Immonde
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Ce tome regroupe les 5 épisodes d'une minisérie initialement parue en 2008. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre.
Les six premières pages servent à présenter le personnage principal : Raymond Delgado. Cet homme d'une trentaine d'années est une force de la nature, il a le crâne rasé et il porte des lunettes. Dans son enfance, il a été victime d'abus sexuels de la part de son père et de son oncle. Il a été le souffre-douleur des enfants de son âge. Il a été traumatisé (à nouveau) par son expérience de soldat pendant la guerre. Il est interné dans une prison de très haute sécurité, condamné pour avoir tué 21 personnes (au moins). Aujourd'hui il est transféré dans une prison appelée Hoxford, avec un groupe d'autres détenus aussi monstrueux dont Morton (violeur d'enfants multirécidiviste), Burly Bill (violeur et meurtrier multirécidiviste) et Skinny (meurtrier et nécrophile). Les conditions d'incarcération à Hoxford sont sévères, ce qui n'empêche pas quelques dérapages sous les douches, ou dans les parties communes. le docteur Jessica Ainley qui suivait le traitement psychiatrique de Delgado se rend à Hoxford pour contrôler ses conditions de détention. Elle découvre que l'administration de la prison ne délivre pas les médicaments aux prisonniers. Mais elle va bientôt en savoir plus car sa visite tombe le jour où les responsables de Hoxford célèbrent un rituel séculaire.
Dans l'introduction, Ben Templesmith explique qu'il avait toujours méprisé les loups garous dans le bestiaire des monstres horrifiques car il estime qu'ils font trop dessins animés, et pas assez peur. Or lui ce qu'il aime, c'est l'horreur qui fout la trouille, qui est contre nature, qui est perverse, malsaine, et primale. Il est le co-créateur avec Steve Niles de la série 30 jours de nuit. C'est également un illustrateur très particulier qui est connu pour avoir dessiné Fell de Warren Ellis.
Ce tome commence comme un film de série Z qui se prend au sérieux en listant tous les sévices qu'a subis Delgado et en le décrivant comme une grosse brute énigmatique, victime de délires hallucinatoires. Il est dangereux, il a tué à plusieurs reprises et il est enfermé avec d'autres ayant commis des actes tellement barbares que la société souhaite les oublier, faute de pouvoir les exécuter du fait de l'absence de peine de mort. Ces individus aiment surtout parler de leurs crimes immondes et promettre qu'ils s'entretueront à la première occasion, avec sévices sexuels à la clef. Les dialogues sont malsains et il est visible que Templesmith raconte son récit au premier degré, sans aucune ironie.
Arrivé à Hoxford, Templesmith introduit le responsable de l'établissement qui semble sadique à souhait, et le docteur Ainley qui semble destinée à être la frêle jeune femme qui jouera le rôle de l'otage. Mais petit à petit, les éléments graphiques attirent l'attention du lecteur sur des détails qui renforcent le premier degré d'une manière sinistre qui force son implication. Il est assez difficile de décrire le style de Templesmith. L'histoire commence avec une pleine page de la tête du père de Raymond Delgado s'apprêtant à le maltraiter alors qu'il est encore enfant. L'image est baignée dans une teinte jaune orangé évoquant la lumière crue d'une ampoule non protégée, mais qui n'arrive pas à dissiper la noirceur du monde. Son père est fort et gras, il a un visage asymétrique avec des yeux de taille différente, un gros pif, une grimace qui lui découvre 24 dents (anatomiquement impossible) et il est vêtu d'un marcel qu'on suppose crade. Il n'y a aucune information visuelle sur le lieu. En fait la scène suivante avec les persécuteurs de l'école baigne dans la même lumière, toujours sans décors, et il en va de même pour la scène sur le champ de bataille. Il faut presque attendre le voyage en bus pour commencer à voir apparaître les bancs improbables et les chaines qui assurent l'immobilité des prisonniers. Par contre quand Jessica Ainley se tient à l'extérieur de Hoxford, Templesmith utilise l'infographie pour insérer une photographie retouchée d'un bâtiment en fond de case. Il sur-imprime parfois des trames aux dessins pour leur donner une texture. La prédominance des couleurs sombres et des contours de formes délavées demandent une forte attention du lecteur qui s'implique dans l'observation des cases. le rendu des personnages oscille entre la caricature avec un langage corporel exagéré et des formes parfois proches de l'esquisse rapide. Parfois Templesmith choisit de privilégier l'impact visuel au détriment de tout réalisme en tirant ses représentations vers le symbolisme ou l'abstraction. Il ne représente plus vraiment la réalité de l'action, mais plus l'idée sous-jacente, l'impression, les sensations.
Ben Templesmith ne s'embarrasse pas de réalisme et il joue avec son lecteur en le contraignant à vraiment regarder ses illustrations par des teintes très sombres et des contours difficiles à distinguer. du coup, quand il focalise une case sur une action ou une anatomie détaillée, l'implication du lecteur est plus importante et les détails s'incrustent dans sa rétine. le lecteur perçoit l'intensité de Raymond Delgado, et sa distance par rapport à ce que tout le monde s'accorde à être la réalité. L'apparence singulière des monstres devient immonde grâce à la forme abjecte de leur dentition, leur salive, etc. Bien sûr ces éléments ne sont pas nouveaux, mais la représentation de Templesmith leur rend toute leur horreur, leur impossibilité, leur inhumanité. le lecteur est sorti de sa zone de confort pour découvrir des individus abjects confrontés à des créatures monstrueuses. le style graphique sophistiqué et intellectualisé de Templesmith empoigne le lecteur et le plonge dans les sensations, dans le ressenti pour mieux le choquer et l'atteindre. Par exemple, Delgado mord un prisonnier après la douche. La case en question baigne dans un camaïeu de vert légèrement cafardeux qui recouvre indifféremment le fond indistinct et les personnages. Il y a un gros effet sonore "CHOMP", presque comique, le buste du prisonnier vu de devant et la tête de Delgado derrière dont les dents se fiche dans le cou du prisonnier. À part l'effet sanguinolent et l'impact de la prise de Delgado pour maintenir sa victime, le dessin reste assez retenu (pas de jet d'hémoglobine, pas de morceau déchiqueté dans la bouche, pas de détails chirurgicaux). du coup, le lecteur scrute la case suivante pour se rendre compte des dégâts. Or l'illustration n'est pas plus précise, le plan n'est pas plus rapproché, il faut donc bien regarder pour voir le morceau qui manque, et le lecteur se retrouve pris en flagrant délit de voyeurisme nauséabond.
