Même si je suis resté nostalgique des musiques 70's, Jimi Hendrix n'a jamais été un de mes interprètes favoris. Toutefois j'ai beaucoup aimé ce tome de la biographie de l'artiste. J-M Dupont a pris le temps de présenter avec soin les racines du jeune Jimi. Un métissage Cherokee Afro-américain d'une mère volage et alcoolique et d'un père violent qui alterne jobs et misère, une fratrie confiée aux services sociaux, Hendrix n'est pas du Sud mais a vécu la misère qui a donné une dimension supplémentaire à de nombreux musiciens américains. C'est donc un récit très social que propose l'auteur. Cela rend le jeune Hendrix très attachant dans sa volonté de s'en sortir grâce à sa guitare. Le récit fourmille d'anecdotes signifiantes et produit une belle cohérence dans le parcours du guitariste. On y rencontre de nombreux noms célèbres des 60's mais cette suite de tournées ne fait pas catalogue car les auteurs ont su nous faire partager l'intimité de l'artiste comme si nous y étions.
Graphiquement le style employé par Mezzo ne laisse pas indifférent. Son N&B tourmenté où les noirs prédominent en fait un récit visuel où l'émotion est omniprésente. J'ai eu parfois l'impression de retrouver certaines planches de Perpendiculaire au soleil. Ce n'est pas très surprenant tant le parcours de Jimi aurait pu être celui de Renaldo en plusieurs occasions. J'ai même eu l'impression de me retrouver dans une ambiance underground parfaite pour exprimer ces années 60/70's.
Une biographie très intéressante. J'espère que le tome 2 verra le jour prochainement.
Pour plus de détails je renvoie à l'avis de Solo dont je partage le ressenti enthousiaste sur cette lecture.
Cet effarement dura peu.
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Ce tome correspond à une adaptation du roman de Victor Hugo (1802-1885), du même nom, publié en 1866. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Michel Durand pour l’adaptation et les dessins. Il s’agit d’une bande dessinée en noir & blanc. Il comprend cent-quarante-neuf pages de bande dessinée.
À l’extrémité de la banque du Bû de la rue, il y avait une grande roche que l’on appelait la Corne de la bête. La curiosité de ce rocher, c’était du côté de la mer, une sorte de chaise naturelle creusée par la vague et polie par la pluie. Cette chaise était traître. On y était insensiblement amené par la beauté de la vue. Rien de plus simple que de s’oublier dans ce fauteuil. On contemplait la mer et c’était une volupté que de fermer les yeux. Tout à coup la marée avait grossi. Peu à peu, on était perdu. La chaise Gild-Holm-‘Ur ou Qui dort meurt était la voisine du Bû de la rue. Gilliatt venait souvent là et s’y asseyait. Méditait-il ? Non, il songeait. Le matin de cette Christmas, la route qui longe la mer de Saint Pierre-Port au Valle était toute blanche. Vers neuf heures, le chemin était à peu près désert. Il n’y avait que deux passants, un homme et une femme. Ces deux passants n’avaient visiblement aucun lien entre eux. L’homme, jeune encore, semblait quelque chose comme un ouvrier ou un matelot. La passante dans sa tenue d’église allait devant elle avec une vivacité libre et légère et à cette marche on devinait une jeune fille. L’homme, quand elle se retourna pour la seconde fois, reconnut Déruchette, une ravissante fille du pays. Son regard tomba machinalement sur l’endroit où la jeune fille s’était arrêtée. Il lut ce mot tracé par elle dans la neige : Gilliatt. Ce mot épelait son nom : il s’appelait Gilliatt.
Gilliatt habitait la paroisse de Saint-Sampson. Il n’y était pas aimé. Il y avait des raisons pour cela. D’abord il avait pour logis une maison visionnée. Elle se nommait le Bû de la rue. Anciennement, le diable y venait la nuit. La maison qu’habitait Gilliatt avait été visionnée et ne l’était plus. Elle n’en était que plus suspecte. Personne n’ignore que lorsqu’un sorcier s’installe dans un logis hanté, le diable juge le logement suffisamment tenu, et fait au sorcier la politesse de ne plus y venir… Rien n’est moins rare qu’un sorcier à Guernesey. Ils ont des pratiques criminelles… Ils font bouillir de l’or, ils regardent de travers les bestiaux des gens. L’un d’eux, un jour, en mars 1819, a constaté dans l’eau d’un malade sept diables. Ils sont redoutés et redoutables. Quelques sorciers sont complaisants, et pour deux ou trois guinées, ils vous prennent vos maladies. Alors ils se roulent sur leur lit en poussant des cris. Pendant qu’ils se tordent, vous dites : Tiens, je n’ai plus rien. Gilliatt, nous l’avons dit, n’était pas aimé dans la paroisse. Rien de plus naturel que cette antipathie, les motifs abondaient. Il avait un faible pour les oiseaux. C’est un signe auquel on reconnaît généralement les magiciens. Il achetait tous les oiseaux qu’on lui apportait et les mettait en liberté. Une petite fille avait des poux. Il avait frotté l’enfant avec un onguent et Gilliatt lui avait ôté ses poux, ce qui prouve que Gilliatt les lui avait donnés…
Il faut oser… L’auteur se lance dans l’adaptation d’une œuvre hugolienne, l’écrivain surnommé l’Homme siècle, poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique, également personnalité politique et intellectuel engagé. Il faut donc une bonne dose de courage ou d’inconscience pour adapter un tel créateur, pour donner sa version d’un classique qui peut être considéré comme intouchable. À l’évidence, l’adaptateur va respecter l’intrigue du récit, et il apparaît dès les premières pages que l’implication de Michel Durand se place au plus haut niveau possible. Le lecteur peut retrouver des morceaux du texte de Hugo, tout en évitant les copier-coller de gros pavés de texte. Quelques pages, peu nombreuses, peuvent s’apparenter à des illustrations du texte original réparti en plusieurs petits cartouches. 90% de l’ouvrage relève bien de la bande dessinée : des cases majoritairement dépourvues de bordure, des actions racontées sur plusieurs cases contigües, régulièrement des phylactères, une véritable narration en art séquentiel. Dès les premières pages, le lecteur est frappé par les caractéristiques apparentes des dessins : évoquant des gravures de Gustave Doré, des illustrations, des influences de Bernie Wrightson (1948-2017) pour son adaptation de Frankenstein (1983), ou encore certaines planches d’Andreas (Martens). L’artiste a indiqué s’être inspiré de Franklin Booth (1874-1948), pour la technique.
Le lecteur tombe vite sous le charme des traits encrés : fins, solides, souples. L’artiste use avec finesse des variations d’épaisseur de traits pour donner plus de consistance, plus de force à certains éléments comme la roche ou les vagues. Il met en œuvre de fines hachures pour donner corps à chaque élément, sans avoir à tracer de traits de contour. Il met en œuvre avec parcimonie des effets d’espaces négatifs, d’effacement de certaines parties dans des cases. Il joue avec les textures, jusqu’à des effets conceptuels où le dessin peut allier une approche descriptive et un effet conceptuel, nécessitant d’avoir à l’esprit le contexte apporté par les cases précédentes pour disposer d’une certitude sur ce qui est représenté, par exemple lors de forts mouvements de houle ou de tempête. Le lecteur remarque également que la sensation d’uniformité n’est que de surface. L’artiste conçoit chaque découpage de planche en fonction du moment et du contexte. Il utilise des cases en insert sur une illustration en pleine page, des cases avec bordure comme collées sur une plus grande case sans bordure, des jeux avec des traits horizontaux figurant d’abord l’horizon puis un découpage de cases en bande plus bas, des formes pouvant passer d’une case à l’autre par-dessus les gouttière (par exemple des poissons), des onomatopées et des bruitages se déroulant en volute, des personnages sur fond blanc virginal, des conceptions de page à l’échelle des deux pages en vis-à-vis, des notes de musique s’échappant d’une case pour s’élever au-dessus de sa bordure supérieure, des textures densifiées par exemple sur la peau humaine, une carte sommaire, des végétaux poussant sur deux illustrations distinctes, des cases de la largeur de la page, le rendu de la mer qui peut passer d’un blanc immaculé (pour une mer étale), à des zones fortement hachurées (pour une mer démontée), des cases dépourvues de mot, des dessins en pleine page ou en double page, etc.
Le lecteur ressent les effets de la forte personnalité de la narration visuelle. Pour commencer, il voit que cette adaptation s’inscrit dans une démarche de rendre hommage à l’œuvre originale et de transmettre les visions qu’elle a générées dans l’esprit du lecteur qui est devenu l’auteur de cette bande dessinée. Régulièrement, le lecteur éprouve la sensation de lire le roman de Victor Hugo avec les yeux de Michel Durand. Chaque œuvre se transforme en quelque chose de chaque fois différent en fonction de la personne qui la lit, de son vécu, de sa culture, de son âge, de ses origines sociales, de l’époque à laquelle il l’a lue. Le bédéiste déploie tout son talent pour restituer comment il a reçu ce livre. Bien sûr, il respecte l’intrigue : cet homme aux valeurs morales inflexibles qu’est Gilliatt, l’armateur entretenant un rapport affectif avec son navire à moteur (Mess Lethierrey et la Durande), ce jeune révérend anglican Joe Ebenezer Caudray qui a l’avenir devant lui. L’adaptateur ne les restitue pas exactement comme les écrit le romancier : il en donne plus son ressenti que son interprétation. Par exemple, Déruchette reste une créature pure et attentionnée, sans jugement de valeur ou d’explication sur ce qui la conduite à écrire le nom de Gilliatt dans la neige, ou sur son comportement général, autre d’une vision romanesque traditionnelle. D’un côté, le lecteur peut estimer que cette adaptation édulcore les personnages, leur fait perdre de leur épaisseur ; de l’autre côté, il retrouve bien ou il découvre Gilliatt, Déruchette Mess Lethierry, Sieur Clubin, Rentaine, Joe Ebenezer Caudray, et la Durande, dont l’esprit est respecté, sans trahison.
