Calvin et Hobbes, c’est le premier cadeau que je me suis fait avec mon premier salaire : l'intégrale d'occasion. J'avais évidemment eu l'occasion de les lire avant mais comme pour beaucoup ici, c'est un peu la madeleine de Proust. Avec cette série, Bill Watterson a réussi à capturer une sorte de magie de l’enfance, tout en y insufflant une bonne dose de philosophie et d’humour. Chaque strip est une petite tranche de vie où l’imaginaire débordant de Calvin nous transporte dans des aventures folles, toujours accompagné de son fidèle tigre Hobbes, qui, selon les moments, est soit une simple peluche, soit un tigre plus vrai que nature.
Ce qui est très bon avec Calvin et Hobbes, c’est la justesse des dialogues et des situations. Calvin est un gamin infernal, avec des réflexions d’adulte souvent cyniques, mais toujours drôles et pertinentes. Il questionne le monde, la société, les adultes, avec cette insolence propre aux enfants. Hobbes, de son côté, est un parfait contrepoint, plus sage, plus réfléchi, mais toujours partant pour une bonne bagarre ou une escapade dans la nature.
J'adore aussi le dessin de Watterson : simple mais super expressif et qui peut partir en live dans la mise en page quand Calvin part dans ses rêves. Le dessinateur n'est pas beaucoup plus sage que celui qu'il dessine.
Ce qui rend cette série aussi intemporelle, c’est l’équilibre parfait entre l’humour absurde, parfois cartoonesque, et des moments beaucoup plus tendres, voire mélancoliques. La relation entre Calvin et Hobbes est au cœur de tout ça. Hobbes représente cette part d’enfance qui ne veut jamais grandir, ce besoin de rêver, de s’évader, même quand le monde des adultes semble peser de plus en plus lourd sur les épaules de Calvin.
Bien plus qu’une simple série de gags en strip. C’est un petit bijou qui parle de l’enfance, de l’amitié, et du monde avec une intelligence et une sensibilité rares. Une série qui vieillit très bien. Je ne regretterai jamais ce premier achat !
J'ai trouvé le scénario de cette bande dessinée vraiment fascinant. L'histoire est bien construite et m'a tenu en haleine du début à la fin. Chaque page m'a donné envie de découvrir la suite. Les rebondissements sont bien placés et rendent la lecture très agréable. J'ai particulièrement aimé la profondeur des thèmes abordés, qui ajoutent une dimension supplémentaire à l'intrigue.
Les thèmes abordés dans cette bande dessinée sont très intéressants. Ils sont traités avec beaucoup de sensibilité et de justesse. J'ai été touché par la manière dont l'auteur aborde des sujets complexes et parfois difficiles. Cela donne à réfléchir et ajoute une dimension supplémentaire à la lecture. C'est une bande dessinée qui ne se contente pas de divertir, mais qui pousse également à la réflexion.
Les personnages sont très bien développés. Chacun a sa propre personnalité et ses propres motivations, ce qui les rend très attachants. J'ai particulièrement apprécié le personnage principal, dont l'évolution au fil de l'histoire est très bien écrite. Les interactions entre les personnages sont crédibles et ajoutent beaucoup de profondeur à l'intrigue.
Enfin, les dessins sont tout simplement magnifiques. Chaque planche est un véritable plaisir pour les yeux. Les détails sont soignés et les couleurs sont éclatantes. J'ai été impressionné par la qualité du graphisme, qui apporte une réelle valeur ajoutée à l'histoire. Les scènes de combat et les moments plus calmes sont tous superbement illustrés.
Le scénario est juste incroyable !
Les dessins magnifiques d'Olivier Vatine m'ont frappé par leur maîtrise de l'art de la bande dessinée et les détails. Un chef-d'œuvre !
"Il y a très longtemps, la Lune et la Terre suivaient chacune leur propre trajectoire. Un jour elles se sont croisées et se sont attirées mutuellement, mais ni l'une ni l'autre n'est parvenue à s'arrêter"
Ces deux petites phrases tirées d'une case résume parfaitement l'histoire de Zéno et Ana, héros de "Malgré Tout", qui passeront une vie entière à se courir après.
Autant être clair, j'ai fait l'acquisition de cet ouvrage pour ma moitié, une histoire romantique, de beaux dessins 'dynamiques. Le cocktail parfait pour lui faire avaler des acquisitions un peu plus rock'n roll.
Oui mais voilà il y a des BD pour vous instruire, d'autres pour vous souvenir, voyager, vous divertir. Et d'autres pour vous foudroyer le cœur. et "Malgré tout" fait incontestablement partie de cette catégorie. Cette romance est absolument magnifique, elle est une ode à l'amour et à la vie.
Beaucoup d'entre nous ont certainement dû avoir ce coup de foudre, vivre cet amour inachevé.
Je suis ressorti de ma lecture le cœur léger, amoureux et heureux.
De plus le dessins et les couleurs sont magnifiques et portent merveilleusement bien cette romance.
Le scénario à la Benjamin Button est juste parfait
Un énorme coup de cœur et une lecture que je ne peux que vous conseiller.
Un ouvrage que je relirai avec grand plaisir.
A posséder donc
Personne n'a raison et rien n'est vrai.
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Ce tome regroupe des histoires courtes initialement parues dans le magazine Jazzman à partir des années 2000, ainsi qu’une introduction réalisée spécialement pour le recueil et plusieurs dessins supplémentaires. Sa parution initiale date de 2013. Il a été entièrement réalisé par Blutch (Christian Hincker), scénario et dessins. Il compte environ soixante-cinq planches de bande dessinée. Il s’agit d’un ouvrage en noir & blanc, seules les deux premières histoires comportant des nuances de gris.
Avant-propos – Un jeune indien vient trouver le grand sachem. Il souhaite avoir son avis au sujet du travail qu’il a commencé sur la musique du jazz, il y a bien des lunes. Il s’agit maintenant de rassembler tout ce matériel en un volume présentable. C’est une chance mais aussi une responsabilité. Le livre en question doit réunir en recueil les histoires en une page qu’il faisait pour Jazzman, un journal de blancs. Au départ, il se sentait indomptable. Prêt pour mille histoires, et voilà qu’au bout de trente-six lunes, il tombe à genoux sur le sentier. Épuisé, lessivé et pire encore. Il est écœuré, chef. Écœuré du jazz. Depuis quinze – vingt ans, il en a tellement convoité, acheté, accumulé, acheté, qu’il est devenu une espèce de spécialiste. C’est sa vie et il tenait son rôle, mais aujourd’hui dès qu’il met un CD dans le lecteur, c’est lui qu’il voit, c’est lui qu’il entend. Lui. Lui dans un miroir. Coltrane, c’est lui ! Miles Davis, c’est lui ! Mingus, c’est lui ! Et tous les autres, les grands, les petits ! Lui lui encore lui ! Il tourne en rond. Ce livre est un mensonge ! Que doit-il faire ?
Avertissement – Le grand sachem assis en tailleur suppose que lui et le lecteur souffre du même démon, et que cette histoire leur appartient, tout comme ils lui appartiennent. Le son des mots : la belle Chokolé, princesse apache, accueille Couguar, un guerrier, de retour ; ils parlent des mots nouveaux, des mots mystérieux qu’il a rapportés de son voyage, et qui sonnent bien. Le son : Stan Getz se tient debout, dans la lumière de deux projecteurs, et il porte la hanche de son saxophone à sa bouche. Le son commence à en sortir en mélopée, sous les yeux d’une belle jeune femme assise à la table du premier rang. La scène : un homme et une femme afro-américains s’embrouillent et il commence à la frapper. Puis il doit partir et il joue tranquillement du saxophone devant le public d’un café. La vie d’artiste : sur la branche d’un arbre, un petit piaf joue du saxophone avec verve et sensibilité, y mettant tout son cœur et toute son énergie. Des chats viennent l’écouter, admiratifs. Sur scène, Danilo Perez se concentre sur le clavier de son piano, John Patitucci gratte les cordes de sa contrebasse attentif au pianiste, Brian Blade les accompagne à la batterie, Wayne Shorter transforme le tout en s’exprimant au saxophone, parc floral de Paris, le 15 juillet 2001. La muse : elle apporte le café du petit déjeuner au bassiste dans les années 1950, elle est penchée sur le clavier du pianiste dans les années 1960, elle écoute avec admiration le saxophoniste dans les années 1970, elle est sur le lit de la chambre d’hôtel alors que le trompettiste s’échauffe.
Transcrire la musique en bande dessinée, ou même le ressenti, les sensations, les émotions qu’elle génère, relève de la gageure, car sa nature même exclut la présence même du son dans ce mode d’expression. Parler de jazz : un autre défi insensé, pour évoquer ou capturer un instant insaisissable, une dynamique de groupe, des interactions naissant de l’inspiration du moment, des improvisations aussi spontanées qu’éphémères. Dans son avant-propos, le bédéiste développe plus avant sa problématique : des pages réalisées une dizaine d’années auparavant et il n’aurait plus la même approche pour parler de ces sujets, une connaissance niveau expert du jazz, peut-être obsessionnelle au point d’en dire beaucoup plus sur sa personnalité que sur le jazz lui-même. Le lecteur a vite fait de pouvoir le constater : il croise les noms de Stan Getz (1927-1991), Wayne Shorter (1933-2023), puis dans la foulée Jaki Byard (1922-1999), Charles Mingus (1922-1979), Sun-Ra (1914-1993, Herman Poole Blount), Don Pullen (1941-1995), Martial Solal (1927-). Certains de ces artistes ne figurent pas sur les listes des musiciens jazz les plus célèbres et dénotent une connaissance pointue de cette branche de la musique. Ce constat se trouve confirmé avec la mention de Buddy Bolden (1877-1931) ou Bubber Miley (1903-1932) emmenant le lecteur aux sources historiques du jazz, ou encore Sonny Sharrock (1940-1994) guitariste et un des pères de la guitare free jazz. Le lecteur amateur reprend pied avec des références à des artistes plus connus comme Duke Ellington (1899-1974), John Coltrane (1926-1967), Lee Morgan (1938-1972), Ornette Coleman (1930-2015), Chet Baker (1929-1988), et bien sûr Miles Davis (1926-1991) érigé par l’auteur au statut de véritable messie du jazz, et même de Christ.
