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Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Chute de la Maison Usher (Corben)
La Chute de la Maison Usher (Corben)

Une excellente adaptation, pleine de caractère - En 1986, Richard Corben réalise une adaptation de La chute de la Maison Usher, d'Edgar Allan Poe (nouvelle publiée en 1839), contenue dans ce tome, avec deux autres histoires courtes, à savoir une adaptation de The raven (un poème de Poe, paru en 1845, l'adaptation de Corben date de 1974) et Shadow - a parable (un court texte de Poe daté de 1850, l'adaptation de Corben date de 1975). Toutes les histoires sont en couleurs. La chute de la Maison Usher (26 pages) - Il s'agit d'une adaptation, dans la mesure où Corben a réarrangé plusieurs séquences. Edgar Arnold, un gentilhomme à cheval, traverse une zone naturelle désolée, où la végétation a dépéri. Il remarque le squelette d'un cheval dans le sol. Il arrive en vue d'une imposante demeure isolée de tout et son cheval chute et se noie dans une étendue d'eau. Il arrive trempé dans le hall de la maison des Usher où il s'évanouit à la vue de cercueils vermoulus et de cadavres décomposés. Lorsqu'il reprend connaissance, il est allongé sur un divan, et Roderick Usher (son hôte) est en train de lui parler. Tout au long de sa carrière, Richard Corben aura adapté des histoires d'Edgar Allan Poe (parfois plusieurs fois la même, c'est le cas pour le poème Le corbeau). Dans les années 2000, il a consacré un recueil à une nouvelle série d'adaptation : Haunt of horror - Edgar Allan Poe (en français L'antre de l'horreur). Ici il s'agit d'une adaptation réalisée entièrement par ses soins (sans l'aide d'un scénariste comme Chris Margopoulos), et en couleurs. Corben a transposé l'histoire de Poe en y incorporant ses propres obsessions. Le premier signe d'une adaptation est qu'il donne un nom au narrateur (Edgar Arnold), alors que dans la nouvelle il reste anonyme. Le deuxième signe d'une adaptation est le rôle plus important de Madeline, la sœur de Roderick, avec des scènes déshabillées (nudité frontale, sauf pour le sexe de la dame, avec hypertrophie mammaire chère à Corben). L'avantage de ce mode de transposition est que le lecteur a l'impression de lire une histoire en bandes dessinées, plutôt qu'un charcutage du texte originel illustré par des images accolées pour une narration séquentielle plus ou moins heurtée. La contrepartie est bien sûr que le lecteur ne retrouvera pas exactement l'atmosphère de la nouvelle, encore moins les saveurs de l'écriture d'Edgar Allan Poe. Si l'histoire ne présente que peu de surprises pour quelqu'un connaissant déjà l'original de Poe, elle est très savoureuse, car il est visible que Corben a passé du temps sur ses planches et s'est bien amusé. Dès la première page, il est possible de reconnaître son style caractéristique (un mélange de réalisme pour les personnages et les vêtements, et d'exagération simplifiée pour une partie des décors) dans le contraste entre la végétation désolée et le regard affolé de la monture d'Arnold. Les pages 2 & 3 offrent une composition conçue à l'échelle de la double page, où il est possible de suivre le déplacement du personnage d'une page à l'autre, ainsi que la première vue de la Maison Usher (une photographie retouchée à la main), puis dans la case du bas s'étalant sur les deux pages, la distance séparant le cavalier de son but. La page d'après est constituée d'un premier plan fixe en quatre cases montrant Arnold s'approchant de la Maison, puis d'un traveling avant en cinq cases de la largeur de la page vers la Maison, pendant que les onomatopées du bruitage laissent deviner la chute du cheval dans l'étendue d'eau. Tout au long de cette histoire, Corben va jouer avec la mise en page à l'échelle de chaque planche, pour des découpages de séquence aussi rigoureux qu'intelligents et efficaces. Corben travaille également sur la composition de plusieurs cases pour qu'elles offrent un spectacle saisissant. Au fil des pages, le lecteur pourra se régaler du premier degré (et parfois du second degré) d'un visage à la chair putréfiée suite à son séjour sous terre puis dans l'eau putride, d'un brouillard épais pourpre se déversant par l'interstice de la porte ouverte dans la chambre d'Arnold, d'Usher et Arnold s'ennuyant ferme le soir à la veillée, des murs suintant une humeur fétide dans les sous-sols de la Maison, d'une vue du ciel de la Maison entourée d'eau, etc. En fait chaque page recèle plusieurs trouvailles graphiques aussi bien en termes de mise en page, que de dessins suscitant l'effroi ou un sourire soit jaune, soit moqueur. Richard Corben s'approprie l'histoire d'Edgar Allan Poe pour y greffer ses obsessions (humour noir et macabre, et sensualité déviante), avec des visuels inventifs et maitrisés. Il réalise lui-même ses couleurs un peu moins exubérantes que d'habitude, mais très efficaces pour installer l'ambiance de chaque scène. Il s'agit d'une histoire à placer parmi les réussites exceptionnelles de Richard Corben. - The Raven (Le corbeau, 8 pages) - Un homme est assis dans son fauteuil, dans une maison isolée. Il est en train de lire quand il entend du bruit à la porte, mais il n'y a personne. Peu de temps après, il entend du bruit à la fenêtre qu'il ouvre, et un corbeau en profite pour pénétrer dans la pièce et se percher sur un buste de Pallas. Alors que l'homme se met à parler à haute voix, le corbeau répond à chaque fois : Plus jamais (Nevermore). Il s'agit d'un poème de dix-huit strophes de cinq vers chacune, qui a rendu Poe célèbre et qui a bénéficié de nombreuses adaptations y compris au cinéma (une version de Roger Corman). À moins de reprendre les vers du poème, il est impossible de transcrire l'effet qu'ils produisent sur le lecteur. Corben se lance donc dans une adaptation de l'histoire mettant en scène de manière littérale le narrateur, sa confrontation avec le corbeau et l'image de sa défunte bien-aimée. Si vous n'avez jamais lu ce poème, cela vous donnera une idée de son argument, mais pas de l'intensité de la confrontation de sentiments contradictoires dans la psyché du narrateur. Si vous avez déjà lu ce poème, il apparaîtra que cette transposition souffre de sa forme littérale et qu'elle n'apporte rien à l'original. Même Corben semble être en mal d'inspiration pour transcrire les tourments intérieurs du narrateur sous forme visuelle, et son déchirement entre faire son deuil et garder le souvenir d'Elenore. J'ai de loin préféré la deuxième adaptation qu'il en a faite dans Haunt of horror. - The shadow (L'ombre, 8 pages) - Dans la Grèce antique, un groupe de sept personnes est en train de s'adonner à des libations, dans une pièce barricadée, où repose un mort. Bientôt une ombre s'insinue dans la pièce, et dans l'esprit des convives. Corben adapte cette fois-ci un court texte (soixante-cinq lignes, 981 mots) et il en tire la substantifique moelle pour transcrire l'ambiance mortifère qui s'en dégage. Au travers d'images assez simples, le lecteur se sent envahi par cette atmosphère délétère et cet état d'esprit accablé par l'horreur de la situation à l'extérieur de la pièce. Même si les sept convives sont bodybuildés, le jeu des acteurs et les images conçues par Corben transmettent au lecteur le caractère débilitant et morbide de la situation.

