J'ai mis un bon bout de temps à pouvoir écrire un avis sur cette BD, parce que j'ai hésité sur mon ressenti en sortie de lecture. C'est une œuvre violente et sans concession (en même temps de la part du type qui a fait la trilogie du moi ...), qui veut nous présenter les maux d'une Afrique par un personnage qui finira par échouer en Europe et être un de ces jeunes délinquants sur lequel le RN a construit son discours.
C'est ambitieux comme lecture, et franchement je ne savais pas trop à quoi m'attendre mais je trouve que l'auteur évite l'écueil d'un récit personnel, dépassant celui-ci pour parler plus largement de politique. Et Altarriba tape à boulet rouge, à la fois sur les seigneurs de guerres locaux prêt à toutes les atrocités pour gagner de l'argent, mais aussi aux profiteurs de toute sorte (chinois, européens ...) qui font s'affronter les armées d'enfants pour le contrôle des mines de la région, précieuses ressources dans la compétition technologique. Il y aura le passage dans les pays arabe, où la traite humaine ne s'est jamais complètement arrêté, la violence sexuelle (et sexiste), la violence tout court. Le parcours complet brosse un portrait d'un monde où l'homme né noir semble devoir se battre pour survivre dans tout les endroits qu'il traverse. C'est une triste vie, mais une vie dictée par des politiques menées localement, échappant à ces personnes, simples citoyens d'un monde qui les dépasse. L'auteur est clairement altermondialiste et plutôt à gauche de la gauche !
Je trouve que la BD arrive à conjuguer son dessin très typé mais précis et efficace (Sergio García Sánchez n'est clairement pas un manchot) et son histoire sombre pour dresser un portrait de migrant cruellement tragique. Celui qu'on voit comme un délinquant, un parasite, un danger, c'est celui qui aura vécu parfois l'enfer dans un monde profondément injuste. Et la fin, tragique et sans concession, est un message directement adressé à chaque lecteur : rappelle-toi que tout le monde n'a pas eu ta chance. Intéressante BD, brutale et engagée.
Mes lectures des histoires imaginées par Marc-Antoine Mathieu sont rares, mais je dois dire qu'à chaque fois c'est une merveille.
Ici, dans cet album en marge de sa série-culte, il nous propose une utopie qui devient très vite une dystopie. Dans une cité dont on ne connaît pas les limites, des hommes (aucune femme, bizarrement) ont leur vie ultra-réglée par les écrans, et des rituels immuables. Sauf qu'un jour un mur, puis un deuxième, puis des milliers, vient contrarier cette routine. Tout déraille petit à petit, y compris la mémoire, qu'elle soit individuelle ou collective, et les conséquences sont vertigineuses, effrayantes, et totalement crédible même si nous sommes là dans une parabole de notre société actuelle. Le risque est en effet de devenir des légumes sans aucune réflexion, dont la civilisation s'effondrerait en cas de perte de mémoire.
Dans un noir et blanc toujours aussi efficace, MAM nous propose donc un récit tétanisant, à découvrir de toute urgence si ce n'est déjà fait.
Seuls, c'est une série que j'avais découverte en feuilletant des exemplaires du Journal de Spirou et du Monde des ados dans la salle d'attente d'un-e médecin quand j'étais encore au collège (souvenirs, souvenirs). J'étais immédiatement tombée sous le charme du concept.
La série se divisant en cycles (il devrait y en avoir cinq au total si j'ai bien suivi), je vais essayer de les présenter et de résumer mon avis dans l'ordre.
Le premier cycle est sans doute le plus intéressant et le plus marquant. C'est là où tout le concept de la série (son nom, même) prend son sens. Une nuit, comme ça, sans crier gare, la quasi-totalité de la population disparait. Seuls restent cinq enfants, d'âges et d'horizons différents, tentant tant bien que mal de survivre dans un monde sans aucun adulte pour les aider. Mais peut-être qu'iels ne sont pas aussi seul-e-s qu'iels aimeraient le penser...
Voilà, ce premier cycle est simple, mais sait rester prenant, haletant, intriguant et un peu dur aussi par moment. Je pense notamment au tome 2 ("Le Maître des couteaux"), sans doute l'un de mes tomes préféré de la série (si ce n'est mon préféré), avec son final qui personnellement m'avait pris aux tripes. Ce premier arc est sans nul doute celui qui a donné ses lettres de noblesses à la série.
Viens ensuite le second arc, davantage axé sur la présentation plus en détail de l'univers et le paranormal. Oui, j'ai oublié de dire, il y a une bonne dose de paranormal dans cette série. C'est expliqué par la révélation de fin de premier cycle - que je ne vous spoilerais pas dans l'éventualité où vous l'ignoreriez encore.
C'est dans ce cycle que l'on nous explique le plus de choses, notamment tout ce qui tourne autour des 15 familles (véritable point central de la série in fine). C'est aussi dans ce second cycle que j'ai vécu ma première déception pour cette série, car si sa première partie, très axée sur les conflits internes et l'horreur m'avait plu (mention spéciale pour l'album "Les Terres Basses" avec son ambiance horrifique assez marquante), la seconde partie axée sur Néosalem m'a semblé un peu plus "bateau". J'ai bien aimé le concept des premières familles mais j'ai trouvé certains point scénaristiques qu'elles apportaient trop convenus, un peu trop lourds aussi.
Fort heureusement, le troisième cycle a réussi à me les rendre un brin plus sympathique, avec toutes ces intrigues de révoltes, d'inquisition et de guerres intestines. Tout n'est pas parfait dans ce cycle, loin de là, le final et la révélation autour de Melchior m'ont même parus plus maladroits qu'autre chose. Mais j'avoue avoir quand-même apprécié l'idée de nos protagonistes d'origines livré-e-s de nouveau à elleux-mêmes et devant survivre face à l'enfant-minuit (enfin révélé à la fin du dernier cycle).
Le quatrième cycle, enfin, commencé il y a peu, me semble intéressant, mais je ne saurais pas vraiment trop développer sur lui. Je me suis un peu ennuyée à la lecture de l'album "Les Protecteurs" mais je reste encore très intriguée et investie dans l'histoire pour lire la suite. Même si, je l'avoue, je n'ai pas encore pu lire le dernier album, "L'Hôtel au bord du monde".
Voilà, Seuls, c'est ça. Une très bonne série, manquant de peu le statut de "culte" et sa cinquième étoile selon moi.
Même si, oui, quelques longueurs se font sentir et que tous les albums sortis dernièrement ne m'ont pas autant marquée que les premiers, je reste assez attachée et confiante quant à la suite de la série.
Par pitié, que la loi de Murphy ne s'applique pas dans le cas présent et que l'on ne me fasse pas regretter ces paroles à l'avenir.
Ah, madame, tout Paris est dans votre sourire !…
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une histoire autour du peintre Gustave Courbet (1819-1877). Son édition originale date de 2015 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par Fabien Lacaf (1954-2019) pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, intitulé Le réaliste engagé, composé de sept parties intitulées : Un autodidacte ambitieux, Un esprit politique, Courbet le communard, Un succès fulgurant, Les petites cachettes de L’origine du monde, Un artiste devenu incontournable, L’exil et la mort.
Paris, octobre 1866. La ville est en pleine mutation. Le baron Haussmann perce la vieille cité moyenâgeuse… Il ouvre de larges avenues rectilignes et repousse les quartiers populaires sur les périphéries… Déjà, à l’époque dans ce milieu bouleversé, deux mondes se côtoient… Les plus pauvres et les plus riches. En bas, paysannes et paysans des provinces de France qui deviendront ouvrières et ouvriers pour le meilleur… voleurs et prostituées pour le pire !… Car la ville-lumière, comme la lampe attirant les papillons de nuit, séduit tout ce que le monde compte de génies de son époque… Peintres, écrivains et musiciens. Ville de plaisir et de folie, elle attire aussi les nouveaux riches, millionnaires étrangers en tout genre. Millionnaires, qui comme le chante Offenbach, viennent dépenser à Paris Tout ce que là-bas, ils ont volé. Ce soir, première de La vie parisienne, opéra bouffe de Messieurs Meilhac et Halévy sur la musique d’Offenbach. Sur la scène du Palais Royal, les interprètes jouent et chantent, dont cette réplique évoquant un individu brésilien, ayant de l’or et arrivant de Rio de Janeiro plus riche aujourd’hui que naguère. Les paroles continuent : il a gagné tant bien que mal des sommes folles et il vient à Paris pour qu’elle lui vole tout ce que là-bas il a volé. Dans les baignoires, les spectateurs observent aussi bien l’opéra bouffe, qu’ils détaillent les autres spectateurs et leurs tenues. Soudain, une femme âgée pousse un cri d’horreur.
