Et bien moi il m'a bien fait kiffer cet album !
Ça part effectivement comme une petite enquête "bien tranquille" pour virer au fantastico/SF/psychédélique, et c'est pas pour me déplaire ! J'aime quand une BD arrive à nous surprendre tout en retombant sur ses pattes. Et là on a du beau monde pour conduire ce récit surprenant, tant dans son scénario que dans le dessin !
Jeff Lemire et Matt Kindt ne sont en effet pas tombés de la dernière pluie, il y a juste David Rubin que je découvre avec cet album. Et ça me donne fichtrement envie d'aller lire ses autres productions ! La composition de ses planches quand ça part en live restent sacrément lisibles tout en restant harmonieuses.
Alors oui, certains pourront ne pas apprécier ce côté "barré", mais moi je dis que quand c'est aussi bien mené, on aurait tort de bouder notre plaisir !
Un très bon one-shot.
Les thèmes utilisés dans l'album sont du déjà vu, mais l'auteur les utilisent de manières intelligentes. Il faut dire que le récit est construit de manière originale. La réalité et la fiction sont mélangées, mais sans jamais perdre le lecteur qui comprends bien ce qui se passe. Je ne veux pas trop spoiler ce qui se passe dans le récit et tout ce que je peux dire c'est que c'est remplis d'émotions, le scénario est prenant même lorsque je devinais un peu ce qui se passait et le personnage principal est terriblement attachant.
J'ai vraiment aimé le dessin que je trouve très dynamique et les couleurs sont belles. La mise en scène est surprenante et audacieuse. Je trouve que jusqu'à présent c'est une des meilleurs bds de 2024 que j'ai lu. Elle a réussi à toucher mon âme d'enfant.
On manque de représentations de nos vies complexes.
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Ce tome est le premier d’un diptyque, avec Fin de la parenthèse (2016). Sa première édition date également de 2016. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario et les dessins, et par Brigitte Findakly pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée.
Seabearstein a invité du monde à dîner, des amis et des amies. Avec son voisin de table, il évoque la présence de la mort. Il n’est pas juste question de la mort du père : c’est une année où des êtres de son âge sont morts ou devenus malades. Il a revu le générique de son dernier film : déjà cinq morts depuis le tournage. Il fait le gros dos. Il ne veut pas que ça le transforme. Il souhaite se réveiller autant joyeux qu’avant. Sa compagne Mireilledarc passe dans la pièce, avec sa longue robe dénudant son dos jusqu’à la base de ses fesses. Son voisin répond de ne pas se plaindre à Seabearstein. Ce dernier n’a pas eu à faire une analyse de selles. Il explique : on donne un sachet et s’il suit le mode d’emploi ça se colle sur la lunette des toilettes et on est censé déféquer proprement dedans, puis refermer le paquet comme une enveloppe postale. Sauf que ça ne marche pas aussi bien que sur la notice. À titre personnel, il a fermé à clé la salle de bains et il a résolu de faire dans le seau de plage de sa fille. Ensuite, il a tout expédié pour analyses. Il termine en faisant observer que Seabearstein n’a pas fait ça, alors qu’il ne se plaigne pas. Il se tourne vers une personne qui amène la soupe de pavot : c’est l’heure de la soupe rouge.
Mireilledarc se joint à leur conversation : elle souhaite savoir de quoi ils parlent. Le convive répond qu’il disait que la vie mérite qu’on poursuive ses respirations, car il y a encore des vodkas à découvrir. Elle lui demande s’ils font vraiment la différence. Il reconnaît que la vodka a mauvaise réputation, soi-disant qu’elle ferait se dresser les poils des bras. En réalité, ça se boit comme de l’eau. Seabearstein continue : en l’état actuel de leurs observations, la plus intéressante est dans ce flacon noir pommelé d’un grand D, et serti d’un énorme diamant en plastique. Cette bouteille est le seul endroit où il offrirait un bijou toc à sa compagne. Lui et elle se lèvent de table et passent au salon. Il lui fait observer que ce soir elle n’est pas tellement cernée par les Juifs. Il y a juste sa copine à lui Natte, et lui. Tout le reste du régiment est russe, lithuanien, tatar. Mais c’est la Russie à l’envers. Il s’explique : ici la Lithuanie commande, et le Russe ou le Polac se font discrets. Ils ont raison. Il lui demande si elle aime ici, en l’appelant Lorelei von Darc. Elle répond qu’elle aime tout avec lui. Elle lui demande si la vieille dame le drague. Il répond que oui, et que c’est sa seule concurrente à elle. La vieille dame et Mireilledarc se mettent à l’écart sur les marches du perron pour papoter. La dame âgée indique qu’elle a les meilleurs parents du monde. Aucun d’eux n’est revenu d’Auschwitz. Ça donne une imagination folle. Elle ajoute qu’elle n’est pas orpheline. Elle attend que ses parents reviennent. Ses filles ont soixante ans et elles ne comprennent pas non plus.
C’est du Joann Sfar, donc ça intéresse le lecteur qui l’apprécie, et d’autres intrigués par les éléments mis en avant sur la quatrième de couverture : C’est l’histoire des meilleurs moments de l’amour ; et aussi : Une variation libre, brillante et enlevée sur le binôme éternel que forment la création artistique et l’amour. Comme souvent, ce créateur semble écrire au fil de l’eau, sous l’inspiration du moment, avec des dessins spontanés, et même une graphie très lâche pour les phylactères. Sans préambule, le lecteur se retrouve à table avec le narrateur (au nom bizarre), à discuter de la mort, de connaissances, puis d’un examen médical scatologique, puis des origines des invités, puis de parents morts en camp de concentration et d’extermination, puis du prépuce d’un homme circoncis, puis des vacances de Seabearstein et Mireilledarc avant, du fait que la vie est précieuse, presqu’une confidence entre les deux amants sur le lit. Chaque personnage, chaque élément de décor est détouré d’un trait fin et tremblotant, comme s’il était mal assuré. Cela permet à l’artiste de jouer avec les proportions anatomiques : mains trop petites, bras trop effilés et trop longs, nez proéminent au-delà du possible pour le personnage principal, yeux de biche pour elle, coiffure montée en choucroute pour la vieille dame, décors mouvant dans les arrière-plans, avec un degré de précision très fluctuant, palette de couleurs entre réalisme et impressionnisme.
Le lecteur se laisse porter par le flux légèrement indolent de la narration, une suite de scénettes au cours desquels les personnages expriment un vague malaise existentiel, quelques convictions, effectuent quelques constats pénétrants. Le récit se focalise sur les deux personnages principaux : un peintre et une modèle, ainsi que leur amour. Leur relation semble aller de soi, sans crise, sans jalousie, sans conflit, avec un peu de possessivité de la part de monsieur, et une touche élégante de cruauté badine pour madame. Seabearstein (quel nom bizarre à la connotation intentionnellement juive, peut-être une variation sur la prononciation de cyber-stein) doit réaliser une série de toiles sur le thème de L’origine du monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877), en se basant sur l’anatomie de sa compagne qu’il a surnommée Mireilledarc (en un seul mot et en hommage à l’actrice). D’une certaine manière, le récit se déroule sans conflit dans ce couple. En revanche, il règne une tension sexuelle du début jusqu’à la fin. Le lecteur considère le personnage principal comme un ami dont il serait le confident de certaines facettes de son intimité, en particulier sa relation avec sa compagne. Il voit un homme d’une trentaine d’année, peut-être tout juste la quarantaine, solidement charpenté, attentif et observateur, attentionné et amoureux de Mireilledarc, accaparé par son art, traversé de quelques questions sur son art et la manière de l’exercer. Il porte bien, souvent bien habillé, pratiquement toujours avec une chemise, affublé de grands yeux et d’un nez encore plus grand. Il est roux, ce qui n’empêche pas le lecteur de voir en lui un avatar de l’auteur, pas une projection littérale, plutôt un autre lui-même, ce qu’il aurait pu être dans un milieu parisien.
