur le type même d'êtres humains que nous sommes actuellement en train de "lâcher dans la nature". Notre auteur à la gomme nous embarque dans son expérience aussi aisément qu'un toboggan. Très vite, il plante le contexte : profondément secoué par la mort de Samuel Paty, il décide de prendre les armes par les cornes et de monter au front. En quelques mois, il passe le concours et devient prof, avec la volonté farouche d'accomplir son devoir du mieux possible. Il se heurte rapidement aux discours ineptes du système éducatif et son imbitable catalogue d'acronymes, mais surtout à la réalité du terrain. Et c'est là que Fred Leclerc dresse une carte des opérations proprement glaçante. Il se passe manifestement quelque chose de grave dans la jeunesse d'aujourd'hui, et l'Education Nationale se révèle totalement incapable d'agir. Ce à quoi le lecteur assiste ici, c'est au sauvetage désespéré des enfants par des professeurs qui font tout ce qu'ils peuvent. Tout cela, Fred nous le raconte avec une franchise sans reproche. Il nous expose ses faiblesses et comment il a fini par renoncer devant cette tâche herculéenne qui consiste aujourd'hui à éduquer les enfants dans les zones délaissées. Au cours de la lecture, on passe par tous les états du spectre émotionnel. On partage ses ironies face aux discours, ses colères devant l'impuissance, et derrière tout ça, l'amour pour ses élèves, malgré tout. Mais au passage, Leclerc n'oublie pas d'être drôle. S'il use de quelques ressorts comiques très sattoufiens, on ne lui en tient pas rigueur. Journal d'un prof à la gomme est un petit condensé vif d'une situation, une chronique vivante et honnête. Ca ne donne aucune leçon, c'est humble, mais c'est dit ! Et montré. Enfin, last but not least, tout cela est emballé par un formidable petit coup de crayon. Franchement !
Le Rapport de Brodeck
Lu après La Route, je ne peux qu'ajouter une belle note à cette adaptation du roman de Claudel que j'ai lu il y a un paquet d'années maintenant mais qui m'avait marqué. Une histoire de la cruauté et de la lâcheté humaine que Larcenet retranscrit dans certaines images choc. Les nazis sont figurés plus comme des animaux que des humains. Très beau travail graphique indéniable, un noir et blanc proche de la gravure dont on admire chaque page, des animaux par exemple d'un beau niveau de détail. Le format paysage permet de voir les choses en format cinéma avec souvent peu de textes. D'ailleurs dans le premier tome on a presque l'impression qu'il se passe peu de choses. Quel est ce fameux événement et qui est cet étranger venu dans le village isolé à propos duquel Brodeck doit rédiger un rapport ? On le découvre dans le tome 2 qui révèle l'injustice subie par Brodeck et sa famille, on peut le trouver étonnamment passif de continuer à vivre dans ce village avec ces lourds souvenirs.
Phantom Road
« Phantom Road » est une nouvelle série fantastique/horreur de Jeff Lemire, et le moins qu’on puisse dire c’est que ce premier tome est scotchant ! L’histoire s’emballe après à peine 7 pages, et ne lâche rien pendant les 130 pages de ce premier tome, que j’ai englouti en un temps record. L’intrigue est prenante et enjouée, et parle de mondes parallèles, d’agents du FBI, de monstres bizarres et d’un objet mystérieux (et magique ?) devant être transporté par nos 2 compagnons d’infortune… ces derniers sont attachants et bien définis, grâce à une narration en flashbacks nous montrant leur passé. Les deux dernières pages introduisent un personnage qui m’a laissé dubitatif, mais je lirai quand-même la suite, en espérant que l’auteur réussisse à contenir son histoire et son univers. Gabriel Hernandez Walta avait déjà bossé avec Lemire sur Sentient, et propose ici une mise en image classique mais efficace. Les couleurs de Jordie Bellaire (qui n’en est plus à son coup d’essai) participent grandement à l’ambiance inquiétante du récit, tout en contribuant directement à la narration (les tons sont différents pour les deux « mondes »). Un premier tome prenant au possible, vivement la suite ! MAJ après lecture du tome 2 : pas de surprise, l’histoire continue sur sa lancée et reste scotchante, même si je déplore le manque de réponses après 2 tomes, on nage toujours en plein mystère, clairement les auteurs vont développer l’intrigue sur la longue… je lirai la suite, c’est sûr !