Dans les couloirs, un juge qui était au spectacle, accueille la police. Ils se rendent dans une baignoire : devant eux, une femme à la robe relevée, sans sous-vêtement, les jambes écartées, assassinée, avec un voile vert lui recouvrant la tête. Le commissaire identifie la mise en scène : une reproduction macabre d’un tableau licencieux de M. Courbet. C’est L’origine du monde. Il l’a vu la semaine dernière : il était invité chez ce diplomate turc qui vient d’arriver à Paris. Grosse fortune, très porté sur le beau sexe ! Collectionneur, joueur, tout le portrait du Brésilien, il a promis de se ruiner en un an ou deux !… Bref, il les amène en petit comité dans sa salle de bain, et là !… Eh bien là, sur un mur en marbre rose, un rideau vert (il est musulman) qu’il tire après tout un mystère de salamalecs… et apparaît cette peinture incroyable… et scandaleuse ! Une femme de face, jambes ouvertes, chemise relevée jusqu’à la poitrine, le sexe offert à tout vent, sans artifice. Pas de visage, coupée comme à l’étal du boucher… Incroyable !
S’il a lu d’autres tomes de cette collection, le lecteur ne sait pas trop à quoi s’attendre en guise d’évocation de cet artiste : une biographie classique ou un récit tournant autour. Profitant de la latitude éditoriale, l’auteur opte pour une enquête policière sur une série de meurtres dont la mise en scène reprend celle du tableau L’origine du monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877). Ainsi le bédéiste raconte une histoire autour de ce chef-d’œuvre. Dans le même temps, l’enquête des inspecteurs Antoine Maréchal et Laroque les amènent à rencontrer et à interroger les personnes qui gravitent autour du grand peintre, et aussi ce dernier, tout en évoluant dans différents cercles de la société de l’époque, c’est-à-dire un véritable polar, observateur et révélateur de la société dans laquelle il se déroule. Dans la dernière page, se trouve une citation du peintre : L’origine du monde et surtout son modèle, pour être universels, doivent rester anonymes. De fait, l’enquête s’articule autour de la recherche de l’identité de la femme qui a posé pour Courbet, ce qui permettra d’en déduire l’identité du meurtrier et son mobile. Lors de la réalisation de la présente bande dessinée, plusieurs hypothèses avaient cours sur ladite identité. Les deux inspecteurs sont amenés à considérer chacune d’entre elles.
La lecture commence par une page impressionnante : une première case de la largeur de la page pour une vue du ciel de Paris où il est possible d’identifier l’obélisque de la place de la Concorde, la cathédrale Notre-Dame de Paris, le Panthéon, puis une deuxième case de la largeur de la page en vue plus rapprochée avec la passerelle des Arts en premier plan, une troisième case de la largeur de la page cette fois-ci au niveau de la rue avec le dos de Notre-Dame en arrière-plan, et enfin deux cases dans la rue à la suite d’un enfant crieur de journaux. L’artiste réalise des cases dans un registre réaliste et descriptif, avec un grand soin apporté aux détails, et une densité visuelle élevée. Le lecteur peut voir que la solidité de la reconstitution historique lui tient à cœur, que ce soient les costumes et les toilettes d’époque, les accessoires, les façades et les sites emblématiques de Paris, les différents lieux comme le Palais Royal, l’hôtel particulier du diplomate Khalil Chérif Pacha (1831-1879) et quelques-unes de ses œuvres d’art, l’atelier de Gustave Courbet, l’opéra Garnier en construction, les terrasses sous les arcades de la place Vosges, etc. Le lecteur observe de ci de là des détails de la vie parisienne qui peuvent s’avérer surprenant : les petits métiers des rues, la mise en scène (authentique) du tableau L’origine du monde dans la salle de bain de Khalil Bey, la circulation des fiacres, l’aménagement de l’atelier de photographie boulevard des Capucines, le numéro érotique de Cora Pearl, la déambulation d’un chevrier et de son troupeau d’une demi-douzaine de bêtes dans les rues, etc.
Le dessinateur est également mis à contribution pour mettre en scène des personnages connus. Il reproduit l’apparence de Gustave Courbet bien sûr, Charles Baudelaire (1821-1867), du critique d’art Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), du diplomate Khalil Chérif Pacha (1831-1879), du peintre James Abbott McNeill Whistler (1834-1903), du photographe Gaspard-Félix Tournachon (1820-1910, Nadar), de l’écrivain Jules Verne (1828-1905) qui vient donner un exemplaire de De la Terre à la Lune (1865) à Nadar, et des différents modèles qui auraient pu poser pour le célèbre tableau. Qui plus est, l’artiste se montre un excellent conteur, ce qui constitue souvent un défi pour un roman policier. En effet les images ont tendance à montrer ce qu’il est plus facile de dissimuler quand il s’agit d’un roman. En auteur complet, Fabien Lacaf construit ses séquences de sorte qu’elles présentent toujours un intérêt visuel. Son investissement dans cette bande dessinée transparaît également au cours des scènes de dialogue : les personnages vaquent à leurs occupations pendant qu’ils parlent, et les décors sont représentés en arrière-plan. L’emploi du dispositif qui consiste à se focaliser sur les silhouettes ou les visages par une succession de champs et contrechamps avec un camaïeu pour fond reste l’exception, ce qui donne des discussions pleines d’entrain.
En page quarante-six, l’auteur inclut des facsimilés de journaux qui laissent entendre que les assassinats à la manière du tableau ont réellement eu lieu. Quoi qu’il en soit, le lecteur suit les deux inspecteurs et il fait ainsi la rencontre successivement de la bohémienne Flanelle, puis de l’irlandaise Joanna Hifferman (1843-1903) lorsque Courbet en évoque son souvenir avec Baudelaire, de Marie-Anne Detourbay, dite Mademoiselle Jeanne de Tourbey (1837-1908, maîtresse du prince Napoléon), de Cora Pearl (1836-1886, célèbre demi-mondaine, surnommée La grande horizontale), de Constance Quéniaux (1832-198, danseuse de l'opéra de Paris et courtisane). Les deux inspecteurs surprennent même Virginia Oldoïni (1837-1899, dite la Castiglione, maîtresse de Napoléon III) en pleine séance de pose coquine. L’ensemble des modèles pour L’origine du monde est ainsi présenté. L’enjeu du récit ne réside pas dans la découverte de l’identité du tueur ou de ses motivations puisqu’elles sont révélées dans une scène au deux-tiers du récit. Il s’agit bien de dépeindre une époque, et les réactions suscitées par le tableau. En passant ainsi en revue les différentes femmes ayant pu servir de modèle, le lecteur constate qu’elles appartiennent à des milieux sociaux très différents, renforçant ainsi le postulat d’universalité voulu par le peintre. Comme dans les autres tomes de cette collection, la lecture du dossier réalisé par Dimitri Joannidès apporte de nombreux éléments complémentaires intéressants sur différentes facettes du contexte, que ce soit l’ambition du peintre, sa conscience politique se traduisant par des sujets issus des classes populaires, sa participation à la Commune de Paris (1871), son exil, et le devenir son tableau L’origine du monde après avoir été vendu par Khalil Bey.
Les tomes de cette collection se suivent et ne se ressemblent pas, les auteurs bénéficiant d’une vraie liberté éditoriale pour aborder l’artiste sous l’angle qui les intéressent. Fabien Lacaf s’est pleinement investi dans la réalisation de cet album, à commencer par la narration visuelle d’une grande consistance, et la densité du récit. Il a été inspiré par une déclaration du peintre sur l’importance de l’anonymat de son modèle, ce qu’il met en scène dans un polar auscultant la société de l’époque sous cet angle. Pour la petite histoire, postérieurement à la parution de cet ouvrage, en 2018, l'écrivain Claude Schopp a trouvé une indication dans la correspondance d’Alexandre Dumas fils qui désignerait Constance Quéniaux comme le modèle.
De toute façon, c’est un livre tellement douloureux que personne n’aura le courage de le lire.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre qui ne nécessite pas de connaître les circonstances des meurtres de la famille Clutter, ni des éléments biographiques de la vie de Truman Capote. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Xavier Betaucourt pour le scénario et par Nadar (Pep Domingo) pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-six pages de bande dessinée. Il se termine avec une bibliographie sélective d’ouvrages et de films utilisés comme références par les auteurs, une bibliographie de Truman Capote, et une bibliographie de chacun des deux auteurs.
La nuit, à un passage à niveau, la barrière se relève, et l’automobile peut pénétrer dans la propriété de H.W. Clutter. Le conducteur arrête le véhicule et éteint les phares. Il se tourne vers le passager et lui demande : Alors ? L’autre répond qu’ils doivent partir, avant qu’il ne soit trop tard. En mars 1967, une voiture pénètre dans la petite ville de Holcomb au Kansas. Il s’agit de deux journalistes de Life Magazine ; ils viennent pour couvrir le tournage du film tiré du roman de Sang-froid. Devant la maison des Clutter, Truman Capote est en train de répondre à quelques questions de journalistes : il explique qu’il a absolument voulu Richard Brooks comme réalisateur car lui seul était capable d’imposer le noir et blanc et des comédiens inconnus aux producteurs. Il continue : les studios voulaient Steve McQueen et Paul Newman pour tenir les rôles de Dick et Perry. Lui, le réalisateur, voulait des comédiens qui ressemblent aux personnages réels, et il a eu diablement raison. Capote continue encore : Pareil pour la maison, Richard Brooks voulait tourner sur les vrais lieux du drame, ici, au palais de justice, dans le magasin où ils ont acheté la corde. Il se tourne vers le réalisateur pour savoir s’il peut emmener les journalistes dans la maison. Brooks lui demande de faire vite : ils ont une scène à tourner et la lumière commence à baisser. L’écrivain emmène la petite troupe à l’intérieur en indiquant qu’il va montrer où ils ont égorgé Mr Cutter et assassiné le rester de la famille, tout est resté en l’état.
