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Couverture de la série Contrecoups
Contrecoups

Malgré ma bonne notation, je reste perplexe après ma lecture. Le récit est construit sur les genres journalistique et historique au sein d'une fiction qui donne du lien au différentes situations. Cela donne une narration très dynamique presque à suspens tant le rythme est élevé et l'enchaînement bien huilé. Toutefois la qualité de la narration peut être perçu comme un défaut tant la personne de Malik est assez peu présente alors qu'il est la pierre angulaire et la victime de cette absurde affaire qui n'aurait jamais du exister. En 86 je revenais de ma coopé, diplômes en poche et je commençais ma vie pro dans une paisible ville des Ardennes. Comme j'avais suivi des filières sélectives je n'étais pas franchement dans le bain des évènements estudiantins de Paris. Toutefois on ne pouvait pas passer à côté des images très violentes du parvis des Invalides où les forces de l'ordre faisaient du "tir direct" sur les manifestants (parfois très jeunes avec leurs parents) au risque de blessures très graves. Bollée et Puchol n'abordent pas cette partie de grande tension depuis deux semaines qui explique ( sans la justifier) l'utilisation disproportionnée et criminelle de la violence au sein des VPN. Il vaut mieux connaître le contexte dans lequel s'inscrit cette triste nuit du 5 décembre pour comprendre l'attitude et la dureté des ordres du capitaine et du brigadier-chef. Car le paradoxe est que cette soirée du 5 fut assez calme, les étudiants obéissants sans trop de difficultés aux ordres d'évacuation et de dispersion. Non nous n'étions pas en état de guerre civile malgré certaines prises de positions ahurissantes de responsables médiatiques. Car je trouve qu'il n'y a pas une grande différence entre nommer ses compatriotes "des zombies" atteints "de sida mental" que "les cafards" de la radio des mille collines huit ans plus tard. C'est la cohésion nationale qui est en jeu. Le pauvre Malik se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. Avec sa Bible et sa carte de la très sage et sélective Paris-Dauphine dans la poche, il n'avait rien d'un casseur armé jusqu'aux dents, lui le solitaire qui sortait d'une boîte pour écouter du jazz. Oui cette situation est emblématique des dérives d'un Etat qui outrepasse illégalement ses prérogatives. Aucun couvre feu n'était décrété, aucun juge n'avait interdit de se promener la nuit dans Paris, et même un simple contrôle ne peut s'accompagner d'une telle violence. Ce sont toutes ces questions fondamentales qui ressurgissent de temps à autres que soulève la série de Puchol et Bollée. J'aurais bien noté avec un beau 5 mais je trouve que l'ajout de situations diverses ( l'amourette des étudiants, la stigmatisation des séropositifs dans ces années, la prise de conscience du petit voyou) diluent un peu le propos même si cela lui donne de la densité en l'ancrant dans le réel de l'époque. Un mot sur le très beau N&B de Jeanne Puchol qui participe au dynamisme et à la dramatisation de ces quelques heures qui sont entrées dans l'Histoire de la cohabitation. Une lecture qui m'a passionné et un très beau devoir de mémoire pour la famille de Malik bien injustement meurtrie .

09/04/2025 (modifier)
Couverture de la série Look Back
Look Back

Poétique, tragique et brillamment construit Look Back est un one-shot intense et émouvant qui montre toute la maîtrise narrative de Fujimoto. En quelques dizaines de pages, il explore l’amitié, la création artistique, le deuil et la culpabilité avec une finesse rare. Le dessin, sobre mais expressif, sert parfaitement le propos. La fin, ouverte à l’interprétation, bouleverse et invite à la réflexion. Une œuvre courte, mais marquante, que je recommande vivement.

