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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Krull
Krull

Quel horrible individu, ennuyeux, refoulé et un peu répugnant… - Ce tome est une anthologie regroupant cinq récits indépendants autour du thème des légendes et des contes. Son édition originale française date de 2009. Il a été réalisé par Sergio Toppi (1932-2012) pour le scénario et les dessins. Ce tome comprend quarante pages de bande dessinée, chaque histoire comprenant huit pages. Krull, publié pour la première fois 1984. Le village est sombre et silencieux, les adultes sont plongés dans un sommeil pesant. Dans la chambre des enfants, la lumière tarde à s’éteindre car la peur rôde à la lueur tremblante des bougies. La nuit est profonde et c’est de nuit que Krull arrive… Rien ne vient rompre cet épais silence. Les ruelles sont désertes. Dans le village, seuls les enfants vaillent… et voici l’ogre ! Krull avec son sac et son coutelas, l’ogre qui vient enlever pour les manger… - Champignons, publié pour la première fois en 1983. Un petit gnome assis sur un champignon se plaint de sa condition : il n’en peut plus d’être assis du matin au soir sur des champignons, quel sens cela a-t-il de vivre sa vie de façon aussi grotesque ? Il a été assis sur toutes sortes de champignons. Rien que du bout des fesses, il arrive à reconnaître les chanterelles, les amanites, les pleurotes et les lépiotes. Il s’est enquiquiné sur des russules, des cèpes… Champignons, champignons jusqu’à la nausée… Le crapaud l’écoute et lui répond gentiment qu’il lui semble que c’est exactement le boulot du gnome. À quoi servent les gnomes dans les forêts si ce n’est à rester assis sur leurs petits champignons ? Son interlocuteur estime que le crapaud a beau jeu quand de temps à autre, il se transforme en beau jeune homme et il embarque de jolies princesses au lit. En son for intérieur, le crapaud se dit qu’il s’agit d’un individu ennuyeux, refoulé et un peu répugnant. Le roi et le corbeau, publié pour la première fois en 1997. Dans une plaine ondulée, marquée par des rochers, se tient une statue de roi au milieu de nulle part. Lentes s‘écoulent les années, et, comme le lichen, elles recouvrent le grand roi de pierre, héros de batailles oubliées. Les pluies ont creusé de profondes rides de mélancolie sur son visage. Plus que le souvenir de ceux qui l’ont aimé et craint, ce qui le tourmente dans la succession silencieuse des saisons, c’est la nostalgie des territoires qu’il a vaincus et conquis. Il voit voler un corbeau vers lui et il lui demande de venir alléger sa peine. - Hortruge, publié pour la première fois en 1987. De grands yeux profonds, un visage d’albâtre, une splendide chevelure… Cependant jamais un homme n’est venu dans sa maison entre les sombres falaises de rochers. En revanche, viennent lui rendre visite, le grand ours brun, le loup gris sortis des forêts profondes par des sentiers secrets. Hortruge les caresse, ses doigts courent dans la fourrure, légers comme le vent du matin avant le lever du soleil. Mais ni l’ours brun, ni le loup gris ne repasseront par la porte comme ils étaient venus… - Puppenherstellerstr. 89, publié pour la première fois en 1982. Dans son atelier, un marionnettiste s’adresse à sa dernière création, une marionnette de petite fille, en lui indiquant qu’elle n’a qu’un chose à faire : obéir, toujours lui obéir et rien d’autre ! Ce tome fait partie de la vingtaine que l’éditeur Mosquito a consacré à ce bédéiste à la très forte personnalité. Le texte de la quatrième de couverture souhaite la bienvenue dans le monde des contes gothiques de Toppi. […] Le maître milanais distille avec humour sa noire vision de l’humanité, chaque fois l’ironie est grinçante, la pointe finale du récit surprenante et acérée. Le lecteur comprend qu’il va découvrir cinq récits à la structure très cadrée : une histoire de huit pages, un élément fantastique ou un personnage de conte, dans une version avec le point de vue de l’auteur. Comme d’habitude avec ces recueils, le lecteur peut s’interroger sur la nature de ce qu’il lit, entre bande dessinée et texte illustré. D’un côté, il y a de nombreuses pages qui s’assimilent à une illustration en pleine page, ou à une composition agrégeant deux ou trois dessins en une seule image, neuf planches sur quarante, soit près du quart. De l’autre côté, l’auteur fait usage de phylactères, souvent pour un texte d’exposition, de cases, souvent des moments juxtaposés, sans mouvement, ne participant pas d’un même mouvement de caméra, Enfin les dessins sont finement ouvragés, texturés jusqu’à l’obsession, certains personnages donnent l’impression de poser, des éléments peuvent être déformés pour revêtir une qualité expressionniste, et chaque récit comprend une composante fantastique évoquant un conte. Du fait de la pagination de huit pages, chaque récit repose sur une idée principale, avec un monstre ou une créature issue des contes, et une chute qui prend la conclusion habituelle à rebours. Premier récit : un ogre qui enlève des enfants pour les manger. Il les ramène dans sa maison dans les bois pour les confier à son épouse une femme magnifique, qui les cuisine. Pas de doute, il s’agit bien d’un conte, car il est peu plausible que l’ogre ait pu se construire une maison en pierres d’une telle dimension, sans que les villageois ne parviennent à la localiser. Ou qu’il puisse enlever des enfants très régulièrement pour les manger, et qu’il en trouve encore à proximité de sa demeure après toutes ces années. Le lecteur peut relever ces formes de licences littéraires dans les autres contes : l’existence même d’un kobold (créature légendaire du folklore germanique) et un crapaud qui parle (et paraît-il se transforme occasionnellement en beau prince), une statue de pierre qui parle avec un corbeau, une femme qui vit dans une demeure isolée sans moyen de subsistance, ou encore une marionnette douée de vie. Le lecteur se rend vite compte que l’auteur sait ce qu’il fait, c’est-à-dire qu’il utilise sciemment le genre du conte pour évoquer des thèmes adultes, soit par sous-entendu, soit de manière explicite. Cet horrible ogre monstrueux ne sait pas dire non à son épouse, et est resté très attaché à sa mère. Le gnome rêve d’être quelqu’un d’autre, avec des envies qui donnent à réfléchir : un maréchal fastueux, cynique et crapuleux, un archiduc Habsbourg qui s’adonnerait aux plus ténébreuses perversions, un chef de police secrète qui s’occuperait de couper en rondelles les opposants au régime. Le gnome évoque nominativement Guenrikh Grigorievitch Iagoda (1891-1938) acteur majeur dans la mise en place des goulags, et Félix Dzerjinski (1877-1926), fondateur de la Tchéka (police politique). Le crapaud pense en lui-même que : Ça ferait le bonheur du plus tordu des disciples de Freud que de connaître les désirs des gnomes de livres pour enfants. Il devient ainsi patent que l’auteur utilise sciemment la dimension psychanalytique des contes pour enfants, en intégrant des thèmes comme l’homme adulte encore sous l’influence de sa mère qui le choie toujours comme un enfant, l’envie de devenir quelqu’un d’autre grâce à un philtre magique, la nostalgie des heures de gloire passées pour un vieil homme, la puissance et l’aveuglement de la passion amoureuse, la prise d’autonomie d’un enfant qui se conduit comme il a vu ses parents se conduire. Toutefois s’il connaît déjà cet artiste, le lecteur est plutôt venu pour sa narration visuelle si personnelle, et plus précisément pour ses dessins. Il est servi dès la couverture avec cette magnifique teinte verte, rehaussé par la touche violette, les doigts impossiblement longs du crapaud et la mine peu amène du kobold. Puis il découvre une illustration s’étalant sur deux pages, une chaumière dans la nuit, un voyageur qui s’en approche, une très belle utilisation de taches d’encre pour donner l’apparence de la nuit au paysage. Le récit Krull commence avec une illustration en pleine page, une vue de bâtiments du village avec un cadrage déstabilisant : le dernier étage et le toit de la maison en premier plan, et le toit de l’église rehaussé de deux bulbes, une architecture mixte étrange. L’artiste mélange ainsi plusieurs influences, ici avec des touches slaves marquées, et un sens du regard (la maison avec son porche et ses deux lucarnes qui font comme un visage dans la deuxième planche). Par comparaison, la maison de l’ogre et de son épouse apparaît plus grossière, et celle de sa mère plus ancienne, avec de nombreuses poutres extérieures non équarries. Le chalet en bois de Hortruge a bénéficié d’une construction rigoureuse et d’une finition très propre. Les rues de la ville où réside le marionnettiste présentent de solides constructions en pierres de deux ou trois étages et des maisons à un étage en bois ayant dû être consolidées avec des pièces rapportées. Comme il convient à des contes, certains personnages sortent de l’ordinaire : l’ogre avec sa dentition acérée, son grand couteau bien sûr, et ses chausses pointues, Dzybilyactun, halac Huinic, grand chef des Mayas Totzil, à la parure tellement chargée qu’il semble être à moitié pétrifié, la magnifique Hortruge avec sa mèche de cheveu blanc dans sa chevelure noire, le vieux marionnettiste avec son costume trois pièces, sa mèche rebelle et ses yeux enfoncés. Sans oublier cette mise en page incroyable : une narration graphique qui intègre de véritables illustrations comme gravées avec une minutie inimaginable, et des séquences plus classiques comme le vol du corbeau au-dessus de ce que fut le royaume du héros de batailles oubliées. Le lecteur éprouve la sensation de pouvoir toucher chaque élément, de sentir leur texture. Il constate que régulièrement une case ou un élément le prend par surprise : un hibou en premier plan dans la dernière case de la page 9 avec l’ogre en arrière-plan, un oiseau perché sur un pieu en bois dans une case de la hauteur de la page, un dessin en pleine page consacré aux arabesques d’un champignon, des parures mayas, un abreuvoir en train de se remplir d’une eau s’écoulant d’un tronc d’arbre évidé, une rombière dans une robe noire bouffante du plus bel effet, etc. Chaque page est un délice pour les yeux, un véritable enchantement. C’est d’ailleurs ce qui donne une ampleur peu commune à chacun de ces cinq contes. Cinq contes avec des figures assez classiques, d’une pagination assez brève, avec une chute plus ou moins originale. Oui, mais c’est raconté par Sergio Toppi, ce qui change tout. La narration visuelle plonge le lecteur dans des endroits donnant une sensation tactile par la richesse de leurs textures, elle montre des endroits plausibles tout en amalgamant des éléments venus de culture différentes. Les personnages participent à la fois du registre du conte et du registre romanesque. L’amalgame entre texte illustré et bande dessinée est parfaitement maîtrisé, l’art de conteur qui n’appartient qu’à ce créateur. Le lecteur n’est pas près d’oublier chacun de ces endroits, et les thèmes adultes mis en scène.

