Les derniers avis (31279 avis)

Par Cacal69
Note: 4/5
Couverture de la série Origines
Origines

Une couverture qui attire l'œil et le nom de Jakub Rebelka, il n'en fallait pas plus pour me décider à repartir avec l'album. Créé par Arash Amel, Joseph Oxford, Lee Toland Krieger et scénarisé par Clay McLeod Chapman, "Origines" est une œuvre ambitieuse, puisqu'elle nous plonge dans un futur crédible, celui où l'Homme est supplanté par l'Intelligence Artificielle. Une I.A. qui infecte le vivant jusqu'à en prendre le contrôle. Dans ce monde post-apocalyptique où l'humanité a disparu depuis bientôt mille ans, Chloé - une androïde dotée de l'I.A. - va faire renaître son créateur (David Adams), créateur qui est la cause de l'extinction humaine. Une œuvre ambitieuse puisqu'elle nous interroge sur de nombreux sujets. Elle met en garde sur une science qui va toujours plus loin dans la recherche sans toujours en mesurer les conséquences. Elle questionne aussi sur la place des robots (esclaves des temps modernes) et sur l'I.A. - ne pourrait-elle pas se doter d'une conscience et disposer de son libre arbitre ? La narration est maîtrisée, elle passe régulièrement du présent au passé naturellement et les dialogues sonnent juste. J'ai aimé le choix qu'une femme (certes robotisée) soit la clé de la renaissance de l'humanité, ainsi que les références bibliques. David en quête d'identité et Chloé en mère protectrice sont attachants. Par contre, la fin est trop convenue à mon goût et certaines situations m'ont laissé perplexe. La lecture est rapide, le texte est réduit à sa juste nécessité. Adepte de la ligne claire, passez votre chemin. Jakub Rebelka nous gratifie de son trait anguleux qui me plaît tant. Je remarque néanmoins des visages moins travaillés, je dois signaler que cette BD est antérieure à Judas et à Le Dernier Jour de Howard Phillips Lovecraft. Par contre les décors sont superbes. Une mise en page toujours aussi dynamique et inventive. Les couleurs de Patricio Delpeche sont magnifiques et contribuent au rendu post-apocalyptique. Un 4 étoiles généreux pour l'ambiance que dégage ce comics.

17/05/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Alouette
Alouette

Voilà une BD vraiment surprenante à bien des égards. Tout d’abord, si la couverture, malgré son côté un peu inquiétant, pourrait suggérer qu’on a affaire à un ouvrage jeunesse, il ne faut absolument pas s’y fier. Dès les premières pages, ce sont deux enfants qui sont mis en scène, une fille et un garçon, celui-ci se noyant tragiquement sous les yeux de sa compagne après une violente tempête en mer… D’ailleurs, on n’est pas sûr que cette dernière soit vraiment une fille avec ses cheveux courts en bataille et sa tenue masculine (l’action se situe tout de même dans un passé lointain, au XVIIIe siècle environ, même si cela n’est pas précisé). Bref… L’île où elle échoue est loin d’être un paradis perdu à la Robinson Crusoé… En effet, très vite on bascule dans une sorte de cauchemar où, au cœur d’une nature peu avenante, un monstre effrayant ne va pas tarder à surgir, avec d’autres créatures qui semblent appartenir à une autre planète… Et tout cela n’est que le début. Car la suite viendra confirmer que ce n’est pas vraiment un album adapté aux gosses. Alouette, la jeune « garçonne » présente un caractère énergique et souvent agressif, on la découvre rongée par la culpabilité et en proie à ses démons, se sentant responsable de la mort supposée de Pilou. Constamment sur la défensive, on perçoit la tempête sous son crâne, mais elle semble malgré tout avoir trouvé une forme d’apaisement en compagnie d’Orville et de Wiks. Mais comment tout cela est-il arrivé ? Dans une narration alternant présent et flashbacks, on découvre qu’Alouette et Pilou, contraints de mendier ou de se prostituer pour survivre, étaient pourchassés par la soldatesque royale, après que le gamin ait tué accidentellement un garde. Dans cette société médiévale où règne la misère et l’injustice, les enfants vagabonds peuvent très bien finir dans les geôles royales. Sans trop spolier le récit, on dira que les deux enfants se retrouvèrent passagers clandestins d’un navire, juste avant le naufrage ayant entrainé la mort de Pilou, du moins c’est ce que semble s’imaginer Alouette… La thématique centrale du récit, la culpabilité et la rédemption, l’éloigne encore davantage du registre jeunesse, pour un dénouement terrible qui laisse le lecteur littéralement pétrifié. Andréa Delcorte donne par ailleurs quelques coups de canifs discrets aux stéréotypes de genre ; d’abord avec Alouette et ses allures de « garçonne » qui ne veut pas s’en laisser conter, puis avec Wiks, la jeune femme autochtone, d’une rare bienveillance, à la fois douce, maternelle, et forte comme un roc… Et c’est aussi ce qui ajoute à la force du récit : des personnages bien construits et attachants. C’est très bien raconté, et le dessin, qui pourrait paraître simpliste au premier abord, sert parfaitement bien cette histoire comme un fil tendu qui respire l’urgence. Le trait est extrêmement nerveux mais parfaitement lisible, la mise en page dynamique, accompagnant très bien la tension narrative qui enserre le livre sans relâche. Certaines planches sont même très belles, notamment celles où Orville et Andrea quittent l’île à bord de leur coquille de noix pour se retrouver plus tard au cœur d’une tempête en pleine mer… De même, les huit scènes médiévales qui clôturent le livre évoquent certaines peintures de Bruegel. « Alouette », c’est la très bonne surprise qu’on n’attendait pas, et qui place d'emblée Andréa Delcorte sur la liste des auteurs à suivre. Un récit extrêmement âpre sur l’enfance, se déroulant dans un monde impitoyable, qui ne s’adresse donc pas aux enfants mais reste transcendé par son onirisme vénéneux et véritablement fascinant.

