Cet album est très intéressant. D’une part parce qu’il explique de façon très simple et très claire comment les multinationales s’exonèrent des obligations collectives en matière fiscale, en jouant sur les règles, avec la complicité de dirigeants politiques, et d’États aux allures de paradis fiscaux – ici le Luxembourg, avec des boites de Conseils et d’Audit spécialisées pour les conseiller à frauder le fisc.
L’autre intérêt est de montrer, au travers de ce qui est arrivé à Antoine Deltour, qui travaillait dans l’un de ces cabinets géants (qui œuvrent pour « accompagner » les multinationales du monde entier – celles qui ont des « sièges sociaux » ne contenant qu’une boîte aux lettres au Luxembourg) et qui est devenu « lanceur d’alerte », fournissant des documents à "Cash Investigation" - entre autres. C’est le début pour lui d’un harcèlement judiciaire de la part de son ancien employeur – secondé par la justice luxembourgeoise au début. Cela interroge donc aussi sur le statut de lanceur d’alerte, officiellement défendu, mais qui en fait est plus que fragile. Et il faut beaucoup de courage pour le devenir et le rester, puisque plusieurs années de combat judiciaire, de pressions diverses s’ensuivent.
La narration est agréable et limpide, y compris lorsque Deltour explique les mécanismes de la fraude. On reste pourtant dégoûté en comprenant que rien n’a changé sur le fond, puisque les mécanismes qui permettent aux multinationales d’utiliser le dumping fiscal et les complicités des dirigeants leur permettent toujours de ne presque rien payer en impôts sur leurs réels bénéfices. Comme le rappelle Deltour (et c’est le moteur de son action), ceci entraine la baisse des investissements dans l’éducation, le social, les hôpitaux, etc., puisque l’argent qui leur serait nécessaire est détourné au profit des actionnaires des grands groupes, suite à quelques jeux d’écriture.
Un album peu épais, vite lu, mais instructif (à compléter avec quelques articles du Monde diplo, quelques émissions d’Élise Lucet – qui se fend de la préface et certains livres et BD de Denis Robert).
Une lecture recommandée.
"La Gloire de mon père" et Le Château de ma Mère , sa suite, ont la particularité d'être des excellents romans bénéficiant de très bonnes adaptations ciné et BD. J'aime beaucoup l'univers marseillais de Pagnol et je trouve que la collection proposée par Stocco et Stoffel rend fidèlement hommage à ce grand artiste. Pagnol est un auteur très "cinématographique" dans ses récits. C'est donc presque naturel de retrouver le même déroulé scénaristique dans la série. Pas de surprise donc mais un plaisir évident de retrouver cet équilibre entre l'intimité de l'enfance heureuse, la peinture sociétale et sociale de ce début de siècle où la séparation de l'Eglise et de l'Etat est une grande affaire, et la pointe d'ironie sur l'image idolâtrée du père. Les dialogues sont souvent issus du roman ce qui apporte une belle qualité littéraire à la série.
Le graphisme de Tanco qui manie humour des expressions et précision des paysages contribue grandement à la qualité d'une lecture dont je ne me lasserai jamais.
Shuzo Oshimi est décidément un auteur à part et cette série le prouve encore une fois.
L'auteur aime parler de sujets durs et souvent tabous sans prendre les gants et ce n'est donc pas une lecture que je recommande à tout le monde. Il y a des passages très crus montant la sexualité et les fantasmes d'adolescents qui risquent de choquer les âmes sensibles.
L'histoire met en avant trois adolescents qui sont mal dans leur peau et surtout dans les rôles que leur donne la société japonaise qui est très conformiste et rigide sur ce que doit être un homme et ce que doit être une femme et gare à celui ou celle qui ne tient pas son rôle convenablement. Je ne vois pas trop quoi ajouter de plus à l'avis de gruizzli hormis que je suis souvent d'accord avec son avis.
L'auteur réussit le tour de force de montrer du sordide sans tomber dans l'exploitation de bas étages. On sent un amour pour les personnages même lorsqu'ils font des trucs malsains. Il faut dire que l'auteur se sent concerné par le sujet et a donc mis beaucoup de lui-même dans cette série...
Les 7 tomes se lisent bien. Il faut dire qu'il y a souvent peu de texte durant plusieurs pages de suite. La mise en scène est incroyable.
Brave Bell est un manga dense qui apporte une trame originale mêlant de nombreuses thématiques et qui ne se laisse pas deviner.
Cela commence comme un shonen classique, avec un héros lycéen qui a la particularité d'être le fils d'un chef yakuza et d'avoir une vie scolaire particulière à cause de l'aura que cela implique. Une seule fille au lycée ose en effet le traiter d'égal à égal, mais hormis cela il se sent bien seul. Jusqu'au jour où tout le clan de sa famille est massacré par une organisation inconnue et qu'il se retrouve avec la vengeance comme seul objectif. Mais avant cela, il doit découvrir ce que contient le coffre bancaire que son père lui a laissé en héritage. Qu'elle n'est pas sa surprise de découvrir qu'une jeune fille y est hébergée, une petite soeur qui lui était inconnue et dont il apprend qu'elle détient un pouvoir surnaturel de même que l'une des antagonistes qu'il rencontre par la même occasion ! C'est avec l'aide de cette enfant et de ses pouvoirs, ainsi qu'avec le soutien de sa seule amie du lycée, qu'il va continuer à mener l'enquête pour comprendre qui est cette organisation qui a tué sa famille.
Un scénario complexe et intense pour un récit plutôt noir, avec une dose de polar et une autre de fantastique.