Le lecteur commence par s‘immerger dans ces dessins à la forte personnalité, décrivant un environnement singulier, allant de très belles compositions florales, au milieu hostile de la mer, de beaux ciels paisibles, à des tempêtes, d’une ville accueillante et protectrice à des milieux sauvages où la présence de l’homme semble incongrue. L’adaptateur donne à voir Guernesey sous forme d’une reconstitution, avec un investissement affectif, différent de celui de Victor Hugo, mais pas moins sincère et intense, un bel hommage également. Il met en scène des personnages disposant chacun de leur personnalité propre, de leurs motivations propres, la cupidité sans foi ni loi de certains, trouvant son contrepoint dans l’innocence et la joie de vivre d’autres. Gilliatt conserve sa place centrale dans le récit. Le lecteur voit se dessiner son portrait dans des moments intenses, correspondant à ceux du roman, en particulier dans le sauvetage de la machine de la Durande, dans le combat sous-marin, dans l’observation enamourée et furtive de Déruchette. Il ne peut pas s’empêcher d’admirer le personnage pour sa rectitude morale, pour son courage, pour sa force et sa dureté à la tâche, et en même temps de porter un jugement sur son comportement, entre incompréhension et consternation. En fonction de ses inclinations, il se retrouve ballotté de l’indignation contre cette forme de destin implacable, et de compréhension devant cet individu qui accepte sa nature profonde en harmonie avec le milieu dans lequel il vit, l’île de Guernesey.
Adapter Victor Hugo : une gageure ? Bien sûr, car personne ne peut écrire comme lui. Il apparaît immédiatement que la démarche et l’intention de l’auteur relève de l’hommage, d’une forme de témoignage de gratitude envers cette œuvre, en faisant preuve d’un investissement total, en respectant l’esprit de l’œuvre originale, et en partageant son ressenti ses émotions à sa lecture, avec générosité, au travers d’une narration visuelle solide, riche et superbe.
Un récit touchant, ponctué de moments très drôle. Une lecture qui fait du bien, et qui aborde la malvoyance d'une manière complètement nouvelle : avec humour et honnêteté.
Que peut-on deviner de quelqu’un par la seule observation de son appartement ?
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Lucas Harari pour le scénario, les dessins et les couleurs, coécrit avec Arthur Harari, et une aide à la couleur de Roman Gigou. Il comprend trois cent cinquante pages de bande dessinée. Lucas Harari est également l’auteur de L’Aimant (2017) et La dernière rose de l’été (2020).
Une photographie prise depuis une chambre à l’étage du pavillon : le père avec son fils d’une demi-douzaine d’années dans les bras en contrebas dans le jardin. Ce cadre est accroché au mur, à côté d’un meuble à rayonnage rempli de livres. Celui-ci est situé dans un angle, avec une fenêtre de part et d’autre. Sur le manteau de cheminée se trouvent une menora, un Rubik’s cube, une balle de baseball et deux autres bibelots. Sur la table de travail, un appareil photographique avec quelques bandes de négatifs. De la vaisselle sale dans l’évier, une platine de disques, un ordinateur avec, à côté, une assiette contenant un maigre relief de repas et une fourchette. David Zimmerman vient de finir de prendre sa douche, il essuie la buée sur le miroir, et se regarde, l’œil terne. Ici vit David Zimmerman, trente-quatre ans, photographe. Soudain, il sursaute, une grande silhouette habillée est apparue dans le miroir. C’est Harry Faugier, son meilleur mai, trente-six ans, peintre, qui a pris grand plaisir à lui faire peur. David le rabroue trouvant la blague de mauvais goût. Harry prend la bouteille de vodka dans le frigo et se sert un verre, en lui souhaitant : Lehaïm ! Il demande à son ami de se presser, ils vont être à la bourre. En attendant, il regarde les négatifs : le visage d’une jeune femme. Il demande à David si la jeune femme savait qu’il la prenait en photo. Puis il le complimente de manière ironique sur ses nouvelles chaussures. Ils sortent.
David et Harry se rendent à une soirée du nouvel an. Ils passent devant un sans domicile fixe assis par terre, et David lui donne une pièce. Ils remontent une avenue dans un quartier asiatique, jusqu’au métro. Pendant le trajet, ils papotent de tout et de rien : le progrès technique déprimant, la bouteille à acheter, le fait que David devrait porter des cravates. Ils arrivent au pied de l’immeuble et se rendent compte qu’ils n’ont pas le code. David appelle Alice pur qu’elle le lui donne. Ils montent au dernier étage pour accéder à un loft qui sert d’atelier au père d’Alexandre. Une fois à l’intérieur de la pièce aux grandes dimensions, bondée d’invités, ils croisent Judicaëlle que Harry salue, pendant que David va voir plus loin. Il retrouve Alice qu’il salue, et il lui fait remarquer qu’elle s’est coupé les cheveux. Harry les rejoint et il emprunte le portable de David pour passer une commande. Alice a apporté le cadeau de Noël de David, offert par la mère de celle-ci qui ne sait pas encore qu’ils se sont séparés. Un peu plus tard, Harry a été livré et il propose un cachet à l’un et l’autre, qui l’avalent.
Un épais volume, une lecture facile grâce à des dessins propres sur eux, de nature réaliste et descriptive, un peu simplifiés, avec des nuances plus sombres pour figurer l’ombre portée sur quelques surfaces. Le lecteur se rend compte qu’il tourne les pages assez rapidement, ne prenant pas forcément le temps de regarder chaque élément visuel, emporté par la compréhension immédiate de chaque case, par le flux régulier et doux de la narration. Il ne s’attarde pas trop sur la question qui ouvre le récit : Que peut-on deviner de quelqu’un par la seule observation de son appartement ? Dans le même temps, il voit bien que les deux premières planches montrent l’appartement de David, et il se demande si les auteurs mettent en doute ses capacités intellectuelles : oui, bon, d’accord, il faut qu’il regarde chaque endroit de l’appartement pour se faire une idée de qui est David Zimmerman. D’accord, il faut qu’il prête attention au visage sur le négatif. D’accord, le modèle de la nouvelle paire de chaussures de David doit être important. Visiblement les auteurs sont adeptes du principe dramaturgique de loi de conservation des détails, aussi appelée fusil de Tchekhov. Le lecteur doit faire une note mentale de chaque détail sortant de l’ordinaire sur lequel les auteurs attirent son attention, parce qu’il sera amené à jouer un rôle dans une scène ultérieure. Ça ne rate pas : David sera reconnu dans une scène d’émeute grâce à ses chaussures, l’emprunt de son téléphone par Harry va amener une visite de cet ami, etc.
Bon, d’accord, le lecteur fait attention à ces détails mis en avant par les auteurs, mais quand même il aurait pu le faire tout seul sans qu’ils soient ainsi pointés du doigt, comme s’il allait passer à côté… Sauf que le lecteur vient de se faire manipuler en beauté, ou en tout cas les auteurs se révèlent être d’élégants prestidigitateurs maîtrisant l’art de la diversion et de l’indice secret affiché au premier plan. D’un côté, le lecteur se fait des films dans sa tête avec un élément dont il suppute qu’il va jouer un rôle primordial par la suite, alors qu’il n’en sera rien. Ou bien il passe à côté d’un autre objet qu’il écarte comme purement décoratif, parce que trop éloigné de l’intrigue ou des situations précédentes. Alors, oui, la bouteille de vodka revient par la suite, toutefois la nature de l’alcool ne revêt pas d’importance particulière. Bon d’accord, le patronyme du personnage principal le qualifie comme juif, ce qui lui vaut d’être embauché pour réaliser les photographies d’un mariage de cette confession, une sorte de service rendu pour un autre. Et puis le lecteur oublie cette caractéristique… Du coup, il se dit que le discours de Gaby, la mère de David, plus de cent-cinquante pages plus loin, sort de nulle part. et il se souvient alors de la menora présente dans la première planche, au centre d’une case. Il s’installe ainsi une dimension ludique, le lecteur ayant conscience que les auteurs jouent avec lui, en lui faisant comprendre qu’ils jouent avec lui.
Quoi qu’il en soit, le plaisir de lecture est présent dès le début, avec cette promesse vite concrétisée d’une situation extraordinaire, riche de possibilité : David Zimmerman se réveille chez lui le premier janvier dans le corps d’une femme qu’il ne connaît pas, et sans souvenir de ce qu’il lui est arrivé. Le récit s’inscrit ainsi dans une forme de merveilleux fantastique, de conte. Le ton de la narration reste dans une forme de plausibilité concrète : pas d’humour graveleux sur la situation, mais un personnage principal désemparé, ne sachant pas comment réagir, se rendant compte qu’il lui sera impossible d’être cru par qui que ce soit. Le lecteur comprend qu’il va lui falloir un moment pour que David admette la situation. Il sent une forme d’impatience liée à l’anticipation, le désir de savoir ce qui va se passer, ce qui l’incite à conserver un rythme de lecture soutenu. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte que cela crée une forme de dissonance en lui : les dessins continuent de conserver une densité appréciable d’informations visuelles dans chaque case. Au point qu’arrive un moment où il se dit qu’il devrait consacrer plus de temps à la lecture des images, ralentir son rythme. Chaque action s’inscrit dans un environnement bien spécifique. Déjà, les auteurs lui avaient dit explicitement de prêter attention à l’aménagement de l’appartement, dès la première planche.