08/04/2025 (modifier)
Par Gaston
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Gloutons & Dragons
Gloutons & Dragons

Je n'avais pas envie de lire cette série parce que je ne suis pas du tout intéressé par tout ces mangas qui parlent de gastronomie, même si celui-ci se passe dans un univers de fantasy. Et puis j'ai lu sur internet d'excellentes critiques sur la série et j'ai fini par la lire. Au début j'étais à moitié convaincu, les personnages sont attachants et le dessin est bon, mais le mixe entre la fantasy et la gastronomie me semblait un peu bizarre et les passages où on explique les bienfaits d'une alimentation saine ou comment préparer un bon repas sont un peu ennuyeux. Puis au fil des tomes, le scénario devient plus complexe, et à mesure que l'on a des informations sur cet univers et sur la vie passée des personnages je me suis rendu compte que l'autrice maitrisait bien son scénario. Elle a créé un monde plutôt original dans ce donjon même si elle utilise les éléments récurrents de ce genre (des elfes, des nains, des filles-chattes...). Il y a beaucoup de surprises dans ce récit qui passé les premiers tomes est très prenant et au final le mélange univers de fantasy de type RPG et la gastronomie fait plein de sens et est bien exploité dans les derniers tomes. Contrairement à pleins d'autres séries de manga qui me lassent après quelques tomes, cette série s'améliore au fil des tomes. Une des meilleures séries de fantasy japonaise que je connaisse !

08/04/2025 (modifier)
Couverture de la série Les Jumeaux de Conoco Station
Les Jumeaux de Conoco Station

Personnellement j'ai bien apprécié cette petite série qui m'a souvent fait sourire. Un sourire crispé par moment tellement Duchazeau charge le portrait de ces jumeaux plus rednecks que nature. J'y ai lu comme un négatif des "Blues Brothers" avec certaines scènes où les amateurs de Country ne sont pas à leur avantage. Perso j'aime assez ce mélange de violon et de banjo qui procure une sonorité séduisante. Duchazeau en grand amateur de musique US ne peut pas faire le procès de ce genre mais plutôt de la farce cruelle qui s'est jouée sur les bords de la mythique route 66 dans certains endroits où la justice était à géométrie variable. Woody et Jerry m'ont souvent fait penser à des doubles bêtes, méchants et cruels à l'extrême de nos sympathiques Dupondts. Duchazeau s'en donne à cœur joie pour faire le pamphlet cette Amérique inculte et violente. La caricature est extrême et partiale mais elle m'a souvent fait sourire. On lit certaines répliques aux second degré de bêtise crasse des personnages. Duchazeau propose son crayonné en N&B qui rend particulièrement bien cette ambiance isolée et poussiéreuse de l'Oklahoma. Le dessin est faussement simple car il fourmille de petits détails qui donnent une ambiance parfaitement réussie. Que ce soit pour Conoco ou pour Nashville j'ai admiré la finesse des détails des bâtiments et des extérieurs. Une lecture qui nous plonge dans une bouffonnerie cruelle qui n'est pas sans parenté avec Ubu. 3.5

08/04/2025 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5
Couverture de la série The Song about Green
The Song about Green

La première BD de Gao Yan, une jeune taïwanaise qui s'est inspirée de son amour de l'écriture, de la musique et d'un voyage au Japon (pour acheter l'album Kasemachi Roman), pour se lancer dans ce projet graphique. Elle avait déjà réalisé, en auto-édition, une première version de 32 pages de cette histoire. Mais c'est après avoir illustrée une couverture d'un roman de Haruki Murakami qu'elle l'étoffe pour atteindre plus de 500 pages. J'ai dévoré ces 2 tomes en un après-midi, une lecture cocooning pour un instant suspendu. C'est l'histoire de Lu, une jeune fille d'une vingtaine d'années qui étudie à Taipei. Une jeune fille timide et introvertie qui a un rapport viscérale avec la musique et l'écriture. Elle va faire la connaissance d'un jeune homme, Nanjun, et ils vont se découvrir des goûts communs (il est musicien dans un groupe) qui vont les rapprocher. Le début d'une belle amitié, mais Lu, doucement, va ressentir bien plus que cela. Je vais mettre en garde de suite, si vous cherchez de l'action, passez votre chemin. Nous avons ici un récit intimiste sur les premiers émois de Lu, avec en caisse de résonance la pop culture japonaise. Un récit duveteux, tendre et amer. Lu est touchante et attachante. Mais c'est surtout l'ambiance musicale qui m'a marqué, avec la découverte de nombreux artistes de la scène japonaise (il y a plein de bonnes surprises). Une narration globalement maîtrisée, un bémol sur certains passages un peu trop long à mon goût et sur l'apparition de l'amie providentielle. Mais rien de bien gênant. Je lis peu de manga, la faute à un graphisme qui ne me convient pas d'ordinaire. Ce n'est pas le cas sur ces deux albums. Le trait de Gao Yan est délicat et d'une finesse extrême. Les personnages sont beaux, les décors magnifiques (en particulier ceux des concerts) et les longs moments de silence font passer les émotions. Superbe. Un 4 étoiles pour le dépaysement, pour la découverte de la pop culture japonaise et pour la sincérité qui émane de Lu.