19/01/2025 (modifier)
Couverture de la série De Cape et de Crocs
De Cape et de Crocs

Bon, voilà, c'est mon centième avis. Et, sans grande originalité, il portera sur "De Cape et de Crocs". Bah oui, que voulez-vous ? Comme dit dans mon avis sur Edmond, c'est grâce à cette série (et grâce à Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand) que j'ai enfin compris ce que cherchais à accomplir le langage poétique. En tout cas j'ai compris l'une des manières de comprendre la poésie : la poésie comme un langage esthétique ancré dans le réel et le vivant, et non comme le cachet ampoulé et pédant que je pensais qu'elle était. Parce que de Cape et de Croc est une série poétique dans ce sens là. On cherche le beau mais pas comme une fin en soi. Ou alors si, justement, pour le simple plaisir de jouer avec les mots, de prendre plaisir à les dire, pour trouver le beau au delà de la simple image du beau. La forme est belle pour montrer que le fond l'est tout autant. Alors ça rime, ça rythme et ça compte, mais surtout pour appuyer des dialogues vifs, percutants, cinglants parfois même. Les personnages sont pour beaucoup inspirés d'archétypes théâtraux, provenant de la Comedia Del Arte comme du répertoire néo-classique français (je pense à des archétypes très Molièriens comme celui de Cénile Spilorcio, clairement inspiré d'Harpagon). Mais l'on retrouve aussi des références aux œuvres de La Fontaine, au Roman de Renart, à un poème de Baudelaire même ! Il y a même du cinéma, parfois ! Bref, les références et inspirations fusent tout du long, tout ça, encore une fois, dans un but d'esthétisme mais surtout de connivence. On ressent tout au long de l'histoire le plaisir qu'Ayroles a eu à l'écrire. Nos protagonistes, Don Lope et Armand, sont bons. Le premier est un hidalgo sanguin, brave et orgueilleux, le second un français poète et romantique. A eux-deux, ils forment un bon duo, jonglant sans transition entre le comique et l'épique, par leurs personnalités opposées entrant en conflit ou bien s'accordant en un éclair pour asséner à grand coup d'épée et de répliques cinglantes de cuisantes défaites à leurs adversaires. Ils sont également accompagnés d'Eusèbe, gentil et doux lapin, personnage principal des deux derniers albums (en réalité une préquel). Il y a également plein d'autres personnages importants, Kader, Hermine et Séléné pour ne citer que les plus célèbres de leurs adjuvant-e-s. Voilà, ça se bat avec panache, à l'épée comme à la langue, ça part à l'aventure jusqu'au bout du monde (et même hors du monde s'il le faut), ça fait des bons mots pour le plaisir même de les faire, ça sait être drôle comme ça sait être triste, en un mot comme en cent : j'adore. Certes, l'œuvre n'est pas sans défaut. Déjà, il y a les deux derniers albums centrés sur Eusèbe évoqués plus tôt. Bien qu'ils restent très bons, leurs qualités est moindre et contraste tellement avec les dix albums précédents qu'ils en pâlissent malgré eux. Il y a aussi certaines longueurs qui sont souvent reprochées à l'arc des sélénites, mais je dois bien avoué qu'ici je parlerais vraiment d'une affaire de goût. Je comprend d'où viennent les reproches, je constate bien que le rythme devient plus lent à ce moment là, sans doute trop lent pour certain-e-s, mais moi il ne m'a pas dérangé. Pire : j'aime bien cet arc. Alors voilà, si même face aux défauts j'en viens à me dire qu'ils ne me gênent guère, je n'aurais aucun scrupule à donner la note maximale à cette série. Certes, j'ai dit que les deux derniers albums étaient moindres (ils vaudraient un solide 4 étoiles à mes yeux) et selon mes critères de notation je devrait ajuster ma note en conséquent. Mais s'il y a bien une série qui doit être mon exception, un avis où j'ai envie d'envoyer voler l'impartialité sans une once de remords, c'est bien "De Cape et de Crocs".

18/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série O.M.A.C.
O.M.A.C.

Anticipation pertinente & festin graphique - Ce recueil regroupe les huit épisodes de la série (arrêtée brutalement faute de ventes suffisantes), parus en 1974/1975. Jack Kirby réalise tous les scénarios et les dessins. L'encrage est assuré par Mike Royer pour les épisodes 1 et 8 ; les épisodes 2 à 7 sont encrés par Bruce Berry. Dans un futur proche, une organisation mondiale (Global Peace Agency, en abrégé GPA) a établi la paix à l'échelle de la planète. Les armées sont proscrites sur Terre. Les agents de a GPA n'utilisent que des armes défensives. Pour toutes les opérations de police requérant l'usage de la force ou d'armes, la GPA fait intervenir OMAC (One Man Army Corps). Il s'agit d'un être surhumain qui est assisté par une intelligence artificielle logée dans un satellite en orbite autour de la Terre et dénommé Brother Eye. Le premier épisode est consacré à l'origine d'OMAC, comment Buddy Blank, un petit employé de bureau, est devenu ce soldat exceptionnel. Par la suite OMAC est dépêché sur des missions impliquant une résurgence du crime organisé, un dictateur ayant organisé une armée illégale, un trafic d'organes à grande échelle, et un vol à grande échelle des ressources en eau de la planète. Il s'agit donc d'une série de science-fiction de Jack Kirby, avec un parfum de superhéros lié au costume d'OMAC et à sa force gigantesque. Toutefois les situations conflictuelles imaginées par Kirby prennent avant tout leur source dans l'anticipation et une projection des risques éthiques générés par les avancées scientifiques. Dès la première page, Jack Kirby le scénariste et Jack Kirby le dessinateur en donnent pour leur argent aux lecteurs. Cette image de femme encadrée par ses deux jambes nues forme une composition aussi troublante que dérangeante et étonnement sensuelle. Le trafic d'organe propose également une forte probabilité de dérive des applications scientifiques et génétiques au profit de la couche de population qui dispose des plus forts revenus. Le scénariste joue le jeu de l'anticipation pour aborder des thématiques qui restent encore d'actualité de nos jours. La série reprend des codes de superhéros : les conflits réglés par la force physique, le héros courageux et désintéressé (presque dépourvu de personnalité après son remodelage en OMAC), les criminels commettant des actes définitivement répréhensibles, etc. Kirby utilise également Brother Eye à la manière d'un deus ex machina, un peu trop voyant. D'un coté il y a cette superbe idée de placer l'intelligence artificielle comme un œil ayant vu sur la terre entière (l'œil de Dieu). De l'autre il s'en sert pour donner plus de pouvoir à OMAC ou pour envoyer un rayon destructeur afin de faire basculer le rapport des forces en présence et de donner la victoire facilement à OMAC. Il y a également quelques passages dans lesquels les principes de base de la science sont accommodés à la sauce comics pour les besoins de l'intrigue. Coté graphique, Jack Kirby est en grande forme. Les scénarios donnent l'impression qu'il peut enfin parler de choses qui lui tiennent à cœur, les dessins possèdent l'énergie légendaire du King, avec des scènes inventives et marquantes. Outre cette première pleine page d'une totale étrangeté, le lecteur retrouve la capacité de Kirby à aller vers l'épure, et même vers l'abstraction. Pour l'épure, il y a cet œil artificiel en orbite qui flotte tel un disque géométrique au milieu d'énergies cosmiques impossibles. Kirby ne représente pas la réalité, il l'interprète, il la transforme en une source de merveilleux. Brother Eye a droit à une double page dans l'épisode quatre qui exprime à la fois la naïveté du concept (des rayons d'énergie multi-usage transmis à OMAC sur terre, une myriade de corps spatiaux impossibles (de simples ronds de couleurs), et à la fois l'essence même de cette présence omnipotente. L'arrière plan cosmique se transforme en un tableau d'art abstrait exprimant l'idée du vide spatiale et des merveilles inconnues qu'il recèle. Et du coup Brother Eye apparaît pour ce qu'il est : un deus ex machina, l'incarnation même du créateur Jack Kirby dans son comics. Cette façon de dessiner les décors comme un élément pictural renforçant l'ambiance, débarrassé de toute obligation de réalisme (une spécialité de Kirby) imprègne les premiers épisodes et se généralise à partir de l'épisode 6 pour des pages magnifiques où la technologie d'anticipation, mais aussi les murs de maçonnerie, les bâtiments, les armes futuristes sont habitées par une vision conceptuelle suggérant qu'une dimension inconnue et ancienne est là sous nos yeux. L'environnement regorge de points de passage vers cet ailleurs. Ce mode de représentation qui accentue les figures géométriques et les ombrages déconnectés des sources de lumière va jusqu'à transfigurer la nature également : une double page hallucinée des fonds sous-marins privé d'eau dans l'épisode 7. Pour le plus grand plaisir du lecteur, Bruce Berry encre de manière respectueuse les crayonnés de Kirby (il y a quelques pages crayonnées sans encrage dans le volume, en plus des épisodes), même s'il manque un peu de sensibilité. Les deux épisodes (1 & 8) encrés par Mike Royer sont parfaits : il parachève les dessins de Kirby en respectant ses traits et en les épurant discrètement. Bien sûr cette manière de transformer les décors en composants artistiques proches de l'abstraction n'est pas spécifique à la série OMAC, il est possible de l'observer dans d'autres séries de Kirby. Mais ce tome en contient un exemple remarquable. Cette approche graphique plus sophistiquée qu'il n'y paraît (peu de dessinateurs de comics maîtrisent cette technique d'abstraction) est encore renforcée par une imagination visuelle exceptionnelle. Jack Kirby (le scénariste) concocte des situations à fort potentiel visuel, magnifiées par Jack Kirby le dessinateur : ces femmes objets à monter soi même, des mannequins à tabasser pour employés de bureau stressés, deux tueurs costumés pour mardi gras, un monstre fantasmagorique dans une réalité virtuelle (double page inoubliable, avec une texture à mi-chemin entre la peau et la pierre), un camion démesuré porte-hélicoptères, une batterie de tank congelés, des cœlacanthes antédiluviens, etc. L'imagination de Kirby ne connaît aucune limite et il marie avec brio une anticipation perspicace avec des archétypes jungiens. Malheureusement OMAC s'est arrêté en cours d'histoire et il aurait fallu un épisode pour boucler la dernière intrigue. Toutefois, ne vous laissez pas arrêter par ce détail de peu d'importance au regard du plaisir exceptionnel de lecture que procure cette œuvre d'anticipation adulte, aux illustrations en prise directe avec une réalité fantastique, ce qui fait facilement oublier quelques facilités naïves du scénario.

