Cet album est un documentaire sur l'histoire de la danse occidentale, retraçant son évolution à travers les époques en suivant deux personnages, Camille et Andréa, deux êtres quasiment immortels.
Le parti pris est original (en tout cas à mes yeux) mais il est en fait source du seul gros défaut de cette œuvre selon moi.
Nos deux personnages ne pouvant être ubiquistes, on ne nous parle finalement que d'une certaine histoire de la danse. On ne nous parle que trop peu des danses asiatiques, africaines, américaines (pré-colombiennes), moyen-orientales, ...
On commence un peu à nous en parler à l'acte 8 mais en se concentrant sur leurs influences en europe. Après cela, on parlera bien de la danse américaine mais toujours pas vraiment du reste du monde.
Encore une fois, c'est un défaut inhérent au parti pris d'avoir romancé cette histoire, donc je ne jette pas totalement la pierre. Mais cela reste dommageable quand l’œuvre nous promettait l'histoire de la danse (ou alors c'était peut-être pour cela que le titre était "UNE histoire dessinée de la danse").
Mais trêve de défauts, parlons des qualités !
(C'est tout moi ça, commencer par parler des défauts au risque de dégoûter les gens).
L'idée d'avoir à suivre deux personnages, chacun représentant un extrême de la vision artistique, est bonne. L'une est désireuse de maîtrise, d'ordre et d'excellence, l’autre cherche plus la liberté, le chaos et le vivant.
Les suivre parfois dans leurs séparations idéologiques permet d'aborder certains chiismes artistiques lors d'évènements clés.
On nous bombarde d'informations. Elles sont paradoxalement à la fois nombreuses et maigres.
En fait, pour faire visualiser ce que je veux dire, je vais comparer cet album aux séries animées « Il était une fois » : c’est plein de noms, de dates et d’informations nommés à la volée et replacés dans un petit contexte pour aider à la visualisation, mais ça ne rentrera pas dans les détails. En fait, c’est un peu comme une aide pour mémoriser son cours ou pour se donner envie de creuser le sujet ailleurs.
Un défaut pour certain-e-s, moi je trouve que c'est un bon choix sachant qu'il aurait fallu sinon produire une vingtaine d'albums de taille similaire pour vraiment plus creuser.
Ayant moi-même étudier l'histoire du théâtre et de l'expression scénique de l'Antiquité à l'époque moderne, je sais que certaines périodes auraient mérité plus d'informations (notamment l'influence de l’Église au Moyen-Âge à l'acte 3) mais j'invite fortement les personnes ne s'y connaissant pas et ayant été intrigué-e-s par certaines périodes à pousser leurs recherches à côté.
Je trouve le dessin de Thomas Gilbert beau. Il illustre bien les différentes époques, les différents costumes, et se permet quelques petites libertés pour l'illustration du "ressenti" du mouvement par les artistes.
Bref, si vous ne vous y connaissez pas en danse, cet album sera une introduction très fournies et les différents noms et techniques nommés et montrés vous permettront de pousser vos recherches si vous le désirez.
Si vous vous y connaissez déjà en danse, vous pourrez l'utiliser pour visualiser et mémoriser certaines informations clés.
(Note réelle 3,5)
J’ai balancé d’une rive à l’autre sans m’autoriser à t’aimer.
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Elle a été réalisée par Anaïs Halard pour le scénario, et par Amélie Clavier pour les dessins et les couleurs. Elle comprend quatre-vingt-dix-neuf pages de bande dessinée.
Un oiseau passe haut dans le ciel bleu constellé de nuages blancs. Une petite chaumière nichée dans une clairière, à côté, un homme le torse nu s’active à enlever les plantes et la mousse qui ont partiellement recouvert la roulotte. Il tire d’un coup sec en y mettant toute sa force, pour arracher une longue liane. Il se redresse et s’éponge le front du revers de la main, en regardant le résultat. Depuis la fenêtre de la chambre, une femme l’observe. Elle se détourne et regarde la valise vide sur le lit, avec ses affaires autour. Elle a pris une fleur en tissu dans un coffret. Elle la contemple. Elle se souvient quelques années plutôt quand l’une des deux sœurs fixait cette même fleur dans ses cheveux, devant la porte de leur roulotte. Monsieur Loyal l’appelle : elle doit se dépêcher, c’est bientôt à elle et à sa sœur. Elle sourit : il l‘a appelé Paula, et il l’a encore confondu avec sa sœur Louna. Elle ouvre la porte de la roulotte et appelle sa sœur. Celle-ci lui répond qu’elle a entendu. Louna entre dans la roulotte et voit que sa sœur Paula n’est toujours pas habillée. Cette dernière explique qu’elle n’arrivait pas à sortir de sa sieste, elle faisait un rêve. Elle était allongée sur la scène, robe remontée, les yeux bandés, les rideaux baissés. Deux hommes étaient allongés là. Sa sœur jumelle l’interrompt en lui disant qu’elle fait exprès, et elle l’aide à se préparer.
Sous le chapiteau, Monsieur Loyal souhaite la bienvenue aux spectateurs, leur promettant qu’ils vont rire et vibrer, avec des numéros jamais égalés, célèbres dans toute la France. Et il annonce Paula et Louna, les oiseaux du chapiteau. Celles-ci montent dans les cordes pour rejoindre les plateformes à partir desquelles elles s’élancent dans le vide, uniquement accrochées à leur trapèze. Paula surprend sa sœur en effectuant un triplé non prévu. Tout le monde les regarde en silence, bouche née, pendant toute la durée de leur numéro. Une fois celui-ci terminé, elles rejoignent la femme à barbe et les sœurs siamoises et quelques autres saltimbanques, pour le dîner autour d’une longue table. La soirée s’avançant, les uns et les autres rentrent dans leur roulotte. Paula et Louna décident de danser jusqu’à tard dans la nuit, discrètement observée par Ambroise, le lanceur de couteaux. Le lendemain, Paula se réveille après une belle cuite, encore attablée. Les forains abaissent le chapiteau, Ambroise vient maladroitement saluer Louna, et les roulottes reprennent la route vers leur prochaine destination. En cours de voyage, le chef du cirque décide d’arrêter le convoi dans le prochain village : il y a une rivière pour se rafraîchir. Paula reprend une conversation habituelle avec sa sœur : leur numéro mérite mieux que ce cirque. Louna ne souhaite pas qu’elle lui parle de nouveau de la Russie. Ambroise s’approche pour parler à Louna.
Une époque pas explicitée : fin dix-neuvième siècle, peut-être début vingtième, pas d’automobile, des trains à vapeur et la Russie qui fait rêver en tant que nation semi-exotique. Un récit qui se cantonne à la campagne, à proximité de petites villes sans qu’elles ne soient montrées, à des roulottes, à une maison isolée, et à cinq courtes scènes sous le chapiteau. Le lecteur partage la vie et l’intimité de Paula et de Louna, puis du couple avec Ambroise et de leur fille Joséphine. L’histoire se focalise sur ce noyau familial et sur son évolution romantique. La narration visuelle s’avère très facile d’accès : des dessins aux contours un peu simplifiés, avec une touche parfois de naïveté, tout en présentant une bonne densité d’informations visuelles. Une mise en couleurs de type aquarelle venant apporter des textures aux formes détourées par un trait encré, et une ambiance lumineuse souvent un peu sombre. Le lecteur remarque quelques séquences silencieuses, quatorze pages en tout, trois dessins en pleine page et un en double page. Tout le texte se présente sous forme de dialogue, à l’exception de deux lettres lues à chaque fois par un personnage. Le récit est exempt de scène de violence, il ne s’agit pas d’un roman d’aventure ou d’une histoire d’action. Cette histoire d’amour rencontre des obstacles de différente nature, dont un décès et une naissance, sans virer au romantisme ou au drame sensationnaliste.
