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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série The Shadow
The Shadow

Opération clandestine en Chine - Ce tome comprend les épisodes 1 à 6 d'une nouvelle série consacrée au Shadow, parus en 2012. le scénario est de Gath Ennis, les illustrations d'Aaron Campbell. Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre ; il n'est nul besoin de savoir quoi que ce soit sur le personnage pour lire ce tome. Les quatre premières pages évoquent le bilan de l'occupation japonaise en territoire chinois entre 1931 et 1945 avec une image consacrée à la bataille de Nankin (1937) : 15 millions de victimes, la famine, les expérimentations biologiques, le sort atroce des femmes, etc. Scène suivante, le Shadow intervient dans le port de New York pour arrêter un vol à main armée. Il exécute froidement tous les criminels. Scène suivante, Lamont Cranston prend un verre à l'Algonquin (un grand hôtel de New York). le journal qu'il lit tire en gros titre que l'Allemagne envahit l'Autriche (mars 1938). Il est rejoint par Landers et Pat Finnegan, 2 représentants des services secrets de l'armée américaine. Il apparaît que le gang exterminé était à la recherche d'une cargaison et que leurs informations étaient erronées. Lamont Cranston propose de mettre ses connaissances de l'Asie au service du gouvernement des États-Unis pour retrouver ce chargement, sous la supervision de Pat Finnegan. Cranston embarque à bord d'un avion avec Margo Lane pour la Chine où un individu louche à proposé de vendre ce bien précieux au plus offrant : américains, japonais, russes, anglais. Dès les dix premières pages, le lecteur comprend que Garth Ennis n'a pas de temps à perdre. Il a signé pour une seule histoire en 6 épisodes, et chaque page compte. Il avait annoncé dans des interviews que la Shadow était le dernier personnage (propriété d'un éditeur) dont il souhaitait écrire une histoire, et qu'il n'avait pas encore abordé. La scène d'ouverture prouve aux lecteurs fidèles d'Ennis qu'il s'est investi dans ce récit : évocations de crimes de guerre, bilan sans appel des massacres. En quatre pages, le ton du récit est donné : l'abomination des crimes de guerre, la capacité de l'humanité à s'exterminer. Deuxième scène, Ennis reste dans l'efficace : le Shadow apparaît, fait montre de ses pouvoirs, de sa technique de combat, de son absence de pitié. Aucune ironie, aucun second degré, mais une autre forme de massacre, d'extermination. La différence : le Shadow a une préscience limitée et il tue quelques individus pour préserver le sort de millions d'autres. Troisième scène, Ennis présente l'alter ego du Shadow : Lamont Cranston. Il n'y a finalement aucune différence de profil psychologique entre les 2 : l'un parle le langage des criminels, l'autre celui des hommes qui préparent la guerre pour avoir la paix. Ennis s'empare du personnage du Shadow et le fait sien en respectant ses composantes essentielles. le lecteur qui connaît le personnage dans l'une ou l'autre de ses incarnations (les romans de Walter Gibson, la version de Dennis O'Neil et Mike Kaluta avec Hitler's astrologer, celle de Mike Kaluta avec In the coils of Leviathan , celle d'Howard Chaykin avec Frères de sang : meurtre à Malibu) retrouvera les composantes bien connues : le chapeau de feutre, l'écharpe rouge, le rire sadique, les pistolets automatiques, l'identité de Lamont Cranston (avec celle de Kent Allard), Margo Lane, le séjour formateur en Asie, le girasol monté en bague, etc. Le thème central du récit correspond fondamentalement à l'un des principaux centres d'intérêt de Garth Ennis : la guerre dans toute son atrocité, toute son inhumanité. Ennis est un auteur qui ne se contente pas d'un message simpliste ou basique de type La guerre, c'est mal. La première scène permet de situer l'action dans un contexte historique. Ennis énonce des faits qui condamnent sans appel les actions militaires japonaises en Chine. Dans le cadre de ce récit, il n'y a pas plus de contextualisation, pas de recul sur le fait que L Histoire est écrite par les vainqueurs. L'objectif clairement affiché est de faire comprendre au lecteur que ces atrocités sont similaires à celles commises par les nazis. Par la suite, Ennis développe une histoire qui s'attache plus à la réalité des opérations militaires clandestines en temps de paix. Que se passe-t-il quand une démocratie doit effectuer une opération officieuse dans un territoire où le pouvoir politique doit plus à la force qu'à la démocratie ? La réponse n'est pas très surprenante, mais son traitement est assez saisissant dans sa réalisation. La précision historique des premières scènes laisse supposer que la suite des aventures s'inspire de faits plausibles. Aaron Campbell utilise un style plutôt réaliste avec un encrage appuyé qui confère une forme de densité et de sérieux aux illustrations, ce qui est en parfaite adéquation avec le ton de l'histoire. Cette édition comprend également les 9 pages de script d'Ennis pour l'épisode 1. Cela permet au lecteur de se faire une idée du niveau d'exigence du scénariste, du degré de précision de ses descriptions. Pour la page 4, le lecteur peut constater que Campbell n'a pas eu le courage de dessiner le menu détail de l'une des atrocités commises par les soldats. Et pourtant il faut déjà avoir le cœur bien accroché pour regarder ces illustrations sous toutes les coutures. Cela donne aussi une bonne idée de la quantité de travail exigée vis-à-vis du dessinateur, en particulier en termes de recherches de références historiques, pour les uniformes militaires (de différents pays qui plus est), pour les armements d'époque, pour les modèles d'avion, pour l'architecture de New York en 1938, etc. Tout du long, Campbell délivre un travail solide qui privilégie la consistance au sensationnalisme. Cela ne signifie pas qu'il s'agit d'illustrations figées ou pesantes. Campbell sait donner une apparence spécifique à chaque personnage. Sa façon de dessiner Lamont Cranston est parfaite : voici un individu à l'aise financièrement, sûr de lui, mais aussi habité par sa mission et par sa connaissance limitée du futur, et encore plus par sa connaissance intime de la capacité d'infliger le mal. Son Shadow est sombre et énigmatique à souhait, même si la doublure rouge de sa cape est un peu trop voyante. Ennis et Campbell s'emparent du Shadow pour histoire d'opération officieuse en territoire chinois, juste avant la seconde guerre mondiale. L'esprit des pulps est bien présent, mais Ennis ne se contente pas d'une extermination expéditive de criminels. Il intègre le récit dans le contexte géopolitique de l'époque.

18/08/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Corps collectif - Danser l'invisible
Le Corps collectif - Danser l'invisible