S’il n’a pas connaissance du caractère composite pour partie de l’ouvrage, le lecteur commence par se dire que le bédéiste, lui aussi, se lance dans autant d’improvisations que d’histoires. La couverture faisant d’une jeune femme blanche la muse des musiciens afro-américains, les vingt-quatre portraits de musiciens jazz célèbres en deuxième de couverture et sur la page en vis-à-vis, l’étrange dessin avec une touche de couleur d’un homme torse nu dans la page de titre, le dessin crayonné de quatre musiciens sur scènes, avec une jeune fille endormie à leur pied, les trois pages de l’avant-propos à l’encre pour des silhouettes esquissées par des traits tremblés, l’avertissement sous forme de deux cases de la largeur de la page avec des nuances de gris, Le son des mots en six pages dans un même mode de représentation, puis les trente-huit entrées en un page à l’encre avec des cases et des bordures, ou des dessins sans bordures, au pinceau ou à l’encre, les deux pages avec une touche de couleur pour le festival de jazz à Marciac, ou encore l’enquête en six pages du détective du jazz à la plume, sans oublier une esquisse au crayon d’une couverture pour le magazine Jazzman. Toutefois à la lecture, les trente-huit entrées présentent une forte cohérence dans leur approche de musiciens de jazz, et la différence d’approche des autres apparaît légitime du fait de la nature distincte de l’anecdote ou du point de vue.
L’amateur de musique jazz appréciera la connaissance de l’auteur en la matière, que ce soit l’évocation des précurseurs comme Buddy Bolden et Bubber Miley, ou les hommages rendus à Miles Davis, érigé en saint patron du jazz, à la tonalité et au phrasé uniques de Stan Getz, à la façon de se désagréger dans le néant de Chet Baker, ou encore à la présence physique de Charlie Mingus. Il saura également savourer la justesse des anecdotes choisies pour ces créateurs. Ces différents moments de l’histoire du jazz forment bien plus qu’une collection d’anecdotes pour rendre gloire à ces musiciens. L’artiste invoque de multiples facettes de la vie de ces musiciens et de leur musique. Il se montre admiratif de ces créateurs, mais sans se montrer complaisant. Il met en scène la solitude du soliste devant le public, parfois avec cruauté comme ce petit oiseau qui a tout donné pour un public de chats et qui se fait croquer quand il a fini épuisé, ayant tout donné, ayant craché ses tripes, et que l’attention des chats se reportent sur un nouvel oiseau qui va se lancer dans un solo. Cette forme de vampirisation du créateur se retrouve également dans la mise en scène de la ségrégation raciale, du racisme affiché, et de la pauvreté des musiciens. Cela peut prendre la forme d’un musicien noir acclamé sur scène à Paris dans les années 1950, courtisé en terrasse ou au restaurant par les admirateurs et les admiratrices, et montré du doigt dans la rue par le vulgum pecus. Blutch s’amuse également de l’image et de la réputation du jazz. Dans la page intitulée Étude du préjugé de la bande dessinée classique envers le jazz, il détourne des personnages comme Bianca Castafiore, Pirlouit ou le barde Assurancetourix pour en faire des musiciens de jazz, qui provoquent des réactions de rejets des autres personnages.
Au travers de ces scénettes, l’artiste évoque de multiples facettes de cette musique au fil des décennies : son origine afro-américaine et créole, le décalage qu’il peut y avoir entre personne privée et musicien en public (un saxophoniste qui bat sa femme et qui émeut aux larmes son public), la dynamique de groupe de musiciens et la transformation qui s’opère quand le meneur intervient dans un solo, le rôle de la muse, l‘effet toujours différent et renouvelé du solo d’un artiste à un autre, l’incompréhension et le rejet de cette musique par le grand public (avec l’exemple de A love Supreme, 1965, de John Coltrane), une forme encore plus extrême d’ostracisation avec l’exemple d’une saxophoniste femme et afro-américaine (intersectionnalité), l’investissement total d’un musicien de studio juste pour quelques prises, l’évolution des rayons de jazz dans les grandes chaînes de disque dans le sens de la diminution, le décalage total entre l’image raffinée et de détente du jazz et la réalité de son écoute (avec l’exemple de Something else, 1958, d’Ornette Coleman), etc. Il met en scène l’inspiration, en particulier la présence d’une belle femme ayant des effets immédiats sur la manière de jouer du musicien. Il rend un hommage à la puissance créatrice de Miles Davis, au fait qu’il se soit renouvelé, réinventé même au fil des décennies et à sa solitude consubstantielle du fait de se trouver au sommet, au firmament même.
Dans son avant-propos (en bande dessinée), l’auteur présente l’historique de ce projet, ses réticences à regrouper des scènes en une page réalisées il y a quelques années, le caractère presque obscène à rendre publique une passion si intense qu’elle avoisine l’obsession et le narcissisme. Ainsi averti, le lecteur peut prendre le recul qu’il souhaite, et il peut tout autant apprécier ces évocations du jazz au travers de quelques musiciens, quelques réalités sociales, avec une narration visuelle à la fois rigoureuse et libre, allant d’observations générales à des cas particuliers pour afficionados, du jazz classique au jazz le plus free, des chefs d’œuvre passés à la postérité à l’instant éphémère à jamais disparu portant en lui la mortalité de l’individu et l’expression personnelle la plus intime.
Une bonne pinte de zwanze
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Ce tome fait suite à Léopoldville 60 (paru en 2019) pour la chronologie de la parution des albums. En revanche, il s’agit du premier, à ce jour, pour la chronologie de la vie de l’héroïne. Sa première édition date de 2020. Il a été réalisé par Patrick Weber pour le scénario, Baudouin Deville pour les dessins et l'encrage, Bérengère Marquebreucq pour la mise en lumière, c’est-à-dire la même équipe que celle des quatre autres albums de la série : Sourire 58 (paru en 2018), Léopoldville 60 (paru en 2019), Berlin 61 (paru en 2023), Innovation 67 (paru en 2021). Philippe Wurm est remercié pour son travail de monitoring sur la couverture. Ce tome comporte cinquante-deux pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de huit pages, agrémenté de photographies, intitulé Bruxelles une vie très occupée : Sous la botte nazie, On trouve tout au marché noir, Ça s’est passé en 1943, BD ça bulle pendant la guerre, Le Soir volé zwanze et courage, Bruxelles sous les bombes, un entretien avec Pierre Gérard (J’avais treize à Bruxelles en 1943). Viennent enfin deux pages sur lesquelles sont listés les centaines de personnes ayant contribué à la campagne de financement participatif.
1960 un quartier au sud de Bruxelles par une belle matinée d’automne. Dans une grande maison, Kathleen Van Overstraeten appelle à haute voix sa mère Guillemette. Elle tient une petite réplique de l’Atomium dans la main droite, et une autre d’un masque africain dans la main gauche. Elle ne peut pas croire que sa mère veuille jeter ça, des cadeaux qu’elle lui a faits ! Sa mère lui redit qu’elle ne jette rien, elle va les donner à une œuvre, Les petits riens, de l’abbé Froidure. En outre, cette maison est devenue trop grande pour elle et comme elle va vivre en appartement, elle doit faire des choix. Elle demande à Kathleen de l’aider au lieu de jacasser. Qu’elle file dans le grenier et qu’elle fasse le tri. Il y a encore plein d’affaires à elle. Un peu agacée, Kathleen s’exécute et commence à farfouiller dans un coffre, où elle trouve un vieil appareil à visionner en stéréoscopie, un View-Master. Elle continue de fourrager dans ce coffre.
Kathleen en sort un lot de planches de bande dessinée, enserrées dans une bande de papier kraft, avec un message inscrit dessus : Fernand, je te confie mon travail. Tu es la seule personne en qui j’ai confiance. Je sais que tu en prendras grand soin. Merci à toi. Kathleen jette un coup d’œil sur les planches : des gags mettant en scène Adolf et Herman, son berger allemand. Ça fait remonter en elle des souvenirs de la seconde guerre mondiale à Bruxelles. 1943. Elle avait douze ans. Et sa ville était occupée par les Allemands, avec les soldats qui marchaient au pas de l’oie dans la rue. Ils l’appelaient Brüssel ! Elle ne comprenait pas grand-chose à la guerre, par exemple cette affiche d’une maman enserrant sa fille avec le slogan : Papa gagne de l’argent en Allemagne ! Sauf qu’elle ne devait pas répéter à l’extérieur ce qu’ils disaient à la maison. Et surtout pas à l’école. Elle était au lycée Dachsbeck, tout près du Sablon et même-là on ne savait jamais qui pensait quoi. Guillemette, sa mère, travaillait à l’Innovation, rue Neuve. Elle était vendeuse au rayon chapeaux pour dames.
Une couverture avec une illustration de type ligne claire, une mise en couleurs sophistiquée, et un titre explicite : la vie à Bruxelles en 1943, pendant l’occupation allemande, comme en atteste la croix gammée sur la façade de l’hôtel Continental en vis-à-vis de la fontaine Anspach sur la place de Brouckère. Les deux auteurs réalisent une bande dessinée de nature historique avec une solide reconstitution de l’occupation et de sa représentation. Au fil du tome, le scénariste évoque les troupes de soldats qui patrouillent dans la capitale belge, le risque de la délation et la méfiance de chaque instant dans les lieux publics, le rationnement et ses tickets, le parti rexiste et les collaborateurs, le salut nazi entre dignitaires et militaires allemands dans la rue, l’arrestation arbitraire de Juifs dans la rue en public, les contrôles de papiers d’identité à tout bout de champ, la censure de la presse et les restrictions de papier, la Sturmbrigade Wallonie (ex-légion wallonne passée en juin 1943 sous le giron de la Waffen-SS), le Front de l’Indépendance (réseau de résistance intérieure fondé en 1941), le marché noir (en particulier la bien-nommée rue du Radis située dans les Marolles), jusqu’au camp de prisonniers d'Esterwegen dans l’Emsland en Allemagne, et l’exil de Léon Degrelle en Espagne.
La reconstitution historique passe également par les dessins. Ceux-ci s’inscrivent dans le registre de la ligne claire avec un niveau impressionnant de détails. Le lecteur est tout de suite projeté ailleurs, dans le quartier résidentiel du sud de Bruxelles, dans un dessin en élévation. Il est fortement impressionné par les descriptions et les scènes de vie à Bruxelles en 1943. Il est visible que le dessinateur s’est solidement documenté aussi bien pour les uniformes et les armes des soldats et des officiers allemands, que pour les tenues vestimentaires des civils, afin d’assurer l’authenticité par rapport à l’époque. Il applique le même soin rigoureux et patient pour décrire les différents quartiers de la ville. Les auteurs tiennent toutes les promesses contenues dans le titre : immerger le lecteur dans cette capitale à cette année-là. Le lecteur ouvre grand les yeux et prend le temps de détailler chaque planche à son tour : les façades des immeubles bruxellois, les voitures garées dans les rues, le tramway, l’intérieur du magnifique café Le Cirio à deux pas de la Bourse, la place de Brouckère et son monument, la ferme des grands-parents maternels de Kathleen avec ses poules et son cochon, les alentours du château de Karreveld, les trafiquants assis à même le trottoir rue du Radis pour le marché noir, le Parc royal de Bruxelles, les statues du square du petit Sablon, la place du Jeu de Salle avec la caserne des pompiers, la gare du Midi, les chars de la deuxième armée britannique entrant dans la ville le 3 septembre 1944, etc.