17/05/2025 (modifier)
Par Cleck
Note: 4/5
Couverture de la série Le Cas David Zimmerman
Le Cas David Zimmerman

Voilà là un traitement fort original de la thématique du genre. Original parce qu'à l'ancienne, sans véritable développement de la sous-thématique de l'identité comme l'on s'y attendrait en 2025, via une interrogation intime simultanée de l'identité de genre et de celle sexuelle engendrant trouble sinon indécision. Sans non plus jeu et humour sur l'incongruité de la situation, comme dans le merveilleux "Certains l'aiment chaud" de Billy Wilder ou dans le moins glorieux Blake Edwards "Dans la peau d'une blonde" (néanmoins proche dans ses développements finaux). Non, on flirte ici davantage vers la SF du côté de "L'Invasion des profanateurs de sépulture" de Siegel, navigant dans des ambiances malaisantes à la Cronenberg. La BD est une indéniable réussite sur ce point, puisque bousculant fortement notre horizon d'attente, tout en nous amenant dans des sphères tout à fait intéressantes. Les illustrations et les couleurs ultra contrastées, l'aspect un peu figé du dessin, évoquent pour leur part une certaine vision du comics. Elles créent des formes distanciées particulièrement pertinentes ici, le discret "vide de vie" renforçant le malaise général. L'ensemble engendre des fulgurances ici ou là, notamment ce texte inaugural "Que peut-on deviner de quelqu'un par la seule observation de son appartement ?" générant le trouble à sa seule lecture tandis que nos yeux encore interrogatifs parcourent des décors silencieux. Malheureusement, la BD ne parvient totalement à tenir sa ligne de crête malaisante. Le scénario prend rapidement des tournures classiquement policières, puis semble trancher pour de la SF, avant de finalement s'aventurer vers la tranche de vie là. L'évolution de l'histoire est légèrement décevante, comme si les auteurs ne savaient que faire de cette merveilleuse situation initiale : les développements de l'histoire intriguent, mais ne captivent véritablement, notre attention est bien davantage accaparée par l'ambiance générale plutôt que par les circonvolutions du scénario. Une BD qui reste en mémoire (d'où ce généreux 4), mais à laquelle il a manqué un scénario à la hauteur susceptible de relayer le merveilleux trouble que des bases particulièrement intrigantes avaient admirablement posé.

17/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Ciel d'orages
Ciel d'orages