17/10/2024 (modifier)
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Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Magritte - Ceci n'est pas une biographie
Magritte - Ceci n'est pas une biographie

Peindre le réel équivaut à le penser par l’image, une trahison féconde. - Cet ouvrage porte sur René Magritte (1898-1967) peintre surréaliste belge, et son œuvre, mais, comme l’indique le titre, ce n’est pas une biographie. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Vincent Zabus pour le scénario et par Thomas Campi pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Un chapeau melon ! Qui eut cru qu’un jour, lui, Charles Singulier, il s’abandonnerait à la fantaisie d’acheter une futilité de ce genre. Et avec plaisir, qui plus est. Et il ose même le porter. Quelle extravagance ! il faut dire que la perspective d’être officiellement promu ce lundi a de quoi griser le plus imperturbable des hommes. Comme quoi, vingt ans de travail sérieux ont plus de valeur que le fayotage auquel se sont livrés nombre de ses collègues. Midi. Dans 24 heures, il sera un homme nouveau. Il faut qu’il se calme. Et qu’il enlève ce foutu chapeau. Un peu d’air lui fera du bien. Au fil de ses pensées, il a traversé le marché en plein air, puis remonté sa rue jusqu’à la porte d’entrée de son appartement. Il rentre à l’intérieur passe devant et regarde le miroir de l’entrée qui, étrangement, reflète son dos. Il s’approche de la fenêtre à guillotine. Elle est bloquée et à force de tirer pour la soulever le verre se brise. Il regarde son image fracturée sur les morceaux de verre par terre. L’image de Fantômas apparaît sur son écran de téléviseur et il s’adresse à Charles : c’est à cause lui, Magritte, car Charles n’aurait pas dû mettre son chapeau. Maintenant ça ne va plus s’arrêter. Charles Singulier a du mal à comprendre. L’avatar de Fantômas continue : ils sont ici pour informer Charles de l’objet de sa mission. Charles se retourne : une géante nue se tient dernière lui. Elle lui indique qu’il doit percer le mystère de Magritte. Fantômas lui dit qu’il a été choisi, à cause du chapeau qui était le sien. La femme ajoute : en le portant, il est entré dans son monde, maintenant il doit en saisir les secrets, sinon… Fantômas complète : sinon son chapeau restera à jamais vissé sur sa tête. Tant que Charles n’aura pas accompli sa mission, il portera le chapeau. Il essaye en vain de retirer le chapeau melon, sans succès. Il débranche sa télévision pour faire disparaître Fantômas, sans succès. L’image de dos de Charles, identique à celle du miroir, apparaît ensuite sur ledit écran. Il se retourne et découvre un petit carton sur sa table basse : au recto figure le nom de Fantômas, et au verso Le cinéma bleu, 13h. Il se rend à pied, à cette invitation. Une jolie jeune femme évoque le peintre. Magritte a toujours adoré les films de Fantômas qu’il allait voir adolescent au Cinéma Bleu de Charleroi. Avec les nouvelles d’Edgar Poe, Fantômas fait partie des œuvres fondatrices qui le marquent durablement. Le refus de l’ordre établi revendiqué par le roi des voleurs plaisait au peintre. De même, le changement d’identité de Fantômas ne pouvait que séduire Magritte, lui qui n’aura de cesse d’étonner en affichant une personnalité changeante suivant les époques. La conférence est terminée, les spectateurs se rendent dans les salles de l’exposition pour admirer les tableaux du peintre. Ceci n’est pas une biographie : un bel avertissement en guise de sous-titre, ainsi qu’un écho de la phrase figurant sur le tableau La trahison des images (1928/1929). Le lecteur suit un personnage sur lequel il n’apprend quasiment rien. Les dessins montrent que Charles Singulier est un homme blanc, habitant à Bruxelles, mince et d’une grande taille, habillé en costume avec une cravate, portant le chapeau melon de René Magritte, une apparence évoquant un pâle reflet du peintre, une version affadie. Il doit accomplir une mission bien vague : percer le mystère de l’artiste. Le lecteur se dit qu’il peut y voir une incarnation littérale de la démarche des auteurs : à défaut de percer ledit mystère, charge à eux de le présenter, de le mettre en scène, de donner à voir ce mystère sous différents angles pour en présenter différentes facettes… Et peut-être donner quelques clés de compréhension, quelques faits et quelques circonstances présentant pour partie le contexte dans lequel René Magritte a grandi et a produit ses œuvres. Cette bande dessinée n’est pas une biographie dans le sens où elle ne retrace pas la vie et l’œuvre de René Magritte dans l’ordre chronologique, avec une ambition d’exhaustivité quant aux circonstances ayant engendré un artiste aussi singulier, pour reprendre l’adjectif servant de patronyme au personnage principal. Dès la première page, le lecteur se sent confortablement installé dans une narration visuelle très sympathique : des couleurs douces pour le marché avec un savant dosage entre éléments représentés avec précision, et formes donnant plus dans l’impression produite. Le premier contact avec le personnage principal s’effectue à la fois avec les courtes cellules de texte établissant la situation en une douzaine de phrases sur deux pages, et c’est parti pour la mission. Charles Singulier ne paye pas de mine, un monsieur anonyme, assez pour que le lecteur puisse s’y reconnaître sans effort, assez particulier pour ne pas faire mentir son patronyme. En page cinq, le lecteur comprend facilement que les morceaux de verre reflétant une image brisée de Charles et l’apparition de Fantômas à l’identique de l’affiche du premier film (1913) réalisé par Louis Feuillade donnent des indications sur la manière dont le personnage perçoit la peinture de René Magritte, et donc par voie de conséquence de la manière dont les auteurs vont la présenter. Le coup du chapeau inamovible relève du surréalisme, tout en constituant également un phénomène d’empreinte de l’œuvre de Magritte sur Charles Singulier. L’esprit de l’artiste l’a touché, a laissé une marque sur lui et il ne pourra s’en défaire qu’en s’y intéressant, c’est-à-dire littéralement en accomplissant la mission que lui confie cet avatar de Fantômas. La suite de la narration visuelle se situe dans le registre de la première séquence. Le dessinateur continue d’utiliser des couleurs douces, une palette évoquant celle de René Magritte. Un mode de représentation sans trait de contour, en couleur directe, comme les tableaux de Magritte. D’ailleurs, il est amené à réaliser plusieurs reproductions de ses œuvres. Tout d’abord lors d’une visite du musée René Magritte à Bruxelles, de nuit, plusieurs tableaux célèbres : Le modèle rouge, L’invention collective, La clairvoyance, Mal du pays, La magie noire, Condition humaine. Puis quelques-unes éparpillées dans les séquences, en particulier quand les images des cases se décollent pour révéler des œuvres en dessous, comme La lampe du philosophe, Clairvoyance, Perspective du balcon, Le faux miroir, La légende des siècles. Le lecteur observe également que les bédéistes jouent avec les codes de leur support comme Magritte pouvait jouer avec les conventions de la peinture : intégration d’éléments oniriques (la géante nue dans le salon de Singulier, Fantômas apparaissant sur l’écran éteint), de nombreux éléments absurdes, comme les deux chasseurs au bord de la nuit, sans visage), le feuillage des arbres qui est en deux dimensions dans le cimetière, l’irruption d’un train miniature dans le salon de Singulier par la cheminée (évoquant le tableau La durée poignardée), l’utilisation d’un tableau pour en faire un trou dans une porte (La réponse imprévue), le placardage du tableau Georgette Magritte sur les murs de la cité, des mots s’inscrivant sur les images, les grelots qui flottent dans l’air (La voix des airs), le passage d’un plan d’existence à un autre, d’une réalité à une autre, le désordre chronologique, les apparitions et disparitions de la jeune femme et du biographe officiel de l’artiste, etc. La narration visuelle constitue une lecture très accessible et très agréable, tout en se nourrissant des facéties et des rapprochements visuels de René Magritte. Le lecteur se sent vite gagné par ce jeu de citations et d’écho, ainsi que par la dimension ludique de la structure du récit. Effectivement, le scénariste ne se sent pas tenu de respecter le déroulement chronologique de la vie de Magritte, comme le ferait un biographe académique. Pour autant, lors d’une demi-douzaine de passages, il expose des éléments biographiques que ce soit le séjour dans la banlieue parisienne ou les conditions de la mort de Regina Bertinchamps, la mort de l’artiste. Dans le même temps, il ne fait qu’évoquer en passant les réunions du groupe des surréalistes belges, ou les relations de Magritte avec d’André Breton (1896-1966), la valeur marchande de ses tableaux n’apparaissant que lors d’une fugace allusion, l’analyse restant à l’état embryonnaire pour les tableaux et leur modernité par rapport à la production de l’époque. Le rôle de son épouse Georgette n’est que succinctement évoqué et elle-même n’apparaît que d’une bien étrange façon. De temps à autre, un personnage effectue une remarque sur l’artiste ou sur son œuvre. Deux protagonistes différents font observer que Magritte n’aime pas qu’on fouille dans son passé, ce qui vient apporter une explication au fait que les auteurs eux-mêmes ne le fouillent pas beaucoup. Le lecteur relève quelques observations éparses sur l’œuvre. Vingt ans de travail sérieux ont plus de valeur que le fayotage auquel se sont livrés nombre de mes collègues. L’œuvre de Magritte est figurative, mais elle est un attentat permanent contre la représentation. Peindre le réel équivaut à le penser par l’image, une trahison féconde. La vraie vie est toujours un ailleurs qui n’existe pas. La peinture n’agit pas comme un miroir passif de la réalité, elle la métamorphose. On ne fume pas dans une pipe peinte. L’œil du peintre est un faux miroir. Tout objet en cache un autre. Magritte déteste la psychologie. Elle essaie d’expliquer le mystère, tout le contraire de sa démarche. Ceci n’est pas une biographie : en effet, cette promesse est tenue. L’artiste réalise une narration visuelle en osmose avec la peinture de René Magritte, ce qui permet d’intégrer ses œuvres, soit comme telle, soit comme dispositif narratif, sans solution de continuité. Le scénariste joue également entre les éléments biographiques désordonnées, les énigmes des tableaux, le paradoxe de la vie rangée de Magritte et la remise en cause rebelle contenues dans ses œuvres, avec quelques questions et réflexions sur sa démarche artistique. Les auteurs laissent le lecteur avec une dernière question : Pourquoi vouloir répondre aux questions que la peinture nous pose ?