18/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Dirty Rose
Dirty Rose

Sache qu’il y a des choses qui se règlent en dehors des dossiers. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2024. Il a été réalisé par Marzena Sowa pour le scénario, et par Benoît Blary pour les dessins et la mise en couleurs. Il comprend quatre-vingt-six pages de bande dessinée. Dans une zone désertique du Wyoming, une maison très isolée au bout du chemin, avec quelques bêtes en pâturage. Tom Brodowski regarde par la fenêtre, réchauffé par le soleil, avec un mug dans la main. Dans cette petite maison sans étage, un matelas au sol, des cartons non déballés, une valise encore fermée. Le téléphone diffuse une chanson, alors que le jeune homme prend sa douche. Puis la sonnerie retentit et Tom se précipite pour décrocher, et il éprouve un moment de déception. C’est Edith, la cheffe du commissariat qui l’appelle. Elle lui demande poliment comment s’est passée cette première nuit chez lui et elle lui explique sa première mission. Ils vont l’envoyer direct sur le terrain, il ne faut pas qu’il s’attende à débarquer dans un western. Il s’agit d’une femme un peu spéciale, elle habite pas trop loin de chez lui. Il y a une plainte au commissariat : une association qui défend les animaux, des tarés mais dans un autre genre. Apparemment, elle garde des chèvres dans sa caravane. Edith continue : il faudrait que Tom lui dise qu’il y a une plainte, mais qu’on ne veut pas l’accabler avec ça, mais que ce serait bien si elle relâchait les pauvres bêtes dans le pâturage. Il faut qu’il dise que c’est illégal et barbare, et tout le tralala, on ne fait pas ça aux animaux. Pour finir, Edith lui envoie les coordonnées GPS. Dans le commissariat, Reynold, le mari d’Edith, également policier, rassure un père et son fils, sur le fait qu’avec les photos qu’ils ont collées partout, il est sûr qu’on retrouvera leur chien. William, un autre policier, ironise sur la manière dont Edith a présenté la mission : une femme un peu spéciale, une tarée de première plutôt. Quand il est arrivé, on ne l’a pas envoyé chez elle au premier feu, mais lui est d’ici, aussi c’est différent. Il la connait depuis gamin, elle avait un corbeau apprivoisé sur l’épaule, il avait peur de lui aussi. Il se rappelle qu’un jour elle est venue chercher Jean à l’école, elle était seins nus, elle venait chercher sa fille à poil, même si elle n’est pas sortie de sa voiture. Edith reprend la parole : le jeune arrive de Chicago, s’il ne se débrouille pas ici, il est fait pour nulle part. Bob fait observer qu’ici, ils sont au far-west, pas le même monde, pas les mêmes règles. Edith conclut qu’il faut le laisser faire, ce n’est qu’une femme après tout, cette dernière phrase lui attirant des regards chargés de sous-entendus. Tom Brodowski se présente devant la clôture et il hèle pour attirer l’attention. À l’intérieur de sa caravane, Rose Shaw fume tranquillement sa cigarette et son chien Boo aboie sans discontinuer. Elle finit par le laisser sortir, toujours sans se montrer. Le chien se précipite à la clôture, empli de curiosité, sans plus aboyer. Tom finit par renoncer. Dans une maison distante de trois cents mètres, un couple âgé observe, mécontent qu’Edith ait envoyé le nouveau. Une vague promesse contenue dans le titre, d’une femme jugée peu recommandable par les autres, vivant visiblement avec un chien dans une caravane ou un mobil-home, laissant les déchets s’accumuler autour. Une histoire qui commence avec un jeune policier, récemment arrivé (arrivé de la veille même) dans un vrai patelin au fin fond du Wyoming, où tout le monde se connaît, et connaît Rose Shaw. Une simple enquête de voisinage ? Un secret honteux, ou peut-être criminel ? Une histoire d’amour improbable entre un jeune homme et une femme âgée ? Des rancœurs accumulées pendant des dizaines d’années ne demandant qu’à alimenter des actes de violence ? Le lecteur ne sait pas trop sur quel pied danser, qu’attendre du récit, ce qui le rend plus attentif à ce qu’il voit. Tout commence par une belle aquarelle mettant en valeur la profondeur de champ de cette plaine s’étendant jusqu’au pied de lointaines montagnes, sous un ciel d’un beau bleu rehaussé par quelques nuages. L’artiste a-t-il séjourné dans le Wyoming ? Quoi qu’il en soit, il donne à voir ce coin d’Amérique rurale. La maison de Tom apparaît toute simple et peu onéreuse, en préfabriquée, de plain-pied, avec une rangée de poteaux électriques pour le long de l’allée qui y mène, pour rejoindre la route. De près, la parcelle de Rose Shaw semble jonchée de carcasses de voitures, de mobilier abandonné, avec assez d’espace entre chaque pour que ce ne soit pas encore un dépotoir ou une décharge. Un peu plus loin, la parcelle des époux Connie & Boyle apparaît comme un modèle de propreté et de terrain entretenu avec soin. Vues d’un peu plus loin encore, les deux parcelles ne diffèrent quasiment plus. Plus tard, lorsque Tom revient chez lui en marchant le long de la route, l’obscurité semble comme écraser les espaces, à l’exception du ruban de la route qui donne l’impression d’être sans fin. À la lumière du soleil le lendemain au petit matin, le paysage a retrouvé toute son ampleur, son horizon sans fin. Cette sensation de grand espace ouvert se retrouve en page cinquante-sept avec une case de la largeur de la page consacrée à la plaine ondoyante. De manière surprenante, ce même paysage donne l’impression d’avoir repris une dimension un peu plus petite plus en relation avec les deux chevaux qui portent chacun leur cavalier. Enfin la fin du récit emmène le lecteur dans une forêt à proximité d’une mesa de grande hauteur, avec une très belle case de la largeur de la page (en page 78), une vue de dessus, avec des rapaces dans le ciel au premier plan. Si les grands espaces de ce coin du Wyoming sont bien présents, les personnages évoluent également dans d’autres environnements. Le lecteur commence par avoir droit à une vue globale de l’intérieur de la petite maison de Tom. Puis vient la salle principale du commissariat : un espace de travail accueillant trois ou quatre bureaux avec leurs tiroirs, le poste informatique avec sa souris sans fil, les casiers pour les dossiers, la lampe de bureau, le petit matériel de type stylos, bloc-notes et papillons adhésifs, sans oublier les mugs, et bien sûr un gros photocopieur, un réfrigérateur, une machine à café. Par la suite, le lecteur accompagne Tom chez ses voisins, dans le meilleur bar-restaurant du coin, dans un bar plus lointain où se tient un concert de musique Country, à l’intérieur de la caravane de Rose, dans un supermarché impersonnel, dans une pizzeria à emporter, dans un ranch avec sa douche à l’extérieur, et même dans une cellule du commissariat. L’artiste dépeint une petite ville de l’Amérique profonde, dans la banalité de son quotidien, un environnement où il fait bon vivre, pensé pour faciliter la vie de consommateur tout en présentant des endroits accueillant où il fait bon se retrouver et papoter. Le lecteur constate rapidement que la distribution de personnages s’articule autour de Tom Brodowski et Rose Shaw, avec une poignée de seconds rôles : quatre policiers dont le couple d’Edith & Reynold, Connie & Boyle le couple voisin de Rose, Jena la fille de Rose, Boo son chien, Chumani une jeune femme et bien sûr Helen la fiancée de Tom. Les dessins montrent des personnages adultes, avec des gestes d’adulte, des comportements en conséquence, et des physiques normaux et banals, tout en étant individualisés. Tom est un beau jeune homme blond, avec une implantation de cheveux qui lui est propre, une forme de visage un peu allongée. Edith, Reynold et Bob portent les marques de l’âge. Le lecteur peut noter que William est plus jeune, que les autres, avec une coiffure plus soignée. Il apprécie l’expressivité plus marquée de Jean, que ce soit quand elle fait des mimiques parce qu’elle trouve que Tom a déjà des goûts de vieux, ou sa colère face à sa mère. Il apparaît que Rose Shaw s’est vue affublée de cet adjectif péjoratif du fait de son style de vie, qu’une autre femme résume ainsi : Elle n’avait peur de rien ni de personne, elle faisait tout comme elle le sentait, elle aimait l’alcool et les hommes et la fête et les armes, la totale. Il apparaît vite que Rose Shaw ne se conforme pas aux valeurs implicites de la société dans laquelle elle se trouve. Son anticonformisme atteste du fait qu’il est possible de vivre autrement, qu’un individu peut prendre la liberté d’agir différemment. Par voie de conséquence, les règles de vie tacites des uns et des autres se trouvent remises en cause : la fidélité entre époux, l’élimination des objets et des véhicules usagés, l’acceptation des règles de vie en société à commencer par la soumission à l’autorité de la police, le respect de la pudeur, l’acceptation des responsabilités de la parentalité, le respect de l’intimité des autres, etc. Bien évidemment, ce comportement ne peut qu’entrer en conflit avec les valeurs d’un jeune policier, même intelligent. Hé bien non, pas tout à fait. La curiosité de Tom Brodowski s’accompagne d’une empathie, ou d’une absence de préjugé, et aussi d’un sens de la justice. Dans une scène étrange, deux dessins en pleine page, la première avec une case, et le monologue d’un personnage, le lecteur découvre quelqu’un pour qui Rose a représenté bien autre chose, des valeurs différentes et des plaisirs honnêtes. Puis, dans la deuxième page, un événement traumatisant qui permet d’entrevoir ce qui conduit Rose Shaw à arrêter de jouer en respectant des règles dépourvues de sens. La conclusion en deux temps met en scène deux facettes de la liberté, et laisse augurer de l’avenir de Tom Brodowski à moyen ou long terme. Au vu de la couverture, une histoire courue d’avance, d’une femme vivant une vie de marginale dans sa caravane. À la lecture plutôt l’histoire d’un jeune policier qui effectue son travail, sans pour autant accepter les choses comme elles sont, en particulier le consensus général contre Rose Shaw, une femme qui s’est mise à l’écart de la société, qui n’y a plus sa place, qui en paye le prix. Mais aussi Rose et son mauvais caractère. La narration visuelle qui transporte le lecteur dans un petit patelin tranquille du Wyoming, avec de beaux paysages, des endroits accueillants en ville, des habitants normaux et plutôt sympathiques. Des incidents pas si graves que ça, le temps de vivre, une femme complexe dont l’excentricité empêche la normalité des autres, contraints d’accepter l’existence de choix différents, suscitant des interrogations irrépressibles.