C’est une carapace, un moyen pour elle de garder les horreurs du monde à distance. - Début d’une série indépendante de toute autre. L'édition originale de ce tome date de 2024. Il a été réalisé par Éric Warnauts & Raives (Guy Servais) qui travaillent à quatre mains sur le scénario et les dessins, Raives se chargeant des couleurs. Il compte soixante-deux pages de bande dessinée. Quelque part au-dessus des côtes de l’Angleterre, une escadrille d’avions de guerre allemands arrive, comprenant plusieurs bombardiers. Une escadrille de Supermarine Spitfire surgit dans le ciel pour les intercepter et le combat aérien s’engage. Un Spitfire touche un Bristol Blenheim, mais il est pris en chasse par un Messerschmitt Bf 109. Un autre Spitfire vient à sa rescousse. La mission britannique a été victorieuse, les pilotes peuvent rentrer boire le thé. Winston Churchill prononce son célèbre discours à la Chambre des Communes du 18 juin 1940 : La bataille d’Angleterre a débuté. De cette bataille, dépend la survie de la civilisation chrétienne. Toutefois la rage et la toute-puissance de l’ennemi vont bientôt se déchaîner contre le Royaume Uni. Hitler sait qu’il devra briser les Britanniques sur cette île ou qu’il perdra la guerre. S’ils parviennent à lui résister, toute l’Europe pourra être libre. Mais s’ils échouent, alors le monde entier, y compris les États-Unis, y compris tout ce qu’ils ont connu et aimé, sombrera dans les abîmes d’un nouvel âge des ténèbres rendu encore plus sinistre et peut-être plus pérenne par les lumières d’une science pervertie. Aussi doivent-ils se préparer à accomplir leur devoir, à se conduire de telle sorte que si l’empire britannique et son Commonwealth durent mille ans, les hommes diront encore : Ce fut leur heure de gloire. Le soir, dans le mess des officiers, une soirée dansante est organisée avec un orchestre. Kate Kavendish, pilote de bombardier, danse, puis retrouve ses copines, et découvre un mot sous le sous-bock de son verre que Jimmy Kane a réussi à glisser, sans que sa cavalière Missy Collins ne s’en aperçoive. Elle prend le billet discrètement. Elle se rend dans la chambre 116 de l’hôtel comme indiqué sur le mot, et elle y retrouve son amant Jimmy. Les sirènes de l’alerte aérienne retentissent : encore un raid des Teutons. Kate refuse qu’ils descendent dans le Tube, ils se couchent et font l’amour, et Kate rappelle à Jimmy ce dont ils ont convenu : pas de sentiments ! Dans le ciel, la bataille aérienne fait rage. Bien que la propagande allemande affirme que seuls les objectifs militaires sont visés, les bombardiers ennemis déversent des tonnes d’explosifs et de bombes incendiaires sur les grandes villes britanniques. Une fois encore, la Luftwaffe a percé les défenses de la capitale et a incendié les entrepôts du port. L’enfer aura duré neuf heures. De la peinture, du rhum et du sucre en feu flottent sur la Tamise… Au matin, le quartier des docks brûle encore, enveloppant la capitale d’une épaisse fumée âcre. Le lendemain matin, Kate et Jimmy se quittent, elle lui rappelle qu’ils se voient bientôt chez tante Beth, pour le baptême du petit Louis. C’est toujours un plaisir visuel de retrouver le duo de Warnauts & Raives, une narration à base de contours réalisés avec un mélange de traits fins et cassants et de traits un peu plus épais et souples, complétés par une mise en couleurs pouvant aller jusqu’à la couleur directe pour intégrer d’autres informations visuelles dans les cases. Ils sont adeptes de dessins réalistes et descriptifs, pour une reconstitution soignée et documentée. Ainsi le lecteur identifie aisément les différents modèles d’avions de guerre même s’ils ne sont pas nommés par les personnages : ME109, Spitfire De Havilland, Arado Ar196, Bristol Blenheim, Stirling. Il peut prendre son temps pour examiner les cocardes, c’est-à-dire les marques d’identification de ces aéronefs militaires. Cet album s’ouvre avec un combat aérien de quatre pages, exercice visuel demandant un solide sens de la mise en scène pour pouvoir donner la sensation du positionnement respectif des différents avions, et de leurs déplacements les uns par rapport aux autres, pour pouvoir suivre le déroulement de l’affrontement. Les artistes ont recours à des grandes cases avec des cases en insert, des cases en trapèze pour accentuer l’impression de mouvement, des cases verticales et des cases inclinées pour insister sur un mouvement soudain ou une situation dramatique. Ainsi tout au long de l’album, le lecteur peut contempler le spectacle souvent dramatique et une fois paisible de l’aviation : bombardement dans le ciel de Londres avec le faisceau des puissants projecteurs et le tir nourri de la Défense Contre l’Aviation (DCA), deux pages de toute beauté au cours desquelles Kavendish fait atterrir son avion dans un petit aéroport de la verdoyante campagne anglaise, deux pages pour l’amerrissage d’un hydravion Arado Ar196, un deuxième combat aérien au-dessus des côtes britanniques pendant sept pages, un vol de transit de deux pages du bombardier piloté par Kavendish, un combat au-dessus de la mer celtique pendant six pages, le vol de deux chasseurs au-dessus d’un pré occupé par de