16/10/2024 (modifier)
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Note: 5/5
Couverture de la série Judge Dredd - Heavy Metal Dredd
Judge Dredd - Heavy Metal Dredd

Dans ta face ! - Ce tome regroupe les 19 histoires mettant en scène Joe Dredd dans des histoires plus violentes qu'à l'accoutumée (surtout du point de vue graphique), les 9 premières ayant été d'abord été publiées dans le magazine Rock Power. Ces histoires ont été publiées pour la première fois entre 1991 et 1997, avec la dernière en 2009, dans le magazine mensuel Judge Dredd Megazine. Les histoires 1 à 5 et 15 à 18 ont été coécrites par Alan Grant & John Wagner, et illustrées par Simon Bisley, sauf la 4 illustrée par Colin MacNeil. L'histoire 6 a été coécrite par Grant & Wagner et illustrée par Dean Ormston. Les histoires 7 à 9 ont été coécrites par Grant & Wagner et dessinées par John Hicklenton, avec une mise en couleurs de Keith Page. Les histoires 10 à 14 ont été dessinées par John Hiclenton et mises en couleurs par Keith Page, avec un scénario de John Smith (é10, é11, é13), David Bishop (é12), Jim Alexander (é14). L'histoire 19 a été coécrite par Grant & Wagner, et illustrée par Benda McCarthy. Histoire 1 - Sous forme de comédie musicale, Judge Dredd applique la loi de manière définitive contre différents auteurs de crime, avec une violence physique qui exprime la violence de la loi. Histoire 2 - Tommy Who est un mutant aveugle, sourd et muet : il n'a ni oreille, ni yeux, ni bouche. C'est un dieu de la Love Machine, une version futuriste du flipper. Judge Dredd a vent de l'existence d'un tripot avec une de ces machines. Histoire 3 - Un gang de rue avec des gliders éclate des citoyens au cours d'une Bloc Party. Judge Dredd se lance à leur recherche. Histoire 4 - C'est l'histoire de Well Hard, l'homme qui a tué Judge Dredd, ou presque. Lors de la première confrontation, il y a perdu sa jambe droite. Histoire 5 - Johnny a fabriqué sa moto tout seul et il en est très fier. Triker s'est moqué de lui et Johnny le défi dans une course illégale, avec un virage de la mort. Histoire 6 - le corps de Johnny avait été empaillé et quelques mois plus tard il semble revenir à la vie et il enfourche sa moto. À nouveau, il va essayer de passer le virage de la mort, cette fois-ci avec Judge Dredd en poursuite derrière lui. Histoire 7 - Mr Power s'apprête à monter sur la scène d'un énorme festival de métal, quand il est abordé par un fan transi qu'il traite avec condescendance, puis il est attaqué par un kidnappeur. Histoire 8 - Une émission de télé raconte l'histoire d'un groupe pop composé de 4 jeunes dont le manager leur suggère des changements d'image qui conduisent à des actes illégaux. Histoire 9 - Un musicien vole une guitare électrique réputée démoniaque et en joue, provoquant des transformations horribles. Histoire 10 - Un spécialiste des effets spéciaux se venge des autres techniciens qui étaient sur le tournage où il a trouvé la mort. Histoire 11 - Un gang d'obèses a décidé de manifester leur mécontentement contre l'un des leurs ayant maigri, en se suicidant depuis un toit. Histoire 12 - Judge Dredd doit arrêter 3 meurtriers qui se sont déguisés en Elvis et réfugiés dans une convention d'imitateurs d'Elvis. Histoires 13 - Un groupe de dames du troisième âge a mis la main sur des casques leur permettant de diriger des grands singes. Elles commencent à tuer des auteurs ayant publié des oeuvres obscènes. Histoire 14 - Judge Dredd doit arrêter des livreuses de message, avec un baiser. Histoire 15 - Un savant fou a ramené à la vie la tête d'Iron Fist, un chanteur de métal qui commence à mettre le bazar dès qu'il peut. Histoire 16 - Encore une fois, le Père Noël essaye de livrer des cadeaux dans MegaCity One. Heureusement Judge Dredd veille à arrêter ce dangereux immigrant faisant passer en fraude des produits non déclarés. Histoire 17 - Un magicien se fait fouiller à la douane par les juges : ils sortent tout ce qu'il a stocké dans ses fesses. Histoire 18 - Une petite frappe se retrouve dans un monde à la Disney et Judge Dredd débarque dedans pour le coffrer. Histoire 19 - Judge Dredd doit arrêter un mutant non déclaré en forme de crapaud anthropoïde. Le résumé de ces 19 histoires courtes (en général 6 pages) donne une bonne idée de l'inventivité des scénaristes, le duo Grant & Wagner, et des autres. La majeure partie se focalise sur des criminels, des hommes, avec une seule exception celle des mamies. Les crimes vont du meurtre à l'excès de vitesse, en passant par le simple refus de coopérer. L'histoire d'entrée donne le ton : parodique excessif, brutal, moqueur, sarcastique. le lecteur habitué des histoires de Dredd voir revenir les obèses avec un plaisir certain. Le lecteur novice vacille sous la rapidité des histoires, leur densité et leur ton irrévérencieux, provocateur et souvent trash. En si peu de pages, la trame du récit est souvent la même : un criminel s'est fait repérer et Judge Dredd lui court après, lui rentre dans le lard, et le met hors d'état de nuire, avec perte et fracas, et souvent mort immédiate. Après la comédie musicale d'ouverture, le lecteur peut s'amuser à détecter des références : Tommy des Who, le nom d'Ozzy Osbourne sur le dos d'un blouson, le biker qui défie Johnny avec le visage de Lemmy Kilmister de Mötorhead, Iron Fist de Motörhead, ces références visuelles se trouvant dans les épisodes illustrés par Simon Bisley. Le ton est au massacre et Judge Dredd ne fait pas semblant de briser des crânes et de tirer dans le tas. Dean Ormston dessine un épisode : formes détourées avec des traits encrés et mise en peinture. Il sait rendre compte de la masse du Biker et de sa bécane, sans chercher à faire dans le gore. Colin MacNeil peint son histoire comme pour Judge Dredd: America, mais avec plus de sang et une touche d'exagération gore. Brendan McCarthy est en bonne forme pour cette histoire de mutant ressemblant à un crapaud anthropoïde, écrite pour lui car il émet des sécrétions hallucinogènes et l'artiste s'en donne à cœur joie avec les effets psychotropes. Néanmoins les deux stars du recueil sont bien Simon Bisley et John Hicklenton. Simon Bisley illustre huit histoires dont la première, celle qui donne le ton de la série. Le lecteur retrouve toutes les exagérations qu'il peut aimer chez cet artiste. Il est visible qu'il prend un grand plaisir à se lâcher dans les cases, et que les histoires ont été conçues sur mesure pour lui. Les personnages sont tous exagérés, avec des morphologies déformées par les stéroïdes ou par des mutations, des trognes à faire peur. Les mouvements appartiennent au registre e la démesure pour un effet comique. Les effets gore fonctionnent au premier degré : tâches de sang, cicatrices, cervelle qui gicle sous l'effet d'une balle qui traverse le crâne, cases mouchetées de tâches noires pour montrer les projections dues aux coups, expressions de visage théâtrales pour un comique visuel. Le lecteur perçoit la narration comme imbibée de l'énergie du Heavy Metal, avec le même sens du mauvais goût, de la force, de la virilité poussée à son paroxysme jusqu'à en être absurde et ridicule. C'est un festival irrésistible. Pour autant le lecteur n'est pas préparé à la force des dessins de John Hicklenton (1967-2010). Là où Simon Bisley est Métal, Hicklenton est punk ou hardcore avec une même maîtrise des techniques de dessins, mais pas de peinture. Avec la première histoire, le lecteur commence par se dire qu'il a perdu au change : les dessins sont plastiquement moins beaux que ceux de Bisley, ils ne sont pas peints, et ils donnent une impression de fouillis rendant la lecture moins fluide. Pourtant le lecteur change d'avis dès la troisième page. Illustrant lui aussi huit épisodes, Hicklenton réalise une interprétation personnelle de Judge Dredd, sans chercher à faire (forcément en moins bien) comme Bisley. Joe Dredd a à la fois un visage émacié, et un menton plus proéminent. Il est plus élancé, avec une force physique plus nerveuse qu'acquise après des heures de gonflette. Son visage reste toujours aussi fermé, ne changeant d'expression que pour un rictus douloureux quand il parle. À l'usage, la lecture des cases s'avère tout aussi facile que celle de Bisley, ou de MacNeil, ou d'Ormston, ou de McCarthy. Hicklenton détoure les individus et les objets avec un trait fin, et donne une sensation de cases très remplies. Pour autant, à la lecture, il se dégage de ses pages une sensation de dessins peaufinés, mais aussi spontanées parce qu'un peu griffonnées. Dans le même temps, il est visible qu'aucune personne ne maîtrise quoi que ce soit, que les criminels sont dépassés par ce qu'ils provoquent, et que la solution pour ramener de l'ordre est que Dredd fonce dans le tas et tire sur tout ce qui bouge jusqu'à ce que le calme revienne. A priori, le lecteur peut se demander s'il fallait vraiment créer une version plus extrémiste de Judge Dredd, sachant qu'une partie significative de ses aventures poussent souvent le bouchon assez loin, avec une réelle intelligence. D'un autre côté, il est difficile de résister à l'attrait de découvrir de nouvelles pages réalisées par Simon Bisley. Très rapidement, le lecteur se rend compte que les différents scénaristes ont profité de la liberté qui leur est donnée pour réaliser des histoires allant droit au but, avec une fibre parodique nourrie de violence, sans pour autant sacrifier l'intrigue. Simon Bisley est en pleine forme dans ses dessins outrés, mêlant à la perfection narration au premier degré et exagérations pétries d'humour noir, parsemées de quelques références Heavy Metal. Colin MacNeil, Dean Ormston font un travail de bon niveau, ainsi que Brendan McCarthy toujours dans un registre défoncé. John Hicklenton se révèle être un maître dans l'art de tout détruire en insufflant une fibre punk sans concession, en mettant ses compétences techniques de dessins au service de ces histoires trash.