Le soir, Truman Capote est en train de savourer un whisky, seul au comptoir. Il est rejoint par Richard Brooks. Ce dernier lui demande de faire partir les journalistes, sa popularité le dérange, il ne peut pas tourner avec toute cette troupe dans les pattes. Capote accepte : ils seront partis demain, sauf le journaliste de Life, car il veut faire un long article sur lui. Bill Jensen du Weekly Magazine s’impose dans leur conversation en leur ordonnant de partir : les habitants ne veulent pas des gens d’Hollywood ici ! Il continue : ils vont attirer des indésirables et ça sera la pagaille dans tout le comté de Finney. Le serveur vient le prendre par l’épaule pour le calmer et l’éloigner. Capote explique à Brooks de qui il s’agit, la scène correspondante à leur rencontre initiale est tournée le lendemain. Le journaliste de Life Magazine comprend qu’un des deux acteurs joue le rôle de l’écrivain et il s’en étonne auprès de Capote car ce dernier ne figure pas dans son roman. Il répond que c’est un choix de Richard, et que ça ne s’est pas passé aussi bien que ça en réalité.
En fonction de sa connaissance du sujet, le lecteur peut aborder sa lecture en candide, en ayant vaguement à l‘esprit que Truman Capote (1924-1984) est un écrivain célèbre et qu’il a écrit un livre sur un meurtre, ou alors en ayant une idée plus précise sur le sujet, peut-être en ayant vu le film de 1967 réalisé par Richard Brooks (1912-1992), ou en ayant lu le livre De sang-froid (1966). Il comprend vite que tout part des meurtres de la famille Clutter : le père Herbert William (48 ans), la mère Bonnie Mae (45 ans), la fille Nancy Mae (16 ans) et le fils Kenyon Neal (15 ans) dans leur demeure le 15 novembre 1959. Le récit commence par deux pages en noir & blanc : le lecteur comprend qu’il s’agit d’une scène du film de 1967, adaptant le livre. Il y a ainsi sept séquences en noir & blanc reprenant une scène du film, cinq de deux pages, une de quatre pages, et une d’une page. Leur fonction est double : servir de reconstitution d’une partie des faits dont les meurtres, et attirer l’attention sur le fait qu’il s’agit d’une fiction, c’est-à-dire que ce n’est pas un reportage en temps réel et que les faits véridiques diffèrent forcément. Le journaliste de Life Magazine fait d’ailleurs observer que le réalisateur a effectué un travail d’adaptation du livre, en y apportant des modifications. Cela induit dans l’esprit du lecteur que le livre lui-même, aussi minutieux que Capote se soit montré, diffère fatalement de la réalité sur certains points.
Pour rendre compte des enjeux, les auteurs ont choisi une structure mêlant plusieurs lignes temporelles : quelques extraits du film (une partie des scènes en train d’être tournées ce qui permet un commentaire à chaud de Capote), le retour de Truman Capote à Holcomb pendant le tournage, le retour de Capote à Golden City à deux reprises, ses visites au détenu Perry Smith, l’ordre chronologique prenant le dessus vers la moitié du récit. Le lecteur voit qu’ils ont effectué un travail de recherche conséquent, avec une narration sophistiquée qui charrie de nombreuses informations, tout en étant facile et légère. Le récit parvient à donner tous les éléments nécessaires à la compréhension : déroulé du meurtre, phases successives du procès et des appels, travail d’écriture de Truman Capote pendant six ans, sa vie personnelle avec son conjoint Jack Dunphy (1914-1992), des aperçus des réactions du grand public et des habitants de Golden City. Deux scènes montrent un aperçu de la vie mondaine de l’auteur et il croise Andy Warhol (1928-1987) dans une boîte de nuit, Norman Mailer (1923-2007) dans une soirée mondaine, et il est régulièrement accompagné par son amie Nelle Harper Lee (1926-2016) autrice de Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur (1960, To kill a mockingbird).
La narration visuelle participe à plein à la reconstitution historique. Le lecteur est immédiatement séduit par son apparence un peu ronde, par le sourire de Truman Capote, par les aplats de noir qui donnent du poids à chaque case, par l’élégance de l’alliance entre les traits encrés et les éléments en couleur directe. Il est visible que l’artiste prend un grand plaisir à réaliser les séquences de film, dix-sept pages au total : un noir & blanc avec un fort contraste dans un style film noir, et une mise en scène accentuant la dimension dramatique. Ces séquences rendent les autres plus réalistes par contraste. L’artiste impressionne également par la qualité de la reconstitution historique : les modèles de voitures, les tenues vestimentaires, les ameublements. Le lecteur prend le temps à plusieurs reprises de savourer un lieu, une atmosphère : l’attroupement devant la demeure de feu la famille Clutter sous une douce lumière jaune orangé, la cuisine années 1950 avec ses rares appareils électroménagers massifs, la pièce du palais de justice encombrée par les journalistes, la boite de nuit bondée dans sa lumière artificielle rose, la magnifique terrasse ombragée de la villa louée par Capote & Dunphy à Palamós, au Costa Brava en Espagne, le hall feutré d’un hôtel de luxe à Londres avec son tapis moelleux, une vue du ciel générale de la station de ski de Verbier en Suisse dans une lumière hivernale, une promenade automnale dans un bois, les couloirs grisâtres sinistres de la prison où est détenu Perry Smith, etc.
Le jeu des acteurs apparaît d’une grande justesse et transmet de nombreuses informations. L’hostilité d’une partie de la population de Golden City envers Truman Capote, l’attitude très professionnelle et efficace du réalisateur, l’admiration émerveillée de madame Dewey (l’épouse de l’inspecteur chargé de l’enquête) alors qu’elle reçoit la célébrité qu’est Capote à dîner chez elle, le regard mi amusé mi blasé de Nelle Harper Lee en l’observant, la mine résignée et fataliste de Perry Smith, les mimiques désapprobatrices de Jack Dunphy quant à certaines des relations sociales de son amant le contraste entre le sourire de Capote en public et son épuisement grandissant au fil des mois et des années qu’il consacre à son roman, allant jusqu’à une détresse angoissée. Le lecteur perçoit ainsi la dissonance émotionnelle qui s’établit entre son paraître et ses ressentis. C’est un peu décontenançant de prime abord car le récit est présenté avec Truman Capote au centre, le lecteur s’associant à ses efforts pour écrire ce roman, pour attester du fait qu’il veut faire ce livre pour que Smith et Hickock ne soient pas juste perçu comme des monstres, comme il le dit au premier. Ce décalage induit une prise de recul chez le lecteur qui réfléchit à ce qui se joue, et qui relève d’autres éléments, des remarques et des réactions au projet de l’écrivain.
Le journaliste local prend Truman à partie : il s’étonne que l’écrivain souhaite réaliser un roman sur un sujet aussi misérable, il lui dit clairement que les habitants n’ont pas besoin d’un écrivain de New York, qu’ils veulent juste oublier cette horreur. Une fois le roman paru, la postière Myrtle Clare s’en prend à lui en réfutant le fait qu’elle parle comme il la décrit, qu’elle ait vraiment tenu certains propos. Capote nourrit son roman pour partie de la relation privilégiée, de nature amicale, qu’il développe avec Perry Smith, à qui il rend régulièrement visite dans sa cellule. Les auteurs mettent en scène plusieurs facettes de cette relation, celles-ci finissant par orienter le comportement de Capote dans une certaine direction, établissant ainsi le point de vue des auteurs. Le lecteur constate que l’écrivain envisage les différents acteurs de la tragédie, y compris les habitants, comme de la matière pour son roman, une forme de vampirisme, celle de l’écrivain réalisant une œuvre sur le réel. Or il écrit sur un massacre ignoble, mettant, de ce point de vue, ainsi à profit la tragédie pour son œuvre. Sa relation avec Perry Smith se teinte également d’ambigüité. Truman détecte l’orientation homosexuelle de ce jeune homme, identique à la sienne. Il apprend que leur jeunesse présente des similitudes, issus d’une famille pauvre, n’ayant pas reçu d’amour de leur mère. D’une certaine manière, Perry Smith est le criminel que Capote aurait pu devenir s’il n’avait pas respecté la loi. La relation prend une dimension malsaine quand Smith comprend que leurs discussions servent également à alimenter l’écriture du roman, et plus dur encore quand Capote en vient à redouter les nouveaux appels, décalant ainsi la date de l’exécution capitale, et, par voie de conséquence, l’achèvement de son roman. Après la parution, un journaliste n’hésitera pas à lui faire observer que l’écrivain aurait pu engager un meilleur avocat à ses frais, pour la défense des deux accusés.