Ensuite, David Zimmerman habite à Paris : il est possible d’identifier certains quartiers comme le quartier asiatique, la rame de métro typiquement parisienne sur une ligne automatisée, les toitures en zinc, l’avenue de France, le boulevard Vincent Auriol au niveau de la station quai de la Gare, la rue de Belleville, le parc des Buttes-Chaumont, la gare de l’Est, la place de la Bastille et la colonne de Juillet avec le génie de la Liberté à son sommet, etc. Le lecteur peut également relever quelques inscriptions sur les murs comme Free Gaza, ou Plus jamais silencieuse. Il se rend compte que les environnements dans lesquels évoluent les personnages ont une incidence sur leur mode de vie, sur leurs activités, sur leurs déplacements. Cela devient patent quand David sort de Paris pour se rendre en proche ou moyenne banlieue, l’ambiance devient alors fort différente. Du coup, cela a pour effet de ramener le lecteur aux dessins, de consacrer un peu plus de temps à leur lecture. Il se produit un phénomène analogue avec le récit lui-même : il se laisse bercer dans un rythme agréable et facile, l’histoire de cet homme qui se retrouve perdu, sans savoir comment s’y prendre, tout en conservant l’objectif de retrouver son corps d’homme. Les séquences se suivent, accessibles, avec des enjeux très relatifs, des échanges très ordinaires entre les personnages. Et puis David retrouve Rachel Bluemen, cette jeune femme, serveuse au mariage juif qu’il avait photographiée. Le récit semble alors prendre une direction plus affirmée, l’attention de David se trouvant plus focalisée, et ses recherches devenant plus structurées, grâce à l’aide de Samia Hamza-Chauvet. Et tout s’achemine vers un dénouement en huit pages silencieuses, étrangement insatisfaisant et plat.
À ceci près que les auteurs n’ont pas promis un thriller avec une chute révélatrice pétrie de justice immanente : le rythme de lecture relève plus du roman naturaliste avec une touche de fantastique, cet échange de corps inexpliqué. Le lecteur relève bien le développement succinct de quelques thèmes en passant : le trouble de l’identité à l’évidence (et pas seulement sexuelle), la forme de solitude typiquement parisienne, les souvenirs qui font un individu et la limite de l’identité, l’altérité irréductible, le lien familial (par exemple entre mère et fils), l’étrangeté effrayante de l’autre (le cas de Christophe Karo et de sa relation avec sa sœur Sophie). Et le judaïsme. Page 204, Gaby, la mère de David, discute avec Samia pour lui expliquer l’origine du mot Hébreu. Cela fait sens dans le contexte, tout en surprenant un peu comme sujet de conversation. Elle explique qu’au départ, le mot Hébreu, ça veut dire Passer, Traverser… parce que c’était le peuple qui venait de l’autre côté du fleuve Jourdain. Donc, ce sont ceux d’en face : les autres. À l’origine, il s’agit sans doute d’un terme exogène mais par la suite les Hébreux l’ont aussi adopté. Ils se sont désignés eux-mêmes comme Ceux d’en face, Ceux qui viennent de l’autre côté. C’est très profond parce que ça induit que le Juif lui-même se définit comme un autre, qu’il porte son altérité en lui. Or ce récit parle exactement de ça : David est passé de l’autre côté (en devenant une femme), il est devenu autre, un étranger pour ses amis et sa famille, son propre corps lui est étranger, et il est un étranger dans ce corps. Ce dispositif narratif le place dans une situation où il porte littéralement son altérité en lui.
Une couverture des plus cryptiques, qui ne dit pas grand-chose : juste la silhouette d’un profil en ombre chinoise. Un récit qui commence par un événement fantastique : le personnage principal, un homme, se réveille dans le corps d’une femme. Une narration facile et fluide, grâce à des dessins très accessibles, et des scènes assez brèves très linéaires. Des auteurs qui jouent avec l’anticipation du lecteur et qui lui font savoir qu’ils jouent à ça. Un lecteur mis en confiance, sûr de lui car il a bien identifié ce dispositif. Une enquête prosaïque pour retrouver son corps originel, et quelques rencontres. Une mise en scène de l’altérité très pragmatique et factuelle, charriant des questionnements fondamentaux sur l’identité et la capacité d’adaptation. Troublant et fascinant.
J'avais trouvé cette BD sur une braderie à l'époque sans savoir à quoi m'attendre. Appréciant l'heroïc fantasy sans autant en être un fan inconditionnel.. Je suis resté subjugué par cette histoire. De son trait jusqu'à la trame, cet anti héro attachant, l'ambiance apocalyptique, l'alliance et la trahison.. Franchement, quelque chose de grand !
Qu'on se rassure, je ne serai pas long car tout à déjà été dit sur le Chninkel.
Le Chninkel, que j'ai lu jeune ado, m'a littéralement transporté. J'aimais ce personnage tout à fait insignifiant qui se retrouve embarqué dans une aventure qui le dépasse. C'est basique, solide, et ça évolue dans un univers bien ancré. Les références à Tolkien, que j'ai découvert plus tard, sont nombreuses (et Van Hamme lui-même ne le cachait pas), tout comme les références bibliques. Le mélange est réussi, la sauce prend vite, tout cela agrémenté du puissant dessin de Rosinski.
Oui, je crois qu'on peut raisonnablement qualifier cette BD de Culte !
Gaston Lagaffe, c'est mon héros. Gamin déjà, j'aimais bien, mais à ce moment-là, j'étais totalement incapable de comprendre pourquoi ce personnage me plaisait. Aujourd'hui, je suis un cinquantenaire (fringant !), et je sais. Gaston est inutile, inefficace, lent, incompétent. Il contient en lui toutes ces qualités de résilience !
GASTON PRESIDENT !
Est-ce si important de savoir pourquoi ?
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il fait partie de la collection développée avec le musée d’Orsay. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Christophe Chabouté, pour le scénario et les dessins. Il comprend cent-quatre-vingt-six pages de bande dessinée en noir & blanc.
Au musée d’Orsay, une jeune fille avec des couettes lève la tête pour contempler une œuvre. Un monsieur ridé baisse ses lunettes pour mieux en voir une autre. Un couple de jeunes en regarde une autre sans rien laisser transparaître sur le visage. Un monsieur d’une trentaine d’années avec une veste, un foulard, une chevelure hirsute et une barbe se frotte le menton en regardant une œuvre. Une dame ridée, écharpe au cou se penche de côté pour mieux voir un détail. Un autre barbu en regarde une de très près, les sourcils froncés, le regard sévère. Un autre en costume et cravate noire a pris un peu de recul, les bras croisés. Puis en viennent encore une vingtaine d’autres, chacun avec leur attitude et leur posture, exprimant une part de leur personnalité, de leur comportement face à une œuvre d’art. Ils contemplent, qui l’autoportrait de Vincent van Gogh, qui le Chanteur florentin du XVe siècle de Paul Dubois, Anacréon d’Eugène Guillaume, Sapho de James Pradier, La pensée d’Aristide Maillol, La source de Jean-Auguste-Dominique Ingres, etc. Le flux incessant des visiteurs, des curieux de toute nature se déroule durant toute la journée. La grande horloge marque le temps et arrive six heures. Les couloirs et la grande galerie se vident progressivement. Les gardiens procèdent à la fermeture des portes. Le musée retrouve son calme, vide de toute présence humaine. Dehors la Seine coule paisiblement et sans bruit alors que la nuit commence à tomber et que les ténèbres commencent à envahir le musée d’Orsay.
À l’intérieur du musée il ne subsiste que les éclairages de sécurité, et quelques rais de lumière provenant de l’éclairage public ou de la Lune. Passé une heure du matin, dans ce grand calme, une silhouette passe dans un couloir, un tableau sous le bras. Vers une heure et quart, les ombres se sont quelque peu modifiées, toujours pas âme qui vive. Sans prévenir, un chien traverse une large allée, en silence. Une heure vingt-cinq, dehors un homme passe, promenant son chien en laisse. Le soleil se lève progressivement. Un oiseau quitte son perchoir sur l’une des cornes du Rhinocéros d’Henri-Alfred Jacquemart. Les visiteurs commencent à arriver pour entrer. Le musée d’Orsay ouvre ses portes, les uns et les autres reforment le ballet incessant devant les œuvres. Un regard se fixe plus particulièrement sur les mollets et les chaussures, établissant un panorama qui passe d’un pantalon avec des chaussures de ville, à un pantacourt avec chaussures souples, un bermuda avec des baskets, un short avec des chaussettes montant à mi-mollet, un pantalon à pois avec des chaussures de marche, un autre short et des chaussettes arrivant sous le genou, des escarpins et une robe descendant sous le genou, etc.