On sent qu'il dispose d'un scénariste d'une part et d'un dessinateur d'autre part, contrairement à ces séries manga où un seul auteur s'occupe des deux. Car en effet le dessin est ici tout aussi pro et travaillé que le scénario. Les planches sont soigneusement réalisées, avec un trait réaliste et détaillé. Il y a un gros boulot derrière ça et la narration reste très lisible.
L'histoire est rythmée, très prenante, avec une bonne intelligence dans son déroulement et sa mise en scène. Il se passe beaucoup en un unique tome d'introduction et on se demande vraiment où l'intrigue va nous mener pour se terminer en 6 tomes. A suivre de près.
Une BD qui se lit le sourire aux lèvres.
Le plaisir de retrouver le duo de Celle qui fit le bonheur des insectes.
Je suis un peu embêté, je ne peux pas vous dévoiler ce qui se cache derrière cette crevette, il faut garder la surprise. Bon d'accord, un indice : il ne s'agit pas du crustacé.
Un Vaudeville à l'ancienne, où l'amour ne sera pas absent, dans le Paris de 1953.
On va côtoyer la lingerie fine dans le magasin la Divine, un magasin dirigé par l'acariâtre Séraphin.
Un album savoureux aux situations cocasses, aux dialogues truculents et aux personnages attachants. Il y a évidemment la jolie Aline (aux seins riquiqui) qui va découvrir le petit secret de son patron, l'exubérante Brigitte à la forte poitrine (bonnet F), mais aussi un mannequin du magasin, le témoin immobile de tout ce petit monde.
Un récit sur un rythme soutenu, à l'humour savamment dosé et agrémenté de la voix off du mannequin.
Et le message de fond pourrait être : ce n'est pas parce que la nature ne vous a pas gâté que vous n'avez pas droit au bonheur.
Un Zidrou en grande forme !
Le dessin de Paul Salomone est toujours aussi beau. Un trait fin, lisible et expressif rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Il magnifie ce Paris des années cinquante.
La mise en page est dynamique.
La couverture avec cette crevette au milieu d'un cœur formé par des soutiens-gorge est un parfait condensé de cette comédie.
Un album qui donne la banane ! ;)
Coup de cœur.
Garulfo, c'est l'histoire d'une grenouille éponyme qui, las de sa condition de batracien et envieuse des humains qu'elle idéalise depuis toujours, va un jour trouver une fée pour exaucer son souhait : pouvoir devenir un homme. Malheureusement, l'humanité est bien loin de l'image optimiste qu'il en avait, et c'est bientôt la cruauté, l'injustice et la vilenie qui feront son monde. A moins qu'il puisse parvenir à redevenir une grenouille insouciante…
Ajoutez à cela un prince humain qui lui aurait bien besoin d'une bonne dose d'empathie et d'une leçon de gentillesse et de politesse et vous aurez la base de cette série : un conte sur la nature humaine.
Des textes bien construits, une histoire jouant des codes des récits chevaleresques, des clins d'œil à des contes bien connus de-ci de-là, un propos filé sur la cruauté humaine et, par son libre arbitre, le potentiel de l'humanité à devenir meilleure, … bref, l'œuvre est pleine de qualités. C'est du bon, du très bon même. Pourtant ça n'atteint pas le "culte" pour moi. Cela n'en est pas loin, je ne saurais pas vraiment dire ce qui manquerait, mais c'est mon ressenti : très bon mais pas parfait.
(Note réelle 3,5)
Moi, j’ai beaucoup aimé.
Je vois que les autres lecteurs ont trouvé cette lecture un peu « creuse » ou « légère », ce que je comprends parfaitement. La narration est très contemplative, il ne se passe finalement pas grand-chose, il s’agit plus d’une promenade poétique, un peu onirique, et remplie de symbolisme. J’y ai personnellement vu une réflexion sur notre place dans la société, le rôle que nous y jouons, l’importance de nos contributions personnelles… des thèmes plus que jamais importants. Oui, la réflexion reste superficielle, mais cela ne m’a pas dérangé.
Graphiquement c’est surprenant, avec une ligne claire rappelant un peu le style Ghibli. En tout cas, j’ai trouvé les planches magnifiques, et surtout parfaitement lisibles.
Un moment de lecture introspectif et paisible.
Cette petite série pour la jeunesse autour de 6 ans est pleine de fraicheur et d'intelligence. Vincent Roché transpose à la préhistoire des thématiques que rencontrent très vite les jeunes enfants : la quête d'autonomie, leurs limites , le partage et l'entraide. En positionnant l'action à la préhistoire l'auteur rend son récit universel en montrant qu'un enfant né il y a 50 000 ans pouvait avoir les mêmes préoccupations que celui qui tient le livre entre ses mains. Les dialogues sont bien construits et accessibles à un lectorat débutant.
Le graphisme est une ligne claire assez minimaliste qui va à l'essentiel: expressivité et dynamisme.
Une lecture que l'on peut tenter seul(e) avec un(e) copin(e) voire un adulte. Très sympa. Une note qui tient compte du public cible.
Après m'avoir littéralement conquis avec son récit se déroulant à Londres au XIXème siècle Les Arcanes de la Maison Fleury, Gabriele Di Caro récidive dans cet album érotique qui se passe cette fois ci dans l'Amérique profonde des années 50. Le dessin est toujours aussi somptueux et le scénario emprunte, une fois de plus, quelques éléments fantastiques qui font de cette aventure un mystère pour le lecteur.
Nous suivons, sous prétexte du concours du fruit le plus doux, plusieurs personnages aussi délurés qu'énigmatiques : une serveuse nymphomane, un journaliste poursuivi par la mafia, un couple modèle -enfin presque-, un peintre libidineux, une sublime riche héritière, et enfin deux vieillards poursuivis par un passé macabre, bref une galerie de portrait assez réussie.