Le lecteur se rend compte que Mireilledarc rayonne d’une personnalité propre : elle ne peut pas être réduite à la chose du peintre. Outre le fait qu’elle n’accède pas à toutes les demandes du peintre, certaines de ses réflexions l’énoncent clairement. Dès la page quatorze, elle se fait la réflexion dans son for intérieur qu’elle aime bien le regarder à la dérobée, quand il l’attend. Elle continue : Elle le fait attendre tout le temps, elle ne sait pas pourquoi, il n’y a qu’avec lui qu’elle est tout le temps en retard. En page trente-neuf, elle étudie en petite tenue sur le lit et lui, tout nu, la regarde. Elle lui dit qu’elle a constaté qu’il bande, et que non, elle refuse de se sentir responsable de son état. Elle établit ainsi qu’elle n’est pas un objet et qu’elle ne sera pas sa chose. Elle a pleinement conscience de l’effet qu’elle produit sur la gent masculine, elle le dit : Être observée, ça va un temps, c’est le détonateur. Elle continue : elle entre dans une pièce et chaque homme ne regarde qu’elle, ça lui donne une joie, elle finit par trouver ça normal. Puis ça l’angoisse. Puis elle leur en veut de la regarder, alors elle abuse de la fascination qu’elle exerce. Quand elle a un boulot grâce à ça, elle se dit que le monde est terrible pour les femmes. Le lecteur se retrouve à adopter le comportement de Seabearstein et des autres hommes : il observe Mireilledarc comme si c’était un curieux animal. Il la voit à l’aise dans sa nudité, confiante en son compagnon qui ne l’agressera pas, joueuse et souvent dans la séduction avec lui, pleinement consciente de son effet sur lui, une belle femme au corps longiligne, élégante, mutine sans une once d’enfantillage. Sa pudeur semble limitée, tout en étant très consciente de l’effet de son corps sur les hommes en général. Par exemple, elle explique à son amant que son truc, en tant que nana, c’est dévoiler sans rien montrer. C’est sa principale préoccupation quand elle s’habille.
L’un et l’autre papotent sur tout et sur rien, entre eux, avec leurs amis respectifs, régulièrement au lit dans le premier cas dans la pénombre de leur chambre ou sur le canapé, et aussi avec un copain ou une copine en faisant du shopping, attablés au café, en marchant dans la rue, en faisant du vélo, à la piscine, dans une ruelle, dans un bar branché, sur la plage à Cuba. Comme à son habitude, sans avoir l’air de s’y investir beaucoup, l’artiste montre chaque endroit avec assez de caractéristiques pour le rendre particulier et unique : la salle à manger éclairée à la bougie, le grand centre commercial avec ses magasins de luxe pour les chaussures et les vêtements, l’appartement avec son grand escalier, l’immeuble des Galeries Lafayette, les pavés parisiens, les flotteurs pour séparer les couloirs de nage, l’hôtel Plaza Athénée, le studio dans lequel Raphaël Enthoven & Adèle van Reeth enregistrent leur émission de radio, etc. Le lecteur peut ainsi voir que les personnages évoluent dans un milieu aisé, n’éprouvent pas de difficultés financières, ont accès à des endroits selects, donnent l’image d’une vie chic et vaguement bohème, d’individus au cercle social assez limité, comme une forme d’entre soi, ou plutôt de très petits groupes de deux à trois individus, une même personne appartenant à deux ou trois groupes différents qui ne se rencontrent pas.
L’auteur a choisi une forme narrative qui suit à peu près le déroulement chronologique de la relation du couple, essentiellement par le truchement de conversations, et de quelques fils de pensées. Le lecteur ressent l’impression d’écouter des discussions à bâton rompu, effet assez délicat à bien rendre en bande dessinée où l’auteur ne maîtrise pas le rythme de lecture. Il constate que chaque échange vient apporter une touche de couleur participant à une vaste image d’ensemble. Il se laisse balloter d’un sujet à l’autre comme ils viennent : la mort du père et le règlement de la succession, les analyses médicales, faire attendre son mec, acheter des chaussures comme moyen de détente tout en les qualifiant de souliers, différentes facettes de la relation amoureuse, échanger sur son travail de peintre avec la mère de sa compagne et modèle, faire un cadeau égoïste en offrant un chat au lieu d’un chien, l’amitié entre copines (Mireilledarc & Protéine) en se montrant plus ou moins égocentrée, le décalage entre le désir masculin et le jeu de séduction féminin, la question du désir chez les célibataires, la superficialité d’acheter des godasses (Protéine déclarant que cela ne lui suffit plus) menant à l’envie de fonder une famille, le manque de films intelligents sur les hétérosexuels, la rencontre entre le peintre et son idole (Seabearstein rencontre la vraie Mireille Darc), la force de l’amour (entre Nosolo et Protéine, dans une arrière-cour contre les poubelles), les conventions de représentation et les stéréotypes, etc. S’il a lu les albums suivant de l’auteur, le lecteur se rend compte qu’un thème court tout du long de cet ouvrage : l’idolâtrie qui donnera lieu à Les idolâtres paru en 2024.
Un album très personnel, par sa narration visuelle aux partis pris graphiques très marqués : traits fins et cassants, comme mal assurés, jeu sur les proportions anatomiques, sur les perspectives, une véritable interprétation de la réalité. Une histoire amoureuse entre un peintre à l’abri des soucis financiers vouant un culte à Mireille Darc (Mireille Christiane Gabrielle Aimée Aigroz, 1938-2017) et une jeune femme modèle et indépendante. Une mise en scène de la relation entre artiste et modèle formant également un couple, le premier fasciné par elle, cette dernière éprouvant une véritable joie de capter ainsi l’attention des hommes, l’un et l’autre projetant leur représentation sur leur conjoint, sans vraiment le voir. Ensorcelant.
A la fois classique et original, ce petit polar aura réussi à me surprendre tout en m’entrainant sur de rassurants sentiers balisés. Et c’est justement de cette association de style, entre réel hommage aux polars des années 50 et volonté de surprendre le lecteur via quelques développements inattendus qui est la cause de mon enthousiasme… Enfin, ça et la qualité du dessin d’Eric Stalner… et sa qualité d’écriture aussi ! Bons, soyons clairs, en fait même si je ne trouve rien d’absolument exceptionnel, j’estime que tout est bien voire franchement bien. Le rythme est bon, le découpage est soigné, la mise en page est maîtrisée, l’intrigue est régulièrement relancée, les personnages sont bien choisis, le début du récit est accrocheur et la fin est satisfaisante. Je ne sais pas quoi dire de plus : c’est bien ! Pas un chef-d’œuvre, pas un immanquable mais un récit qui comble toutes mes attentes dans le registre dans lequel je l’attendais.
3.5
On peut compter sur le Japon pour trouver les concepts les plus débiles et faire en sorte que ça marche !
L'histoire est simple: durant un combat avec le Joker, Batman est tombé dans des produits chimiques qui l'ont fait rajeunir et il est redevenu un bébé. Le Joker est désemparé, comment il peut s'amuser maintenant que son ennemi est un bébé ? Il décide alors de l'élever pour en faire un super-héros comme ça lorsque Batman va redevenir un adulte dans genre 20 ans il va pourvoir de nouveaux affronter le Joker !
Le récit est simple et efficace. L'humour fonctionne bien et ça fait du bien de revoir un Joker imprévisible et qui est capable d'être drôle. C'est vraiment que des situations semblent êtres du déjà vu si on connait des fictions mettant en vedette un ou plusieurs hommes qui ont de la difficulté à élever un bébé, mais cela ne m'a pas trop dérangé. Ce que j'ai moins aimé est ça se lit tout de même un peu trop rapidement, surtout que le manga contient moins de pages que dans la plupart des tomes de mangas (144 pages alors qu'habituellement il y a en 180-200 pages).
Le dessin est réussi. Le trait réaliste fait en sorte que le décalage entre le dessin et les situations loufoques rendent la série encore plus marrante !
Voilà un travail que j’ai trouvé excellent sur le fond et sur la forme. Certes, c’est parfois un peu ardu, c’est très dense et il faut s’enfiler un certain nombre de termes techniques, de connaissances économiques et d’organisation des marchés financiers et bancaires. Mais la narration est très fluide et claire.
C’est d’abord dû au dessin de Jérémy Van Houtte, qui aère la démonstration tout en la rendant agréable et lire.
C’est aussi dû bien sûr au très gros travail en amont (c’est du blindé en matière de connaissances exposées, et l’imposante bibliographie de fin de volume confirme ce travail préparatoire, et surtout confirme que les auteurs souhaitent que leurs lecteurs aillent plus loin).
Les rouages du système financier libéral – et plus largement du capitalisme financier actuel – sont bien mis en avant, avec les mécanismes qui font transiter l’argent – y compris public – jusqu’au actionnaires, dans un « ruissellement » inversé, mais aussi bien plus réel que celui annoncé par nos dirigeants depuis des décennies.
C’est à la fois limpide et écœurant. Mais on ne se contente pas de constater, puisque les dernières pages énumèrent un certain nombre de pistes pour remédier à ce creusement des inégalités au profit d’une minorité (qui plus est responsable d’autres maux, comme la pollution, le réchauffement climatique et quelques conflits). Avec une présentation intéressante de la convergence des luttes.
L’action des lobbies, des institutions européennes, le fonctionnement des banques, l’hypocrisie des « décideurs » (voir « mon ennemi c’est la finance » de Hollande !), tout ceci n’est certes pas réjouissant. Et les auteurs montrent bien comment toutes les luttes tendant à remettre en cause cet ordre établi par et pour un petit nombre sont dénigrées dans les médias, et sévèrement réprimées (voir les dernières années en France, avec les Gilets jaunes en particulier). Mais il se dégage à la fin un sentiment qu’il est possible de faire changer la donne.