16/01/2025 (modifier)
Par Alexandre
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Mission in the apocalypse
Mission in the apocalypse

Super découverte. C'est un manga magnifique autant du point de vue du dessin que de l'histoire. L'ouvrage se distingue par sa qualité de réalisation plus que par son originalité. Il coche toutes les cases de ce que j'aime et attends d'un manga Post apocalypse. Cecidit c'est une narration très lente et avec peu d'action qui ne plairait peut-être pas à tout le monde. C'est un travail sur l'ambiance à travers la découverte d'un univers fait de villes en ruines et de monde détruit. Une recherche de sens qui joue sur les sentiments de gâchis, de nostalgie et de terreur. C'est une mise en évidence de la beauté de notre monde à travers la contemplation des ruines de la transformation que l'homme a infligé à notre planète.

14/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Renoir
Renoir

Elle était un modèle d’exception. Oui, elle posait comme un ange… - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une histoire autour du peintre Auguste Renoir (1841-1919). Son édition originale date de 2016 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par Dodo (Marie-Dominique Nicolli) pour le scénario, et par Ben Radis (Rémi Bernardi) pour les dessins et les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, intitulé Peintre de la joie de vivre, composé de sept parties intitulées : De la porcelaine aux Beaux-Arts, Aux origines de l’impressionnisme, Une si douce période aigre, Une maturité contrariée, Danse à la campagne, Durand-Ruel un soutien indéfectible, La solitude et la mort. Pendant l’hiver 1893, Auguste Renoir et Paul Durand-Ruel chemine dans Paris en devisant. Le peintre explique qu’il s’en souviendra de cet hiver, car avec ce froid ses rhumatismes lui paralysent les mains et l’empêchent de travailler alors qu’il aimerait tant finir au plus vite cette toile que son interlocuteur attend. Son commanditaire le rassure : maintenant que Renoir est enfin reconnu, tout sera plus facile. Son ami le remercie car c’est grâce au marchand d’art qu’il jouit maintenant d’une renommée. Durand-Ruel ajoute que c’est aussi grâce à l’intervention de Stéphane Mallarmé que l’État lui a acheté Les jeunes filles au piano. Ils sont arrivés à leur destination : le restaurant Le chat noir. Ils vont s’installer à une table pour déguster quelques verres. Le marchand d’art estime que chacun devrait pouvoir vivre de son art. Il prend comme exemple le pianiste en train de jouer, obligé d’accompagner des chansonniers, alors qu’il est un compositeur talentueux. Il ajoute qu’au fond il doit être un peu comme Renoir, sans doute trop en avance sur son temps. Avec l’accord de Renoir, Durand-Ruel invite le pianiste à leur table, et il présente ainsi Erik Satie au peintre. Ils parlent peinture et modèle. Satie explique que la femme qu’il vient de rencontrer lui inspire tant de nouvelles choses. Au point qu’il lui ait fait sa demande en mariage au lendemain de la première nuit. Il ajoute que Renoir la connaît car elle a souvent posé pour lui, elle a même été sa muse. Renoir se prête au jeu et devine son identité : Marie-Clémentine Valade, qu’Erik Satie rectifie car elle s’appelle maintenant Suzanne Valadon. Le galeriste ajoute également la terrible Maria comme nom, c’est Toulouse-Lautrec qui s’était entiché d’elle et l’avait surnommée ainsi. Il ajoute que Degas a dit qu’elle avait un bath coup de crayon et qu’elle usait fort habilement des pastels. Il se tourne vers Renoir et lui suggère de se souvenir, c’était il y a dix ans. Le peintre ne se fait pas prier : il ne savait plus où il en était, il lui semblait qu’il était arrivé au bout de l’impressionnisme. Il a passé tout l’hiver 82 à parcourir l’Italie. Il avait même poussé jusqu’à Palerme pour faire ce portrait de Wagner. Un odieux personnage ! Le compositeur lui avait laissé une demi-heure pour le peindre et il avait détesté le résultat ! Il trouvait qu’il ressemblait à un pasteur protestant ! S’il a déjà lu d’autres albums de cette série sur les grands peintres, le lecteur entame cette histoire, curieux de découvrir quelle approche auront choisie les auteurs. La narration se déroule suivant deux lignes temporelles : la rencontre au café Le Chat Noir en 1893, et une autre qui suit partiellement la carrière du grand maître à partir de 1882. Lors d’une rencontre fortuite au temps présent du récit, le galeriste Paul Durand-Ruel (1831-1922) présente Erik Satie (1866-1925) à Auguste Renoir : ils comprennent que le pianiste est tombé amoureux de celle qui fut le modèle, la muse et l’amante du peintre, Suzanne Valadon (1865-1938), aussi appelée Maria, Marie-Clémentine Valadon. Au fil du récit, le lecteur rencontre également la couturière et modèle Aline Charigot (1859-1915). Dans les différentes discussions, sont évoqués d’autres peintres : Claude Monet (1840-1926), Puvis de Chavanne (1824-1898), Berthe Morisot (1841-1895), Gustave Caillebotte (1848-1894), et bien sûr le mouvement impressionniste. Auguste Renoir constitue bien le personnage principal : il est présent dans chaque page, et dans un peu plus de 90% des cases. Il apparaît éminemment sympathique dans la manière dont il est représenté. Les dates permettent d’établir qu’il a quarante-deux ans dans la ligne temporelle qui suit sa carrière. Il porte un costume noir avec une cravate, et un gilet dont la couleur change en fonction des moments. Il arbore un visage calme et détendu, curieux, posé, peu souriant, sans trop de rides. Les auteurs racontent leur histoire avec la connaissance préalable que Renoir est déjà un peintre conscient de sa vocation qu’il assume, avec également en tête la postérité du peintre. Il vit dans le quartier de Montmartre, connaît les peintres de son époque évoluant dans la capitale. Il maîtrise déjà les techniques de peintre, et il a déjà fait des choix quant à ses sujets. Il est plus âgé que les autres. Il rencontre Erik Satie à qui il est lié par une de ses anciennes muses, ainsi que par cette vocation irrépressible de créateur. La ligne temporelle de 1893 se déroule dans le café, attablé du début jusqu’à la fin, le galeriste quittant les deux nouveaux amis en page vingt-deux ; ladite ligne compte dix pages en cumulé. Les auteurs ont fait en sorte que cette situation statique présente de nombreux intérêts visuels. La toute première planche correspond à une vue en extérieur, alors que le peintre et son bienfaiteur arrive à l’établissement : la façade suscite la curiosité du lecteur avec sa sculpture de chat noir auréolé des rayons d’un astre, les deux lanternes de part et d’autre de la porte d’entrée, ainsi que le portier en habit militaire d’un autre siècle, tenant une pique à la main, un accès avec du caractère. Au fil de la conversation, le dessinateur représente régulièrement les arrière-plans ce qui laisse le loisir de voir les solides chaises en bois, ainsi que les tables rondes un peu étroites, tout aussi rustiques. Puis de case en case, il montre les cadres de la décoration murale, quelques tentures, quelques sculptures, les entrecroisements métalliques autour des vitrages, les boiseries et les moulures au plafond, l’affiche du Chat Noir, le manteau de cheminée, etc. Le lecteur prend grand plaisir à s’assoir à table avec les trois messieurs : l’artiste leur donne une mine affable, ils s’écoutent avec politesse et une certaine forme de bienveillance, alliant une posture compassée et un réel intérêt pour l’interlocuteur. Ils apparaissent très à l’aise dans cet exercice social, un parfait équilibre entre une retenue polie et une implication sincère par une écoute active. Ils dégustent lentement leur verre de vin rouge. Le lecteur en profite également pour regarder les autres clients, attablés ou qui vont et viennent. Il est sous le charme de leur singularité, de leur expressivité : un monsieur avec son haut-de-forme et un nez un peu gros s’apprêtant à prendre place, une femme attablée avec un début de double menton, une robe ouvragée, un bibi décoré de fleurs, des gants, avec un verre d’absinthe devant elle, un monsieur dans un chaud manteau avec un revers de fourrure et également une absinthe, un serveur diligent avec son plateau sous le bras, son torchon sur le coude, légèrement voûté, un autre monsieur avec de fines moustaches recourbées s’apprêtant à fumer une cigarette, les passants dans la rue. Les passerelles avec le passé se font tout naturellement, ne serait-ce