Sans même en avoir conscience, le lecteur se laisse prendre au charme doux de la narration visuelle, effectuant des interprétations et des projections, par pur automatisme, se retrouvant ainsi tout naturellement impliqué dans la vie de ces jumelles. Il commence par partager un moment de connivence organique. Louna se fait la remarque qu’une fois de plus monsieur Loyal les a confondues : le lecteur peut voir l’acceptation, avec une pointe d’amusement sur le visage de Louna, car elle en a pris l’habitude depuis des années, et elle sait que ce sera sans fin. Elle rentre dans la roulotte : la lumière a déjà commencé à décliner, et l’éclairage assez faible est dispensé par une lanterne avec une bougie, et deux ou trois autres bougies à l’intérieur de la roulotte. Dans cette semi-pénombre, les deux jeunes femmes papotent, Paula se montrant facétieuse, Louna se montrant attentionnée envers elle. Au long de cette séquence, le lecteur observe les nombreux détails dans la roulotte : le miroir accroché au mur au-dessus de la table pour se maquiller et se démaquiller avec ses flacons, la petite alcôve avec le lit et les coussins, les deux crucifix accrochés au mur, le fauteuil, la petite table avec une lampe à huile et une statuette de la vierge, et un pot de fleurs sur une autre petite table. Louna porte déjà sa tenue de spectacle : des bas noirs, une culotte noire bouffante, un justaucorps blanc et un gilet ouvragé. Alors que sa sœur est encore en tenue de sommeil, une large culotte noire elle aussi et un haut sans manche. Le lecteur partage ce moment de complicité en toute simplicité, ressentant la tendresse existant entre ces deux sœurs, et la prévenance de l’une envers l’autre, née de nombreuses années vécues ensemble et de leur gémellité.
Quelques pages plus loin, le lecteur est à nouveau le témoin privilégié d’un moment d’intimité délicat et doux. Alors que les deux sœurs se sont assises sur la berge de la rivière pour y tremper leurs pieds et ainsi se rafraîchir, Ambroise arrive et tend gentiment la main à Louna pour qu’elle se lève et qu’ils fassent quelques pas ensemble pour parler un peu. Les dessins font des merveilles : l’artiste dose avec sensibilité les contours encrés, la mise en couleur, celle-ci oscillant entre couleur directe et simple évocation des grandes masses en arrière-plan. D’une manière générale, la dessinatrice se montre économe en traits encrés, utilisés surtout pour détourer les silhouettes et la forme général des objets ou des éléments de décor. Cela contribue à la légèreté des images et à la douceur des personnages. La mise en couleur vient alors représenter d’autres éléments, dans cette séquence il s’agit des arbres et des plantes, des couleurs des vêtements et leur plis et ondulations. Elle rend également compte de la texture de la terre, du feuillage des végétaux, et de simples zones vertes ou marron viennent rappeler l’arrière-plan par des camaïeux abstraits. Ce mode de représentation induit que le rapprochement entre Ambroise et Louna se fait sans heurts, sans inquiétude, tout naturellement.
En page soixante-dix-huit, le lecteur assiste au numéro de trapèze, en tant que spectateur assis dans les gradins. Pour cette planche, la dessinatrice se départit des compositions en bandes à base de cases rectangulaire, pour une image ronde centrale, et des images comme en rayon autour montrant les mouvements de la trapéziste, et la réaction d’un jeune garçon qui l’admire depuis le sol. Le lecteur peut lire la concentration sur le visage de la jumelle, son contentement exprimé par un léger sourire. La direction d’acteurs reste naturaliste dans ces moments. Le lecteur est confiant quant à la réussite du numéro car les autrices ne jouent pas sur la dramatisation ou le spectaculaire, et dans le même temps il est conscient de la profondeur des enjeux émotionnels pour les principaux personnages, Ambroise, Louna, Paula. Leur situation induit une tension affective qui les contraint à s’adapter. Les autrices jouent avec les éléments implicites. Louna et Paula étant jumelles, le lecteur commence par se dire qu’elles sont proches à en être identiques : la première scène le détrompe d’entrée de jeu, avec l’une plus sérieuse que l’autre, l’une plus nomade que l’autre, etc. Il existe donc une tension dès le départ entre Louna et Paula qui n’envisagent pas la suite de leur vie de la même manière.
L’arrivée d’Ambroise ne se réduit donc pas à un artifice pour mettre un grain de sable dans une relation fusionnelle, puisqu’elles présentent déjà deux caractères différents, et des aspirations similaires mais pas identiques. La vie continue et Joséphine naît, modifiant à nouveau la dynamique relationnelle entre ces trois êtres humains, dans une configuration surprenante. La maladie soudaine du nourrisson génère une prise conscience brutale de ce qui leur tient à cœur, conduisant à des résolutions fermes. Le cours de la vie confronte les personnages au temps qui passe, à l’éloignement, au rapprochement, à la naissance de la vie nouvelle, aux aspirations professionnelles, à l’impermanence des choses, à la vie propre du sentiment amoureux pouvant évoluer, tout comme pouvant rester immuable.
Une histoire simple de jumelles trapézistes dans un cirque à la fin du dix-neuvième siècle : à un moment chacune souhaitera vivre sa propre vie. Une narration visuelle au dosage parfaitement équilibré entre description et sensation, qui fait ressentir les émotions des personnages, au lecteur, de manière organique, en douceur. Sans dramatisation romantique, l’amour prend des formes différentes pour chaque personnage, plus ou moins malléables. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point.
Ma note oscille entre le 3 et le 4 mais j'ai noté vers le haut parce que j'en ressors avec un sentiment plutôt positif. C'est une BD qui pose une histoire sur l'Allemagne bien sympathique, qui ne tourne pas que autour du nazisme mais propose une lecture assez amère des années 70. Et c'est à la fois intéressant comme propos mais aussi terriblement ironique.
La BD est étrange de prime abord, avec son style de dessin très naïf et qui fait penser à un style pour enfant, mais il ne faut pas se fier aux apparences : la BD est très au clair sur l'utilisation de son dessin de manière efficace et précise. L'ensemble retrace le quotidien de cet employé sans histoire, sa mollesse, son alcoolisme (non avoué), son travail banal et tout le reste, le passé ... L'Allemagne des années 70 semble assez triste, de ce point de vue. Il y a une vraie fracture entre la jeune génération et l'ancienne (qui a vécue la seconde guerre mondiale et le Nazisme, ces questions réapparaissant dans les années 70), mais aussi une ambiance qui va bientôt exploser. C'est amusant de se plonger dans ces années-là, de voir la prévention de l'alcoolisme qui débarque par exemple. Mais c'est aussi se rappeler que ces années faisaient la jonction entre l'Allemagne nazie et post-guerre (donc occupée) et la nouvelle génération, n'ayant connue que l'occupation américaine puis la création de la RFA.