Ils font de l'air, de l'eau, du feu, de l'éphémère. - Ce tome contient un récit complet, indépendant de toute autre. Sa première publication date de 2019. Il a été réalisé par Edmond Baudoin pour le scénario et les dessins, sans oublier l'expérience de vie. Il comprend soixante-six pages de bandes dessinées en noir & blanc. Il s'achève avec une postface de deux pages, écrite en novembre 2018, par Nadia Vadori-Gauthier chorégraphe du groupe de danse appelé Corps Collectif. Elle explicite la démarche du bédéiste et ce que ses dessins ont apportés aux danseurs : Edmond dessine, il danse avec des parts de chaos et embrasse une énergie vivante. Il ouvre des brèches sur des mondes parfois oubliés de nos systèmes de pensée. le dessin surgit d'un dehors qu'il semble possible d'expérimenter par l'expérience partagée. Il s'agit de liberté, mais aussi sans doute, de sororité, de fraternité. Edmond capte des forces, sa plume trace ce dont il n'a pas idée, mais qu'il ressent et qui vibre. Il dessine un monde qui disparaît en apparaissant. Il dessine contre la bêtise et la mort. Ses dessins dansent lorsqu'on les regarde. Ils dansent davantage encore quand nos yeux se ferment. Il semble à Edmond Baudoin que les artistes qui ont fait des dessins dans la grotte Chauvet étaient dans une grande liberté de création, même si leurs travaux devaient, déjà, être soumis à certaines contraintes. Contraintes techniques évidemment, comme pour tous. Il n'y a pas de moments artistiques dans l'histoire de l'humanité qui n'aient pas été au service du mysticisme ou des communautés. Celui-là a, c'est vrai, longtemps été nécessaire aux sociétés primitives et a donné de grandes et belles œuvres. Se libérer des dogmes, des modes, des règles, sortir des chemins balisés, du vouloir-plaire n'est pas facile. Il faut des capacités exceptionnelles, un engagement total qui suscite de l'incompréhension. Certains artistes en sont morts. Aujourd'hui, le pouvoir de l'argent secondé par les médias décide quels sont les artistes que l'on doit suivre. La mode est omniprésente et l'art officiel moderne s'est mondialisé : Marcel Duchamp a fini par donner Jeff Koons. Shitao (le moine Citrouille-Amère) disait que la règle principale est de sortir de toutes les règles. Mais les individus baignent depuis des millénaires dans des mots, des phrases, mis en place par des mâles qui voulaient et veulent toujours maîtriser le monde, la vie. Ils sont formatés par cette volonté de maîtrise. Et, au moment même où ils estiment s'exprimer librement, l'expression de cette liberté est entravée par une infinité de scories polluant cette expression. Les traits gras imprécis sur le mur de la grotte se transforment en corps en train de danser, il s'agit de la composition Visible-Invisible, représentée le trois mars 2014. En mars 2012, voulant se confronter à la difficulté de dessiner le corps en mouvement, Baudoin a cherché une compagnie de danse qui accepterait qu'il se mette dans un coin de leur atelier. À cette époque, il travaillait sur sa BD Dali (2012) au centre Pompidou où travaillait également Jeanne Alechinsky, chorégraphe et danseuse. Des images avec des mots à côté, dessus, dessous, en fonction des pages. Une lecture très facile : regarder les images en lien direct avec le texte ou non, lire les phrases qui sont écrites dans un français simple et accessible. le principe : pendant sept ans, le bédéiste a assisté à des répétitions de danse de l'association appelé le Corps Collectif. Ces dessins exécutés en direct occupent environ quarante-six pages. Ils sont réalisés au pinceau et à la plume, les outils habituels de l'artiste. Ils rendent compte de sa perception du mouvement des corps, des figures créées, une gageure en soit que de retranscrire ces déplacements par une image figée par nature. de fait ces dessins occupent une place entre le figuratif et l'impressionnisme, avec parfois des touches expressionnistes. Certains détails peuvent être d'une grande précision. D'autres endroits peuvent sembler comme un amas de taches noires, nécessitant une attention plus longue de la part du lecteur pour distinguer parfois une surimpression de corps, ou de postions d'un même corps en un unique endroit, des lignes qui évoquent plus le mouvement que le pourtour d'une silhouette, d'un visage, d'un bras ou d'une jambe. Quelques fois encore, un unique danseur figé dans une position, seul dans la case délimitée par des bordures. Edmond Baudoin se livre à un exercice délicat : témoigner d'une danse perçue au travers de sa propre sensibilité, donc interprétée. En outre, il s'agit souvent d'une danse réalisée par plusieurs danseuses et danseurs, c'est-à-dire une expression collective qui ne peut pas se réduire à l'addition des mouvements de chacun, qui résulte également des interactions entre artistes. Cette bande dessinée à la forme très libre aborde donc également d'autres thèmes. le lecteur commence par découvrir un facsimilé de peintures rupestres, puis une sculpture d'une silhouette humaine datant de la préhistoire, puis le porte-bouteille (1914) de Marcel Duchamp (1887-1955) à côté du Balloon-Dog (1994-2000) de Jeff Koons (1955-), un vol en cercle de martinets, une image extraite du film La sortie des ouvriers (1895) de Louis Lumière (1864-1948), une évocation de Loïe Fuller (1862-1928) et d'Isadora Duncan (1877-1927), des dessins d'arbre, l'artiste à sa table à dessin, un portrait de chacun des treize membres du Corps Collectif, une séquence dans le jardin d'Honorine une très vieille femme. En effet cet ouvrage évoque les représentations du Corps Collectif, mais également leur démarche artistique. Dès le départ, Edmond Baudoin explique qu'en tant qu'artiste il souhaite se libérer des principes inconscients qui sous-tendent sa pratique. Pour illustrer son propos, il évoque et il représente des exemples d'art primitif venant de l'aube de l'humanité. Vers la fin de l'ouvrage, alors qu'il se représente à sa table de dessin, il raconte qu'il a découvert la danse contemporaine avant de faire de la bande dessinée. Il continue : enfant, il ne lisait pas beaucoup, et il suppose que cette méconnaissance a été cruciale pour la suite de son travail. Il développe son propos : sur une scène, on peut, en même temps, faire entendre ou voir plusieurs arts : la danse, la musique, un texte dit, une vidéo projetée en fond de scène… Pareillement en bande dessinée. Les images et les mots peuvent se contredire, faire des oppositions. C'est du bonheur de jouer sur ces différentes couleurs. Cet ouvrage s'inscrit dans le registre de la bande dessinée, avec des dessins, du texte, un fil directeur, des interactions entre les deux. Comme pour les autres ouvrages de cet auteur, le résultat met à profit une liberté formelle de l'expression avec parfois des cases en bande, le tout allant du texte illustré à l'illustration pleine page sans texte, le tout dans une cohérence d'expression sans solution de continuité. le bédéiste dit toute son admiration pour les réalisations du Corps Collectif, pour sa capacité à s'émanciper des conventions pour créer en toute liberté. Il se livre également à des analyses partielles sur leur façon de faire, par comparaison avec sa propre démarche de créateur. le lecteur fidèle à cet auteur retrouve là plusieurs de ses thèmes récurrents : celui d'exprimer ce qui se trouve au cœur de l'être humain, de l'autre, celui de progresser dans ses capacités à l'exprimer, les défis qui se posent à l'artiste (Comment dessiner l'eau qui court entre les rochers ?). Il revient sur sa fascination pour les arbres : les arbres, les danseurs, la même énergie, c'est un rapport au temps qui les sépare. Il cite Antonin Artaud (1896-1948) : Or, on peut dire qu'il suffit d'un simple regard pour que se décompose le monde des apparences mortes. Il s'interroge : comment faire passer la vie des arbres et des corps dans son pinceau ? Le lecteur ressort de cette lecture totalement sous le charme. Il a bénéficié d'une présentation guidée d'une forme de la danse contemporaine, par un amateur enthousiaste et empathique. Il a côtoyé des individus prenant du recul sur le monde, sur leur art, capables de l'exprimer par la danse, et aussi par la bande dessinée. Il se plonge dans la postface de Nadia Vadori-Gauthier et découvre qu'elle exprime aisément tout ce qu'Edmond Baudoin a apporté à sa troupe, ainsi qu'au lecteur : Les dessins d'Edmond ne cessent de nous éblouir. Pourquoi ? Qu'est-ce qui nous cueille si entièrement et continue d'agir alors même qu'on ne les regarde plus ? Ces dessins nous éblouissent d'ombre. Ils rendent visible ce qui ne peut se dire et qui sera toujours irréductible à un mot. Edmond dessine l'invisible, l'indéfinissable, la vie qui palpite aux lisières de l'optique. Il dessine la magie de nos parts de rêve entrelacée aux choses, les béances, les trous noirs, les chevaux d'inconscient qui nous traversent. Son trait, comme un souffle, trace ce qui s'efface. Les corps sont aussi éphémères qu'une vague ou le vent dans les branches. le bédéiste sait faire preuve d'humilité en citant Katsushika Hokusai (1770-1849) qui a déclaré sur son lit de mort que si le ciel lui avait accordé dix ans de vie de plus, ou même cinq, il aurait pu devenir un véritable peintre. le lecteur espère de tout cœur que le ciel accordera bien plus d'années de vie encore, à Edmond Baudoin.