Gabriele Di Caro a beaucoup de talent pour dessiner les femmes bien pourvues et l'érotisme qui traverse cet album est parfaitement bien mis au service d'un scénario qui donne envie au lecteur de connaître la suite.
Bref un érotisme raffiné avec un récit solide.
Une lecture réservée à un public averti, il va sans dire.
C’était un soldat dans un pays devenu fou.
-
Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2004. Il a été réalisé par Alex Nikolavitch pour le scénario, et par Marc Botta pour le dessin et les couleurs. Il comporte quarante-quatre pages de bande dessinée.
Un prisonnier de guerre est conduit à l’échafaud par des soldats la police militaire. L’un d’eux lui demande s’il a une déclaration à faire. Le colonel Dorscheid répond que pas vraiment. Il voudrait juste une dernière cigarette ; il ajoute qu’il a un paquet dans sa poche. Un policier lui met une clope au bec, et lui allume. Il est arrivé devant le nœud coulant qui lui est passé autour du cou. On lui retire sa cigarette, et un gradé russe salue, pendant que le colonel est pendu. Après quoi il s’éloigne et est abordé par un autre gradé russe qui lui demande si c’est fait, puis s’il repart pour Leningrad. Tchektariov, commissaire politique russe, lui répond que sans doute, et il poursuit son chemin. Il repense au pendu : Dorscheid était mort. La paix avait été signée presque deux ans auparavant mais pour lui Tchektariov, c’était comme si la guerre avait attendu cet instant pour finir. Une guerre qui pour lui avait vraiment commencé en novembre 43, dans les hauteurs autour de Kiev. Le mont Chauve fut le Golgotha pour les hommes de ce bataillon d’infanterie dont il était le commissaire politique. C’était la première fois qu’il voyait le feu. Séparé de ses hommes, sa seule ressource était de trouver un abri jusqu’à la fin des bombardements. Un abri à peu près sûr. Une cave par exemple. Ils étaient dans une cave, de nuit, au cœur du mois de novembre, et pourtant il était en nage. Mais entre un officier de la Wehrmacht et les bombes qui pleuvaient, il ne savait pas trop quel choix faire.
Le commissaire politique Tchektariov s’est réfugié dans une cave pour se mettre à l’abri des bombes. Il découvre un colonel de la Wehrmacht assis à même le sol, le colonel Dorscheid. Plutôt que de s’exterminer, Dorscheid lui demande du feu, et propose de lui donner une cigarette en échange. Il estime que c’est une transaction honnête. Tchektariov accepte, tout en estimant que c’est un peu tôt pour la trêve de Noël. Le colonel lui fait observer qu’il ne sait pas où ils seront fin décembre. Ils allument également une lampe à pétrole qui se trouve là. Tchektariov comprend que Dorscheid lui a offert son avant-dernière cigarette. Ils évoquent le bombardement en cours. Le colonel dit que ça ne servira pas à grand-chose si c’est les Allemands qui lâchent des bombes. Il continue : Pilonner pourra tout juste couvrir la retraite de l’infanterie, ou de ce qu’il en reste. Pour lui, l’Armée rouge aura du mal à être arrêtée maintenant, les Russes seront bientôt en Pologne, puis à Berlin, puis… Et puis, il ne sait pas : si les Américains débarquent, ils empêcheront peut-être les Russes d’atteindre Paris. Mais l’armée allemande n’est plus en état de se battre, et n’en a plus envie d’ailleurs. Pour lui, il faut être fanatique, ou désespéré pour vouloir s’interposer entre les Russes et l’ouest. Le commissaire politique fait le constat qu’on dit que la mélancolie fait partie intégrante de l’âme russe. Pour lui, c’est faux : en deux ans de présence ici, le pays l’a contaminé, il est comme les Allemands. C’est cette terre qui est mélancolique, qui rend mélancolique.
Une couverture à la manière de George Pratt, fort évocatrice, faisant appel à la culture du lecteur pour reconnaître l’allure d’un uniforme militaire allemand, et un autre évoquant un uniforme russe. En parcourant rapidement ce volume, le lecteur voit une approche assez originale concernant la couleur et les caractéristiques du dessin. La séquence d’ouverture se présente sus la forme de dessins réalisés au crayon, avec des traits de contour également au crayon, et des nuances d’ocre qui viennent habiller les silhouettes et les murs. Puis l’artiste passe à des contours encrés d’un trait fin et irrégulier. Il recourt ensuite au noir & blanc avec des nuances de gris, comme s’il peignait, se débarrassant rapidement des traits de contour au bout de deux pages. Une fois cette séquence achevée, il revient à l’usage des traits de contour encrés et des nappes de couleurs, avec de repasser dans le passé en noir & blanc sans traits de contour. Puis de revenir enfin au présent. Cela produit sur le lecteur, l’impression de peintures en noir & blanc pour les scènes du passé, rendant les souvenirs moins précis, patinés, comme vu à distance, ce qui les rend immuables et leur confère une qualité de destin implacable.
Le scénariste situe clairement le temps présent de son récit : à la fin de la seconde guerre mondiale, alors que les prisonniers de guerre commencent à être jugés et exécutés. Il en va encore plus précisément pour le la ligne temporelle dans le passé : novembre 1943 dans les hauteurs autour Kiev. De la même manière, il identifie explicitement la nationalité des deux protagonistes : russe et allemande, ainsi que leur fonction, commissaire politique et colonel de l’armée. Le dessinateur représente les éléments visuels qui permettent de les distinguer facilement : les insignes militaires, la forme de leur couvre-chef, la coupe de leur uniforme. Il en va de même pour les différents soldats, et pour la police militaire. Sans être de nature photographique, les dessins comprennent les détails nécessaires à la compréhension du lecteur. Les auteurs évoquent la seconde bataille de Kiev, opération de l'Armée rouge et contre-attaque de la Wehrmacht entre le 3 octobre et 22 décembre 1943. Puis, alors que l’armée allemande se désagrège et reflue en désordre, le commissaire politique russe se joint à une colonne d’infanterie qui va marcher vers Berlin en traversant la Biélorussie, pour rejoindre la Pologne, stationner quelque temps à Varsovie, et reprendre la marche jusqu’à Berlin.