Si l'histoire prend toutes ces thématiques comme arrière-plan d'une histoire plus "banale" d'un homme qui cherche une rédemption et ne se sent pas à sa place dans sa vie. Il a des relations conflictuelles avec son fils (d'ailleurs leur dernier dialogue est touchant !), des soucis avec l'alcool, le poids de son passé qui le hante ... C'est surtout les conflits interne du protagonistes qui ressortent, tandis que l'histoire semble nous embarquer ensuite vers autre chose. Mais c'est bien un polar centré sur l'individu et son tourment intérieur. J'ai personnellement bien aimé ce qu'il en ressort et les choix fait par le héros, qui se retrouve dans une situation délicate.
Une BD assez simple mais bien faite, qui pose la situation d'une Allemagne au bord d'une crise majeure. Pas courant, bien traité et menée jusqu'au bout, je recommande !
J'avais vu cette bd à sa sortie et elle m'avait intéressé pour le thème qu'elle abordait : le XVIIème siècle et les débuts des grandes compagnies maritimes avec leurs lots de voyages dont on sait jamais si on en revient ! Il faut aussi avouer que la couverture en jette et j'ai donc pu me l'offrir il y a quelques jours.
J'avais un à priori un peu mitigé sur cette bd; Dorison n'est pas mon scénariste préféré. Je reconnais que ses scénarios sont souvent fluides, sans lenteurs et bien écrits mais je ne les ai jamais trouvés exceptionnels. Au dessin, je ne connaissais pas Montaigne mais de ce que j'avais vu, c'était du Lauffray en un peu moins bien.
Et justement que dire du dessin ? J'en suis très agréablement surpris. Si effectivement, la lecture de 1629 m'a bien confirmé l'influence de Lauffray, je trouve les planches très bien dessinées. On aura droit à quelques doubles planches ou des grandes cases qui prennent parfois toute une page. Elles renforcent l'immersion et nous plongent directement dans l'histoire, notamment pendant la tempête, c'était vraiment chouette. Le dessin rend de plus très bien de la misère d'une vie en pleine mer, mais aussi des tensions entre les personnages et les craintes qu'ils renferment, notamment grâce à un cadrage très dynamique et moderne, un cadrage qui m'avait d'ailleurs un peu rebuté en feuilletant la BD avant de la lire, moi qui suis plutôt habitué à celui clair et précis des anciennes BD, mais qui a le mérite que je viens d'évoquer. Notons aussi que la qualité des dessins ne se limitent pas aux personnages et à l'ambiance offerte. En effet, les décors (surtout ceux d'Amsterdam) ne sont pas bâclés, ce que j'ai tendance à remarquer de plus en plus souvent dans les BD des dernières années qui pourtant sont parfois adulées par les critiques, mais bon passons.
Pour le scénario, comme je l'ai dit Dorison n'est pas mon auteur préféré, mais il a ici réussi à me faire vraiment aimé l'histoire qui pourtant à l'air assez classique en apparence : long voyage, tentatives de mutinerie et évidemment naufrage ( c'est pas vraiment un spoil vu que c'est évoqué en 4ème de couverture et dans le titre ;) ) Il va donc jouer sur la tension palpable entre les officiers et les marins mais aussi sur l'apparition d'un personnage énigmatique : l'apothicaire. Tous ces éléments parviennent donc à garder le lecteur en haleine, jusqu'à la scène de fin qui termine de belle manière le premier volet !
Parlons enfin du prix de cette BD. 35€, même si le format est très grand et qu'il y a 120 pages à lire, c'est beaucoup trop cher. Le choix éditorial peut être justifié si l'on compare par exemple avec Les Indes Fourbes d'Ayroles qui est au même prix. Mais cette dernière avait tout de même 30 pages de plus. 25€ voire 30€ maxi auraient été plus raisonnables.
Finalement, je recommande quand même la lecture de cette histoire qui est la première d'un diptyque dont la suite s'avère encore plus passionnante ! Elle fut une très agréable surprise en ce début d'année et j'ai hâte de lire le dénouement !
TOME 2 :
Le tome 2 garde les mêmes qualités scénaristiques du premier en jouant sur le suspens, les choix et dilemmes des personnages et la cruauté de l'apothicaire. Si l'histoire de la survie sur un îlot est moins passionnante que le voyage en mer du tome 1, elle propose une nouvelle approche du récit puisqu'il ne sera plus question de jeux de pouvoir et de mutineries, mais de dilemmes moraux et de survie face à un groupe de marins écrasants plus que de la quête de nourriture ou d'eau en attendant les secours. Concernant le dessin, il est toujours de très bonne qualité et le cadrage, comme dans le tome 1, permet de jouer sur des thèmes comme la solitude, la peur ou la colère. J'aurais bien aimé un peu plus de dessins en pleine planche comme dans le premier. Il y en a, mais ils sont moins spectaculaires.
35€, toujours très cher mais l'objet est vraiment très beau, la couverture est magnifique et ça fera très bien dans ma bibliothèque !
Une belle pioche trouvée en brocante et que je ne connaissais pas. Le nom de René Goscinny a largement suffi pour faire affaire. Et c'est avec grand plaisir que je suis revenu à une époque où l’humour dans la BD était encore bien sage mais efficace. Sous la plume de René Goscinny, Mr Sait-Tout, ce pseudo-historien aux théories fantaisistes, s’impose comme un personnage aussi ridicule que drôle. Il nous entraîne dans des récits absurdes, jonglant avec les anachronismes et les jeux de mots qui n’appartiennent qu’à Goscinny. L’invention de l’école par Charlemagne ou les mésaventures de Richelieu deviennent des mini-épopées burlesques, au ton faussement sérieux, comme si l’Histoire se permettait enfin de respirer un bon coup.
Le dessin de Martial, bien dans la tradition du franco-belge, joue ici un rôle discret mais essentiel. Sans jamais voler la vedette, il accompagne les élucubrations de Goscinny avec une touche précise et expressive qui rend chaque personnage vivant et caricatural à souhait. Bien que Martial n’ait pas la notoriété d’Uderzo, son style apporte une vraie fraîcheur, oscillant entre la caricature et l’illustration humoristique.
Je serais très facilement passé à côté et cela aurait été dommage. Du Goscinny pur jus : humour fin et absurde, et l’ensemble laisse un petit goût de nostalgie, un retour à cette époque où la BD se permettait de jouer avec les codes, tout en restant gentiment subversive.
Décidément, il est fort ce Emmanuel Lepage. Il nous livre ici bien plus qu’une simple BD sur un phare. C’est une incursion, presque mystique, dans l’univers brut et impitoyable de la mer d’Iroise, où le phare d’Ar-Men (l’enfer des enfers) se dresse comme une sentinelle à l’écart de tout. Les premières pages font immédiatement sentir le sel, l’humidité et la solitude de ce lieu où Germain, un gardien solitaire, assure la veille. Et le talent artistique de Lepage y jour pour beaucoup avec cette intensité du bleu profond de la mer et la texture presque palpable des vagues, tantôt sereines, tantôt déchaînées.
L’histoire jongle assez habilement entre plusieurs récits : Germain, dans sa solitude, se remémore les mythes et légendes bretonnes, comme celui de la ville d’Ys, engloutie par les flots, tout en explorant la construction chaotique du phare à travers les souvenirs de Moïzez, un bâtisseur aussi tenace que les éléments qu’il affrontait. Les récits s’imbriquent, mêlant réalité historique et folklore breton, avec l’Ankou et les marins de l’île de Sein qui y font leur apparition, évoquant un passé où mythe et quotidien se confondaient. Lepage jongle avec des styles visuels différents pour rendre ces périodes et ces histoires distinctes. Ca fonctionne très bien même si les différents niveaux de récits, entre mythologie et histoire personnelle, peuvent sembler presque dispersés par moments. On passe de la solitude de Germain aux légendes de Ker-Is, avant de revenir au quotidien rude des bâtisseurs du phare. Cette superposition renforce aussi l’aspect mystique du lieu et du récit, comme si Ar-Men était le point de convergence de toutes ces histoires.