que par une autre scène dans un café, celui de la Nouvelle Athènes, quand Auguste Renoir plus jeune de dix ans y emmène Suzanne Valadon pour prendre un verre avec Claude Monet. Au-delà de cette occurrence, le lecteur suit avec plaisir le grand peintre admirant le plafond de la Villa Farnesina, puis une séance de peinture en plein air avec Paul Cézanne (1839-1906) aux environs de l’Estaque, un tour dans le quartier de Montmartre pour acheter un repas et voir le voisinage changer alors que le chantier de la basilique du Sacré Cœur avance, un rendez-vous chez la couturière pour trouver une robe adaptée à la toile qu’il réalise, une première séance de pose avec Marie-Clémentine en page vingt-quatre, etc. Les dessins sont toujours aussi agréables à l’œil : des personnages pleins de caractère avec un fond de bonhommie même quand ils se montrent désagréables, et des environnements consistants et détaillés. Le lecteur suit avec plaisir le peintre dans ses hésitations, son travail peu gratifiant, sa recherche du bon modèle, mû par un véritable amour pour son art, qui ne lui laisse pas le loisir de développer une relation suivie avec une femme. En trame de fond se lit le cheminement et la ténacité pour réaliser Danse à la campagne, une des toiles les plus emblématiques de Renoir, comme l’écrit Dimitri Joannidès dans le dossier de fin. Mais quand même… Au cours du récit, le lecteur ressent qu’un autre personnage s’impose, d’abord en filigrane, puis comme un solide second rôle, puis… Ainsi, en 1893, la discussion prend vite comme sujet principal l’une des muses du peintre, dès la troisième planche. Puis il est à nouveau question d’elle en page onze, avec le retour au fil temporel de 1893, puis chez la coutière en 1883, dans l’atelier du peintre, et elle apparaît enfin en page vingt-et-un. Il s’agit alors de mademoiselle Valade. En page vingt-six, le modèle et le peintre ont une relation sexuelle. En page trente-deux, sous l’emprise de l’alcool (absinthe), elle tourne en dérision l’idée de consacrer une série de peintures à un même sujet, ce qui par réaction crée une forte conviction chez Claude Monet avec le résultat que l’on sait. La dernière page de bande dessinée évoque que Suzanne Valadon va peindre sa première toile. Finalement, elle occupe, en creux, une place aussi importante qu’Auguste Renoir, comme si les auteurs avaient voulu lui consacrer un tome de la série, mais n’avaient pu parler d’elle qu’au travers d’un peintre jouissant d’une plus grande postérité. Quelque chose dans les dessins de l’artiste donne une sensation à la fois très agréable à la lecture, à la fois peut-être un peu désinvolte au premier regard, par rapport à la place qu’occupe le peintre dans l’histoire de la peinture. Pour autant, le récit est facile à suivre, un vrai roman sans le côté académique ou encyclopédique de certaines BD consacrées à un personnage historique. Le dispositif de deux fils narratifs entremêlés à dix ans d’écart engendre une prise de recul signifiante. Sans en avoir l’air, les dessins font preuve d’une grande consistance descriptive et d’une sollicitude touchante pour les personnages. Le lecteur comprend bien l’importance que revêt la toile Danse à la campagne (1883) pour Renoir, même si les auteurs n’abordent ni l’aspect technique de sa réalisation, ni les innovations qui en font sa renommée. En creux se dessine le portrait d’une autre peintre, beaucoup plus subversive dans sa vie.

14/01/2025 (modifier)
Par gruizzli
Note: 5/5
Couverture de la série Welcome back, Alice
Welcome back, Alice

J'hésite encore sur ma note au moment où j'écris ces mots, puisque la série finie dans son ensemble est remarquable mais je n'arrive pas à me décider à quel point. Shuzo Oshimi est un auteur que je trouve incroyable. Son Dans l'intimité de Marie était déjà une des plus grosses claque que j'ai pris en manga, tandis que ses autres séries ("Les liens de sang", Les Fleurs du mal, "Happiness") semblent toutes traiter de sujets violents, durs, tristes, mais avec un réel intérêt derrière. Loin du voyeurisme qu'on en attendrait, les séries de Oshimi posent de vraies questions, l'auteur interrogeant beaucoup d'aspects sombres de l'humain, mais aussi ses tabous et ses limites. Et si je suis si enthousiaste (je suis déjà en train de commander toutes les autres séries), c'est parce qu'il pose des questions que j'ai souvent eu aussi. "Welcome back, Alice" en est le parfait exemple. Lorsque l'histoire commence, tout les éléments sont présent pour une comédie romantique de base, ou encore une pure comédie décalée où le garçon se fait draguer par le transsexuel. Mais Shuzo Oshimi traite très sérieusement ses sujets, et nous avons une œuvre bien plus complexe et bien plus dense. Déjà, alors que le sujet semble être la transidentité, il s'avère que c'est bien plus des questionnements de genre qui arrivent. Kei s'habille en femme, mais ne se considère pas comme tel. C'est plus des questions de gender fluide et de queer. Si ces termes vous dépassent, c'est que vous ne vous êtes probablement jamais posés des questions comme celle présentes dans cette BD. Personnellement, ça m'est souvent arrivé. Parce que j'ai un parcours de vie spécifique, qui m'a conduit par exemple à faire croire à mon entourage que j'étais gay parce que c'était plus simple que d'assumer simplement que j'étais un garçon pas dans la norme. Aujourd'hui je viens bien ces questions, mais elles m'ont amenés à questionner notre perception sociétale des hommes et des femmes. Si je ne peux pas m'identifier à ce que la société considère comme un homme, que suis-je ? C'est cette question que la BD pose, d'une bonne façon d'ailleurs. Et les 7 volumes vont explorer trois personnages comme trois façons d'être : Yui qui est une femme et qui s'y conforme, sans trouver le bonheur ; Yôhei est un homme et qui s'y conforme, en souffrant de cette condition ; Kei ne veut plus être ni l'un ni l'autre, sans pour autant arriver à trouver son bonheur. Le manga est une œuvre très personnelle pour l'auteur, qui ne s'en cache pas par des textes en fin de volumes très clairs sur son rapport au corps, à l'identité de genre et à la sexualité. Sexualité très présente dans l'histoire d'ailleurs, et pas forcément d'une façon saine et agréable. Et je trouve que c'est une bonne chose aussi de rappeler qu'avoir une sexualité "normale" peut parfaitement nous faire du mal, et que nos pulsions peuvent être dicté par des conditions sociales. Je suis vraiment surpris par le ton de cette série et son déroulé. Le côté malsain dans le rapport au corps est toujours présent mais ce n'est jamais une volonté de faire dans le voyeurisme et le glauque. Le récit est articulé autour de la question du genre et la façon dont les représentations de L'Homme et La Femme peuvent faire naitre la souffrance chez des gens qui se sentent en décalage avec ces conceptions. Et je trouve extrêmement sain que des BD rappellent qu'une femme n'a pas a exister en tant que "copine de ..." ni à littéralement tenir son mec par le sexe qu'elle l'autorise à avoir avec elle, se posant en pur objet de fantasme uniquement. De même, les hommes n'ont pas à exister comme un sexe ambulant cherchant à se décharger. Il reste de la place pour des femmes qui s'accomplissent en tant que tel, indépendament des hommes, des hommes qui ont le droit d'être sensible, introverti ... Mine de rien, sous couvert d'un manga aux faux airs de comédie romantique glauque, c'est bien une histoire de genre qui questionne nos perceptions de celui-ci. Les personnages sont en souffrance, mais aussi en questionnements sur leur vie, et je trouve ces questions pertinentes. Diablement pertinentes même. Il y a une histoire qui reste optimiste, même si l'auteur précise que sa réalité ne l'est pas autant, et la fin peut sembler idéale mais c'est surtout une manière de faire comprendre la voie que l'auteur choisit. Une voie loin des représentations d'une société sexiste qui fait autant de mal aux hommes qu'aux femmes, une voie pour s'émanciper et vivre heureux loin des impératifs de représentations de genre. Pour finir, je dirais juste que cette BD me fait poser repenser à mon neveu de deux ans, que ma sœur habille volontiers en rose parce qu'il aime ça, qui a les cheveux longs et que beaucoup de gens confondent avec une petite fille. Et je me dis que notre société qui te catégorie à deux ans dans un genre avec des codes et des attentes spécifiques n'est peut-être pas une société si idéale que ça ...