18/08/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5
Couverture de la série Batman - Silence
Batman - Silence

Plein la vue et une nouvelle couche de mythe - Mark Chiarello (responsable éditorial chez DC comics à l'époque) décide de frapper un très grand coup en mettant sur la série mensuelle de Batman deux superstars : Jeph Loeb au scénario et Jim Lee au dessin. Ce tome comprend l'intégralité de leur histoire, soit les numéros 608 à 619 parus en 2002 et 2003. La pression est énorme. À l'occasion d'une enquête sur enlèvement d'enfant, Batman finit par se retrouver à la poursuite du responsable de la résurgence massive de ses principaux ennemis et la réponse ne sera pas agréable. Jeph Loeb réussit miraculeusement à tout faire tenir au sein d'une véritable histoire qui revient sur un pan inédit du passé de Bruce Wayne et sur la relation que Batman entretient avec Catwoman. le personnage de Hush sera d'ailleurs repris par d'autres scénariste dont Paul Dini dans le cœur de silence. La pression pèse en premier lieu sur Jim Lee qui doit relever le défi de tenir un rythme de parution mensuelle (chose qu'il n'a plus fait depuis X-Men). La solution est vite trouvée par l'éditeur : le 1er numéro ne sortira que lorsqu'il en aura dessiné 9 sur les 12 prévus. le résultat est du grand Jim Lee, tout en détail en grâce et en force. Rien que pour les dessins (fort bien encrés par son acolyte de toujours, Scott Williams), cette histoire mérite sa place dans votre bibliothèque. Toutes les pages sont dynamiques, le lecteur a l'impression de redécouvrir chaque personnage comme si c'était la première fois (même Batman). C'est magnifique. L'avance qu'il avait prise avant la parution du premier numéro lui permet de terminer ses planches sereinement et dans les temps, sans sacrifier à la qualité de ses illustrations. Tout est parfait comme dans un rêve. Deuxième défi : Jeph Loeb doit livrer un scénario qui tienne la distance et qui permette à Jim Lee de briller de mille feux. Loeb n'en est pas à son coup d'essai, il a déjà réalisé deux séries en 12 et 13 parties chacune qui figurent dans les histoires de Batman les plus mémorables : Un long Halloween & Amère victoire. Dès l'initialisation du projet, il sait qu'il va travailler avec Jim Lee. il convoque donc tous les personnages qui ont fait le mythe pour que Jim Lee puisse leur redonner un coup de fouet graphique. Ils sont tous là : Killer Croc, Catwoman, Poison Ivy, Huntress, Alfred, Loïs Lane, Clark Kent, Joker & Harley Quinn, James Gordon, Nightwing, Ra's al Ghul & Talia, Harvey Dent, Riddler, Robin, Scarecrow... et même Krypto. Et au delà de ce feu d'artifice, Jeph Loeb et Jim Lee se payent le luxe d'ajouter une couche signifiante et durable au mythe de Batman et de Bruce Wayne en introduisant le personnage de Hush. Bien sûr, il est possible de trouver à redire sur la linéarité du scénario ou sur le choix d'en mettre le plus possible sur une page, mais ne boudez pas votre plaisir… ça, c'est du comics du super-héros !

17/08/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Astro City - Héros Locaux
Astro City - Héros Locaux

Une ville où il fait bon se rendre pour séjourner en tant qu'habitant, mais aussi en tant que lecteur - Ce tome regroupe les épisodes 21 & 22, les 5 épisodes de la minisérie Local heroes, le numéro spécial de 2004 et l'histoire courte réalisée en mémoire des pompiers du 11 septembre 2001. Il se compose de plusieurs histoires indépendantes ayant comme point commun la ville d'Astro City. Il est possible de lire ce tome indépendamment des autres. Histoire (1), Pete Donacek (le portier d'un hôtel d'Astro City) accueille plusieurs visiteurs dans le hall. Ces individus viennent pour des raisons différentes qui vont du tourisme d'un jour ou deux, à la recherche d'un contact avec les plus grands superhéros de la ville pour conclure un contrat. Histoire (2), Sally Twinings accepte un emploi de scénariste pour une maison d'édition de comics menée par Manny Monkton, un patron qui sort de l'ordinaire et qui entretient des rapports directs avec les vrais héros (et supercriminels) d'Astro City qui sont les personnages principaux des comics qu'il édite. Histoire (3), un acteur interprétant un superhéros dans un feuilleton télévisé arrête un vrai criminel devant les caméras. Sa carrière va bénéficier d'une accélération inattendue. Histoire (4), Irene est une journaliste reconnue dans un grand quotidien et elle tombe amoureuse d'Atomicus, un superhéros très puissant, qui semble venir d'ailleurs (une autre planète ou une autre dimension). Leur histoire d'amour évoque forcément celle de Loïs Lane et Clark Kent, mais elle n'y ressemble pas. Histoire (5), une jeune adolescente de la ville se retrouve à passer un mois de vacances à la campagne où il n'y a qu'un seul superhéros local dont elle évente vite la véritable identité. Histoire (6) en 2 épisodes, un jeune avocat doit défendre le fils d'un caïd de la pègre, accusé d'avoir fracassé le crâne de sa compagne en plein restaurant devant une tripotée de témoins. L'histoire se déroule en 1974 alors qu'un vigilant tue des criminels ordinaires. Histoire (7), un policier à la retraite vient exiger l'aide de Supersonic (un superhéros à la retraite) pour stopper la destruction d'une ville de banlieue par un super-robot. Histoire (8) en 6 pages, Astro City rend hommage aux pompiers. Il s'agit du cinquième tome de cette série et Busiek revient à une suite d'histoires indépendantes vaguement reliées par des références à des superhéros récurrents. Évidemment il y a à boire et à manger, mais il s'agit d'un repas de gourmet. Busiek reprend le dispositif qui consiste à raconter des histoires d'individus vivant dans une mégapole où les superhéros et les supercriminels (avec les affrontements destructeurs inhérents) sont une réalité. En fonction de votre sensibilité, vous serez plus ou moins touché par telle ou telle histoire. Pour ma part, je me suis aisément reconnu dans le portier qui exerce son métier de son mieux tout en observant les individus qui passent la porte de l'hôtel à la recherche de choses différentes. L'histoire de Sally Twinings dégage évidemment un parfum enivrant pour les amateurs de comics antérieurs aux années 1970 avec des clins d'oeil aux grands professionnels des comics. L'histoire de l'acteur m'a semblé plus convenue et moins prenante avec une forme de morale très fataliste. le jeu de la séduction entre Irene et Atomicus m'a captivé de bout en bout pour sa sensibilité, son jeu habile avec les codes établis entre Superman et Loïs et l'aboutissement de cette relation entre 2 individus devenus familiers en l'espace de quelques pages. le séjour à la campagne joue sur les a priori trop classiques de la citadine vis-à-vis des provinciaux. Les difficultés rencontrées par le jeune avocat entraînent le lecteur dans un dilemme moral et philosophique d'une profondeur inattendue et dans lequel il est facile de reconnaître des choix que chaque individu doit affronter. le numéro spécial consacré à Supersonic aborde le thème de la retraite et de la vie active d'une façon trop simpliste. L'histoire dédiée aux héros du 11 septembre est un peu courte pour être mémorable. Comme d'habitude les créations graphiques d'Alex Ross permettent à chaque superhéros et chaque supercriminel de disposer d'une apparence spécifique et évocatrice de sa personnalité et de l'époque à laquelle se déroule l'action. À ce titre les pages bonus permettent de mieux visualiser l'apport déterminant de Ross à la série. Brent Anderson continue d'être la force tranquille sur laquelle Busiek peut se reposer pour donner vie aux personnages. Anderson utilise un style assez sage avec des mises en page basées sur des cases rectangulaires. Il prend un soin particulier à dessiner les gens ordinaires pour que les superhéros ressortent mieux. Dans ces histoires où les êtres humains normaux sont les principaux protagonistes, Anderson fait des merveilles en créant autant d'individus différents, ordinaires et pourtant inoubliables. Je suis sûr que je reconnaîtrais l'avocat si je le croisais dans la rue, ainsi que le jeune acteur, son collègue et la spécialiste des effets spéciaux, sans parler de Manny Morton. En fait, Anderson évite toute planche démonstrative (sauf les pleines pages de l'épisode consacré à Supersonic) pour se mettre entièrement au service des scénarios. Il le fait avec un tel savoir faire qu'il est facile d'oublier son apport, de ne pas se rendre compte de ce qu'il fait. En réexaminant les pages, le lecteur s'aperçoit que pour les 2 épisodes se déroulant en 1974, Anderson retranscrit fidèlement les tenues vestimentaires de l'époque, ainsi que les éléments décoratifs, jusqu'au type de télévision. Il en va de même pour les habits d'Irene en 1960. Lorsque Sally Twinings se rend dans une convention de comics, le lecteur reconnaît aisément l'agencement de ces grands halls avec les stands des éditeurs, et même les noms des artistes sur leur badge (Mark Waid et Devyn Grayson par exemple). Et puis le lecteur constate le soin apporté à chaque détail. Pour citer un autre exemple, Busiek et Anderson évitent de recourir à la solution de facilité que sont les lorem ipsum pour les articles de journaux ; ils insèrent de vrais articles rédigés et se rapportant aux faits évoqués dans les titres. Ces huit incursions à Astro City (et ses environs) tiennent parfaitement la promesse faite par Kurt Busiek de raconter toutes sortes d'histoires dans un monde habité par des superhéros. Il invente des personnages avec des espoirs et des limites qui vivent dans une ville où les superhéros sont une réalité d'autant plus crédible qu'ils disposent d'identités graphiques élaborées et cohérentes avec leurs histoires, leurs pouvoirs et leurs époques. VOUS ÊTES ICI. - L'ordre de lecture des tomes d'Astro City est le suivant : (1) Life in the Big City, (2) Family Album, (3) Confession, (4) The Tarnished Angel, (5) Local Heroes, (6) The Dark Age 1, (7) The Dark Age 2, (8) Shinning Stars, (9) Through open doors, (10) Victory, (11) Private lives.