14/10/2024 (modifier)
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Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série L'Amour, après
L'Amour, après

On gagnait tout, sur tous les plans, et tout à coup tout a été annulé. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa publication date de 2023. Il a été réalisé par Baptiste Sornin pour le scénario, et par Marie Baudet pour les dessins et la couleur. Il comprend cent pages de bande dessinée. Sophie, trente-cinq ans conduit la voiture, et Louis, trente-trois ans, est assis sur le siège passager. le GPS indique de prendre la troisième sortie au rond-point. Brisant le silence, elle indique qu'Éric, le nouveau compagnon de sa sœur, est un gros idiot, il n'y a qu'à voir comment il a parlé à la sœur de Sophie. Valentin, son ancien compagnon, était peut-être pénible mais pas insultant. Louis répond laconiquement qu'elle et Valentin ne faisaient plus l'amour. le GPS indique qu'il faut faire demi-tour car ils ont dépassé le rond-point. Un autre jour, Louis conduit sa voiture, et il reçoit un appel de Sophie, il passe sur oreillette. Il est dans les embouteillages, elle lui dicte la liste de courses qu'il retient par cœur, identifiant les produits malgré la mauvaise communication : chèvre pour du fromage de chèvre, zeuse pour de l'eau gazeuse, rouges pour des yaourts rouges, nichons pour des cornichons… Et un bébé. Sous le coup de l'émotion, il tamponne la voiture devant, et s'ouvre légèrement le front. Sophie lui demande si ça va, la réponse étant positive, elle ajoute qu'elle plaisantait. Louis se retrouve dans une large allée de l'hypermarché, avec un grand sac à la main, entre deux longs rayonnages chargés de produits. Il a mis un pansement sur son front, là où la peau s'est déchirée. Il fait la queue à la caisse. La femme devant lui s'aperçoit qu'elle a oublié le lait en poudre. Elle prend le bébé dans le siège du caddie et le confie à Louis en disant qu'elle en a juste pour une minute. le soir, Louis et Sophie sont assis sur le canapé, ayant laissé une place vacante entre eux. Il consulte son téléphone, pendant qu'elle effectue des recherches sur son ordinateur portable : elle cherche un train à un tarif et à un horaire qui leur conviennent. Il est possible de partir le lundi super tôt, il y a des billets à trente-cinq euros. Il demande tôt comment ? À cinq heures du matin. Ça ne lui va pas, ça fait trop tôt. Elle regarde à nouveau et ils pourraient partir le samedi, mais c'est plus cher. Il regarde l'historique de ses messages avec Sophie. À la télévision, le quarante-cinquième président des États-Unis fait son discours : il voudrait remercier le peuple américain, des millions et des millions de personnes ont voté pour lui ce soir. Un groupe de personnes très tristes essaie de les priver de leurs droits, et ils ne l'accepteront pas. Ils ont 76.000 voix d'avance avec presque aucune voix qui reste à compter, et tout à coup tout s'arrête. C'est de la fraude. Avec comme victime, le peuple américain. C'est une honte pour ce pays. Ils se préparaient à gagner cette élection, et honnêtement ils ont gagné cette élection. Sophie est en train de regarder cette allocution au boulot avec une collègue derrière elle, qui se demande s'il est en train d'improviser. Sophie ne sait pas. Voici une bande dessinée très facile de lecture, avec des partis graphiques affirmés. le premier saute aux yeux du lecteur : l'artiste a choisi de ne pas représenter les traits de visage. Cela peut se voir dès la couverture. C'est criant dès la première planche : Louis porte une moustache et une barbe, en revanche ni les yeux, ou la bouche ou le nez ou les sourcils ne sont délimités par la couleur directe, ou détourés par un trait. Il en va de même pour Sophie qui se situe sur la droite de chaque case, celles-ci ayant la largeur de la page dans un plan cadré de face à travers le parebrise. de la même manière, ni bouche, ni nez, ni yeux ni sourcils ne sont représentés sur son visage, ni ride et bien sûr pas de pilosité. Cette absence de traits faciaux ne connaît que deux exceptions en pages 85 & 86 : ces éléments sont présents sur le visage de Sophie et de Louis à l'occasion d'un repas dans le jardin des parents de la première. Le lecteur se retrouve déconcerté par cette absence : cela diminue d'autant l'expressivité des personnages. Pour autant, il peut se faire une idée partielle de l'état d'esprit général des personnages par leur posture et leur occupation. Il présume que l'absence de visage correspond à la baisse d'empathie entre Sophie et Louis, et peut-être envers les individus qu'ils croisent et rencontrent, une forme de détachement émotionnel, ou de repli sur soi-même qui ne permet plus de ressentir les émotions de son interlocuteur. La deuxième caractéristique apparaît dans l'impression donnée par les images : un peu pastel, des couleurs un peu délavées évoquant un temps révolu, ou des sensations émoussées. L'absence de traits de contour ajoute à la douceur des images, des formes qui cohabitent harmonieusement, sans avoir besoin d'être cantonnées par une frontière. Ce mode de représentation peut servir à donner une forme naïve aux voitures, à transcrire l'impression que donne des rayonnages bien ordonnés dans une grande surface, une quantité et une variété bien ordonnée, même si les formes apparaissent assez similaires. Il apporte également une grande douceur aux images : le calme et la tranquillité du jardin des parents de Sophie, ou encore l'intimité feutrée de cette séquence de cinq pages où Sophie et Louis sont allongés dans leur lit. Paradoxalement, cela apporte également une forme de fragilité inattendue au quarante-cinquième président des États-Unis, ce qui permet (presque) de croire à sa sincérité quand il se déclare surpris et même désemparé par le résultat des élections présidentielles de 2020 et la victoire de Joe Biden. Par ailleurs, les auteurs ont conçu leur ouvrage sur une structure en chapitres, de trois à neuf pages, à l'exception des deux derniers qui en comptent dix-neuf pour l'avant-dernier et seize pour le dernier. Cela contribue à donner un rythme assez rapide à la lecture, de courtes scènes légères, des petits riens du quotidien. Un trajet en voiture en évoquant la relation de couple de la sœur de Sophie, les discours du perdant aux élections, un voyage en ascenseur, un papotage avant un match de tennis en double, un échange en terrasse, un achat chez le fleuriste, un arrêt à une station-service, la préparation d'une salade de tomates, un moment d'émotion involontaire au lit, un dernier voyage en voiture. Pas de quoi fouetter un chat, mais des marqueurs révélateurs après-coup d'un glissement insensible sur le moment. le titre renferme une ambiguïté : il n'évoque pas la situation après l'amour, mais ce qu'il advient une fois que l'amour a uni deux êtres. le texte de la quatrième de couverture s'avère tout aussi évasif : ils sont ensemble depuis dix ans, dix ans c'est long en amour… Même s'il part avec une idée préconçue, le lecteur se rend compte que ce suspense binaire agit sur lui : rompront-ils ou non ? Le lecteur peut lire cette bande dessinée d'une traite en un quart d'heure, sans plus y penser. Il peut aussi jouer le jeu du suspense sur le devenir de cette relation de couple et se montrer participatif en cherchant à identifier des schémas, en supputant des liens de cause à effet. Dans un premier temps, il ne sait trop quelle valeur donner à l'échange dans la voiture sur le couple de la sœur de Sophie, sur la liste de courses et l'anecdote dans l'hypermarché. Il ne voit pas ce que le discours mensonger et manipulateur de perdant à l'élection vient faire là, si ce n'est donner un repère chronologique pour le récit. Puis en page trente-quatre, Louis confie au débotté à son partenaire de tennis en double qu'il croit que Sophie l'aime moins. Le lecteur reconsidère alors les petites choses des séquences précédentes sous un autre angle. Les deux remarques sur le couple d'Éric soulignent ce à quoi Sophie est attachée dans le couple (le respect de la dignité du conjoint) et ce à qui Louis est attaché (les rapports sexuels, ou plutôt l'absence de rapport sexuel). La boutade sur le bébé fait prendre conscience à Louis que c'est un sujet qu'il évite, peut-être sciemment, peut-être inconsciemment, et qui doit tenir à cœur à Sophie, même inconsciemment. Quand il se retrouve avec un bébé dans les bras dans l'hypermarché, il ne sait pas quoi en faire, comme il ne saurait pas quoi répondre à Sophie si elle lui demandait qu'ils conçoivent un enfant. Une fois la graine du doute semée dans son esprit, le lien avec les discours du candidat perdant acquiert la force d'une évidence. Ils se préparaient à gagner cette élection, et honnêtement ils ont gagné cette élection : Sophie et Louis sont en couple, ils ont gagné cette épreuve dans la vie d'adulte et il est évident qu'ils vont continuer ensemble, tout le monde le dit. Ensuite, les résultats de ce soir ont été incroyables, ne jamais abandonner, ne jamais abandonner, ne jamais reculer et ne jamais, jamais arrêter de rêver : dix ans de vie commune, c'est déjà une réussite incroyable, Sophie et Louis n'ont aucune raison d'arrêter de rêver, il ne faut jamais abandonner. Le parallèle entre discours de défaite niée et de situation de couple en impasse produit un effet dévastateur : Sophie et Louis sont en train de se mentir pour contenter les personnes autour d'eux. Ils promeuvent cette vérité alternative comme si cela pouvait leur permettre de conserver leur couple, alors qu'ils ressentent, chacun de son côté, au fond d'eux que leur relation arrive à son terme. Il leur reste encore à le verbaliser. le lecteur va alors relire le passage de la salade de tomates : il ressent mieux en quoi l'échange banal sur la composition d'une salade de tomates cristallise tout l'éloignement qui s'est agrandi insensiblement entre les deux compagnons. Au début, c'est étrange de plonger dans l'intimité émotionnelle d'une relation de couple, tout en en étant tenue éloigné par l'absence d'émotions apparentes, faute de représentation des traits de visage sur les personnages. Très vite, c'est le confort d'une relation dans laquelle il n'y a pas de conflit, où l'un et l'autre se connaissent bien, s'apprécient et la tendresse est palpable. La narration visuelle exprime cette douceur douillette au travers de moments banals et insignifiants. L'accumulation de ces petits riens conduit à un brosser très progressivement un constat qui s'impose inéluctablement au couple, qu'ils ressentaient sans le formuler, luttant contre cet état fait de manière passive pour ne pas lui permettre de devenir concret. Une étude relationnelle d'une grande sensibilité et d'une grande subtilité.