Une lecture exigeante, mais instructive, jamais rébarbative ni sentencieuse, avec un ton léger. Bref, un documentaire à lire, pour nourrir réflexion, et éventuellement action.
Moi aussi, j'ai trouvé ça très bien.
Brièvement, je me suis intéressé à cette BD parce qu'il y a une dizaine d'années, je me suis retrouvé dans une situation assez similaire à celle de l'autrice (et puis aussi elle est comme moi native de Besançon. Bezak represent !). Moi aussi, une fois tiré d'affaire, c'est à dire tiré des griffes de la manipulatrice, j'ai épluché toute la littérature sur le sujet, dont Paul-Claude Racamier (que Sophie Lambda cite), le premier à avoir identifié et théorisé le syndrome de la perversion narcissique, lui aussi natif de Besançon (yeah !). Et moi aussi, je me suis retrouvé dans le même état de sidération une fois découvert le pot-aux-roses. C'est comme un puzzle qui s'assemble d'un coup et fait soudain pleinement sens !
Donc oui, je peux en attester : tout ce que raconte Sophie est juste et bien vu. De plus, elle fait preuve d'un recul admirable, d'un certain sens de l'autodérision, ainsi que d'un humour remarquable (mais surtout drôle, tout ce qu'on demande à l'humour). En outre, elle accompagne tout cela d'un langage assez fleuri.
Bon, le dessin est cool, même si ce n'est pas le gros gros kif, et ça traine parfois en longueur avec quelques redites (dans les vingt dernières pages essentiellement - mais elle l'avoue elle-même : son éditeur l'a payé pour faire 300 pages...)), mais cette BD contient tout ce qu'il faut pour dresser un panorama complet, donc pour "aider" les Victimes potentielles, même si à mon sens, elle n'insiste pas assez sur certains aspects de ce qu'il faut bien appeler une maladie mentale. Mais je pinaille, sans doute parce que j'ai été concerné au premier chef.
Tant pis pour l'amour (j'adore la couverture, très marrante) constitue donc une très bonne base pour aller plus loin car tout ce qui est dit est attesté par les spécialistes du sujet. Je pense qu'il est important de le souligner.
Il y a eu un avant, et avant cela, un autre encore. Qu’importe désormais.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa parution initiale date de 2023. Il a été réalisé par Christophe Bec pour le scénario, les dessins, et la nouvelle, et par Sébastien Gérard pour la mise en couleurs. Il comprend environ cent-cinquante pages de récit, la majeure partie en bande dessinée, le chapitre quatre étant une nouvelle illustrée. Il débute avec une introduction d’une page de Bec, et une préface de deux pages, rédigée par Numa Sadoul.
Les frontières irréelles. Quelque part sur un plateau enneigé dans une haute chaîne de montagne. Personne aujourd’hui ne se souvient si le pire s’était produit une ou plusieurs fois. Combien d’apocalypse au juste ? Les souvenirs de cette époque ancienne se sont dissipés dans les brumes du temps. On sait seulement que de grands cataclysmes ont soumis la planète à de terribles et interminables hivers auxquels l’humanité n’a survécu qu’in extremis. Cela fait combien de temps ? Cent ans, mille ans peut-être…. Que les survivants naviguent à vue, qu’ils errent dans la solitude infinie de ce crépuscule, de ce monde mort… Vestige tumoral du suicide auxquels leurs ancêtres les ont condamnés. Ils ne font que surnager dans ces étendues vierges où il n’y a rien à relever, à contempler, à cartographier… sinon ces sites abandonnés, figés, pris dans les glaces. Ici dans ces montagnes perdues, tout n’est que désolation. Une petite troupe d’hommes chaudement habillés progresse précautionneusement dans la neige. Deux drones les survolent : ils continuent d’avancer. À la nuit tombante, l’un d’eux arrive devant la masse imposante d’un complexe militaire à l’abandon dans la haute montagne.
Hors zone. Mille ongles tailladent leurs chairs… Ils errent tels des carcasses vides, des morts en mouvement qui naviguent à vue dans ce long hiver d’apocalypse. L’odeur de mort flotte dans un air glacial. Ils arpentent cette Terre à la recherche de vestige de cette histoire oubliée. De cette ignorance, qui est comme un ongle incarné dans la chair, sont nés les fantasmes les plus absurdes. Ils abordent de nouvelles ruines, à flanc de montagne. Leur taille est cyclopéenne, leur structure insensée, entités tutélaires du monde d’avant. Les décombres de ces édifices ne forment que le reflet des désirs de grandeur et domination des peuples. Ont-ils été punis ? Maudits jusqu’à la millième génération ? La vérité, c’est qu’un vestige n’est que le rebut fragmentaire d’une civilisation, le fantôme d’un lieu aberrant et malsain, érigé et scellé sur des montagnes de cadavres. À cette hauteur, cette altitude qui fait suffoquer et donne la nausée, ils ressentent plus fortement encore dans leurs chairs le vide, prélude à leur inéluctable fin. Il y a eu un avant, et avant cela, un autre encore. Qu’importe désormais. Ils contemplent l’horizon au seuil de la nuit. Ils comprennent qu’ils ne seront l’avant de personne. D’autres silhouettes, d’autres pantins hallucinés croisent leur route, d’autres carcasses épuisées, suffocantes, en mal d’errance. Certains s’égarent, d’autres luttent… mais la vérité est qu’ils font tous naufrage.
Indubitablement une bande dessinée qui sort de l’ordinaire. Par son format déjà : 25,6 centimètres par 34 centimètres, une belle taille. Ensuite par son mode narratif. Trois illustrations en quadruple page, c’est-à-dire qu’il faut déplier la plage de gauche, puis déplier la page de droite qui forment alors un unique dessin sur quatre pages en vis-à-vis. Dans le même ordre d’idée, le lecteur découvre douze illustrations en pleine page, et deux illustrations en double page. Ainsi qu’une dizaine de compositions en double page, composées de plusieurs scènes entremêlées sans bordure. Dans le dernier chapitre, il découvre une séquence de dix-huit pages, chacune construite sur la base de trois cases de la largeur de la page, une ode aux paysages et la vie sauvage de la Terre. Le bédéiste privilégie donc les grandes cases et les pages aérées, relevant parfois du texte illustré. Le récit se compose de cinq chapitres : Les frontières irréelles, Hors zone, L’enfant bleu, Métal hurlant, Terra. En entamant le quatrième chapitre, le lecteur constate qu’il prend la forme d’une courte nouvelle, un texte illustré de plusieurs images, certaines de petites tailles, d’autres occupant plus des deux tiers de la page, certaines en couleurs, certaines en noir & blanc. À l’évidence, l’auteur a joui d’une grande liberté dans la construction et la forme de son récit, et il a mis cette liberté à profit pour raconter son histoire comme il l’entend, de la manière la plus adaptée.
À la lecture, l’histoire s’avère simple et facile d’accès, avec une dimension spectaculaire très impressionnante. La fin du monde s’est produite, et peut-être même à plusieurs reprises. L’humanité continue de s’entretuer dans la défiance, avec peut-être la chimère d’un enfant bleu qui détiendrait un savoir salvateur. Et voilà. Le premier chapitre s’apparente à un constat qui se conclut par la certitude que tout n’est que désolation. Au travers de ce ces treize pages, le lecteur voit des hommes burinés et usés par un climat rude, progresser péniblement dans des montagnes inhospitalières, les écrasant par leur gigantisme et leur immuabilité. Dans le deuxième chapitre, les prises de vue alternent les minuscules silhouettes d’êtres humains dominées par les montagnes, et des plans plus rapprochés qui confirment que tous les individus portent la marque des épreuves qu’ils ont affrontées, des coups du sort qu’ils ont subis. Ce passage se termine par quatre pages de bande dessinée traditionnelle : des cases alignées, avec de brefs cartouches de texte, sans phylactère, sans dialogues ou paroles échangées, insistant encore sur l’isolement de chacun, voire l’inutilité de chercher à communiquer. Le texte développe la coupure irrémédiable de l’humanité avec son passé : une civilisation détruite qu’elle se retrouve incapable de déchiffrer de comprendre.
Le troisième chapitre est intitulé L’enfant bleu : un homme a entrepris une marche en solitaire pour trouver cet enfant bleu et apprendre ce qu’il a à enseigner ou à révéler. Au cours de sa lente progression, il pense à l’organisation sociale de sa petite communauté ; la narration visuelle conserve la forme de cases alignées en bande, rapprochant le lecteur de cet homme. Une fois devant l’enfant, il reçoit des images de l’évolution de l’humanité depuis son berceau jusqu’au temps présent, une dizaine de pages, des images accolées dans une construction en double page, sans bordure de case, une forme d’inéluctabilité, chaque fait, chaque événement s’interpénétrant avec les autres. Changement de forme pour le chapitre quatre : une nouvelle en texte, avec des illustrations, pour raconter la guerre du clan de Nevé contre le clan des Drones, une forme narrative moins incarnée, déshumanisée comme cet affrontement meurtrier. Dernière chapitre, Terra, la séquence principale est composée de dix-huit pages comportant chacune trois cases de la largeur de la page pour célébrer la richesse de la biodiversité, ce trésor du passé.