Le lecteur a peut-être été attiré par l’envie d’en savoir plus sur Truman Capote, sur le processus d’écriture de son œuvre la plus célèbre. Il apprécie immédiatement la qualité de la narration visuelle : agréable à l’œil, constituant une solide reconstitution historique, faisant apparaître les états d’esprit des personnages, avec une direction d’acteurs remarquable. Dans un premier temps, le récit semble rester au niveau d’une simple reconstitution factuelle, rehaussé par un réarrangement chronologique qui sert à faire ressortir des rapprochements, des liens. Petit à petit, le regard du lecteur change sur Truman Capote, entre écrivain totalement investi dans son art, et simple être humain s’étant adapté à ses névroses, confronté à une horreur ayant des résonances intimes.
3.5
De toutes les adaptations de Lovecraft de Gou Tanabe que j'ai lues jusqu'à présent, c'est celle dont j'ai le plus appréciée. Il faut dire que c'est une de mes nouvelles préférées de l'auteur.
Même si on retrouve des thèmes que Lovecraft a déjà ou va exploiter dans d'autres récits (un des problèmes avec cet écrivain est que les thèmes qu'il a exploités sont souvent les mêmes) et que je connaissais déjà la fin, j'ai trouvé que c'était captivant à lire. Le dessin de Tanabe retranscrit bien l'atmosphère étrange et horrifique que le héros va visiter pour découvrir ses origines.
En revanche, je trouve que la dernière partie traine un peu en longueur et j'étais bien content lorsque c'était terminé, mais cela n'est pas trop grave. Classique, mais efficace.
Une aventure truculente et musclée sur fond de Cuba des années 50, nid d'espions, de mafieux, de politiciens corrompus et de guérilleros à l'aube de la revolución.
La série s'entame par une dizaine de pages d'histoire de Cuba des années 1920 à 1950 pour bien poser le contexte. On y découvre immédiatement le chaleureux dessin de Vittoria Macioci (dite Vic) dans son style rétro-moderne qui plonge dans l'ambiance de ces années folles sous l'influence de l'Amérique. Liberté du graphisme et du ton, on comprend vite qu'on n'est pas dans une triste BD historique mais dans quelque chose de bien plus énergique, coloré et plaisant.
Puis arrive la rencontre avec notre petit groupe de héros : un détective américain, ancien espion de la CIA reconverti au service d'un patron cubain assez minable et endetté par le jeu, son collègue cubain charmeur et affable, ainsi que la fille du patron, étudiante tout juste revenue des USA pour passer les vacances dans son île natale. Sauf que le père vient de se faire arnaquer par le caïd de la mafia locale et que pour éponger sa dette, les trois autres sont forcés d'accéder une mission de kidnapping en théorie sans risque. Malheureusement, non seulement celle-ci se révèle plus compliquée que prévu, mais en plus dans leur fuite nos héros sont témoins malgré eux d'une barbouzerie organisée par le dictateur Batista et ses complices de la CIA qui ne manquent hélas pas de reconnaitre leur ancien collègue.
Enlevée, amusante et dynamique, cette BD se révèle très réjouissante. Elle mélange la grande Histoire et la petite dans une série d'aventure pleine d'action et d'humour, avec une belle brochette de personnages plaisants à suivre. Le contexte de Cuba y est parfaitement exploité, loin des classiques histoires de guérilla : ici, ce serait plutôt les Tontons Flingueurs au pays du Cuba Libre.
Très sympathique lecture, elle demande encore à prendre son envol puisque le tome 1 se contente de poser de très bonnes bases mais qu'on espère ne pas voir la suite tourner à la simple course poursuite. Je la suivrai avec attention en tout cas.
Un western de très bonne facture.
Jérôme Félix propose un scénario original. Avec une base très classique, l'arrivée du chemin de fer qui métamorphose le Far West (comment ne pas penser à "Il était une fois dans l'ouest" de Sergio Leone), il sonne le glas des convoyeurs de bétail. Mais c'est surtout l'intrigue elle-même et les personnages (très bien campés) qui apportent cette originalité. Un récit sombre, violent et surprenant qui ne donnera sa conclusion que dans les dernières planches. Les personnages sont tiraillés par des sentiments contradictoires, ils donnent à voir le meilleur et le pire.
Un western de très bonne facture qui aurait mérité un développement plus long que ces 72 pages, ça va très/trop vite. Mais cela ne m'a pas empêché de prendre beaucoup de plaisir, et c'est bien là l'essentiel.
Le travail de Paul Gastine est superbe, dans un style très western. De superbes décors, des personnages aux gueules expressives et reconnaissables au premier coup d'œil.
J'en ai pris plein les mirettes.
Un indispensable pour tous les amateurs de western crépusculaire.
Le parachutage d'un japonais employé de bureau en plein beau milieu d'un royaume plutôt médiéval et magique avec des dragons et des femmes plutôt splendides est un classique du genre. Autant dire que l'argument de départ est "bateau". Mais je dois reconnaître que le développement change de ce qu'on peut voir ailleurs. Bien que le héros pourrait s'offrir très facilement un harem de jeunes femmes fort accortes et dociles, il reste fidèle à sa royale moitié, sans chercher à se mettre en avant, essayant néanmoins de se simplifier la vie en important divers accessoires et techniques de sa vie d'avant. J'aime bien l'affrontement entre les diverses mentalités.
Le manga raconte son apprentissage des arcanes du pouvoir et de la diplomatie, ainsi que de la magie. Mais Zenshirô n'est pas montré ici comme un surhomme qui apprend tout et réussit tout en une fraction de seconde, même s'il a quand même quelques bonnes dispositions. Il sait rester modeste et surtout il sait exploiter cette "faiblesse". Reconnaissons au passage qu'il a l'air de se tirer d'affaire en évitant de trop froisser les diverses parties en jeu, ce qui est assez japonais.
Chose assez rare, il devient père d'un 1er bébé et le 2ème est en route (j'ai lu les 15 premiers tomes disponibles à ce jour). Sa relation avec la mère de ses enfants n'a pas duré 36 volumes jusqu'au 1er baiser comme dans certains mangas.
Le scénariste (Tsunehiko Watanabe) sait où il va, à moins qu'il ait une très bonne facilité pour retomber sur ses pieds.
Quant au dessin, il est fort bon, pas bâclé, le dessinateur (Neko Hinotsuki) ne semble pas être un obscur tâcheron comme il en existe tant au pays du Soleil Levant. Il a déjà quelques séries au compteur. Graphiquement, ça ressemble assez fortement à ce qu'on voit dans certains autres mangas, mais ça reste du bon boulot. Il est épaulé par un character designer (Jyû Ayakura).
En bref, un faux manga harem qui initie aux joies de la diplomatie, si on accepte certains postulats de base assez peu crédibles.
Ajout : curieusement le titre anglophone pour la France (A Fantasy Lazy Life) n'est celui utilisé par les Anglo-saxons (The Ideal Sponger Life). Mais l'idée générale reste la même. En tout cas, sa vie n'est finalement pas de tout repos !
Ce duo Bonneau / Marie fonctionne vraiment bien je trouve. Le dessin de Laurent Bonneau est immédiatement reconnaissable, et il trouve ici encore, après Ceux qui me restent du même duo, un terrain parfait pour s’exprimer. Damien Marie lui offre une histoire intime et viscérale, celle d’un homme en quête de souffle dans un quotidien écrasant. On retrouve cette manière de plonger dans l’intime pour faire émerger des questions universelles. L’album touche juste, sans chercher à en faire trop.
Visuellement, Bonneau garde ce style brut, presque inachevé, qui laisse les traits vibrer. Les contours hésitants, les aplats légers, tout donne l’impression d’un instant capturé, fragile et authentique. Ce choix renforce l’impression de fragments de vie, des moments en suspension. Rien n’est figé, tout reste ouvert à l’interprétation.
Côté scénario, Damien Marie évite les grands discours. On suit une trajectoire individuelle, une fuite irrationnelle mais profondément humaine. Un couple usé, un père cherchant un souffle auprès de sa fille, et ce poids d’un monde qui écrase. Pas de révolte, juste une respiration nécessaire, presque désespérée. Les thèmes sont simples – la quête de sens, les rêves d’enfance, l’usure du quotidien – mais ils trouvent une résonance qui fonctionne bien.
Un album qui s’inscrit dans la lignée des collaborations entre ces deux auteurs, avec cette capacité à mêler émotion brute et réflexion sur la condition humaine, tout en laissant de la place au lecteur pour s’y retrouver.