Voici une bande dessinée estampillée Musée d’Orsay, qui présente la particularité d’être publiée par un autre éditeur que Futuropolis, ce dernier semblant avoir développé un partenariat avec cet établissement et publié plusieurs œuvres comme Les Variations d'Orsay (2015) de Manuele Fior, L'Art d'en bas au musée d'Orsay: La fantastique collection Hippolyte de L'Apnée (2016) de Plonk & Replonk, Les Disparues d'Orsay (2017) de Stéphane Levallois, Moderne Olympia (2020) de Catherine Meurisse. Sa seconde particularité réside dans le nombre élevé de pages muettes : 114 pages dépourvues de tout mot, et soixante-douze avec des dialogues. Sa troisième caractéristique apparaît sous deux points de vue. Pour commencer, les premières pages présentent les visiteurs et leur comportement face aux œuvres d’art. Quand celles-ci commencent à être représenter dans les cases, elles ne sont pas nommées. En fonction de sa culture en la matière et de sa familiarité avec le musée d’Orsay, le ressenti du lecteur peut osciller entre la curiosité et la frustration, selon qu’il les identifie plus ou moins facilement. Il peut reconnaître Héraklès archer (1909) du sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1929), l’Ours blanc (1922), de François Pompon (1855-1933), la Source (1820-56) de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867).
En fonction de sa curiosité, il peut se renseigner plus avant et trouver les références pour les Coquelicots (1873) de Claude Monet (1840-1926), les Raboteurs de parquet (1875) de Gustave Caillebotte (1848-1894), Autoportrait (1879) de Vincent Van Gogh (1853-1890), Rhinocéros (1878) de Henri-Alfred Jacquemart (1824-1896), Méditerranée, dite aussi La Pensée (1923-1927) d’Aristide Maillol (1861-1944), les trente-six bustes des célébrités du Juste Milieu (1832-35) d’Honoré Daumier (1808-1879), l'Olympia (1863) d’Édouard Manet (1832-1883), l’Origine du Monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877), le Fifre (1866) d’Édouard Manet (1832-1883), L’asperge (1880) d’Édouard Manet (1832-1883), etc. Sur le moment, ou après coup avec des recherches, le lecteur reste impressionné par la capacité de l’artiste à reproduire l’apparence de ces œuvres d’art, qu’il s’agisse de sculptures ou de peintures.
Au fil des pages silencieuses, parfois en plan fixe, il ressort également très impressionné par la représentation des différentes zones du musée d’Orsay. À la lecture, les images en noir & blanc apparaissent simples et évidentes, descriptives avec un degré de simplification pour conserver une lecture immédiate. Alors que la prise de vue prend un peu de recul, le lecteur identifie la grande galerie avec ses marches, ses statues sur stèle, ses poutrelles et ses verrières. Il reconnaît de nombreuses œuvres, avec encore Les Quatre Parties du monde soutenant la sphère céleste (1872) de Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875). Dès la page douze, il peut voir l’horloge monumentale de cette galerie, la façade vue depuis la Seine, les grandes baies vitrées et leurs poutrelles métalliques, le dallage et les murs de pierre, les luminaires caractéristiques, l’esplanade d’accès avec le Rhinocéros, les galeries secondaires qui courent de part et d’autre du bâtiment, les galeries de l’étage, avec la grande horloge de façade et sa verrière permettant de voir à l’extérieur, sans oublier les toilettes avec leurs cuvettes, leurs distributeurs de papier et les sèche-mains (des éléments essentiels de l’intrigue). Le lecteur observe que l’artiste restitue à merveille les grandes lignes structurantes de chaque zone, ce qui fait d’autant mieux ressortir leur architecture et les aménagements, configurations spécifiques qui marquent durablement l’esprit du visiteur.
L’ouvrage s’ouvre avec une séquence dont les trois premières pages se focalisent sur les visiteurs. Le lecteur peut ainsi observer la posture et l’expression de visage de trente individus différents. Cette expérience est renouvelée à plusieurs reprises au cours du récit ; en se focalisant sur les tibias et les pieds en pages vingt-six et vingt-sept, puis en plan fixe pour restituer le passage de plusieurs visiteurs, puis en s’attachant à des couples pour un effet de contraste entre la réaction de l’un et celle de l’autre, puis au travers de dialogue d’une mère avec sa fille, d’une femme avec son compagnon (il croit qu’elle parle des peintures alors qu’elle parle des cadres), avec un groupe d’adolescents (sur leur portable) avec leur professeur, avec l’attitude d’une petite fille portant son nounours dans les bras et arrêtée devant la sculpture l’Ours blanc, etc. Le lecteur se retrouve fasciné d’observer ainsi les curieux, constatant qu’ils sont animés par des envies différentes. Il est à la fois épaté par la capacité de l’artiste à saisir une expression, un geste, à la fois déstabilisé par la sensation de se regarder lui-même quand il s’arrête devant une œuvre d’art au musée. Il se doute qu’il voit les visiteurs par les yeux des personnages peints ou sculptés.
La nuit tout se transforme, et les êtres des œuvres d’art s’animent, prennent vie. L’Ours Blanc déambule silencieusement et majestueusement dans les grands couloirs, des couples se forment entre sculptures descendues de leur piédestal, d’autres se détestent cordialement, certains se regroupent pour observer l’extérieur depuis la grande baie vitrée de l’horloge, et Héraklès se rend dans les toilettes pour comprendre l’utilité des cuvettes, de la chasse d’eau, du distributeur de papier et des sèche-mains. L’auteur joue à la fois avec le décalage temporel et culturel de certaines œuvres qui se retrouvent dans une époque hors de portée de leur compréhension, et avec leur curiosité, leurs émotions et leurs caractéristiques physiques (les pauvres trente-six bustes des célébrités du Juste Milieu qui sont coincés sur leur socle sans pouvoir bouger). Il émane une forme de poésie dans la réaction et l’adaptation des uns et des autres à cet environnement étrange et incompréhensible, à leurs interrogations sur le comportement des personnes qu’ils voient défiler toute la journée pour les regarder, et sur celui du personnel du musée. Les personnages de ces œuvres d’art observent les visiteurs et s’interrogent sur eux, devenant le reflet de leur comportement.
Pas facile de réaliser une œuvre de fiction sur une collection d’œuvres d’art et le musée qui les accueille, sans tomber dans un passage en revue de type catalogue d’une exposition. Chabouté a réalisé une histoire qui rend aussi bien hommage au musée d’Orsay et à son architecture, qu’à ses collections, avec un dispositif narratif original. Il privilégie la démarche de montrer, sans mots, plutôt que d’expliquer ou d’exposer. Le résultat génère un processus de double identification chez le lecteur : avec les visiteurs qui regardent, avec les œuvres d’art elles-mêmes qui disposent de leur point de vue sur lesdits visiteurs. Singulier : une visite originale et inoubliable.
Une belle transposition dans le futur d'une ancienne histoire grecque.
Des dessins extrêmement soignés alliant le high tech et la tradition.
Je les relis régulièrement, dommage que la série soit arrêtée.
Par Hera, les dieux en répondront.
De manière assez inédite, c'est la tranche de cette énÔrme BD (donc en grand partie son titre) qui a attiré mon attention. Ma main l'a agrippée pour découvrir les noms (désormais illustres) de leurs auteurs. Je n'ai même pas réfléchi, je suis reparti avec sous le bras. Et bien m'en a pris puisque ce copieux menu n'était pas qu'une promesse en l'air.
Le dessin de Tanquerelle est très maitrisé, ce n'est plus tellement sujet à discussion. Ici, il est à la hauteur de cette saga nordique hallucinée. Ayant lu la version en noir et blanc (celle en couleur, d'après les photos, a l'air absolument splendide, au point que j'envisage son acquisition), j'ai eu mainte fois l'occasion de le constater. D'abord sa grande lisibilité fait que jamais on ne confond les personnages (et il y en a un bon paquet) malgré leur aspect hirsute. Leurs expressions ne prêtent jamais à confusion. Tout le lexique graphique émotionnel là encore est immédiatement appréhendé. Tanquerelle représente en outre tous les détails nécessaires, ceux qui agrémentent et offrent le petit plus afin de mettre dans l'ambiance. En outre, il sait se montrer plus stylisé dans la représentation des paysages, plus généralement des fonds de scène, ce qui ne surcharge pas les cases. Le lecteur est concentré sur ce qu'il y a à voir et n'est jamais perdu. Bon, c'est vrai que l'histoire se déroulant au Groenland, constitué exclusivement de montagnes et surtout de neige, le paysage laisse une grande place à la stylisation, mais quand même ! A côté de ça, les scènes obscures, entendez dans l'obscurité, font la part belle à l'esquisse remarquable de notre illustrateur. Tout ça est très très chouette. On sent une quantité de travail derrière tout ça que la qualité ne trahit nullement.
L'autre gros morceau, c'est bien entendu le scénario. Il suffit de voir trôner le pavé dans l'étagère d'une librairie pour s'en convaincre : La Terre Verte promet d'embarquer son lecteur vers des sommets d'aventure. Pari tenu ! Le lecteur en prend une dose copieuse et termine largement rassasié. J'ai adoré cette histoire sur laquelle je ne m'attarderai pas, préférant laisser le plaisir de la découverte, mais Paul le Poulpe (qui voit effectivement l'avenir) en a très bien causé. C'est dense, crédible au point qu'on se demande tout au long de la lecture s'il s'agit d'une histoire vraie. Il y a de la politique, de l'ethno, de la socio, de la psychoschtroumpf, et bien d'aitres choses encore dedans. Nourrissant que je vous dis ! Admirable !
La Terre Verte manque de peu son coup de cœur en raison de ses dialogues parfois un peu verbeux, voire baroque. En effet, s'il sont parfaitement dans le ton de l'époque représentée, il arrive qu'ils insistent sur tel ou tel aspect d'une situation, au risque d'alourdir un peu le reste et d'encombrer la case. Oui, quelques petites lourdeurs de ce côté. Mais je pinaille. Cette BD figurera dans mon top 20 de l'année, c'est évident !