Cette histoire met en scène des criminels immondes confrontés à des créatures inhumaines, pour un massacre gore et sanglant. le savoir faire de Ben Templesmith, son talent de conteur, permet de rendre viscérale cette histoire classique.
Je suis tout à fait le cœur de cible de ce genre d’album, et c’est avec beaucoup de plaisir que je l’ai parcouru. Troisième album de cette maison d’édition que je lis, et il confirme leur politique éditoriale très originale, et leurs partis pris (comiques, idéologiques) qui tous me siéent.
Ici pas de vieilles bandes américaines libres de droits et détournées, mais une accumulation de strips qui tous jouent sur un humour assez corrosif : humour con et/ou noir parfois, humour absurde toujours (quelques accointances parfois avec le travail de Reuzé ou Fabcaro – un clin d’œil/hommage à Zaï Zaï Zaï Zaï occupe même la page 20 !). Tienstiens nous livre une vision atroce et décalée de notre société.
Car, au travers d’un humour que j’ai trouvé très efficace (quelques éclats de rire et de très nombreux sourires), tienstiens dézingue, en s’en donnant à cœur-joie, quelques têtes de gondole politiques ou médiatiques (Macron ; Christian Clavier, etc.) et surtout, à coup de parodies du Surfeur d’argent, ou de brainstormings de cabinets de communicants, il s’attaque à la doxa ultralibérale : on aperçoit même au cours d’un strip l’– excellent – économiste Frédéric Lordon. Quant à Koko, le gorille qui a du mal avec le capitalisme, c’est un vrai champion de la contreculture qui a du mal à assimiler une leçon d'ultralibéralisme !
Excellent et très drôle, j’en redemande ! Tellement d’ailleurs qu’alors que je l’avais emprunté, je l’ai acheté aujourd’hui lors d’une virée à Paris.
C'est ma première incursion en territoire Hanuka. Et c'est bien évidemment le titre (c'est d'actualité) qui m'a attiré vers le Juif Arabe.
C'est très bon. A commencer par ce graphisme minimaliste mais qui tire l'essentiel, que ce soit des expressions ou des paysages. Ça m'a énormément rappelé Ronson de César Sebastian, l'une de mes dernières lectures et gros coup de cœur. C'est tout à fait le genre de dessin que j'affectionne. Question couleurs, j'aime aussi beaucoup le choix de ces aplats de couleurs qui apportent un côté très dynamique. Enfin, Asaf Hanuka procède à une petite inversion des conventions qui, mine de rien, apporte un gros surplus de sens. En effet, les scènes censées se dérouler dans le présent sont en noir et blanc, contenant parfois une discrète touche de couleur qui fait, là encore, toujours sens (par exemple le bleu de la mer qui étincelle comme une lueur d'espoir, ou le rouge qui détoure le visage lors d'une scène tragique), alors que les flashbacks et les souvenirs racontés par le père de l'auteur (ou l'un de ses amis) sont en couleurs. Personnellement, j'y décèle une résonance forte avec la situation actuelle, terrible et embourbée (d'où les scènes actuelles en noir et blanc donc), bien que cette BD ait été réalisée bien avant les attentats du Hamas contre Israël et le massacre des palestiniens de Gaza par l'état hébreux (presque 40000 morts à ce jour). Toujours selon cette idée, les souvenirs, du point de vue de l'auteur, demeurent vivants et apportent toute la nuance que mérite la situation présente (d'où les scènes passées en couleurs).
Je ne veux rien dévoiler de l'histoire, sinon qu'elle est assez folledingue, et surtout très touchante, à commencer par le fait qu'elle soit vraie. En effet, l'auteur enquête sur son histoire familiale, occasion pour lui comme pour le lecteur, de plonger au cœur des relations intimes qui unissaient (autrefois) juifs et arabes. Mais elle est aussi bouleversante parce qu'elle résonne bien entendu on-ne-peut-plus fortement avec l'actualité. Ainsi, au fil des pages, on parvient à entrevoir toute la complexité de l'Histoire, et tout particulièrement celle de la famille de l'auteur, la petite histoire. Par ce biais, Hanuka apporte de la nuance ! Nuance salutaire, toujours, contre les prises de position radicales qui semblent désormais être devenue la norme dans notre monde numérisé, sommant les individus de prendre immédiatement position et de tenir cette position coute que coute, quitte à envenimer les choses. Non, "les choses" ne sont jamais noires ou blanches. C'est une idée à laquelle je crois dur comme fer. Il existe derrière toute situation une palette de couleurs subtiles, palette que l'auteur orchestre donc parfaitement.
Outre le fait que l'actualité vient percuter cette BD de plein fouet, il y a dans ces souvenirs une urgence que vient souligner un dénouement peu commun. Sans en dire plus, la tension monte progressivement à mesure que l'histoire avance. Le tissage scénaristique où s'entrecroisent passés et présents (je mets ces mots volontairement au pluriel) débouche sur une enquête en définitive presque policière, et quand le dénouement éclate, le lecteur en a partout sur lui et gros dans la tête, assez nourrir une réflexion sur le sujet. Une histoire magnifique au point qu'elle en devient presque une parabole, mais aussi un ouvrage salutaire et tout à fait bienvenu. Gros coup de cœur !
J'ai vraiment beaucoup aimé cette série de Sylvain Savoia. Plus je découvre le travail de cet auteur et plus j'ai de l'admiration pour ses créations.
L'ouvrage s'articule autour de deux récits qui se renvoient l'un l'autre à une image de la responsabilité de l'humanité sur son présent.