L’immersion dans cette capitale gagne encore en intensité avec de nombreuses références ayant une saveur typique pour un touriste, présente tout du long du tome. Le scénariste fait preuve de la délicate attention de les expliciter dans la gouttière sous la case correspondante. Dans l’ordre où elles sont mentionnées : Abbé Froidure (prêtre catholique belge, fondateur d’œuvres sociales, dont Les Petits Riens), une aubette (un kiosque à journaux), du peket (nom donné au genièvre dans la région wallonne), le Rexisme (mouvement politique belge d’extrême droite nationaliste et antibolchévique, 1930-1945), ADS (les Amis De Spirou, un mouvement de jeunesse du journal Spirou créé en 1938), Schieve (fou), plusieurs des dix-neuf communes de Bruxelles (Saint-Josse-Ten-Noode, Boitsfort), Half en half (apéritif bruxellois, mélangeant à part égale du mousseux et du vin blanc sec), le zwanze (humour gouailleur associé à Bruxelles), etc. Chaque élément physique est dessiné avec le même souci de montrer précisément ce dont il s’agit. La mise en couleur de Bérengère Marquebreucq est qualifiée de mise en lumière. L’expression trouve tout son sens avec une sensibilité artistique sachant équilibrer une approche naturaliste, une lisibilité renforcée et une installation discrète d’ambiance.
Comme pour les autres albums, les auteurs ont choisi de raconter une histoire, pour rendre la reconstitution historique plus vivante. Le lecteur suit ainsi la jeune Kathleen, douze ans en 1943, et plusieurs des adultes qui croisent son chemin, comme ses parents, plus particulièrement son père Fernand, Bob Mertens, un ami dessinateur de son père, Alfred Mommens, un jeune adulte fils de rexiste, et quelques autres. Les personnages disposent d’assez d’épaisseur et de caractère pour ne pas être réduits à des artifices narratifs. Le lecteur croit en la conviction rexiste du père d’Alfred, à la conviction de Bob qui en fait un résistant, à la normalité des époux Guillemette et Fernand Van Overstraeten, essayant de conserver une forme de vie digne sous le joug de l’occupation par l’envahisseur. En tant que bédéistes belges, les auteurs font intervenir les deux auteurs les plus en vue de l’époque, Georges Rémi (1907-1983) étant un client régulier de l’aubette tenue par le père de Kathleen, venant parfois accompagné par Edgar-Pierre Jacobs (1904-1987), les deux travaillant sur Le trésor de Rackham le rouge, histoire publiée quotidiennement en noir et blanc dans le journal Le Soir, du 19 février au 23 septembre 1943.
Le lecteur savoure cette reconstitution historique au goût authentique de belgitude quand son attention gagne en intensité et en implication en page vingt-sept : le 7 septembre 1943 à 09h51. Les auteurs n’en font pas des tonnes : trois pages factuelles sans dramatisation tire-larme. Le lecteur ressort sonné du bombardement du quartier d’Ixelles à Bruxelles par les alliés. La bande dessinée vient de passer dans un registre plus personnel, plus bouleversant. La guerre s’est déchaînée au cœur de la cité, les civils sont impliqués, la réalité de l’occupation et du temps de guerre se fait palpable pour le lecteur. Parmi les événements relatés, les auteurs racontent avec la même justesse de sensibilité la réalisation du faux Soir et sa distribution le 4 novembre 1943. Les conséquences ne se font pas attendre pour l’imprimeur, le complice au sein du Soir volé, le linotypiste et le rotativiste. Même si dans le même temps, l‘exploit et le courage de ses promoteurs furent salués à travers toute l’Europe et Londres attribua une aide au Front de l’Indépendance.
Une grande réussite : les auteurs emmènent le lecteur dans Bruxelles occupée, par une reconstitution historique impeccable, à la fois par le choix des événements évoqués, et par leur mise en image et en couleur. Même le plus blasé des lecteurs par les évocations de la seconde guerre mondiale se retrouve parmi quelques individus de la population et sent le souffle des bombes qui tombent, le danger à faire acte de résistance. Il continue avec plaisir en se lançant dans la lecture du dossier en fin de tome.
Disclaimer : je ne vais pas être très objectif sur cette série, c'est une série que j'ai lue maintes fois dans ma jeunesse et qui fait incontestablement partie de mes piliers de la BD.
Parce que "La Quête de l’oiseau du temps" de Le Tendre et Loisel est bien plus qu’une simple saga de fantasy. Dès les premières pages, l’univers d’Akbar capte par sa richesse et ses détails. Chaque lieu visité a sa propre identité, avec des peuples et créatures qui donnent une grande profondeur à ce monde. Les personnages, Bragon en tête, ne sont pas de simples héros de fantasy. Leurs motivations, leurs failles, et leurs combats personnels rendent cette quête initiatique particulièrement humaine.
Graphiquement, on assiste à une vraie évolution. Les premiers tomes, encore un peu bruts, laissent place à un style de plus en plus fin et soigné. Les paysages, les scènes d’action et les moments plus introspectifs sont magnifiés par la palette de couleurs, qui, malgré quelques faiblesses dans le premier tome, s’affinent au fil des albums.
Le scénario, quant à lui, part d’une trame classique mais se distingue par la profondeur des enjeux et des relations entre les personnages. La quête prend un ton plus grave et complexe à mesure que l’histoire progresse. Chaque protagoniste évolue : Bragon, vieillissant, fait face à ses propres démons ; Pelisse, un personnage à la fois fort et vulnérable, s’impose par son caractère. Et des personnages comme le Rige apportent une densité supplémentaire, entre mystère et respect.
Les dernières pages de la série sont mémorables. La fin, à la fois poétique et surprenante, rompt avec les conclusions attendues dans la fantasy classique. On y trouve une mélancolie, une réflexion sur le temps et la destinée, qui élèvent cette œuvre au-delà du simple récit d’aventures.
Tout simplement un incontournable du genre, une série qui se distingue autant par son univers que par la profondeur de ses personnages et la qualité de son dessin. Un chef-d’œuvre à redécouvrir, qui laisse une empreinte durable.
Voici une œuvre marquante, à côté de laquelle je serais passé si ne fréquentais pas ce site. "Mauvaises Herbes" un témoignage puissant de l’histoire des “femmes de réconfort”, souvent passé sous silence. Cet album, réédité par Futuropolis, raconte avec une grande sensibilité le destin tragique de Oksun Lee, victime de l’esclavage sexuel sous l’occupation japonaise en Corée.
Dès les premières pages, on est frappé par la force brute du trait en noir et blanc. L’autrice joue habilement avec les épaisseurs de lignes pour donner à la fois un sentiment d’enfermement et de brutalité, tout en laissant place à une certaine douceur dans les paysages naturels. Ce contraste visuel reflète parfaitement le dilemme entre la beauté du monde et l’horreur des expériences humaines. Les mauvaises herbes, symboles de résistance et de résilience, parsèment l’œuvre comme un écho à la ténacité de ces femmes oubliées.
Le récit alterne habilement entre les souvenirs de Oksun et les entretiens que Keum Suk Gendry-Kim a menés avec elle. La structure narrative est fluide, permettant de ressentir le poids du traumatisme tout en étant guidé avec délicatesse à travers cette mémoire douloureuse. Gendry-Kim choisit d’aborder les moments les plus horribles avec pudeur, optant pour l’implicite plutôt que pour des représentations explicites, ce qui renforce la puissance émotionnelle de l’œuvre.
Le travail de l’autrice s’inscrit dans une démarche de mémoire, de réhabilitation de la parole des victimes, trop longtemps ignorée. Le ton est juste, sans voyeurisme ni surenchère dramatique, ce qui rend l’ouvrage d’autant plus poignant. On ne peut qu’être ébranlé par cette histoire, témoin d’une période sombre et encore taboue de l’histoire asiatique. C’est une œuvre nécessaire, un devoir de mémoire aussi essentiel que les autres récits historiques qui évoquent les grandes tragédies humaines.
Cet album est un coup de poing émotionnel, j'ai lu les 500+ pages d'une traite. Le dessin, brut mais subtil, la narration poétique et touchante, et surtout le sujet traité avec une sensibilité rare font de cette bande dessinée un véritable chef-d’œuvre qui devrait être lu et partagé largement. Je rejoins les avis précédents, une oeuvre magistrale et un grand coup de coeur.
C'est cette question de la sensation, vous comprenez ?
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première parution date de 2015 au Brésil, et de 2016 en France. Il a été traduit par Marie Zeni et Christine Zonzon. Il a été réalisé par Marcello Quintanilha pour le scénario et les dessins. Il compte cent-cinquante-six pages de bande dessinée, en noir & blanc, avec des nuances de gris.
Le soir, Rosângela, trentenaire, s’est couchée dans le lit conjugal, aux côtés de son mari Mario. Après avoir éteint la lumière, elle repense à cette histoire d’être, d’une certaine manière, supérieure. Non, ce n’est pas ça. En fait, c’est assez difficile à expliquer, parce que cette pensée là… Il ne s’agit pas d’une idée, comme on pourrait dire, tout simplement., Rosângela se sentait supérieure, car ce n’était pas ainsi qu’elle pensait. Du moins, on ne peut pas dire qu’elle pensait en ces termes-là. Non, ce n’est pas vraiment cela. C’est pourquoi il est difficile de l’expliquer, ce serait plutôt ? Comment dire ? Plutôt une espèce de sensation, vous comprenez ? Oui… Une espèce de sensation, vous savez ? Disons… Comme si … vous aviez le sentiment de faire partie d’une classe… disons… supérieure. Vous voyez ? Comme si vous apparteniez à un certain milieu social, c’est ce que je veux dire… Ce sont des gens qui vivent dans des conditions particulières, n’est-ce pas ? Le genre de personnes dont vous dites : Eh ben ! Pour être à cette place dans la peau de cette personne et vivre de cette façon, consommer, faire des voyages, faire l’amour, il faut appartenir à ce milieu ! Eh bien, c’était plus ou moins cela que Rosângela ressentait.