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Kiss the Sky
Même si je suis resté nostalgique des musiques 70's, Jimi Hendrix n'a jamais été un de mes interprètes favoris. Toutefois j'ai beaucoup aimé ce tome de la biographie de l'artiste. J-M Dupont a pris le temps de présenter avec soin les racines du jeune Jimi. Un métissage Cherokee Afro-américain d'une mère volage et alcoolique et d'un père violent qui alterne jobs et misère, une fratrie confiée aux services sociaux, Hendrix n'est pas du Sud mais a vécu la misère qui a donné une dimension supplémentaire à de nombreux musiciens américains. C'est donc un récit très social que propose l'auteur. Cela rend le jeune Hendrix très attachant dans sa volonté de s'en sortir grâce à sa guitare. Le récit fourmille d'anecdotes signifiantes et produit une belle cohérence dans le parcours du guitariste. On y rencontre de nombreux noms célèbres des 60's mais cette suite de tournées ne fait pas catalogue car les auteurs ont su nous faire partager l'intimité de l'artiste comme si nous y étions. Graphiquement le style employé par Mezzo ne laisse pas indifférent. Son N&B tourmenté où les noirs prédominent en fait un récit visuel où l'émotion est omniprésente. J'ai eu parfois l'impression de retrouver certaines planches de Perpendiculaire au soleil. Ce n'est pas très surprenant tant le parcours de Jimi aurait pu être celui de Renaldo en plusieurs occasions. J'ai même eu l'impression de me retrouver dans une ambiance underground parfaite pour exprimer ces années 60/70's. Une biographie très intéressante. J'espère que le tome 2 verra le jour prochainement. Pour plus de détails je renvoie à l'avis de Solo dont je partage le ressenti enthousiaste sur cette lecture.
Les Travailleurs de la mer
Cet effarement dura peu. - Ce tome correspond à une adaptation du roman de Victor Hugo (1802-1885), du même nom, publié en 1866. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Michel Durand pour l’adaptation et les dessins. Il s’agit d’une bande dessinée en noir & blanc. Il comprend cent-quarante-neuf pages de bande dessinée. À l’extrémité de la banque du Bû de la rue, il y avait une grande roche que l’on appelait la Corne de la bête. La curiosité de ce rocher, c’était du côté de la mer, une sorte de chaise naturelle creusée par la vague et polie par la pluie. Cette chaise était traître. On y était insensiblement amené par la beauté de la vue. Rien de plus simple que de s’oublier dans ce fauteuil. On contemplait la mer et c’était une volupté que de fermer les yeux. Tout à coup la marée avait grossi. Peu à peu, on était perdu. La chaise Gild-Holm-‘Ur ou Qui dort meurt était la voisine du Bû de la rue. Gilliatt venait souvent là et s’y asseyait. Méditait-il ? Non, il songeait. Le matin de cette Christmas, la route qui longe la mer de Saint Pierre-Port au Valle était toute blanche. Vers neuf heures, le chemin était à peu près désert. Il n’y avait que deux passants, un homme et une femme. Ces deux passants n’avaient visiblement aucun lien entre eux. L’homme, jeune encore, semblait quelque chose comme un ouvrier ou un matelot. La passante dans sa tenue d’église allait devant elle avec une vivacité libre et légère et à cette marche on devinait une jeune fille. L’homme, quand elle se retourna pour la seconde fois, reconnut Déruchette, une ravissante fille du pays. Son regard tomba machinalement sur l’endroit où la jeune fille s’était arrêtée. Il lut ce mot tracé par elle dans la neige : Gilliatt. Ce mot épelait son nom : il s’appelait Gilliatt. Gilliatt habitait la paroisse de Saint-Sampson. Il n’y était pas aimé. Il y avait des raisons pour cela. D’abord il avait pour logis une maison visionnée. Elle se nommait le Bû de la rue. Anciennement, le diable y venait la nuit. La maison qu’habitait Gilliatt avait été visionnée et ne l’était plus. Elle n’en était que plus suspecte. Personne n’ignore que lorsqu’un sorcier s’installe dans un logis hanté, le diable juge le logement suffisamment tenu, et fait au sorcier la politesse de ne plus y venir… Rien n’est moins rare qu’un sorcier à Guernesey. Ils ont des pratiques criminelles… Ils font bouillir de l’or, ils regardent de travers les bestiaux des gens. L’un d’eux, un jour, en mars 1819, a constaté dans l’eau d’un malade sept diables. Ils sont redoutés et redoutables. Quelques sorciers sont complaisants, et pour deux ou trois guinées, ils vous prennent vos maladies. Alors ils se roulent sur leur lit en poussant des cris. Pendant qu’ils se tordent, vous dites : Tiens, je n’ai plus rien. Gilliatt, nous l’avons dit, n’était pas aimé dans la paroisse. Rien de plus naturel que cette antipathie, les motifs abondaient. Il avait un faible pour les oiseaux. C’est un signe auquel on reconnaît généralement les magiciens. Il achetait tous les oiseaux qu’on lui apportait et les mettait en liberté. Une petite fille avait des poux. Il avait frotté l’enfant avec un onguent et Gilliatt lui avait ôté ses poux, ce qui prouve que Gilliatt les lui avait donnés… Il faut oser… L’auteur se lance dans l’adaptation d’une œuvre hugolienne, l’écrivain surnommé l’Homme siècle, poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique, également personnalité politique et intellectuel engagé. Il faut donc une bonne dose de courage ou d’inconscience pour adapter un tel créateur, pour donner sa version d’un classique qui peut être considéré comme intouchable. À l’évidence, l’adaptateur va respecter l’intrigue du récit, et il apparaît dès les premières pages que l’implication de Michel Durand se place au plus haut niveau possible. Le lecteur peut retrouver des morceaux du texte de Hugo, tout en évitant les copier-coller de gros pavés de texte. Quelques pages, peu nombreuses, peuvent s’apparenter à des illustrations du texte original réparti en plusieurs petits cartouches. 90% de l’ouvrage relève bien de la bande dessinée : des cases majoritairement dépourvues de bordure, des actions racontées sur plusieurs cases contigües, régulièrement des phylactères, une véritable narration en art séquentiel. Dès les premières pages, le lecteur est frappé par les caractéristiques apparentes des dessins : évoquant des gravures de Gustave Doré, des illustrations, des influences de Bernie Wrightson (1948-2017) pour son adaptation de Frankenstein (1983), ou encore certaines planches d’Andreas (Martens). L’artiste a indiqué s’être inspiré de Franklin Booth (1874-1948), pour la technique. Le lecteur tombe vite sous le charme des traits encrés : fins, solides, souples. L’artiste use avec finesse des variations d’épaisseur de traits pour donner plus de consistance, plus de force à certains éléments comme la roche ou les vagues. Il met en œuvre de fines hachures pour donner corps à chaque élément, sans avoir à tracer de traits de contour. Il met en œuvre avec parcimonie des effets d’espaces négatifs, d’effacement de certaines parties dans des cases. Il joue avec les textures, jusqu’à des effets conceptuels où le dessin peut allier une approche descriptive et un effet conceptuel, nécessitant d’avoir à l’esprit le contexte apporté par les cases précédentes pour disposer d’une certitude sur ce qui est représenté, par exemple lors de forts mouvements de houle ou de tempête. Le lecteur remarque également que la sensation d’uniformité n’est que de surface. L’artiste conçoit chaque découpage de planche en fonction du moment et du contexte. Il utilise des cases en insert sur une illustration en pleine page, des cases avec bordure comme collées sur une plus grande case sans bordure, des jeux avec des traits horizontaux figurant d’abord l’horizon puis un découpage de cases en bande plus bas, des formes pouvant passer d’une case à l’autre par-dessus les gouttière (par exemple des poissons), des onomatopées et des bruitages se déroulant en volute, des personnages sur fond blanc virginal, des conceptions de page à l’échelle des deux pages en vis-à-vis, des notes de musique s’échappant d’une case pour s’élever au-dessus de sa bordure supérieure, des textures densifiées par exemple sur la peau humaine, une carte sommaire, des végétaux poussant sur deux illustrations distinctes, des cases de la largeur de la page, le rendu de la mer qui peut passer d’un blanc immaculé (pour une mer étale), à des zones fortement hachurées (pour une mer démontée), des cases dépourvues de mot, des dessins en pleine page ou en double page, etc. Le lecteur ressent les effets de la forte personnalité de la narration visuelle. Pour commencer, il voit que cette adaptation s’inscrit dans une démarche de rendre hommage à l’œuvre originale et de transmettre les visions qu’elle a générées dans l’esprit du lecteur qui est devenu l’auteur de cette bande dessinée. Régulièrement, le lecteur éprouve la sensation de lire le roman de Victor Hugo avec les yeux de Michel Durand. Chaque œuvre se transforme en quelque chose de chaque fois différent en fonction de la personne qui la lit, de son vécu, de sa culture, de son âge, de ses origines sociales, de l’époque à laquelle il l’a lue. Le bédéiste déploie tout son talent pour restituer comment il a reçu ce livre. Bien sûr, il respecte l’intrigue : cet homme aux valeurs morales inflexibles qu’est Gilliatt, l’armateur entretenant un rapport affectif avec son navire à moteur (Mess Lethierrey et la Durande), ce jeune révérend anglican Joe Ebenezer Caudray qui a l’avenir devant lui. L’adaptateur ne les restitue pas exactement comme les écrit le romancier : il en donne plus son ressenti que son interprétation. Par exemple, Déruchette reste une créature pure et attentionnée, sans jugement de valeur ou d’explication sur ce qui la conduite à écrire le nom de Gilliatt dans la neige, ou sur son comportement général, autre d’une vision romanesque traditionnelle. D’un côté, le lecteur peut estimer que cette adaptation édulcore les personnages, leur fait perdre de leur épaisseur ; de l’autre côté, il retrouve bien ou il découvre Gilliatt, Déruchette Mess Lethierry, Sieur Clubin, Rentaine, Joe Ebenezer Caudray, et la Durande, dont l’esprit est respecté, sans trahison. Le lecteur commence par s‘immerger dans ces dessins à la forte personnalité, décrivant un environnement singulier, allant de très belles compositions florales, au milieu hostile de la mer, de beaux ciels paisibles, à des tempêtes, d’une ville accueillante et protectrice à des milieux sauvages où la présence de l’homme semble incongrue. L’adaptateur donne à voir Guernesey sous forme d’une reconstitution, avec un investissement affectif, différent de celui de Victor Hugo, mais pas moins sincère et intense, un bel hommage également. Il met en scène des personnages disposant chacun de leur personnalité propre, de leurs motivations propres, la cupidité sans foi ni loi de certains, trouvant son contrepoint dans l’innocence et la joie de vivre d’autres. Gilliatt conserve sa place centrale dans le récit. Le lecteur voit se dessiner son portrait dans des moments intenses, correspondant à ceux du roman, en particulier dans le sauvetage de la machine de la Durande, dans le combat sous-marin, dans l’observation enamourée et furtive de Déruchette. Il ne peut pas s’empêcher d’admirer le personnage pour sa rectitude morale, pour son courage, pour sa force et sa dureté à la tâche, et en même temps de porter un jugement sur son comportement, entre incompréhension et consternation. En fonction de ses inclinations, il se retrouve ballotté de l’indignation contre cette forme de destin implacable, et de compréhension devant cet individu qui accepte sa nature profonde en harmonie avec le milieu dans lequel il vit, l’île de Guernesey. Adapter Victor Hugo : une gageure ? Bien sûr, car personne ne peut écrire comme lui. Il apparaît immédiatement que la démarche et l’intention de l’auteur relève de l’hommage, d’une forme de témoignage de gratitude envers cette œuvre, en faisant preuve d’un investissement total, en respectant l’esprit de l’œuvre originale, et en partageant son ressenti ses émotions à sa lecture, avec générosité, au travers d’une narration visuelle solide, riche et superbe.