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Le Ciel dans la tête
J'ai mis un bon bout de temps à pouvoir écrire un avis sur cette BD, parce que j'ai hésité sur mon ressenti en sortie de lecture. C'est une œuvre violente et sans concession (en même temps de la part du type qui a fait la trilogie du moi ...), qui veut nous présenter les maux d'une Afrique par un personnage qui finira par échouer en Europe et être un de ces jeunes délinquants sur lequel le RN a construit son discours. C'est ambitieux comme lecture, et franchement je ne savais pas trop à quoi m'attendre mais je trouve que l'auteur évite l'écueil d'un récit personnel, dépassant celui-ci pour parler plus largement de politique. Et Altarriba tape à boulet rouge, à la fois sur les seigneurs de guerres locaux prêt à toutes les atrocités pour gagner de l'argent, mais aussi aux profiteurs de toute sorte (chinois, européens ...) qui font s'affronter les armées d'enfants pour le contrôle des mines de la région, précieuses ressources dans la compétition technologique. Il y aura le passage dans les pays arabe, où la traite humaine ne s'est jamais complètement arrêté, la violence sexuelle (et sexiste), la violence tout court. Le parcours complet brosse un portrait d'un monde où l'homme né noir semble devoir se battre pour survivre dans tout les endroits qu'il traverse. C'est une triste vie, mais une vie dictée par des politiques menées localement, échappant à ces personnes, simples citoyens d'un monde qui les dépasse. L'auteur est clairement altermondialiste et plutôt à gauche de la gauche ! Je trouve que la BD arrive à conjuguer son dessin très typé mais précis et efficace (Sergio García Sánchez n'est clairement pas un manchot) et son histoire sombre pour dresser un portrait de migrant cruellement tragique. Celui qu'on voit comme un délinquant, un parasite, un danger, c'est celui qui aura vécu parfois l'enfer dans un monde profondément injuste. Et la fin, tragique et sans concession, est un message directement adressé à chaque lecteur : rappelle-toi que tout le monde n'a pas eu ta chance. Intéressante BD, brutale et engagée.
Mémoire morte
Mes lectures des histoires imaginées par Marc-Antoine Mathieu sont rares, mais je dois dire qu'à chaque fois c'est une merveille. Ici, dans cet album en marge de sa série-culte, il nous propose une utopie qui devient très vite une dystopie. Dans une cité dont on ne connaît pas les limites, des hommes (aucune femme, bizarrement) ont leur vie ultra-réglée par les écrans, et des rituels immuables. Sauf qu'un jour un mur, puis un deuxième, puis des milliers, vient contrarier cette routine. Tout déraille petit à petit, y compris la mémoire, qu'elle soit individuelle ou collective, et les conséquences sont vertigineuses, effrayantes, et totalement crédible même si nous sommes là dans une parabole de notre société actuelle. Le risque est en effet de devenir des légumes sans aucune réflexion, dont la civilisation s'effondrerait en cas de perte de mémoire. Dans un noir et blanc toujours aussi efficace, MAM nous propose donc un récit tétanisant, à découvrir de toute urgence si ce n'est déjà fait.
Seuls
Seuls, c'est une série que j'avais découverte en feuilletant des exemplaires du Journal de Spirou et du Monde des ados dans la salle d'attente d'un-e médecin quand j'étais encore au collège (souvenirs, souvenirs). J'étais immédiatement tombée sous le charme du concept. La série se divisant en cycles (il devrait y en avoir cinq au total si j'ai bien suivi), je vais essayer de les présenter et de résumer mon avis dans l'ordre. Le premier cycle est sans doute le plus intéressant et le plus marquant. C'est là où tout le concept de la série (son nom, même) prend son sens. Une nuit, comme ça, sans crier gare, la quasi-totalité de la population disparait. Seuls restent cinq enfants, d'âges et d'horizons différents, tentant tant bien que mal de survivre dans un monde sans aucun adulte pour les aider. Mais peut-être qu'iels ne sont pas aussi seul-e-s qu'iels aimeraient le penser... Voilà, ce premier cycle est simple, mais sait rester prenant, haletant, intriguant et un peu dur aussi par moment. Je pense notamment au tome 2 ("Le Maître des couteaux"), sans doute l'un de mes tomes préféré de la série (si ce n'est mon préféré), avec son final qui personnellement m'avait pris aux tripes. Ce premier arc est sans nul doute celui qui a donné ses lettres de noblesses à la série. Viens ensuite le second arc, davantage axé sur la présentation plus en détail de l'univers et le paranormal. Oui, j'ai oublié de dire, il y a une bonne dose de paranormal dans cette série. C'est expliqué par la révélation de fin de premier cycle - que je ne vous spoilerais pas dans l'éventualité où vous l'ignoreriez encore. C'est dans ce cycle que l'on nous explique le plus de choses, notamment tout ce qui tourne autour des 15 familles (véritable point central de la série in fine). C'est aussi dans ce second cycle que j'ai vécu ma première déception pour cette série, car si sa première partie, très axée sur les conflits internes et l'horreur m'avait plu (mention spéciale pour l'album "Les Terres Basses" avec son ambiance horrifique assez marquante), la seconde partie axée sur Néosalem m'a semblé un peu plus "bateau". J'ai bien aimé le concept des premières familles mais j'ai trouvé certains point scénaristiques qu'elles apportaient trop convenus, un peu trop lourds aussi. Fort heureusement, le troisième cycle a réussi à me les rendre un brin plus sympathique, avec toutes ces intrigues de révoltes, d'inquisition et de guerres intestines. Tout n'est pas parfait dans ce cycle, loin de là, le final et la révélation autour de Melchior m'ont même parus plus maladroits qu'autre chose. Mais j'avoue avoir quand-même apprécié l'idée de nos protagonistes d'origines livré-e-s de nouveau à elleux-mêmes et devant survivre face à l'enfant-minuit (enfin révélé à la fin du dernier cycle). Le quatrième cycle, enfin, commencé il y a peu, me semble intéressant, mais je ne saurais pas vraiment trop développer sur lui. Je me suis un peu ennuyée à la lecture de l'album "Les Protecteurs" mais je reste encore très intriguée et investie dans l'histoire pour lire la suite. Même si, je l'avoue, je n'ai pas encore pu lire le dernier album, "L'Hôtel au bord du monde". Voilà, Seuls, c'est ça. Une très bonne série, manquant de peu le statut de "culte" et sa cinquième étoile selon moi. Même si, oui, quelques longueurs se font sentir et que tous les albums sortis dernièrement ne m'ont pas autant marquée que les premiers, je reste assez attachée et confiante quant à la suite de la série. Par pitié, que la loi de Murphy ne s'applique pas dans le cas présent et que l'on ne me fasse pas regretter ces paroles à l'avenir.