16/08/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5
Couverture de la série La Femme Corneille - Enquête sur le monde caché des oiseaux noirs
La Femme Corneille - Enquête sur le monde caché des oiseaux noirs

C'est plus facile d'intercepter un animal à cinquante personnes pour le tuer que de le capturer seul et de veiller à ce qu'il reste vivant pour le relâcher ensuite. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première publication de l'album date de 2023. Il a été réalisé par Geoffrey le Guilcher & Camille Royer pour le scénario et par cette dernière pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-quarante-quatre pages de bande dessinée. le tome se termine avec une postface de deux pages, rédigée par Frédéric Jiguet (ornithologue et biologiste de la conservation, professeur au Muséum national d'histoire naturelle de Paris, directeur adjoint du Centre de recherches sur la biologie des populations d'oiseaux), deux pages de tweets avec photographie sur les corneilles du Jardin des Plantes, une carte des territoires des corneilles du Jardin des Plantes, une modélisation de la vision des oiseaux, la pesée d'une corneille par F. Jiguet, une bibliographie et une liste de travaux scientifiques, sur le sujet. Ce jour-là, le 1er décembre 2017, si on lui avait prédit qu'elle ferait une rencontre du troisième type, Marie-Lan aurait probablement parié sur un énième gamer bizarre. En tout cas, pas sur un animal sauvage… Quand, comme elle, on joue à Pokémon GO, il n'y a qu'une vraie difficulté : réunir six ou sept joueurs dans une rue ou un square. Après ça, son Pokémon légendaire, on est sûre de le capturer. En fait, c'est un peu un jeu pour vieux, mais il faut être discipliné. Elle, elle aime bien, ça permet de passer du temps dehors et de rencontrer des gens. Elle rencontre un groupe de joueurs au coin d'une rue et ils attrapent des Pokémons. À la fin, elle échange quelques mots avec Frédéric Jiguet qui indique qu'il va baguer des corneilles. Il accepte qu'elle l'accompagne. Chemin faisant, elle se présente : Marie-Lan, scripte pour des grosses entreprises. En gros, elle rédige des compte-rendus de réunions plus ou moins confidentielles. C'est bien payé, et ça lui laisse pas mal de temps libre. Et lui, pourquoi il bague les corneilles ? Frédéric Giguet se présente à son tour : il est professeur au Muséum d'histoire naturelle. Depuis 2015, la mairie de Paris l'a chargé de surveiller les populations de corneilles vivant à Paris. Les corneilles se sont installées en masse dans les parcs et cimetières parisiens à cause de l'instauration du plan Vigipirate en 1997. le rapport se trouve dans les poubelles et leurs sacs transparents. Les corneilles repèrent la nourriture puis percent le sac. L'autre problème, c'est qu'il y a eu des attaques de corneilles sur des passants. La mairie l'a questionné sur ce qu'on pouvait faire pour régler la question, sans les tuer. Chemin faisant, ils sont arrivés au Muséum d'histoire naturelle, et ils se rendent dans le bureau du professeur. Il continue : il les attrape et il les bague depuis deux ans afin de comprendre leurs comportements. En vérité, l'important pour réguler une population animale, c'est de commencer par l'accès aux ressources alimentaires. Pour trouver des solutions, ils font des tests au Jardin des Plantes. Il lui propose de le suivre pour s'y rendre. Tout commence avec une partie de Pokémon Go, une rencontre, la présentation sommaire de Marie-Lan et de Frédéric, le premier contact avec une corneille quand elle en tient une dans ses mains pour que Frédéric puisse la baguer, une vidéo d'un test en huit étapes passé haut la main (ou l'aile) par une corneille, et le constat que Marie-Lan avait initié la première version de l'article Corneille sur Wikipedia. Après ces dix-huit pages d'introduction, le lecteur découvre six chapitres. Chacun commence avec un extrait de la fable d'Ésope : la corneille et la cruche, le dernier avec la morale de la fable. Sur son site, la bédéiste indique que son travail se caractérise par son dessin au crayon, au pastel, des matériaux rugueux et brumeux pour un dessin énergique, pur. de fait, elle opte pour une simplification des formes, que ce soit pour les êtres humains ou les décors, apportant parfois une sensation de naïveté, ne permettant pas toujours de déterminer l'âge d'une personne en la regardant, des perspectives tout en diagonale, une absence de texture de certains revêtements en particulier les chaussées et les allées, une narration visuelle douce et tout public avec une apparence, en surface, de livre pour enfant. Cette apparence peut déconcerter le lecteur dans un premier temps qui assimile alors la narration à celle d'un conte. En fait, ce récit ne relève pas du tout du conte, mais de l'histoire personnelle de Marie-Lan une jeune adulte qui en vient à se passionner pour les corneilles après une rencontre fortuite avec un spécialiste qui lui propose de l'accompagner pour en découvrir plus. L'histoire est donc celle de la découverte personnelle de cette jeune femme : prendre des photographies de corneilles dans les parcs et cimetières parisiens, parfois en banlieue, nourrir des corneilles dans le Jardin des Plantes, se renseigner sur ce jardin et le Muséum d'histoire naturelle, en apprendre plus sur les corvidés et leur vision en trétrachromie, découvrir l'existence de territoire pour les corneilles, et en dresser la carte de celle du Jardin des Plantes, s'intéresser aux transmissions satellite de la bague des corneilles, à leur migration, à la chasse aux corneilles, aux solutions alternatives à cette chasse, à l'intelligence des corneilles, à leur langage, à la coévolution entre elles et les êtres humains et à leur place dans la mythologie. le récit apporte de nombreuses informations scientifiques et biologiques, tout en les présentant sous forme de vulgarisation, et en citant les ouvrages de référence. de fait cette dimension du récit prend le pas sur la vie de Marie-Lan à la fin du premier tiers. le lecteur constate que l'artiste adapte sa représentation à cette approche scientifique : facsimilé d'une page wikipedia, dessins organisés en double planche pour montrer une corneille résolvant le test le plus complexe de l'intelligence animale en huit