Dans ses yeux
Un récit touchant, ponctué de moments très drôle. Une lecture qui fait du bien, et qui aborde la malvoyance d'une manière complètement nouvelle : avec humour et honnêteté.
Le Cas David Zimmerman
Que peut-on deviner de quelqu’un par la seule observation de son appartement ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Lucas Harari pour le scénario, les dessins et les couleurs, coécrit avec Arthur Harari, et une aide à la couleur de Roman Gigou. Il comprend trois cent cinquante pages de bande dessinée. Lucas Harari est également l’auteur de L’Aimant (2017) et La dernière rose de l’été (2020). Une photographie prise depuis une chambre à l’étage du pavillon : le père avec son fils d’une demi-douzaine d’années dans les bras en contrebas dans le jardin. Ce cadre est accroché au mur, à côté d’un meuble à rayonnage rempli de livres. Celui-ci est situé dans un angle, avec une fenêtre de part et d’autre. Sur le manteau de cheminée se trouvent une menora, un Rubik’s cube, une balle de baseball et deux autres bibelots. Sur la table de travail, un appareil photographique avec quelques bandes de négatifs. De la vaisselle sale dans l’évier, une platine de disques, un ordinateur avec, à côté, une assiette contenant un maigre relief de repas et une fourchette. David Zimmerman vient de finir de prendre sa douche, il essuie la buée sur le miroir, et se regarde, l’œil terne. Ici vit David Zimmerman, trente-quatre ans, photographe. Soudain, il sursaute, une grande silhouette habillée est apparue dans le miroir. C’est Harry Faugier, son meilleur mai, trente-six ans, peintre, qui a pris grand plaisir à lui faire peur. David le rabroue trouvant la blague de mauvais goût. Harry prend la bouteille de vodka dans le frigo et se sert un verre, en lui souhaitant : Lehaïm ! Il demande à son ami de se presser, ils vont être à la bourre. En attendant, il regarde les négatifs : le visage d’une jeune femme. Il demande à David si la jeune femme savait qu’il la prenait en photo. Puis il le complimente de manière ironique sur ses nouvelles chaussures. Ils sortent. David et Harry se rendent à une soirée du nouvel an. Ils passent devant un sans domicile fixe assis par terre, et David lui donne une pièce. Ils remontent une avenue dans un quartier asiatique, jusqu’au métro. Pendant le trajet, ils papotent de tout et de rien : le progrès technique déprimant, la bouteille à acheter, le fait que David devrait porter des cravates. Ils arrivent au pied de l’immeuble et se rendent compte qu’ils n’ont pas le code. David appelle Alice pur qu’elle le lui donne. Ils montent au dernier étage pour accéder à un loft qui sert d’atelier au père d’Alexandre. Une fois à l’intérieur de la pièce aux grandes dimensions, bondée d’invités, ils croisent Judicaëlle que Harry salue, pendant que David va voir plus loin. Il retrouve Alice qu’il salue, et il lui fait remarquer qu’elle s’est coupé les cheveux. Harry les rejoint et il emprunte le portable de David pour passer une commande. Alice a apporté le cadeau de Noël de David, offert par la mère de celle-ci qui ne sait pas encore qu’ils se sont séparés. Un peu plus tard, Harry a été livré et il propose un cachet à l’un et l’autre, qui l’avalent. Un épais volume, une lecture facile grâce à des dessins propres sur eux, de nature réaliste et descriptive, un peu simplifiés, avec des nuances plus sombres pour figurer l’ombre portée sur quelques surfaces. Le lecteur se rend compte qu’il tourne les pages assez rapidement, ne prenant pas forcément le temps de regarder chaque élément visuel, emporté par la compréhension immédiate de chaque case, par le flux régulier et doux de la narration. Il ne s’attarde pas trop sur la question qui ouvre le récit : Que peut-on deviner de quelqu’un par la seule observation de son appartement ? Dans le même temps, il voit bien que les deux premières planches montrent l’appartement de David, et il se demande si les auteurs mettent en doute ses capacités intellectuelles : oui, bon, d’accord, il faut qu’il regarde chaque endroit de l’appartement pour se faire une idée de qui est David Zimmerman. D’accord, il faut qu’il prête attention au visage sur le négatif. D’accord, le modèle de la nouvelle paire de chaussures de David doit être important. Visiblement les auteurs sont adeptes du principe dramaturgique de loi de conservation des détails, aussi appelée fusil de Tchekhov. Le lecteur doit faire une note mentale de chaque détail sortant de l’ordinaire sur lequel les auteurs attirent son attention, parce qu’il sera amené à jouer un rôle dans une scène ultérieure. Ça ne rate pas : David sera reconnu dans une scène d’émeute grâce à ses chaussures, l’emprunt de son téléphone par Harry va amener une visite de cet ami, etc. Bon, d’accord, le lecteur fait attention à ces détails mis en avant par les auteurs, mais quand même il aurait pu le faire tout seul sans qu’ils soient ainsi pointés du doigt, comme s’il allait passer à côté… Sauf que le lecteur vient de se faire manipuler en beauté, ou en tout cas les auteurs se révèlent être d’élégants prestidigitateurs maîtrisant l’art de la diversion et de l’indice secret affiché au premier plan. D’un côté, le lecteur se fait des films dans sa tête avec un élément dont il suppute qu’il va jouer un rôle primordial par la suite, alors qu’il n’en sera rien. Ou bien il passe à côté d’un autre objet qu’il écarte comme purement décoratif, parce que trop éloigné de l’intrigue ou des situations précédentes. Alors, oui, la bouteille de vodka revient par la suite, toutefois la nature de l’alcool ne revêt pas d’importance particulière. Bon d’accord, le patronyme du personnage principal le qualifie comme juif, ce qui lui vaut d’être embauché pour réaliser les photographies d’un mariage de cette confession, une sorte de service rendu pour un autre. Et puis le lecteur oublie cette caractéristique… Du coup, il se dit que le discours de Gaby, la mère de David, plus de cent-cinquante pages plus loin, sort de nulle part. et il se souvient alors de la menora présente dans la première planche, au centre d’une case. Il s’installe ainsi une dimension ludique, le lecteur ayant conscience que les auteurs jouent avec lui, en lui faisant comprendre qu’ils jouent avec lui. Quoi qu’il en soit, le plaisir de lecture est présent dès le début, avec cette promesse vite concrétisée d’une situation extraordinaire, riche de possibilité : David Zimmerman se réveille chez lui le premier janvier dans le corps d’une femme qu’il ne connaît pas, et sans souvenir de ce qu’il lui est arrivé. Le récit s’inscrit ainsi dans une forme de merveilleux fantastique, de conte. Le ton de la narration reste dans une forme de plausibilité concrète : pas d’humour graveleux sur la situation, mais un personnage principal désemparé, ne sachant pas comment réagir, se rendant compte qu’il lui sera impossible d’être cru par qui que ce soit. Le lecteur comprend qu’il va lui falloir un moment pour que David admette la situation. Il sent une forme d’impatience liée à l’anticipation, le désir de savoir ce qui va se passer, ce qui l’incite à conserver un rythme de lecture soutenu. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte que cela crée une forme de dissonance en lui : les dessins continuent de conserver une densité appréciable d’informations visuelles dans chaque case. Au point qu’arrive un moment où il se dit qu’il devrait consacrer plus de temps à la lecture des images, ralentir son rythme. Chaque action s’inscrit dans un environnement bien spécifique. Déjà, les auteurs lui avaient dit explicitement de prêter attention à l’aménagement de l’appartement, dès la première planche. Ensuite, David Zimmerman habite à Paris : il est possible d’identifier certains quartiers comme le quartier asiatique, la rame de métro typiquement parisienne sur une ligne automatisée, les toitures en zinc, l’avenue de France, le boulevard Vincent Auriol au niveau de la station quai de la Gare, la rue de Belleville, le parc des Buttes-Chaumont, la gare de l’Est, la place de la Bastille et la colonne de Juillet avec le génie de la Liberté à son sommet, etc. Le lecteur peut également relever quelques inscriptions sur les murs comme Free Gaza, ou Plus jamais silencieuse. Il se rend compte que les environnements dans lesquels évoluent les personnages ont une incidence sur leur mode de vie, sur leurs activités, sur leurs déplacements. Cela devient patent quand David sort de Paris pour se rendre en proche ou moyenne banlieue, l’ambiance devient alors fort différente. Du coup, cela a pour effet de ramener le lecteur aux dessins, de consacrer un peu plus de temps à leur lecture. Il se produit un phénomène analogue avec le récit lui-même : il se laisse bercer dans un rythme agréable et facile, l’histoire de cet homme qui se retrouve perdu, sans savoir comment s’y prendre, tout en conservant l’objectif