Cette petite série pour la jeunesse autour de 6 ans est pleine de fraicheur et d'intelligence. Vincent Roché transpose à la préhistoire des thématiques que rencontrent très vite les jeunes enfants : la quête d'autonomie, leurs limites , le partage et l'entraide. En positionnant l'action à la préhistoire l'auteur rend son récit universel en montrant qu'un enfant né il y a 50 000 ans pouvait avoir les mêmes préoccupations que celui qui tient le livre entre ses mains. Les dialogues sont bien construits et accessibles à un lectorat débutant.
Le graphisme est une ligne claire assez minimaliste qui va à l'essentiel: expressivité et dynamisme.
Une lecture que l'on peut tenter seul(e) avec un(e) copin(e) voire un adulte. Très sympa. Une note qui tient compte du public cible.
Après m'avoir littéralement conquis avec son récit se déroulant à Londres au XIXème siècle Les Arcanes de la Maison Fleury, Gabriele Di Caro récidive dans cet album érotique qui se passe cette fois ci dans l'Amérique profonde des années 50. Le dessin est toujours aussi somptueux et le scénario emprunte, une fois de plus, quelques éléments fantastiques qui font de cette aventure un mystère pour le lecteur.
Nous suivons, sous prétexte du concours du fruit le plus doux, plusieurs personnages aussi délurés qu'énigmatiques : une serveuse nymphomane, un journaliste poursuivi par la mafia, un couple modèle -enfin presque-, un peintre libidineux, une sublime riche héritière, et enfin deux vieillards poursuivis par un passé macabre, bref une galerie de portrait assez réussie.
Gabriele Di Caro a beaucoup de talent pour dessiner les femmes bien pourvues et l'érotisme qui traverse cet album est parfaitement bien mis au service d'un scénario qui donne envie au lecteur de connaître la suite.
Bref un érotisme raffiné avec un récit solide.
Une lecture réservée à un public averti, il va sans dire.
C’était un soldat dans un pays devenu fou.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2004. Il a été réalisé par Alex Nikolavitch pour le scénario, et par Marc Botta pour le dessin et les couleurs. Il comporte quarante-quatre pages de bande dessinée.
Un prisonnier de guerre est conduit à l’échafaud par des soldats la police militaire. L’un d’eux lui demande s’il a une déclaration à faire. Le colonel Dorscheid répond que pas vraiment. Il voudrait juste une dernière cigarette ; il ajoute qu’il a un paquet dans sa poche. Un policier lui met une clope au bec, et lui allume. Il est arrivé devant le nœud coulant qui lui est passé autour du cou. On lui retire sa cigarette, et un gradé russe salue, pendant que le colonel est pendu. Après quoi il s’éloigne et est abordé par un autre gradé russe qui lui demande si c’est fait, puis s’il repart pour Leningrad. Tchektariov, commissaire politique russe, lui répond que sans doute, et il poursuit son chemin. Il repense au pendu : Dorscheid était mort. La paix avait été signée presque deux ans auparavant mais pour lui Tchektariov, c’était comme si la guerre avait attendu cet instant pour finir. Une guerre qui pour lui avait vraiment commencé en novembre 43, dans les hauteurs autour de Kiev. Le mont Chauve fut le Golgotha pour les hommes de ce bataillon d’infanterie dont il était le commissaire politique. C’était la première fois qu’il voyait le feu. Séparé de ses hommes, sa seule ressource était de trouver un abri jusqu’à la fin des bombardements. Un abri à peu près sûr. Une cave par exemple. Ils étaient dans une cave, de nuit, au cœur du mois de novembre, et pourtant il était en nage. Mais entre un officier de la Wehrmacht et les bombes qui pleuvaient, il ne savait pas trop quel choix faire.
Le commissaire politique Tchektariov s’est réfugié dans une cave pour se mettre à l’abri des bombes. Il découvre un colonel de la Wehrmacht assis à même le sol, le colonel Dorscheid. Plutôt que de s’exterminer, Dorscheid lui demande du feu, et propose de lui donner une cigarette en échange. Il estime que c’est une transaction honnête. Tchektariov accepte, tout en estimant que c’est un peu tôt pour la trêve de Noël. Le colonel lui fait observer qu’il ne sait pas où ils seront fin décembre. Ils allument également une lampe à pétrole qui se trouve là. Tchektariov comprend que Dorscheid lui a offert son avant-dernière cigarette. Ils évoquent le bombardement en cours. Le colonel dit que ça ne servira pas à grand-chose si c’est les Allemands qui lâchent des bombes. Il continue : Pilonner pourra tout juste couvrir la retraite de l’infanterie, ou de ce qu’il en reste. Pour lui, l’Armée rouge aura du mal à être arrêtée maintenant, les Russes seront bientôt en Pologne, puis à Berlin, puis… Et puis, il ne sait pas : si les Américains débarquent, ils empêcheront peut-être les Russes d’atteindre Paris. Mais l’armée allemande n’est plus en état de se battre, et n’en a plus envie d’ailleurs. Pour lui, il faut être fanatique, ou désespéré pour vouloir s’interposer entre les Russes et l’ouest. Le commissaire politique fait le constat qu’on dit que la mélancolie fait partie intégrante de l’âme russe. Pour lui, c’est faux : en deux ans de présence ici, le pays l’a contaminé, il est comme les Allemands. C’est cette terre qui est mélancolique, qui rend mélancolique.
Une couverture à la manière de George Pratt, fort évocatrice, faisant appel à la culture du lecteur pour reconnaître l’allure d’un uniforme militaire allemand, et un autre évoquant un uniforme russe. En parcourant rapidement ce volume, le lecteur voit une approche assez originale concernant la couleur et les caractéristiques du dessin. La séquence d’ouverture se présente sus la forme de dessins réalisés au crayon, avec des traits de contour également au crayon, et des nuances d’ocre qui viennent habiller les silhouettes et les murs. Puis l’artiste passe à des contours encrés d’un trait fin et irrégulier. Il recourt ensuite au noir & blanc avec des nuances de gris, comme s’il peignait, se débarrassant rapidement des traits de contour au bout de deux pages. Une fois cette séquence achevée, il revient à l’usage des traits de contour encrés et des nappes de couleurs, avec de repasser dans le passé en noir & blanc sans traits de contour. Puis de revenir enfin au présent. Cela produit sur le lecteur, l’impression de peintures en noir & blanc pour les scènes du passé, rendant les souvenirs moins précis, patinés, comme vu à distance, ce qui les rend immuables et leur confère une qualité de destin implacable.
Le scénariste situe clairement le temps présent de son récit : à la fin de la seconde guerre mondiale, alors que les prisonniers de guerre commencent à être jugés et exécutés. Il en va encore plus précisément pour le la ligne temporelle dans le passé : novembre 1943 dans les hauteurs autour Kiev. De la même manière, il identifie explicitement la nationalité des deux protagonistes : russe et allemande, ainsi que leur fonction, commissaire politique et colonel de l’armée. Le dessinateur représente les éléments visuels qui permettent de les distinguer facilement : les insignes militaires, la forme de leur couvre-chef, la coupe de leur uniforme. Il en va de même pour les différents soldats, et pour la police militaire. Sans être de nature photographique, les dessins comprennent les détails nécessaires à la compréhension du lecteur. Les auteurs évoquent la seconde bataille de Kiev, opération de l'Armée rouge et contre-attaque de la Wehrmacht entre le 3 octobre et 22 décembre 1943. Puis, alors que l’armée allemande se désagrège et reflue en désordre, le commissaire politique russe se joint à une colonne d’infanterie qui va marcher vers Berlin en traversant la Biélorussie, pour rejoindre la Pologne, stationner quelque temps à Varsovie, et reprendre la marche jusqu’à Berlin.