paisibles moutons, et enfin le vol d’in biplan au-dessus des montagnes. La reconstitution historique comprend les autres composantes attendues, en plus des avions militaires. Les uniformes et les armes, les tenues civiles, jusqu’aux sous-vêtements de Kate, les façades londoniennes et quelques monuments comme Tower Bridge, sans oublier les toits et le ciel crevé par les faisceaux de projecteurs avec les ballons flottants, les modèles de véhicules de l’époque et les double-deckers, plusieurs paysages du pays. Le lecteur circule dans une ou deux bases aériennes, il va se réfugier dans les souterrains du métro (Tube) avec Nicole et son amant Lewis, il passe une nuit torride dans une chambre d’hôtel de grand standing, et il séjourne dans une chambre d’hôpital à Londres. Il peut voir les immeubles détruits après une nuit de bombardements. Pour les fêtes de fin d’année, il accompagne Kate dans la résidence de famille : c’est l’occasion d’admirer la campagne anglaise verdoyante et ses animaux d’élevage. Il pénètre avec elle à l’intérieur d’un somptueux manoir, et garde les yeux bien ouverts pour admirer la riche décoration et l’ameublement. Puis il ressort pour profiter du parc soigneusement entretenu. Il est très impressionné par le naturel avec lequel les artistes représentent chaque endroit de manière organique, avec un dosage parfait entre les détails concrets et les couleurs donnant la sensation de la grisaille urbaine, ou du calme de la campagne. Bienvenu en Angleterre pendant la seconde guerre mondiale alors que les bombardements ennemis surviennent avec une régularité terrifiante. L’armée de l’air Royal Air Force britannique a compté des dizaines de femmes pilotes, dont la plus célèbre fut Joy Lofthouse (1923- 2017) qui a volé avec des Spitfire ou des bombardiers pour l’ATA (Air Transport Auxiliary), une organisation britannique de la Seconde Guerre mondiale pour assurer le convoyage des avions neufs, des avions réparés ou endommagés. Comme à leur habitude, les auteurs écrivent une bande dessinée solidement documentée. Le lecteur peut relever de nombreuses références historiques : le discours de Winston Churchill du 18 juin 1940, les relations du président Edvard Benes (1884-1948) du gouvernement provisoire tchécoslovaque et Josef Tiso (1887-1947) président de la République slovaque auto-proclamée, l’histoire de la création du V de la Victoire par Victor de Laveleye (1894-1945), l’évasion des ministres Pierlot et Spaak d’Espagne le 18 octobre 1940, les activités d’Oswald Mosley (1896-1980, fondateur en 1932 de l’Union des Fascistes Britanniques), les activités du Service des Opérations Spéciales (SOE, Special Operations Executive), etc. À l’évidence, il faut un peu de temps pour que les personnages se mettent en place dans la grande Histoire. Les auteurs commencent par mettre en scène les aspects les plus spectaculaires : les combats aériens et les passions extra-conjugales. Toutefois, leurs personnages ne se résument pas à des pantins taillés sur mesure pour porter artificiellement l’intrigue sur leurs épaules. Il apparaît progressivement que Kate Kavendish dispose d’une histoire personnelle : une riche famille installée dans le Gloucestershire, des origines polonaises qui complexifie sa situation personnelle dans ce conflit mondial, voire qui pourraient la rendre suspecte. Les auteurs ont déplacé le point de vue de ce récit de guerre des hommes vers les femmes, et des femmes actives dans la guerre. Les risques auxquels sont exposés les individus, la mort pouvant survenir de manière arbitraire à tout moment, sous un bombardement ou lors d’un combat aérien, rend chaque moment plus capital, plus intense. Chaque personnage se retrouvant en situation de combat fait l’expérience de la fragilité de la vie, chaque traumatisme provoque un comportement d’adaptation en retour. Les deux créateurs ont l’art et la manière pour insuffler de la vie à leurs personnages, les faire exister, leur donner un caractère et des motivations propres. Le lecteur en vient à se demander comment leur existence peut conserver un sens, entre le contraste total du bruit et de la fureur d’un combat aérien, ou d’un bombardement, et le calme surréaliste de la campagne et des grands espaces naturels. Comment réconcilier les petits drames personnels et les destructions massives occasionnées par le largage de plusieurs tonnes d’explosifs en une nuit ? Jimmy Kane parle de sa tante et il dit : C’est une carapace, un moyen pour elle de garder les horreurs du monde à distance, pas la moindre fissure ne doit apparaître sous peine de rompre dans la tempête… Le lecteur se dit que chaque personnage forge sa propre carapace à sa manière, luttant pour éviter la moindre fissure que pourrait provoquer une nouvelle horreur. Une série de plus qui évoque la Grande-Bretagne pendant la seconde guerre mondiale au travers d’une aviatrice militaire… Il s’avère que ce point de vue et la maîtrise des deux créateurs transforment une situation souvent traitée en un récit poignant, celui d’une femme combative, pilote de bombardier, ayant adapté son comportement de vie aux circonstances, avec de magnifiques séquences de combats aériens. Tragique.