Le dessinateur représente des scènes effroyables, trouvant le juste équilibre entre ce qu’il montre, et ce qu’il laisse à l’imagination du lecteur, rendant ces pans d’ombre encore plus horribles. Il voit la corde passée autour du cou de Dorscheid, sans assister au spectacle du nœud qui se resserre. Il voit les soldats avancer dans la neige, avec la sensation du froid qui le pénètre, sans aller jusqu’à la représentation de la morsure du froid et des souffrances physiques correspondantes. Par la suite, Tchektariov évoque dans son flux de pensée les abominations dont il est le témoin : Partout où ils passaient, ce n’étaient que scènes de désolation, Les plaines fertiles de l’Ukraine labourées par les clous et les chenilles des chars, engraissées par des cadavres sans nombre, l’ordre de ne pas faire de prisonniers parmi les SS qui tenaient la région (De toute façon, ses hommes n’avaient pas envie de faire de quartier), villages rasés, tous les habitants enterrés dans des fosses communes. La Biélorussie avait souffert encore plus que l’Ukraine. L’ennemi était désespéré et vivait sur un pays devenu plus qu’hostile. Toute résistance donnait lieu à des représailles.et le simple fait de n’avoir plus rien à manger, et donc de ne rien pouvoir donner, était considéré comme un acte de résistance. Les seules représailles encore possibles étant l’anéantissement total. La destruction, faute d’avoir un sac de farine ou un poulet. Accompagnant cet énoncé, le lecteur peut voir des images évoquant ces horreurs : des soldats avançant en groupe leur arme pointée devant eux, un officier allemand assis à même le sol avec un pistolet pointe sur l’arrière de son crâne par un soldat russe debout, de vagues formes humaines allongées sur le sol certainement des cadavres dans la neige. Et plus tard, un cadavre pendu à un lampadaire dans une rue de Varsovie, jusqu’à l’horreur de la solution finale avec un survivant dans son uniforme de prisonnier. Pour terminer avec une interprétation de la célèbre photographie Le Drapeau rouge sur le Reichstag, cliché d'Evgueni Khaldeï pris le 2 mai 1945 sur le toit du palais du Reichstag, à Berlin.
Le lecteur se retrouve complètement pris par cette narration visuelle entre description et sous-entendus, le faisant participer par automatisme, l’impliquant en faisant appel à son imagination pour compléter les zones imprécises. La voix intérieure de Tchektariov guide la narration, les images donnent à voir les situations au lecteur, les actions des personnages, elles rendent concret ce qui resterait sinon désincarné. Le lecteur commence par éprouver de l’empathie pour le commissaire politique, puisqu’il le voit dans une situation de péril, alors qu’il voit le feu pour la première fois, qu’il est vierge de tout acte de guerre. Par le hasard des circonstances, deux homes de camp ennemi se retrouvent à partager le même abri : ils font preuve de sens pratique. Pas de raison de se massacrer, de tuer l’autre : ce sont deux êtres humains en présence, inconnu l’un pour l’autre, sans motif de haine personnelle. Puis la vie reprend son cours normal, ou plutôt la guerre continue. Ils se revoient deux ans plus tard, dans des circonstances où ils incarnent chacun une facette de leur pays respectif, sans possibilité de se soustraire à cette fonction. Tchektariov se fait la réflexion que : Dorscheid était allé au bout de la guerre et avait commis l’erreur de se laisser entraîner dans celle des autres, c’était un soldat dans un pays devenu fou. Le commissaire politique russe dispose du recul nécessaire pour avoir conscience que lui-même il a fait exécuter des hommes servant dans son unité. Parce qu’ils n’étaient pas dans la ligne. Il est également déjà le témoin des prémices de l’après-guerre, de la valeur différenciée des prisonniers, selon qu’ils servent d’exemple, ou bien qu’ils soient discrètement escamotés parce qu’ils pourront servir (par exemple les savants et les industriels) dans des guerres futures. Sans être né en 17 à Leidenstadt, Tchektariov fait le constat que chacun, suivant les circonstances et les pressions, peut devenir un Dorscheid. Il est possible de se sauver soi-même, si l’on prend la décision de partir. De disparaître. De cesser d’être un rouage dans la machine.
Une histoire de guerre de plus : une amitié éphémère entre un colonel allemand et un commissaire politique russe à Kiev, le temps d’un bombardement durant la seconde guerre mondiale, et la suite. Une narration visuelle évoquant des peintures en noir & blanc, avec des nuances de gris en temps de guerre, plus classiques avec trait de contour, juste à la fin de la guerre. Elle rend concret l’environnement et l’époque, avec les éléments pertinents pour illustrer le flux de pensées du narrateur, et d’imprécision pour ne pas obérer l’horreur de ce qu’il évoque. Le lecteur sent peser sur lui la présence de la mort soudaine et arbitraire, ainsi que les prises de décision et les ordres ayant pour conséquence de donner la mort. Il se retrouve à éprouver de la compassion pour Tchektariov, mais aussi pour le colonel de la Wehrmacht. Miséricordieux.