29/02/2024 (MAJ le 11/01/2025) (modifier)
Couverture de la série Une épatante aventure de Jules
Une épatante aventure de Jules

J'entends déjà les gens s'écrier "5 étoiles ?! Mais c'est cinq fois plus que un !". Eh bien oui : 5 étoiles ! Pour moi, cette série mérite amplement un statut de culte. Les récits sont entraînants, les personnages attachants, les dialogues dynamiques et drôles, ... Bref, ça se lit bien. Mais au delà d'être simplement agréable à lire, les récits sont aussi intelligents. Quelle claque je m'étais prise dans ma jeunesse lorsque j'étais tombée sur les problématiques soulevées dans ces histoires, et quelle admiration j'avais pour l'intelligence et la maturité dont faisaient preuve les protagonistes. Cela doit bien être la seule série jeunesse qui me vient en tête qui arrive à rendre accessibles et intéressantes les problématiques de la bioéthique à des enfants. Parmi les diverses problématiques soulevées dans la série (scientifiques ou non), on pourra retrouver l'individualité d'un clone vis-à-vis de la personne de qui proviennent ses gènes, la question de Dieu et de la foi, ce qui fait ou non une famille, l'écologie, notre propre mortalité et surtout (surtout) l'égo scientifique - et même plus généralement humain. Et encore, je suis sûre que je dois en oublier. Chaque album est une aventure à part entière, soulevant ses questions propres, mais on y suit tout de même une évolution des personnages. Nos protagonistes, notamment, murissent beaucoup (tant physiquement que psychologiquement) aux gré de leurs aventures. Tiens, à propos des protagonistes, il serait peut-être temps de les présenter. Tout d'abord, il y a Jules, sans aucun doute LE protagonistes de ces histoires. C'est un enfant qui nous est presque présenté comme lambda dans le premier album. Il est jeune, vif, impétueux, fana de jeux-vidéos et désireux d'aventures. Il gagnera beaucoup en maturité au fur et à mesures des albums, finissant par devenir une figure plus calme et réfléchie (voir même quelques fois un peu en retrait). Il est également grandement défini par sa famille, chaotique au possible, avec sa mère constamment bloquée au foyer, son père assez égocentrique et étroit d'esprit, et son petit frère proprement idiot. C'est principalement par elleux (même si d'autres personnages secondaires aident aussi) que l'on marque la distinction entre les gens idiots et les autres. Attention ! Pas que la série tente nécessairement de faire un discours pédant, les personnages présentés comme intelligents dans cette série ne sont pas nécessairement présentés comme des scientifiques (malgré le fait qu'on parle beaucoup de science) et les idiots sont encore moins présentés comme des gens prédisposés à la bêtise. Non, dans cette série, les gens intelligents sont simplement celleux qui s'ouvrent à l'impossible, les rêveurs ou tout simplement les gens désireux de découvrir le monde qui les entoure. L'idiotie dans ces histoires n'est pas une fatalité mais un choix (et une source de gags). Peut-être faudrait-il d'ailleurs plus parler d'étroitesse d'esprit que de bêtise. Mais Jules ne vit pas ses aventures seul et sera majoritairement accompagné de Janet (fille d'une éminente scientifique britannique), Tim (un alien télépathe à tendances sarcastiques), Salsifi (autre alien et souffre-douleur de Tim) et Bidule (son cochon-dinde). Et bon, sa famille aussi quelques fois, mais ça c'est bien contre le gré de ce pauvre Jules. Voilà, j'espère ne pas avoir été trop lourde, trop longue dans ma présentation de cette série et de ces personnages. J'ai bataillé pour écrire cet avis, j'ai même tenté par quatre fois de le réécrire entièrement durant ces deux mois. Mais voilà, j'avais tant de choses à dire que je finissais toujours par devenir fouillis. J'aime énormément ces personnages, leurs histoires et leurs dialogues. C'est sans conteste la meilleure série que j'avais découverte enfant (et elle a réussi à conserver ce statut de culte même après toutes ces années, même après le passage à l'âge adulte). Vraiment, si vous ne connaissiez pas, que vous avez réussi à me lire jusqu'au bout et que j'ai (par miracle) réussi à vous convaincre de tenter cette lecture, foncez !

10/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5
Couverture de la série Mezek
Mezek