C’était ce qu’elle ressentait, et, curieusement, elle associait le fait d’être dans la peau d’une de ces personnes-là, dont tout le monde sait qu’elles appartiennent à une classe supérieure, à un moment précis, lorsqu’elle venait juste de faire l’amour avec son mari. Plus encore que lorsqu’elle descendait prendre sa voiture au garage, ou qu’elle laissait les enfants devant le collège, ou qu’elle rejoignait son cabinet. Et si vous pensez que personne ne s’en rendait compte, demandez donc au portier de l’immeuble, qui lui assène tous les matins son Bonjour Dr. Rosângela, demandez donc au gars du parking, demandez à tous ces gens qui regardent sa voiture du coin de l’œil, sans pouvoir s’acheter la même. Demandez-leur, et vous verrez… C’est plus ou moins comme si vous étiez dans la peau d’une personne à part, qui sait qu’il y a de la misère dans le monde, mais qui… Qui ne peut rien y faire, n’est-ce pas ? C’est embêtant, c’est triste, mais que faire ? Vous avez la chance d’être dans la peau de ce genre de personnes, un point c’est tout. Vous ne pouvez rien y faire, il vous faut donc vivre le mieux possible. La dentiste Rosângela est arrivée dans son cabinet de dentiste. Elle salue son assistante Irma, fait le point sur ses rendez-vous du matin. Elle doit recevoir sa cousine germaine Daniele qui vit dans le quartier populaire de Barreto, celle avec son père alcoolique dont, enfant, elle devait nettoyer le vomi, dont le premier mari lui crachait au visage. Celle qui est si jolie, une beauté incroyable, un sourire extraordinaire.
La quatrième de couverture présente Rosângela comme souffrant du syndrome de la femme parfaite : dentiste reconnue, un mari cardiologue à succès très amoureux d’elle, des enfants qui sont de véritables petites merveilles, une belle voiture, un compte bancaire bien rempli… Mais une cousine, pauvre et séparée de son mari, fait preuve d’une tranquillité d’esprit désarmante, dotée d’un sourire toujours éclatant. Une simple histoire de jalousie ? La narration apparaît tout de suite comme très personnelle. Des cases sans bordure, entre quatre et douze par page, avec des dessins naturalistes et descriptifs, et parfois des gros plan ou des contrastes qui aboutissent à une image abstraite si le lecteur la considère détachée des cases la précédant ou la suivant. Un flux de pensées qui n’est pas celui du personnage principal, mais celui du narrateur ou de l’auteur qui n’est pas omniscient. Ses remarques et ses observations oscillent entre des constats sur l’état d’esprit de Rosângela et ses pensées, et des interrogations dessus, comme s’il cherchait à comprendre ses émotions, leurs racines, comme s’il ne savait pas tout d’elle.
Le lecteur se retrouve immédiatement impliqué dans cette vie, dans les émotions de cette femme, vraisemblablement trentenaire qui fait l’objet de l’attention du narrateur qui s’interroge sur elle, tout en racontant son histoire. L’histoire se déroule à Niterói, ville située sur le côté est de l'entrée de la baie de Guanabara, face à Rio de Janeiro. Son nom est mentionné et Rosângela évoque d’autres villes et quartiers à proximité, pour souligner qu’elle a la chance d’habiter dans une zone privilégiée. On la voit emprunter le pont Rio-Niterói long de treize kilomètres, qui traverse ladite baie. De manière incidente, sans que la narration y fasse référence explicitement ou ne commente, certaines cases montrent des rues, des façades d’immeuble, les plages, les vagues de l’océan, avec ou sans êtres humains se livrant à leurs occupations. C’est une particularité narrative de cette bande dessinée que d’avoir parfois des cases qui ne se rattachent pas au sujet des réflexions du narrateur sur son personnage, mais qui viennent montrer le lieu, ou bien associer un lieu du quotidien de Rosângela, apportant un élément de sa vie. L’auteur montre ainsi de nombreux éléments de la vie de tous les jours de cette femme : le tableau de bord de sa voiture, sa chambre à coucher, la salle d’attente de son cabinet de dentiste, l’ascenseur qui y mène, un train sur la voie ferrée qui traverse le quartier où vit sa cousine germaine, son premier cabinet avenue Amaral Peixoto que lui avait offert son père, les immeubles le long de la baie vus depuis la mer, son fauteuil de dentiste avec les appareils, le salon de tante Bel avec son canapé très ordinaire recouvert d’un tissu pour le protéger, la mer venant lécher la base du rocher d’Itapuca pendant la marée, la grande salle de réception d’un appartement luxueux des amis de son mari, des immeubles d’autre partie de la ville, les lumières de la ville de nuit, des zones piétonnes, etc.
En plus de la diversité des lieux montrés au fil de l’eau, l’artiste se focalise parfois sur un détail, un gros plan : la plaque du cabinet dentaire, l’eau qui s’écoule dans un lavabo, une main sur laquelle on enfile un gant, le motif géométrique du plafonnier, une dentition, un lustre monumental dans un centre commercial, le motif du revêtement d’un trottoir, le chiffre d’un jour sur un calendrier, etc. Ces moments peuvent aussi bien correspondre à une vue subjective, ce sur quoi se concentre le regard Rosângela à ce moment-là, qu’un souvenir fugace dans son esprit. De temps à autre, ces images deviennent des très gros plans, sortant un détail d’une case vue précédemment, pour donner une figure abstraite qui ne fait sens que rattachée à la case ou à la séquence d’origine. Une forme conceptuelle comme si le réel perdait son sens pour ne plus être qu’un ressenti esthétique fugace. Ces caractéristiques de la narration visuelle génèrent un effet parfois sensoriel, parfois émotionnel, connectant ainsi directement le lecteur aux sens de la protagoniste. L’effet peut s’avérer d’autant plus troublant que les brèves cellules de texte déroulent une idée parallèle. Le lecteur se met alors à imaginer, ou plutôt à ressentir la connexion qu’il peut y avoir, soit directe les images fournissant le contexte du flux de pensées qui sont influencées inconsciemment par le lieu ou l’action, soit à retardement quand le souvenir revient par un mécanisme d’association sensoriel ou émotionnel, du grand art.
La qualité narrative fait de cette histoire banale tout autre chose qu’une télénovela produite industriellement au kilomètre. La banalité de la trajectoire de vie de Rosângela acquiert une profondeur extraordinaire, parfois sociologique, parfois émotionnelle, toujours personnelle. Certes les circonstances de sa naissance l’ont gâtée : parents aimants, attentionnés, financièrement à l’aise, bonne éducation, réussite scolaire, mariage très heureux avec un époux très attentionné, enfants agréables réussissant bien, confort matériel, réussite professionnelle, personnes à qui se comparer, dans son milieu social, mais aussi sa cousine germaine, sa tante et son oncle d’un milieu nettement moins favorisé, avec une histoire personnelle nettement moins heureuse (père alcoolique, mari méprisant, pas d’enfant). Rosângela sait qu’elle bénéficie d’une situation enviable, nettement meilleure que l’écrasante majorité de la population. Elle a conscience d’être regardée comme un modèle de bonheur, plus admirée qu’enviée. Au fil du récit, l’auteur aborde d’autres thèmes : une sensation de manque indéfinissable, une commisération de circonstance pour sa cousine germaine (pas vraiment de la peine, certainement pas de la jalousie), une forme d’injustice existentielle (le bon caractère et le plaisir de vivre évident de sa cousine, qu’y a-t-il dans son sourire ?), une interrogation sur ce qu’elle pourrait devoir d’une certaine manière (car elle n’a rien fait pour mériter tout ça, en fait si elle a mené sa vie en s’investissant pour construire cette forme de bonheur), une question de mérite… L’auteur ne se montre pas méchant avec son personnage, il fait tout pour se montrer le plus empathique possible pour la comprendre, ce qui incite tout naturellement le lecteur à faire de même. Soit il a développé de solides convictions sur le sens de la vie, et il n’éprouve alors aucune difficulté à se positionner par rapport à Rosângela, à trancher sur la nature de son mal-être. Soit il est plus dans l’empathie et il l’accompagne dans cette recherche de ce qui ne va pas, ce qui fait défaut, ce qui gêne, ce qui ne fait pas sens dans sa situation comparée au parcours de sa cousine Daniele. Au départ, il attend alors une sorte de révélation. Mais le récit s’avère beaucoup plus habile que cela, impliquant le lecteur tout en douceur dans la vie intérieure de la protagoniste, sans bulles de pensée. La compréhension ne se produit pas sous forme de révélation, mais en éprouvant ses ressentis. Aussi fort et intense qu’habile et élégant.
Une couverture peu parlante, un titre cryptique, une histoire banale de mère ayant tout réussi. Une narration personnelle faite de petites cases ouvertes, parfois en panoramique sur la largeur de la page, semblant très descriptives et très factuelles, tout en faisant ressentir l’état d’esprit de Rosângela de manière aussi douce qu’efficace. Le suspense se révèle d’ordre psychologique, voire existentiel, tout en sourdine, alors que le lecteur s’installe dans le quotidien de la protagoniste à Niterói, en profitant de son confort matériel. Une incroyable aventure dans le monde intérieur d’une femme, sans avoir accès à ses pensées. Extraordinaire.
Nous voici plongés dans une ville qui se nomme Bassin City, avec ses sombres ruelles où l'on craint pour sa vie, qui sont faiblement éclairées par les néons de clubs de striptease, dont les malfrats, la mafia, les prostituées, flics et politiques corrompus y règnent sans vergogne.
Nous suivons dans chaque tome, différents protagonistes dopés sous stéroïde ou tout simplement avec une grosse paire de burnes, dans leurs petits tracas du quotidien que cette ville leur gage sans le moindre respect, qui faut se le dire ne sont pas les mêmes que les communs des mortels. Tous les personnages sont vraiment travaillés sur bien des aspects, mais c'est surtout sur leurs dialogues et punchlines qu'ils nous délivrent de vrais frissons, ce qui leur donnent une réelle authenticité.
Le noir et blanc du maitre Miller est vraiment maitrisé à la perfection, ça colle parfaitement à l'ambiance de la ville et à la personnalité de nos anti-héros. J'ai été submergé dans ce polar noir qui a réussi de plus, à croiser les scénarios dans des lieux communs à chaque tome, ce qui est vraiment bluffant.
Par une écriture, mais quelle ECRITURE !!! Une mise en scène incroyablement efficace par l'utilisation de la voie off de nos protagonistes avec une réelle profondeur, du vrai théâtre. Je tire mon chapeau à notre traducteur de renom, Henri Loevenbruck pour avoir réussi à nous faire ressentir ce que l'auteur voulait nous transmettre par sa vison de la mise en scène.
Une petite déception tout de même pour sa dernière histoire "Retour en enfer" qui utilise des codes différents, qui pourrait plaire car ça casse la routine des premiers tomes, mais pour ma part, ça ne m'a pas convaincu.
Sin city vous attend ... Marv, Dwight McCarthy, l'inspecteur John Hartigan et Wallace vous attendent énergiquement également ...