Le dessinateur représente des scènes effroyables, trouvant le juste équilibre entre ce qu’il montre, et ce qu’il laisse à l’imagination du lecteur, rendant ces pans d’ombre encore plus horribles. Il voit la corde passée autour du cou de Dorscheid, sans assister au spectacle du nœud qui se resserre. Il voit les soldats avancer dans la neige, avec la sensation du froid qui le pénètre, sans aller jusqu’à la représentation de la morsure du froid et des souffrances physiques correspondantes. Par la suite, Tchektariov évoque dans son flux de pensée les abominations dont il est le témoin : Partout où ils passaient, ce n’étaient que scènes de désolation, Les plaines fertiles de l’Ukraine labourées par les clous et les chenilles des chars, engraissées par des cadavres sans nombre, l’ordre de ne pas faire de prisonniers parmi les SS qui tenaient la région (De toute façon, ses hommes n’avaient pas envie de faire de quartier), villages rasés, tous les habitants enterrés dans des fosses communes. La Biélorussie avait souffert encore plus que l’Ukraine. L’ennemi était désespéré et vivait sur un pays devenu plus qu’hostile. Toute résistance donnait lieu à des représailles.et le simple fait de n’avoir plus rien à manger, et donc de ne rien pouvoir donner, était considéré comme un acte de résistance. Les seules représailles encore possibles étant l’anéantissement total. La destruction, faute d’avoir un sac de farine ou un poulet. Accompagnant cet énoncé, le lecteur peut voir des images évoquant ces horreurs : des soldats avançant en groupe leur arme pointée devant eux, un officier allemand assis à même le sol avec un pistolet pointe sur l’arrière de son crâne par un soldat russe debout, de vagues formes humaines allongées sur le sol certainement des cadavres dans la neige. Et plus tard, un cadavre pendu à un lampadaire dans une rue de Varsovie, jusqu’à l’horreur de la solution finale avec un survivant dans son uniforme de prisonnier. Pour terminer avec une interprétation de la célèbre photographie Le Drapeau rouge sur le Reichstag, cliché d'Evgueni Khaldeï pris le 2 mai 1945 sur le toit du palais du Reichstag, à Berlin.
Le lecteur se retrouve complètement pris par cette narration visuelle entre description et sous-entendus, le faisant participer par automatisme, l’impliquant en faisant appel à son imagination pour compléter les zones imprécises. La voix intérieure de Tchektariov guide la narration, les images donnent à voir les situations au lecteur, les actions des personnages, elles rendent concret ce qui resterait sinon désincarné. Le lecteur commence par éprouver de l’empathie pour le commissaire politique, puisqu’il le voit dans une situation de péril, alors qu’il voit le feu pour la première fois, qu’il est vierge de tout acte de guerre. Par le hasard des circonstances, deux homes de camp ennemi se retrouvent à partager le même abri : ils font preuve de sens pratique. Pas de raison de se massacrer, de tuer l’autre : ce sont deux êtres humains en présence, inconnu l’un pour l’autre, sans motif de haine personnelle. Puis la vie reprend son cours normal, ou plutôt la guerre continue. Ils se revoient deux ans plus tard, dans des circonstances où ils incarnent chacun une facette de leur pays respectif, sans possibilité de se soustraire à cette fonction. Tchektariov se fait la réflexion que : Dorscheid était allé au bout de la guerre et avait commis l’erreur de se laisser entraîner dans celle des autres, c’était un soldat dans un pays devenu fou. Le commissaire politique russe dispose du recul nécessaire pour avoir conscience que lui-même il a fait exécuter des hommes servant dans son unité. Parce qu’ils n’étaient pas dans la ligne. Il est également déjà le témoin des prémices de l’après-guerre, de la valeur différenciée des prisonniers, selon qu’ils servent d’exemple, ou bien qu’ils soient discrètement escamotés parce qu’ils pourront servir (par exemple les savants et les industriels) dans des guerres futures. Sans être né en 17 à Leidenstadt, Tchektariov fait le constat que chacun, suivant les circonstances et les pressions, peut devenir un Dorscheid. Il est possible de se sauver soi-même, si l’on prend la décision de partir. De disparaître. De cesser d’être un rouage dans la machine.
Une histoire de guerre de plus : une amitié éphémère entre un colonel allemand et un commissaire politique russe à Kiev, le temps d’un bombardement durant la seconde guerre mondiale, et la suite. Une narration visuelle évoquant des peintures en noir & blanc, avec des nuances de gris en temps de guerre, plus classiques avec trait de contour, juste à la fin de la guerre. Elle rend concret l’environnement et l’époque, avec les éléments pertinents pour illustrer le flux de pensées du narrateur, et d’imprécision pour ne pas obérer l’horreur de ce qu’il évoque. Le lecteur sent peser sur lui la présence de la mort soudaine et arbitraire, ainsi que les prises de décision et les ordres ayant pour conséquence de donner la mort. Il se retrouve à éprouver de la compassion pour Tchektariov, mais aussi pour le colonel de la Wehrmacht. Miséricordieux.
J’adore la genèse de « L'Histoire d'un vilain rat ». Bryan Talbot voulait écrire une histoire se déroulant dans la magnifique région anglaise du Lake District (où ma femme et moi adorons partir en vacances). Ne voulant pas réaliser un simple reportage, il a commencé à formuler l’histoire d’une jeune femme SDF fuyant Londres pour partir sur les traces de Beatrix Potter, l’autrice des livres jeunesse « Peter Rabbit » (Pierre Lapin en français), elle-même originaire du Lake District. Il ne lui manquait plus qu’une raison pour cette fuite. Suite à des recherches sur les abus infantiles, Bryan Talbot fut bouleversé par ce fléau plus que jamais d’actualité, et en fit finalement le thème central de cet album (lire notre interview de 2024 pour plus d’infos sur la genèse de cet album).
L’histoire, fictive mais inspirée de témoignages réels, est parfaitement racontée, et les déboires de Hélène m’ont captivé et beaucoup touché. Il s’agit d’un pur roman graphique qui devrait plaire aux amateurs du genre. Le ton est juste et finalement plutôt optimiste et éducatif, la morale étant qu’il faut parler de ce genre d’abus pour faire avancer les choses.
La mise en image est adaptée à ce genre d’histoire, et propose quelques trouvailles originales (le rat géant, les suicides imaginés, les hallucinations). Et puis les paysages du Lake District en deuxième moitié d’album sont un délice pour les yeux.
J’ai personnellement passé un excellent moment de lecture. La réédition chez Delirium est l’occasion rêvée de découvrir ce chouette album.