07/04/2025 (modifier)
Couverture de la série Les 4 morts de Betty Page
Les 4 morts de Betty Page

Personnellement j'ai apprécié ce thriller classique mais bien construit autour du personnage de Betty Page. La narration est fluide et l'enquête pas à pas des deux lieutenants n'est pas expédiée en trois planches grâce à une découverte inespérée. La série hésite souvent entre le thriller et l'érotique avec la profusion de scènes de nues. Cela est compréhensible puisque Betty anime un spectacle de striptease. Comme au Crazy horse les canons pour participer au spectacle sont assez restrictifs et correspondent à un fantasme sexué de l'imaginaire masculin. Toutefois j'entends la réserve de certains avis car les auteurs insistent sur le sujet avec des scènes superflues de la vie familiale et intime des lieutenants de police. De même Rodolphe propose un récit soft malgré l'horreur des crimes mais ce parti pris donne une ambiance légère et pas sordide qui me convient bien. Le graphisme de Bignon donne un travail précis sur l'ambiance du NY des années 50 avec un beau rendu des costumes, des ruelles ou des bars de l'époque. Les cadrages sont bons et cela donne un visuel dynamique, seule la mise en couleur n'est pas séduisante. Une note un peu généreuse pour un récit récréatif à mon goût.

07/04/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Les Fesses à Bardot
Les Fesses à Bardot