Une partie documentaire où Savoia intervient de façon humble et précieuse. Il y a de l'humilité devant les éléments d'une nature hostile et résiliente à la présence de l'homme. Toutefois cette présence est précieuse au devoir de mémoire d'une aventure humaine à la fois tragique et grandiose. C'est tragique car cela renvoie à une des périodes les plus sombres de l'histoire de notre pays. Mais c'est grandiose de voir comment un groupe d'hommes et de femmes a pu trouver les ressources pour s'organiser et survivre des années sur cette minuscule île volcanique et sableuse.
La construction est compliquée car il s'agit de passer du récit de fiction très émotionnel à un récit documentaire scientifique bien plus raisonnable et froid. Le risque de déséquilibrer les deux parties était réel.
C'est tout l'art de Savoia d'introduire une part de poésie où réflexions personnelles dans la partie contemporaine. J'ai souvent été séduit par les analyses de l'auteur sur son action et sur ses positions tout au long des découvertes effectuées. Ses pensées font ainsi un pont avec justesse vers l'autre partie du récit qui met en valeur les grandes qualités humaines du groupe Malgache avec la jeune Tsimiavo en tête de proue.
L'auteur ne propose pas un récit moralisateur car la dénonciation de l'esclavagisme se fait d'elle-même : d'un côté un capitaine cupide et incompétent de l'autre un groupe qui montre toutes ses qualités avec des hommes et des femmes abandonnées mais libres de faire valoir leur résistance et leur résilience face à l'adversité. Au milieu, un groupe illustré par le lieutenant Castellan qui accepte l'ignominie de son époque comme un fait économique établi tout en gardant une lueur de conscience d'humanisme au fond de lui-même.
J'ai trouvé le final très émouvant et plein d'espoir dans un sursaut d'humanité.
Graphiquement Savoia travaille sur deux styles qui permettent de différencier les deux récits. La partie doc utilise un trait précis avec des personnages souvent en bustes ou figés dans leurs actions de recherches. La part est belle pour les détails des équipements, de la faune ou de l'océan. Le texte est très présent et souvent d'excellente qualité.
La partie fiction revient à un dessin plus rond avec des séquences narratives plus visuelles et longues aux plans plus larges. La voix off devient rare et seuls les dialogues plus intimes nous font rentrer dans le quotidien possible des survivants avec beaucoup d'émotion.
La mise en couleur est de toute beauté sachant traduire avec bonheur une lumière qui rend ces paysages hostiles mais sublimes.
Une excellente lecture pour découvrir et faire partager un devoir de mémoire.
On peut investir sur soi-même comme un chef d'entreprise investit sur une machine ou sur un nouvel employé.
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Cet ouvrage paru en 2014 apparaît classé dans les bandes dessinées : en fait il s'agit de textes, chacun consacrés à un capitaliste différent, accompagnés d'un ou deux gags en bande dessinée, avec une répartition d'environ 80% texte, 20?. Il a été réalisé par Benoist Simmat, journaliste économique et essayiste, et par Vincent Caut bédéiste. Ils passent en revue trente-sept économistes remarquables, répartis en trois grands chapitres : les classiques (XIXe siècle avec treize économistes), les révolutionnaires (XXe siècle, avec onze économistes), les contemporains (XXIe siècle, avec treize économistes). Chaque chapitre s'ouvre avec une introduction : les impairs de nos pères pour le XIXe siècle, le temps des dynamiteurs pour le XXe, Vive la crise ! pour le XXIe. L'ouvrage débute avec une préface de deux pages, écrite par Jean-Marc Daniel (spécialiste de la politique économique et professeur), une introduction de quatre pages : la science économique est née ce jour-là… Il se termine avec une conclusion de deux pages, un glossaire de cinq pages, un index d'une page, et une page de références et de remerciements. Ces deux auteurs ont ensuite réalisé un ouvrage consacré à La ligue des capitalistes extraordinaires (2015).
Introduction. En l'an de grâce 1764, au cours d'un dimanche de fin d'été, deux gentlemen eurent une longue et passionnante conversation au premier étage d'une auberge de Compiègne. L'un, Adam Smith, était un Écossais, célèbre en Angleterre pour son œuvre de philosophe où tout le monde connaissait son faciès disgracieux reproduit sur les gazettes du pays. L'autre, François Quesnay, un Français très connu lui aussi, mais dans la France de Louis XIV, était un physicien courtisé qui exerçait la fonction très symbolique de barbier du roi, c'est-à-dire médecin personnel de sa Majesté. Ils parlent économie.
Adam Smith (1723-1790) : le saint patron de la productivité. Sa Main Invisible est devenue la parabole de tous les capitalistes du monde. Adam Smith porte un prénom rêvé pour être le premier des économistes extraordinaires. Ce natif de la petite ville de Kirkcaldy (nord-est de l'Écosse), qui souffrait d'une maladie nerveuse lui faisant sans cesse opiner du menton, sera toute sa vie un professeur totalement farfelu, à la distraction légendaire. Malgré, cela, quelques années avant la Révolution française, l'Europe entière accourait à Glasgow pour écouter les leçons magistrales de ce professeur de morale – discipline universitaire des temps anciens, mélange de théologie, de philosophie et d'économie politique. Voltaire ou Hume commentaient son œuvre ; Benjamin Franklin en personne lui avait rendu visite. Un jour, un premier ministre de sa majesté s'était même levé alors qu'il entrait dans une pièce. Smith est l'homme d'un ouvrage célébrissime, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, grande fresque théorique sur l'émergence de la société marchande. Pourtant rien, mais alors vraiment rien ne destinait le jeune Adam à devenir cette figure légendaire dont les traders analphabètes actuels s'offrent encore le maître livre (pour caler leur armoire ?).