Visuellement, c’est un pur régal. Lepage capture la violence de la mer, la force brute des vagues s’écrasant sur le phare, et la lumière du fanal qui transperce la nuit noire. Chaque case est un hommage à l’immensité de la mer et à la petitesse de l’homme face à elle. Les scènes de tempête, en particulier, sont magnifiques.
Une BD qui sent la mer, au récit riche et équilibré et avec les superbes illustrations d'Emmanuel Lepage pour relever le tout. Que demander de plus ?
Une très belle surprise pour moi aussi, presque un retour aux sources, avec ce même type de plaisir que j’avais ressenti en lisant La Quête de l'Oiseau du Temps pour la première fois. Je ne suis donc pas étonné de trouver Régis Loisel signant la préface du tome 2, un clin d’œil qui renforce l’idée que cette BD s’inscrit dans la même veine.
Dès les premières pages, on comprend que le marécage n’est pas un simple décor : c’est un territoire étrange, sombre, grouillant de créatures et peuplé d’exilés. Ce lieu foisonne de détails, d’objets et de paysages à l’aura presque mystique, renforçant cette impression d’inconnu. C’est un univers qui puise ses inspirations un peu partout, empruntant des éléments mythologiques, un soupçon d'intrigues politiques, et même une touche mystique avec des créatures anthropomorphes et hybrides.
Le dessin d’Antonio Zurera ne m'a pas laissé indifférent, même si je dois dire qu’il m’a fallu quelques pages pour m’y habituer. Son trait est parfois très foisonnant, et peut sembler confus avec des hachures qui se mêlent aux couleurs sombres et saturées. Pourtant, une fois passé ce premier cap, on découvre une vraie richesse visuelle. Les couleurs, très vives, apportent une dimension onirique et presque oppressante, bien en phase avec cet univers inhospitalier. S'il fallait lui trouver un défaut, je dirais comme d'autres avant moi que la composition des cases et le positionnement des bulles ne facilitent pas toujours une lecture fluide.
L’intrigue, elle, tient bien la route. Sur une base classique de complot autour de la succession au trône, l’histoire prend une tournure inattendue, brouillant les pistes avec de multiples personnages et une succession de rebondissements. Les personnages sont bien campés, chacun avec sa propre dynamique, ses mystères et ses ambitions.
Une œuvre audacieuse, où les petites imperfections de début de série côtoient une profondeur indéniable. C’est ce genre de BD où j'accepte volontiers de me perdre un peu, pour mieux me laisser porter par une atmosphère travaillée et qui donne envie de découvrir chaque recoin de ce monde. Un univers dense et surprenant, qui mérite qu’on s’y plonge sans réserve. Un début de série très prometteur !
J'ai mis longtemps à lire Riad Sattouf, peut être échaudé par des projets que je percevais comme trop commerciaux, des sujets qui ne me touchaient pas vraiment (Les Cahiers d'Esther, les Beaux Gosses,...). Je n'étais pas trop en phase.
Et L'Arabe du futur m'est tombé dans les mains. Je ne peux pas dire autrement, je ne l'ai pas acheté, on me l'a offert.
Et j'ai découvert un auteur, puis un homme en écoutant ses interventions, ses interviews, et ça a résonné.
Je me suis lancé dans son histoire via L'Arabe du futur et j'ai été captivé par cette histoire de famille, sincère, pleine de drames, mais présenté avec un optimisme naïf qui rend le tout tolérable humainement.
Pour Moi, Fadi, le frère volé, on change d'angle, mais pas la recette.
Si comme moi, vous avez aimé L'arabe du Futur, vous plongerez dans Moi, Fadi avec le même plaisir. Si l'histoire de Riad vous a interpellé, vous ne pouvez pas laisser de côté le point de vue de Fadi. Je l'attendais même.
Graphiquement, narrativement, comme je l'ai dit, rien ne change avec L'Arabe du futur. Si le graphisme vous a arrêté sur la première série, aucune chance que Moi, Fadi trouve grâce à vos yeux.
Mais l'utilisation des couleurs par Riad Sattouf reste habile et donne une lecture des sentiments de ses personnages.
Dans la narration, le ton est juste. Dans ce premier tome, un bon tiers de l'histoire est déjà connue, car elle commence en Bretagne avec Riad et ses frères, mais on a fait un pas de côté, pour se rendre compte que si le cadre est le même, la perception change (un peu). Rien d'anormal, et celui ou celle qui a un frère ou une soeur, le sait bien.
Riad Sattouf, dans la position du frère, rend cependant habilement compte du point de vue de son frère, et très rapidement il s'efface pour qu'on ne retrouve que Fadi et son histoire. Terrible et captivante.
Décidément, les éditions du Tripode développent un catalogue des plus originaux et intéressants. J’y trouve mon compte dans leurs publications « littéraires », mais aussi dans leurs BD. C’est le quatrième album de Stanislas Moussé qu’ils publient, et c’est encore une belle réussite !
Ceux qui ont lu les trois précédents ne seront pas dépaysés. On a encore là un travail graphique unique, qui signe un auteur. Personnages et décors sont de prime abord dessinés de façon minimalistes, mais avec force détails pour « l’habillage ». Un dessin au stylo minutieux, parfois délirant sur certaines pages. Cela donne un rendu stylisé, qui convient parfaitement à l’univers médiéval fantastique (ici plutôt oriental je trouve) de Moussé. Et, comme toujours, des personnages avec un œil unique.
Mais, malgré cela, et le fait que l’album soit une nouvelle fois entièrement muet, l’ensemble est très expressif, dynamique. Et plaisant à lire. Passages guerriers, humoristiques et horrifiques se succèdent, sous les yeux d’un pauvre lapin (et sous la présence écrasante de la lune), dans un récit un peu décousu, mais qui est rythmé et agréable à suivre.
En tout cas Moussé est un auteur à découvrir, si ça n’est pas déjà fait.
Un très bon premier tome !
Non content de nous raconter une histoire aux allures de conte, nous parlant d’écologie, de spiritualité et un peu de féminisme aussi, ce premier album arrive à être plus qu’une simple introduction à son récit et à son univers. Beaucoup de choses sont développées ici et, même si beaucoup restent en suspens, on ne ressort pas en se disant d’avoir assister à la simple lecture d’un incipit.
Petit spoil le temps de ce court paragraphe (spoil sans doute peu important in fine car il s’agit d’un aspect qui définira la suite de la série mais ça reste un twist qui surgit à la moitié de cet album).
J’ai beaucoup apprécié le fait de traiter le sujet post-apocalyptique sous l’angle d’un retour à la spiritualité et à une vie plus proche de la nature. Ce n’est pas nouveau mais c’est un type de récit qui me parle tout particulièrement.
Les dessins de Stéphane Fert sont, comme toujours, magnifiques. De belles couleurs vives jouant sur des contrastes sombres, des formes rondes et un style presque crayonné.
Sans doute pas du goût de tout le monde, personnellement je trouve ses dessins pleins de charme. Le cahier de brouillons à la fin est un vrai plus pour moi.
Une série que je vais suivre avec assiduité.