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Fronde fiscale - Antoine Deltour - Parcours d'un lanceur d'alerte
Cet album est très intéressant. D’une part parce qu’il explique de façon très simple et très claire comment les multinationales s’exonèrent des obligations collectives en matière fiscale, en jouant sur les règles, avec la complicité de dirigeants politiques, et d’États aux allures de paradis fiscaux – ici le Luxembourg, avec des boites de Conseils et d’Audit spécialisées pour les conseiller à frauder le fisc. L’autre intérêt est de montrer, au travers de ce qui est arrivé à Antoine Deltour, qui travaillait dans l’un de ces cabinets géants (qui œuvrent pour « accompagner » les multinationales du monde entier – celles qui ont des « sièges sociaux » ne contenant qu’une boîte aux lettres au Luxembourg) et qui est devenu « lanceur d’alerte », fournissant des documents à "Cash Investigation" - entre autres. C’est le début pour lui d’un harcèlement judiciaire de la part de son ancien employeur – secondé par la justice luxembourgeoise au début. Cela interroge donc aussi sur le statut de lanceur d’alerte, officiellement défendu, mais qui en fait est plus que fragile. Et il faut beaucoup de courage pour le devenir et le rester, puisque plusieurs années de combat judiciaire, de pressions diverses s’ensuivent. La narration est agréable et limpide, y compris lorsque Deltour explique les mécanismes de la fraude. On reste pourtant dégoûté en comprenant que rien n’a changé sur le fond, puisque les mécanismes qui permettent aux multinationales d’utiliser le dumping fiscal et les complicités des dirigeants leur permettent toujours de ne presque rien payer en impôts sur leurs réels bénéfices. Comme le rappelle Deltour (et c’est le moteur de son action), ceci entraine la baisse des investissements dans l’éducation, le social, les hôpitaux, etc., puisque l’argent qui leur serait nécessaire est détourné au profit des actionnaires des grands groupes, suite à quelques jeux d’écriture. Un album peu épais, vite lu, mais instructif (à compléter avec quelques articles du Monde diplo, quelques émissions d’Élise Lucet – qui se fend de la préface et certains livres et BD de Denis Robert). Une lecture recommandée.
La Gloire de mon Père
"La Gloire de mon père" et Le Château de ma Mère , sa suite, ont la particularité d'être des excellents romans bénéficiant de très bonnes adaptations ciné et BD. J'aime beaucoup l'univers marseillais de Pagnol et je trouve que la collection proposée par Stocco et Stoffel rend fidèlement hommage à ce grand artiste. Pagnol est un auteur très "cinématographique" dans ses récits. C'est donc presque naturel de retrouver le même déroulé scénaristique dans la série. Pas de surprise donc mais un plaisir évident de retrouver cet équilibre entre l'intimité de l'enfance heureuse, la peinture sociétale et sociale de ce début de siècle où la séparation de l'Eglise et de l'Etat est une grande affaire, et la pointe d'ironie sur l'image idolâtrée du père. Les dialogues sont souvent issus du roman ce qui apporte une belle qualité littéraire à la série. Le graphisme de Tanco qui manie humour des expressions et précision des paysages contribue grandement à la qualité d'une lecture dont je ne me lasserai jamais.
Welcome back, Alice
Shuzo Oshimi est décidément un auteur à part et cette série le prouve encore une fois. L'auteur aime parler de sujets durs et souvent tabous sans prendre les gants et ce n'est donc pas une lecture que je recommande à tout le monde. Il y a des passages très crus montant la sexualité et les fantasmes d'adolescents qui risquent de choquer les âmes sensibles. L'histoire met en avant trois adolescents qui sont mal dans leur peau et surtout dans les rôles que leur donne la société japonaise qui est très conformiste et rigide sur ce que doit être un homme et ce que doit être une femme et gare à celui ou celle qui ne tient pas son rôle convenablement. Je ne vois pas trop quoi ajouter de plus à l'avis de gruizzli hormis que je suis souvent d'accord avec son avis. L'auteur réussit le tour de force de montrer du sordide sans tomber dans l'exploitation de bas étages. On sent un amour pour les personnages même lorsqu'ils font des trucs malsains. Il faut dire que l'auteur se sent concerné par le sujet et a donc mis beaucoup de lui-même dans cette série... Les 7 tomes se lisent bien. Il faut dire qu'il y a souvent peu de texte durant plusieurs pages de suite. La mise en scène est incroyable.
Brave Bell
Brave Bell est un manga dense qui apporte une trame originale mêlant de nombreuses thématiques et qui ne se laisse pas deviner. Cela commence comme un shonen classique, avec un héros lycéen qui a la particularité d'être le fils d'un chef yakuza et d'avoir une vie scolaire particulière à cause de l'aura que cela implique. Une seule fille au lycée ose en effet le traiter d'égal à égal, mais hormis cela il se sent bien seul. Jusqu'au jour où tout le clan de sa famille est massacré par une organisation inconnue et qu'il se retrouve avec la vengeance comme seul objectif. Mais avant cela, il doit découvrir ce que contient le coffre bancaire que son père lui a laissé en héritage. Qu'elle n'est pas sa surprise de découvrir qu'une jeune fille y est hébergée, une petite soeur qui lui était inconnue et dont il apprend qu'elle détient un pouvoir surnaturel de même que l'une des antagonistes qu'il rencontre par la même occasion ! C'est avec l'aide de cette enfant et de ses pouvoirs, ainsi qu'avec le soutien de sa seule amie du lycée, qu'il va continuer à mener l'enquête pour comprendre qui est cette organisation qui a tué sa famille. Un scénario complexe et intense pour un récit plutôt noir, avec une dose de polar et une autre de fantastique. On sent qu'il dispose d'un scénariste d'une part et d'un dessinateur d'autre part, contrairement à ces séries manga où un seul auteur s'occupe des deux. Car en effet le dessin est ici tout aussi pro et travaillé que le scénario. Les planches sont soigneusement réalisées, avec un trait réaliste et détaillé. Il y a un gros boulot derrière ça et la narration reste très lisible. L'histoire est rythmée, très prenante, avec une bonne intelligence dans son déroulement et sa mise en scène. Il se passe beaucoup en un unique tome d'introduction et on se demande vraiment où l'intrigue va nous mener pour se terminer en 6 tomes. A suivre de près.