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Calvin et Hobbes
Calvin et Hobbes, c’est le premier cadeau que je me suis fait avec mon premier salaire : l'intégrale d'occasion. J'avais évidemment eu l'occasion de les lire avant mais comme pour beaucoup ici, c'est un peu la madeleine de Proust. Avec cette série, Bill Watterson a réussi à capturer une sorte de magie de l’enfance, tout en y insufflant une bonne dose de philosophie et d’humour. Chaque strip est une petite tranche de vie où l’imaginaire débordant de Calvin nous transporte dans des aventures folles, toujours accompagné de son fidèle tigre Hobbes, qui, selon les moments, est soit une simple peluche, soit un tigre plus vrai que nature. Ce qui est très bon avec Calvin et Hobbes, c’est la justesse des dialogues et des situations. Calvin est un gamin infernal, avec des réflexions d’adulte souvent cyniques, mais toujours drôles et pertinentes. Il questionne le monde, la société, les adultes, avec cette insolence propre aux enfants. Hobbes, de son côté, est un parfait contrepoint, plus sage, plus réfléchi, mais toujours partant pour une bonne bagarre ou une escapade dans la nature. J'adore aussi le dessin de Watterson : simple mais super expressif et qui peut partir en live dans la mise en page quand Calvin part dans ses rêves. Le dessinateur n'est pas beaucoup plus sage que celui qu'il dessine. Ce qui rend cette série aussi intemporelle, c’est l’équilibre parfait entre l’humour absurde, parfois cartoonesque, et des moments beaucoup plus tendres, voire mélancoliques. La relation entre Calvin et Hobbes est au cœur de tout ça. Hobbes représente cette part d’enfance qui ne veut jamais grandir, ce besoin de rêver, de s’évader, même quand le monde des adultes semble peser de plus en plus lourd sur les épaules de Calvin. Bien plus qu’une simple série de gags en strip. C’est un petit bijou qui parle de l’enfance, de l’amitié, et du monde avec une intelligence et une sensibilité rares. Une série qui vieillit très bien. Je ne regretterai jamais ce premier achat !
Porcelaine
J'ai trouvé le scénario de cette bande dessinée vraiment fascinant. L'histoire est bien construite et m'a tenu en haleine du début à la fin. Chaque page m'a donné envie de découvrir la suite. Les rebondissements sont bien placés et rendent la lecture très agréable. J'ai particulièrement aimé la profondeur des thèmes abordés, qui ajoutent une dimension supplémentaire à l'intrigue. Les thèmes abordés dans cette bande dessinée sont très intéressants. Ils sont traités avec beaucoup de sensibilité et de justesse. J'ai été touché par la manière dont l'auteur aborde des sujets complexes et parfois difficiles. Cela donne à réfléchir et ajoute une dimension supplémentaire à la lecture. C'est une bande dessinée qui ne se contente pas de divertir, mais qui pousse également à la réflexion. Les personnages sont très bien développés. Chacun a sa propre personnalité et ses propres motivations, ce qui les rend très attachants. J'ai particulièrement apprécié le personnage principal, dont l'évolution au fil de l'histoire est très bien écrite. Les interactions entre les personnages sont crédibles et ajoutent beaucoup de profondeur à l'intrigue. Enfin, les dessins sont tout simplement magnifiques. Chaque planche est un véritable plaisir pour les yeux. Les détails sont soignés et les couleurs sont éclatantes. J'ai été impressionné par la qualité du graphisme, qui apporte une réelle valeur ajoutée à l'histoire. Les scènes de combat et les moments plus calmes sont tous superbement illustrés.
Niourk
Le scénario est juste incroyable ! Les dessins magnifiques d'Olivier Vatine m'ont frappé par leur maîtrise de l'art de la bande dessinée et les détails. Un chef-d'œuvre !
Malgré tout
"Il y a très longtemps, la Lune et la Terre suivaient chacune leur propre trajectoire. Un jour elles se sont croisées et se sont attirées mutuellement, mais ni l'une ni l'autre n'est parvenue à s'arrêter" Ces deux petites phrases tirées d'une case résume parfaitement l'histoire de Zéno et Ana, héros de "Malgré Tout", qui passeront une vie entière à se courir après. Autant être clair, j'ai fait l'acquisition de cet ouvrage pour ma moitié, une histoire romantique, de beaux dessins 'dynamiques. Le cocktail parfait pour lui faire avaler des acquisitions un peu plus rock'n roll. Oui mais voilà il y a des BD pour vous instruire, d'autres pour vous souvenir, voyager, vous divertir. Et d'autres pour vous foudroyer le cœur. et "Malgré tout" fait incontestablement partie de cette catégorie. Cette romance est absolument magnifique, elle est une ode à l'amour et à la vie. Beaucoup d'entre nous ont certainement dû avoir ce coup de foudre, vivre cet amour inachevé. Je suis ressorti de ma lecture le cœur léger, amoureux et heureux. De plus le dessins et les couleurs sont magnifiques et portent merveilleusement bien cette romance. Le scénario à la Benjamin Button est juste parfait Un énorme coup de cœur et une lecture que je ne peux que vous conseiller. Un ouvrage que je relirai avec grand plaisir. A posséder donc
Total Jazz
Personne n'a raison et rien n'est vrai. - Ce tome regroupe des histoires courtes initialement parues dans le magazine Jazzman à partir des années 2000, ainsi qu’une introduction réalisée spécialement pour le recueil et plusieurs dessins supplémentaires. Sa parution initiale date de 2013. Il a été entièrement réalisé par Blutch (Christian Hincker), scénario et dessins. Il compte environ soixante-cinq planches de bande dessinée. Il s’agit d’un ouvrage en noir & blanc, seules les deux premières histoires comportant des nuances de gris. Avant-propos – Un jeune indien vient trouver le grand sachem. Il souhaite avoir son avis au sujet du travail qu’il a commencé sur la musique du jazz, il y a bien des lunes. Il s’agit maintenant de rassembler tout ce matériel en un volume présentable. C’est une chance mais aussi une responsabilité. Le livre en question doit réunir en recueil les histoires en une page qu’il faisait pour Jazzman, un journal de blancs. Au départ, il se sentait indomptable. Prêt pour mille histoires, et voilà qu’au bout de trente-six lunes, il tombe à genoux sur le sentier. Épuisé, lessivé et pire encore. Il est écœuré, chef. Écœuré du jazz. Depuis quinze – vingt ans, il en a tellement convoité, acheté, accumulé, acheté, qu’il est devenu une espèce de spécialiste. C’est sa vie et il tenait son rôle, mais aujourd’hui dès qu’il met un CD dans le lecteur, c’est lui qu’il voit, c’est lui qu’il entend. Lui. Lui dans un miroir. Coltrane, c’est lui ! Miles Davis, c’est lui ! Mingus, c’est lui ! Et tous les autres, les grands, les petits ! Lui lui encore lui ! Il tourne en rond. Ce livre est un mensonge ! Que doit-il faire ? Avertissement – Le grand sachem assis en tailleur suppose que lui et le lecteur souffre du même démon, et que cette histoire leur appartient, tout comme ils lui appartiennent. Le son des mots : la belle Chokolé, princesse apache, accueille Couguar, un guerrier, de retour ; ils parlent des mots nouveaux, des mots mystérieux qu’il a rapportés de son voyage, et qui sonnent bien. Le son : Stan Getz se tient debout, dans la lumière de deux projecteurs, et il porte la hanche de son saxophone à sa bouche. Le son commence à en sortir en mélopée, sous les yeux d’une belle jeune femme assise à la table du premier rang. La scène : un homme et une femme afro-américains s’embrouillent et il commence à la frapper. Puis il doit partir et il joue tranquillement du saxophone devant le public d’un café. La vie d’artiste : sur la branche d’un arbre, un petit piaf joue du saxophone avec verve et sensibilité, y mettant tout son cœur et toute son énergie. Des chats viennent l’écouter, admiratifs. Sur scène, Danilo Perez se concentre sur le clavier de son piano, John Patitucci gratte les cordes de sa contrebasse attentif au pianiste, Brian Blade les accompagne à la batterie, Wayne Shorter transforme le tout en s’exprimant au saxophone, parc floral de Paris, le 15 juillet 2001. La muse : elle apporte le café du petit déjeuner au bassiste dans les années 1950, elle est penchée sur le clavier du pianiste dans les années 1960, elle écoute avec admiration le saxophoniste dans les années 1970, elle est sur le lit de la chambre d’hôtel alors que le trompettiste s’échauffe. Transcrire la musique en bande dessinée, ou même le ressenti, les sensations, les émotions qu’elle génère, relève de la gageure, car sa nature même exclut la présence même du son dans ce mode d’expression. Parler de jazz : un autre défi insensé, pour évoquer ou capturer un instant insaisissable, une dynamique de groupe, des interactions naissant de l’inspiration du moment, des improvisations aussi spontanées qu’éphémères. Dans son avant-propos, le bédéiste développe plus avant sa problématique : des pages réalisées une dizaine d’années auparavant et il n’aurait plus la même approche pour parler de ces sujets, une connaissance niveau expert du jazz, peut-être obsessionnelle au point d’en dire beaucoup plus sur sa personnalité que sur le jazz lui-même. Le lecteur a vite fait de pouvoir le constater : il croise les noms de Stan Getz (1927-1991), Wayne Shorter (1933-2023), puis dans la foulée Jaki Byard (1922-1999), Charles Mingus (1922-1979), Sun-Ra (1914-1993, Herman Poole Blount), Don Pullen (1941-1995), Martial Solal (1927-). Certains de ces artistes ne figurent pas sur les listes des musiciens jazz les plus célèbres et dénotent une connaissance pointue de cette branche de la musique. Ce constat se trouve confirmé avec la mention de Buddy Bolden (1877-1931) ou Bubber Miley (1903-1932) emmenant le lecteur aux sources historiques du jazz, ou encore Sonny Sharrock (1940-1994) guitariste et un des pères de la guitare free jazz. Le lecteur amateur reprend pied avec des références à des artistes plus connus comme Duke Ellington (1899-1974), John Coltrane (1926-1967), Lee Morgan (1938-1972), Ornette Coleman (1930-2015), Chet Baker (1929-1988), et bien sûr Miles Davis (1926-1991) érigé par l’auteur au statut de véritable