14/10/2024 (modifier)
Par MrAnn
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série RIP
RIP

J’écris cet avis au moment où je referme le 6eme tome de cette série et je vous recommande de foncer sur cet ouvrage qui emprunte des codes déjà vu ailleurs mais pour la première fois utilisés en BD à ma connaissance. Mon commentaire ressemblera peut être aux autres si élogieux mais quand c’est du bon, il faut le dire! J’ai adoré me plonger dans cette atmosphère si sombre et dégueulasse de RIP. Le scénario est parfaitement mené (on se croirait dans celui d’un film tant la construction de l’histoire est complète) et on a la chance d’approfondir chaque personnage dans chacun des tomes. C’est en cela que j’ai vraiment été cueillie ! Cette capacité des auteurs a nous amener petit à petit à reconstituer un puzzle d’une situation presque banale à la base en ajoutant petit à petit toute la complexité de l’histoire de chaque personnage. Sans rire, c’est impossible de se limiter à un apriori sur l’un d’entre eux lorsque l’on découvre certains passages de leurs vies. On a envie d’en detester certains mais on se rends compte qu’il n’y a rien de simple et qu’il ne faut pas toujours rester à la surface des choses. C’est probablement très naïf d’écrire quelque chose d’aussi bateau mais pour une fois que l’on constate cette complexité dans une bd qui prend le temps de poser les histoires de chacun (et y parvient réellement ) au travers de ces 6 tomes, bah ca mérite d’être dit. Foncez donc lire cette œuvre et prenez des gants, ça grouille d’insectes !

14/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Mademoiselle Else
Mademoiselle Else