A priori, le lecteur peut être un peu intimidé, voire réticent, à se lancer dans ces grandes pages, craignant d’affronter des textes déconnectés des images ou intellectuels, d’avoir du mal à suivre le lien logique d’une page à l’autre, et pire encore pour un lecteur de bande dessinée devoir lire du texte (la nouvelle du chapitre quatre intitulé Métal Hurlant), même si elle est agrémentée d’illustrations. Dans les faits, l’expérience de lecture s’avère d’une grande facilité, d’une simplicité évidente. Il peut même éprouver la sensation d’un récit trop simple, d’images qui se contentent d’esquisser des flancs de montagne en alternance avec des ruines de complexes militaires, et quelques silhouettes humaines sans personnalité. Il sourit alors en repensant à l’introduction de l’auteur. Celui-ci explique que : Ce livre est né d’une double volonté, d’une part celle de renouer avec une bande dessinée qui tend sans doute à disparaître aujourd’hui, caractérisée par une certaine idée de la démesure graphique, d’autre part, celle de se confronter aux œuvres de ces immenses auteurs que sont Philippe Druillet, Enki Bilal, Mœbius ou autres Philippe Caza, cela bien évidemment à l’échelle de ses possibilités, de ses limites, en gardant ces sommets inatteignables comme autant de phares qui guident dans la nuit. Le lecteur se dit en son for intérieur qu’en effet la démesure graphique est bien présente, et que ces sommets sont inatteignables.
En même temps, la narration révèle une véritable honnêteté de la part de l’auteur. Nulle trace de prétention, tout en mettant à profit la liberté éditoriale dont il jouit. Chaque case, chaque page, chaque illustration a été peaufinée : les éléments représentés dans le menu détail, les parties de décors plus esquissées pour être évocateurs, la présence incontournable de la montagne, la sensation de fin d’humanité au travers des constats. Le tout fait preuve d’une cohérence parfaite, et se trouve enrichi ou consolidé par les différents modes narratifs. Derrière les phrases simples et les dessins premier degré, le lecteur perçoit une démarche littéraire, un travail sur la forme. Il accepte bien volontiers de consentir la suspension d’incrédulité nécessaire aux conventions propres à cette branche de l’anticipation : ne pas trop s’interroger sur les sources de nourriture, sur l’absence de soins médicaux, sur le choix de vivre dans un milieu inhospitalier, sur les outils technologiques qui fonctionnent encore parfaitement malgré l’absence de maintenance ou de source d’énergie, etc. Dans les chapitres trois et quatre, il ressent que l’auteur se livre à une profession de foi sur ses convictions intimes quant à l’humanité et son comportement, au travers de son histoire condensée et extrapolée, puis le contraste avec la richesse des paysages terrestres et de leur faune. Le thème de la tendance aggravée à l’autodestruction par la race humaine n’est pas neuf, et ce constat est effectuée par un auteur adulte, sans illusion, et s’étant débarrassé de la tentation facile de noircir le tableau. Son point de vue a dépassé les stades du déni, de la colère, de la négociation, de la dépression, avec un état d’esprit dans l'acceptation, ce qui peut être encore plus difficile de vivre avec, que la simple résignation.
Un très grand format de bande dessinée, une narration protéiforme qui peut faire craindre une approche intellectuelle dans le mauvais sens du terme. Une expérience de lecture qui permet de savourer l’implication totale de l’auteur, son humilité et son savoir-faire. Le lecteur éprouve les sensations de ces hommes coupés du passé de la civilisation humaine, vivant tant bien que mal dans un environnement peu propice à la vie humaine, sans passé et privé d’avenir. Un terrible constat : même si l’individu est combatif et constructif, il ne peut pas échapper aux conséquences de son appartenance à l’humanité si destructive, à l’ego hors de contrôle jusqu’à l’aveuglement total.
Voila une BD qui m'a pris par surprise. C'est encore une fois une histoire bien écrite, un commentaire pertinent et une BD bien menée d'un bout à l'autre. Le genre qui m'intéresse, surtout quand on tombe dessus sans trop s'attendre à grand chose.
Je ne connais pas le festival de Altamont, même si j'avais déjà entendu parler des répliques que le séisme de Woodstock a provoqué (dont celui de 99 qui semble avoir été le même genre de festival problématique ...). Les festivals de musique en période hippie font bien rêver aujourd'hui, pourtant ça semble bien différent de l'intérieur. Les auteurs utilisent un artifice classique pour le faire découvrir, mais je le trouve toujours aussi efficace : un groupe d'amis qu'on découvre au fur et à mesure, chacun représentant une tendance de la jeunesse de cette époque.
C'est assez clair que les auteurs n'ont pas le mouvement hippie en odeur de sainteté, mais font clairement le distinguo entre les hippies et le mouvement. Les hippies, c'est des individus pris dans des problématiques réelles entre la guerre au Vietnam, l'envie de liberté, les droits civiques, la nécessité de se construire dans un monde qui ne plait plus. Le mouvement c'est sex, drugs et rock'n roll, parodié en festival devenu pharmacie à ciel ouvert, musique protégé par des Hell's Angels et sexualité libre pas toujours très clean. Pas étonnant que des gens de ce mouvement soit finalement tombés dans bien des travers ...
La BD réussit à nous faire cette opposition entre les personnages et leurs idéaux en montrant comment Altamont est devenu symbole d'un échec, celui d'un espoir déçu, alors que nos protagonistes sont attachants et même touchants. Leur bêtise va de pair avec leur soif de liberté, de vie nouvelle, la peur de la guerre (et du nucléaire), la volonté d'un monde meilleur. L'individu et la société, encore une fois !
Ce que j'ai apprécié, c'est que la BD reste tendue comme un arc dès son ouverture. Un groupe se rend en festival, on le découvre en chemin. Et en chemin ils rencontrent ... l'ancien monde, les parents, les amis, les hippies. Chaque rencontre est une possibilité de comprendre les personnages et les enjeux, mais progressivement se noue aussi la tension. Que va-t-il se passer ? Quelque chose d'énorme semble se préparer, le chemin est lent, la progression est mesurée ... Et lorsque le festival arrive enfin sur une quadruple page, on sent que ça bascule. Mais pas là où l'on pensait arriver.
La BD joue sur cette tension jusqu'à la fin, l'épilogue restant violent et noir, mais apportant aussi une question finale qui donne une dimension dramatique nouvelle à l'ensemble. Comme un point d'orgue, elle permet de repenser ce festival au-delà de ce qu'il fut. Et je trouve que cette dernière question est une des meilleures fins possibles pour ce genre de BD.
Clairement, j'ai apprécié. Le dessin de Adlard passe très bien, il est maitrisé et on ne peux que constater les idées visuelles qui parsèment l'ouvrage. C'est lourd, sombre, ça interroge et ça laisse songeur. Le genre de BD qui parle de nombreux sujets tout en faisant réfléchir à une époque, et par là-même à notre monde. Franchement, une vraie réussite.
Le concept de la série tient sur la moitié d’un timbre et les combats sont souvent trop longs à mon goût, ces mêmes combats donnent par ailleurs lieu à bien des cases difficiles à déchiffrer. Voilà les gros points négatifs de cette série (même si le premier, par sa simplicité, peut être vu comme une force).
Chaque personnage est travaillé tant du point de vue graphique que du point de vue psychologique. Les notes d’humour viennent contrebalancer à point nommé l’aspect mélodramatique et emphatique de la série. Les noms des attaques sont tellement improbables que c’en devient jouissif. La fin a réussi à m’émouvoir malgré la mise en scène excessive, sur-jouée et simpliste.
Demon Slayer est un phénomène de mode, porté par son visuel dans un premier temps (il suffit de voir le nombre de figurines tirées de la série), destiné à un large public (mais de préférence jeune) et véhiculant des valeurs positives (sens du devoir et du sacrifice, solidarité, respect vis-à-vis des ainés, force du travail, etc…). J’ai lu l’intégralité de la série avec un réel plaisir même si je trouvais les combats trop longs. Les personnages sont tellement marquants, l’humour (souvent très crétin/enfantin) contrebalance tellement bien le caractère dramatique du récit, le concept est tellement efficace (et pourtant on ne peut plus basique) que c’en devient addictif.
Je recommande, pour les jeunes (mamie, n’ait pas peur d’offrir ces horreurs à tes petits-enfants, les valeurs que ce manga véhicule sont de ton temps) et pour les moins jeunes (essayez et si ça se trouve vous serez aussi positivement surpris que moi). Un phénomène de mode, mais surtout un manga très efficace.