de retrouver son corps d’homme. Les séquences se suivent, accessibles, avec des enjeux très relatifs, des échanges très ordinaires entre les personnages. Et puis David retrouve Rachel Bluemen, cette jeune femme, serveuse au mariage juif qu’il avait photographiée. Le récit semble alors prendre une direction plus affirmée, l’attention de David se trouvant plus focalisée, et ses recherches devenant plus structurées, grâce à l’aide de Samia Hamza-Chauvet. Et tout s’achemine vers un dénouement en huit pages silencieuses, étrangement insatisfaisant et plat. À ceci près que les auteurs n’ont pas promis un thriller avec une chute révélatrice pétrie de justice immanente : le rythme de lecture relève plus du roman naturaliste avec une touche de fantastique, cet échange de corps inexpliqué. Le lecteur relève bien le développement succinct de quelques thèmes en passant : le trouble de l’identité à l’évidence (et pas seulement sexuelle), la forme de solitude typiquement parisienne, les souvenirs qui font un individu et la limite de l’identité, l’altérité irréductible, le lien familial (par exemple entre mère et fils), l’étrangeté effrayante de l’autre (le cas de Christophe Karo et de sa relation avec sa sœur Sophie). Et le judaïsme. Page 204, Gaby, la mère de David, discute avec Samia pour lui expliquer l’origine du mot Hébreu. Cela fait sens dans le contexte, tout en surprenant un peu comme sujet de conversation. Elle explique qu’au départ, le mot Hébreu, ça veut dire Passer, Traverser… parce que c’était le peuple qui venait de l’autre côté du fleuve Jourdain. Donc, ce sont ceux d’en face : les autres. À l’origine, il s’agit sans doute d’un terme exogène mais par la suite les Hébreux l’ont aussi adopté. Ils se sont désignés eux-mêmes comme Ceux d’en face, Ceux qui viennent de l’autre côté. C’est très profond parce que ça induit que le Juif lui-même se définit comme un autre, qu’il porte son altérité en lui. Or ce récit parle exactement de ça : David est passé de l’autre côté (en devenant une femme), il est devenu autre, un étranger pour ses amis et sa famille, son propre corps lui est étranger, et il est un étranger dans ce corps. Ce dispositif narratif le place dans une situation où il porte littéralement son altérité en lui. Une couverture des plus cryptiques, qui ne dit pas grand-chose : juste la silhouette d’un profil en ombre chinoise. Un récit qui commence par un événement fantastique : le personnage principal, un homme, se réveille dans le corps d’une femme. Une narration facile et fluide, grâce à des dessins très accessibles, et des scènes assez brèves très linéaires. Des auteurs qui jouent avec l’anticipation du lecteur et qui lui font savoir qu’ils jouent à ça. Un lecteur mis en confiance, sûr de lui car il a bien identifié ce dispositif. Une enquête prosaïque pour retrouver son corps originel, et quelques rencontres. Une mise en scène de l’altérité très pragmatique et factuelle, charriant des questionnements fondamentaux sur l’identité et la capacité d’adaptation. Troublant et fascinant.
Le Grand Pouvoir du Chninkel
J'avais trouvé cette BD sur une braderie à l'époque sans savoir à quoi m'attendre. Appréciant l'heroïc fantasy sans autant en être un fan inconditionnel.. Je suis resté subjugué par cette histoire. De son trait jusqu'à la trame, cet anti héro attachant, l'ambiance apocalyptique, l'alliance et la trahison.. Franchement, quelque chose de grand !
Le Grand Pouvoir du Chninkel
Qu'on se rassure, je ne serai pas long car tout à déjà été dit sur le Chninkel. Le Chninkel, que j'ai lu jeune ado, m'a littéralement transporté. J'aimais ce personnage tout à fait insignifiant qui se retrouve embarqué dans une aventure qui le dépasse. C'est basique, solide, et ça évolue dans un univers bien ancré. Les références à Tolkien, que j'ai découvert plus tard, sont nombreuses (et Van Hamme lui-même ne le cachait pas), tout comme les références bibliques. Le mélange est réussi, la sauce prend vite, tout cela agrémenté du puissant dessin de Rosinski. Oui, je crois qu'on peut raisonnablement qualifier cette BD de Culte !
Gaston Lagaffe
Gaston Lagaffe, c'est mon héros. Gamin déjà, j'aimais bien, mais à ce moment-là, j'étais totalement incapable de comprendre pourquoi ce personnage me plaisait. Aujourd'hui, je suis un cinquantenaire (fringant !), et je sais. Gaston est inutile, inefficace, lent, incompétent. Il contient en lui toutes ces qualités de résilience ! GASTON PRESIDENT !
Musée
Est-ce si important de savoir pourquoi ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il fait partie de la collection développée avec le musée d’Orsay. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Christophe Chabouté, pour le scénario et les dessins. Il comprend cent-quatre-vingt-six pages de bande dessinée en noir & blanc. Au musée d’Orsay, une jeune fille avec des couettes lève la tête pour contempler une œuvre. Un monsieur ridé baisse ses lunettes pour mieux en voir une autre. Un couple de jeunes en regarde une autre sans rien laisser transparaître sur le visage. Un monsieur d’une trentaine d’années avec une veste, un foulard, une chevelure hirsute et une barbe se frotte le menton en regardant une œuvre. Une dame ridée, écharpe au cou se penche de côté pour mieux voir un détail. Un autre barbu en regarde une de très près, les sourcils froncés, le regard sévère. Un autre en costume et cravate noire a pris un peu de recul, les bras croisés. Puis en viennent encore une vingtaine d’autres, chacun avec leur attitude et leur posture, exprimant une part de leur personnalité, de leur comportement face à une œuvre d’art. Ils contemplent, qui l’autoportrait de Vincent van Gogh, qui le Chanteur florentin du XVe siècle de Paul Dubois, Anacréon d’Eugène Guillaume, Sapho de James Pradier, La pensée d’Aristide Maillol, La source de Jean-Auguste-Dominique Ingres, etc. Le flux incessant des visiteurs, des curieux de toute nature se déroule durant toute la journée. La grande horloge marque le temps et arrive six heures. Les couloirs et la grande galerie se vident progressivement. Les gardiens procèdent à la fermeture des portes. Le musée retrouve son calme, vide de toute présence humaine. Dehors la Seine coule paisiblement et sans bruit alors que la nuit commence à tomber et que les ténèbres commencent à envahir le musée d’Orsay. À l’intérieur du musée il ne subsiste que les éclairages de sécurité, et quelques rais de lumière provenant de l’éclairage public ou de la Lune. Passé une heure du matin, dans ce grand calme, une silhouette passe dans un couloir, un tableau sous le bras. Vers une heure et quart, les ombres se sont quelque peu modifiées, toujours pas âme qui vive. Sans prévenir, un chien traverse une large allée, en silence. Une heure vingt-cinq, dehors un homme passe, promenant son chien en laisse. Le soleil se lève progressivement. Un oiseau quitte son perchoir sur l’une des cornes du Rhinocéros d’Henri-Alfred Jacquemart. Les visiteurs commencent à arriver pour entrer. Le musée d’Orsay ouvre ses portes, les uns et les autres reforment le ballet incessant devant les œuvres. Un regard se fixe plus particulièrement sur les mollets et les chaussures, établissant un panorama qui passe d’un pantalon avec des chaussures de ville, à un pantacourt avec chaussures souples, un bermuda avec des baskets, un short avec des chaussettes montant à mi-mollet, un pantalon à pois avec des chaussures de marche, un autre short et des chaussettes arrivant sous le genou, des escarpins et une robe descendant sous le genou, etc. Voici une bande dessinée estampillée Musée d’Orsay, qui présente la particularité d’être publiée par un autre éditeur que Futuropolis, ce dernier semblant avoir développé un partenariat avec cet établissement et publié plusieurs œuvres comme Les Variations d'Orsay (2015) de Manuele Fior, L'Art d'en bas au musée d'Orsay: La fantastique collection Hippolyte de L'Apnée (2016) de Plonk & Replonk, Les Disparues d'Orsay (2017) de Stéphane Levallois, Moderne Olympia (2020) de Catherine Meurisse. Sa seconde particularité réside dans le nombre élevé de pages muettes : 114 pages dépourvues de tout mot, et soixante-douze avec des dialogues. Sa troisième caractéristique apparaît sous deux points de vue. Pour commencer, les premières pages présentent les visiteurs et leur comportement face aux œuvres d’art. Quand celles-ci commencent à être représenter dans les cases, elles ne sont pas nommées. En fonction de sa culture en la matière et de sa familiarité avec le musée d’Orsay, le ressenti du lecteur peut osciller entre la curiosité et la frustration, selon qu’il les identifie plus ou moins facilement. Il peut reconnaître Héraklès archer (1909) du sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1929), l’Ours blanc (1922), de François Pompon (1855-1933), la Source (1820-56) de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867). En