Cet ouvrage brosse donc le portrait de trente-sept économistes d'Adam Smith à Thomas Picketty. Chaque entrée est structurée de la même manière. D'abord le nom de l'économiste, ses dates de naissance et de mort (s'il est décédé), une formule pour le qualifier, une courte phrase pour synthétiser son apport. Un exemple : Karl Marx (1818-1883), le pervers narcissique de la plus-value. Son pavé de 2.500 pages a mis la moitié du monde à la corvée de patates. Puis le chapitre qui lui est consacré se compose de trois parties intitulées : Vis sa vie, Thèse antithèse foutaise, Pourquoi il s'est planté, merci ! En fonction de l'importance de l'économiste, de sa renommée ou de ce qu'il a laissé dans l'histoire de cette discipline, l'entrée peut compter de deux à six pages. Elle comprend un ou deux gags sous forme de bande dessinée. Les entrées les plus longues peuvent comprendre également un cas pratique (toujours pour Marx : le marxisme appliqué à la crise de 2008) et une anecdote qui tue (les péripéties de l'édition du Capital de 1867 pour le livre I, à 1910 pour le livre IV, et même une adaptation en manga par la suite). Chaque entrée se termine avec la référence de l'ouvrage de l'économiste, passé à la postérité. Comme les titres en exemple ci-dessus l'indiquent, la tonalité de la rédaction comporte une fibre moqueuse ou insolente. Les bandes dessinées s'inscrivent également dans un registre comique, faisant la part belle à la dérision, à partir d'une anecdote ou d'un trait de caractère réel ou supposé, ces économistes pouvant se montrer mesquins, capricieux, infantiles, colériques, ou bien sûr près de leurs sous. Ces gags font office de respiration illustrée plaisante et bienvenue, sans avoir la prétention d'être révélatrices ou pénétrantes.
Une entreprise particulièrement ambitieuse que de vouloir faire connaître l'histoire de cette discipline, l'économie, au travers de textes synthétiques et vivant, présentant la vie, la thèse principale et ses limites d'un économiste remarquable. Dans la conclusion, l'auteur présente les questions auxquelles il a voulu répondre, ou plutôt la problématique qui s'est imposée à lui. L'économie est-elle une science ou un débat ? Est-ce une discipline promouvant une méthode réfutable pour faire avancer la connaissance ? Ou une confrontation entre outils et potions devant entrer dans la composition des politiques économiques et sociales ? Il conclut par le fait qu'il s'agit d'une discipline encore jeune, qui n'a pas atteint l'âge de maturité et que bien souvent elle ne sait fournir que des explications a posteriori, bien loin de pouvoir produire des théories sur la base d'expériences reproductibles, qui serait capables de prévoir quoi que ce soit. le lecteur en ressort avec cette impression que la balance penche fortement du côté Débat, surtout par le fait que la dernière partie de chaque entrée s'intitule Pourquoi il s'est planté, merci !
L'auteur a mis le nom des trois économistes les plus célèbres en couverture : Adam Smith et sa Main Invisible, Karl Marx et son Capital, John Maynard Keynes et l‘absence de mécanisme menant au plein emploi. Pas sûr que le lecteur en connaisse beaucoup d'autres, et c'est d'ailleurs un ouvrage qui s'adresse plutôt aux novices ou débutants en la matière, un ouvrage de vulgarisation. Pour autant chaque entrée est dense et la matière en elle-même induit un bon niveau de conceptualisation. de fait, le lecteur se rend vite compte qu'il apprécie les respirations apportées par les bandes dessinées, même leur humour qui repose sur des mécanismes basiques. Il apprécie également l'impertinence des textes, apportant là aussi une forme de dédramatisation bienvenue, et souvent très savoureuse. Par exemple, dans le glossaire, la définition de la Main Invisible, concept formulé par Adam Smith : magie intrinsèque au marché où la confrontation des égoïsmes et la recherche frénétique des intérêts particuliers aboutit à la satisfaction générale. Pour autant, de temps à autre, le lecteur revient sur un économiste précédent ou sur un paragraphe pour se remettre en tête l'exacte formulation de l'auteur, et en réévaluer le sens au vu de ce qu'il a lu par la suite. Les trois parties consacrées à chaque économiste prennent tout leur sens : la partie biographique pour comprendre le contexte historique dans lequel il a développé ses concepts, la partie théorique très synthétique sur son apport à la discipline, et la mise en perspective au regard de l'évolution de l'économie dans les décennies qui ont suivi. À chaque fois, l'auteur trouve facilement à redire, c'est-à-dire des événements, des évolutions des comportements qui ont contredit la théorie de l'économiste.
Pour autant, chaque entrée se révèle intéressante et instructive. Au fil des trente-sept présentations, le lecteur retrouve ou découvre de grandes notions d'économie, depuis la Main Invisible jusqu'au constat que la machine capitaliste fabrique des inégalités (Thomas Pikkety), en passant par les projections d'accroissement de la population (Thomas R. Maltus), la rente foncière (David Ricardo), l'utilité marginale (Léon Walras), l'optimum de Pareto (la loi des 80/20 de Vilfredo Pareto), le processus de destruction créatrice (Joseph Schumpeter), le développement de la bureaucratie au détriment du profit (John K. Galbraith), la théorie du capital humain (Gary Stanley Becker), les inégalités en termes d'information (Joseph Stiglitz), l'indice de développement humain (IDH, Amartya Sen), la place et le rôle des oligopoles (Jean Tirole), etc. Par exemple, il peut savourer la théorie du capital humain. le beckerisme, ou théorie du capital humain, est universellement discuté car son postulat repose sur une évidence rarement étudiée par ces fainéants d'économistes : on peut investir sur soi-même comme un chef d'entreprise investit sur une machine ou sur un nouvel employé. Avec cet éclairage, il comprend mieux certaines visées du développement personnel en provenance des États-Unis, en particulier sur la façon d'envisager ses amitiés, à l'aune de ce qu'elles apportent, pour ne pas dire du potentiel de ce qu'elles peuvent rapporter.