17/05/2025 (modifier)
Par Josq
Note: 4/5
Couverture de la série Electric Miles
Electric Miles

Comme c'est étrange... Moi qui suis d'habitude très hermétique à ce genre de récit abscons qui s'affranchit de la réalité pour nous emmener dans un trip psychédélique, j'ai adoré ! Alors que je regrettais récemment que mon auteur (vivant) préféré, Alain Ayroles, s'enferme un peu trop dans le même type d'histoire (Les Indes fourbes, L'Ombre des Lumières, La Terre verte, même si chacune de ces BD est réussie), on peut clairement dire que ce n'est pas ce qui menace Fabien Nury, mon deuxième auteur vivant préféré. Ici, l'auteur s'engage dans un terrain qu'à ma connaissance, il n'a encore jamais exploré. Un terrain difficile à décrire, quelque chose qui relèverait du polar métaphysique sous substances. A priori, je déteste plutôt ça, mais là, Nury parvient à nous prendre par la main et à nous emmener dans son délire avec un art impressionnant. Très aidé par le dessin de Brüno, dont je ne suis là aussi pas toujours client mais parfaitement exploité ici, il crée une atmosphère incroyable, qui convoque les plus grandes heures de Lovecraft et de ses disciples (difficile de ne pas penser à L'Antre de la folie de Carpenter). Il se lance dans un jeu de pistes qui efface peu à peu les frontières de la réalité, et même si ce premier tome n'est "que" une longue introduction, on est pris du début à la fin. Il y a là un fascinant puzzle que j'ai certes hâte de résoudre, mais que je n'ai pas envie de résoudre trop vite. Et en cela, je suis très heureux d'être soumis au rythme des parutions. Comme ça, on profite du délire poético-ésotérique de Nury sans se précipiter sur la fin. Il faut dire qu'il y a des moments où la mise en scène touche des sommets, comme cette séquence où des femmes discutent d'une nouvelle forme de discipline censée libérer leur cerveau, la tête emprisonnée dans le casque du coiffeur qui prend alors un air menaçant. C'est drôle, simple et génial. Comme tout ce premier tome, en fait. Vivement que la suite paraisse !

16/05/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 4/5
Couverture de la série Bertille & Bertille
Bertille & Bertille

Je note large, parce qu'une BD ne se résume pas à son histoire, qui est certes bonne mais de facture tout à fait classique. Certes, ce n'est pas l'originalité qui prime tout le temps pour un récit, et cette BD me semble très bien le démontrer. C'est le genre de lecture que j'apprécie, malgré les ficelles scénaristiques assez visible et des personnages très (trop) typés dans leurs genres. On évolue dans des codes précis, simples et efficaces, mais j'ai vraiment eu un petit plaisir de lecture qui est ressorti avec ce qui se dégage de cette boule rouge, problématique insoluble de cette société d'après-guerre. J'ai une idée de la métaphore qui pourrait s'appliquer ici, mais je trouve que ça ajoute cette petite touche d'étrangeté qui implique de faire autrement, d'accepter de voir le monde un peu différemment. Et je trouve qu'il y a une légère poésie dans cette boule rouge qui apparait. C'est léger, en filigrane, pas important, mais ça m'a plu. L'autre aspect que j'apprécie de la BD c'est l'utilisation de la couleur dans un dessin en sépia. Le rouge tranche dans la BD (et d'ailleurs me semble être un bon indice de ce que la boule peut représenter) donnant des compositions assez jolies à l’œil. Je ne dirais pas que la BD est une merveille, certaines cases semblent étrange de par leurs cadrages et leurs rigidité dans les personnages (notamment le commissaire Bertille) mais j'avoue qu'il y a une vraie patte visuelle et une ambiance qui se dégage de tout ça. Au global, c'est une BD que je recommande comme petite BD sympathique à ne pas lire comme la prochaine merveille. C'est juste bien, assez beau et j'ai trouvé l'ambiance plaisante. Peut-être parce que j'aime bien ce que j'y vois, sans doute, mais je note la BD un peu large. Considérez que c'est un bon 3.5 et on est dans le bon !

15/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Léviathan (Ki-oon)
Léviathan (Ki-oon)

Leviathan est une réussite dans le genre du thriller psychologique spatial. Un récit intense, bien construit, qui interroge autant qu’il dérange. À recommander aux amateurs de récits sombres et nerveux, à mi-chemin entre Alien et Battle Royale