« L’Appel des bouts du monde » est un long témoignage de Joëlle, jeune infirmière, raconté en BD par Catherine Monnot-Berranger. Elle nous parle de son engagement humanitaire dans de nombreux pays en situation de guerre ou de crise, en Afrique, en Asie, au proche orient ou encore à Haïti…
L’album propose plusieurs niveaux de réflexion : la raison de son engagement prolongé, le conflit entre ses valeurs et les situations locales souvent compliquées (les femmes ne sont pas toujours bien vues dans les pays qu’elle part aider), le concept de la neutralité qui fait qu’il faut soigner les oppresseurs et les opprimés, l’évolution de l’humanitaire au cours des décennies… et puis la loterie de la vie, avec ces gens « nés au mauvais endroit et au mauvais moment, par un hasard absurde. »
La mise en image est efficace mais un peu sobre, je trouve que les couleurs sont un peu ternes et ne mettent pas en valeur les paysages souvent magnifiques.
Une lecture un peu longue mais enrichissante, Joëlle est une personne qui force le respect.
J’ai prêté mes Loucas en classe et TOUT le monde a voulu les lire !! Les dessins sont superbes, surtout vers la fin de la série ! L’intrigue est bien réfléchie et je m’étonne à chaque fois de voir ce que les proches de Louca lui font “subir” ! Je suis en stress depuis que j’ai lu le 11 de savoir la suite !!! J’ai hâte que le prochain sorte en librairie !
Le couple - en BD comme à la ville - Savoia/Sowa adapte le roman de Gaël Faye "Petit Pays", roman qui retrace l'enfance du compositeur/interprète de RAP.
Un album sur le génocide Rwandais, mais aussi sur cette haine latente entre Hutus et Tutsis au Burundi. Et pour comprendre le pourquoi de cette haine ethnique, je vous renvoie à Rwanda - À la poursuite des génocidaires et les conséquences de la colonisation.
C'est à travers les yeux d'enfant de Gaël Faye que l'on va découvrir son histoire. Son enfance va lui être volée, son insouciance et sa joie de vivre vont faire place à l'incompréhension devant cette violence, ces morts et cette haine viscérale entre deux ethnies pourtant si semblables (même langue, mêmes croyances...).
Un récit qui ne peut pas laisser indifférent, la narration maîtrisée de Sowa permet de ressentir les émotions de ce garçon qui voit éclater sa cellule familiale sur fond de guerre.
Un témoignage bouleversant.
Le dessin de Savoia ne fait pas partie de ceux que je préfère, mais je lui reconnais une grande lisibilité, d'être expressif et un savoir-faire dans la mise en page. Les couleurs sont très belles.
Du bon boulot.
Une lecture recommandée, mais à compléter avec Rwanda - À la poursuite des génocidaires.
Une nouvelle fois, Gess réussit son pari, continuant à développer cet univers de la Pieuvre, dans un Paris fin de siècle dont il reconstitue bien l’ambiance. Avec une bonne dose de fantastique, qui passe bien.
Ici, j’ai trouvé que la Pieuvre était un peu plus en retrait du cœur de l’intrigue. Même si la Bouche joue un rôle certain (du coup, ceux qui voudront découvrir cet univers gagneront je pense à commencer par d’autres albums, tous aussi bons, mais où le mode de fonctionnement de cette mafia très spéciale est sans doute plus développé). On suit donc ici plutôt d’autres « talents », en particulier Fannie, qui a la capacité de pénétrer dans la pensée des autres, une sorte de coucou psychique.
La narration est agréable et, comme d’habitude, le rendu visuel très plaisant. La colorisation, le contour des planches, tout est chouette. Et Gess – sans pour autant se lancer dans des pleines pages minutieuses – reconstitue très bien le Paris de la fin du XIXème siècle.
Ces albums de Gess développent un univers très original et emballant, et il n’est pas trop tard pour le découvrir. « Fannie la renoueuse » est à la – très bonne – hauteur des trois autres albums.
Nos amours contingentes sont au final bien peu face à notre amour nécessaire.
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Ce tome contient une biographie partielle de Simone de Beauvoir entre 1947 et 1951. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Ingrid Chabbert pour le scénario, Anne-Perrine Couët pour les dessins, et Alessandra Alexakis pour les couleurs. Il compte cent-huit pages de bande dessinée.
En 1951, Nelson Algren est installé à sa table de travail, devant la fenêtre grande ouverte : sa machine à écrire est posée sur la table devant lui, avec une feuille insérée, prête à l’emploi. Le chat Doubleday vient se frotter à la machine en ronronnant. L’écrivain regarde par la fenêtre, deux femmes sont assises sur des chaises longues en train de discuter, lui tournant le dos. Elles rient, ce qui a le don d’énerver Nelson. Il ferme les rideaux et se lève pour aller donner à manger au chat dans la cuisine. Elles rient encore. Le soir, il est allongé sur le canapé avec un plaid sur les jambes, en train de fumer en regardant le plafond. Simone rentre dans la pièce et lui annonce qu’elle va se coucher, elle va rejoindre le lit glacial qu’il a délaissé. Il se tourne pour écraser son mégot dans un cendrier et lui souhaite une bonne nuit. Il se relève, se met à sa table de travail et tape inlassablement une seule et unique phrase, ligne après ligne : Ne couche jamais avec une femme qui a plus d’ennui que toi.
En février 1947, Simone de Beauvoir voyage dans un train. En ouvrant son sac, elle fait tomber un papier que sa voisine ramasse et lui tend ; elle le déplie : y figure le nom de Nelson Algren avec son numéro de téléphone. Arrivée à la gare de Chicago, elle descend en manquant de tomber du fait sol glissant, et elle remarque le consul qui tient une pancarte à son nom. Il lui souhaite la bienvenue à Chicago et la fait monter dans sa voiture avec chauffeur. Il lui explique que son assistante a préparé un programme, et il lui a demandé ne pas trop surcharger car elle a souvent la main lourde. Il la dépose à son hôtel, le Palmer House. Elle gagne sa chambre avec ses bagages. Elle enlève ses chaussures et s’allonge sur le lit. Puis elle reprend le papier plié, décroche le combiné, et demande à ce qu’on lui passe le numéro correspondant. Nelson Algren se trouve dans sa cuisine, et il raccroche au nez de son interlocutrice par trois fois. Simone de Beauvoir finit par avoir la présence d’esprit de demander à l’opératrice d’expliquer à Nelson Algren qui elle est, avant qu’elle ne le lui passe. Ayant ainsi surmonté la barrière de la langue, elle se présente à l’écrivain : elle a eu ses coordonnées par sa chère amie Madame Guggenheim, une bien piètre hôtesse, mais charmante néanmoins. Elle lui dit qu’elle n’est à Chicago que pour quelques heures et qu’elle cherche un bon ami avec qui boire un verre et découvrir la ville. Il lui propose qu’ils se retrouvent dans un petit café dans une heure. Sur place, il lui propose d’aller au comptoir, car il trouve cela tellement plus sympathique. Ils prennent chacun un whisky : lui sans glace, elle avec.