Les auteurs attirent le lecteur potentiel avec un titre référentiel (La ligue des Gentlemen Extraordinaires, d'Alan Moore & Kevin O'Neill), des bandes dessinées humoristiques. L'ouvrage commence tranquillement avec une préface, une introduction, et passe au premier de tous : Adam Smith. La forme retenue fait sens très rapidement, à la fois les notes d'humour pour aérer un propos concis et dense sur une discipline conceptuelle, la volonté de donner un minimum de personnalité à chaque économiste, le propos à la tonalité parfois railleuse, mais toujours compensé par un exposé synthétique et clair de l'apport de l'économiste considéré à la compréhension de mécanismes complexes, sa filiation dans l'histoire de la discipline, et les limites d'application de sa théorie. Un ouvrage très instructif et très édifiant, enrichissant la culture personnelle sur un sujet qui entretient des relations avec la politique, la sociologie, la philosophie, et qui parle franchement.
One Punch Man est le meilleur manga parodique, et l'un des meilleurs mangas qui soit. Voilà. Les dessins sont absolument sublimes et dépassent en dynamisme et en qualité les shonens les plus vendus au monde. Le scénario, bien que volontairement complètement débile, réussit l'exploit de tenir le lecteur en haleine sur une série où le héros démarre au summum de sa puissance. Les références aux plus gros Shonens sont multiples, les vannes s'enchaînent et les combats les plus épiques sont tournés en dérision avec une maîtrise impressionnante. Bien sûr, il est recommandé d'avoir à la fois mangé du Shonen et être doté d'un solide second degré pour apprécier cette oeuvre à sa juste valeur.
Exquis
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Ce tome reprend les épisodes parus dans Storyteller 1 à 9 d'octobre 1996 à juillet 1997, ainsi qu'un prologue intitulé The pizza story mettant en scène Adastra, les épisodes 10, 11 et 12 (inachevé pour ce dernier), des annotations de Barry Windsor-Smith, une début de tentative de clore le récit, le synopsis de la fin de l'histoire, et un début d'histoire parue avant, mais se déroulant après.
Pizza story - Adastra (une déesse du panthéon Orgasma) s'est réfugiée sur terre et se lance dans la livraison de pizza à domicile. Malheureusement, le pizzaiolo est arrêté par la police suite à un malentendu, et l'aide qui arrive pour rédiger d'étranges invitations perd tous ses moyens devant la beauté d'Adastra.
Épisodes 1 à 12 - À une autre époque, dans le palais des dieux, Heros est songeur, il doit épouser Celestra le lendemain, la fille de la reine d'un autre panthéon de dieux. Il discute de son malaise avec Strangehands, son meilleur ami. Pendant ce temps là, une flopée de chérubins conçoit la tenue de la mariée sur Celestra qui papote avec Adastra, sa soeur. Alors qu'Heros et Strangehand ont décidé d'aller boire un coup avant d'aller chasser les dragons (pour enterrer la vie de garçon d'Heros), ils croisent Adastra en train de gesticuler comme une folle, pour se débarrasser d'un chérubin caché dans sa chevelure rousse flamboyant. Ils décident d'aller boire ensemble tous les trois. Ailleurs, Otan, le père tout puissant du panthéon d'accueil, rappelle à son Grand Vizir l'importance capitale de l'union de son fils Heros avec Celestra. Sur ces entrefaites, la reine Organa (la mère de Celestra) arrive pour exiger la présence du futur époux auprès de la promise qui se languit.
Il s'agit essentiellement d'une comédie mettant en scène des dieux archétypaux, avec une femme n'ayant pas la langue dans sa poche, dans un environnement onirique, avec un soupçon de romantisme. Dès le premier épisode, la personnalité d'Adastra rayonne de chaleur et domine le pauvre Aran complètement empêtré dans son système de valeur. Adastra a acquis un parler légèrement argotique et très terrestre, alors qu'Aran s'exprime en termes choisis et fleuris dans un parler shakespearien. Il adore la déesse Isis, et il idolâtre Adastra comme une déesse (mineure par rapport à Isis, mais déesse quand même). Or les vœux de chasteté qu'il a prononcés font mauvais ménage avec la sensualité d'Adastra. Il s'en suit un dialogue savoureux entre les 2, irrésistible grâce à la mise en scène et au langage corporel d'une expressivité redoutable. La candeur et la jeunesse irradient du visage d'Aran, alors que la compassion et l'agacement agitent le visage d'Adastra de manière contraire.
Après cette entrée en matière piquante et sophistiquée, l'histoire commence pour de bon dans un lieu évoquant un croisement entre des temples grecs et New Genesis des New Gods de Jack Kirby (d'ailleurs chaque épisode commence par la même dédicace à Jack Kirby). Dans ce panthéon fictif composé de dieux imaginaires, Heros est un individu tout entier dévoué à ses devoirs, et très sérieux. le caractère de Strangehand est plus difficile à cerner au départ, si ce n'est qu'il joue le rôle de confident et d'ami sûr. Dès son apparition, Adastra accapare la scène par son caractère bien trempé et expansif. Car il s'agit bien d'une scène, les personnages (sauf Adastra) s'expriment comme dans une pièce de théâtre et leur jeu de scène révèle une grande sensibilité de la part de Barry Windsor-Smith quant au jeu des acteurs. le lecteur pense au théâtre du fait de l'aspect littéraire des textes qui évoquent le langage dérivatif créé par Stan Lee pour faire s'exprimer les dieux d'Asgard, ou les dialogues un peu empesés des New Gods ou des Eternals écrits par Jack Kirby, mais en plus vif, plus alerte et plus enjoué. Et l'avantage de la bande dessinée, c'est que les costumes peuvent être aussi exubérants qu'imaginatifs, et les décors aussi bien classiques qu'Art Nouveau. Les personnages peuvent évoluer à leur guise sans les limites physiques d'une vraie scène. Et de temps à autre, Windsor-Smith se lâche le temps d'une pleine page magnifique qui marie la délicatesse, avec les détails, une capacité surnaturelle à rendre les textures et les jeux de lumière.