La Crevette
Une BD qui se lit le sourire aux lèvres. Le plaisir de retrouver le duo de Celle qui fit le bonheur des insectes. Je suis un peu embêté, je ne peux pas vous dévoiler ce qui se cache derrière cette crevette, il faut garder la surprise. Bon d'accord, un indice : il ne s'agit pas du crustacé. Un Vaudeville à l'ancienne, où l'amour ne sera pas absent, dans le Paris de 1953. On va côtoyer la lingerie fine dans le magasin la Divine, un magasin dirigé par l'acariâtre Séraphin. Un album savoureux aux situations cocasses, aux dialogues truculents et aux personnages attachants. Il y a évidemment la jolie Aline (aux seins riquiqui) qui va découvrir le petit secret de son patron, l'exubérante Brigitte à la forte poitrine (bonnet F), mais aussi un mannequin du magasin, le témoin immobile de tout ce petit monde. Un récit sur un rythme soutenu, à l'humour savamment dosé et agrémenté de la voix off du mannequin. Et le message de fond pourrait être : ce n'est pas parce que la nature ne vous a pas gâté que vous n'avez pas droit au bonheur. Un Zidrou en grande forme ! Le dessin de Paul Salomone est toujours aussi beau. Un trait fin, lisible et expressif rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Il magnifie ce Paris des années cinquante. La mise en page est dynamique. La couverture avec cette crevette au milieu d'un cœur formé par des soutiens-gorge est un parfait condensé de cette comédie. Un album qui donne la banane ! ;) Coup de cœur.
Garulfo
Garulfo, c'est l'histoire d'une grenouille éponyme qui, las de sa condition de batracien et envieuse des humains qu'elle idéalise depuis toujours, va un jour trouver une fée pour exaucer son souhait : pouvoir devenir un homme. Malheureusement, l'humanité est bien loin de l'image optimiste qu'il en avait, et c'est bientôt la cruauté, l'injustice et la vilenie qui feront son monde. A moins qu'il puisse parvenir à redevenir une grenouille insouciante… Ajoutez à cela un prince humain qui lui aurait bien besoin d'une bonne dose d'empathie et d'une leçon de gentillesse et de politesse et vous aurez la base de cette série : un conte sur la nature humaine. Des textes bien construits, une histoire jouant des codes des récits chevaleresques, des clins d'œil à des contes bien connus de-ci de-là, un propos filé sur la cruauté humaine et, par son libre arbitre, le potentiel de l'humanité à devenir meilleure, … bref, l'œuvre est pleine de qualités. C'est du bon, du très bon même. Pourtant ça n'atteint pas le "culte" pour moi. Cela n'en est pas loin, je ne saurais pas vraiment dire ce qui manquerait, mais c'est mon ressenti : très bon mais pas parfait. (Note réelle 3,5)
Zoc
Moi, j’ai beaucoup aimé. Je vois que les autres lecteurs ont trouvé cette lecture un peu « creuse » ou « légère », ce que je comprends parfaitement. La narration est très contemplative, il ne se passe finalement pas grand-chose, il s’agit plus d’une promenade poétique, un peu onirique, et remplie de symbolisme. J’y ai personnellement vu une réflexion sur notre place dans la société, le rôle que nous y jouons, l’importance de nos contributions personnelles… des thèmes plus que jamais importants. Oui, la réflexion reste superficielle, mais cela ne m’a pas dérangé. Graphiquement c’est surprenant, avec une ligne claire rappelant un peu le style Ghibli. En tout cas, j’ai trouvé les planches magnifiques, et surtout parfaitement lisibles. Un moment de lecture introspectif et paisible.
Mon Feu
Cette petite série pour la jeunesse autour de 6 ans est pleine de fraicheur et d'intelligence. Vincent Roché transpose à la préhistoire des thématiques que rencontrent très vite les jeunes enfants : la quête d'autonomie, leurs limites , le partage et l'entraide. En positionnant l'action à la préhistoire l'auteur rend son récit universel en montrant qu'un enfant né il y a 50 000 ans pouvait avoir les mêmes préoccupations que celui qui tient le livre entre ses mains. Les dialogues sont bien construits et accessibles à un lectorat débutant. Le graphisme est une ligne claire assez minimaliste qui va à l'essentiel: expressivité et dynamisme. Une lecture que l'on peut tenter seul(e) avec un(e) copin(e) voire un adulte. Très sympa. Une note qui tient compte du public cible.
Le Fruit le plus doux
Après m'avoir littéralement conquis avec son récit se déroulant à Londres au XIXème siècle Les Arcanes de la Maison Fleury, Gabriele Di Caro récidive dans cet album érotique qui se passe cette fois ci dans l'Amérique profonde des années 50. Le dessin est toujours aussi somptueux et le scénario emprunte, une fois de plus, quelques éléments fantastiques qui font de cette aventure un mystère pour le lecteur. Nous suivons, sous prétexte du concours du fruit le plus doux, plusieurs personnages aussi délurés qu'énigmatiques : une serveuse nymphomane, un journaliste poursuivi par la mafia, un couple modèle -enfin presque-, un peintre libidineux, une sublime riche héritière, et enfin deux vieillards poursuivis par un passé macabre, bref une galerie de portrait assez réussie. Gabriele Di Caro a beaucoup de talent pour dessiner les femmes bien pourvues et l'érotisme qui traverse cet album est parfaitement bien mis au service d'un scénario qui donne envie au lecteur de connaître la suite. Bref un érotisme raffiné avec un récit solide. Une lecture réservée à un public averti, il va sans dire.