étapes, plan masse du Jardin des Plantes, facsimilé de la vision de la corneille en tétrachromie, vue du ciel des bâtiments du Muséum d'histoire naturelle, vue générale d'un satellite de télécommunication dans l'espace, et bien sûr le comportement des corneilles, leurs postures, leurs mouvements. Le lecteur suit la progression de Marie-Lan dans sa passion et se rend compte qu'il se retrouve captivé à son tour. Comme elle, il peut observer que ces oiseaux noirs ont surpassé les grands singes dans plusieurs tests au point d'être désormais d'être considérés par nombre de scientifiques comme les animaux les plus intelligents après les êtres humains. Les corvidés chantent leurs morts, se projettent dans l'avenir, ou encore fabriquent des outils. Arrivé dans la dernière partie, il découvre l'ampleur de la présence des corvidés dans les mythologies humaines : psychopompe, peinture rupestre dans la grotte de Lascaux, Vikings, Celtes d'Irlande, Inuit, cosmogonie dans une légende du peuple Tsimshian, les corbeaux d'Odin (Huginn et Muninn), Apollon, Athéna, l'arche de Noé, les traditions païennes. Ce récit ne se confine pas à un registre encyclopédique ou scientifique. Dans le premier chapitre, les auteurs en disent plus sur Marie-Lan Lay : son enfance dans un petit village situé à trente bornes de Beauvais (Oudeuil) où il était compliqué d'avoir un père d'origine vietnamienne et une mère limousine dans un bled où il y a plus de vaches que d'habitants. Les dessins sont alors renforcés par la mise en couleurs, ce qui aboutit à un très beau portrait de vache dans son pâturage. Dans le chapitre quatre, les auteurs effectuent la présentation de Frédéric Jiguet : petit dévorant déjà les livres de sa maman professeure de biologie, crapahutant, dans les champs et dans les alpages avec un oncle chasseur passionné par la nature, puis ayant écrit une quinzaine de livres qui font référence, dont une majorité sur les oiseaux, professeur rattaché au Muséum d'histoire naturelle, en charge du programme d'étude sur les corneilles parisiennes. Les personnes qui travaillent à accroître la connaissance sur les corneilles deviennent alors incarnés, des individus autonomes ainsi que des scientifiques de haut niveau. La narration visuelle prend le temps de les faire exister, que ce soit dans des scènes de leur vie personnelle, ou en train d'observer et d'étudier les corneilles, avec régulièrement des pages muettes. Au bout de quelques pages, le lecteur s'adapte à cet entrelacement de connaissances et de démarches personnelles, de science et de passion, grâce à des dessins qui montrent avec plus de précisions que les apparences ne le laissent croire, et une douceur qui concrétise le respect que portent les auteurs sur leurs sujets. de la page cent-vingt-sept à la page cent-quarante-et-un, le récit passe en mode transmission d'informations et de savoir, laissant à penser que les auteurs ont fait une croix sur la dimension personnelle. Il n'en est rien car les cinq pages suivantes reviennent à Marie-Lan et explicitent le titre de Femme Corneille. Une couverture énigmatique qui laisse à penser qu'il s'agit d'un conte avec une narration visuelle tout public, sur une femme faisant montre de capacités de corneille, partagée entre un monde végétal et un monde fantastique violet. L'introduction cadre la nature du récit : une enquête, comme l'indique le sous-titre, sur les corvidés, auprès d'un spécialiste rencontré grâce à Pokémon Go. Scénaristes et dessinatrice parviennent à rendre aussi intéressant les informations sur les corneilles que la démarche personnelle de Marie-Lan et Frédéric Jiguet, fascinés par ces oiseaux. Une lecture étonnante.

16/08/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série House of M
House of M

État de grâce - À l'issue des événements de Avengers disassembled et New X-Men: Planet X, Magneto prend en charge sa fille et s'en va. Ce tome commence peu de temps après. Wanda Maximoff a perdu le contrôle de ses pouvoirs et a accordé à chaque mutant de réaliser ses aspirations secrètes dans un monde altéré où les mutants occupent la place de l'espèce dominante. Quelques héros ont gardé le souvenir de la réalité précédente et vont tout faire pour rétablir cet ordre originel du monde. Parmi eux, se trouvent Wolverine, Captain America, Rogue, Luke Cage, Cloak, She-Hulk, Doctor Strange, Emma Frost, Hawkeye, Spiderman… Tous les éditeurs le savent : une minisérie événementielle peut vous augmenter votre chiffre de ventes facilement... le seul risque est que votre série soit pourrie et que les fans vous saquent sur internet (pas si grave que ça à court terme). Tous les fans le savent : une minisérie événementielle réussie peut vous doubler le plaisir de lecture. Et dans House of M toute est parfait. Déjà, l'édition dite Deluxe est sublime : format plus grand que le format comics, intégralité des couvertures et images promotionnelles, interview de Brian Michael Bendis parue dans Newsarama, script du premier épisode, crayonnés des pages du premier épisode, et numéros spéciaux de The Pulse et Secrets of the house of M. Ensuite Brian Michael Bendis a réussi à trouver un équilibre parfait entre le développement des personnages, le rythme de narration, le ton de nostalgie. L'histoire se lit comme une histoire complète, le lecteur n'a pas l'impression qu'il lui manque des moments essentiels (comme dans la majorité des autres miniséries événementielles). Les scénaristes des autres séries mensuelles ont pu développer l'univers de House of M en fonction de leurs envies. le statu quo est significativement modifié par cette histoire (très fortement même), son impact se fait encore sentir dans les séries en cours. Les illustrations d'Olivier Coipel bénéficient de ce même état de grâce. le parti pris esthétique traduit magnifiquement le ton de la série avec une légère pointe de nostalgie, et ce qu'il faut de dynamisme. C'est une bande dessinée magique où le scénariste et le dessinateur sont parfaitement à l'unisson. Que vous cherchiez une bonne histoire à lire pour elle même ou un moment significatif de l'évolution de l'univers Marvel, ce recueil comblera vos attentes. Pour pleinement apprécier l'histoire, il faut quand même disposer d'une solide connaissance des personnages Marvel.