De la même manière que le théâtre peut mettre en évidence la nature humaine par des biais artificiels (jeu légèrement exagéré des acteurs pour passer la rampe, costumes inexistants ou au contraire plus riches que nature, décors en carton-pâte, textes très travaillés), Windsor-Smith utilise une partie de ces artifices pour faire exister ses personnages au-delà du papier. Après avoir refermé ce livre, je me suis surpris à repenser à plusieurs reprises à ces personnages extraordinaires habités par des émotions très humaines, doté d'un humour léger et touchant. BWS manie un humour léger et élaboré qui se manifeste aussi bien par la juxtaposition d'émotions antagonistes, que par de minuscules chérubins facétieux. Bien sûr, cette lecture vaut plus par le voyage qu'elle propose que par sa destination. Cela tient lieu d'abord à la nature de la publication originelle en courts épisodes mais aussi à la fin de cette aventure éditoriale.
Barry Windsor-Smith (BWS en abrégé) insère plusieurs pages de textes expliquant le contexte de cette histoire. Il estimait en se lançant dans Storyteller, un magazine mensuel de 32 pages de bandes dessinées, qu'il apportait une vision neuve au monde des comics et l'opportunité de séduire un public plus mature. Après 9 numéros, l'éditeur originel a informé Windsor-Smith que ce projet n'était pas économiquement viable et qu'il cessait la publication de cette série. Malgré plusieurs tentatives, BWS n'a jamais réussi à se réinvestir dans ces personnages pour mener à terme leurs aventures. Cette édition comprend un synopsis d'une page qui explique la fin prévue à l'épisode 17. Il comprend également une histoire appelée "The party" dans laquelle les héros de Young Gods, de Freebooter et de Paradoxman se croisent à une soirée pour commenter sur l'arrêt prématuré de leurs aventures. Il comprend la tentative avortée de 5 pages de terminer l'histoire.
Young gods & friends est un récit à nul autre pareil qui évoque un croisement entre une pièce shakespearienne, un comics cosmique de Jack Kirby et une comédie sophistiquée de Frank Capra ou même la gentille dérision de Jacques Tati (M. Hulot fait apparition remarquée dans l'épisode 5). Les illustrations évoquent aussi bien Jack Kirby, que l'Art Nouveau ou les peintres préraphaélites tels Dante Gabriel Rossetti. Barry Windsor-Smith fait siennes les valeurs des préraphaélites : aimer ce qui est sérieux, direct et sincère dans l'art du passé, rejeter ce qui est conventionnel, auto-complaisant et appris dans la routine, faire du beau, faire des dessins minutieux privilégiant les détails, naviguer entre la littérature et la poésie. Les personnages existent comme rarement. Chaque personnage livre un numéro d'acteur éblouissant. Et si l'on ne peut être que navré que Barry Windsor-Smith n'ait pas pu terminer son œuvre, la magie du voyage proposé transporte le lecteur dans un monde onirique enchanteur. Une deuxième série de Storyteller a eu droit à une réédition : The Freebooters. Et Adastra a été mise en vedette dans Adastra in Africa.
Des dessins absoluments sublimes, des personnages assez simples mais attachants, une intrigue efficace et très satisfaisante, et surtout un concept d'univers original et facile d'accès : la Rome antique et ses gladiateurs avec un bestiaire fantastique.
J'ai dévoré toute la série d'une traite et je ne regrette absolument pas mon achat. Je recommande !
Une pensée qui ne se nourrit pas de curiosité s'éteint d'elle-même.
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Ce tome est le troisième dans une série thématique consacrée à des hommes saints, après Vincent : Un saint au temps des mousquetaires (2016) et Foucauld : Une tentation dans le désert (2019). Sa première publication date de 2022. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins et les couleurs, avec un lettrage réalisé par Joëlle François. Il s'ouvre avec une introduction d'une demi-page, écrite par le scénariste dans laquelle il évoque l'écriture d'Élisabeth Rochat de la Vallée qui écrit sur Matteo Ricci, sa relation au Christ et sa relation aux hommes, ce qui permit à une rencontre de s'opérer, à une compréhension mutuelle de devenir possible. Puis il cite les deux auteurs Vincent Cronin et de Michela Fontana dont les ouvrages lui ont permis de découvrir ce saint homme.
Pékin, 1601. Jusqu'à présent, bien peu d'occidentaux ont pu franchir les enceintes de la Cité interdite. Là, derrière ces hauts murs de briques, vit le Fils du Ciel, entouré de sa famille, de sa cour, de ses concubines et de la caste puissante des eunuques qui bénéficient de nombreux privilèges et de pouvoirs certains. Justement, l'un d'eux, un certain Ma T'ang, collecteur des taxes de Lintsing, reçoit ses agents qui lui apprennent une bien étrange nouvelle. Un étranger s'est installé dans la ville ! Il semble que ce ne soit ni un espion, ni un agent ennemi, mais un lettré qui a su gagner l'appui de certains mandarins. Il dispose d'ailleurs d'un passeport. L'indicateur continue, tout en conservant une posture courbée : l'étranger cherche un intermédiaire auprès de l'Empereur. Il a des présents à offrir à sa Majesté Impériale. de l'or des bijoux, il paraît qu'il peut changer le cinabre en argent. L'eunuque Ma T'ang demande son nom.
Il s'appelle Matteo Ricci. Il est né en Italie, à Macerata. Âgé de 19 ans, il entre au noviciat des jésuites et, après des études au Collège romain, il est ordonné prêtre à Cochin en juillet 1580. Depuis 18 ans, il parcourt la Chine pour y servir Dieu. Par terre, le long des fleuves, au fil des saisons, des déconvenues, mais avec un courage exemplaire qui jamais ne l'abandonne… Il a la grande intelligence du cœur et de l'esprit, de respecter des coutumes et une foi autres que la sienne. Ses connaissances en mathématiques et en astronomie, ses dons pour la philosophie, l'horlogerie le font apprécier des intellectuels et des mandarins qu'il croise sur sa route. Il est ainsi devenu le Lettré du lointain Occident. Mais le plus difficile reste à faire. Il veut rencontrer le Fils du Ciel en personne, car c'est par la tête qu'il veut descendre jusqu'au corps. Rien, cependant, n'est acquis. Impossible de pénétrer dans la Cité interdite sans une invitation personnelle de l'Empereur. Et cette invitation ne peut s'obtenir sans l'aval d'un conseiller proche… Ou d'un eunuque bien en cour. Les deux serviteurs comme les appelle le porte-parasol de Ma T'ang, sont en réalité les compagnons de voyage de Ricci. Il y a là frère Fernandez et le jésuite Diego Pantoja, un missionnaire.