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Cosmic detective
Et bien moi il m'a bien fait kiffer cet album ! Ça part effectivement comme une petite enquête "bien tranquille" pour virer au fantastico/SF/psychédélique, et c'est pas pour me déplaire ! J'aime quand une BD arrive à nous surprendre tout en retombant sur ses pattes. Et là on a du beau monde pour conduire ce récit surprenant, tant dans son scénario que dans le dessin ! Jeff Lemire et Matt Kindt ne sont en effet pas tombés de la dernière pluie, il y a juste David Rubin que je découvre avec cet album. Et ça me donne fichtrement envie d'aller lire ses autres productions ! La composition de ses planches quand ça part en live restent sacrément lisibles tout en restant harmonieuses. Alors oui, certains pourront ne pas apprécier ce côté "barré", mais moi je dis que quand c'est aussi bien mené, on aurait tort de bouder notre plaisir !
Anamnèse
Un très bon one-shot. Les thèmes utilisés dans l'album sont du déjà vu, mais l'auteur les utilisent de manières intelligentes. Il faut dire que le récit est construit de manière originale. La réalité et la fiction sont mélangées, mais sans jamais perdre le lecteur qui comprends bien ce qui se passe. Je ne veux pas trop spoiler ce qui se passe dans le récit et tout ce que je peux dire c'est que c'est remplis d'émotions, le scénario est prenant même lorsque je devinais un peu ce qui se passait et le personnage principal est terriblement attachant. J'ai vraiment aimé le dessin que je trouve très dynamique et les couleurs sont belles. La mise en scène est surprenante et audacieuse. Je trouve que jusqu'à présent c'est une des meilleurs bds de 2024 que j'ai lu. Elle a réussi à toucher mon âme d'enfant.
Tu n'as rien à craindre de moi
On manque de représentations de nos vies complexes. - Ce tome est le premier d’un diptyque, avec Fin de la parenthèse (2016). Sa première édition date également de 2016. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario et les dessins, et par Brigitte Findakly pour les couleurs. Il comprend quatre-vingt-dix pages de bande dessinée. Seabearstein a invité du monde à dîner, des amis et des amies. Avec son voisin de table, il évoque la présence de la mort. Il n’est pas juste question de la mort du père : c’est une année où des êtres de son âge sont morts ou devenus malades. Il a revu le générique de son dernier film : déjà cinq morts depuis le tournage. Il fait le gros dos. Il ne veut pas que ça le transforme. Il souhaite se réveiller autant joyeux qu’avant. Sa compagne Mireilledarc passe dans la pièce, avec sa longue robe dénudant son dos jusqu’à la base de ses fesses. Son voisin répond de ne pas se plaindre à Seabearstein. Ce dernier n’a pas eu à faire une analyse de selles. Il explique : on donne un sachet et s’il suit le mode d’emploi ça se colle sur la lunette des toilettes et on est censé déféquer proprement dedans, puis refermer le paquet comme une enveloppe postale. Sauf que ça ne marche pas aussi bien que sur la notice. À titre personnel, il a fermé à clé la salle de bains et il a résolu de faire dans le seau de plage de sa fille. Ensuite, il a tout expédié pour analyses. Il termine en faisant observer que Seabearstein n’a pas fait ça, alors qu’il ne se plaigne pas. Il se tourne vers une personne qui amène la soupe de pavot : c’est l’heure de la soupe rouge. Mireilledarc se joint à leur conversation : elle souhaite savoir de quoi ils parlent. Le convive répond qu’il disait que la vie mérite qu’on poursuive ses respirations, car il y a encore des vodkas à découvrir. Elle lui demande s’ils font vraiment la différence. Il reconnaît que la vodka a mauvaise réputation, soi-disant qu’elle ferait se dresser les poils des bras. En réalité, ça se boit comme de l’eau. Seabearstein continue : en l’état actuel de leurs observations, la plus intéressante est dans ce flacon noir pommelé d’un grand D, et serti d’un énorme diamant en plastique. Cette bouteille est le seul endroit où il offrirait un bijou toc à sa compagne. Lui et elle se lèvent de table et passent au salon. Il lui fait observer que ce soir elle n’est pas tellement cernée par les Juifs. Il y a juste sa copine à lui Natte, et lui. Tout le reste du régiment est russe, lithuanien, tatar. Mais c’est la Russie à l’envers. Il s’explique : ici la Lithuanie commande, et le Russe ou le Polac se font discrets. Ils ont raison. Il lui demande si elle aime ici, en l’appelant Lorelei von Darc. Elle répond qu’elle aime tout avec lui. Elle lui demande si la vieille dame le drague. Il répond que oui, et que c’est sa seule concurrente à elle. La vieille dame et Mireilledarc se mettent à l’écart sur les marches du perron pour papoter. La dame âgée indique qu’elle a les meilleurs parents du monde. Aucun d’eux n’est revenu d’Auschwitz. Ça donne une imagination folle. Elle ajoute qu’elle n’est pas orpheline. Elle attend que ses parents reviennent. Ses filles ont soixante ans et elles ne comprennent pas non plus. C’est du Joann Sfar, donc ça intéresse le lecteur qui l’apprécie, et d’autres intrigués par les éléments mis en avant sur la quatrième de couverture : C’est l’histoire des meilleurs moments de l’amour ; et aussi : Une variation libre, brillante et enlevée sur le binôme éternel que forment la création artistique et l’amour. Comme souvent, ce créateur semble écrire au fil de l’eau, sous l’inspiration du moment, avec des dessins spontanés, et même une graphie très lâche pour les phylactères. Sans préambule, le lecteur se retrouve à table avec le narrateur (au nom bizarre), à discuter de la mort, de connaissances, puis d’un examen médical scatologique, puis des origines des invités, puis de parents morts en camp de concentration et d’extermination, puis du prépuce d’un homme circoncis, puis des vacances de Seabearstein et Mireilledarc avant, du fait que la vie est précieuse, presqu’une confidence entre les deux amants sur le lit. Chaque personnage, chaque élément de décor est détouré d’un trait fin et tremblotant, comme s’il était mal assuré. Cela permet à l’artiste de jouer avec les proportions anatomiques : mains trop petites, bras trop effilés et trop longs, nez proéminent au-delà du possible pour le personnage principal, yeux de biche pour elle, coiffure montée en choucroute pour la vieille dame, décors mouvant dans les arrière-plans, avec un degré de précision très fluctuant, palette de couleurs entre réalisme et impressionnisme. Le lecteur se laisse porter par le flux légèrement indolent de la narration, une suite de scénettes au cours desquels les personnages expriment un vague malaise existentiel, quelques convictions, effectuent quelques constats pénétrants. Le récit se focalise sur les deux personnages principaux : un peintre et une modèle, ainsi que leur amour. Leur relation semble aller de soi, sans crise, sans jalousie, sans conflit, avec un peu de possessivité de la part de monsieur, et une touche élégante de cruauté badine pour madame. Seabearstein (quel nom bizarre à la connotation intentionnellement juive, peut-être une variation sur la prononciation de cyber-stein) doit réaliser une série de toiles sur le thème de L’origine du monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877), en se basant sur l’anatomie de sa compagne qu’il a surnommée Mireilledarc (en un seul mot et en hommage à l’actrice). D’une certaine manière, le récit se déroule sans conflit dans ce couple. En revanche, il règne une tension sexuelle du début jusqu’à la fin. Le lecteur considère le personnage principal comme un ami dont il serait le confident de certaines facettes de son intimité, en particulier sa relation avec sa compagne. Il voit un homme d’une trentaine d’année, peut-être tout juste la quarantaine, solidement charpenté, attentif et observateur, attentionné et amoureux de Mireilledarc, accaparé par son art, traversé de quelques questions sur son art et la manière de l’exercer. Il porte bien, souvent bien habillé, pratiquement toujours avec une chemise, affublé de grands yeux et d’un nez encore plus grand. Il est roux, ce qui n’empêche pas le lecteur de voir en lui un avatar de l’auteur, pas une projection littérale, plutôt un autre lui-même, ce qu’il aurait pu être dans un milieu parisien. Le lecteur se rend compte que Mireilledarc rayonne d’une personnalité propre : elle ne peut pas être réduite à la chose du peintre. Outre le fait qu’elle n’accède pas à toutes les demandes du peintre, certaines de ses réflexions l’énoncent clairement. Dès la page quatorze, elle se fait la réflexion dans son for intérieur qu’elle aime bien le regarder à la dérobée, quand il l’attend. Elle continue : Elle le fait attendre tout le temps, elle ne sait pas pourquoi, il n’y a qu’avec lui qu’elle est tout le temps en retard. En page trente-neuf, elle étudie en petite tenue sur le lit et lui, tout nu, la regarde. Elle lui dit qu’elle a constaté qu’il bande, et que non, elle refuse de se sentir responsable de son état. Elle établit ainsi qu’elle n’est pas un objet et qu’elle ne sera pas sa chose. Elle a pleinement conscience de l’effet qu’elle produit sur la gent masculine, elle le dit : Être observée, ça va un temps, c’est le détonateur. Elle continue : elle entre dans une pièce et chaque homme ne regarde qu’elle, ça