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Une histoire dessinée de la danse
Cet album est un documentaire sur l'histoire de la danse occidentale, retraçant son évolution à travers les époques en suivant deux personnages, Camille et Andréa, deux êtres quasiment immortels. Le parti pris est original (en tout cas à mes yeux) mais il est en fait source du seul gros défaut de cette œuvre selon moi. Nos deux personnages ne pouvant être ubiquistes, on ne nous parle finalement que d'une certaine histoire de la danse. On ne nous parle que trop peu des danses asiatiques, africaines, américaines (pré-colombiennes), moyen-orientales, ... On commence un peu à nous en parler à l'acte 8 mais en se concentrant sur leurs influences en europe. Après cela, on parlera bien de la danse américaine mais toujours pas vraiment du reste du monde. Encore une fois, c'est un défaut inhérent au parti pris d'avoir romancé cette histoire, donc je ne jette pas totalement la pierre. Mais cela reste dommageable quand l’œuvre nous promettait l'histoire de la danse (ou alors c'était peut-être pour cela que le titre était "UNE histoire dessinée de la danse"). Mais trêve de défauts, parlons des qualités ! (C'est tout moi ça, commencer par parler des défauts au risque de dégoûter les gens). L'idée d'avoir à suivre deux personnages, chacun représentant un extrême de la vision artistique, est bonne. L'une est désireuse de maîtrise, d'ordre et d'excellence, l’autre cherche plus la liberté, le chaos et le vivant. Les suivre parfois dans leurs séparations idéologiques permet d'aborder certains chiismes artistiques lors d'évènements clés. On nous bombarde d'informations. Elles sont paradoxalement à la fois nombreuses et maigres. En fait, pour faire visualiser ce que je veux dire, je vais comparer cet album aux séries animées « Il était une fois » : c’est plein de noms, de dates et d’informations nommés à la volée et replacés dans un petit contexte pour aider à la visualisation, mais ça ne rentrera pas dans les détails. En fait, c’est un peu comme une aide pour mémoriser son cours ou pour se donner envie de creuser le sujet ailleurs. Un défaut pour certain-e-s, moi je trouve que c'est un bon choix sachant qu'il aurait fallu sinon produire une vingtaine d'albums de taille similaire pour vraiment plus creuser. Ayant moi-même étudier l'histoire du théâtre et de l'expression scénique de l'Antiquité à l'époque moderne, je sais que certaines périodes auraient mérité plus d'informations (notamment l'influence de l’Église au Moyen-Âge à l'acte 3) mais j'invite fortement les personnes ne s'y connaissant pas et ayant été intrigué-e-s par certaines périodes à pousser leurs recherches à côté. Je trouve le dessin de Thomas Gilbert beau. Il illustre bien les différentes époques, les différents costumes, et se permet quelques petites libertés pour l'illustration du "ressenti" du mouvement par les artistes. Bref, si vous ne vous y connaissez pas en danse, cet album sera une introduction très fournies et les différents noms et techniques nommés et montrés vous permettront de pousser vos recherches si vous le désirez. Si vous vous y connaissez déjà en danse, vous pourrez l'utiliser pour visualiser et mémoriser certaines informations clés. (Note réelle 3,5)
Ambroise et Louna
J’ai balancé d’une rive à l’autre sans m’autoriser à t’aimer. - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Elle a été réalisée par Anaïs Halard pour le scénario, et par Amélie Clavier pour les dessins et les couleurs. Elle comprend quatre-vingt-dix-neuf pages de bande dessinée. Un oiseau passe haut dans le ciel bleu constellé de nuages blancs. Une petite chaumière nichée dans une clairière, à côté, un homme le torse nu s’active à enlever les plantes et la mousse qui ont partiellement recouvert la roulotte. Il tire d’un coup sec en y mettant toute sa force, pour arracher une longue liane. Il se redresse et s’éponge le front du revers de la main, en regardant le résultat. Depuis la fenêtre de la chambre, une femme l’observe. Elle se détourne et regarde la valise vide sur le lit, avec ses affaires autour. Elle a pris une fleur en tissu dans un coffret. Elle la contemple. Elle se souvient quelques années plutôt quand l’une des deux sœurs fixait cette même fleur dans ses cheveux, devant la porte de leur roulotte. Monsieur Loyal l’appelle : elle doit se dépêcher, c’est bientôt à elle et à sa sœur. Elle sourit : il l‘a appelé Paula, et il l’a encore confondu avec sa sœur Louna. Elle ouvre la porte de la roulotte et appelle sa sœur. Celle-ci lui répond qu’elle a entendu. Louna entre dans la roulotte et voit que sa sœur Paula n’est toujours pas habillée. Cette dernière explique qu’elle n’arrivait pas à sortir de sa sieste, elle faisait un rêve. Elle était allongée sur la scène, robe remontée, les yeux bandés, les rideaux baissés. Deux hommes étaient allongés là. Sa sœur jumelle l’interrompt en lui disant qu’elle fait exprès, et elle l’aide à se préparer. Sous le chapiteau, Monsieur Loyal souhaite la bienvenue aux spectateurs, leur promettant qu’ils vont rire et vibrer, avec des numéros jamais égalés, célèbres dans toute la France. Et il annonce Paula et Louna, les oiseaux du chapiteau. Celles-ci montent dans les cordes pour rejoindre les plateformes à partir desquelles elles s’élancent dans le vide, uniquement accrochées à leur trapèze. Paula surprend sa sœur en effectuant un triplé non prévu. Tout le monde les regarde en silence, bouche née, pendant toute la durée de leur numéro. Une fois celui-ci terminé, elles rejoignent la femme à barbe et les sœurs siamoises et quelques autres saltimbanques, pour le dîner autour d’une longue table. La soirée s’avançant, les uns et les autres rentrent dans leur roulotte. Paula et Louna décident de danser jusqu’à tard dans la nuit, discrètement observée par Ambroise, le lanceur de couteaux. Le lendemain, Paula se réveille après une belle cuite, encore attablée. Les forains abaissent le chapiteau, Ambroise vient maladroitement saluer Louna, et les roulottes reprennent la route vers leur prochaine destination. En cours de voyage, le chef du cirque décide d’arrêter le convoi dans le prochain village : il y a une rivière pour se rafraîchir. Paula reprend une conversation habituelle avec sa sœur : leur numéro mérite mieux que ce cirque. Louna ne souhaite pas qu’elle lui parle de nouveau de la Russie. Ambroise s’approche pour parler à Louna. Une époque pas explicitée : fin dix-neuvième siècle, peut-être début vingtième, pas d’automobile, des trains à vapeur et la Russie qui fait rêver en tant que nation semi-exotique. Un récit qui se cantonne à la campagne, à proximité de petites villes sans qu’elles ne soient montrées, à des roulottes, à une maison isolée, et à cinq courtes scènes sous le chapiteau. Le lecteur partage la vie et l’intimité de Paula et de Louna, puis du couple avec Ambroise et de leur fille Joséphine. L’histoire se focalise sur ce noyau familial et sur son évolution romantique. La narration visuelle s’avère très facile d’accès : des dessins aux contours un peu simplifiés, avec une touche parfois de naïveté, tout en présentant une bonne densité d’informations visuelles. Une mise en couleurs de type aquarelle venant apporter des textures aux formes détourées par un trait encré, et une ambiance lumineuse souvent un peu sombre. Le lecteur remarque quelques séquences silencieuses, quatorze pages en tout, trois dessins en pleine page et un en double page. Tout le texte se présente sous forme de dialogue, à l’exception de deux lettres lues à chaque fois par un personnage. Le récit est exempt de scène de violence, il ne s’agit pas d’un roman d’aventure ou d’une histoire d’action. Cette histoire d’amour rencontre des obstacles de différente nature, dont un décès et une naissance, sans virer au romantisme ou au drame sensationnaliste. Sans même en avoir conscience, le lecteur se