15/08/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Traverse
La Traverse

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa publication initiale date de 2019. Elle a été réalisée par Edmond Baudoin & Mariette Nodet pour l'histoire, et par le premier pour les dessins. Ce récit est en noir & blanc et compte environ cent-six pages de bande dessinée. Il s'ouvre avec un texte introductif d'une page qui n'est pas signé (mais vraisemblablement de la main de l'autrice), évoquant les rails, les lignes de nos vies, et ces traverses qui relient les vies entre elles, comme ce livre. En première page, Edmond est assis à même le sol et indique en guise de présentation, qu'il ne sait plus combien il a fait de livres et qu'il n'a pas envie de compter, mais toujours celui qu'il fait est le premier. C'est au tour de Mariette de se présenter, elle aussi assise à même le sol : elle est ici dans sa montagne immuable, il est là-bas au milieu de tellement de gens, pourtant elle ressent, pour eux deux, une même énergie, une action constante. Ce qui les différencie vraiment, c'est le silence. Les crêtes d'une chaine de montagnes en Himalaya. le silence est dans sa vie comme un ami. Elle le regarde comme empreint de liberté et de joie. Plus elle avance dans sa vie, plus elle marche dans les hauteurs, plus elle est certaine de cela : le silence est une présence joyeuse aux choses, il la façonne comme un artiste amoureux. le silence, l'horizon qui en cache un autre, et la solitude. Elle aime ressentir l'existence du tout qui n'a aucune intention, et elle partie du tout. Pouvoir porter le regard au loin est une manière sans réfléchir de comprendre sa place dans ce monde. Être là, rechercher cet état l'aspire et l'éloigne du précipice dans lequel elle est tombée un jour. Elle se tient assise sur le bord d'une falaise à pic, son esprit s'envolant comme une forme d'aile issue de la transformation de sa tête. Toujours le regard porté vers l'horizon, avec des crêtes à perte de vue et dans le lointain sur sa droite, un rapace en plein ciel, elle continue de laisser les pensées venir à elle. Depuis ce jour, elle fait toujours le même cauchemar, celui de son enfant qui tombe de la falaise. C'est peut-être la peur de la perte du dernier être important pour elle. Mais elle est bien ancrée, et c'est plutôt elle qui tombe sans fin. En baissant un peu le regard, les pentes des montagnes s'imposent à elle. Est-ce pour sortir de cette chute dans le précipice qu'elle retourne sans cesse sur son bord ? Elle avance, elle ne peut que ça, et c'est ça qui la sauve. Rester immobile, être au fond de la vallée, c'est avoir froid, c'est avoir l'horizon bouché. Il y a toujours un col à atteindre pour aller plus loin. Mariette a repris sa marche dans cette zone de haute montagne, sur les crêtes. Elle éprouve la sensation que des rochers la survolent. Être là en montagne comme en soi-même, mettre un pied devant l'autre, jouer avec le relief, toujours dans le déséquilibre de la marche, transpirer, parfois grimper ou désescalader, chercher l'itinéraire. Pas de présentation en quatrième de couverture, une couverture énigmatique avec cette personne sur une hauteur rocheuse contemplant la montagne devant elle, avec sa tête mangée se confondant avec l'ombre d'une pente, ou semblant partir en fumée. le lecteur peut y voir comme un écho visuel de la couverture de le chemin de Saint-Jean (2002) de Baudoin, où l'auteur se représente assis sur des pierres, avec un rocher flottant là où devrait se trouver sa tête. En fonction de ses affinités électives, le lecteur peut être venu à cet ouvrage en amateur transi des œuvres du bédéiste et se demander avec qui il s'est acoquiné, ou avoir été attiré par le nom de cette grande randonneuse en montagne, ancienne championne de ski télémark et pigiste pour des revues de montagne. Dans les deux cas, il ne dispose pas de moyens de savoir qui a apporté quoi à l'ouvrage et dans quelle proportion. Il découvre ce texte sur la métaphore des traverses, la page de présentation de Baudoin, puis celle de Nodet, très succincte l'une comme l'autre. Vient un dessin de flanc de montagne en illustration pleine page, sans texte, avec des coups de pinceau à la fois spontanés, à la fois capturant avec une précision surnaturelle l'impression que produit la montagne. le lecteur découvre ensuite une succession de sept illustrations en double page, toutes consacrées à la montagne de haute altitude, avec les pensées de Mariette, entre réflexions organisées et flux libre. Page d'après, trois personnages assis sur une grande banquette semi-circulaire en train de consulter des cartes à même le sol, et, pour la première fois, des phylactères. Puis une illustration pleine page sans un mot. C'est reparti pour le voyage en montagne, cette fois-ci dans un lieu identifié, à partir de Ladakh, une région du Tibet qui forme un territoire de l'Union indienne. À l'évidence, Mariette Nodet évoque le drame qui frappé sa vie, et un voyage en particulier, accompagnée de sa fille, émaillé de réflexions sur ce que lui apportent la montagne et le silence, sur sa soif de sortir de sa zone de confort pour rencontrer des étrangers au mode de vie radicalement différent du sien. À chaque page tournée, le lecteur découvre une autre vision à couper le souffle de la montagne, avec ou sans êtres humains, comme si l'artiste dessinait le paysage pris sur le vif. Baudoin lui-même n'apparaît que peu : en première page pour se présenter en deux phrases lapidaires, page vingt en train de regarder des cartes avec Mariette et Lou, puis de manière un peu plus régulière à partir de la page trente-cinq, toujours dans de brèves séquences d'une ou deux pages, et en nombre beaucoup plus petit que celles consacrées aux deux femmes. le lecteur relève plusieurs thèmes évoqués au fil des pages : le silence, l'attrait du vide, le plaisir de se projeter dans un voyage en consultant des cartes, le dépouillement du mode de vie dans le Ladakh, l'étrange communion qui s'installe avec les guides lors de la randonnée et même temps que la distance infranchissable qui sépare européens et tibétains, l'artificialité d'une frontière par rapport à la réalité géographique, l'écart entre carte et territoire, l'effort physique de la marche en montagne en même temps que son rythme hypnotique, l'altérité de tout autre être humain, la disparition définitive de tout individu décédé. Le lecteur peut s'en tenir là : une randonnée en haute montagne un peu exotique, avec des illustrations rudes et évocatrices, et de temps à autres les souvenirs du bédéiste resté dans le Var vaguement rattachés au fil principal par le thème de l'étranger, de l'altérité et de la mortalité… En fonction de son histoire personnelle, le lecteur prend conscience qu'un élément ou un autre de cette œuvre lui parle avec acuité : une remarque en passant sur le rapport au silence, à la solitude, sur l'envie de découvrir l'altérité de l'autre pour se décentrer de sa vie et de son enfermement mental, sur le plaisir de lire une carte, de découvrir la réalité du territoire (remarque qui renvoie à l'aphorisme d'Alfred Korzybski : une carte n'est pas le territoire qu'elle représente), etc. Ces réflexions lui parlent alors, révélant la richesse d'une expérience de vie, pas juste une collection de remarques superficielles prêtes à penser : elles sont l'expression des acquis de l'expérience de l'autrice, de son cheminement personnel, pas des recettes artificielles prêtes à l'emploi de développement personnel. Comme elle l'écrit, Mariette Nodet a éprouvé ces sensations, ces découvertes : Sortir de la carte, ne plus avoir la sécurité des courbes et des noms, franchir une frontière. Quitter le trop plein de ce côté-ci et aller vers le néant de ce côté-là. Un pied dans le jour et un pied dans la nuit. Accepter le risque de l'inconnu, du hors-soi. Et, jour après jour, se rendre compte que c'est là, dans ce hors-soi, que l'on vit pleinement ! Le lecteur peut également éprouver la sensation de cheminer en montagne aux côtés de la mère et de la fille : il voit des paysages de montagnes à la fois concrets et uniques, par les yeux de la personne qui s'y trouve, avec sa perception. C'est un tour de force impressionnant que réalise Edmond Baudoin car il n'a pas fait ce chemin, il n'a pas accompagné les deux femmes, et pour autant chaque représentation apparaît authentique, avec la même âpreté que les représentations de Jean-Marc Rochette dans ?Ailefroide : Altitude 3 954 (2018). Peut-être a-t-il travaillé d'après photographies, certainement en étroite collaboration avec l'autrice, totalement à son service. Il partage avec elle l'appétence pour l'énergie, la volonté passée à vouloir exister, un regard sur la vie, sans aucune animosité, aucune critique, une espèce d'attention intérieure. Cette communauté d'esprit aboutit à un ouvrage qui semble avoir été réalisé par une seule et même personne, avec la narration visuelle si personnelle et si particulière de Baudoin, avec l'expérience de la montagne de Nodet, une création fusionnelle, une façon d'habiter le monde très similaire. Une collaboration entre Edmond Baudoin et une ex-championne de ski amoureuse de la montagne : une narration qui semble totalement issue du premier et réalisée par lui dans cette bande dessinée au format libre. En même temps, la transmission de l'expérience personnelle de la seconde d'une randonnée au Ladakh et d'un deuil. Une communion d'esprit organique pour une façon peu commune d'habiter le monde, de repousser symboliquement les frontières, de faire l'expérience que l'imagination ne pourra jamais embrasser la beauté et la complexité de la réalité, d'emprunter les chemins que l'on connaît, ceux qui relient les hommes aux hommes, de la manière la plus évidente. Des instants magiques.