En temps de guerre, un soldat obéit aux ordres. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2011. Il a été réalisé par Yann (Yann Le Pennetier) pour le scénario et par André Juillard (1948-2024) pour les dessins et la mise en couleurs. Il comprend soixante planches de bande dessinée. Il se termine avec une liste de douze ouvrages consultés, une biographie de chacun des deux auteurs et leur bibliographie. Israël, en juin 1948, dans un quartier de Tel-Aviv, les habitants vaquent à leurs occupations quotidiennes dans la rue, quand soudain retentit la sirène signalant une attaque aérienne. Un homme crie qu’il s’agit de l’aviation égyptienne, encore elle. Une femme fait descendre son enfant du bus pour qu’ils se mettent à l’abri. L’escadrille d’avions survole la ville et lâche ses bombes. Soudain, les avions de l’Israeli Air Force apparaissent dans le ciel et contrattaquent, chassant les ennemis et se lançant à leur poursuite. Ils parviennent à en abattre deux, et les autres s’éloignent hors de portée. L’un des pilotes se félicite : quelle débande ! Des Spitfire égyptiens descendus pas des Messerschmitt ornés de l’étoile de David ! Mais un autre pilote signale qu’un avion de leur formation a été abattu et que le sien est incontrôlable. Ils rentrent à l’aéroport de Herzliya, au nord-est de Tel-Aviv, la base du Squadron 101. Le mécanicien Samuel se précipite vers le premier chasseur à atterrir, celui de Björn : il demande ce qu’il est arrivé aux deux autres Mezek. Le pilote répond qu’il se sont crashés. Soudain l’avion de Max atterrit en faisant une culbute, l’avion prend feu, le pilote meurt prisonnier du cockpit alors que son avion explose. Modi Alon, le commandant de la base fait le bilan de cette sortie avec Björn et Jackie Moggridge qui est en train de le panser : C’est une catastrophe ! Il continue : Trois appareils perdus en une seule opération, sans compter les précédents, le tiers de leurs chasseurs en état de combattre, l’Israeli Air Force ne peut pas se permettre une telle hécatombe. Björn fait observer qu’il ne faut pas oublier la mort de trois excellents pilotes. Le commandant se montre plus dur : Des mercenaires qui savaient ce qu’ils risquaient et qui étaient grassement payés pour le faire ! Il explique : À cause de l’embargo international, il est beaucoup plus facile pour Israël d’acheter des pilotes que des appareils. Il continue : il s’agissait de mercenaires comme Björn. Ce dernier répond qu’il sait parfaitement ce qu’il a à faire, le problème ce sont ces maudits Mezek, ces foutus Tchèques leur ont vendu à prix d’or des cercueils volants. Alon rétorque qu’ils n’ont pas eu le choix. La Tchécoslovaquie a accepté de leur vendre des chasseurs malgré le blocus. Alors même si ces satanés engins ne sont pas absolument casher, c’est tout ce qu’ils ont pour défendre le pays et les pilotes devront continuer à faire avec. La base attend une nouvelle livraison de quinze de ces Mezek démontés et transportés clandestinement de la base tchèque de Zatec jusqu’à Tel-Aviv. Le commandant compte sur Björn pour respecter son contrat et apprendre à ses pilotes à dompter ces satanées mules. Un titre énigmatique, un dessin cryptique (Il va être question d’un avion à hélice ?), mais aussi la promesse d’une bande dessinée ambitieuse créée par deux auteurs de renom publiée dans une collection prestigieuse. Les premières scènes permettent au lecteur de se faire une idée : une narration visuelle de type descriptive et réaliste, un récit ancré dans une réalité historique très précise. La création de l’état d’Israël a été proclamée le 14 mai 1948 par David Ben Gourion (1886-1973), au terme du mandat britannique, conformément au Plan de partage de la Palestine voté par l’ONU le 29 novembre 1947. Le lecteur se trouve vite confronté à un certain de mots qui lui parlent plus ou moins, en fonction de sa familiarité avec l’histoire de cet état, la situation géopolitique de 1948, et des termes hébreux. Pour ces derniers, le scénariste les traduit en bas de page : Egrof (poing), Be hezrat (Si Dieu le veut), Shiksa (jolie fille non-juive), Kugel (dessert hébreu), Schlemiel (abruti), Sodi beyoder (top secret), Hitsk (tête brûlée), etc. Pour les forces politiques et militaires en présence, en revanche, elles sont mentionnées dans les conversations, par des personnages qui savent de quoi ils parlent, sans incorporer artificiellement des explications dans les dialogues ou des cartouches de texte. Charge au lecteur de savoir ou de se renseigner sur différentes dimensions historiques. À commencer par la guerre israélo-arabe de 1948-1949, dont les tout premiers jours voient le bombardement de Tel-Aviv par des avions égyptiens, ce qui correspond à la scène d’ouverture de la bande dessinée. De la même manière, le scénariste évoque les faits et le contexte de l’époque comme étant connus de tout le monde, ainsi que les différentes institutions et organisations. Il est possible que le lecteur soit amené à se renseigner plus avant sur la Ligue des États arabes (fondée le 22 mars 1945), sur la Haganah et son lien avec la Force de défense d’Israël, sur l’Irgoun (Irgoun Zvaï Leoumi, organisation militaire nationale) fondée par Menahem Begin (1913-1992) et les convictions politiques de celui-ci, le Palmach (une force paramilitaire juive sioniste de Palestine mandataire), sans oublier le Sha’y (service de renseignement et de contrespionnage de la Haganah). Il suffit au lecteur de situer ces organisations de manière grossière pour que le récit lui soit intelligible, sinon certains enjeux lui resteront nébuleux. D’un autre côté, des notes en bas de page ou des remarques des personnages viennent expliciter d’autres éléments comme Kaddish (prière des morts), Kadap (technique d’autodéfense ancêtre du Krav Maga), Pancake (atterrissage en catastrophe), IAF (Israeli Air Force), et même de manière inattendue la référence à Mary Poppins (personnage principal du film de 1964, du même nom produit par les studios Disney). Par comparaison, le scénariste et le dessinateur se montrent beaucoup plus didactiques pour tout ce qui relève des avions de chasse et des bombardiers de ce récit. Ils établissent le contexte du Squadron 101 : formé le 20 mai 1948, six jours après qu'Israël a déclaré son indépendance, et la constitution de son équipe de pilotes comprenant à la fois des Israéliens et des mercenaires. Ils expliquent la provenance des chasseurs, ainsi que les difficultés techniques de leur pilotage. Ils développent le mot utilisé pour le titre, une mule, appliqué aux Messerschmitt fabriqués dans une usine tchécoslovaque et livrés en Israël, par un subterfuge à base de fausse société de production de films. Grâce à eux, le lecteur assiste à livraison du premier avion bombardier pour l’escadron : un B-17, aussi connu sous le nom de Forteresse volante, construit par la société Boeing. Il est également question de la livraison des premiers (Supermarine) Spitfire de conception et de fabrication britanniques. Il ne manque à l’appel que l’appellation spécifique desdits Messerschmitt construit en Tchécoslovaquie : Avia S-199. Le lecteur peut compter sur le dessinateur pour des représentations précises et authentiques de ces différents avions. Il remarque également le soin apporté aux autres moyens de locomotion : modèle d’autocar, modèle des avions égyptiens, véhicules militaires de transport, blindés, moto de Björn, Jeep et même un moteur de Mezek démonté. Juillard utilise un trait très fin et très précis pour détourer les formes, avec parfois quelques traits secs pour donner un peu plus de relief, ou marquer des plis sur les vêtements. Le lecteur déguste les dessins qui présentent une forte filiation avec la ligne claire : trait noir d'épaisseur régulière pour tous les éléments de dessin, pas d’ombre dessinée pour les personnages (mais présentes pour les véhicules), uniquement des cases rectangulaires disposées en bande, se permettant la fantaisie d’une poignée de cases en insert. Pour autant, l’artiste a choisi de s’affranchir de la limite des couleurs en aplats pour introduire des nuances plus foncées venant rehausser le relier des formes, et marquer l’ombre des personnages. Ainsi la narration visuelle semble s’apparenter à un reportage en prises de vue réelle, ce qui place le récit sur le plan du témoignage en (quasi) temps réel, avec l’avantage d’un placement de caméra le mieux choisi par rapport au moment de chaque scène. Le lecteur se rend compte que la narration visuelle semble presque épurée, avec des cases lisibles au premier coup d’œil, et que dans le même temps, elle apporte énormément d’élément d’informations qui viennent compléter les dialogues, sans redite. Il peut ainsi apprécier les paysages des différents lieux d’Israël, allant de la base du Squadron 101 assez spartiate, aux bains de minuit. Le dessinateur place ses personnages dans le même registre réaliste, avec une discrète touche romanesque pour Björn et certains paysages féminins, ainsi qu’une sensualité inattendue à l’occasion des bains de minuit. Le scénariste dirige une distribution d’une dizaine d’acteurs pour les rôles principaux, et le dessinateur leur donne une apparence différenciée, ainsi que des expressions de visage dans un registre adulte, qui font parfois apparaître une émotion non contrôlée, à la suite d’un événement traumatisant, ou une découverte générant une vive surprise. Ainsi la vie personnelle de chaque personnage se trouve façonnée par ces circonstances exceptionnelles : les premières semaines de vie d’un nouveau pays qui est déjà en guerre. La trame de fond évoque la naissance d’une nation, la constitution de son armée, les conséquences de l’embargo, le rôle des Nations Unies, et en sous-entendu l’espoir d’une paix mondiale. De manière organique, chacun des principaux personnages incarne une origine différente. Des Juifs vivant déjà dans la région avant la création de l’état d’Israël, totalement légitime dans le rôle de militaire défendant son pays, voire même obligé par les circonstances à endosser ce rôle. S’il en a la curiosité, le lecteur découvre que Modi Alon (1921-1948) a réellement existé : un pilote de chasse israélien, commandant d’un escadron de chasse ayant participé au premiers combats de l'IAF le 29 mai et le 3 juin 1948. Björn a le statut de mercenaire étranger au sein de cet escadron, avec une histoire personnelle très particulière pendant la seconde guerre mondiale. Il y a un Juif américain qui se retrouve à être mercenaire également, une combattante du Plamach, etc. Le lecteur voit la diversité des origines des combattants côté israélien. La couverture promet vaguement une histoire de guerre sans beaucoup plus de précision. La narration visuelle emporte tout de suite le lecteur à Tel-Aviv en 1948 : un lieu et une époque bien définis, avec des dessins minutieux réalisant une reconstitution historique solide et facile à lire. L’intrigue se déroule au tout début de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, aux côtés du premier escadron de l’armée de l’air israélienne. Sous réserve qu’il dispose de quelques connaissances sur cette période à cet endroit du globe, le lecteur découvre un récit intégrant plusieurs dimensions : reconstitution historique et mission épineuse pour arrêter l’Antinea, difficultés à surmonter pour faire exister cette armée de l’air, réalité de la diversité des vies des êtres humains attachants constituant ladite armée, se retrouvant à défendre l’état d’Israël contre un ennemi extérieur, et un risque intérieur. Une réalité complexe.