messie du jazz, et même de Christ. S’il n’a pas connaissance du caractère composite pour partie de l’ouvrage, le lecteur commence par se dire que le bédéiste, lui aussi, se lance dans autant d’improvisations que d’histoires. La couverture faisant d’une jeune femme blanche la muse des musiciens afro-américains, les vingt-quatre portraits de musiciens jazz célèbres en deuxième de couverture et sur la page en vis-à-vis, l’étrange dessin avec une touche de couleur d’un homme torse nu dans la page de titre, le dessin crayonné de quatre musiciens sur scènes, avec une jeune fille endormie à leur pied, les trois pages de l’avant-propos à l’encre pour des silhouettes esquissées par des traits tremblés, l’avertissement sous forme de deux cases de la largeur de la page avec des nuances de gris, Le son des mots en six pages dans un même mode de représentation, puis les trente-huit entrées en un page à l’encre avec des cases et des bordures, ou des dessins sans bordures, au pinceau ou à l’encre, les deux pages avec une touche de couleur pour le festival de jazz à Marciac, ou encore l’enquête en six pages du détective du jazz à la plume, sans oublier une esquisse au crayon d’une couverture pour le magazine Jazzman. Toutefois à la lecture, les trente-huit entrées présentent une forte cohérence dans leur approche de musiciens de jazz, et la différence d’approche des autres apparaît légitime du fait de la nature distincte de l’anecdote ou du point de vue. L’amateur de musique jazz appréciera la connaissance de l’auteur en la matière, que ce soit l’évocation des précurseurs comme Buddy Bolden et Bubber Miley, ou les hommages rendus à Miles Davis, érigé en saint patron du jazz, à la tonalité et au phrasé uniques de Stan Getz, à la façon de se désagréger dans le néant de Chet Baker, ou encore à la présence physique de Charlie Mingus. Il saura également savourer la justesse des anecdotes choisies pour ces créateurs. Ces différents moments de l’histoire du jazz forment bien plus qu’une collection d’anecdotes pour rendre gloire à ces musiciens. L’artiste invoque de multiples facettes de la vie de ces musiciens et de leur musique. Il se montre admiratif de ces créateurs, mais sans se montrer complaisant. Il met en scène la solitude du soliste devant le public, parfois avec cruauté comme ce petit oiseau qui a tout donné pour un public de chats et qui se fait croquer quand il a fini épuisé, ayant tout donné, ayant craché ses tripes, et que l’attention des chats se reportent sur un nouvel oiseau qui va se lancer dans un solo. Cette forme de vampirisation du créateur se retrouve également dans la mise en scène de la ségrégation raciale, du racisme affiché, et de la pauvreté des musiciens. Cela peut prendre la forme d’un musicien noir acclamé sur scène à Paris dans les années 1950, courtisé en terrasse ou au restaurant par les admirateurs et les admiratrices, et montré du doigt dans la rue par le vulgum pecus. Blutch s’amuse également de l’image et de la réputation du jazz. Dans la page intitulée Étude du préjugé de la bande dessinée classique envers le jazz, il détourne des personnages comme Bianca Castafiore, Pirlouit ou le barde Assurancetourix pour en faire des musiciens de jazz, qui provoquent des réactions de rejets des autres personnages. Au travers de ces scénettes, l’artiste évoque de multiples facettes de cette musique au fil des décennies : son origine afro-américaine et créole, le décalage qu’il peut y avoir entre personne privée et musicien en public (un saxophoniste qui bat sa femme et qui émeut aux larmes son public), la dynamique de groupe de musiciens et la transformation qui s’opère quand le meneur intervient dans un solo, le rôle de la muse, l‘effet toujours différent et renouvelé du solo d’un artiste à un autre, l’incompréhension et le rejet de cette musique par le grand public (avec l’exemple de A love Supreme, 1965, de John Coltrane), une forme encore plus extrême d’ostracisation avec l’exemple d’une saxophoniste femme et afro-américaine (intersectionnalité), l’investissement total d’un musicien de studio juste pour quelques prises, l’évolution des rayons de jazz dans les grandes chaînes de disque dans le sens de la diminution, le décalage total entre l’image raffinée et de détente du jazz et la réalité de son écoute (avec l’exemple de Something else, 1958, d’Ornette Coleman), etc. Il met en scène l’inspiration, en particulier la présence d’une belle femme ayant des effets immédiats sur la manière de jouer du musicien. Il rend un hommage à la puissance créatrice de Miles Davis, au fait qu’il se soit renouvelé, réinventé même au fil des décennies et à sa solitude consubstantielle du fait de se trouver au sommet, au firmament même. Dans son avant-propos (en bande dessinée), l’auteur présente l’historique de ce projet, ses réticences à regrouper des scènes en une page réalisées il y a quelques années, le caractère presque obscène à rendre publique une passion si intense qu’elle avoisine l’obsession et le narcissisme. Ainsi averti, le lecteur peut prendre le recul qu’il souhaite, et il peut tout autant apprécier ces évocations du jazz au travers de quelques musiciens, quelques réalités sociales, avec une narration visuelle à la fois rigoureuse et libre, allant d’observations générales à des cas particuliers pour afficionados, du jazz classique au jazz le plus free, des chefs d’œuvre passés à la postérité à l’instant éphémère à jamais disparu portant en lui la mortalité de l’individu et l’expression personnelle la plus intime.
Bruxelles 43
Une bonne pinte de zwanze - Ce tome fait suite à Léopoldville 60 (paru en 2019) pour la chronologie de la parution des albums. En revanche, il s’agit du premier, à ce jour, pour la chronologie de la vie de l’héroïne. Sa première édition date de 2020. Il a été réalisé par Patrick Weber pour le scénario, Baudouin Deville pour les dessins et l'encrage, Bérengère Marquebreucq pour la mise en lumière, c’est-à-dire la même équipe que celle des quatre autres albums de la série : Sourire 58 (paru en 2018), Léopoldville 60 (paru en 2019), Berlin 61 (paru en 2023), Innovation 67 (paru en 2021). Philippe Wurm est remercié pour son travail de monitoring sur la couverture. Ce tome comporte cinquante-deux pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de huit pages, agrémenté de photographies, intitulé Bruxelles une vie très occupée : Sous la botte nazie, On trouve tout au marché noir, Ça s’est passé en 1943, BD ça bulle pendant la guerre, Le Soir volé zwanze et courage, Bruxelles sous les bombes, un entretien avec Pierre Gérard (J’avais treize à Bruxelles en 1943). Viennent enfin deux pages sur lesquelles sont listés les centaines de personnes ayant contribué à la campagne de financement participatif. 1960 un quartier au sud de Bruxelles par une belle matinée d’automne. Dans une grande maison, Kathleen Van Overstraeten appelle à haute voix sa mère Guillemette. Elle tient une petite réplique de l’Atomium dans la main droite, et une autre d’un masque africain dans la main gauche. Elle ne peut pas croire que sa mère veuille jeter ça, des cadeaux qu’elle lui a faits ! Sa mère lui redit qu’elle ne jette rien, elle va les donner à une œuvre, Les petits riens, de l’abbé Froidure. En outre, cette maison est devenue trop grande pour elle et comme elle va vivre en appartement, elle doit faire des choix. Elle demande à Kathleen de l’aider au lieu de jacasser. Qu’elle file dans le grenier et qu’elle fasse le tri. Il y a encore plein d’affaires à elle. Un peu agacée, Kathleen s’exécute et commence à farfouiller dans un coffre, où elle trouve un vieil appareil à visionner en stéréoscopie, un View-Master. Elle continue de fourrager dans ce coffre. Kathleen en sort un lot de planches de bande dessinée, enserrées dans une bande de papier kraft, avec un message inscrit dessus : Fernand, je te confie mon travail. Tu es la seule personne en qui j’ai confiance. Je sais que tu en prendras grand soin. Merci à toi. Kathleen jette un coup d’œil sur les planches : des gags mettant en scène Adolf et Herman, son berger allemand. Ça fait remonter en elle des souvenirs de la seconde guerre mondiale à Bruxelles. 1943. Elle avait douze ans. Et sa ville était occupée par les Allemands, avec les soldats qui marchaient au pas de l’oie dans la rue. Ils l’appelaient Brüssel ! Elle ne comprenait pas grand-chose à la guerre, par exemple cette affiche d’une maman enserrant sa fille avec le slogan : Papa gagne de l’argent en Allemagne ! Sauf qu’elle ne devait pas répéter à l’extérieur ce qu’ils disaient à la maison. Et surtout pas à l’école. Elle était au lycée Dachsbeck, tout près du Sablon et même-là on ne savait jamais qui pensait quoi. Guillemette, sa mère, travaillait à l’Innovation, rue Neuve. Elle était vendeuse au rayon chapeaux pour dames. Une couverture avec une illustration de type ligne claire, une mise en couleurs sophistiquée, et un titre explicite : la vie à Bruxelles en 1943, pendant l’occupation allemande, comme en atteste la croix gammée sur la façade de l’hôtel Continental en vis-à-vis de la fontaine Anspach sur la place de Brouckère. Les deux auteurs réalisent une bande dessinée de nature historique avec une solide reconstitution de l’occupation et de sa représentation. Au fil du tome, le scénariste évoque les troupes de soldats qui patrouillent dans la capitale belge, le risque de la délation et la méfiance de chaque instant dans les lieux publics, le rationnement et ses tickets, le parti rexiste et les collaborateurs, le salut nazi entre dignitaires et militaires allemands dans la rue, l’arrestation arbitraire de Juifs dans la rue en public, les contrôles de papiers d’identité à tout bout de champ, la censure de la presse et les restrictions de papier, la Sturmbrigade Wallonie (ex-légion wallonne passée en juin 1943 sous le giron de la Waffen-SS), le Front de l’Indépendance (réseau de résistance intérieure fondé en 1941), le marché noir (en particulier la bien-nommée rue du Radis située dans les Marolles), jusqu’au camp de prisonniers d'Esterwegen dans