Je suis née pour être insouciante. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une adaptation d’une nouvelle parue en 1924, du romancier Arthur Schnitzler (1862-1931). Sa première publication date de 2009, et il a bénéficié d’une réédition en 2023. Cette adaptation a été réalisée par Manuele Fiore pour le texte, les dessins et les couleurs. Elle comprend quatre-vingt-trois pages de bande dessinée. L’édition de 2023 se termine avec un texte d’une page de Fiore intitulé Sfumato schnitzlerien, et sept pages d’études graphiques. Dans la station thermale italienne de San Martino, en vacances, Else, une jeune femme de bonne famille, est en train de jouer au tennis avec son cousin Paul, sous les yeux de Cissy Mohr, une autre jeune femme courtisée par son cousin. Ce dernier court pour ramasser la balle, tout en regrettant que sa cousine ne veuille plus jouer. Elle confirme qu’elle n’en peut plus et lui indique qu’elle le retrouvera tout à l’heure. Puis elle salue Cissy d’un très formel Au revoir chère madame. Celle-ci lui répond gentiment de ne pas toujours l’appeler Madame, mais Cissy tout simplement, alors que Paul se tient contre elle. Taquine, Else reformule sa phrase : au revoir, madame Cissy. Cette dernière continue, lui demandant pourquoi elle part déjà, alors qu’il reste deux bonnes heures avant le dîner. Paul tempère et fait remarquer que Else fait du genre, c’est son jour. À l’attention de sa cousine, il ajoute : un genre d’ailleurs qui lui va à ravir, et son pull rouge encore mieux. Taquine, elle rétorque qu’elle espère qu’il aura plus de succès avec le bleu, couleur du pull de Cissy, et elle s’éloigne, sous le regard agacé de ses deux interlocuteurs. Dans son for intérieur, Else jurerait qu’ils ont une liaison, cousin Paul et Cissy Mohr. Elle espère seulement qu’ils ne la croient pas jalouse, rien au monde ne lui indiffère davantage. Puis elle joue beaucoup mieux que Cissy, et Paul non plus n’est pas vraiment un matador. Il a une si belle allure pourtant. Si seulement il était moins affecté. Tante Emma n’a rien à craindre. Elle ne pense pas à Paul, pas même en rêve. Elle ne pense à personne. Elle n’est amoureuse de personne. Dommage quand même que le beau brun à la tête de Romain soit déjà reparti. Il a l’air filou, disait Paul. Dieu, elle n’a rien contre les filous au contraire. Elle aimerait assez se marier en Italie, mais pas avec un Italien. Villa sur la Riviera, escalier de marbre plongeant dans la mer. Elle, étendue nue sur le marbre. Elle est née pour une vie insouciante. Ah, pourquoi faut-il retourner à la ville ? Else est arrivée au pied de l’escalier menant à la terrasse de l’hôtel : elle croise monsieur Dorsday, vicomte von Eperies, et son épouse. Ils échangent quelques paroles. Il se montre galant ; elle lui fait une remarque insidieuse et piquante sur son âge. Elle pénètre dans les immenses salons de l’hôtel et son flux de pensées reprend. A-t-elle fait la fière ? Non, elle ne l’est pas. Paul l’appelle Altière. Altière et du genre distant, surtout aujourd’hui. À cause de ses règles évidemment ; ça l’élance dans les reins. Cette nuit, elle reprendra du Véronal. Un groom s’approche d’elle, il a un courrier à son attention. Tout en prenant la lettre, elle remarque que son filou est revenu. Elle regagne sa chambre, dénoue ses cheveux et prend connaissance du courrier de sa mère. Il s’agit de son père, et d’une dette pressante. L’adaptation d’une œuvre littéraire en bande dessinée constitue un genre en soi, avec le risque du mauvais dosage oscillant entre l’intégration de trop de textes du roman, soit une interprétation trop éloignée qui fait perdre le goût de l’original, voire le trahit. Le lecteur entame ce tome et découvre deux dessins en pleine page avec uniquement un personnage en train de courir pour aller ramasser la balle, de gauche à droite dans la page de gauche sur fond blanc, et inversement au retour dans la page de gauche toujours sur fond blanc. L’artiste indique qu’il va proposer une adaptation aérée, ou au minimum sans gros pavés de texte. De même dans les deux planches suivantes, seuls sont représentés les trois personnages. Puis un dessin en double page les montrent discutant avec l’immense complexe hôtelier à quelque distance, et les montagnes en arrière-plan. Au cours du récit, l’auteur réalise cinq pages dépourvues de texte, laissant les dessins parler d’eux-mêmes, porter toute la narration. Le texte se présente soit sous la forme de dialogues, soit sous la forme du monologue intérieur d’Else, des phrases courtes, assez naturelles, bien éloignées de la simple recopie d’un texte littéraire. Fiore ne fait qu’une seule exception : le texte de la lettre initiale de la mère d’Else qui court sur trois pages, avec des illustrations de la largeur de la page venant s’insérer entre deux paragraphes. Dans le texte en fin d’ouvrage, l‘auteur indique qu’il a choisi cette œuvre pour répondre à une commande d’adaptation d’un éditeur. Après avoir écarté plusieurs œuvres soit trop difficiles soit déjà mainte fois adaptées, il retient cette nouvelle. Il ajoute : après s’être lancé près de quatre fois, il a compris que l’œuvre graphique de Gustav Klimt (1862-1918) allait être son nord, cette ligne en fil de fer qui est la sienne, qui suit les cuisses des femmes, leur découpe des nez pointus et se courbe selon les formes amples de ses modèles. Il ne réalise pas des tableaux de Klimt, mais il s’inspire de sa façon de représenter les êtres humains. Il utilise des traits de contours très fins, parfois comme tremblés ou mal assurés, ou tracés sous l’inspiration du moment sans avoir été repris pour être consolidés. Cela donne parfois des représentations un peu naïves, un point pour figurer un œil dans un visage ou des yeux écarquillés trop ronds et trop grands, quelques vagues traits pour la barbiche clairsemée de Dorsday, ou au contraire la sensation de percevoir l’état d’esprit du personnage. Le lecteur se dit que cette façon de représenter les individus correspond à la perception subjective qu’en a Else elle-même. Sa propre délicatesse avec son visage épurée et doux, l’âge de monsieur Dorsday avec son visage asymétrique et marqué, ses trois cheveux sur le dessus du crâne, son corps lesté par un gros ventre, la tante avec son air revêche et repoussant comme si elle était incapable de ressentir la détresse qui émane de sa nièce, etc. Ces traits de contour fins et fragiles sont habillés par des aquarelles qui leur apportent de la consistance, des nuances changeantes, des couleurs naturelles ou bien des impressions de lumière. En fonction de la séquence, du moment de la journée, de l’état d’esprit d’Else, un visage peut aussi bien être de couleur chair, que jaune, ou taupe, ou encore gris. De la même manière, l’aquarelle pare les décors de consistance, soit en venant occuper l’espace délimité par les traits de contour, soit en couleur directe. Passés les quatre dessins en pleine page sur fond blanc, le lecteur découvre le paysage de l’hôtel se détachant sur la ligne de montagne, un trait délimitant le contour du bâtiment, des portes fenêtres et des fenêtres, le pinceau donnant corps aux poutres apparentes, à la rangée d’arbres devant le bâtiment, à celle derrière de couleur plus sombre, ainsi qu’aux pentes de la montagne. Les images emmènent le lecteur sur le court de tennis avec son filet comme quadrillé au crayon, sur les marches menant à la très longue terrasse de l’hôtel, sous les lustres des salons très hauts de plafond, dans la chambre juste esquissée d’Else, de retour dans les salons maintenant teintés d’une nuance verte alors que la soirée commence, puis à l’extérieur dans des teintes bleutées et grises alors que la nuit commence à tomber, sur les rives rougies d’un lac avec de nombreux voiliers, etc. L’intrigue s’avère fort simple : Else est mandatée par ses parents restés aux Pays-Bas pour demander un prêt urgent de trente mille guldens à monsieur Dorsday, vicomte von Eperies, pour rembourser une dette dans les deux jours. Celui-ci accepte à une condition : pouvoir la contempler nue un quart d’heure. Acceptera-t-elle de se soumettre à cette exigence infâmante et ainsi sauver son père ? Ou refusera-t-elle pour conserver sa dignité au risque de condamner son père ? Un suspense binaire. Les auteurs, le romancier et le bédéiste, mettent admirablement en scène à la fois l’entrée dans l’âge adulte avec ses compromis, à la fois le tourment psychologique de la toute jeune femme. La lettre de la mère, reproduite dans son intégralité, constitue un exercice exemplaire de manipulation coercitive sous les dehors d’une demande gentille d’un menu service aussi banal que dérisoire, sur les plans affectif, émotionnel et psychologique. Voilà que la fille a le pouvoir de vie et de mort sur son père, ou plutôt la responsabilité afférente, ce qui constitue une inversion de la responsabilité des parents envers les enfants. Aussi bien les parents que monsieur Dorsday illustrent la maxime que l’âge et la traîtrise auront toujours raison de la jeunesse et du courage. Dès la première séquence, le lecteur a conscience que la jeune demoiselle est ballotée par les injonctions sociales à trouver un mari et par ses hormones. D’un côté, elle ressent le fait de devoir bientôt se trouver un mari, devoir accepter les avances d’un homme qu’elle ne pourra au mieux que choisir par défaut, au pire qui lui sera imposé, tout en défendant sa vertu contre toutes les tentations. Elle a déjà pu constater l’effet que la présence physique de son corps habillé a sur les hommes, le pouvoir de séduction que cela lui confère et les avantages qu’elle peut en retirer. Dans le même temps, elle a compris que se montrer nue à Dorsday équivaut à faire de son corps, d’elle-même, une simple marchandise vendue pour de l’argent, un produit ayant une valeur économique dans un système capitaliste. D’un autre côté, elle fait l’expérience qu’elle ne peut pas concilier toutes les injonctions sociales qui pèsent implicitement la femme qu’elle est. Pouvoir faire l’expérience d’être amoureuse, et faire un bon mariage ou un mariage de raison. Accepter son corps sexué et la sexualité qui va avec, et rester pure. Sauver son père au prix d’être souillée par le regard d’un quinquagénaire libidineux et riche, et préserver sa vertu, sa virginité comme les convenances l’exigent. Conserver son intégrité psychique et sauver son père. Personne ne peut ressortir indemne d’autant de doubles contraintes. Comment devenir adulte dans une telle situation ? Comment construire sa propre voie, sa manière personnelle de faire ? Adapter Arthur Schnitzler en conservant toute sa finesse et ses subtilités : un beau défi, relevé avec élégance par Manuele Fiore. Une bande dessinée à la narration visuelle sophistiquée et élégante, exprimant en douceur feutrée toutes les dimensions du conflit psychique se déroulant dans l’esprit d’une jeune femme estimant qu’elle est née pour être insouciante.