09/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Pieter Bruegel
Pieter Bruegel

Le mensonge marche, comme l’estropié, avec des béquilles. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une histoire autour du peintre Pieter Bruegel (1525-1569). Son édition originale date de 2015 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par François Corteggiani pour le scénario, Mankho (Dominique Cèbe) pour les dessins, par Bonaventure pour les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, intitulé Philosophe du burlesque, composé de sept parties intitulées : Une inspiration flamande, Un fin observateur de son siècle, Le premier homme des tavernes, Un révolutionnaire au cœur simple, La danse pathétique des cinq mendiants, Le fondateur d’une dynastie, Une disparition prématurée. Bruxelles, le cinq juin 1568, le bourreau cagoulé de noir attend les deux condamnés à mort. Dans l’immense palais, le conseiller se permet de dire au duc d’Albe qu’il n’aurait pas dû faire ça, ce à quoi son interlocuteur répond qu’il le sait. Il ajoute que ce qu’il aurait dû faire, c’est de s’assurer de la personne de Guillaume d’Orange, et ce avant qu’il ne quitte Bruxelles pour se réfugier en Saxe, chez son beau-père. La charrette continue d’avancer lentement, tirée par un cheval, vers le gibet, scène observée discrètement par un individu barbu avec un petit chapeau, derrière la rangée de curieux. Le duc d’Albe continue : les comtes d’Egmont et de Hornes seront décapités pour l’exemple. Il répond à son conseiller : peu importe que cela horrifie la populace qu’on touche à ces personnes, du moment que cela les terrifie en premier lieu. Il espère que cette exécution calmera l’ardeur de ces calvinistes, iconoclastes et de tous les protestants. Même si ce sont des catholiques, il estime que ce sont avant tout des traitres, des opposants forcenés à la politique du bon roi Philippe II. Des gueux comme ils aiment à se nommer depuis ce bon mot de monsieur de Berlaymont. Le seigneur du Breucq, Guislain de Haynan en tua trop peu dans ces marais, l’année dernière. Les comtes d’Egmont et de Hornes ont gravi les marches, les mains attachées dans le dos. Ils se tiennent devant le bourreau. Ils s’agenouillent, et le bourreau abat son épée pour leur trancher la tête. Dans le palais, le duc d’Albe continue de marteler sa position : le duc d’Egmont était le gouverneur de la Flandre et de l’Artois, c’est du passé. Lui et les autres, tous les autres, vont regretter amèrement que ce ne soit plus Marguerite de Parme qui les gouverne. Il révèle à son conseiller que des reitres bien informés, et surtout grassement payés par ses soins, sont sur les traces du seigneur de Nassau, prince d’Orange. Le conseiller fait observer qu’il n’est pas seul, dit-on, à guider la révolte. On parle de trois hommes, peut-être cinq… Bourgeois, nobles ou paysans dont on ignore tout et d’autant moins le nom et le faciès. Le duc d’Albe en fait son affaire : un homme torturé a révélé le signe de reconnaissance utilisé par les rebelles, il s’agit un tableau de format réduit. Voilà qui est déconcertant : le lecteur tourne la dernière page sans être bien sûr que Pieter Bruegel figure dans ce récit ! Une certitude : la présence du tableau Les mendiants (1568), attribué à Pieter Brueghel l'Ancien (oui, parce que les auteurs ont préféré l’orthographe plus simple de Bruegel, plutôt que celle qui fait autorité avec un H). Pour le reste, le lecteur assiste à une opération militaire dans la répression d’un mouvement de rébellion en Belgique. D’ailleurs, il est possible qu’il perde rapidement pied s’il s’élance dans cette lecture sans quelques connaissances historiques. Le scénariste énonce bien des noms, des alliances, quelques éléments de contexte, sans les détailler. Un petit tour sur des sites de référence permet de mieux saisir ce qui se passe. Le lecteur peut commencer par le duc d’Albe : Ferdinand Alvare de Tolède y Pimentel (1507-1582), un Grand d'Espagne qui a exercé les fonctions de régent des Pays-Bas espagnols, à partir de 1567, au début de la guerre de Quatre-Vingts Ans, sous le règne de Philippe II. La scène introductive de peine capitale correspond à une décision dudit vice-roi, dans le cadre de sa mission confiée par Philippe II, en qualité de chef de la Contre-Réforme catholique, après avoir mis en place un organisme judiciaire exceptionnel, le Conseil des troubles. Lamoral, comte d'Egmont (1522-1568) est un général et un homme d’État des Pays-Bas des Habsbourg, ayant exercé la fonction de gouverneur de la Flandre et de l'Artois. Le comte de Hornes (vers 1518-1568, Philippe II de Montmorency-Nivelle) est un noble des Pays-Bas bourguignons et des Pays-Bas espagnols, parent du comte d’Egmont. Leur exécution sert de point de repère historique pour le début de Guerre de Quatre-Vingts ans qui aboutira à la reconnaissance par l'Espagne, en 1648, de l'indépendance de la République des Provinces-Unies. Pour autant, le lecteur peut se lancer dans cette histoire sans bien saisir la complexité du contexte historique, en s’attachant plutôt à l’intrigue telle qu’elle apparaît au premier degré. Les Pays-Bas sont sous le joug du gouvernement Philippe II (1527-1598), roi d’Espagne, il existe un mouvement de rébellion. Le duc d’Albe représentant de l’autorité du roi d’Espagne a mis en œuvre des actions de répression : exécutions pour trahison, réseau d’espions, interrogatoires sous la torture, action militaire pour exterminer les rebelles. À partir de la page dix, l’envoyé du duc d’Abe arrive à la tête de plusieurs dizaines d’hommes dans un village où se trouveraient soit les traîtres et rebelles à l’autorité du roi d’Espagne, soit le ou les auteurs du petit tableau qui sert de signe de reconnaissance. En effet, plus individus du village conspirent contre le roi d’Espagne, et ils se sont préparés à la venue des forces armées. Celles-ci sont menées par un individu masqué : Don César Blasco de Lopez, surnommé le diable rouge, ou également la main gauche du démon, et portant un masque rouge intégral orné de deux cornes de bouc. Le récit se focalise alors sur quelques heures dans une journée : les villageois résistant à la force armée. La narration visuelle s’inscrit dans un registre descriptif et détaillé, hérité de la ligne claire, engendrant une immersion tangible pour le lecteur. L’artiste a effectué un solide travail de recherche pour réaliser une reconstitution historique consistante. Après une case de la largeur de la page avec un très gros plan sur les yeux du bourreau, le lecteur bénéficie d’une autre case de la largeur de la page représentant les étages supérieurs de l’hôtel de ville de la grand-place de Bruxelles, avec une minutie impressionnante. Troisième case de la largeur de la page : le lecteur prend le temps de regarder les bâtiments en arrière-plan des deux comtes, avec un grand soin apporté aux rambardes en pierre taillée du premier étage. Il ralentit également sa lecture pour admirer les poutres apparentes de la salle où se tiennent le duc d’Albe et son conseiller, les boiseries, bancs, table et chaises. Puis il les suit alors qu’ils empruntent un escalier menant à des pièces souterraines sous voute, en jetant un coup d’œil à la lourde porte en bois avec ses ferrures, aux arches, et aux supports des bougies et des torches. Lorsque le récit passe dans le village, l’artiste apporte le même soin minutieux à la représentation des différents bâtiments, extérieur comme intérieur, aux ponts. Il remarque la grande case de la largeur de la page dans la planche onze : une déclinaison du tableau Chasseurs dans la neige (1565) du peintre. Il note également le soin apporté aux tenues vestimentaires : celles sophistiquées du duc et des citadins, celles plus simples et pratiques des paysans. Alors que le détachement militaire arrive à la ville enneigée, le lecteur peut voir la voir depuis une position en hauteur, s’étalant devant lui, y compris le fleuve et les ponts, qui joueront un rôle par la suite. Il peut suivre la progression du rebelle qui s’enfuit par les toits, il note en passant l’isolation dans un grenier. Il souffre pour le soldat recevant une pierre en pleine mâchoire. Il sourit en voyant deux paysans bloquer une des portes de la ville, grâce à une charrette coincée et l’explosion de tonnelets de poudre qu’elle transporte. Il retient son souffle alors que le fuyard traverse la rivière gelée à pied. Il suit aisément la manière dont les soldats se retrouvent regroupés dans la grande place, conformément à la stratégie des paysans. La narration visuelle raconte chaque action avec une grande clarté, le lecteur établissant inconsciemment un parallèle avec André Juillard et les tomes de la série Masquerouge, avec Patrick Cothias. Il est pris de court quand une forme de surnaturel s’immisce dans la confrontation. Mais quand même, où est passé Pieter Bruegel ? Le lecteur se souvient qu’il figure en bonne place sur la couverture : c’est cet homme qui se tient derrière le diable rouge. En y repensant, il se rend compte qu’il a vu ce visage ailleurs : dans la dernière case de la première planche. Il fait ensuite le lien avec son tableau Les mendiants, et avec le contexte politique, éventuellement après avoir effectué les recherches nécessaires. Il se lance dans le dossier en fin de tome, et il parvient aux paragraphes consacrés audit tableau. Dimitri Joannidès passe en revue les différentes interprétations qui ont pu en être formulées. Une simple scène de la vie quotidienne, avec une marque inattendue d’empathie du peintre au dos du tableau (Estropiés, courage, que vos affaires s’améliorent). Ou bien il écrit : Chacun de ces mendiants pourrait représenter une classe de cette société malsaine et corrompue courant à sa perte, c’est-à-dire la monarchie, l’armée, la bourgeoisie, les paysans et les ecclésiastiques, chacune identifiée par son couvre-chef. Ou encore les auteurs ont pu choisir une autre interprétation : le tableau serait une version déformée de la Révolte des gueux, des calvinistes essayant de mobiliser la petite noblesse et la grande bourgeoisie pour combattre la domination espagnole. Ce qui semble correspondre exactement à la présente intrigue. Dans cette collection, l’horizon d’attente implicite consiste à réaliser une biographie, parfois partielle, d’un grand peintre. Ce tome sort du lot par son parti pris. Le grand peintre ne figure que dans une case et sur la couverture : il n’est pas question de sa vie, qui est assez mal connue. En lieu et place, la narration visuelle réalise une belle reconstitution historique bien nourrie et détaillée, et raconte une histoire d’attaque de soldats espagnols contre un village flamand abritant des rebelles. Le scénariste place le tableau Les mendiants au centre de cette révolte, mettant en scène l’une des façons d’interpréter l’œuvre de Pieter Bruegel, et l’artiste y glisse des allusions visuelles comme à la toile Chasseurs dans la neige. Déconcertant, et totalement convaincant.

08/01/2025 (modifier)