15/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Malgré tout
Malgré tout

Que celleux qui n'aiment pas les histoires n'ayant pour d'autre but que de vous faire vibrer le cœur passent leur chemin, ici le récit s'adresse aux cœurs d'artichauts et aux amoureux-ses de la vie. C'est une histoire d'amour à rebours, la quête de deux personnes s'étant cherchées inlassablement toute leur vie qui nous est racontée à reculons. Nous ne commençons l'album qu'à la conclusion de leur relation, son début officiel, le moment où enfin iels peuvent s'aimer pleinement. Enfin, "s'aimer" iels le faisaient déjà avant, c'est justement tout le sujet de leur histoire. On découvre leur vie à l'envers, on découvre progressivement ce qui les a séparé, leur profond et quasiment insensé amour qui les a animé-e-s toute leur vie. Iels s'aiment, iels se cherchent, iels souffrent de l'absence de l'autre, iels sont si différent-e-s dans leur vies de tous les jours, mais iels ne peuvent pas s'empêcher de s'aimer. C'est beau, c'est triste, ça a fait pleurer l'émotive que je suis. Alors, oui, l'œuvre n'est pas parfaite non plus, je déplore notamment un personnage typé noir dans un chapitre traité d'idiot et parlant d'une façon bien cliché du type "moi savoir beaucoup choses". Le personnage n'est pas nécessairement idiot, justement, simplement traité comme tel par l'un des autres personnages, et le but était sans doute juste de le montrer avoir des difficultés avec la langue qu'il parle à ce moment-là, mais la forme m'a faite tiquer. Certain-e-s pourraient également reprocher l'aspect un peu trop fleur bleu de certains moments, mais là j'ai envie de dire que c'est une question de goût et que si ce genre de récit ne vous attire pas je ne vous conseillerais tout simplement pas l'album. Une histoire d'amour atypique par sa forme et qui a su me toucher.

15/05/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Mi-Mouche
Mi-Mouche

La vie de Colette a basculé suite à la mort de sa sœur jumelle, qui attirait toute l'attention et l'affection familiale. Depuis ce drame, sa mère, brisée par le deuil, devient étouffante par peur de perdre aussi sa seconde fille. Colette, de son côté, tente désespérément de combler le vide laissé par sa sœur, notamment en reprenant ses cours de danse… pour lesquels elle n'a ni talent ni goût. Entre une mère omniprésente, une solitude pesante et le harcèlement qu'elle subit à l'école à cause de sa petite taille, Colette n'a que son ombre à qui se confier car elle n'arrive pas à se rebeller contre sa situation. Jusqu'au jour où elle découvre par hasard une salle de boxe. Ce sport de combat, inattendu pour elle, devient une soudaine passion et une échappatoire. Mais comment affronter une mère terrifiée à l'idée qu'elle se mette en danger ? Et comment faire entendre son envie d'exister pour elle-même, sans trahir la mémoire de sa sœur ? Mi-Mouche est une série jeunesse à la fois délicate et lucide, qui aborde des sujets graves avec intelligence, bienveillance et optimisme. La force du récit repose sur des personnages profondément humains : Colette, bien sûr, tiraillée entre la culpabilité, le besoin de reconnaissance et l'élan d'émancipation que lui offre la boxe ; mais aussi sa mère, figure complexe, à la fois victime et obstacle, qui tente de survivre à sa douleur sans vraiment voir celle de sa fille. On aurait pu craindre un récit balisé façon Karate Kid où l'héroïne va devenir très forte et se venger de ses harceleurs, mais l'histoire reste ancrée dans une réalité sensible, où les combats sont moins spectaculaires que profondément intérieurs. Loin des clichés, Colette ne cherche pas la revanche, mais une forme de résilience et de construction personnelle. Graphiquement, c'est une vraie réussite : le dessin est expressif, vivant, chaleureux, capable de transmettre aussi bien la tendresse que la tension. Il accompagne à merveille le ton du récit, mêlant émotions à fleur de peau et énergie vitale. Et la relation active entre l'héroïne et son ombre qui l'accompagne en permanence et influe sur ses décisions, est une intéressante mise en scène des doutes et interrogations des adolescents de cet âge. On s'attache vite à cette petite héroïne, fragile mais tenace, qu'on a envie d'encourager à chaque page. Et surtout, on espère la voir trouver sa voie, imposer sa voix, et convaincre sa mère que boxer lui permettra enfin de faire le deuil et d'affirmer sa propre personnalité.