13/10/2024 (modifier)
Par Ikke
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Habemus Bastard
Habemus Bastard

Mon coup de cœur 2024. (2023 Blacksad - pas découvert plus tôt). Irrévérencieux, scénario béton, personnages décalés, pas de temps morts. Et, cerise sur le gâteau, le second tome est tout aussi excellent que le tome 1. Hâte de lire la suite.

12/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Félix Leclerc - L'Alouette en liberté
Félix Leclerc - L'Alouette en liberté

Quand il tombe, l'arbre fait deux trous. Celui dans le ciel est le plus grand. - Ce tome constitue une courte biographie poétique du chanteur Félix Leclerc (1914-1988), auteur-compositeur-interprète, poète, écrivain, animateur de radio et de télévision, scénariste, metteur en scène et acteur québécois. Sa publication date de 2019. Il a été réalisé par Christian Quesnel pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comporte quarante-huit pages de bande dessinée. Il commence avec une courte introduction de Martin Leclerc, son premier fils. Vient ensuite un texte d'avant-propos de deux pages, rédigé par l'auteur. En fin d'ouvrage se trouvent la liste des pièces musicales évoquées, au nombre de vingt-quatre, ainsi qu'une liste des sources d'inspiration. Dans la préface, Martin Leclerc constate que son père est décédé depuis plus de trois décennies et que son œuvre inspire encore la jeunesse. Dans l'avant-propos, l'auteur évoque l'usage qu'il fait de la parole de Félix Leclerc dans les phylactères et les cartouches bleus, ce qui expose le lecteur à la vie de Félix, mais aussi à certaines de ses œuvres. Puis il indique qu'il a mis à profit les documents laissés des témoins précieux. Il ajoute que ce projet sur Félix Leclerc lui a permis de travailler avec l'Orchestre symphonique de Gatineau, le maestro Yves Léveillé, l'orchestrateur Yves Marchand et l'historien amateur Raymond Ouimer pour créer un concert multimédia autour du récit graphique. Le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire, cette sombre journée, c'est comme si toute la vie de Félix l'y avait préparé. Un oiseau s'envole dans le ciel. Il va se poser sur la tête d'un homme assis sur une chaise, le dos courbé comme par un grand poids. Tu ne sais pas voler, tu vas tomber, tu es maladroit, l'air n'est pas pour toi, balourd, n'a-t-on cessé de lui crier. Et l'oiseau eut peur. Il n'a pas osé. Il est resté sur terre tristement. Et il a haï l'azur, et il n'a jamais vu les hauteurs. Son amour et sa soif du pays, Félix les a toujours placés au cœur de son œuvre, laquelle est à l'origine du printemps de la chanson québécoise. La neige qui fond, l'étang dans son petit lit qui boit le soleil, la scie ronde qui chante chez le voisin, la corneille qui est revenue, une hache, un tas de bois à bûcher, la moutonne qui a eu ses petits, la semence qu'on sort des greniers, les premiers pissenlits sur les buttes, l'odeur de l'érable… S'il n'y a pas de ces matins-là au Paradis, ça va jaser du côté des habitants. Les manches de guitare se confondent avec le tronc des érables, le cerf s'éloignant dans le lointain. À l'approche de l'automne, on baisse la voix, au printemps on parle fort. Un homme chaudement vêtu, s'appuie sur la cognée de sa hache, en regardant un oiseau s'envoler au-dessus d'un champ. Félix naît le 2 août 1914, à la Tuque, en Mauricie. Sixième d'une famille de onze enfants, il grandit dans un milieu peuplé de draveurs et de bûcherons, mais aussi bercé par la musique et la tendresse. Suis pas un dur, suis pas un mou, suis un doux. L'amour se passe de cadeaux mais pas de présence. Chaque pomme est une fleur qui a connu l'amour. L'auteur a donc indiqué que chaque page ou double page ferait dialoguer un élément biographique de la vie du chanteur, avec une brève citation de lui et un tableau ou quelques cases évoquant une chanson ou une image de Félix Leclerc. Effectivement, l'ouvrage comporte douze illustrations en pleine page, et quatre en double page. Au maximum il se trouve quatre cases sur une même page. Pour autant, le lecteur éprouve plus la sensation de lire une bande dessinée qu'un texte illustré. Il y a la progression chronologique de la vie du chanteur, des images qui racontent une histoire, des compositions en double page où l'œil lit les éléments visuels de gauche à droite comme ordonnés sur un fil narratif. La première illustration montre un oiseau, certainement une alouette, en plein vol sur un fond de page blanche. L'oiseau vient se poser sur la tête du poète prostré sur sa chaise, après avoir pris connaissance des résultats du référendum. le motif de l'oiseau, une alouette ou d'autres, revient tout du long du récit. En page neuf, les ailes grandes écartées pour aller plus haut dans le ciel. En page dix sur un branche, avec un mini Félix Leclerc encore enfant, monté sur son dos. En page trente, volant entre les troncs de bouleaux. Faisant la liaison entre les pages trente-deux et trente-trois, comme il fait également pour les pages trente-six et trente-sept mais en sens inverse de droite à gauche. Mort étendu sur le sol en page trente-huit. À plusieurs moments de son vol en page quarante-neuf. Un vol d'outardes en page cinquante-et-un, observé par un garçon. Tout du long de l'album, l'œil du lecteur est attiré par la faune et la flore du Québec. Un renne en pages huit dans les bois, un autre sur la tour Eiffel en page seize. Encore un en page vingt-neuf dont les bois semblent engendrer un halo fantasmagorique dans leur sillage. En page huit des manches de guitare forment les arbres d'une forêt, avec des gobelets pour en recueillir la sève. Lors des années parisiennes, la chevelure de Félix semble voir se développer comme des branches en hiver, comme s'il lui poussait de nouvelles ramures générées par ses expériences en France. de retour au Québec, la nature reprend son importance primordiale : une forêt de bouleau, l'île d'Orléans dans l'embouchure du fleuve Saint Laurent, avec ses côtes, les petits bateaux de pêche à moteur, les zones marécageuses, le scintillement de la lumière sur le fleuve, une vision onirique des plantes aquatiques sous-marines comme une longue chevelure folle, le bleu de l'eau répondant au bleu du ciel, etc. Dès la première page, le lecteur se rend compte que l'histoire du Québec est également présente en filigrane. L'auteur entame sa biographie par : le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire… Il appartient au lecteur soit d'être familier avec l'importance de cet événement dans l'histoire du Québec, soit d'aller se renseigner pour comprendre l'importance qu'il revêt pour Leclerc. À savoir le premier référendum relatif au projet de souveraineté du Québec ; il a été organisé à l'initiative du gouvernement du Parti québécois (PQ) de René Lévesque, l'un des événements majeurs de l'histoire du Québec contemporain. Au fil de la vie de Félix Leclerc, apparaissent d'autres marqueurs temporels et culturels. Sa date de naissance bien sûr, et en fin d'ouvrage la date de sa mort, mais aussi le début de ses études à Ottawa en 1931, ses débuts à Radio-Canada, son premier mariage en 1942, le début du succès dans les années 1950 grâce à l'accueil que lui réserve la France, ce qui sera suivi par sa reconnaissance au Québec, son influence sur la génération suivante de chanteurs compositeurs français et belges Guy Béart (1930-2015), Léo Ferret (1916-1993), Georges Brassens (1921-1981) et Jacques Brel (1929-1978), son second mariage en 1969, la crise d'octobre en 1970 (enlèvement d'un attaché commercial britannique, enlèvement et meurtre du ministre provincial du travail Pierre Laporte au Québec, par le Front de Libération du Québec), la Superfrancofête d'août 1974 sur les plaines d'Abraham à Sainte-Foy à Québec avec la participation de Gilles Vignault (1928-), Félix Leclerc (1914-1988) et Robert Charlebois (1944-) pour le spectacle J'ai vu le loup, le renard, le lion, le 13 août 1974. Dans ses paroles le chanteur rend hommage à sa province, que ce soient ses paysages, ou des métiers spécifiques comme celui de draveur. Après avoir pris connaissance de l'avant-propos, le lecteur sait que l'auteur va évoquer brièvement quelques dates et faits biographiques de Félix Leclerc, et qu'il va surtout se consacrer à l'évoquer par ses mots et par les images qu'ils engendrent. le lecteur va découvrir Félix Leclerc au travers de la vision et du ressenti qu'en a Christian Quesnel, bédéiste originaire de la région du Outaouais au Québec. Il réalise des illustrations à l'encre et à la peinture, amalgamant parfois des images entre elles, jouant à la frontière de l'impressionnisme, de l'expressionnisme, du collage. Les couleurs expriment le ressenti ou l'état d'esprit du chanteur. Les dessins naviguent entre représentation descriptive pour une voiture, pour un bâtiment, un télésiège dans une station de ski, et des visons oniriques comme une licorne, une guitare avec une chevelure, des mains formant une coupe contenant de l'eau et un petit bateau de pêche à sa surface, l'image récurrente d'une femme en train de danser. L'artiste choisit la technique qui correspond le mieux à ce qu'il souhaite exprimer : formes détourées à l'encre, peinture, écriture manuscrite pour en fond de case avec des bribes de parole de chanson, photographie de famille tracée, dessin au crayon pour une rue de Paris, fond de case en motif de cercles de couleur, trame de fond avec un texte tapé à la machine à écrire, surimpression de deux images décalées, etc. Une grande richesse visuelle avec une vision d'ensemble qui assure une cohérence tout du long. L'auteur évoque l'héritage de Félix Leclerc. Succinctement par quelques éléments biographiques, quelques événements historiques. Culturellement par des citations succinctes de texte de ses chansons, et la mise en valeur de la province du Québec. Affectivement et émotionnellement par une narration visuelle qui lie texte et image, qui se fait poétique et onirique, donnant à voir la représentation du monde et plus particulièrement du Québec telle que l'œuvre de Félix Leclerc en brosse le portrait partial de la terre qu'il porte dans son cœur.