laisse prendre au charme doux de la narration visuelle, effectuant des interprétations et des projections, par pur automatisme, se retrouvant ainsi tout naturellement impliqué dans la vie de ces jumelles. Il commence par partager un moment de connivence organique. Louna se fait la remarque qu’une fois de plus monsieur Loyal les a confondues : le lecteur peut voir l’acceptation, avec une pointe d’amusement sur le visage de Louna, car elle en a pris l’habitude depuis des années, et elle sait que ce sera sans fin. Elle rentre dans la roulotte : la lumière a déjà commencé à décliner, et l’éclairage assez faible est dispensé par une lanterne avec une bougie, et deux ou trois autres bougies à l’intérieur de la roulotte. Dans cette semi-pénombre, les deux jeunes femmes papotent, Paula se montrant facétieuse, Louna se montrant attentionnée envers elle. Au long de cette séquence, le lecteur observe les nombreux détails dans la roulotte : le miroir accroché au mur au-dessus de la table pour se maquiller et se démaquiller avec ses flacons, la petite alcôve avec le lit et les coussins, les deux crucifix accrochés au mur, le fauteuil, la petite table avec une lampe à huile et une statuette de la vierge, et un pot de fleurs sur une autre petite table. Louna porte déjà sa tenue de spectacle : des bas noirs, une culotte noire bouffante, un justaucorps blanc et un gilet ouvragé. Alors que sa sœur est encore en tenue de sommeil, une large culotte noire elle aussi et un haut sans manche. Le lecteur partage ce moment de complicité en toute simplicité, ressentant la tendresse existant entre ces deux sœurs, et la prévenance de l’une envers l’autre, née de nombreuses années vécues ensemble et de leur gémellité. Quelques pages plus loin, le lecteur est à nouveau le témoin privilégié d’un moment d’intimité délicat et doux. Alors que les deux sœurs se sont assises sur la berge de la rivière pour y tremper leurs pieds et ainsi se rafraîchir, Ambroise arrive et tend gentiment la main à Louna pour qu’elle se lève et qu’ils fassent quelques pas ensemble pour parler un peu. Les dessins font des merveilles : l’artiste dose avec sensibilité les contours encrés, la mise en couleur, celle-ci oscillant entre couleur directe et simple évocation des grandes masses en arrière-plan. D’une manière générale, la dessinatrice se montre économe en traits encrés, utilisés surtout pour détourer les silhouettes et la forme général des objets ou des éléments de décor. Cela contribue à la légèreté des images et à la douceur des personnages. La mise en couleur vient alors représenter d’autres éléments, dans cette séquence il s’agit des arbres et des plantes, des couleurs des vêtements et leur plis et ondulations. Elle rend également compte de la texture de la terre, du feuillage des végétaux, et de simples zones vertes ou marron viennent rappeler l’arrière-plan par des camaïeux abstraits. Ce mode de représentation induit que le rapprochement entre Ambroise et Louna se fait sans heurts, sans inquiétude, tout naturellement. En page soixante-dix-huit, le lecteur assiste au numéro de trapèze, en tant que spectateur assis dans les gradins. Pour cette planche, la dessinatrice se départit des compositions en bandes à base de cases rectangulaire, pour une image ronde centrale, et des images comme en rayon autour montrant les mouvements de la trapéziste, et la réaction d’un jeune garçon qui l’admire depuis le sol. Le lecteur peut lire la concentration sur le visage de la jumelle, son contentement exprimé par un léger sourire. La direction d’acteurs reste naturaliste dans ces moments. Le lecteur est confiant quant à la réussite du numéro car les autrices ne jouent pas sur la dramatisation ou le spectaculaire, et dans le même temps il est conscient de la profondeur des enjeux émotionnels pour les principaux personnages, Ambroise, Louna, Paula. Leur situation induit une tension affective qui les contraint à s’adapter. Les autrices jouent avec les éléments implicites. Louna et Paula étant jumelles, le lecteur commence par se dire qu’elles sont proches à en être identiques : la première scène le détrompe d’entrée de jeu, avec l’une plus sérieuse que l’autre, l’une plus nomade que l’autre, etc. Il existe donc une tension dès le départ entre Louna et Paula qui n’envisagent pas la suite de leur vie de la même manière. L’arrivée d’Ambroise ne se réduit donc pas à un artifice pour mettre un grain de sable dans une relation fusionnelle, puisqu’elles présentent déjà deux caractères différents, et des aspirations similaires mais pas identiques. La vie continue et Joséphine naît, modifiant à nouveau la dynamique relationnelle entre ces trois êtres humains, dans une configuration surprenante. La maladie soudaine du nourrisson génère une prise conscience brutale de ce qui leur tient à cœur, conduisant à des résolutions fermes. Le cours de la vie confronte les personnages au temps qui passe, à l’éloignement, au rapprochement, à la naissance de la vie nouvelle, aux aspirations professionnelles, à l’impermanence des choses, à la vie propre du sentiment amoureux pouvant évoluer, tout comme pouvant rester immuable. Une histoire simple de jumelles trapézistes dans un cirque à la fin du dix-neuvième siècle : à un moment chacune souhaitera vivre sa propre vie. Une narration visuelle au dosage parfaitement équilibré entre description et sensation, qui fait ressentir les émotions des personnages, au lecteur, de manière organique, en douceur. Sans dramatisation romantique, l’amour prend des formes différentes pour chaque personnage, plus ou moins malléables. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point.
L'Expert (Jennifer Daniel)
Ma note oscille entre le 3 et le 4 mais j'ai noté vers le haut parce que j'en ressors avec un sentiment plutôt positif. C'est une BD qui pose une histoire sur l'Allemagne bien sympathique, qui ne tourne pas que autour du nazisme mais propose une lecture assez amère des années 70. Et c'est à la fois intéressant comme propos mais aussi terriblement ironique. La BD est étrange de prime abord, avec son style de dessin très naïf et qui fait penser à un style pour enfant, mais il ne faut pas se fier aux apparences : la BD est très au clair sur l'utilisation de son dessin de manière efficace et précise. L'ensemble retrace le quotidien de cet employé sans histoire, sa mollesse, son alcoolisme (non avoué), son travail banal et tout le reste, le passé ... L'Allemagne des années 70 semble assez triste, de ce point de vue. Il y a une vraie fracture entre la jeune génération et l'ancienne (qui a vécue la seconde guerre mondiale et le Nazisme, ces questions réapparaissant dans les années 70), mais aussi une ambiance qui va bientôt exploser. C'est amusant de se plonger dans ces années-là, de voir la prévention de l'alcoolisme qui débarque par exemple. Mais c'est aussi se rappeler que ces années faisaient la jonction entre l'Allemagne nazie et post-guerre (donc occupée) et la nouvelle génération, n'ayant connue que l'occupation américaine puis la création de la RFA. Si l'histoire prend toutes ces thématiques comme arrière-plan d'une histoire plus "banale" d'un homme qui cherche une rédemption et ne se sent pas à sa place dans sa vie. Il a des relations conflictuelles avec son fils (d'ailleurs leur dernier dialogue est touchant !), des soucis avec l'alcool, le poids de son passé qui le hante ... C'est surtout les conflits interne du protagonistes qui ressortent, tandis que l'histoire semble nous embarquer ensuite vers autre chose. Mais c'est bien un polar centré sur l'individu et son tourment intérieur. J'ai personnellement bien aimé ce qu'il en ressort et les choix fait par le héros, qui se retrouve dans une situation délicate. Une BD assez simple mais bien faite, qui pose la situation d'une Allemagne au bord d'une crise majeure. Pas courant, bien traité et menée jusqu'au bout, je recommande !