Les autrices ont choisi une période bien précise dans la vie de Simone de Beauvoir (1909-1986) : celle de sa relation avec l’écrivain Nelson Algren (1909-1981) bien sûr, met aussi celle de la rédaction et de la publication de son essai Le deuxième sexe (1949). Le lecteur apprécie d’autant plus cette tranche de biographie qu’il a en tête l’importance de cet essai qui soutient que l'image de la femme est une construction sociale et aliénante. Il lui suffit également d’avoir une vague idée sur la forme de la relation la liant à Jean-Paul Sartre (1905-1980), qui est mise en scène en contrepoint de celle avec Algren. Le présent ouvrage aborde l’une et l’autre de ces composantes. Le lecteur sourit en découvrant la philosophe prononcer la célèbre phrase en page cinquante-neuf : On ne naît pas femme on le devient, c’est une évidence, on se forme on lutte, on compose avec la majorité assourdissante. Dans la page précédente, elle évoque la discussion qui lui a donné l’idée d’écrire sur les femmes, une remarque de Sartre qui lui a demandé ce qu’être signifiait pour elle : Tout de même vous n’avez pas été élevée de la même manière qu’un garçon, il faudrait y regarder de plus près. Alors qu’elle évoque ce projet avec son amant américain, celui-ci lui fait remarquer que cette description de la condition féminine est peu comme celle des Noirs-Américains ici, qu’il y a de grandes similitudes, et qu’elle devrait rencontrer Richard Wright (1908-1960), il lui parlera de l’oppression des noirs comme personne. Elle se dit qu’elle devrait lire son roman Native Son (1940, Un enfant du pays).
Par la force des choses, le lecteur aborde donc ces pages avec en tête l’idée que la vie même de Simone de Beauvoir a nourri ses écrits, aussi bien autobiographiques que philosophiques. Il connaît peut-être moins l’œuvre de Nelson Algren et sa vie, ou même cette époque de la vie de l’écrivaine. Tout commence en 1951, enfin la bande dessinée commence par un bond dans le futur, ou plutôt commence avec la fin de la dernière séquence du tome, et la fin de la relation entre les deux amants. Dans ces quatre pages, le lecteur note l’amertume qui s’est installée entre eux, et la phrase avec laquelle l’écrivain noircit la feuille dans la machine à écrire. Il apprécie le trait fin de la dessinatrice, pour détourer chaque objet, chaque meuble et les personnages. Elle réalise des cases dans un registre réaliste et descriptif. Elle s’applique à donner à voir les différents environnements : la maison avec des meubles bon marché et de nombreux livres sur les étagères et en pile, la ligne d’immeubles de Chicago vue depuis le lac Michigan, la belle chambre dans un hôtel de standing contrastant avec l’appartement modeste d’Algren dans un quartier populaire, un bar populaire, le métro aérien, une grande salle chic de réception, un gigantesque hall d’aéroport, la statue de la Liberté, un voyage sur un bateau avec une roue à aubes, la foule à la Nouvelle Orléans, une pyramide à degré au Mexique, un marché très coloré au Guatemala, un boxe de ring, et bien sûr le café de Flore à Paris.
La dessinatrice donne une allure normale à ses différents personnages, et elle sait reproduire l’apparence des individus connus, à commencer par le couple. Elle utilise un trait fin, un peu lâche pour en délimiter les contours, ce qui leur confère une forme de vie. Elle apporte un soin particulier aux toilettes de Simone de Beauvoir et aux tenues vestimentaires en général, veillant à ce qu’elles correspondent bien à la réalité de l’époque. Le lecteur apprécie la qualité de la coordination entre scénariste et dessinatrice, qui ont le souci de penser leur narration en termes visuels, en évitant les longues enfilades de têtes en train de parler. Ainsi les personnages sont souvent représentés en train de deviser tout en vaquant à leurs occupations : cuisiner, rectifier sa coiffure, observer les autres clients du bar, manger, se promener, s’occuper du chat, jouer aux cartes, écrire bien sûr. Le lecteur se rend compte qu’il sourit de temps à autre quand un visage exprime une émotion avec candeur, avec une jeunesse inattendue. La narration visuelle se montre graphique lors des rapports sexuels : nudité complète et de front, variation dans les positions, sans tomber dans la performance athlétique.
De fait, le lecteur comprend que la vie que mène Simone de Beauvoir pendant ces quatre années, et certainement durant toute sa vie, s’avère bien différente de celle de la majorité des femmes de son époque. En page vingt-quatre, alors qu’elle sort le soir dans la rue avec Algren, elle lui fait remarquer qu’elle n’a jamais marché derrière un homme, et elle le rejoint pour marcher à sa hauteur. Ce moment trouve un écho en page quatre-vingt-huit où elle marche derrière lui dans une zone désertique, en signe de leur éloignement émotionnel. Le lecteur peut voir une femme follement amoureuse de cet écrivain américain : un homme qui vit dans un quartier populaire, qui pratique la boxe, et dont elle va se charger de faire traduire ses romans en France. Elle se montre honnête avec lui : aucune promesse de mariage ou de couple stable, aucune intention de rompre avec Jean-Paul Sartre. En page soixante-six, celui-ci embrasse Simone sur le sommet de la tête, en lui disant que leurs amours continentes sont au final bien peu face à leur amour nécessaire, en l’appelant par le surnom de Castor. Le lecteur sourit en pensant à la différence entre les deux hommes : Nelson Algren qu’il voit monter sur un ring de boxe pour s’entrainer, et sa déclaration qu’écrire s’apparente à un match de boxe, en comparaison de l’intellectuel germanopratin. À ce titre, la réunion dans le café de Flore de Simone de Beauvoir avec ses deux amants apparaît assez déstabilisante. Ainsi, les autrices font exister la philosophe dans sa vie amoureuse, montrant comme son œuvre se nourrit de sa relation avec Algren et respectivement, tout en montrant sa vie passionnée.
Le nom de la collection s’applique parfaitement à cette relation, à savoir Dyade : réunion de deux principes qui se complètent réciproquement. Le lecteur découvre la relation qui a uni Simone de Beauvoir alors en phase de conception de son essai Le deuxième sexe, à Nelson Algren, en train de rédiger L’homme au bras d’or. La narration visuelle s’avère vivante, mettant en scène deux êtres humains amoureux et chacun avec son caractère. Chaque scène vient montrer les interactions entre ces deux écrivains, faisant apparaître comment l’un inspire l’autre et réciproquement. Une belle relation bénéfique à chacun.
Image client
J'ai déjà lu quelques histoires de Tsutsui. Ici on est dans le réalisme des années 2020 avec un homme qui décide lors de la pandémie de Covid de réaliser son rêve à savoir se replier chez lui sans en sortir. Il profite de ses économies d'une vie de salariat et organise toute sa vie dans ce but. Il loue un petit appartement, aménage un conduit pour le vide-ordures et se fait livrer tout ce qu'il a besoin par un équivalent d'Amazon.
Neet = not in employment education or training. Ce sont des personnes qui ne travaillent pas et ne sont plus en formation non plus.
Le récit est à la première personne et très prenant malgré un sujet qui ne parait pas plus intéressant que cela de prime abord pour tenir sur la longueur. Il n'aborde pas les vraies raisons d'une telle coupure du monde mais décrit de manière très terre à terre comment l'homme organise sa vie. Le passage où il essaie de communiquer avec sa nouvelle voisine à travers un jeu vidéo est assez drôle. L'auteur instille aussi du suspense quand un homme inconnu essaie de pénétrer dans l'appartement. A compléter avec le tome 2.