l’Emsland en Allemagne, et l’exil de Léon Degrelle en Espagne. La reconstitution historique passe également par les dessins. Ceux-ci s’inscrivent dans le registre de la ligne claire avec un niveau impressionnant de détails. Le lecteur est tout de suite projeté ailleurs, dans le quartier résidentiel du sud de Bruxelles, dans un dessin en élévation. Il est fortement impressionné par les descriptions et les scènes de vie à Bruxelles en 1943. Il est visible que le dessinateur s’est solidement documenté aussi bien pour les uniformes et les armes des soldats et des officiers allemands, que pour les tenues vestimentaires des civils, afin d’assurer l’authenticité par rapport à l’époque. Il applique le même soin rigoureux et patient pour décrire les différents quartiers de la ville. Les auteurs tiennent toutes les promesses contenues dans le titre : immerger le lecteur dans cette capitale à cette année-là. Le lecteur ouvre grand les yeux et prend le temps de détailler chaque planche à son tour : les façades des immeubles bruxellois, les voitures garées dans les rues, le tramway, l’intérieur du magnifique café Le Cirio à deux pas de la Bourse, la place de Brouckère et son monument, la ferme des grands-parents maternels de Kathleen avec ses poules et son cochon, les alentours du château de Karreveld, les trafiquants assis à même le trottoir rue du Radis pour le marché noir, le Parc royal de Bruxelles, les statues du square du petit Sablon, la place du Jeu de Salle avec la caserne des pompiers, la gare du Midi, les chars de la deuxième armée britannique entrant dans la ville le 3 septembre 1944, etc. L’immersion dans cette capitale gagne encore en intensité avec de nombreuses références ayant une saveur typique pour un touriste, présente tout du long du tome. Le scénariste fait preuve de la délicate attention de les expliciter dans la gouttière sous la case correspondante. Dans l’ordre où elles sont mentionnées : Abbé Froidure (prêtre catholique belge, fondateur d’œuvres sociales, dont Les Petits Riens), une aubette (un kiosque à journaux), du peket (nom donné au genièvre dans la région wallonne), le Rexisme (mouvement politique belge d’extrême droite nationaliste et antibolchévique, 1930-1945), ADS (les Amis De Spirou, un mouvement de jeunesse du journal Spirou créé en 1938), Schieve (fou), plusieurs des dix-neuf communes de Bruxelles (Saint-Josse-Ten-Noode, Boitsfort), Half en half (apéritif bruxellois, mélangeant à part égale du mousseux et du vin blanc sec), le zwanze (humour gouailleur associé à Bruxelles), etc. Chaque élément physique est dessiné avec le même souci de montrer précisément ce dont il s’agit. La mise en couleur de Bérengère Marquebreucq est qualifiée de mise en lumière. L’expression trouve tout son sens avec une sensibilité artistique sachant équilibrer une approche naturaliste, une lisibilité renforcée et une installation discrète d’ambiance. Comme pour les autres albums, les auteurs ont choisi de raconter une histoire, pour rendre la reconstitution historique plus vivante. Le lecteur suit ainsi la jeune Kathleen, douze ans en 1943, et plusieurs des adultes qui croisent son chemin, comme ses parents, plus particulièrement son père Fernand, Bob Mertens, un ami dessinateur de son père, Alfred Mommens, un jeune adulte fils de rexiste, et quelques autres. Les personnages disposent d’assez d’épaisseur et de caractère pour ne pas être réduits à des artifices narratifs. Le lecteur croit en la conviction rexiste du père d’Alfred, à la conviction de Bob qui en fait un résistant, à la normalité des époux Guillemette et Fernand Van Overstraeten, essayant de conserver une forme de vie digne sous le joug de l’occupation par l’envahisseur. En tant que bédéistes belges, les auteurs font intervenir les deux auteurs les plus en vue de l’époque, Georges Rémi (1907-1983) étant un client régulier de l’aubette tenue par le père de Kathleen, venant parfois accompagné par Edgar-Pierre Jacobs (1904-1987), les deux travaillant sur Le trésor de Rackham le rouge, histoire publiée quotidiennement en noir et blanc dans le journal Le Soir, du 19 février au 23 septembre 1943. Le lecteur savoure cette reconstitution historique au goût authentique de belgitude quand son attention gagne en intensité et en implication en page vingt-sept : le 7 septembre 1943 à 09h51. Les auteurs n’en font pas des tonnes : trois pages factuelles sans dramatisation tire-larme. Le lecteur ressort sonné du bombardement du quartier d’Ixelles à Bruxelles par les alliés. La bande dessinée vient de passer dans un registre plus personnel, plus bouleversant. La guerre s’est déchaînée au cœur de la cité, les civils sont impliqués, la réalité de l’occupation et du temps de guerre se fait palpable pour le lecteur. Parmi les événements relatés, les auteurs racontent avec la même justesse de sensibilité la réalisation du faux Soir et sa distribution le 4 novembre 1943. Les conséquences ne se font pas attendre pour l’imprimeur, le complice au sein du Soir volé, le linotypiste et le rotativiste. Même si dans le même temps, l‘exploit et le courage de ses promoteurs furent salués à travers toute l’Europe et Londres attribua une aide au Front de l’Indépendance. Une grande réussite : les auteurs emmènent le lecteur dans Bruxelles occupée, par une reconstitution historique impeccable, à la fois par le choix des événements évoqués, et par leur mise en image et en couleur. Même le plus blasé des lecteurs par les évocations de la seconde guerre mondiale se retrouve parmi quelques individus de la population et sent le souffle des bombes qui tombent, le danger à faire acte de résistance. Il continue avec plaisir en se lançant dans la lecture du dossier en fin de tome.
La Quête de l'Oiseau du Temps
Disclaimer : je ne vais pas être très objectif sur cette série, c'est une série que j'ai lue maintes fois dans ma jeunesse et qui fait incontestablement partie de mes piliers de la BD. Parce que "La Quête de l’oiseau du temps" de Le Tendre et Loisel est bien plus qu’une simple saga de fantasy. Dès les premières pages, l’univers d’Akbar capte par sa richesse et ses détails. Chaque lieu visité a sa propre identité, avec des peuples et créatures qui donnent une grande profondeur à ce monde. Les personnages, Bragon en tête, ne sont pas de simples héros de fantasy. Leurs motivations, leurs failles, et leurs combats personnels rendent cette quête initiatique particulièrement humaine. Graphiquement, on assiste à une vraie évolution. Les premiers tomes, encore un peu bruts, laissent place à un style de plus en plus fin et soigné. Les paysages, les scènes d’action et les moments plus introspectifs sont magnifiés par la palette de couleurs, qui, malgré quelques faiblesses dans le premier tome, s’affinent au fil des albums. Le scénario, quant à lui, part d’une trame classique mais se distingue par la profondeur des enjeux et des relations entre les personnages. La quête prend un ton plus grave et complexe à mesure que l’histoire progresse. Chaque protagoniste évolue : Bragon, vieillissant, fait face à ses propres démons ; Pelisse, un personnage à la fois fort et vulnérable, s’impose par son caractère. Et des personnages comme le Rige apportent une densité supplémentaire, entre mystère et respect. Les dernières pages de la série sont mémorables. La fin, à la fois poétique et surprenante, rompt avec les conclusions attendues dans la fantasy classique. On y trouve une mélancolie, une réflexion sur le temps et la destinée, qui élèvent cette œuvre au-delà du simple récit d’aventures. Tout simplement un incontournable du genre, une série qui se distingue autant par son univers que par la profondeur de ses personnages et la qualité de son dessin. Un chef-d’œuvre à redécouvrir, qui laisse une empreinte durable.
Mauvaises Herbes
Voici une œuvre marquante, à côté de laquelle je serais passé si ne fréquentais pas ce site. "Mauvaises Herbes" un témoignage puissant de l’histoire des “femmes de réconfort”, souvent passé sous silence. Cet album, réédité par Futuropolis, raconte avec une grande sensibilité le destin tragique de Oksun Lee, victime de l’esclavage sexuel sous l’occupation japonaise en Corée. Dès les premières pages, on est frappé par la force brute du trait en noir et blanc. L’autrice joue habilement avec les épaisseurs de lignes pour donner à la fois un sentiment d’enfermement et de brutalité, tout en laissant place à une certaine douceur dans les paysages naturels. Ce contraste visuel reflète parfaitement le dilemme entre la beauté du monde et l’horreur des expériences humaines. Les mauvaises herbes, symboles de résistance et de résilience, parsèment l’œuvre comme un écho à la ténacité de ces femmes oubliées. Le récit alterne habilement entre les souvenirs de Oksun et les entretiens que Keum Suk Gendry-Kim a menés avec elle. La structure narrative est fluide, permettant de ressentir le poids du traumatisme tout en étant guidé avec délicatesse à travers cette mémoire douloureuse. Gendry-Kim choisit d’aborder les moments les plus horribles avec pudeur, optant pour l’implicite plutôt que pour des représentations explicites, ce qui renforce la puissance émotionnelle de l’œuvre. Le travail de l’autrice s’inscrit dans une démarche de mémoire, de réhabilitation de la parole des victimes, trop longtemps ignorée. Le ton est juste, sans voyeurisme ni surenchère dramatique, ce qui rend l’ouvrage d’autant plus poignant. On ne peut qu’être ébranlé par cette histoire, témoin d’une période sombre et encore taboue de l’histoire asiatique. C’est une œuvre nécessaire, un devoir de mémoire aussi essentiel que les autres récits historiques qui évoquent les grandes tragédies humaines. Cet album est un coup de poing émotionnel, j'ai lu les 500+ pages d'une traite. Le dessin, brut mais subtil, la narration poétique et touchante, et surtout le sujet traité avec une sensibilité rare font de cette bande dessinée un véritable chef-d’œuvre qui devrait être lu et partagé largement. Je rejoins les avis précédents, une oeuvre magistrale et un grand coup de coeur.