11/10/2024 (modifier)
Couverture de la série L'Odyssée d'Hakim
L'Odyssée d'Hakim

J'ai eu du mal à quitter cette série tellement je me suis attaché au destin de Hakim et de son fils Hadi. J'avais déjà été séduit par ma précédente lecture de Fabien Toulmé avec son récit autobiographique de la naissance de sa seconde fille. L'auteur reste dans une narration biographique qu'il maîtrise à merveille. En effet le récit du voyage d'Hakim et de son fils de un an est passionnant en lui-même mais la qualité de la narration de Toulmé donne une dimension supplémentaire à cette dramatique aventure. Fabien Toulmé se range incontestablement parmi les meilleurs conteurs d'histoires de la BD de langue française actuelle. L'auteur ne s'éparpille pas et reste du début à la fin dans les limites de son sujet. Il veut nous faire découvrir l'histoire d'un réfugié migrant tout en sachant qu'il en existe mille autres plus "simples" (comme la famille de son épouse) ou plus dramatiques comme ces pauvres personnes violées, asservies en esclavage ou tuées sur leur route de l'espoir. Hakim lui est présenté par une amie journaliste. En frappant à sa porte il ne connait rien de lui comme nous quand nous ouvrons le T1. Simplement Toulmé se met à l'écoute d'un récit pour nous le transmettre tel quel, sans tricherie ni biais autre que celui de la langue. Jamais Toulmé ne verse dans le sensationnalisme ou le pathos facile. Il n'en a pas besoin tellement le déroulé du voyage du gentil Syrien porte sa propre tension dramatique. Hakim et son fils vont de l'avant montrant une résolution à vaincre l'adversité qui laisse le lecteur sans voix. Toulmé réussit la prouesse de synthétiser ces dizaines d'heures d'écoutes en un récit d'une fluidité cristalline. Le ton est toujours juste sans jugement de valeur, la bêtise, la cruauté et l'injustice s'étalant d'elles-mêmes sans que l'auteur aie besoin d'en rajouter. Les trois tomes sont d'un égal niveau même si personnellement j'ai trouvé la T2 au summum d'un récit dramatique. Graphiquement cette traversée d'un petit bout de la mer Egée restera longtemps gravée dans ma mémoire. La scène est très statique puisque personne ne peut bouger dans le Zodiac. Pourtant, grâce au sublime des expressions des passagers (et surtout celles du petit Hadi) Toulmé parvient à nous faire sentir cette houle menaçante et cette eau glaciale qui envahit petit à petit la frêle embarcation. Ce passage rend le récit de Toulmé universel puisqu'il présente les deux fins possibles d'une telle situation ; la noyade ou le sauvetage. Car dès le début de cet insensé départ avec un petit de un an il n'y a pas d'autres alternatives : la noyade en mer, dans un camps ou sur le bord d'une route à la suite d'une mauvaise rencontre ou le sauvetage de toute une famille à Aix ou à Dortmund. Toulmé hisse sa série au niveau des plus grands récits. Elle s'inscrit dans un environnement précis mais peut être lu comme l'universelle tragédie des déracinés de tous les siècles passés ou à venir. Une lecture passionnante tout en justesse et en sensibilité. Un must.

11/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5
Couverture de la série Hulk - Le dernier des titans
Hulk - Le dernier des titans

Le futur s'annonce apocalyptique. - Ce tome reprend l'histoire Hulk - The end, avec un scénario de Peter David, des dessins de Dale Keown, un encrage de Joe Weems, initialement parue en 2002. Ce récit comprend 47 pages. Sur une terre détruite par une guerre globale de trop, il ne reste plus qu'un seul survivant : Hulk et son alter ego Bruce Banner. D'une manière inattendue, il reste malgré tout des prédateurs capables de nuire au géant vert. Et puis les intentions de Banner sont irréconciliables avec celles de Hulk. Quel est l'avenir de ce dernier survivant de l'humanité ? Début des années 2000, l'éditeur Marvel développe un nouveau concept : raconter les dernières histoires de ses superhéros dans une gamme baptisée d'un titre générique The end (La fin). Il y aura, entre autres, une série The end pour les X-Men par Chris Claremont et Sean Chen, pour les Fantastic Four par Alan Davis, et même pour l'Univers Marvel par Jim Starlin. Le cas de cette histoire de Hulk diffère légèrement puisqu'il s'agit au départ d'une nouvelle écrite par Peter David (parue sous le titre de The ultimate Hulk) qu'il a retravaillée pour aboutir à ce récit. Là où Futur imparfait (de Peter David et George Perez) implique plusieurs personnages et un ennemi identifié pour une nouvelle bataille dans la lutte du bien contre le mal, Le dernier des titans (La fin) développe le thème du dernier survivant sur terre. David utilise plusieurs dispositifs narratifs pour varier la forme du monologue de Banner et de celui de Hulk (tel qu'un dispositif enregistreur). Il joue à fond sur la dichotomie qui existe la psyché de Banner et celle de Hulk. Et il propose une relecture adaptée et pertinente du mythe de Promothée. En artisan chevronné, David a pris soin également d'inclure des phases d'action et de laisser son dessinateur se déchaîner. Dale Keown a connu ses premiers succès sur la série Incredible Hulk (avec des scénarios de Peter David), puis en créant son propre personnage The Pitt et en participant à la série de The Darkness chez Top Cow (il en reste d'ailleurs un crossover The Darkness / Pitt). Il utilise un encrage qui évoque celui de Mike Deodato dans Dark Avengers. Son Hulk exprime une sauvagerie primale peu commune. Il sait dessiner Banner en sorte que ce dernier paraisse vraiment son âge. Pour les décors, il dessine surtout des endroits désolés et rocailleux (pas trop compliqué) comme le demande le scénario. Mais il ne rechigne pas à rajouter des détails quand l'histoire le demande. Au final, Keown rend visuellement intéressant les pérégrinations de Banner et Hulk dans les endroits vides de vie et de bâtiments, et il transforme chaque scène d'action en une libération d'énergie irrésistible. Alors que le résumé fait craindre une quête introspective bas de gamme, David et Keown concoctent un récit plein d'énergie et de questions intéressantes.

11/10/2024 (modifier)