Le cinéma est une allégorie, mon cher Léonce. L’allégorie de la condition humaine ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario et les dialogues, épaulé par Gaël Séjouné, par ce dernier pour la mise en cases, en images et en couleurs, soutenu par le premier. Il comprend cent-cinquante-quatre pages de bande dessinée. Prologue : à Trougnac. Au volant de sa Renault 4CV, Conrad Knapp traverse une région boisée de la campagne française. Il s’arrête devant le panneau d’entrée de la ville de Trougnac, et il interpelle Fernand et Ginette, un vieux couple de paysans, leur demandant s’il y aurait par le plus grand des hasards, une salle de cinéma dans leur village. L’homme lui répond que Trougnac est un peu plus qu’un village, presque trois mille habitants, une équipe de foot et même une pharmacie. Presque, parce que tant qu’ils n’ont pas les trois mille, ils peuvent faire une croix sur la pharmacie. À la suite de l’intervention de son épouse, il explique au conducteur que Poil est le village d’à côté, qu’ils ne s’appellent pas des Poilus, qu’ils préfèrent être appelés des Pictiens, mais ça n’empêche pas les autres de les taquiner un peu, surtout aux matchs de football. Comprenant qu’il n’obtiendra pas de réponse à sa question, Knapp les plante là, et il entre dans le village. Chapitre un : Au café. Ayant avancé un peu dans la grande rue, Conrad Knapp hèle une jeune femme dans une jolie robe à pois blancs, avec un généreux décolleté. Il lui pose la même question : y aurait-il une salle de cinéma dans son village ? Elle répond avec le sourire que oui, c’est l’Éden, à l’Est. Elle ajoute : On ne peut pas le rater, il est juste à côté de l’église, ce n’est pas une grande salle, mais on peut y voir tous les films récents. Elle cite : Le beau serge, En cas de malheur, Maigret tend un piège. Il propose : Et ta sœur ? Et il dissipe le malentendu : il parle du film avec Pierre Fresnay. Elle ajoute que l’Éden c’est le duc qui l’a fait construire. Knapp se dit que ce trou a un duc. Conrad Knapp pénètre dans le café des Sports, et se rend au comptoir, alors que les habitués continuent leurs discussions : sur le scandale du bikini, sur le fait qu’il n’y a plus que des films avec des femmes à moitié nues, et que la télévision est plus accessible, même s’il n’y a peut-être qu’une vingtaine de postes ici. Madame Garnier estime que les films ont une influence néfaste, en particulier quand on voit cette diablesse blonde se trémousser sur la table là, cette dévergondée, cette… Knapp intervient dans la conversation pour en énoncer le nom : Brigitte Bardot. Toutes les conversations s’interrompent d’un coup. Il continue : Avec également Jean-Louis Trintignant et Curd Jürgens, tourné à Nice et à Saint Tropez, interdit aux moins de seize ans à sa sortie une heure et trente-deux minutes de plaisir. Répondant à une question, il précise qu’il était sur le tournage. Il enchaîne en commandant une autre Suze. Simone indique à son mari Maurice Garnier qu’il est temps qu’ils s’en aillent, et ils sortent accompagnés par le curé. Quand bien même il n’aurait pas identifié la pose dans la couverture (une évocation de l’affiche de En cas de malheur), le lecteur comprend rapidement que les auteurs rendent hommage au cinéma français des années 1950. La bande dessinée se compose de douze chapitres et d’un prologue, chacun comprenant une page de titre avec un extrait de dialogue, issu d’un film de cette époque. Il est ainsi fait mention de Les Vieux de la vieille (1960) de Gilles Grangier (1911-1996), La traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Série noire (1955) de Pierre Foucaud (1908-1976), Roman d’un tricheur (1936) de Sacha Guitry (1885-1957), Un singe en hiver (1962) d’Henri Verneuil (1920-2002), Les grandes familles (1958) de Denys de la Patellière (1921-2013), Le petit monde de Don Camillo (1952) de Julien Duvivier (1896-1967), Et Dieu… créa la femme (1956) de Roger Vadim (1928-2000), L’auberge rouge (1951) de Claude Autant-Lara (1901-2000), En cas de malheur (1958) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Ascenseur pour l’échafaud (1958) de Louis Malle (1932-1995). Si Brigitte Bardot n’apparaît pas dans le récit, Jean Gabin (1904-1976) y joue un rôle le temps d’un des chapitres. Le lecteur se rend compte que les auteurs intègrent d’autres hommages, par exemple les bons mots (Knapp faisant observer que : Alors comme ça ce trou a un duc…), ou une affiche du film Ni vu ni connu (1958) d’Yves Robert (1920-2002). Petite entorse aux références françaises, un homme à la scène de la populace criant vengeance dans le film Frankenstein (1931), de James Whale (1889-1957). En fonction de sa culture dans ce domaine, le lecteur peut relever d’autres références au cinéma de ces années-là, par exemple le nom de l’auteur du scénario du film fictif Tout est bon à prendre : Pierre Bost (1901- 1975), scénariste entre autres de Le Diable au corps (1947), La Traversée de Paris (1956), La Jument verte (1959). Ou à d’autres éléments culturels (il finit par associer le prénom de la dame stricte, Simone, au nom de famille de son époux, prononcé un peu après, Garnier). Il peut aussi considérer ce récit seulement comme une comédie romantique dans la France de la fin des années 1950, ce qui lui enlève