La Dernière cigarette
C’était un soldat dans un pays devenu fou. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2004. Il a été réalisé par Alex Nikolavitch pour le scénario, et par Marc Botta pour le dessin et les couleurs. Il comporte quarante-quatre pages de bande dessinée. Un prisonnier de guerre est conduit à l’échafaud par des soldats la police militaire. L’un d’eux lui demande s’il a une déclaration à faire. Le colonel Dorscheid répond que pas vraiment. Il voudrait juste une dernière cigarette ; il ajoute qu’il a un paquet dans sa poche. Un policier lui met une clope au bec, et lui allume. Il est arrivé devant le nœud coulant qui lui est passé autour du cou. On lui retire sa cigarette, et un gradé russe salue, pendant que le colonel est pendu. Après quoi il s’éloigne et est abordé par un autre gradé russe qui lui demande si c’est fait, puis s’il repart pour Leningrad. Tchektariov, commissaire politique russe, lui répond que sans doute, et il poursuit son chemin. Il repense au pendu : Dorscheid était mort. La paix avait été signée presque deux ans auparavant mais pour lui Tchektariov, c’était comme si la guerre avait attendu cet instant pour finir. Une guerre qui pour lui avait vraiment commencé en novembre 43, dans les hauteurs autour de Kiev. Le mont Chauve fut le Golgotha pour les hommes de ce bataillon d’infanterie dont il était le commissaire politique. C’était la première fois qu’il voyait le feu. Séparé de ses hommes, sa seule ressource était de trouver un abri jusqu’à la fin des bombardements. Un abri à peu près sûr. Une cave par exemple. Ils étaient dans une cave, de nuit, au cœur du mois de novembre, et pourtant il était en nage. Mais entre un officier de la Wehrmacht et les bombes qui pleuvaient, il ne savait pas trop quel choix faire. Le commissaire politique Tchektariov s’est réfugié dans une cave pour se mettre à l’abri des bombes. Il découvre un colonel de la Wehrmacht assis à même le sol, le colonel Dorscheid. Plutôt que de s’exterminer, Dorscheid lui demande du feu, et propose de lui donner une cigarette en échange. Il estime que c’est une transaction honnête. Tchektariov accepte, tout en estimant que c’est un peu tôt pour la trêve de Noël. Le colonel lui fait observer qu’il ne sait pas où ils seront fin décembre. Ils allument également une lampe à pétrole qui se trouve là. Tchektariov comprend que Dorscheid lui a offert son avant-dernière cigarette. Ils évoquent le bombardement en cours. Le colonel dit que ça ne servira pas à grand-chose si c’est les Allemands qui lâchent des bombes. Il continue : Pilonner pourra tout juste couvrir la retraite de l’infanterie, ou de ce qu’il en reste. Pour lui, l’Armée rouge aura du mal à être arrêtée maintenant, les Russes seront bientôt en Pologne, puis à Berlin, puis… Et puis, il ne sait pas : si les Américains débarquent, ils empêcheront peut-être les Russes d’atteindre Paris. Mais l’armée allemande n’est plus en état de se battre, et n’en a plus envie d’ailleurs. Pour lui, il faut être fanatique, ou désespéré pour vouloir s’interposer entre les Russes et l’ouest. Le commissaire politique fait le constat qu’on dit que la mélancolie fait partie intégrante de l’âme russe. Pour lui, c’est faux : en deux ans de présence ici, le pays l’a contaminé, il est comme les Allemands. C’est cette terre qui est mélancolique, qui rend mélancolique. Une couverture à la manière de George Pratt, fort évocatrice, faisant appel à la culture du lecteur pour reconnaître l’allure d’un uniforme militaire allemand, et un autre évoquant un uniforme russe. En parcourant rapidement ce volume, le lecteur voit une approche assez originale concernant la couleur et les caractéristiques du dessin. La séquence d’ouverture se présente sus la forme de dessins réalisés au crayon, avec des traits de contour également au crayon, et des nuances d’ocre qui viennent habiller les silhouettes et les murs. Puis l’artiste passe à des contours encrés d’un trait fin et irrégulier. Il recourt ensuite au noir & blanc avec des nuances de gris, comme s’il peignait, se débarrassant rapidement des traits de contour au bout de deux pages. Une fois cette séquence achevée, il revient à l’usage des traits de contour encrés et des nappes de couleurs, avec de repasser dans le passé en noir & blanc sans traits de contour. Puis de revenir enfin au présent. Cela produit sur le lecteur, l’impression de peintures en noir & blanc pour les scènes du passé, rendant les souvenirs moins précis, patinés, comme vu à distance, ce qui les rend immuables et leur confère une qualité de destin implacable. Le scénariste situe clairement le temps présent de son récit : à la fin de la seconde guerre mondiale, alors que les prisonniers de guerre commencent à être jugés et exécutés. Il en va encore plus précisément pour le la ligne temporelle dans le passé : novembre 1943 dans les hauteurs autour Kiev. De la même manière, il identifie explicitement la nationalité des deux protagonistes : russe et allemande, ainsi que leur fonction, commissaire politique et colonel de l’armée. Le dessinateur représente les éléments visuels qui permettent de les distinguer facilement : les insignes militaires, la forme de leur couvre-chef, la coupe de leur uniforme. Il en va de même pour les différents soldats, et pour la police militaire. Sans être de nature photographique, les dessins comprennent les détails nécessaires à la compréhension du lecteur. Les auteurs évoquent la seconde bataille de Kiev, opération de