15/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Le Piège
Le Piège

Le plus important pour l’instant, c’est satisfaire notre sponsor, il en va de notre liberté ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1998. Il a été réédité depuis avec le récit Rendez-vous fatal (Ballade en Si Bémol) dans le recueil Noirs desseins en 2006, puis en 2011. Il a été réalisé par Milo Manara pour le scénario et les dessins. Cette bande dessinée compte quarante-quatre planches, en noir & blanc. Un homme s’est connecté sur un site de webcam : en direct, il peut voir deux jeunes femmes en train de prendre leur repas, une brune et une blonde. Sur son bureau de part et d’autre de l’écran se trouve un couteau cranté à gauche, et une main coupée au poignet fixée à un cube de bois à droite. Il se fait la réflexion que : La censure est omniprésente et a même contaminé le net ! Il y a toujours quelqu’un qui décide à la place des autres ce qu’ils peuvent voir ! Sur ce genre de sites, les filles devraient se lâcher sexuellement ! Au lieu de ça, ces deux idiotes ne font que manger et discuter ! Dans l’appartement, Wilma trouve que sa copine Wendi mange salement. La blonde rétorque qu’elle fait ça pour tous les voyeurs du monde, ils adorent les cochonneries. Le téléphone sonne : c’est leur sponsor. Il leur annonce que leur site n’est plus du tout regardé. Aussi, soit elles se bougent, soit ils les virent. Il leur intime de faire preuve d’imagination, de monter leurs fesses, leurs seins, d’écarter les jambes, etc. Il continue sur un ton agressif : les gens normaux bossent un mois pour gagner ce qu’il paie à elles à la semaine. Au vu du peu qu’elles montrent, il va finir par les virer. Il termine sur une injonction supplémentaire : Elles doivent sourire, quoi qu’elles fassent. Wendi raccroche et elle commence à s’exécuter en soulevant son teeshirt face caméra pour dénuder sa poitrine. Puis elle se tourne vers sa colocataire pour lui retranscrire ce que leur sponsor vient de leur ordonner. Cette dernière refuse toute forme d’exhibitionnisme d’ordre sexuel. La blonde explique qu’elle est prête à faire beaucoup de choses plutôt que de se faire virer, y compris à utiliser des accessoires de grande taille. Elle fait remarquer qu’en fait ce n’est pas grave : il y a un paquet de filles qui se masturbent sans être aussi payées qu’elles. Elle continue : la seule différence c’est qu’elles le font devant une webcam. Wilma lui demande si ça ne la dérange pas, c’est pratiquement de la prostitution, du sexe contre de l’argent. La blonde tempère cette façon de voir : les prostituées effectuent un travail épuisant, à risque, alors qu’elle et sa copine n’ont aucun contact physique. Elles sont juste deux amies qui vivent en colocation et qui se tripotent le minou, ça n’a rien à voir. Elles sont payées pour attirer des mecs sur leur site, ce n’est pas cher payé que de se déshabiller. Wilma finit par accepter, mais elle n’ira pas plus loin que de se déshabiller, c’est déjà assez humiliant comme ça. Wendi accepte sa décision : elle pense que ça peut aller pour l’instant et qu’elle va assurer pour les deux, mais il va bien falloir que Wilma s’y mette si elle ne pas se faire virer. Une histoire complète de Milo Manara qui se faisant plaisir en dessinant deux jeunes femmes et bientôt trois en train de se toucher, de se caresser et plus, devant une caméra pour des voyeurs qui n’apparaissent jamais à l’image, sauf un dénommé Vlad. L’intrigue s’avère concise : les deux jeunes femmes se laissent un peu entrainer par leur jeu, et sont interrompues par l’arrivée de Wanda, la sœur de Wendi. Celle-ci leur demande de l’accueillir car elle fuit un amant très possessif et pervers. Les trois ont tôt fait de se remettre à l’activité qui permet de satisfaire les clients, et Vlad figure parmi eux. Il localise où se situe leur appartement et il y fait irruption peu de temps après. Une bagarre se déclenche. Au premier niveau de lecture, c’est un prétexte ténu pour dessiner des jeunes femmes minces, graciles et élancées, dans toutes les positions les plus révélatrices possibles, avec des accessoires, dans des relations saphiques de plus en plus chaudes. Elles se retrouvent rapidement toutes les trois nues, et une chose en entraînant une autre elles prennent plaisir à leur activité, sans plus penser à la webcam, ou même au lien familial entre Wendi et Wanda qui sont sœurs. Cette dernière évoque également les exhibitions forcées que Vlad lui a infligées, ce qui donne lieu à des séances de voyeurismes pervers en public, sous influence de l’alcool. Pour finir, elles font leur affaire de Vlad, pas si viril que ça, et l’abricot de Wanda se trouve placardé sur les murs de la ville, sous forme du collage d’une photographie basse définition. Visuellement, ça commence très fort avec le couteau à gauche et la main à droite dans une case de la largeur de la page et le design daté du site au milieu. Puis le lecteur se retrouve dans la pièce où se vivent les deux jeunes femmes : il peut voir la commode et dessus le clavier d’ordinateur, l’unité centrale, le gros écran et la grosse webcam (il se souvient qu’il s’agit d’un album réalisé au siècle