Talc de verre
C'est cette question de la sensation, vous comprenez ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première parution date de 2015 au Brésil, et de 2016 en France. Il a été traduit par Marie Zeni et Christine Zonzon. Il a été réalisé par Marcello Quintanilha pour le scénario et les dessins. Il compte cent-cinquante-six pages de bande dessinée, en noir & blanc, avec des nuances de gris. Le soir, Rosângela, trentenaire, s’est couchée dans le lit conjugal, aux côtés de son mari Mario. Après avoir éteint la lumière, elle repense à cette histoire d’être, d’une certaine manière, supérieure. Non, ce n’est pas ça. En fait, c’est assez difficile à expliquer, parce que cette pensée là… Il ne s’agit pas d’une idée, comme on pourrait dire, tout simplement., Rosângela se sentait supérieure, car ce n’était pas ainsi qu’elle pensait. Du moins, on ne peut pas dire qu’elle pensait en ces termes-là. Non, ce n’est pas vraiment cela. C’est pourquoi il est difficile de l’expliquer, ce serait plutôt ? Comment dire ? Plutôt une espèce de sensation, vous comprenez ? Oui… Une espèce de sensation, vous savez ? Disons… Comme si … vous aviez le sentiment de faire partie d’une classe… disons… supérieure. Vous voyez ? Comme si vous apparteniez à un certain milieu social, c’est ce que je veux dire… Ce sont des gens qui vivent dans des conditions particulières, n’est-ce pas ? Le genre de personnes dont vous dites : Eh ben ! Pour être à cette place dans la peau de cette personne et vivre de cette façon, consommer, faire des voyages, faire l’amour, il faut appartenir à ce milieu ! Eh bien, c’était plus ou moins cela que Rosângela ressentait. C’était ce qu’elle ressentait, et, curieusement, elle associait le fait d’être dans la peau d’une de ces personnes-là, dont tout le monde sait qu’elles appartiennent à une classe supérieure, à un moment précis, lorsqu’elle venait juste de faire l’amour avec son mari. Plus encore que lorsqu’elle descendait prendre sa voiture au garage, ou qu’elle laissait les enfants devant le collège, ou qu’elle rejoignait son cabinet. Et si vous pensez que personne ne s’en rendait compte, demandez donc au portier de l’immeuble, qui lui assène tous les matins son Bonjour Dr. Rosângela, demandez donc au gars du parking, demandez à tous ces gens qui regardent sa voiture du coin de l’œil, sans pouvoir s’acheter la même. Demandez-leur, et vous verrez… C’est plus ou moins comme si vous étiez dans la peau d’une personne à part, qui sait qu’il y a de la misère dans le monde, mais qui… Qui ne peut rien y faire, n’est-ce pas ? C’est embêtant, c’est triste, mais que faire ? Vous avez la chance d’être dans la peau de ce genre de personnes, un point c’est tout. Vous ne pouvez rien y faire, il vous faut donc vivre le mieux possible. La dentiste Rosângela est arrivée dans son cabinet de dentiste. Elle salue son assistante Irma, fait le point sur ses rendez-vous du matin. Elle doit recevoir sa cousine germaine Daniele qui vit dans le quartier populaire de Barreto, celle avec son père alcoolique dont, enfant, elle devait nettoyer le vomi, dont le premier mari lui crachait au visage. Celle qui est si jolie, une beauté incroyable, un sourire extraordinaire. La quatrième de couverture présente Rosângela comme souffrant du syndrome de la femme parfaite : dentiste reconnue, un mari cardiologue à succès très amoureux d’elle, des enfants qui sont de véritables petites merveilles, une belle voiture, un compte bancaire bien rempli… Mais une cousine, pauvre et séparée de son mari, fait preuve d’une tranquillité d’esprit désarmante, dotée d’un sourire toujours éclatant. Une simple histoire de jalousie ? La narration apparaît tout de suite comme très personnelle. Des cases sans bordure, entre quatre et douze par page, avec des dessins naturalistes et descriptifs, et parfois des gros plan ou des contrastes qui aboutissent à une image abstraite si le lecteur la considère détachée des cases la précédant ou la suivant. Un flux de pensées qui n’est pas celui du personnage principal, mais celui du narrateur ou de l’auteur qui n’est pas omniscient. Ses remarques et ses observations oscillent entre des constats sur l’état d’esprit de Rosângela et ses pensées, et des interrogations dessus, comme s’il cherchait à comprendre ses émotions, leurs racines, comme s’il ne savait pas tout d’elle. Le lecteur se retrouve immédiatement impliqué dans cette vie, dans les émotions de cette femme, vraisemblablement trentenaire qui fait l’objet de l’attention du narrateur qui s’interroge sur elle, tout en racontant son histoire. L’histoire se déroule à Niterói, ville située sur le côté est de l'entrée de la baie de Guanabara, face à Rio de Janeiro. Son nom est mentionné et Rosângela évoque d’autres villes et quartiers à proximité, pour souligner qu’elle a la chance d’habiter dans une zone privilégiée. On la voit emprunter le pont Rio-Niterói long de treize kilomètres, qui traverse ladite baie. De manière incidente, sans que la narration y fasse référence explicitement ou ne commente, certaines cases montrent des rues, des façades d’immeuble, les plages, les vagues de l’océan, avec ou sans êtres humains se livrant à leurs occupations. C’est une particularité narrative de cette bande dessinée que d’avoir parfois des cases qui ne se rattachent pas au sujet des réflexions du narrateur sur son personnage, mais qui viennent montrer le lieu, ou bien associer un lieu du quotidien de Rosângela, apportant un élément de sa vie. L’auteur montre ainsi de nombreux éléments de la vie de tous les jours de cette femme : le tableau de bord de sa voiture, sa chambre à coucher, la salle d’attente de son cabinet de dentiste, l’ascenseur qui y mène, un train sur la voie ferrée qui traverse le quartier où vit sa cousine germaine, son premier cabinet avenue Amaral Peixoto que lui avait offert son père, les immeubles le long de la baie vus depuis la mer, son fauteuil de dentiste avec les appareils, le salon de tante Bel avec son canapé très ordinaire recouvert d’un tissu pour le protéger, la mer venant lécher la base du rocher d’Itapuca pendant la marée, la grande salle de réception d’un appartement luxueux des amis de son mari, des immeubles d’autre partie de la ville, les lumières de la ville de nuit, des zones piétonnes, etc. En plus de la diversité des lieux montrés au fil de l’eau, l’artiste se focalise parfois sur un détail, un gros plan : la plaque du cabinet dentaire, l’eau qui s’écoule dans un lavabo, une main sur laquelle on enfile un gant, le motif géométrique du plafonnier, une dentition, un lustre monumental dans un centre commercial, le motif du revêtement d’un trottoir, le chiffre d’un jour sur un calendrier, etc. Ces moments peuvent aussi bien correspondre à une vue subjective, ce sur quoi se concentre le regard Rosângela à ce moment-là, qu’un souvenir fugace dans son esprit. De temps à autre, ces images deviennent des très gros plans, sortant un détail d’une case vue précédemment, pour donner une figure abstraite qui ne fait sens que rattachée à la case ou à la séquence d’origine. Une forme conceptuelle comme si le réel perdait son sens pour ne plus être qu’un ressenti esthétique fugace. Ces caractéristiques de la narration visuelle génèrent un effet parfois sensoriel, parfois émotionnel, connectant ainsi directement le lecteur aux sens de la protagoniste. L’effet peut s’avérer d’autant plus troublant que les brèves cellules de texte déroulent une idée parallèle. Le lecteur se met alors à imaginer, ou plutôt à ressentir la connexion qu’il peut y avoir, soit directe les images fournissant le contexte du flux de pensées qui sont influencées inconsciemment par le lieu ou l’action, soit à retardement quand le souvenir revient par un mécanisme d’association sensoriel ou émotionnel, du grand art. La qualité narrative fait de cette histoire banale tout autre chose qu’une télénovela produite industriellement au kilomètre. La banalité de la trajectoire de vie de Rosângela acquiert une profondeur extraordinaire, parfois sociologique, parfois émotionnelle, toujours personnelle. Certes les circonstances de sa naissance l’ont gâtée : parents aimants, attentionnés, financièrement à l’aise, bonne éducation, réussite scolaire, mariage très heureux avec un époux très attentionné, enfants agréables réussissant bien, confort matériel, réussite professionnelle, personnes à qui se comparer, dans son milieu social, mais aussi sa cousine germaine, sa tante et son oncle d’un milieu nettement moins favorisé, avec une histoire personnelle nettement moins heureuse (père alcoolique, mari méprisant, pas d’enfant). Rosângela sait qu’elle bénéficie d’une situation enviable, nettement meilleure que l’écrasante majorité de la population. Elle a conscience d’être regardée comme un modèle de bonheur, plus admirée qu’enviée. Au fil du récit, l’auteur aborde d’autres thèmes : une sensation de manque indéfinissable, une commisération de circonstance pour sa cousine germaine (pas vraiment de la peine, certainement pas de la jalousie), une forme d’injustice existentielle (le bon caractère et le plaisir de vivre évident de sa cousine, qu’y a-t-il dans son sourire ?), une interrogation sur ce qu’elle pourrait devoir d’une certaine manière (car elle n’a rien fait pour mériter tout ça, en fait si elle a mené sa vie en s’investissant pour construire cette forme de bonheur), une question de mérite… L’auteur ne se montre pas méchant avec son personnage, il fait tout pour se montrer le plus empathique possible pour la comprendre, ce qui incite tout naturellement le lecteur à faire de même. Soit il a développé de solides convictions sur le sens de la vie, et il n’éprouve alors aucune difficulté à se positionner par rapport à Rosângela, à trancher sur la nature de son mal-être. Soit il est plus dans l’empathie et il l’accompagne dans cette recherche de ce qui ne va pas, ce qui fait défaut, ce qui gêne, ce qui ne fait pas sens dans sa situation comparée au parcours de sa cousine Daniele. Au départ, il attend alors une sorte de révélation. Mais le récit s’avère beaucoup plus habile que cela, impliquant le lecteur tout en douceur dans la vie intérieure de la protagoniste, sans bulles de pensée. La compréhension ne se produit pas sous forme de révélation, mais en éprouvant ses ressentis. Aussi fort et intense qu’habile et élégant. Une couverture peu parlante, un titre cryptique, une histoire banale de mère ayant tout réussi. Une narration personnelle faite de petites cases ouvertes, parfois en panoramique sur la largeur de la page, semblant très descriptives et très factuelles, tout en faisant ressentir l’état d’esprit de Rosângela de manière aussi douce qu’efficace. Le suspense se révèle d’ordre psychologique, voire existentiel, tout en sourdine, alors que le lecteur s’installe dans le quotidien de la protagoniste à Niterói, en profitant de son confort matériel. Une incroyable aventure dans le monde intérieur d’une femme, sans avoir accès à ses pensées. Extraordinaire.
Sin City
Nous voici plongés dans une ville qui se nomme Bassin City, avec ses sombres ruelles où l'on craint pour sa vie, qui sont faiblement éclairées par les néons de clubs de striptease, dont les malfrats, la mafia, les prostituées, flics et politiques corrompus y règnent sans vergogne. Nous suivons dans chaque tome, différents protagonistes dopés sous stéroïde ou tout simplement avec une grosse paire de burnes, dans leurs petits tracas du quotidien que cette ville leur gage sans le moindre respect, qui faut se le dire ne sont pas les mêmes que les communs des mortels. Tous les personnages sont vraiment travaillés sur bien des aspects, mais c'est surtout sur leurs dialogues et punchlines qu'ils nous délivrent de vrais frissons, ce qui leur donnent une réelle authenticité. Le noir et blanc du maitre Miller est vraiment maitrisé à la perfection, ça colle parfaitement à l'ambiance de la ville et à la personnalité de nos anti-héros. J'ai été submergé dans ce polar noir qui a réussi de plus, à croiser les scénarios dans des lieux communs à chaque tome, ce qui est vraiment bluffant. Par une écriture, mais quelle ECRITURE !!! Une mise en scène incroyablement efficace par l'utilisation de la voie off de nos protagonistes avec une réelle profondeur, du vrai théâtre. Je tire mon chapeau à notre traducteur de renom, Henri Loevenbruck pour avoir réussi à nous faire ressentir ce que l'auteur voulait nous transmettre par sa vison de la mise en scène. Une petite déception tout de même pour sa dernière histoire "Retour en enfer" qui utilise des codes différents, qui pourrait plaire car ça casse la routine des premiers tomes, mais pour ma part, ça ne m'a pas convaincu. Sin city vous attend ... Marv, Dwight McCarthy, l'inspecteur John Hartigan et Wallace vous attendent énergiquement également ...