fonction de sa curiosité, il peut se renseigner plus avant et trouver les références pour les Coquelicots (1873) de Claude Monet (1840-1926), les Raboteurs de parquet (1875) de Gustave Caillebotte (1848-1894), Autoportrait (1879) de Vincent Van Gogh (1853-1890), Rhinocéros (1878) de Henri-Alfred Jacquemart (1824-1896), Méditerranée, dite aussi La Pensée (1923-1927) d’Aristide Maillol (1861-1944), les trente-six bustes des célébrités du Juste Milieu (1832-35) d’Honoré Daumier (1808-1879), l'Olympia (1863) d’Édouard Manet (1832-1883), l’Origine du Monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877), le Fifre (1866) d’Édouard Manet (1832-1883), L’asperge (1880) d’Édouard Manet (1832-1883), etc. Sur le moment, ou après coup avec des recherches, le lecteur reste impressionné par la capacité de l’artiste à reproduire l’apparence de ces œuvres d’art, qu’il s’agisse de sculptures ou de peintures. Au fil des pages silencieuses, parfois en plan fixe, il ressort également très impressionné par la représentation des différentes zones du musée d’Orsay. À la lecture, les images en noir & blanc apparaissent simples et évidentes, descriptives avec un degré de simplification pour conserver une lecture immédiate. Alors que la prise de vue prend un peu de recul, le lecteur identifie la grande galerie avec ses marches, ses statues sur stèle, ses poutrelles et ses verrières. Il reconnaît de nombreuses œuvres, avec encore Les Quatre Parties du monde soutenant la sphère céleste (1872) de Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875). Dès la page douze, il peut voir l’horloge monumentale de cette galerie, la façade vue depuis la Seine, les grandes baies vitrées et leurs poutrelles métalliques, le dallage et les murs de pierre, les luminaires caractéristiques, l’esplanade d’accès avec le Rhinocéros, les galeries secondaires qui courent de part et d’autre du bâtiment, les galeries de l’étage, avec la grande horloge de façade et sa verrière permettant de voir à l’extérieur, sans oublier les toilettes avec leurs cuvettes, leurs distributeurs de papier et les sèche-mains (des éléments essentiels de l’intrigue). Le lecteur observe que l’artiste restitue à merveille les grandes lignes structurantes de chaque zone, ce qui fait d’autant mieux ressortir leur architecture et les aménagements, configurations spécifiques qui marquent durablement l’esprit du visiteur. L’ouvrage s’ouvre avec une séquence dont les trois premières pages se focalisent sur les visiteurs. Le lecteur peut ainsi observer la posture et l’expression de visage de trente individus différents. Cette expérience est renouvelée à plusieurs reprises au cours du récit ; en se focalisant sur les tibias et les pieds en pages vingt-six et vingt-sept, puis en plan fixe pour restituer le passage de plusieurs visiteurs, puis en s’attachant à des couples pour un effet de contraste entre la réaction de l’un et celle de l’autre, puis au travers de dialogue d’une mère avec sa fille, d’une femme avec son compagnon (il croit qu’elle parle des peintures alors qu’elle parle des cadres), avec un groupe d’adolescents (sur leur portable) avec leur professeur, avec l’attitude d’une petite fille portant son nounours dans les bras et arrêtée devant la sculpture l’Ours blanc, etc. Le lecteur se retrouve fasciné d’observer ainsi les curieux, constatant qu’ils sont animés par des envies différentes. Il est à la fois épaté par la capacité de l’artiste à saisir une expression, un geste, à la fois déstabilisé par la sensation de se regarder lui-même quand il s’arrête devant une œuvre d’art au musée. Il se doute qu’il voit les visiteurs par les yeux des personnages peints ou sculptés. La nuit tout se transforme, et les êtres des œuvres d’art s’animent, prennent vie. L’Ours Blanc déambule silencieusement et majestueusement dans les grands couloirs, des couples se forment entre sculptures descendues de leur piédestal, d’autres se détestent cordialement, certains se regroupent pour observer l’extérieur depuis la grande baie vitrée de l’horloge, et Héraklès se rend dans les toilettes pour comprendre l’utilité des cuvettes, de la chasse d’eau, du distributeur de papier et des sèche-mains. L’auteur joue à la fois avec le décalage temporel et culturel de certaines œuvres qui se retrouvent dans une époque hors de portée de leur compréhension, et avec leur curiosité, leurs émotions et leurs caractéristiques physiques (les pauvres trente-six bustes des célébrités du Juste Milieu qui sont coincés sur leur socle sans pouvoir bouger). Il émane une forme de poésie dans la réaction et l’adaptation des uns et des autres à cet environnement étrange et incompréhensible, à leurs interrogations sur le comportement des personnes qu’ils voient défiler toute la journée pour les regarder, et sur celui du personnel du musée. Les personnages de ces œuvres d’art observent les visiteurs et s’interrogent sur eux, devenant le reflet de leur comportement. Pas facile de réaliser une œuvre de fiction sur une collection d’œuvres d’art et le musée qui les accueille, sans tomber dans un passage en revue de type catalogue d’une exposition. Chabouté a réalisé une histoire qui rend aussi bien hommage au musée d’Orsay et à son architecture, qu’à ses collections, avec un dispositif narratif original. Il privilégie la démarche de montrer, sans mots, plutôt que d’expliquer ou d’exposer. Le résultat génère un processus de double identification chez le lecteur : avec les visiteurs qui regardent, avec les œuvres d’art elles-mêmes qui disposent de leur point de vue sur lesdits visiteurs. Singulier : une visite originale et inoubliable.
Hercule (Soleil)
Une belle transposition dans le futur d'une ancienne histoire grecque. Des dessins extrêmement soignés alliant le high tech et la tradition. Je les relis régulièrement, dommage que la série soit arrêtée. Par Hera, les dieux en répondront.
La Terre verte
De manière assez inédite, c'est la tranche de cette énÔrme BD (donc en grand partie son titre) qui a attiré mon attention. Ma main l'a agrippée pour découvrir les noms (désormais illustres) de leurs auteurs. Je n'ai même pas réfléchi, je suis reparti avec sous le bras. Et bien m'en a pris puisque ce copieux menu n'était pas qu'une promesse en l'air. Le dessin de Tanquerelle est très maitrisé, ce n'est plus tellement sujet à discussion. Ici, il est à la hauteur de cette saga nordique hallucinée. Ayant lu la version en noir et blanc (celle en couleur, d'après les photos, a l'air absolument splendide, au point que j'envisage son acquisition), j'ai eu mainte fois l'occasion de le constater. D'abord sa grande lisibilité fait que jamais on ne confond les personnages (et il y en a un bon paquet) malgré leur aspect hirsute. Leurs expressions ne prêtent jamais à confusion. Tout le lexique graphique émotionnel là encore est immédiatement appréhendé. Tanquerelle représente en outre tous les détails nécessaires, ceux qui agrémentent et offrent le petit plus afin de mettre dans l'ambiance. En outre, il sait se montrer plus stylisé dans la représentation des paysages, plus généralement des fonds de scène, ce qui ne surcharge pas les cases. Le lecteur est concentré sur ce qu'il y a à voir et n'est jamais perdu. Bon, c'est vrai que l'histoire se déroulant au Groenland, constitué exclusivement de montagnes et surtout de neige, le paysage laisse une grande place à la stylisation, mais quand même ! A côté de ça, les scènes obscures, entendez dans l'obscurité, font la part belle à l'esquisse remarquable de notre illustrateur. Tout ça est très très chouette. On sent une quantité de travail derrière tout ça que la qualité ne trahit nullement. L'autre gros morceau, c'est bien entendu le scénario. Il suffit de voir trôner le pavé dans l'étagère d'une librairie pour s'en convaincre : La Terre Verte promet d'embarquer son lecteur vers des sommets d'aventure. Pari tenu ! Le lecteur en prend une dose copieuse et termine largement rassasié. J'ai adoré cette histoire sur laquelle je ne m'attarderai pas, préférant laisser le plaisir de la découverte, mais Paul le Poulpe (qui voit effectivement l'avenir) en a très bien causé. C'est dense, crédible au point qu'on se demande tout au long de la lecture s'il s'agit d'une histoire vraie. Il y a de la politique, de l'ethno, de la socio, de la psychoschtroumpf, et bien d'aitres choses encore dedans. Nourrissant que je vous dis ! Admirable ! La Terre Verte manque de peu son coup de cœur en raison de ses dialogues parfois un peu verbeux, voire baroque. En effet, s'il sont parfaitement dans le ton de l'époque représentée, il arrive qu'ils insistent sur tel ou tel aspect d'une situation, au risque d'alourdir un peu le reste et d'encombrer la case. Oui, quelques petites lourdeurs de ce côté. Mais je pinaille. Cette BD figurera dans mon top 20 de l'année, c'est évident !