Courbet
Ah, madame, tout Paris est dans votre sourire !… - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une histoire autour du peintre Gustave Courbet (1819-1877). Son édition originale date de 2015 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par Fabien Lacaf (1954-2019) pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, intitulé Le réaliste engagé, composé de sept parties intitulées : Un autodidacte ambitieux, Un esprit politique, Courbet le communard, Un succès fulgurant, Les petites cachettes de L’origine du monde, Un artiste devenu incontournable, L’exil et la mort. Paris, octobre 1866. La ville est en pleine mutation. Le baron Haussmann perce la vieille cité moyenâgeuse… Il ouvre de larges avenues rectilignes et repousse les quartiers populaires sur les périphéries… Déjà, à l’époque dans ce milieu bouleversé, deux mondes se côtoient… Les plus pauvres et les plus riches. En bas, paysannes et paysans des provinces de France qui deviendront ouvrières et ouvriers pour le meilleur… voleurs et prostituées pour le pire !… Car la ville-lumière, comme la lampe attirant les papillons de nuit, séduit tout ce que le monde compte de génies de son époque… Peintres, écrivains et musiciens. Ville de plaisir et de folie, elle attire aussi les nouveaux riches, millionnaires étrangers en tout genre. Millionnaires, qui comme le chante Offenbach, viennent dépenser à Paris Tout ce que là-bas, ils ont volé. Ce soir, première de La vie parisienne, opéra bouffe de Messieurs Meilhac et Halévy sur la musique d’Offenbach. Sur la scène du Palais Royal, les interprètes jouent et chantent, dont cette réplique évoquant un individu brésilien, ayant de l’or et arrivant de Rio de Janeiro plus riche aujourd’hui que naguère. Les paroles continuent : il a gagné tant bien que mal des sommes folles et il vient à Paris pour qu’elle lui vole tout ce que là-bas il a volé. Dans les baignoires, les spectateurs observent aussi bien l’opéra bouffe, qu’ils détaillent les autres spectateurs et leurs tenues. Soudain, une femme âgée pousse un cri d’horreur. Dans les couloirs, un juge qui était au spectacle, accueille la police. Ils se rendent dans une baignoire : devant eux, une femme à la robe relevée, sans sous-vêtement, les jambes écartées, assassinée, avec un voile vert lui recouvrant la tête. Le commissaire identifie la mise en scène : une reproduction macabre d’un tableau licencieux de M. Courbet. C’est L’origine du monde. Il l’a vu la semaine dernière : il était invité chez ce diplomate turc qui vient d’arriver à Paris. Grosse fortune, très porté sur le beau sexe ! Collectionneur, joueur, tout le portrait du Brésilien, il a promis de se ruiner en un an ou deux !… Bref, il les amène en petit comité dans sa salle de bain, et là !… Eh bien là, sur un mur en marbre rose, un rideau vert (il est musulman) qu’il tire après tout un mystère de salamalecs… et apparaît cette peinture incroyable… et scandaleuse ! Une femme de face, jambes ouvertes, chemise relevée jusqu’à la poitrine, le sexe offert à tout vent, sans artifice. Pas de visage, coupée comme à l’étal du boucher… Incroyable ! S’il a lu d’autres tomes de cette collection, le lecteur ne sait pas trop à quoi s’attendre en guise d’évocation de cet artiste : une biographie classique ou un récit tournant autour. Profitant de la latitude éditoriale, l’auteur opte pour une enquête policière sur une série de meurtres dont la mise en scène reprend celle du tableau L’origine du monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877). Ainsi le bédéiste raconte une histoire autour de ce chef-d’œuvre. Dans le même temps, l’enquête des inspecteurs Antoine Maréchal et Laroque les amènent à rencontrer et à interroger les personnes qui gravitent autour du grand peintre, et aussi ce dernier, tout en évoluant dans différents cercles de la société de l’époque, c’est-à-dire un véritable polar, observateur et révélateur de la société dans laquelle il se déroule. Dans la dernière page, se trouve une citation du peintre : L’origine du monde et surtout son modèle, pour être universels, doivent rester anonymes. De fait, l’enquête s’articule autour de la recherche de l’identité de la femme qui a posé pour Courbet, ce qui permettra d’en déduire l’identité du meurtrier et son mobile. Lors de la réalisation de la présente bande dessinée, plusieurs hypothèses avaient cours sur ladite identité. Les deux inspecteurs sont amenés à considérer chacune d’entre elles. La lecture commence par une page impressionnante : une première case de la largeur de la page pour une vue du ciel de Paris où il est possible d’identifier l’obélisque de la place de la Concorde, la cathédrale Notre-Dame de Paris, le Panthéon, puis une deuxième case de la largeur de la page en vue plus rapprochée avec la passerelle des Arts en premier plan, une troisième case de la largeur de la page cette fois-ci au niveau de la rue avec le dos de Notre-Dame en arrière-plan, et enfin deux cases dans la rue à la suite d’un enfant crieur de journaux. L’artiste réalise des cases dans un registre réaliste et descriptif, avec un grand soin apporté aux détails, et une densité visuelle élevée. Le lecteur peut voir que la solidité de la reconstitution historique lui tient à cœur, que ce soient les costumes et les toilettes d’époque, les accessoires, les façades et les sites emblématiques de Paris, les différents lieux comme le Palais Royal, l’hôtel particulier du diplomate Khalil Chérif Pacha (1831-1879) et quelques-unes de ses œuvres d’art, l’atelier de Gustave Courbet, l’opéra Garnier en construction, les terrasses sous les arcades de la place Vosges, etc. Le lecteur observe de ci de là des détails de la vie parisienne qui peuvent s’avérer surprenant : les petits métiers des rues, la mise en scène (authentique) du tableau L’origine du monde dans la salle de bain de Khalil Bey, la circulation des fiacres, l’aménagement de l’atelier de photographie boulevard des Capucines, le numéro érotique de Cora Pearl, la déambulation d’un chevrier et de son troupeau d’une demi-douzaine de bêtes dans les rues, etc. Le dessinateur est également mis à contribution pour mettre en scène des personnages connus. Il reproduit l’apparence de Gustave Courbet bien sûr, Charles Baudelaire (1821-1867), du critique d’art Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), du diplomate Khalil Chérif Pacha (1831-1879), du peintre James Abbott McNeill Whistler (1834-1903), du photographe Gaspard-Félix Tournachon (1820-1910, Nadar), de l’écrivain Jules Verne (1828-1905) qui vient donner un exemplaire de De la Terre à la Lune (1865) à Nadar, et des différents modèles qui auraient pu poser pour le célèbre tableau. Qui plus est, l’artiste se montre un excellent conteur, ce qui constitue souvent un défi pour un roman policier. En effet les images ont tendance à montrer ce qu’il est plus facile de dissimuler quand il s’agit d’un roman. En auteur complet, Fabien Lacaf construit ses séquences de sorte qu’elles présentent toujours un intérêt visuel. Son investissement dans cette bande dessinée transparaît également au cours des scènes de dialogue : les personnages vaquent à leurs occupations pendant qu’ils parlent, et les décors sont représentés en arrière-plan. L’emploi du dispositif qui consiste à se focaliser sur les silhouettes ou les visages par une succession de champs et contrechamps avec un camaïeu pour fond reste l’exception, ce qui donne des discussions pleines d’entrain. En page quarante-six, l’auteur inclut des facsimilés de journaux qui laissent entendre que les assassinats à la manière du tableau ont réellement eu lieu. Quoi qu’il en soit, le lecteur suit les deux inspecteurs et il fait ainsi la rencontre successivement de la bohémienne Flanelle, puis de l’irlandaise Joanna Hifferman (1843-1903) lorsque Courbet en évoque son souvenir avec Baudelaire, de Marie-Anne Detourbay, dite Mademoiselle Jeanne de Tourbey (1837-1908, maîtresse du prince Napoléon), de Cora Pearl (1836-1886, célèbre demi-mondaine, surnommée La grande horizontale), de Constance Quéniaux (1832-198, danseuse de l'opéra de Paris et courtisane). Les deux inspecteurs surprennent même Virginia Oldoïni (1837-1899, dite la Castiglione, maîtresse de Napoléon III) en pleine séance de pose coquine. L’ensemble des modèles pour L’origine du monde est ainsi présenté. L’enjeu du récit ne réside pas dans la découverte de l’identité du tueur ou de ses motivations puisqu’elles sont révélées dans une scène au deux-tiers du récit. Il s’agit bien de dépeindre une époque, et les réactions suscitées par le tableau. En passant ainsi en revue les différentes femmes ayant pu servir de modèle, le lecteur constate qu’elles appartiennent à des milieux sociaux très différents, renforçant ainsi le postulat d’universalité voulu par le peintre. Comme dans les autres tomes de cette collection, la lecture du dossier réalisé par Dimitri Joannidès apporte de nombreux éléments complémentaires intéressants sur différentes facettes du contexte, que ce soit l’ambition du peintre, sa conscience politique se traduisant par des sujets issus des classes populaires, sa participation à la Commune de Paris (1871), son exil, et le devenir son tableau L’origine du monde après avoir été vendu par Khalil Bey. Les tomes de cette collection se suivent et ne se ressemblent pas, les auteurs bénéficiant d’une vraie liberté éditoriale pour aborder l’artiste sous l’angle qui les intéressent. Fabien Lacaf s’est pleinement investi dans la réalisation de cet album, à commencer par la narration visuelle d’une grande consistance, et la densité du récit. Il a été inspiré par une déclaration du peintre sur l’importance de l’anonymat de son modèle, ce qu’il met en scène dans un polar auscultant la société de l’époque sous cet angle. Pour la petite histoire, postérieurement à la parution de cet ouvrage, en 2018, l'écrivain Claude Schopp a trouvé une indication dans la correspondance d’Alexandre Dumas fils qui désignerait Constance Quéniaux comme le modèle.