dernier, dans la deuxième moitié des années 1990), les motifs du papier peint au mur, le modèle basique de la table avec sa nappe unie, les modèles de chaise. Par la suite il découvre le canapé avec son tissu au motif imprimé, la petite salle de bain et les produits de beauté, le robinet d’un modèle spécifique, une autre commode avec quelques éléments décoratifs et un miroir rond, le rideau et la vue à l’extérieur sur une église, le lit d’un modèle également très basique. Le lecteur peut constater la cohérence spatiale d’un plan de prise de vue à l’autre. Lorsque Wanda raconte sa relation avec Vlad, l’artiste représente également dans le détail le mur avec ses lézardes, l’éclairage public en applique, la foule qui se presse autour de Wanda dans la boîte échangiste, etc. Et dans les dernières pages, le lecteur apprécie tout autant l’architecture de quelques rues de Venise avec les ponts, que le comportement des deux jeunes femmes. En outre, la mise en scène et la direction d’actrices s’avèrent très expressives, pour les contorsions révélatrices et souvent obscènes des jeunes femmes, et aussi pour rendre apparents les états d’esprit des personnages, et leurs actions. Le lecteur observe également des rendus avec une apparence différente : les ombres chinoises dans la boîte de nuit, les photographies placardées sur les murs de Venise. Une petite histoire bien perverse sur le thème du voyeurisme et de l’exhibition qui permet au lecteur de se rincer l’œil tout du long. Un regard pertinent en 1998 sur une industrie qui allait advenir : celle des camgirls, il y a de ça aussi. Dès la première planche, il est question de censure. Plus loin, Wendi et Wilma évoquent leur occupation et elles en parlent ainsi : elles gagnent leur vie en se faisant filmer à tout moment de la journée, et ces images sont disponibles dans le monde entier. Il y a également cette voix désincarnée du sponsor qui les appelle pour leur dicter ce qu’elles doivent faire. L’histoire de Wanda évoque également les jeux de soumission, et l’emprise du dominant. Le lecteur n’est pas dupe : tout cela permet à l’auteur de montrer des jeunes femmes en train de s’ébattre pour qu‘il soit titillé. L’intrigue tient en peu de mots, et certains passages exigent un niveau de suspension d’incrédulité consentie très élevée (la facilité avec laquelle Vlad trouve l’appartement des colocataires, la chute à travers la fenêtre, le collage des photographies de l’abricot, etc.). En outre, Wendi et Wanda n’éprouvent aucune retenue à l’idée de se donner du plaisir entre sœurs, et le lecteur sourit franchement quand la première saute en l’air et décoche un coup de pied en plein visage de Vlad, dans un mouvement digne d’un film de karaté à grand spectacle. Le récit en lui-même s’avère également vite dérangeant dans sa dimension exhibitionniste. Avec un peu de recul, l’histoire met en scène des comportements reposant sur l’exhibitionnisme et le voyeurisme, les fantasmes masculins, le sadomasochisme, l’appétence pour l’argent facile, la cruauté mentale, l’emprise, une relation incestuelle entre deux sœurs. Le lecteur se rend compte que ces composantes entrent en ligne de compte dans la manière dont il reçoit le récit. Il comprend le comportement vénal des deux copines, et il peut lui aussi s’interroger sur la pression économique qui leur fait se soumettre à ces actes rémunérés : elles se posent d’ailleurs la question de la nature de leurs actes par rapport à la prostitution traditionnelle. La narration prend alors une tournure déstabilisante : les trois jeunes femmes se livrent à des actes sexuels entre simulation et réalité, tout en profitant de l’absence d’audio pour échanger sur leurs préoccupations du moment (d’abord refuser la pornographie, puis comment de se débarrasser de l’intrus). Le lecteur assite à une comédie dans laquelle les actes sont sans rapport avec les préoccupations réelles des personnages. Cela lui fait penser à une sorte de conte. Puis il assiste à l’emprise de Vlad sur Wanda, qui la contraint à s’exhiber en public à des inconnus, et même à accepter des attouchements et plus. Le lecteur reconnait bien là un des thèmes fétiches de l’auteur : la mise en scène du voyeurisme comme une perversion et une obsession, la fétichisation du corps féminin. Il sourit devant le comportement de Vlad quand ce dernier est contraint de quitter sa posture de voyeur, et qu’il s’avère ne pas être à la hauteur, comme une opposition entre la durée du plaisir féminin, et l’instantanéité du plaisir masculin. Un petit récit mineur de Milo Manara avec un scénario prétexte et ridicule, une enfilade de situation invraisemblables, trop artificielles, une collection de petits fantasmes voyeuristes ? Il est possible de considérer cette bande dessinée sous cet angle, avec une narration visuelle séduisante et de haute volée. Il est également possible de considérer cette histoire comme un conte avec ses licences narratives, et une mise en scène du voyeurisme à un degré pathologique, de la déconnexion les actes et les préoccupations réelles (la comédie sociale), la fétichisation du corps féminin jusqu’à l’obsession irrationnelle. Délétère.

15/05/2025 (modifier)