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Cette petite série pour la jeunesse autour de 6 ans est pleine de fraicheur et d'intelligence. Vincent Roché transpose à la préhistoire des thématiques que rencontrent très vite les jeunes enfants : la quête d'autonomie, leurs limites , le partage et l'entraide. En positionnant l'action à la préhistoire l'auteur rend son récit universel en montrant qu'un enfant né il y a 50 000 ans pouvait avoir les mêmes préoccupations que celui qui tient le livre entre ses mains. Les dialogues sont bien construits et accessibles à un lectorat débutant. Le graphisme est une ligne claire assez minimaliste qui va à l'essentiel: expressivité et dynamisme. Une lecture que l'on peut tenter seul(e) avec un(e) copin(e) voire un adulte. Très sympa. Une note qui tient compte du public cible.
Le Fruit le plus doux
Après m'avoir littéralement conquis avec son récit se déroulant à Londres au XIXème siècle Les Arcanes de la Maison Fleury, Gabriele Di Caro récidive dans cet album érotique qui se passe cette fois ci dans l'Amérique profonde des années 50. Le dessin est toujours aussi somptueux et le scénario emprunte, une fois de plus, quelques éléments fantastiques qui font de cette aventure un mystère pour le lecteur. Nous suivons, sous prétexte du concours du fruit le plus doux, plusieurs personnages aussi délurés qu'énigmatiques : une serveuse nymphomane, un journaliste poursuivi par la mafia, un couple modèle -enfin presque-, un peintre libidineux, une sublime riche héritière, et enfin deux vieillards poursuivis par un passé macabre, bref une galerie de portrait assez réussie. Gabriele Di Caro a beaucoup de talent pour dessiner les femmes bien pourvues et l'érotisme qui traverse cet album est parfaitement bien mis au service d'un scénario qui donne envie au lecteur de connaître la suite. Bref un érotisme raffiné avec un récit solide. Une lecture réservée à un public averti, il va sans dire.
La Dernière cigarette
C’était un soldat dans un pays devenu fou. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2004. Il a été réalisé par Alex Nikolavitch pour le scénario, et par Marc Botta pour le dessin et les couleurs. Il comporte quarante-quatre pages de bande dessinée. Un prisonnier de guerre est conduit à l’échafaud par des soldats la police militaire. L’un d’eux lui demande s’il a une déclaration à faire. Le colonel Dorscheid répond que pas vraiment. Il voudrait juste une dernière cigarette ; il ajoute qu’il a un paquet dans sa poche. Un policier lui met une clope au bec, et lui allume. Il est arrivé devant le nœud coulant qui lui est passé autour du cou. On lui retire sa cigarette, et un gradé russe salue, pendant que le colonel est pendu. Après quoi il s’éloigne et est abordé par un autre gradé russe qui lui demande si c’est fait, puis s’il repart pour Leningrad. Tchektariov, commissaire politique russe, lui répond que sans doute, et il poursuit son chemin. Il repense au pendu : Dorscheid était mort. La paix avait été signée presque deux ans auparavant mais pour lui Tchektariov, c’était comme si la guerre avait attendu cet instant pour finir. Une guerre qui pour lui avait vraiment commencé en novembre 43, dans les hauteurs autour de Kiev. Le mont Chauve fut le Golgotha pour les hommes de ce bataillon d’infanterie dont il était le commissaire politique. C’était la première fois qu’il voyait le feu. Séparé de ses hommes, sa seule ressource était de trouver un abri jusqu’à la fin des bombardements. Un abri à peu près sûr. Une cave par exemple. Ils étaient dans une cave, de nuit, au cœur du mois de novembre, et pourtant il était en nage. Mais entre un officier de la Wehrmacht et les bombes qui pleuvaient, il ne savait pas trop quel choix faire. Le commissaire politique Tchektariov s’est réfugié dans une cave pour se mettre à l’abri des bombes. Il découvre un colonel de la Wehrmacht assis à même le sol, le colonel Dorscheid. Plutôt que de s’exterminer, Dorscheid lui demande du feu, et propose de lui donner une cigarette en échange. Il estime que c’est une transaction honnête. Tchektariov accepte, tout en estimant que c’est un peu tôt pour la trêve de Noël. Le colonel lui fait observer qu’il ne sait pas où ils seront fin décembre. Ils allument également une lampe à pétrole qui se trouve là. Tchektariov comprend que Dorscheid lui a offert son avant-dernière cigarette. Ils évoquent le bombardement en cours. Le colonel dit que ça ne servira pas à grand-chose si c’est les Allemands qui lâchent des bombes. Il continue : Pilonner pourra tout juste couvrir la retraite de l’infanterie, ou de ce qu’il en reste. Pour lui, l’Armée rouge aura du mal à être arrêtée maintenant, les Russes seront bientôt en Pologne, puis à Berlin, puis… Et puis, il ne sait pas : si les Américains débarquent, ils empêcheront peut-être les Russes d’atteindre Paris. Mais l’armée allemande n’est plus en état de se battre, et n’en a plus envie d’ailleurs. Pour lui, il faut être fanatique, ou désespéré pour vouloir s’interposer entre les Russes et l’ouest. Le commissaire politique fait le constat qu’on dit que la mélancolie fait partie intégrante de l’âme russe. Pour lui, c’est faux : en deux ans de présence ici, le pays l’a contaminé, il est comme les Allemands. C’est cette terre qui est mélancolique, qui rend mélancolique. Une couverture à la manière de George Pratt, fort évocatrice, faisant appel à la culture du lecteur pour reconnaître l’allure d’un uniforme militaire allemand, et un autre évoquant un uniforme russe. En parcourant rapidement ce volume, le lecteur voit une approche assez originale concernant la couleur et les caractéristiques du dessin. La séquence d’ouverture se présente sus la forme de dessins réalisés au crayon, avec des traits de contour également au crayon, et des nuances d’ocre qui viennent habiller les silhouettes et les murs. Puis l’artiste passe à des contours encrés d’un trait fin et irrégulier. Il recourt ensuite au noir & blanc avec des nuances de gris, comme s’il peignait, se débarrassant rapidement des traits de contour au bout de deux pages. Une fois cette séquence achevée, il revient à l’usage des traits de contour encrés et des nappes de couleurs, avec de repasser dans le passé en noir & blanc sans traits de contour. Puis de revenir enfin au présent. Cela produit sur le lecteur, l’impression de peintures en noir & blanc pour les scènes du passé, rendant les souvenirs moins précis, patinés, comme vu à distance, ce qui les rend immuables et leur confère une qualité de destin implacable. Le scénariste situe clairement le temps présent de son récit : à la fin de la seconde guerre mondiale, alors que les prisonniers de guerre commencent à être jugés et exécutés. Il en va encore plus précisément pour le la ligne temporelle dans le passé : novembre 1943 dans les hauteurs autour Kiev. De la même manière, il identifie explicitement la nationalité des deux protagonistes : russe et allemande, ainsi que leur fonction, commissaire politique et colonel de l’armée. Le dessinateur représente les éléments visuels qui permettent de les distinguer facilement : les insignes militaires, la forme de leur couvre-chef, la coupe de leur uniforme. Il en va de même pour les différents soldats, et pour la police