Truman Capote - Retour à Garden City
De toute façon, c’est un livre tellement douloureux que personne n’aura le courage de le lire. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre qui ne nécessite pas de connaître les circonstances des meurtres de la famille Clutter, ni des éléments biographiques de la vie de Truman Capote. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Xavier Betaucourt pour le scénario et par Nadar (Pep Domingo) pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-six pages de bande dessinée. Il se termine avec une bibliographie sélective d’ouvrages et de films utilisés comme références par les auteurs, une bibliographie de Truman Capote, et une bibliographie de chacun des deux auteurs. La nuit, à un passage à niveau, la barrière se relève, et l’automobile peut pénétrer dans la propriété de H.W. Clutter. Le conducteur arrête le véhicule et éteint les phares. Il se tourne vers le passager et lui demande : Alors ? L’autre répond qu’ils doivent partir, avant qu’il ne soit trop tard. En mars 1967, une voiture pénètre dans la petite ville de Holcomb au Kansas. Il s’agit de deux journalistes de Life Magazine ; ils viennent pour couvrir le tournage du film tiré du roman de Sang-froid. Devant la maison des Clutter, Truman Capote est en train de répondre à quelques questions de journalistes : il explique qu’il a absolument voulu Richard Brooks comme réalisateur car lui seul était capable d’imposer le noir et blanc et des comédiens inconnus aux producteurs. Il continue : les studios voulaient Steve McQueen et Paul Newman pour tenir les rôles de Dick et Perry. Lui, le réalisateur, voulait des comédiens qui ressemblent aux personnages réels, et il a eu diablement raison. Capote continue encore : Pareil pour la maison, Richard Brooks voulait tourner sur les vrais lieux du drame, ici, au palais de justice, dans le magasin où ils ont acheté la corde. Il se tourne vers le réalisateur pour savoir s’il peut emmener les journalistes dans la maison. Brooks lui demande de faire vite : ils ont une scène à tourner et la lumière commence à baisser. L’écrivain emmène la petite troupe à l’intérieur en indiquant qu’il va montrer où ils ont égorgé Mr Cutter et assassiné le rester de la famille, tout est resté en l’état. Le soir, Truman Capote est en train de savourer un whisky, seul au comptoir. Il est rejoint par Richard Brooks. Ce dernier lui demande de faire partir les journalistes, sa popularité le dérange, il ne peut pas tourner avec toute cette troupe dans les pattes. Capote accepte : ils seront partis demain, sauf le journaliste de Life, car il veut faire un long article sur lui. Bill Jensen du Weekly Magazine s’impose dans leur conversation en leur ordonnant de partir : les habitants ne veulent pas des gens d’Hollywood ici ! Il continue : ils vont attirer des indésirables et ça sera la pagaille dans tout le comté de Finney. Le serveur vient le prendre par l’épaule pour le calmer et l’éloigner. Capote explique à Brooks de qui il s’agit, la scène correspondante à leur rencontre initiale est tournée le lendemain. Le journaliste de Life Magazine comprend qu’un des deux acteurs joue le rôle de l’écrivain et il s’en étonne auprès de Capote car ce dernier ne figure pas dans son roman. Il répond que c’est un choix de Richard, et que ça ne s’est pas passé aussi bien que ça en réalité. En fonction de sa connaissance du sujet, le lecteur peut aborder sa lecture en candide, en ayant vaguement à l‘esprit que Truman Capote (1924-1984) est un écrivain célèbre et qu’il a écrit un livre sur un meurtre, ou alors en ayant une idée plus précise sur le sujet, peut-être en ayant vu le film de 1967 réalisé par Richard Brooks (1912-1992), ou en ayant lu le livre De sang-froid (1966). Il comprend vite que tout part des meurtres de la famille Clutter : le père Herbert William (48 ans), la mère Bonnie Mae (45 ans), la fille Nancy Mae (16 ans) et le fils Kenyon Neal (15 ans) dans leur demeure le 15 novembre 1959. Le récit commence par deux pages en noir & blanc : le lecteur comprend qu’il s’agit d’une scène du film de 1967, adaptant le livre. Il y a ainsi sept séquences en noir & blanc reprenant une scène du film, cinq de deux pages, une de quatre pages, et une d’une page. Leur fonction est double : servir de reconstitution d’une partie des faits dont les meurtres, et attirer l’attention sur le fait qu’il s’agit d’une fiction, c’est-à-dire que ce n’est pas un reportage en temps réel et que les faits véridiques diffèrent forcément. Le journaliste de Life Magazine fait d’ailleurs observer que le réalisateur a effectué un travail d’adaptation du livre, en y apportant des modifications. Cela induit dans l’esprit du lecteur que le livre lui-même, aussi minutieux que Capote se soit montré, diffère fatalement de la réalité sur certains points. Pour rendre compte des enjeux, les auteurs ont choisi une structure mêlant plusieurs lignes temporelles : quelques extraits du film (une partie des scènes en train d’être tournées ce qui permet un commentaire à chaud de Capote), le retour de Truman Capote à Holcomb pendant le tournage, le retour de Capote à Golden City à deux reprises, ses visites au détenu Perry Smith, l’ordre chronologique prenant le dessus vers la moitié du récit. Le lecteur voit qu’ils ont effectué un travail de recherche conséquent, avec une narration sophistiquée qui charrie de nombreuses informations, tout en étant facile et légère. Le récit parvient à donner tous les éléments nécessaires à la compréhension : déroulé du meurtre, phases successives du procès et des appels, travail d’écriture de Truman Capote pendant six ans, sa vie personnelle avec son conjoint Jack Dunphy (1914-1992), des aperçus des réactions du grand public et des habitants de Golden City. Deux scènes montrent un aperçu de la vie mondaine de l’auteur et il croise Andy Warhol (1928-1987) dans une boîte de nuit, Norman Mailer (1923-2007) dans une soirée mondaine, et il est régulièrement accompagné par son amie Nelle Harper Lee (1926-2016) autrice de Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur (1960, To kill a mockingbird). La narration visuelle participe à plein à la reconstitution historique. Le lecteur est immédiatement séduit par son apparence un peu ronde, par le sourire de Truman Capote, par les aplats de noir qui donnent du poids à chaque case, par l’élégance de l’alliance entre les traits encrés et les éléments en couleur directe. Il est visible que l’artiste prend un grand plaisir à réaliser les séquences de film, dix-sept pages au total : un noir & blanc avec un fort contraste dans un style film noir, et une mise en scène accentuant la dimension dramatique. Ces séquences rendent les autres plus réalistes par contraste. L’artiste impressionne également par la qualité de la reconstitution historique : les modèles de voitures, les tenues vestimentaires, les ameublements. Le lecteur prend le temps à plusieurs reprises de savourer un lieu, une atmosphère : l’attroupement devant la demeure de feu la famille Clutter sous une douce lumière jaune orangé, la cuisine années 1950 avec ses rares appareils électroménagers massifs, la pièce du palais de justice encombrée par les journalistes, la boite de nuit bondée dans sa lumière artificielle rose, la magnifique terrasse ombragée de la villa louée par Capote & Dunphy à Palamós, au Costa Brava en Espagne, le hall feutré d’un hôtel de luxe à Londres avec son tapis moelleux, une vue du ciel générale de la station de ski de Verbier en Suisse dans une lumière hivernale, une promenade automnale dans un bois, les couloirs grisâtres sinistres de la prison où est détenu Perry Smith, etc. Le jeu des acteurs apparaît d’une grande justesse et transmet de nombreuses informations. L’hostilité d’une partie de la population de Golden City envers Truman Capote, l’attitude très professionnelle et efficace du réalisateur, l’admiration émerveillée de madame Dewey (l’épouse de l’inspecteur chargé de l’enquête) alors qu’elle reçoit la célébrité qu’est Capote à dîner chez elle, le regard mi amusé mi blasé de Nelle Harper Lee en l’observant, la mine résignée et fataliste de Perry Smith, les mimiques désapprobatrices de Jack Dunphy quant à certaines des relations sociales de son amant le contraste entre le sourire de Capote en public et son épuisement grandissant au fil des mois et des années qu’il consacre à son roman, allant jusqu’à une détresse angoissée. Le lecteur perçoit ainsi la dissonance émotionnelle qui s’établit entre son paraître et ses ressentis. C’est un peu décontenançant de prime abord car le récit est présenté avec Truman Capote au centre, le lecteur s’associant à ses efforts pour écrire ce roman, pour attester du fait qu’il veut faire ce livre pour que Smith et Hickock ne soient pas juste perçu comme des monstres, comme il le dit au premier. Ce décalage induit une prise de recul chez le lecteur qui réfléchit à ce qui se joue, et qui relève d’autres éléments, des remarques et des réactions au projet de l’écrivain. Le journaliste local prend Truman à partie : il s’étonne que l’écrivain souhaite réaliser un roman sur un sujet aussi misérable, il lui dit clairement que les habitants n’ont pas besoin d’un écrivain de New York, qu’ils veulent juste oublier cette horreur. Une fois le roman paru, la postière Myrtle Clare s’en prend à lui en réfutant le fait qu’elle parle comme il la décrit, qu’elle ait vraiment tenu certains propos. Capote nourrit son roman pour partie de la relation privilégiée, de nature amicale, qu’il développe avec Perry Smith, à qui il rend régulièrement visite dans sa cellule. Les auteurs mettent en scène plusieurs facettes de cette relation, celles-ci finissant par orienter le comportement de Capote dans une certaine direction, établissant ainsi le point de vue des auteurs. Le lecteur constate que l’écrivain envisage les différents acteurs de la tragédie, y compris les habitants, comme de la matière pour son roman, une forme de vampirisme, celle de l’écrivain réalisant une œuvre sur le réel. Or il écrit sur un massacre ignoble, mettant, de ce point de vue, ainsi à profit la tragédie pour son œuvre. Sa relation avec Perry Smith se teinte également d’ambigüité. Truman détecte l’orientation homosexuelle de ce jeune homme, identique à la sienne. Il apprend que leur jeunesse présente des similitudes, issus d’une famille pauvre, n’ayant pas reçu d’amour de leur mère. D’une certaine manière, Perry Smith est le criminel que Capote aurait pu devenir s’il n’avait pas respecté la loi. La relation prend une dimension malsaine quand Smith comprend que leurs discussions servent également à alimenter l’écriture du roman, et plus dur encore quand Capote en vient à redouter les nouveaux appels, décalant ainsi la date de l’exécution capitale, et, par voie de conséquence, l’achèvement de son roman. Après la parution, un journaliste n’hésitera pas à lui faire observer que l’écrivain aurait pu engager un meilleur avocat à ses frais, pour la défense des deux accusés. Le lecteur a peut-être été attiré par l’envie d’en savoir plus sur Truman Capote, sur le processus d’écriture de son œuvre la plus célèbre. Il apprécie immédiatement la qualité de la narration visuelle : agréable à l’œil, constituant une solide reconstitution historique, faisant apparaître les états d’esprit des personnages, avec une direction d’acteurs remarquable. Dans un premier temps, le récit semble rester au niveau d’une simple reconstitution factuelle, rehaussé par un réarrangement chronologique qui sert à faire ressortir des rapprochements, des liens. Petit à petit, le regard du lecteur change sur Truman Capote, entre écrivain totalement investi dans son art, et simple être humain s’étant adapté à ses névroses, confronté à une horreur ayant des résonances intimes.