lui donne une joie, elle finit par trouver ça normal. Puis ça l’angoisse. Puis elle leur en veut de la regarder, alors elle abuse de la fascination qu’elle exerce. Quand elle a un boulot grâce à ça, elle se dit que le monde est terrible pour les femmes. Le lecteur se retrouve à adopter le comportement de Seabearstein et des autres hommes : il observe Mireilledarc comme si c’était un curieux animal. Il la voit à l’aise dans sa nudité, confiante en son compagnon qui ne l’agressera pas, joueuse et souvent dans la séduction avec lui, pleinement consciente de son effet sur lui, une belle femme au corps longiligne, élégante, mutine sans une once d’enfantillage. Sa pudeur semble limitée, tout en étant très consciente de l’effet de son corps sur les hommes en général. Par exemple, elle explique à son amant que son truc, en tant que nana, c’est dévoiler sans rien montrer. C’est sa principale préoccupation quand elle s’habille. L’un et l’autre papotent sur tout et sur rien, entre eux, avec leurs amis respectifs, régulièrement au lit dans le premier cas dans la pénombre de leur chambre ou sur le canapé, et aussi avec un copain ou une copine en faisant du shopping, attablés au café, en marchant dans la rue, en faisant du vélo, à la piscine, dans une ruelle, dans un bar branché, sur la plage à Cuba. Comme à son habitude, sans avoir l’air de s’y investir beaucoup, l’artiste montre chaque endroit avec assez de caractéristiques pour le rendre particulier et unique : la salle à manger éclairée à la bougie, le grand centre commercial avec ses magasins de luxe pour les chaussures et les vêtements, l’appartement avec son grand escalier, l’immeuble des Galeries Lafayette, les pavés parisiens, les flotteurs pour séparer les couloirs de nage, l’hôtel Plaza Athénée, le studio dans lequel Raphaël Enthoven & Adèle van Reeth enregistrent leur émission de radio, etc. Le lecteur peut ainsi voir que les personnages évoluent dans un milieu aisé, n’éprouvent pas de difficultés financières, ont accès à des endroits selects, donnent l’image d’une vie chic et vaguement bohème, d’individus au cercle social assez limité, comme une forme d’entre soi, ou plutôt de très petits groupes de deux à trois individus, une même personne appartenant à deux ou trois groupes différents qui ne se rencontrent pas. L’auteur a choisi une forme narrative qui suit à peu près le déroulement chronologique de la relation du couple, essentiellement par le truchement de conversations, et de quelques fils de pensées. Le lecteur ressent l’impression d’écouter des discussions à bâton rompu, effet assez délicat à bien rendre en bande dessinée où l’auteur ne maîtrise pas le rythme de lecture. Il constate que chaque échange vient apporter une touche de couleur participant à une vaste image d’ensemble. Il se laisse balloter d’un sujet à l’autre comme ils viennent : la mort du père et le règlement de la succession, les analyses médicales, faire attendre son mec, acheter des chaussures comme moyen de détente tout en les qualifiant de souliers, différentes facettes de la relation amoureuse, échanger sur son travail de peintre avec la mère de sa compagne et modèle, faire un cadeau égoïste en offrant un chat au lieu d’un chien, l’amitié entre copines (Mireilledarc & Protéine) en se montrant plus ou moins égocentrée, le décalage entre le désir masculin et le jeu de séduction féminin, la question du désir chez les célibataires, la superficialité d’acheter des godasses (Protéine déclarant que cela ne lui suffit plus) menant à l’envie de fonder une famille, le manque de films intelligents sur les hétérosexuels, la rencontre entre le peintre et son idole (Seabearstein rencontre la vraie Mireille Darc), la force de l’amour (entre Nosolo et Protéine, dans une arrière-cour contre les poubelles), les conventions de représentation et les stéréotypes, etc. S’il a lu les albums suivant de l’auteur, le lecteur se rend compte qu’un thème court tout du long de cet ouvrage : l’idolâtrie qui donnera lieu à Les idolâtres paru en 2024. Un album très personnel, par sa narration visuelle aux partis pris graphiques très marqués : traits fins et cassants, comme mal assurés, jeu sur les proportions anatomiques, sur les perspectives, une véritable interprétation de la réalité. Une histoire amoureuse entre un peintre à l’abri des soucis financiers vouant un culte à Mireille Darc (Mireille Christiane Gabrielle Aimée Aigroz, 1938-2017) et une jeune femme modèle et indépendante. Une mise en scène de la relation entre artiste et modèle formant également un couple, le premier fasciné par elle, cette dernière éprouvant une véritable joie de capter ainsi l’attention des hommes, l’un et l’autre projetant leur représentation sur leur conjoint, sans vraiment le voir. Ensorcelant.
13h17 dans la vie de Jonathan Lassiter
A la fois classique et original, ce petit polar aura réussi à me surprendre tout en m’entrainant sur de rassurants sentiers balisés. Et c’est justement de cette association de style, entre réel hommage aux polars des années 50 et volonté de surprendre le lecteur via quelques développements inattendus qui est la cause de mon enthousiasme… Enfin, ça et la qualité du dessin d’Eric Stalner… et sa qualité d’écriture aussi ! Bons, soyons clairs, en fait même si je ne trouve rien d’absolument exceptionnel, j’estime que tout est bien voire franchement bien. Le rythme est bon, le découpage est soigné, la mise en page est maîtrisée, l’intrigue est régulièrement relancée, les personnages sont bien choisis, le début du récit est accrocheur et la fin est satisfaisante. Je ne sais pas quoi dire de plus : c’est bien ! Pas un chef-d’œuvre, pas un immanquable mais un récit qui comble toutes mes attentes dans le registre dans lequel je l’attendais.
One Operation Joker
3.5 On peut compter sur le Japon pour trouver les concepts les plus débiles et faire en sorte que ça marche ! L'histoire est simple: durant un combat avec le Joker, Batman est tombé dans des produits chimiques qui l'ont fait rajeunir et il est redevenu un bébé. Le Joker est désemparé, comment il peut s'amuser maintenant que son ennemi est un bébé ? Il décide alors de l'élever pour en faire un super-héros comme ça lorsque Batman va redevenir un adulte dans genre 20 ans il va pourvoir de nouveaux affronter le Joker ! Le récit est simple et efficace. L'humour fonctionne bien et ça fait du bien de revoir un Joker imprévisible et qui est capable d'être drôle. C'est vraiment que des situations semblent êtres du déjà vu si on connait des fictions mettant en vedette un ou plusieurs hommes qui ont de la difficulté à élever un bébé, mais cela ne m'a pas trop dérangé. Ce que j'ai moins aimé est ça se lit tout de même un peu trop rapidement, surtout que le manga contient moins de pages que dans la plupart des tomes de mangas (144 pages alors qu'habituellement il y a en 180-200 pages). Le dessin est réussi. Le trait réaliste fait en sorte que le décalage entre le dessin et les situations loufoques rendent la série encore plus marrante !
La Machine à détruire - Pourquoi il faut en finir avec la finance
Voilà un travail que j’ai trouvé excellent sur le fond et sur la forme. Certes, c’est parfois un peu ardu, c’est très dense et il faut s’enfiler un certain nombre de termes techniques, de connaissances économiques et d’organisation des marchés financiers et bancaires. Mais la narration est très fluide et claire. C’est d’abord dû au dessin de Jérémy Van Houtte, qui aère la démonstration tout en la rendant agréable et lire. C’est aussi dû bien sûr au très gros travail en amont (c’est du blindé en matière de connaissances exposées, et l’imposante bibliographie de fin de volume confirme ce travail préparatoire, et surtout confirme que les auteurs souhaitent que leurs lecteurs aillent plus loin). Les rouages du système financier libéral – et plus largement du capitalisme financier actuel – sont bien mis en avant, avec les mécanismes qui font transiter l’argent – y compris public – jusqu’au actionnaires, dans un « ruissellement » inversé, mais aussi bien plus réel que celui annoncé par nos dirigeants depuis des décennies. C’est à la fois limpide et écœurant. Mais on ne se contente pas de constater, puisque les dernières pages énumèrent un certain nombre de pistes pour remédier à ce creusement des inégalités au profit d’une minorité (qui plus est responsable d’autres maux, comme la pollution, le réchauffement climatique et quelques conflits). Avec une présentation intéressante de la convergence des luttes. L’action des lobbies, des institutions européennes, le fonctionnement des banques, l’hypocrisie des « décideurs » (voir « mon ennemi c’est la finance » de Hollande !), tout ceci n’est certes pas réjouissant. Et les auteurs montrent bien comment toutes les luttes tendant à remettre en cause cet ordre établi par et pour un petit nombre sont dénigrées dans les médias, et sévèrement réprimées (voir les dernières années en France, avec les Gilets jaunes en particulier). Mais il se dégage à la fin un sentiment qu’il est possible de faire changer la donne. Une lecture exigeante, mais instructive, jamais rébarbative ni sentencieuse, avec un ton léger. Bref, un documentaire à lire, pour nourrir réflexion, et éventuellement action.