un peu de saveur. L’intrigue repose sur l’arrivée de ce jeune homme appartenant au milieu du cinéma et expliquant qu’il vient en repérage dans le village pour un projet de film dans lequel devraient tourner Brigitte Bardot et Jean Gabin. Forcément, ça éveille l’intérêt de la plupart des notables, des commerçants et des habitants. Dans le déroulé du récit, le jeune homme rencontre une douzaine d’habitants, tous emblématiques comme le maire, le curé, le patron du café, le responsable du cinéma et sa fille magnifique, le duc, l’aubergiste et sa fille, le boulanger, et quelques personnes très alléchées par la perspective d’avoir un petit rôle dans le film à venir. Chaque chapitre porte le nom d’un endroit différent et met en scène Conrad Knapp dans ses relations avec les habitants : Au café, Au cinéma, À la mairie, Au village, Au château, au téléphone, Au stade, Au bal, Au comité, À l’église, et enfin deux titres plus révélateurs de l’intrigue. Le lecteur s’attache donc aux pas et aux démarches du sympathique jeune homme, bien fait de sa personne et bien mis. La politesse verbale est de rigueur, avec des phrases simples, dépourvues de toute vulgarité. Même les remarques sur les qualités du postérieure de l’actrice restent très respectueuses, simplement admiratives de son anatomie, sans que ledit cliché ne soit donné à voir au lecteur (ce n’est pas ce genre de bande dessinée). Les dessins relèvent d’un registre descriptif et réaliste. L’artiste sait croquer les visages, et reproduire les ressemblances avec de acteurs célèbres de cette époque. Il donne un air sympathique à chaque personnage, des expressions de visage parfois un peu appuyées, sans aller jusqu’à la caricature, relevant plus d’un registre naturaliste. Il effectue une reconstitution historique impeccable de la France de ces années-là, depuis le célèbre modèle de voiture de la 4CV, jusqu’aux tenues vestimentaires. Chaque page se lit avec facilité, dégageant une sensation agréable de bienveillance entre les différentes personnes, même quand elles professent des idées opposées sur un sujet, par exemple sur le cinéma. D’une certaine manière, le lecteur se laisse porter par la gentillesse de la narration visuelle, sans y prêter forcément beaucoup d’attention. De temps à autre, il sent son regard ralentir pour prendre le temps de profiter d’un décor, ou d’une mise en scène. Julie resplendissante dans sa robe, le café des Sports plus vrai que nature avec son juke-box, sa table de billard et son zinc, les habitants marchant à la suite du maire dans la rue principale de Trougnac pour se rendre au bâtiment abritant le cinéma, les motifs du papier peint au mur de la salle de réunion de la mairie, le modèle du projecteur dans la salle technique du cinéma, le superbe château et sa décoration intérieure, le match de foot opposant Trougnac à Poil, la décoration apparaissant comme vieillotte de la chambre d’hôtel, la foule vengeresse se dirigeant vers le château de monsieur le duc, etc. Tout apparaît naturel, plausible et évident. Cette narration fluide et sympathique finit par être victime de ses propres qualités : le lecteur sent bien que l’intrigue restera inoffensive, que les comportements intéressés des habitants sont montrés comme des réactions plutôt naturelles aux opportunités que le tournage d’un film dans leur ville fait miroiter, et même à la possibilité de voir en vrai Jean Gabin, et Brigitte Bardot. Le scénariste glisse quelques indices discrets (et faciles à repérer) pour attirer l’attention du lecteur sur un questionnement légitime. Et voilà. Pas tout à fait, le récit va plus loin qu’un simple hommage élégant et fidèle à l’esprit des films de cette époque. Quelques rares voix s’élèvent pour s’opposer au tournage du film à Trougnac. Ce qui conduit Monsieur le Duc à exprimer son avis sur le cinéma, en tant que forme d’expression artistique. Il s’exprime ainsi : Mais, le cinéma ! ça, c’est stimulant ! Oui, il est universel ! Parce qu’il permet à chacun, peu importe sa condition, de s’identifier à ses héros, et de rêver d’être quelqu’un d’autre. Le cinéma possède cette intelligence de pouvoir refléter la conscience des hommes, puis de la dépasser pour s’approcher du mythe, d’arrêter le cours du temps, de le remonter, voire de le deviner, et de procurer au plus vieux des spectateurs, la douce sensation d’être redevenu un enfant, de sonder la cruauté de la création, d’indigner, d’interroger, de s’évader, de faire rire, rêver, pleurer, réfléchir. Le lecteur est alors amené à reconsidérer cette histoire en intégrant cette façon de voir les choses, ce credo. Un hommage enamouré au cinéma français des années 1950. Les auteurs réalisent un récit dont leur admiration pour ce cinéma imprègne chaque page, avec une réelle reconnaissance, une réelle compréhension de ses spécificités. Le lecteur se retrouve transporté comme par enchantement dans une petite ville de province, aux côtés de Conrad Knapp effectuant un repérage pour le prochain film de Bardot & Gabin. Il se trouve rasséréné par l’accueil bienveillant et généreux des habitants, par les étoiles dans leurs yeux à l’idée que le cinéma vienne à leur commune. Il s’immerge dans cette évocation intelligente, qui en restitue l’esprit. Une autre époque, plus insouciante.