15/08/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Trinité
Trinité

Iconique - Je suis un grand fan de Matt Wagner, surtout pour ses deux créations Mage et Grendel. C'est toujours avec plaisir que je me plonge dans l'une de ses œuvres, même s'il s'agit ici des héros de DC. Ce recueil regroupe les trois numéros de la minisérie du même nom. Ra's al Ghul (terroriste écologiste) a mis la main sur plusieurs armes de destruction massive dont Bizarro. Il souhaite éradiquer plusieurs cités et profiter d'une bizarrerie des satellites de communication pour créer le chaos et diminuer drastiquement la population terrestre. Les exactions de ses séides attirent l'attention de Superman et de Batman qui décident de collaborer. Une maladresse de Bizarro entraîne l'explosion d'un missile nucléaire à coté de Paradise Island ce qui amène Wonder Woman à enquêter dans le monde des hommes. Comme à son habitude, Matt Wagner préfère situer l'action au début la carrière de chacun de ces héros et il raconte la première rencontre entre les trois piliers de l'univers DC (sa trinité). L'histoire commence lentement et il faut attendre le milieu du tome pour que le rythme de l'action s'accélère. Par contre dès le début, Wagner cerne admirablement la personnalité des trois héros. Clark Kent se donne un mal fou pour passer pour un être humain normal en ratant régulièrement son métro pour aller travailler. Batman est préparé à toutes les situations, il dirige Superman (sans le commander ou le mépriser pour autant) et il succombe au charme de la Princesse Diana, tout en jalousant son avion robot. Coté Wonder Woman, Wagner reprend l'intégralité des éléments du mythe : Themyscira, les amazones, la Reine Hyppolita, l'avion robot, le lasso, les aigles guetteurs… Autant Wagner a fait un effort de simplification et de cohérence pour Clark Kent et Bruce Wayne, autant il garde tous les éléments (même s'ils sont contradictoires) pour Diana. Et pour autant, sa maîtrise de son profil psychologique nous montre une Wonder Woman parfaitement crédible : royale, légèrement féministe sans être caricaturale, vive d'esprit, respectueuse de l'environnement… Coté illustrations, Matt Wagner est fidèle à son credo : il choisit une mise en page très sage (pas de cases en trapèze) et aérée, un style rétro pour ancrer sa narration dans le début de ces héros, des dessins précis qui privilégient le trait juste à la myriade de lignes inutiles. Ce tome est à la hauteur des promesses : la première rencontre de Wonder Woman avec Batman et Superman. Les réactions des uns et des autres font admirablement ressortir leurs différences et ce qui les unit. Les péripéties sont lentes à démarrer mais le scénario est solidement construit, il rend intéressant cette nouvelle attaque de Ra's al Ghul et il contient son lot de surprises. Il s'agit d'un comics qui mise sur la nuance plutôt que sur le rentre dedans. Si vous avez apprécié, ne vous privez pas des autres histoires de Batman réalisées par Matt Wagner (Batman et les Monstres par exemple).

14/08/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Batman et le Moine Fou
Batman et le Moine Fou

Dark Moon rising, acte 2 - Ce tome est la suite directe de Batman et les Monstres et la lecture du premier tome est quasiment indispensable pour comprendre l'intrigue du second. D'ailleurs les deux portent le titre commun de Dark Moon Rising. On retrouve le graphisme si maîtrisé de Matt Wagner qui va à l'essentiel tout en donnant à chaque personnage et chaque élément de décors une identité propre. Comme à son habitude, il a choisi un style épuré en ne traçant que les lignes significatives et chaque dessin possède une immédiateté et une efficacité rare. La mise en couleur de Dave Stewart repose sur une palette chromatique limitée pour renforcer les atmosphères des différentes scènes qui complètent à merveille les dessins. Comme pour le premier tome, l'action se situe dans la deuxième année d'activité du Batman. Et de ce fait le héros n'est pas encore complètement blasé et cynique, il commet même parfois des erreurs tactiques. Cette faillibilité rend Batman beaucoup plus humain et plus accessible, l'empathie que l'on éprouve pour le héros s'en trouve accentuée. Batman doit découvrir ce qui se cache derrière une série de cadavres exsangues et les exactions de la famille Maroni. Ce tome est une fois de plus un coup de maître pour Matt Wagner qui maîtrise son Batman comme pas deux et qui nous livre une histoire prenante et attachante reposant sur de belles planches. Il ne reste plus qu'au lecteur à savourer et à déguster… et à tenter les autres œuvres de ce créateur avec Batman (Trinité - Batman/Superman/Wonder Woman, Batman/Grendel) ou sur ses propres créations Grendel ou Mage.