1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta
J'avais vu cette bd à sa sortie et elle m'avait intéressé pour le thème qu'elle abordait : le XVIIème siècle et les débuts des grandes compagnies maritimes avec leurs lots de voyages dont on sait jamais si on en revient ! Il faut aussi avouer que la couverture en jette et j'ai donc pu me l'offrir il y a quelques jours. J'avais un à priori un peu mitigé sur cette bd; Dorison n'est pas mon scénariste préféré. Je reconnais que ses scénarios sont souvent fluides, sans lenteurs et bien écrits mais je ne les ai jamais trouvés exceptionnels. Au dessin, je ne connaissais pas Montaigne mais de ce que j'avais vu, c'était du Lauffray en un peu moins bien. Et justement que dire du dessin ? J'en suis très agréablement surpris. Si effectivement, la lecture de 1629 m'a bien confirmé l'influence de Lauffray, je trouve les planches très bien dessinées. On aura droit à quelques doubles planches ou des grandes cases qui prennent parfois toute une page. Elles renforcent l'immersion et nous plongent directement dans l'histoire, notamment pendant la tempête, c'était vraiment chouette. Le dessin rend de plus très bien de la misère d'une vie en pleine mer, mais aussi des tensions entre les personnages et les craintes qu'ils renferment, notamment grâce à un cadrage très dynamique et moderne, un cadrage qui m'avait d'ailleurs un peu rebuté en feuilletant la BD avant de la lire, moi qui suis plutôt habitué à celui clair et précis des anciennes BD, mais qui a le mérite que je viens d'évoquer. Notons aussi que la qualité des dessins ne se limitent pas aux personnages et à l'ambiance offerte. En effet, les décors (surtout ceux d'Amsterdam) ne sont pas bâclés, ce que j'ai tendance à remarquer de plus en plus souvent dans les BD des dernières années qui pourtant sont parfois adulées par les critiques, mais bon passons. Pour le scénario, comme je l'ai dit Dorison n'est pas mon auteur préféré, mais il a ici réussi à me faire vraiment aimé l'histoire qui pourtant à l'air assez classique en apparence : long voyage, tentatives de mutinerie et évidemment naufrage ( c'est pas vraiment un spoil vu que c'est évoqué en 4ème de couverture et dans le titre ;) ) Il va donc jouer sur la tension palpable entre les officiers et les marins mais aussi sur l'apparition d'un personnage énigmatique : l'apothicaire. Tous ces éléments parviennent donc à garder le lecteur en haleine, jusqu'à la scène de fin qui termine de belle manière le premier volet ! Parlons enfin du prix de cette BD. 35€, même si le format est très grand et qu'il y a 120 pages à lire, c'est beaucoup trop cher. Le choix éditorial peut être justifié si l'on compare par exemple avec Les Indes Fourbes d'Ayroles qui est au même prix. Mais cette dernière avait tout de même 30 pages de plus. 25€ voire 30€ maxi auraient été plus raisonnables. Finalement, je recommande quand même la lecture de cette histoire qui est la première d'un diptyque dont la suite s'avère encore plus passionnante ! Elle fut une très agréable surprise en ce début d'année et j'ai hâte de lire le dénouement ! TOME 2 : Le tome 2 garde les mêmes qualités scénaristiques du premier en jouant sur le suspens, les choix et dilemmes des personnages et la cruauté de l'apothicaire. Si l'histoire de la survie sur un îlot est moins passionnante que le voyage en mer du tome 1, elle propose une nouvelle approche du récit puisqu'il ne sera plus question de jeux de pouvoir et de mutineries, mais de dilemmes moraux et de survie face à un groupe de marins écrasants plus que de la quête de nourriture ou d'eau en attendant les secours. Concernant le dessin, il est toujours de très bonne qualité et le cadrage, comme dans le tome 1, permet de jouer sur des thèmes comme la solitude, la peur ou la colère. J'aurais bien aimé un peu plus de dessins en pleine planche comme dans le premier. Il y en a, mais ils sont moins spectaculaires. 35€, toujours très cher mais l'objet est vraiment très beau, la couverture est magnifique et ça fera très bien dans ma bibliothèque !
Les Divagations de Mr Sait-Tout
Une belle pioche trouvée en brocante et que je ne connaissais pas. Le nom de René Goscinny a largement suffi pour faire affaire. Et c'est avec grand plaisir que je suis revenu à une époque où l’humour dans la BD était encore bien sage mais efficace. Sous la plume de René Goscinny, Mr Sait-Tout, ce pseudo-historien aux théories fantaisistes, s’impose comme un personnage aussi ridicule que drôle. Il nous entraîne dans des récits absurdes, jonglant avec les anachronismes et les jeux de mots qui n’appartiennent qu’à Goscinny. L’invention de l’école par Charlemagne ou les mésaventures de Richelieu deviennent des mini-épopées burlesques, au ton faussement sérieux, comme si l’Histoire se permettait enfin de respirer un bon coup. Le dessin de Martial, bien dans la tradition du franco-belge, joue ici un rôle discret mais essentiel. Sans jamais voler la vedette, il accompagne les élucubrations de Goscinny avec une touche précise et expressive qui rend chaque personnage vivant et caricatural à souhait. Bien que Martial n’ait pas la notoriété d’Uderzo, son style apporte une vraie fraîcheur, oscillant entre la caricature et l’illustration humoristique. Je serais très facilement passé à côté et cela aurait été dommage. Du Goscinny pur jus : humour fin et absurde, et l’ensemble laisse un petit goût de nostalgie, un retour à cette époque où la BD se permettait de jouer avec les codes, tout en restant gentiment subversive.
Ar-Men - L'Enfer des enfers
Décidément, il est fort ce Emmanuel Lepage. Il nous livre ici bien plus qu’une simple BD sur un phare. C’est une incursion, presque mystique, dans l’univers brut et impitoyable de la mer d’Iroise, où le phare d’Ar-Men (l’enfer des enfers) se dresse comme une sentinelle à l’écart de tout. Les premières pages font immédiatement sentir le sel, l’humidité et la solitude de ce lieu où Germain, un gardien solitaire, assure la veille. Et le talent artistique de Lepage y jour pour beaucoup avec cette intensité du bleu profond de la mer et la texture presque palpable des vagues, tantôt sereines, tantôt déchaînées. L’histoire jongle assez habilement entre plusieurs récits : Germain, dans sa solitude, se remémore les mythes et légendes bretonnes, comme celui de la ville d’Ys, engloutie par les flots, tout en explorant la construction chaotique du phare à travers les souvenirs de Moïzez, un bâtisseur aussi tenace que les éléments qu’il affrontait. Les récits s’imbriquent, mêlant réalité historique et folklore breton, avec l’Ankou et les marins de l’île de Sein qui y font leur apparition, évoquant un passé où mythe et quotidien se confondaient. Lepage jongle avec des styles visuels différents pour rendre ces périodes et ces histoires distinctes. Ca fonctionne très bien même si les différents niveaux de récits, entre mythologie et histoire personnelle, peuvent sembler presque dispersés par moments. On passe de la solitude de Germain aux légendes de Ker-Is, avant de revenir au quotidien rude des bâtisseurs du phare. Cette superposition renforce aussi l’aspect mystique du lieu et du récit, comme si Ar-Men était le point de convergence de toutes ces histoires. Visuellement, c’est un pur régal. Lepage capture la violence de la mer, la force brute des vagues s’écrasant sur le phare, et la lumière du fanal qui transperce la nuit noire. Chaque case est un hommage à l’immensité de la mer et à la petitesse de l’homme face à elle. Les scènes de tempête, en particulier, sont magnifiques. Une BD qui sent la mer, au récit riche et équilibré et avec les superbes illustrations d'Emmanuel Lepage pour relever le tout. Que demander de plus ?