07/04/2025 (modifier)
Couverture de la série Quand souffle le vent (Briggs)
Quand souffle le vent (Briggs)

Cela faisait longtemps que je voulais lire cet album. La récente réédition des éditions Tanibis m’a permis d’enfin le découvrir (si la plupart du temps je salue les choix de Tanibis, je trouve que l’ancienne couverture était plus fidèle au contenu que celle choisie ici). Eh bien, malgré quelques longueurs, et un texte parfois trop abondant (mais aussi des vignettes un peu petites), c’est une lecture plaisante. Le dessin est simple et tout mignon, la colorisation est volontairement vieillotte. Pas désagréable. D’autant plus que ça participe de l’ambiance créée par Briggs. Si le début est un peu poussif, ça devient rapidement amusant. Pour les dialogues hors-sol du couple bien sûr. Mais aussi pour le délire survivaliste du pauvre de Monsieur. Au travers de cette histoire loufoque, Briggs s’en prend à l’atmosphère d’hystérie qui a pu, à plusieurs reprises, faire perdre toute raison à pas mal de monde durant la guerre froide. J’ai préféré la première partie du récit, où l’humour domine. Aux délires de monsieur, aux échanges entre monsieur et madame, s’ajoute un vocabulaire mal maîtrisé, qui accentue le ridicule de l’ensemble. La suite escamoté l’humour au profit d’une noirceur omniprésente. J’ai moins aimé cette partie. Note réelle 3,5/5.

06/04/2025 (modifier)
Couverture de la série Mon ami Pierrot
Mon ami Pierrot

Décidément Jim Bishop propose des séries originales qui invitent à une belle réflexion pour poursuivre la lecture. J'ai toutefois été un peu moins séduit que par ses Lettres perdues qui résonnaient bien plus avec mon propre vécu. Je ne connais pas Le Château ambulant ni "le Château de Hurle" dont se serait inspiré Bishop. Pour autant j'ai cru y lire d'autres pistes qui m'ont beaucoup intéressé. Certain-es aviseur-es y lisent classiquement une histoire d'amour multiforme. Mais où se trouve cet amour puisque les relations Cléa/Pierrot ou Cléa/Berthier sont bâties sur des mensonges. De même où est la liberté de Pierrot ou de Cléa réduits à la surveillance d'un être hybride, superposé pourrait dire Schrödinger. Si l'amour est vérité alors seul l'amour de la fée pour Berthier éclaire le récit. Par contre j'ai aimé le côté Faustien du récit même si Bishop fait l'impasse sur les origines du Pacte. Comme dans l'œuvre de Goethe, c'est la confrontation entre la pensée( Pierrot) et l'action (Berthier) qui domine. Le personnage de Cléa qui navigue de l'un à l'autre est ainsi très ambigu jusque dans un final qui ne nous dit pas si elle vole de ses propres ailes ou assujettie à un autre pacte que le pacte social souscrit avec Berthier. Le personnage de Schrödinger n'est pas superflu puisqu'il renvoie à la célèbre expérience de pensée avec son chat mort et vivant (voir Quantix). Je trouve là un scénario d'une grande intelligence qui propose au lecteur un voyage dans une superposition d'états parfois inconciliables. Le graphisme est très plaisant. Bishop emprunte à différents styles manga et franco-belge pour fournir un trait original et très expressif. Ses couleurs pastels et lumineuses créent un fort décalage entre cette idée de rêve de conte de fée avec un contenu d'une réalité agissante bien plus angoissante. Une très belle lecture qui a ravi ma pensée plus que mes émotions.