Le Cauchemar d'Innsmouth
3.5 De toutes les adaptations de Lovecraft de Gou Tanabe que j'ai lues jusqu'à présent, c'est celle dont j'ai le plus appréciée. Il faut dire que c'est une de mes nouvelles préférées de l'auteur. Même si on retrouve des thèmes que Lovecraft a déjà ou va exploiter dans d'autres récits (un des problèmes avec cet écrivain est que les thèmes qu'il a exploités sont souvent les mêmes) et que je connaissais déjà la fin, j'ai trouvé que c'était captivant à lire. Le dessin de Tanabe retranscrit bien l'atmosphère étrange et horrifique que le héros va visiter pour découvrir ses origines. En revanche, je trouve que la dernière partie traine un peu en longueur et j'étais bien content lorsque c'était terminé, mais cela n'est pas trop grave. Classique, mais efficace.
Havana Split
Une aventure truculente et musclée sur fond de Cuba des années 50, nid d'espions, de mafieux, de politiciens corrompus et de guérilleros à l'aube de la revolución. La série s'entame par une dizaine de pages d'histoire de Cuba des années 1920 à 1950 pour bien poser le contexte. On y découvre immédiatement le chaleureux dessin de Vittoria Macioci (dite Vic) dans son style rétro-moderne qui plonge dans l'ambiance de ces années folles sous l'influence de l'Amérique. Liberté du graphisme et du ton, on comprend vite qu'on n'est pas dans une triste BD historique mais dans quelque chose de bien plus énergique, coloré et plaisant. Puis arrive la rencontre avec notre petit groupe de héros : un détective américain, ancien espion de la CIA reconverti au service d'un patron cubain assez minable et endetté par le jeu, son collègue cubain charmeur et affable, ainsi que la fille du patron, étudiante tout juste revenue des USA pour passer les vacances dans son île natale. Sauf que le père vient de se faire arnaquer par le caïd de la mafia locale et que pour éponger sa dette, les trois autres sont forcés d'accéder une mission de kidnapping en théorie sans risque. Malheureusement, non seulement celle-ci se révèle plus compliquée que prévu, mais en plus dans leur fuite nos héros sont témoins malgré eux d'une barbouzerie organisée par le dictateur Batista et ses complices de la CIA qui ne manquent hélas pas de reconnaitre leur ancien collègue. Enlevée, amusante et dynamique, cette BD se révèle très réjouissante. Elle mélange la grande Histoire et la petite dans une série d'aventure pleine d'action et d'humour, avec une belle brochette de personnages plaisants à suivre. Le contexte de Cuba y est parfaitement exploité, loin des classiques histoires de guérilla : ici, ce serait plutôt les Tontons Flingueurs au pays du Cuba Libre. Très sympathique lecture, elle demande encore à prendre son envol puisque le tome 1 se contente de poser de très bonnes bases mais qu'on espère ne pas voir la suite tourner à la simple course poursuite. Je la suivrai avec attention en tout cas.
Jusqu'au dernier
Un western de très bonne facture. Jérôme Félix propose un scénario original. Avec une base très classique, l'arrivée du chemin de fer qui métamorphose le Far West (comment ne pas penser à "Il était une fois dans l'ouest" de Sergio Leone), il sonne le glas des convoyeurs de bétail. Mais c'est surtout l'intrigue elle-même et les personnages (très bien campés) qui apportent cette originalité. Un récit sombre, violent et surprenant qui ne donnera sa conclusion que dans les dernières planches. Les personnages sont tiraillés par des sentiments contradictoires, ils donnent à voir le meilleur et le pire. Un western de très bonne facture qui aurait mérité un développement plus long que ces 72 pages, ça va très/trop vite. Mais cela ne m'a pas empêché de prendre beaucoup de plaisir, et c'est bien là l'essentiel. Le travail de Paul Gastine est superbe, dans un style très western. De superbes décors, des personnages aux gueules expressives et reconnaissables au premier coup d'œil. J'en ai pris plein les mirettes. Un indispensable pour tous les amateurs de western crépusculaire.
A Fantasy lazy life
Le parachutage d'un japonais employé de bureau en plein beau milieu d'un royaume plutôt médiéval et magique avec des dragons et des femmes plutôt splendides est un classique du genre. Autant dire que l'argument de départ est "bateau". Mais je dois reconnaître que le développement change de ce qu'on peut voir ailleurs. Bien que le héros pourrait s'offrir très facilement un harem de jeunes femmes fort accortes et dociles, il reste fidèle à sa royale moitié, sans chercher à se mettre en avant, essayant néanmoins de se simplifier la vie en important divers accessoires et techniques de sa vie d'avant. J'aime bien l'affrontement entre les diverses mentalités. Le manga raconte son apprentissage des arcanes du pouvoir et de la diplomatie, ainsi que de la magie. Mais Zenshirô n'est pas montré ici comme un surhomme qui apprend tout et réussit tout en une fraction de seconde, même s'il a quand même quelques bonnes dispositions. Il sait rester modeste et surtout il sait exploiter cette "faiblesse". Reconnaissons au passage qu'il a l'air de se tirer d'affaire en évitant de trop froisser les diverses parties en jeu, ce qui est assez japonais. Chose assez rare, il devient père d'un 1er bébé et le 2ème est en route (j'ai lu les 15 premiers tomes disponibles à ce jour). Sa relation avec la mère de ses enfants n'a pas duré 36 volumes jusqu'au 1er baiser comme dans certains mangas. Le scénariste (Tsunehiko Watanabe) sait où il va, à moins qu'il ait une très bonne facilité pour retomber sur ses pieds. Quant au dessin, il est fort bon, pas bâclé, le dessinateur (Neko Hinotsuki) ne semble pas être un obscur tâcheron comme il en existe tant au pays du Soleil Levant. Il a déjà quelques séries au compteur. Graphiquement, ça ressemble assez fortement à ce qu'on voit dans certains autres mangas, mais ça reste du bon boulot. Il est épaulé par un character designer (Jyû Ayakura). En bref, un faux manga harem qui initie aux joies de la diplomatie, si on accepte certains postulats de base assez peu crédibles. Ajout : curieusement le titre anglophone pour la France (A Fantasy Lazy Life) n'est celui utilisé par les Anglo-saxons (The Ideal Sponger Life). Mais l'idée générale reste la même. En tout cas, sa vie n'est finalement pas de tout repos !
Ceux qui me touchent
Ce duo Bonneau / Marie fonctionne vraiment bien je trouve. Le dessin de Laurent Bonneau est immédiatement reconnaissable, et il trouve ici encore, après Ceux qui me restent du même duo, un terrain parfait pour s’exprimer. Damien Marie lui offre une histoire intime et viscérale, celle d’un homme en quête de souffle dans un quotidien écrasant. On retrouve cette manière de plonger dans l’intime pour faire émerger des questions universelles. L’album touche juste, sans chercher à en faire trop. Visuellement, Bonneau garde ce style brut, presque inachevé, qui laisse les traits vibrer. Les contours hésitants, les aplats légers, tout donne l’impression d’un instant capturé, fragile et authentique. Ce choix renforce l’impression de fragments de vie, des moments en suspension. Rien n’est figé, tout reste ouvert à l’interprétation. Côté scénario, Damien Marie évite les grands discours. On suit une trajectoire individuelle, une fuite irrationnelle mais profondément humaine. Un couple usé, un père cherchant un souffle auprès de sa fille, et ce poids d’un monde qui écrase. Pas de révolte, juste une respiration nécessaire, presque désespérée. Les thèmes sont simples – la quête de sens, les rêves d’enfance, l’usure du quotidien – mais ils trouvent une résonance qui fonctionne bien. Un album qui s’inscrit dans la lignée des collaborations entre ces deux auteurs, avec cette capacité à mêler émotion brute et réflexion sur la condition humaine, tout en laissant de la place au lecteur pour s’y retrouver.