Dans son introduction, le scénariste indique qu'il connaissait peu de choses de Matteo Ricci à l'époque où il a commencé ce projet. Il cite donc la préface d'Élisabeth Rochat de la Vallée : le danger de se perdre quand on ne se cramponne plus aux certitudes données par sa langue et par la raison de sa culture n'est pas à négliger; danger de perdre son identité et même sa foi. le lecteur sourit en prenant connaissance de ces risques : il se dit que cela s'applique parfaitement au dessinateur, plus habitué à dessiner Paris aux siècles passés, en particulier au dix-neuvième siècle. Dans le même temps, il est pleinement rassuré dès la première page : une magnifique statue d'un lion sur une stèle richement sculptée, devant le mur d'enceinte de la Cité impériale, avec trois marchands ambulants, et trois gardes, tous représentés avec une minutie remarquable. Martin Jamar n'a pas perdu sa culture et son talent de raconteur en images, même s'il a dû faire l'effort de s'adapter aux us et coutumes d'une région du monde qu'il n'est pas familier de représenter. Les cases de la bande inférieure montrent l'eunuque Ma T'ang et ses deux informateurs : le lecteur prend le temps de savourer le magnifique manteau orné de motifs complexe du premier. Il sait que la reconstitution historique est tout aussi soignée que celle de Paris sous Napoléon 1er (Double Masque) ou pendant la Commune (Voleurs d'empires).
Le lecteur accompagne donc le prêtre jésuite italien et missionnaire en Chine impériale, dans cette ville dont l'auteur a choisi de conserver l'ancienne appellation de Pékin, plutôt que celle plus moderne de Beijing. Il peut ainsi regarder autour de lui dans les rues et dans la Cité interdite : une rue enneigée pour commencer, une autre débouchant sur un temple, celle menant aux bureaux du mandarin T'sai Hsu-t'sai responsable des ambassades étrangères, une vue générale en légère élévation du palais des Barbares avec ses murs d'enceinte et ses voies intérieures, différents bâtiments de ce palais. Puis en planche vingt-cinq, le missionnaire passe par une porte d'entrée latérale pour franchir l'enceinte extérieure de la Cité interdite. C'est à nouveau l'occasion de pouvoir contempler la multitude d'artisans et de commerçants qui s'affairent, ainsi que les façades du palais. Lors d'une enquête, Ricci se rend dans la demeure du veuf Wang Chung Nim : l'artiste en offre une vue générale en élévation inclinée, puis montre la vue sur les vastes jardins, à partir d'un petit pavillon de bois. le récit se termine avec une case consacrée à la tombe du prêtre, avec une stèle sculptée, et deux magnifiques arbres de part et de d‘autre, ainsi que les bâtiments de la Cité interdite en arrière-plan. le lecteur a envie de le remercier pour lui avoir donner à voir autant de lieux, d'individus en train de vaquer à leurs occupations ordinaires, dans des cases toujours facilement lisibles, avec une colorisation naturaliste faisant ressortir les éléments les uns par rapport aux autres, les ambiances lumineuses, les différents plans.
Les prises de vue en intérieur sont tout aussi riches, informatives et vivantes. le lecteur ouvre grand les yeux pour ne pas en perdre une miette qu'il s'agisse des cadeaux à offrir à sa Majesté Impériale, de l'aménagement et de la décoration intérieur d'un temple bouddhiste, du pavillon de Yogour Kahn, de l'atelier d'horlogerie où s'exerce Lin Yu, et bien sûr de la salle du trône. L'artiste s'est fixé pour but de reconstituer chaque lieu, chaque accessoire, chaque tenue vestimentaire, pour que le lecteur puisse en voir le plus possible au cours de son immersion. Il réalise des plans de prise de vue d'une clarté exemplaire, en mettant un point d'honneur à représenter les arrière-plans le plus souvent possible. Sa direction d'acteurs appartient au registre naturaliste, avec des postures qui s'avèrent en parfaite adéquation avec l'occupation du personnage, et permettent de se faire une idée de son état d'esprit. La narration visuelle donne une impression d'évidence et de facilité au lecteur, alors qu'il lui suffit de prendre une case et de réfléchir aux recherches nécessaires pour pouvoir s'imaginer le travail qui a dû être nécessaire.
Comme pour les deux tomes précédents, le scénariste a retenu une approche qui rend hommage au Vénérable, c'est-à-dire qu'il ne gomme pas sa foi, mais il ne fait pas acte non plus de prosélytisme. Matteo Ricci évoque sa foi quand il est questionné dessus, il prie, il a amené avec lui un crucifix, des images pieuses. Pour autant, il n'assène pas le credo de sa foi à toutes les personnes qui passent à sa portée. Il fait preuve d'un humanisme chrétien dans son comportement, dans sa façon d'envisager les rapports avec autrui, et de tolérance. Il est venu pour une mission d'évangélisation, avec l'intention de commencer par l'Empereur lui-même. Son voyage l'amène à fréquenter aussi bien des savants, que des individus aguerris en politique, ou aux intrigues de palais. Outre les valeurs morales et la charité chrétiennes, Ricci fait montre de son ouverture d'esprit à plusieurs reprises. Alors que des voleurs se sont introduits dans sa maison et ont été mis en fuite par Lin Yu armée d'une épée, il explique à celle-ci qu'il les laisse fuir car il a bien conscience que ces voleurs obéissent probablement à des ordres qu'ils ne peuvent refuser. Quelques pages plus loin, il discute avec Lin Yu et elle lui demande pour quelle raison il fait tout cela pour elle : il répond tout naturellement qu'il serait un mauvais chrétien s'il n'aidait pas les gens en difficulté ou en souffrance. Elle poursuit et souhaite savoir s'il pourrait lui apprendre, si c'est son Dieu qui parle ainsi. le scénariste fait preuve à son tour de malice puisque Ricci répond que Partager une règle de vie avec un ami qui vient de loin est une grande joie. Il ajoute qu'il s'agit d'une maxime de Confucius, alors que le lecteur s'attendait à ce qu'il cite les Écritures.