Tant pis pour l'amour, ou comment j'ai survécu à un manipulateur
Moi aussi, j'ai trouvé ça très bien. Brièvement, je me suis intéressé à cette BD parce qu'il y a une dizaine d'années, je me suis retrouvé dans une situation assez similaire à celle de l'autrice (et puis aussi elle est comme moi native de Besançon. Bezak represent !). Moi aussi, une fois tiré d'affaire, c'est à dire tiré des griffes de la manipulatrice, j'ai épluché toute la littérature sur le sujet, dont Paul-Claude Racamier (que Sophie Lambda cite), le premier à avoir identifié et théorisé le syndrome de la perversion narcissique, lui aussi natif de Besançon (yeah !). Et moi aussi, je me suis retrouvé dans le même état de sidération une fois découvert le pot-aux-roses. C'est comme un puzzle qui s'assemble d'un coup et fait soudain pleinement sens ! Donc oui, je peux en attester : tout ce que raconte Sophie est juste et bien vu. De plus, elle fait preuve d'un recul admirable, d'un certain sens de l'autodérision, ainsi que d'un humour remarquable (mais surtout drôle, tout ce qu'on demande à l'humour). En outre, elle accompagne tout cela d'un langage assez fleuri. Bon, le dessin est cool, même si ce n'est pas le gros gros kif, et ça traine parfois en longueur avec quelques redites (dans les vingt dernières pages essentiellement - mais elle l'avoue elle-même : son éditeur l'a payé pour faire 300 pages...)), mais cette BD contient tout ce qu'il faut pour dresser un panorama complet, donc pour "aider" les Victimes potentielles, même si à mon sens, elle n'insiste pas assez sur certains aspects de ce qu'il faut bien appeler une maladie mentale. Mais je pinaille, sans doute parce que j'ai été concerné au premier chef. Tant pis pour l'amour (j'adore la couverture, très marrante) constitue donc une très bonne base pour aller plus loin car tout ce qui est dit est attesté par les spécialistes du sujet. Je pense qu'il est important de le souligner.
Inexistences
Il y a eu un avant, et avant cela, un autre encore. Qu’importe désormais. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa parution initiale date de 2023. Il a été réalisé par Christophe Bec pour le scénario, les dessins, et la nouvelle, et par Sébastien Gérard pour la mise en couleurs. Il comprend environ cent-cinquante pages de récit, la majeure partie en bande dessinée, le chapitre quatre étant une nouvelle illustrée. Il débute avec une introduction d’une page de Bec, et une préface de deux pages, rédigée par Numa Sadoul. Les frontières irréelles. Quelque part sur un plateau enneigé dans une haute chaîne de montagne. Personne aujourd’hui ne se souvient si le pire s’était produit une ou plusieurs fois. Combien d’apocalypse au juste ? Les souvenirs de cette époque ancienne se sont dissipés dans les brumes du temps. On sait seulement que de grands cataclysmes ont soumis la planète à de terribles et interminables hivers auxquels l’humanité n’a survécu qu’in extremis. Cela fait combien de temps ? Cent ans, mille ans peut-être…. Que les survivants naviguent à vue, qu’ils errent dans la solitude infinie de ce crépuscule, de ce monde mort… Vestige tumoral du suicide auxquels leurs ancêtres les ont condamnés. Ils ne font que surnager dans ces étendues vierges où il n’y a rien à relever, à contempler, à cartographier… sinon ces sites abandonnés, figés, pris dans les glaces. Ici dans ces montagnes perdues, tout n’est que désolation. Une petite troupe d’hommes chaudement habillés progresse précautionneusement dans la neige. Deux drones les survolent : ils continuent d’avancer. À la nuit tombante, l’un d’eux arrive devant la masse imposante d’un complexe militaire à l’abandon dans la haute montagne. Hors zone. Mille ongles tailladent leurs chairs… Ils errent tels des carcasses vides, des morts en mouvement qui naviguent à vue dans ce long hiver d’apocalypse. L’odeur de mort flotte dans un air glacial. Ils arpentent cette Terre à la recherche de vestige de cette histoire oubliée. De cette ignorance, qui est comme un ongle incarné dans la chair, sont nés les fantasmes les plus absurdes. Ils abordent de nouvelles ruines, à flanc de montagne. Leur taille est cyclopéenne, leur structure insensée, entités tutélaires du monde d’avant. Les décombres de ces édifices ne forment que le reflet des désirs de grandeur et domination des peuples. Ont-ils été punis ? Maudits jusqu’à la millième génération ? La vérité, c’est qu’un vestige n’est que le rebut fragmentaire d’une civilisation, le fantôme d’un lieu aberrant et malsain, érigé et scellé sur des montagnes de cadavres. À cette hauteur, cette altitude qui fait suffoquer et donne la nausée, ils ressentent plus fortement encore dans leurs chairs le vide, prélude à leur inéluctable fin. Il y a eu un avant, et avant cela, un autre encore. Qu’importe désormais. Ils contemplent l’horizon au seuil de la nuit. Ils comprennent qu’ils ne seront l’avant de personne. D’autres silhouettes, d’autres pantins hallucinés croisent leur route, d’autres carcasses épuisées, suffocantes, en mal d’errance. Certains s’égarent, d’autres luttent… mais la vérité est qu’ils font tous naufrage. Indubitablement une bande dessinée qui sort de l’ordinaire. Par son format déjà : 25,6 centimètres par 34 centimètres, une belle taille. Ensuite par son mode narratif. Trois illustrations en quadruple page, c’est-à-dire qu’il faut déplier la plage de gauche, puis déplier la page de droite qui forment alors un unique dessin sur quatre pages en vis-à-vis. Dans le même ordre d’idée, le lecteur découvre douze illustrations en pleine page, et deux illustrations en double page. Ainsi qu’une dizaine de compositions en double page, composées de plusieurs scènes entremêlées sans bordure. Dans le dernier chapitre, il découvre une séquence de dix-huit pages, chacune construite sur la base de trois cases de la largeur de la page, une ode aux paysages et la vie sauvage de la Terre. Le bédéiste privilégie donc les grandes cases et les pages aérées, relevant parfois du texte illustré. Le récit se compose de cinq chapitres : Les frontières irréelles, Hors zone, L’enfant bleu, Métal hurlant, Terra. En entamant le quatrième chapitre, le lecteur constate qu’il prend la forme d’une courte nouvelle, un texte illustré de plusieurs images, certaines de petites tailles, d’autres occupant plus des deux tiers de la page, certaines en couleurs, certaines en noir & blanc. À l’évidence, l’auteur a joui d’une grande liberté dans la construction et la forme de son récit, et il a mis cette liberté à profit pour raconter son histoire comme il l’entend, de la manière la plus adaptée. À la lecture, l’histoire s’avère simple et facile d’accès, avec une dimension spectaculaire très impressionnante. La fin du monde s’est produite, et peut-être même à plusieurs reprises. L’humanité continue de s’entretuer dans la défiance, avec peut-être la chimère d’un enfant bleu qui détiendrait un savoir salvateur. Et voilà. Le premier chapitre s’apparente à un constat qui se conclut par la certitude que tout n’est que désolation. Au travers de ce ces treize pages, le lecteur voit des hommes burinés et usés par un climat rude, progresser péniblement dans des montagnes inhospitalières, les écrasant par leur gigantisme et leur immuabilité. Dans le deuxième chapitre, les prises de vue alternent les minuscules silhouettes d’êtres humains dominées par les montagnes, et des plans plus rapprochés qui confirment que tous les individus portent la marque des épreuves qu’ils ont affrontées, des coups du sort qu’ils ont subis. Ce passage se termine par quatre pages de bande dessinée traditionnelle : des cases alignées, avec de brefs cartouches de texte, sans phylactère, sans dialogues ou paroles échangées, insistant encore sur l’isolement de chacun, voire l’inutilité de chercher à communiquer. Le texte développe la coupure irrémédiable de l’humanité avec son passé : une civilisation détruite qu’elle se retrouve incapable de déchiffrer de comprendre. Le troisième chapitre est intitulé L’enfant bleu : un homme a entrepris une marche en solitaire pour trouver cet enfant bleu et apprendre ce qu’il a à enseigner ou à révéler. Au cours de sa lente progression, il pense à l’organisation sociale de sa petite communauté ; la narration visuelle conserve la forme de cases alignées en bande, rapprochant le lecteur de cet homme. Une fois devant l’enfant, il reçoit des images de l’évolution de l’humanité depuis son berceau jusqu’au temps présent, une dizaine de pages, des images accolées dans une construction en double page, sans bordure de case, une forme d’inéluctabilité, chaque fait, chaque événement s’interpénétrant avec les autres. Changement de forme pour le chapitre quatre : une nouvelle en texte, avec des illustrations, pour raconter la guerre du clan de Nevé contre le clan des Drones, une forme narrative moins incarnée, déshumanisée comme cet affrontement meurtrier. Dernière chapitre, Terra, la séquence principale est composée de dix-huit pages