l'Armée rouge et contre-attaque de la Wehrmacht entre le 3 octobre et 22 décembre 1943. Puis, alors que l’armée allemande se désagrège et reflue en désordre, le commissaire politique russe se joint à une colonne d’infanterie qui va marcher vers Berlin en traversant la Biélorussie, pour rejoindre la Pologne, stationner quelque temps à Varsovie, et reprendre la marche jusqu’à Berlin. Le dessinateur représente des scènes effroyables, trouvant le juste équilibre entre ce qu’il montre, et ce qu’il laisse à l’imagination du lecteur, rendant ces pans d’ombre encore plus horribles. Il voit la corde passée autour du cou de Dorscheid, sans assister au spectacle du nœud qui se resserre. Il voit les soldats avancer dans la neige, avec la sensation du froid qui le pénètre, sans aller jusqu’à la représentation de la morsure du froid et des souffrances physiques correspondantes. Par la suite, Tchektariov évoque dans son flux de pensée les abominations dont il est le témoin : Partout où ils passaient, ce n’étaient que scènes de désolation, Les plaines fertiles de l’Ukraine labourées par les clous et les chenilles des chars, engraissées par des cadavres sans nombre, l’ordre de ne pas faire de prisonniers parmi les SS qui tenaient la région (De toute façon, ses hommes n’avaient pas envie de faire de quartier), villages rasés, tous les habitants enterrés dans des fosses communes. La Biélorussie avait souffert encore plus que l’Ukraine. L’ennemi était désespéré et vivait sur un pays devenu plus qu’hostile. Toute résistance donnait lieu à des représailles.et le simple fait de n’avoir plus rien à manger, et donc de ne rien pouvoir donner, était considéré comme un acte de résistance. Les seules représailles encore possibles étant l’anéantissement total. La destruction, faute d’avoir un sac de farine ou un poulet. Accompagnant cet énoncé, le lecteur peut voir des images évoquant ces horreurs : des soldats avançant en groupe leur arme pointée devant eux, un officier allemand assis à même le sol avec un pistolet pointe sur l’arrière de son crâne par un soldat russe debout, de vagues formes humaines allongées sur le sol certainement des cadavres dans la neige. Et plus tard, un cadavre pendu à un lampadaire dans une rue de Varsovie, jusqu’à l’horreur de la solution finale avec un survivant dans son uniforme de prisonnier. Pour terminer avec une interprétation de la célèbre photographie Le Drapeau rouge sur le Reichstag, cliché d'Evgueni Khaldeï pris le 2 mai 1945 sur le toit du palais du Reichstag, à Berlin. Le lecteur se retrouve complètement pris par cette narration visuelle entre description et sous-entendus, le faisant participer par automatisme, l’impliquant en faisant appel à son imagination pour compléter les zones imprécises. La voix intérieure de Tchektariov guide la narration, les images donnent à voir les situations au lecteur, les actions des personnages, elles rendent concret ce qui resterait sinon désincarné. Le lecteur commence par éprouver de l’empathie pour le commissaire politique, puisqu’il le voit dans une situation de péril, alors qu’il voit le feu pour la première fois, qu’il est vierge de tout acte de guerre. Par le hasard des circonstances, deux homes de camp ennemi se retrouvent à partager le même abri : ils font preuve de sens pratique. Pas de raison de se massacrer, de tuer l’autre : ce sont deux êtres humains en présence, inconnu l’un pour l’autre, sans motif de haine personnelle. Puis la vie reprend son cours normal, ou plutôt la guerre continue. Ils se revoient deux ans plus tard, dans des circonstances où ils incarnent chacun une facette de leur pays respectif, sans possibilité de se soustraire à cette fonction. Tchektariov se fait la réflexion que : Dorscheid était allé au bout de la guerre et avait commis l’erreur de se laisser entraîner dans celle des autres, c’était un soldat dans un pays devenu fou. Le commissaire politique russe dispose du recul nécessaire pour avoir conscience que lui-même il a fait exécuter des hommes servant dans son unité. Parce qu’ils n’étaient pas dans la ligne. Il est également déjà le témoin des prémices de l’après-guerre, de la valeur différenciée des prisonniers, selon qu’ils servent d’exemple, ou bien qu’ils soient discrètement escamotés parce qu’ils pourront servir (par exemple les savants et les industriels) dans des guerres futures. Sans être né en 17 à Leidenstadt, Tchektariov fait le constat que chacun, suivant les circonstances et les pressions, peut devenir un Dorscheid. Il est possible de se sauver soi-même, si l’on prend la décision de partir. De disparaître. De cesser d’être un rouage dans la machine. Une histoire de guerre de plus : une amitié éphémère entre un colonel allemand et un commissaire politique russe à Kiev, le temps d’un bombardement durant la seconde guerre mondiale, et la suite. Une narration visuelle évoquant des peintures en noir & blanc, avec des nuances de gris en temps de guerre, plus classiques avec trait de contour, juste à la fin de la guerre. Elle rend concret l’environnement et l’époque, avec les éléments pertinents pour illustrer le flux de pensées du narrateur, et d’imprécision pour ne pas obérer l’horreur de ce qu’il évoque. Le lecteur sent peser sur lui la présence de la mort soudaine et arbitraire, ainsi que les prises de décision et les ordres ayant pour conséquence de donner la mort. Il se retrouve à éprouver de la compassion pour Tchektariov, mais aussi pour le colonel de la Wehrmacht. Miséricordieux.