militaire. Sans être de nature photographique, les dessins comprennent les détails nécessaires à la compréhension du lecteur. Les auteurs évoquent la seconde bataille de Kiev, opération de l'Armée rouge et contre-attaque de la Wehrmacht entre le 3 octobre et 22 décembre 1943. Puis, alors que l’armée allemande se désagrège et reflue en désordre, le commissaire politique russe se joint à une colonne d’infanterie qui va marcher vers Berlin en traversant la Biélorussie, pour rejoindre la Pologne, stationner quelque temps à Varsovie, et reprendre la marche jusqu’à Berlin. Le dessinateur représente des scènes effroyables, trouvant le juste équilibre entre ce qu’il montre, et ce qu’il laisse à l’imagination du lecteur, rendant ces pans d’ombre encore plus horribles. Il voit la corde passée autour du cou de Dorscheid, sans assister au spectacle du nœud qui se resserre. Il voit les soldats avancer dans la neige, avec la sensation du froid qui le pénètre, sans aller jusqu’à la représentation de la morsure du froid et des souffrances physiques correspondantes. Par la suite, Tchektariov évoque dans son flux de pensée les abominations dont il est le témoin : Partout où ils passaient, ce n’étaient que scènes de désolation, Les plaines fertiles de l’Ukraine labourées par les clous et les chenilles des chars, engraissées par des cadavres sans nombre, l’ordre de ne pas faire de prisonniers parmi les SS qui tenaient la région (De toute façon, ses hommes n’avaient pas envie de faire de quartier), villages rasés, tous les habitants enterrés dans des fosses communes. La Biélorussie avait souffert encore plus que l’Ukraine. L’ennemi était désespéré et vivait sur un pays devenu plus qu’hostile. Toute résistance donnait lieu à des représailles.et le simple fait de n’avoir plus rien à manger, et donc de ne rien pouvoir donner, était considéré comme un acte de résistance. Les seules représailles encore possibles étant l’anéantissement total. La destruction, faute d’avoir un sac de farine ou un poulet. Accompagnant cet énoncé, le lecteur peut voir des images évoquant ces horreurs : des soldats avançant en groupe leur arme pointée devant eux, un officier allemand assis à même le sol avec un pistolet pointe sur l’arrière de son crâne par un soldat russe debout, de vagues formes humaines allongées sur le sol certainement des cadavres dans la neige. Et plus tard, un cadavre pendu à un lampadaire dans une rue de Varsovie, jusqu’à l’horreur de la solution finale avec un survivant dans son uniforme de prisonnier. Pour terminer avec une interprétation de la célèbre photographie Le Drapeau rouge sur le Reichstag, cliché d'Evgueni Khaldeï pris le 2 mai 1945 sur le toit du palais du Reichstag, à Berlin. Le lecteur se retrouve complètement pris par cette narration visuelle entre description et sous-entendus, le faisant participer par automatisme, l’impliquant en faisant appel à son imagination pour compléter les zones imprécises. La voix intérieure de Tchektariov guide la narration, les images donnent à voir les situations au lecteur, les actions des personnages, elles rendent concret ce qui resterait sinon désincarné. Le lecteur commence par éprouver de l’empathie pour le commissaire politique, puisqu’il le voit dans une situation de péril, alors qu’il voit le feu pour la première fois, qu’il est vierge de tout acte de guerre. Par le hasard des circonstances, deux homes de camp ennemi se retrouvent à partager le même abri : ils font preuve de sens pratique. Pas de raison de se massacrer, de tuer l’autre : ce sont deux êtres humains en présence, inconnu l’un pour l’autre, sans motif de haine personnelle. Puis la vie reprend son cours normal, ou plutôt la guerre continue. Ils se revoient deux ans plus tard, dans des circonstances où ils incarnent chacun une facette de leur pays respectif, sans possibilité de se soustraire à cette fonction. Tchektariov se fait la réflexion que : Dorscheid était allé au bout de la guerre et avait commis l’erreur de se laisser entraîner dans celle des autres, c’était un soldat dans un pays devenu fou. Le commissaire politique russe dispose du recul nécessaire pour avoir conscience que lui-même il a fait exécuter des hommes servant dans son unité. Parce qu’ils n’étaient pas dans la ligne. Il est également déjà le témoin des prémices de l’après-guerre, de la valeur différenciée des prisonniers, selon qu’ils servent d’exemple, ou bien qu’ils soient discrètement escamotés parce qu’ils pourront servir (par exemple les savants et les industriels) dans des guerres futures. Sans être né en 17 à Leidenstadt, Tchektariov fait le constat que chacun, suivant les circonstances et les pressions, peut devenir un Dorscheid. Il est possible de se sauver soi-même, si l’on prend la décision de partir. De disparaître. De cesser d’être un rouage dans la machine. Une histoire de guerre de plus : une amitié éphémère entre un colonel allemand et un commissaire politique russe à Kiev, le temps d’un bombardement durant la seconde guerre mondiale, et la suite. Une narration visuelle évoquant des peintures en noir & blanc, avec des nuances de gris en temps de guerre, plus classiques avec trait de contour, juste à la fin de la guerre. Elle rend concret l’environnement et l’époque, avec les éléments pertinents pour illustrer le flux de pensées du narrateur, et d’imprécision pour ne pas obérer l’horreur de ce qu’il évoque. Le lecteur sent peser sur lui la présence de la mort soudaine et arbitraire, ainsi que les prises de décision et les ordres ayant pour conséquence de donner la mort. Il se retrouve à éprouver de la compassion pour Tchektariov, mais aussi pour le colonel de la Wehrmacht. Miséricordieux.
L'Histoire d'un vilain rat
J’adore la genèse de « L'Histoire d'un vilain rat ». Bryan Talbot voulait écrire une histoire se déroulant dans la magnifique région anglaise du Lake District (où ma femme et moi adorons partir en vacances). Ne voulant pas réaliser un simple reportage, il a commencé à formuler l’histoire d’une jeune femme SDF fuyant Londres pour partir sur les traces de Beatrix Potter, l’autrice des livres jeunesse « Peter Rabbit » (Pierre Lapin en français), elle-même originaire du Lake District. Il ne lui manquait plus qu’une raison pour cette fuite. Suite à des recherches sur les abus infantiles, Bryan Talbot fut bouleversé par ce fléau plus que jamais d’actualité, et en fit finalement le thème central de cet album (lire notre interview de 2024 pour plus d’infos sur la genèse de cet album). L’histoire, fictive mais inspirée de témoignages réels, est parfaitement racontée, et les déboires de Hélène m’ont captivé et beaucoup touché. Il s’agit d’un pur roman graphique qui devrait plaire aux amateurs du genre. Le ton est juste et finalement plutôt optimiste et éducatif, la morale étant qu’il faut parler de ce genre d’abus pour faire avancer les choses. La mise en image est adaptée à ce genre d’histoire, et propose quelques trouvailles originales (le rat géant, les suicides imaginés, les hallucinations). Et puis les paysages du Lake District en deuxième moitié d’album sont un délice pour les yeux. J’ai personnellement passé un excellent moment de lecture. La réédition chez Delirium est l’occasion rêvée de découvrir ce chouette album.