comportant chacune trois cases de la largeur de la page pour célébrer la richesse de la biodiversité, ce trésor du passé. A priori, le lecteur peut être un peu intimidé, voire réticent, à se lancer dans ces grandes pages, craignant d’affronter des textes déconnectés des images ou intellectuels, d’avoir du mal à suivre le lien logique d’une page à l’autre, et pire encore pour un lecteur de bande dessinée devoir lire du texte (la nouvelle du chapitre quatre intitulé Métal Hurlant), même si elle est agrémentée d’illustrations. Dans les faits, l’expérience de lecture s’avère d’une grande facilité, d’une simplicité évidente. Il peut même éprouver la sensation d’un récit trop simple, d’images qui se contentent d’esquisser des flancs de montagne en alternance avec des ruines de complexes militaires, et quelques silhouettes humaines sans personnalité. Il sourit alors en repensant à l’introduction de l’auteur. Celui-ci explique que : Ce livre est né d’une double volonté, d’une part celle de renouer avec une bande dessinée qui tend sans doute à disparaître aujourd’hui, caractérisée par une certaine idée de la démesure graphique, d’autre part, celle de se confronter aux œuvres de ces immenses auteurs que sont Philippe Druillet, Enki Bilal, Mœbius ou autres Philippe Caza, cela bien évidemment à l’échelle de ses possibilités, de ses limites, en gardant ces sommets inatteignables comme autant de phares qui guident dans la nuit. Le lecteur se dit en son for intérieur qu’en effet la démesure graphique est bien présente, et que ces sommets sont inatteignables. En même temps, la narration révèle une véritable honnêteté de la part de l’auteur. Nulle trace de prétention, tout en mettant à profit la liberté éditoriale dont il jouit. Chaque case, chaque page, chaque illustration a été peaufinée : les éléments représentés dans le menu détail, les parties de décors plus esquissées pour être évocateurs, la présence incontournable de la montagne, la sensation de fin d’humanité au travers des constats. Le tout fait preuve d’une cohérence parfaite, et se trouve enrichi ou consolidé par les différents modes narratifs. Derrière les phrases simples et les dessins premier degré, le lecteur perçoit une démarche littéraire, un travail sur la forme. Il accepte bien volontiers de consentir la suspension d’incrédulité nécessaire aux conventions propres à cette branche de l’anticipation : ne pas trop s’interroger sur les sources de nourriture, sur l’absence de soins médicaux, sur le choix de vivre dans un milieu inhospitalier, sur les outils technologiques qui fonctionnent encore parfaitement malgré l’absence de maintenance ou de source d’énergie, etc. Dans les chapitres trois et quatre, il ressent que l’auteur se livre à une profession de foi sur ses convictions intimes quant à l’humanité et son comportement, au travers de son histoire condensée et extrapolée, puis le contraste avec la richesse des paysages terrestres et de leur faune. Le thème de la tendance aggravée à l’autodestruction par la race humaine n’est pas neuf, et ce constat est effectuée par un auteur adulte, sans illusion, et s’étant débarrassé de la tentation facile de noircir le tableau. Son point de vue a dépassé les stades du déni, de la colère, de la négociation, de la dépression, avec un état d’esprit dans l'acceptation, ce qui peut être encore plus difficile de vivre avec, que la simple résignation. Un très grand format de bande dessinée, une narration protéiforme qui peut faire craindre une approche intellectuelle dans le mauvais sens du terme. Une expérience de lecture qui permet de savourer l’implication totale de l’auteur, son humilité et son savoir-faire. Le lecteur éprouve les sensations de ces hommes coupés du passé de la civilisation humaine, vivant tant bien que mal dans un environnement peu propice à la vie humaine, sans passé et privé d’avenir. Un terrible constat : même si l’individu est combatif et constructif, il ne peut pas échapper aux conséquences de son appartenance à l’humanité si destructive, à l’ego hors de contrôle jusqu’à l’aveuglement total.
Altamont
Voila une BD qui m'a pris par surprise. C'est encore une fois une histoire bien écrite, un commentaire pertinent et une BD bien menée d'un bout à l'autre. Le genre qui m'intéresse, surtout quand on tombe dessus sans trop s'attendre à grand chose. Je ne connais pas le festival de Altamont, même si j'avais déjà entendu parler des répliques que le séisme de Woodstock a provoqué (dont celui de 99 qui semble avoir été le même genre de festival problématique ...). Les festivals de musique en période hippie font bien rêver aujourd'hui, pourtant ça semble bien différent de l'intérieur. Les auteurs utilisent un artifice classique pour le faire découvrir, mais je le trouve toujours aussi efficace : un groupe d'amis qu'on découvre au fur et à mesure, chacun représentant une tendance de la jeunesse de cette époque. C'est assez clair que les auteurs n'ont pas le mouvement hippie en odeur de sainteté, mais font clairement le distinguo entre les hippies et le mouvement. Les hippies, c'est des individus pris dans des problématiques réelles entre la guerre au Vietnam, l'envie de liberté, les droits civiques, la nécessité de se construire dans un monde qui ne plait plus. Le mouvement c'est sex, drugs et rock'n roll, parodié en festival devenu pharmacie à ciel ouvert, musique protégé par des Hell's Angels et sexualité libre pas toujours très clean. Pas étonnant que des gens de ce mouvement soit finalement tombés dans bien des travers ... La BD réussit à nous faire cette opposition entre les personnages et leurs idéaux en montrant comment Altamont est devenu symbole d'un échec, celui d'un espoir déçu, alors que nos protagonistes sont attachants et même touchants. Leur bêtise va de pair avec leur soif de liberté, de vie nouvelle, la peur de la guerre (et du nucléaire), la volonté d'un monde meilleur. L'individu et la société, encore une fois ! Ce que j'ai apprécié, c'est que la BD reste tendue comme un arc dès son ouverture. Un groupe se rend en festival, on le découvre en chemin. Et en chemin ils rencontrent ... l'ancien monde, les parents, les amis, les hippies. Chaque rencontre est une possibilité de comprendre les personnages et les enjeux, mais progressivement se noue aussi la tension. Que va-t-il se passer ? Quelque chose d'énorme semble se préparer, le chemin est lent, la progression est mesurée ... Et lorsque le festival arrive enfin sur une quadruple page, on sent que ça bascule. Mais pas là où l'on pensait arriver. La BD joue sur cette tension jusqu'à la fin, l'épilogue restant violent et noir, mais apportant aussi une question finale qui donne une dimension dramatique nouvelle à l'ensemble. Comme un point d'orgue, elle permet de repenser ce festival au-delà de ce qu'il fut. Et je trouve que cette dernière question est une des meilleures fins possibles pour ce genre de BD. Clairement, j'ai apprécié. Le dessin de Adlard passe très bien, il est maitrisé et on ne peux que constater les idées visuelles qui parsèment l'ouvrage. C'est lourd, sombre, ça interroge et ça laisse songeur. Le genre de BD qui parle de nombreux sujets tout en faisant réfléchir à une époque, et par là-même à notre monde. Franchement, une vraie réussite.
Demon Slayer (Les Rôdeurs de la nuit)
Le concept de la série tient sur la moitié d’un timbre et les combats sont souvent trop longs à mon goût, ces mêmes combats donnent par ailleurs lieu à bien des cases difficiles à déchiffrer. Voilà les gros points négatifs de cette série (même si le premier, par sa simplicité, peut être vu comme une force). Chaque personnage est travaillé tant du point de vue graphique que du point de vue psychologique. Les notes d’humour viennent contrebalancer à point nommé l’aspect mélodramatique et emphatique de la série. Les noms des attaques sont tellement improbables que c’en devient jouissif. La fin a réussi à m’émouvoir malgré la mise en scène excessive, sur-jouée et simpliste. Demon Slayer est un phénomène de mode, porté par son visuel dans un premier temps (il suffit de voir le nombre de figurines tirées de la série), destiné à un large public (mais de préférence jeune) et véhiculant des valeurs positives (sens du devoir et du sacrifice, solidarité, respect vis-à-vis des ainés, force du travail, etc…). J’ai lu l’intégralité de la série avec un réel plaisir même si je trouvais les combats trop longs. Les personnages sont tellement marquants, l’humour (souvent très crétin/enfantin) contrebalance tellement bien le caractère dramatique du récit, le concept est tellement efficace (et pourtant on ne peut plus basique) que c’en devient addictif. Je recommande, pour les jeunes (mamie, n’ait pas peur d’offrir ces horreurs à tes petits-enfants, les valeurs que ce manga véhicule sont de ton temps) et pour les moins jeunes (essayez et si ça se trouve vous serez aussi positivement surpris que moi). Un phénomène de mode, mais surtout un manga très efficace.