06/04/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5
Couverture de la série Les Météores
Les Météores

Malgré ce que pourrait laisser penser le résumé, « Les Météores » n’a rien du récit catastrophe, et c’est même tout l’inverse. Ici, on serait plutôt dans le registre intimiste, avec une galerie de personnages dont les vies ressemblent tellement aux nôtres… La météorite qui menace la Terre n’est là qu’en toile de fond, comme une métaphore de leurs trajectoires aussi brèves qu’imprévisibles… Dans cette glaciale atmosphère ouatée à la « Fargo » où la neige est omniprésente, évoluent des protagonistes aux prises avec la dure réalité du quotidien. Il y a d’abord Floyd, employé comme magasinier dans l’Aeki du coin (on aura facilement reconnu l’allusion à la multinationale suédoise de l’ameublement…). Ce doux géant atteint d’un trouble cérébral qui altère sa mémoire va croiser à un arrêt de bus la route de Hollie, une infirmière itinérante qui visite des particuliers âgés et invalides. Deux personnages qui représentent le point de départ de cette histoire où, à vrai dire, il ne se passe pas grand-chose — on n’aura même pas droit au crash de la météorite, et ce n’est guère spoiler que de le dire… Mais s’il ne se passe pas grand-chose, c’est en apparence uniquement, car l’histoire expose une diversité de portraits bien dessinés psychologiquement, des personnages qui nous semblent si familiers, confrontés à la solitude ou à l’incommunicabilité, avec des préoccupations et des réflexions qui jouent comme révélateurs de leur psyché. Au fil des pages se dessinent leurs cicatrices ou leurs blessures qui ne sont jamais vraiment refermées, peut-être si profondes qu’ils ont opté pour le déni, comme ce patient raciste, arc-bouté dans une posture de provocation vis-à-vis de Hollie, qui visiblement n’a pas la bonne couleur de peau... Rien de spectaculaire ici sur le plan de l’action, non, mais ces personnages sont si réalistes qu’ils nous touchent et nous bousculent, comme si Deveney avait voulu nous tendre une sorte de miroir, évitant toute caricature, pour mieux faire ressortir le monde dans lequel nous vivons, un monde impitoyable où l’empathie est une denrée rare, où les rapports humains, quand ils sont caractérisés par la bienveillance, s’avèrent la seule richesse de nos existences éphémères, a fortiori lorsqu’on se retrouve seul face à notre mort inéluctable. En filigrane, « Les Météores » est aussi une dénonciation d’un capitalisme insatiable, représenté par la chaîne de magasins Aeki. Celle-ci, sous couvert d’une gestion RH en mode « team building », qui n’est rien d’autre qu’une mise à jour condescendante du paternalisme d’autrefois, ne fait que calquer sa politique corporate sur de jolis graphiques excel visant à une croissance sans fin, en faisant passer au second plan le bien-être et la sécurité de ses salariés. Très en phase avec le propos, le trait délicat et élégant de Redolfi s’accompagne d’un cadrage qui souligne avec subtilité la posture des corps et l’expressivité des visages, faisant émerger sans pathos inutile l’émotion chez le lecteur. Les couleurs sont sobres, et si elles n’ont rien de chatoyant, collent parfaitement à l’ambiance hivernale et mélancolique du récit. Judicieusement récompensé par le prix spécial du jury à Angoulême, « Les Météores » est un récit choral de haute qualité, d’une grande profondeur, où chaque personnage n’est jamais là par hasard, où chacun a son importance. Et pour paraphraser Maggie, cette vieille dame au seuil de la mort, c’est un livre qui ne se contente pas « de vous raconter une histoire avec un début et une fin ». C’est un livre qui s’efforce de ressembler à la vie, où « il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires », où chaque existence, si insignifiante soit-elle en apparence, est riche de sens. En ce sens, la choralité est peut-être la forme de narration la plus moderne, car aujourd’hui — on devrait commencer à s’en rendre compte —, les héros n’existent pas et les sauveurs non plus, pas davantage que le Père Noël. La solution est en nous, dans l’effort que nous fournirons pour nous mettre dans la peau de l’autre et pour faire s’épanouir notre humanité, parce qu’assurément, la réponse à nos maux ne pourra être que collective. Et sans ça, on est foutus. A moins, bien sûr, que le ciel ait décidé de nous tomber sur la tête avant…

05/04/2025 (modifier)