L’Appel des bouts du monde - Une vie d'humanitaire
« L’Appel des bouts du monde » est un long témoignage de Joëlle, jeune infirmière, raconté en BD par Catherine Monnot-Berranger. Elle nous parle de son engagement humanitaire dans de nombreux pays en situation de guerre ou de crise, en Afrique, en Asie, au proche orient ou encore à Haïti… L’album propose plusieurs niveaux de réflexion : la raison de son engagement prolongé, le conflit entre ses valeurs et les situations locales souvent compliquées (les femmes ne sont pas toujours bien vues dans les pays qu’elle part aider), le concept de la neutralité qui fait qu’il faut soigner les oppresseurs et les opprimés, l’évolution de l’humanitaire au cours des décennies… et puis la loterie de la vie, avec ces gens « nés au mauvais endroit et au mauvais moment, par un hasard absurde. » La mise en image est efficace mais un peu sobre, je trouve que les couleurs sont un peu ternes et ne mettent pas en valeur les paysages souvent magnifiques. Une lecture un peu longue mais enrichissante, Joëlle est une personne qui force le respect.
Louca
J’ai prêté mes Loucas en classe et TOUT le monde a voulu les lire !! Les dessins sont superbes, surtout vers la fin de la série ! L’intrigue est bien réfléchie et je m’étonne à chaque fois de voir ce que les proches de Louca lui font “subir” ! Je suis en stress depuis que j’ai lu le 11 de savoir la suite !!! J’ai hâte que le prochain sorte en librairie !
Petit pays
Le couple - en BD comme à la ville - Savoia/Sowa adapte le roman de Gaël Faye "Petit Pays", roman qui retrace l'enfance du compositeur/interprète de RAP. Un album sur le génocide Rwandais, mais aussi sur cette haine latente entre Hutus et Tutsis au Burundi. Et pour comprendre le pourquoi de cette haine ethnique, je vous renvoie à Rwanda - À la poursuite des génocidaires et les conséquences de la colonisation. C'est à travers les yeux d'enfant de Gaël Faye que l'on va découvrir son histoire. Son enfance va lui être volée, son insouciance et sa joie de vivre vont faire place à l'incompréhension devant cette violence, ces morts et cette haine viscérale entre deux ethnies pourtant si semblables (même langue, mêmes croyances...). Un récit qui ne peut pas laisser indifférent, la narration maîtrisée de Sowa permet de ressentir les émotions de ce garçon qui voit éclater sa cellule familiale sur fond de guerre. Un témoignage bouleversant. Le dessin de Savoia ne fait pas partie de ceux que je préfère, mais je lui reconnais une grande lisibilité, d'être expressif et un savoir-faire dans la mise en page. Les couleurs sont très belles. Du bon boulot. Une lecture recommandée, mais à compléter avec Rwanda - À la poursuite des génocidaires.
Fannie la renoueuse
Une nouvelle fois, Gess réussit son pari, continuant à développer cet univers de la Pieuvre, dans un Paris fin de siècle dont il reconstitue bien l’ambiance. Avec une bonne dose de fantastique, qui passe bien. Ici, j’ai trouvé que la Pieuvre était un peu plus en retrait du cœur de l’intrigue. Même si la Bouche joue un rôle certain (du coup, ceux qui voudront découvrir cet univers gagneront je pense à commencer par d’autres albums, tous aussi bons, mais où le mode de fonctionnement de cette mafia très spéciale est sans doute plus développé). On suit donc ici plutôt d’autres « talents », en particulier Fannie, qui a la capacité de pénétrer dans la pensée des autres, une sorte de coucou psychique. La narration est agréable et, comme d’habitude, le rendu visuel très plaisant. La colorisation, le contour des planches, tout est chouette. Et Gess – sans pour autant se lancer dans des pleines pages minutieuses – reconstitue très bien le Paris de la fin du XIXème siècle. Ces albums de Gess développent un univers très original et emballant, et il n’est pas trop tard pour le découvrir. « Fannie la renoueuse » est à la – très bonne – hauteur des trois autres albums.
Les Matins doux
Nos amours contingentes sont au final bien peu face à notre amour nécessaire. - Ce tome contient une biographie partielle de Simone de Beauvoir entre 1947 et 1951. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Ingrid Chabbert pour le scénario, Anne-Perrine Couët pour les dessins, et Alessandra Alexakis pour les couleurs. Il compte cent-huit pages de bande dessinée. En 1951, Nelson Algren est installé à sa table de travail, devant la fenêtre grande ouverte : sa machine à écrire est posée sur la table devant lui, avec une feuille insérée, prête à l’emploi. Le chat Doubleday vient se frotter à la machine en ronronnant. L’écrivain regarde par la fenêtre, deux femmes sont assises sur des chaises longues en train de discuter, lui tournant le dos. Elles rient, ce qui a le don d’énerver Nelson. Il ferme les rideaux et se lève pour aller donner à manger au chat dans la cuisine. Elles rient encore. Le soir, il est allongé sur le canapé avec un plaid sur les jambes, en train de fumer en regardant le plafond. Simone rentre dans la pièce et lui annonce qu’elle va se coucher, elle va rejoindre le lit glacial qu’il a délaissé. Il se tourne pour écraser son mégot dans un cendrier et lui souhaite une bonne nuit. Il se relève, se met à sa table de travail et tape inlassablement une seule et unique phrase, ligne après ligne : Ne couche jamais avec une femme qui a plus d’ennui que toi. En février 1947, Simone de Beauvoir voyage dans un train. En ouvrant son sac, elle fait tomber un papier que sa voisine ramasse et lui tend ; elle le déplie : y figure le nom de Nelson Algren avec son numéro de téléphone. Arrivée à la gare de Chicago, elle descend en manquant de tomber du fait sol glissant, et elle remarque le consul qui tient une pancarte à son nom. Il lui souhaite la bienvenue à Chicago et la fait monter dans sa voiture avec chauffeur. Il lui explique que son assistante a préparé un programme, et il lui a demandé ne pas trop surcharger car elle a souvent la main lourde. Il la dépose à son hôtel, le Palmer House. Elle gagne sa chambre avec ses bagages. Elle enlève ses chaussures et s’allonge sur le lit. Puis elle reprend le papier plié, décroche le combiné, et demande à ce qu’on lui passe le numéro correspondant. Nelson Algren se trouve dans sa cuisine, et il raccroche au nez de son interlocutrice par trois fois. Simone de Beauvoir finit par avoir la présence d’esprit de demander à l’opératrice d’expliquer à Nelson Algren qui elle est, avant qu’elle ne le lui passe. Ayant ainsi surmonté la barrière de la langue, elle se présente à l’écrivain : elle a eu ses coordonnées par sa chère amie Madame Guggenheim, une bien piètre hôtesse, mais charmante néanmoins. Elle lui dit qu’elle n’est à Chicago que pour quelques heures et qu’elle cherche un bon ami avec qui boire un verre et découvrir la ville. Il lui propose qu’ils se retrouvent dans un petit café dans une heure. Sur place, il lui propose d’aller au comptoir, car il trouve cela tellement plus sympathique. Ils prennent chacun un whisky : lui sans glace, elle avec. Les autrices ont choisi une période bien précise dans la vie de Simone de Beauvoir (1909-1986) : celle de sa relation avec l’écrivain Nelson Algren (1909-1981) bien sûr, met aussi celle de la rédaction et de la publication de son essai Le deuxième sexe (1949). Le lecteur apprécie d’autant plus cette tranche de biographie qu’il a en tête l’importance