14/08/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Rite
Le Rite

Aucun organisme ne peut grossir indéfiniment. Il finit inévitablement par s'effondrer sous son propre poids. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première publication date de 2022. Il a été entièrement réalisé par Amaury Bündgen, scénario et dessin. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc qui compte cent-deux planches. Dans une zone très montagneuse, des rapaces vols au-dessus des cimes. Sur des pentes rocheuses, sans une once de végétation, une silhouette encapuchonnée avance. L'homme serre bien sa cape autour de son cou. Il avance posément, avec un rythme régulier. Son regard est calme, il contemple les sommets devant lui. Il s'arrête protégé par un énorme rocher, derrière lequel il se cache. Il regarde tranquillement par-dessus. Au loin, il aperçoit une demi-douzaine de silhouettes en train de monter la garde, une lance à la main, autour d'un feu de camp. Il continue de marcher, en faisant en sorte de rester masqué par les rochers, pour que sa présence ne soit pas détectée. Il s'engage dans une grande vallée en hauteur, et il s'arrête au bord d'un ruisseau de montagne. Il se désaltère. Il reprend sa marche et le vent souffle fort de face. Il arrive à proximité d'un lac de montagne, en prenant soin de ne pas être aperçu. Il observe et détecte d'autres sentinelles. Il déjoue leur attention et parvient à continuer à avancer. Il s'assoit adossé à un rocher et il médite. Quand les nuages masquent le soleil, il se lève et marche vers la rive du lac. L'homme, un Kévark, laisse sa cape à capuche tomber à terre, il enlève ses bottes. Il prononce une courte incantation, effectue des passes avec les mains, en prononce une deuxième : une petite flamme apparaît entre ses paumes.il se sent investit d'une grande énergie. Il se remet en mouvement et il marche sur la surface de l'eau du lac. Arrivé au milieu de l'étendue d'eau, il s'assoit en position du lotus, toujours flottant à la surface. La nuit passe ainsi. À l'aube, un soldat haïmar va réveiller Osmir, un serviteur, pour qu'il aille chercher de l'eau lac. Celui-ci y va et commence à remplir sa jarre : il finit par remarquer la silhouette du Kévark au milieu du lac. Il va avertir les soldats haïmars. le soldat qui l'a réveillé se moque de sa frayeur, mais Osmir se montre insistant et les convainc quand il dit qu'il s'agit d'un Kevark. Un groupe d'une demi-douzaine de soldats va voir par eux-mêmes : c'est bien un Kevark, même si leur peuple a été exterminé. L'un d'eux rappelle que c'est un peuple d'illusionnistes et de menteurs. Dans une zone boisée non loin de là dans la même région, un centaure scorne suit la trace de son gibier, un roufle, aidé par Hardelin, son traqueur. Ce dernier se met à gesticuler en s'exclamant dans sa langue. le Scorne n'a pas tout compris, mais il a saisi le sens général : la proie est toute proche. Ils arrivent donc à l'issue de cette traque. Des préparatifs doivent être faits. le Scorne indique à Hardelin qu'il peut ranger sa lame. Il en faut une autre pour la mise à mort. Il lui recommande de bien prendre soin de ne pas sortir Aalbex de son étui. Les conditions ne sont pas réunies. Le lecteur regarde la couverture avec sa partie basse, l'eau, et sa partie haute, les pentes d'une montagne et la rive, et le personnage en plein rite qui fait le lien entre les deux. Il se lance dans sa lecture : quinze pages sans texte à suivre un individu progresser dans la montagne, jusqu'à s'assoir en tailleur sur l'eau d'un lac. La narration visuelle se fait par des dessins en noir & blanc, avec un trait fin et sec, parfois un peu plus épais et gras, des aplats de noir assez réduits de forme irrégulière. Une passe magique avec une incantation dans une langue inconnue, un simple glyphe, puis un second, la manifestation d'une énergie qui emplit l'individu. Une coiffure étrange, comme des tatouages sur le bas du visage. En page vingt-deux, le fil narratif quitte ce personnage et les soldats du campement avoisinant, pour prendre en cours de route la traque d'un animal sauvage, un roufle, par un centaure et un humanoïde à grosses moustaches, mais au visage caché par une capuche. le trait est toujours aussi fin et bien dosé pour évoquer l'herbe de la forêt, les troncs d'arbre et leur texture, les rochers et leurs aspérités, le déplacement mi-homme mi-bête de Hardelin, la majesté un peu lourde du centaure, et la forme très exotique de son arme blanche. Mais que se passe-t-il ? le narrateur sait très bien ce qu'il fait, il dose à la perfection les ingrédients de son récit, la manière dont il les égraine. le cerveau du lecteur effectue le travail de manière automatique et inconsciente. Un homme à l'allure étrange, aux habits moyenâgeux : une forme ou une autre du genre Fantasy. Des soldats, une guerre ou plutôt une conquête. Un centaure : des créatures fantastiques, avec des us et des coutumes barbares ou primordiaux. Le lecteur ne s'est rendu compte de rien : pourtant il est déjà en train de supputer, d'établir des liens de cause à effet, d'échafauder des schémas de fonctionnement, de s'interroger sur les motivations des uns et des autres, de projeter du sens sur la base des éléments épars dont il dispose. Il s'est pris au jeu, sans bien s'en rendre compte. Il regarde le Kévark (c'est le nom de son peuple, mais il n'est jamais mentionné son nom à lui) avancer dans la montagne et se prendre ce souffle de vent en pleine face, un instant comme il peut s'en produire en montagne. Il voit le Scorne tout à sa traque, une activité d'une grande importance dans sa culture, une traque qui participe à définir le personnage, sans qu'il n'en mesure bien toutes les ramifications. À partir de la page trente-deux, la situation est posée : un face-à-face entre ce Kévark immobile assis au beau milieu du lac, et le commandant de l'armée haïvar. La suite s'apparente donc à un face-à-face en deux parties, une nuit s'écoulant entre les deux, le commandant essayant d'établir le contact avec l'un des derniers représentants du peuple Kévark, d'abord avec un interprète, puis directement, et cet individu, peut-être un mage, seul face à une armée de la nation qui a anéanti son peuple. D'un point de vue narratif, cela constitue une gageure maintenir un suspense dans une longue discussion statique. L'auteur s'en sort très bien, car plusieurs questions posées par le Kévark appellent une réponse développant des faits passés, ce qui donne lieu à leur représentation : des femmes esclaves, la mythologie du peuple Kévark, les conquêtes successives des Haïmars, leur formidable armée, jusqu'à une bataille entre ces deux peuples donnant lieu à une superbe illustration en double page, soixante-dix et soixante-et-onze. En fonction des séquences, l'artiste peut aussi bien réaliser une narration séquentielle traditionnelle à base d'actions découpées dans des bandes de cases, que glisser vers un registre plus illustratif, pouvant évoque Hal Foster et Prince Vaillant. Alors même qu'il sent bien l'immobilité de la confrontation de ces échanges verbaux, le lecteur ne s'ennuie pas visuellement. le commandant a clairement expliqué à ses hommes la nature du lac : il est magique car pour les Kévarks c'est le lac originel, celui dont ils sont sortis à l'aube des temps. Puis la discussion s'engage entre le commandant et le Kévark, par l'entremise du traducteur, un érudit tavoule. le Kévark semble bien calme. La confrontation s'engage entre l'envahisseur, le commandant à la tête de sa puissante armée, et le faible individu. le commandant explicite clairement ce qu'il en est : les forts écrasent les faibles, et les autres doivent prendre parti. le rapport ne force ne laisse pas place au doute. Comme le Kévark au milieu du lac semble inoffensif, mais aussi inaccessible, le Haïmar accepte d'engager la conversation ; de toute façon, l'autre n'a aucune chance d'y réchapper. le fort donne donc sa version des faits, sa version de la conquête, sa version de la consolidation de la position de pouvoir de son peuple, la nécessité de faire plier les autres, de grossir. L'homme au milieu du lac pose des questions qui mettent en lumière les incohérences de cette version, le fait que ces démonstrations de force cachent une faiblesse, une inquiétude tout du moins. Il bénéficie en plus d'un témoin, le Scorne, un individu capable de réfléchir par lui-même, un allié de circonstance des Haïmars, mais qui ne leur est pas inféodé. le lecteur continue d'essayer d'anticiper les révélations, de détecter une conséquence implicite, une implication que l'un ou l'autre essaye de faire dire explicitement à son interlocuteur. Qu'est-il en train de se jouer ? Quel est l'enjeu ? Que peu un homme seul face à une armée ? Que prépare-t-il ? de temps à autre, une remarque en passant vient donner un autre sens à un fait évoqué précédemment. En fonction de ses lectures passées, le lecteur peut estimer qu'il y a peu de chances qu'un récit de Fantasy de plus puisse receler beaucoup de surprises. Pour autant, il se laisse vite prendre à la narration visuelle, solide et délicate, claire et minutieuse. Il note les noms exotiques, les petits décalages anatomiques, la présence d'un centaure, des armes blanches. Il se rend compte que l'auteur a su capturer son attention, et que sa narration engendre une envie d'anticiper, de faire des déductions pour comprendre. Il se retrouve à jauger les deux camps lors de cette conversation où à l'évidence l'un comme l'autre cherchent à faire admettre sa vérité à son ennemi. Il se fait cueillir par la résolution de ce conflit, implacable, sans être prévisible. Un récit sans concession, en forme de jeu de pouvoir et d'intimidation, sur la détermination des forts, et celles des faibles.

14/08/2024 (modifier)