Marécage
Une très belle surprise pour moi aussi, presque un retour aux sources, avec ce même type de plaisir que j’avais ressenti en lisant La Quête de l'Oiseau du Temps pour la première fois. Je ne suis donc pas étonné de trouver Régis Loisel signant la préface du tome 2, un clin d’œil qui renforce l’idée que cette BD s’inscrit dans la même veine. Dès les premières pages, on comprend que le marécage n’est pas un simple décor : c’est un territoire étrange, sombre, grouillant de créatures et peuplé d’exilés. Ce lieu foisonne de détails, d’objets et de paysages à l’aura presque mystique, renforçant cette impression d’inconnu. C’est un univers qui puise ses inspirations un peu partout, empruntant des éléments mythologiques, un soupçon d'intrigues politiques, et même une touche mystique avec des créatures anthropomorphes et hybrides. Le dessin d’Antonio Zurera ne m'a pas laissé indifférent, même si je dois dire qu’il m’a fallu quelques pages pour m’y habituer. Son trait est parfois très foisonnant, et peut sembler confus avec des hachures qui se mêlent aux couleurs sombres et saturées. Pourtant, une fois passé ce premier cap, on découvre une vraie richesse visuelle. Les couleurs, très vives, apportent une dimension onirique et presque oppressante, bien en phase avec cet univers inhospitalier. S'il fallait lui trouver un défaut, je dirais comme d'autres avant moi que la composition des cases et le positionnement des bulles ne facilitent pas toujours une lecture fluide. L’intrigue, elle, tient bien la route. Sur une base classique de complot autour de la succession au trône, l’histoire prend une tournure inattendue, brouillant les pistes avec de multiples personnages et une succession de rebondissements. Les personnages sont bien campés, chacun avec sa propre dynamique, ses mystères et ses ambitions. Une œuvre audacieuse, où les petites imperfections de début de série côtoient une profondeur indéniable. C’est ce genre de BD où j'accepte volontiers de me perdre un peu, pour mieux me laisser porter par une atmosphère travaillée et qui donne envie de découvrir chaque recoin de ce monde. Un univers dense et surprenant, qui mérite qu’on s’y plonge sans réserve. Un début de série très prometteur !
Moi, Fadi - Le Frère volé
J'ai mis longtemps à lire Riad Sattouf, peut être échaudé par des projets que je percevais comme trop commerciaux, des sujets qui ne me touchaient pas vraiment (Les Cahiers d'Esther, les Beaux Gosses,...). Je n'étais pas trop en phase. Et L'Arabe du futur m'est tombé dans les mains. Je ne peux pas dire autrement, je ne l'ai pas acheté, on me l'a offert. Et j'ai découvert un auteur, puis un homme en écoutant ses interventions, ses interviews, et ça a résonné. Je me suis lancé dans son histoire via L'Arabe du futur et j'ai été captivé par cette histoire de famille, sincère, pleine de drames, mais présenté avec un optimisme naïf qui rend le tout tolérable humainement. Pour Moi, Fadi, le frère volé, on change d'angle, mais pas la recette. Si comme moi, vous avez aimé L'arabe du Futur, vous plongerez dans Moi, Fadi avec le même plaisir. Si l'histoire de Riad vous a interpellé, vous ne pouvez pas laisser de côté le point de vue de Fadi. Je l'attendais même. Graphiquement, narrativement, comme je l'ai dit, rien ne change avec L'Arabe du futur. Si le graphisme vous a arrêté sur la première série, aucune chance que Moi, Fadi trouve grâce à vos yeux. Mais l'utilisation des couleurs par Riad Sattouf reste habile et donne une lecture des sentiments de ses personnages. Dans la narration, le ton est juste. Dans ce premier tome, un bon tiers de l'histoire est déjà connue, car elle commence en Bretagne avec Riad et ses frères, mais on a fait un pas de côté, pour se rendre compte que si le cadre est le même, la perception change (un peu). Rien d'anormal, et celui ou celle qui a un frère ou une soeur, le sait bien. Riad Sattouf, dans la position du frère, rend cependant habilement compte du point de vue de son frère, et très rapidement il s'efface pour qu'on ne retrouve que Fadi et son histoire. Terrible et captivante.
Pleine lune (Moussé)
Décidément, les éditions du Tripode développent un catalogue des plus originaux et intéressants. J’y trouve mon compte dans leurs publications « littéraires », mais aussi dans leurs BD. C’est le quatrième album de Stanislas Moussé qu’ils publient, et c’est encore une belle réussite ! Ceux qui ont lu les trois précédents ne seront pas dépaysés. On a encore là un travail graphique unique, qui signe un auteur. Personnages et décors sont de prime abord dessinés de façon minimalistes, mais avec force détails pour « l’habillage ». Un dessin au stylo minutieux, parfois délirant sur certaines pages. Cela donne un rendu stylisé, qui convient parfaitement à l’univers médiéval fantastique (ici plutôt oriental je trouve) de Moussé. Et, comme toujours, des personnages avec un œil unique. Mais, malgré cela, et le fait que l’album soit une nouvelle fois entièrement muet, l’ensemble est très expressif, dynamique. Et plaisant à lire. Passages guerriers, humoristiques et horrifiques se succèdent, sous les yeux d’un pauvre lapin (et sous la présence écrasante de la lune), dans un récit un peu décousu, mais qui est rythmé et agréable à suivre. En tout cas Moussé est un auteur à découvrir, si ça n’est pas déjà fait.
La Marche Brume
Un très bon premier tome ! Non content de nous raconter une histoire aux allures de conte, nous parlant d’écologie, de spiritualité et un peu de féminisme aussi, ce premier album arrive à être plus qu’une simple introduction à son récit et à son univers. Beaucoup de choses sont développées ici et, même si beaucoup restent en suspens, on ne ressort pas en se disant d’avoir assister à la simple lecture d’un incipit. Petit spoil le temps de ce court paragraphe (spoil sans doute peu important in fine car il s’agit d’un aspect qui définira la suite de la série mais ça reste un twist qui surgit à la moitié de cet album). J’ai beaucoup apprécié le fait de traiter le sujet post-apocalyptique sous l’angle d’un retour à la spiritualité et à une vie plus proche de la nature. Ce n’est pas nouveau mais c’est un type de récit qui me parle tout particulièrement. Les dessins de Stéphane Fert sont, comme toujours, magnifiques. De belles couleurs vives jouant sur des contrastes sombres, des formes rondes et un style presque crayonné. Sans doute pas du goût de tout le monde, personnellement je trouve ses dessins pleins de charme. Le cahier de brouillons à la fin est un vrai plus pour moi. Une série que je vais suivre avec assiduité.