de cet essai qui soutient que l'image de la femme est une construction sociale et aliénante. Il lui suffit également d’avoir une vague idée sur la forme de la relation la liant à Jean-Paul Sartre (1905-1980), qui est mise en scène en contrepoint de celle avec Algren. Le présent ouvrage aborde l’une et l’autre de ces composantes. Le lecteur sourit en découvrant la philosophe prononcer la célèbre phrase en page cinquante-neuf : On ne naît pas femme on le devient, c’est une évidence, on se forme on lutte, on compose avec la majorité assourdissante. Dans la page précédente, elle évoque la discussion qui lui a donné l’idée d’écrire sur les femmes, une remarque de Sartre qui lui a demandé ce qu’être signifiait pour elle : Tout de même vous n’avez pas été élevée de la même manière qu’un garçon, il faudrait y regarder de plus près. Alors qu’elle évoque ce projet avec son amant américain, celui-ci lui fait remarquer que cette description de la condition féminine est peu comme celle des Noirs-Américains ici, qu’il y a de grandes similitudes, et qu’elle devrait rencontrer Richard Wright (1908-1960), il lui parlera de l’oppression des noirs comme personne. Elle se dit qu’elle devrait lire son roman Native Son (1940, Un enfant du pays). Par la force des choses, le lecteur aborde donc ces pages avec en tête l’idée que la vie même de Simone de Beauvoir a nourri ses écrits, aussi bien autobiographiques que philosophiques. Il connaît peut-être moins l’œuvre de Nelson Algren et sa vie, ou même cette époque de la vie de l’écrivaine. Tout commence en 1951, enfin la bande dessinée commence par un bond dans le futur, ou plutôt commence avec la fin de la dernière séquence du tome, et la fin de la relation entre les deux amants. Dans ces quatre pages, le lecteur note l’amertume qui s’est installée entre eux, et la phrase avec laquelle l’écrivain noircit la feuille dans la machine à écrire. Il apprécie le trait fin de la dessinatrice, pour détourer chaque objet, chaque meuble et les personnages. Elle réalise des cases dans un registre réaliste et descriptif. Elle s’applique à donner à voir les différents environnements : la maison avec des meubles bon marché et de nombreux livres sur les étagères et en pile, la ligne d’immeubles de Chicago vue depuis le lac Michigan, la belle chambre dans un hôtel de standing contrastant avec l’appartement modeste d’Algren dans un quartier populaire, un bar populaire, le métro aérien, une grande salle chic de réception, un gigantesque hall d’aéroport, la statue de la Liberté, un voyage sur un bateau avec une roue à aubes, la foule à la Nouvelle Orléans, une pyramide à degré au Mexique, un marché très coloré au Guatemala, un boxe de ring, et bien sûr le café de Flore à Paris. La dessinatrice donne une allure normale à ses différents personnages, et elle sait reproduire l’apparence des individus connus, à commencer par le couple. Elle utilise un trait fin, un peu lâche pour en délimiter les contours, ce qui leur confère une forme de vie. Elle apporte un soin particulier aux toilettes de Simone de Beauvoir et aux tenues vestimentaires en général, veillant à ce qu’elles correspondent bien à la réalité de l’époque. Le lecteur apprécie la qualité de la coordination entre scénariste et dessinatrice, qui ont le souci de penser leur narration en termes visuels, en évitant les longues enfilades de têtes en train de parler. Ainsi les personnages sont souvent représentés en train de deviser tout en vaquant à leurs occupations : cuisiner, rectifier sa coiffure, observer les autres clients du bar, manger, se promener, s’occuper du chat, jouer aux cartes, écrire bien sûr. Le lecteur se rend compte qu’il sourit de temps à autre quand un visage exprime une émotion avec candeur, avec une jeunesse inattendue. La narration visuelle se montre graphique lors des rapports sexuels : nudité complète et de front, variation dans les positions, sans tomber dans la performance athlétique. De fait, le lecteur comprend que la vie que mène Simone de Beauvoir pendant ces quatre années, et certainement durant toute sa vie, s’avère bien différente de celle de la majorité des femmes de son époque. En page vingt-quatre, alors qu’elle sort le soir dans la rue avec Algren, elle lui fait remarquer qu’elle n’a jamais marché derrière un homme, et elle le rejoint pour marcher à sa hauteur. Ce moment trouve un écho en page quatre-vingt-huit où elle marche derrière lui dans une zone désertique, en signe de leur éloignement émotionnel. Le lecteur peut voir une femme follement amoureuse de cet écrivain américain : un homme qui vit dans un quartier populaire, qui pratique la boxe, et dont elle va se charger de faire traduire ses romans en France. Elle se montre honnête avec lui : aucune promesse de mariage ou de couple stable, aucune intention de rompre avec Jean-Paul Sartre. En page soixante-six, celui-ci embrasse Simone sur le sommet de la tête, en lui disant que leurs amours continentes sont au final bien peu face à leur amour nécessaire, en l’appelant par le surnom de Castor. Le lecteur sourit en pensant à la différence entre les deux hommes : Nelson Algren qu’il voit monter sur un ring de boxe pour s’entrainer, et sa déclaration qu’écrire s’apparente à un match de boxe, en comparaison de l’intellectuel germanopratin. À ce titre, la réunion dans le café de Flore de Simone de Beauvoir avec ses deux amants apparaît assez déstabilisante. Ainsi, les autrices font exister la philosophe dans sa vie amoureuse, montrant comme son œuvre se nourrit de sa relation avec Algren et respectivement, tout en montrant sa vie passionnée. Le nom de la collection s’applique parfaitement à cette relation, à savoir Dyade : réunion de deux principes qui se complètent réciproquement. Le lecteur découvre la relation qui a uni Simone de Beauvoir alors en phase de conception de son essai Le deuxième sexe, à Nelson Algren, en train de rédiger L’homme au bras d’or. La narration visuelle s’avère vivante, mettant en scène deux êtres humains amoureux et chacun avec son caractère. Chaque scène vient montrer les interactions entre ces deux écrivains, faisant apparaître comment l’un inspire l’autre et réciproquement. Une belle relation bénéfique à chacun. Image client
Neeting Life
J'ai déjà lu quelques histoires de Tsutsui. Ici on est dans le réalisme des années 2020 avec un homme qui décide lors de la pandémie de Covid de réaliser son rêve à savoir se replier chez lui sans en sortir. Il profite de ses économies d'une vie de salariat et organise toute sa vie dans ce but. Il loue un petit appartement, aménage un conduit pour le vide-ordures et se fait livrer tout ce qu'il a besoin par un équivalent d'Amazon. Neet = not in employment education or training. Ce sont des personnes qui ne travaillent pas et ne sont plus en formation non plus. Le récit est à la première personne et très prenant malgré un sujet qui ne parait pas plus intéressant que cela de prime abord pour tenir sur la longueur. Il n'aborde pas les vraies raisons d'une telle coupure du monde mais décrit de manière très terre à terre comment l'homme organise sa vie. Le passage où il essaie de communiquer avec sa nouvelle voisine à travers un jeu vidéo est assez drôle. L'auteur instille aussi du suspense quand un homme inconnu essaie de pénétrer dans l'appartement. A compléter avec le tome 2.