L'enjeu du récit réside donc dans le chemin qui mène à l'audience avec l'Empereur. Jean Dufaux met en scène le protocole, les semaines d'attente, les intrigues de palais, les alliances de circonstance, les embûches créées par les jaloux, les envieux, les profiteurs ou les inquiets de leurs privilèges. Matteo Ricci apparaît comme un homme sage et posé, confiant en la Providence, avec une réelle expérience des êtres humains. de la planche trente-et-un à la planche trente-six, il participe à une enquête sur un cas de malédiction, avec une perspicacité et une efficacité qui évoquent celles du Juge Ti, personnage créé par Robert van Gulik, et enquêteur hors pair d'une série de romans policiers. Au fur et à mesure des rencontres avec les autorités, avec les divers représentants, il se dessine en creux une vision de la capitale chinoise, du mode de fonctionnement de cette partie de cette société, à la fois des us et coutumes, à la fois sa capacité à accueillir les étrangers et à établir un réel échange avec eux.
S'il a lu les deux précédents tomes, l'un consacré à Saint Vincent de Paul, le suivant à Charles de Foucauld, le lecteur a déjà l'eau à la bouche à la simple idée de découvrir celui-ci. Il n'est pas déçu : les dessins sont toujours aussi fournis avec une lisibilité immédiate, pour une reconstitution historique remarquable. le scénario évoque quelques mois de la vie de Matteo Ricci, son séjour à Pékin, et son invitation à entrer la Cité interdite, sans gommer sa foi religieuse, ni en faire l'apologie, montrant comment son ouverture d'esprit et l'étendue de ses connaissances lui permettent d'être accepté dans cette société à la culture si étrangère à la sienne.
La dernière victoire de Sergei Kravinoff
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Ce recueil constitue une histoire complète parue à l'origine en 1987 dans Web of Spider-Man 31 & 32, Amazing Spider-Man 293 & 294, et Spectacular Spider-Man 131 & 132. Ce tome comprend les 6 épisodes en question.
Sergei Kravinoff est un criminel qui s'habille d'un pagne en léopard et d'un gilet sans manche et se fait appeler Kraven the Hunter. Ce personnage est apparu pour la première fois dans Amazing Spider-Man 15 en août 1964. Il possède des connaissances en herboristerie qui lui permettent de concocter des potions ayant différents effets : poison, paralysie, augmentation de la force ou de l'acuité des sens… Dans cette histoire, Kraven abat Spider-Man d'une balle de fusil de chasse, il le fait enterrer et il revêt l'habit du superhéros pour prendre sa place.
J.M. DeMatteis est un grand professionnel des comics, autant pour des histoires de superhéros ( Batman : absolution & Justice League International ), que pour des bandes dessinées plus personnelles (Moonshadow & Brooklyn Dreams). Mike Zeck est essentiellement connu pour avoir illustré The Punisher : Cercle de sang. Il est ici encré par Bob McLeod, un autre professionnel vétéran des comics.
La particularité de cette histoire de Spider-Man est qu'elle a pour principal personnage le criminel et que Peter Parker ne débite pas de blagues. Il s'agit d'une histoire très sombre qui a pour principaux thèmes l'introspection de Kravinoff et l'impact psychologique pour Peter Parker d'avoir été enterré vivant. J.M. DeMatteis nous fait pénétrer dans la psyché de Sergei sous forme de flux de pensées. Il nous invite à adopter le point de vue de Kraven sur la réelle signification des combats qui l'opposent à Spider-Man et sur le poids de son héritage familial. Du coté de Peter Parker, DeMatteis nous montre à la fois la peur instillée par Kraven et l'incapacité totale à déchiffrer et comprendre les actions de Kraven.
À l'évidence, il ne s'agit pas d'un comics pour les plus jeunes et il ne rentre pas dans le moule des aventures habituelles du tisseur de toiles. DeMatteis va même jusqu'à jouer avec l'idée de l'araignée comme totem de Peter Parker (thème qui sera repris et développé plus tard par Straczynski) et comme symbole de l'échec de l'être humain. Les illustrations de Mike Zeck sont un peu datées années 80 et souffrent à plusieurs reprises d'un manque criant d'arrière plan. D'un autre coté le rendu des personnages est très soigné avec des relents de Joe Kubert qui leur donnent une intemporalité et une force peu commune.
Pour les fans, cette histoire se classe parmi les meilleurs classiques de Spider-Man. Effectivement les deux créateurs réussissent le pari de rendre Sergei Kravinoff humain, crédible, tourmenté et étrangement lucide. Peter Parker a rarement été aussi vulnérable et héroïque. Mary Jane (les deux étaient jeunes mariés à ce moment) est une femme amoureuse mais pas mièvre. Ce qui m'arrête dans l'attribution d'une cinquième étoile est ce manque de décors très déconcertant et le mode narratif qui ne va pas assez loin dans l'utilisation du flux de pensées désordonnées. L'exécution de l'histoire manque d'un soupçon de savoir faire pour atteindre tous les buts ambitieux qu'ils s'étaient fixés. Cette histoire a eu droit à un épilogue : Soul of the Hunter.
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Bienvenue à Hoxford
Immonde - Ce tome regroupe les 5 épisodes d'une minisérie initialement parue en 2008. Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre. Les six premières pages servent à présenter le personnage principal : Raymond Delgado. Cet homme d'une trentaine d'années est une force de la nature, il a le crâne rasé et il porte des lunettes. Dans son enfance, il a été victime d'abus sexuels de la part de son père et de son oncle. Il a été le souffre-douleur des enfants de son âge. Il a été traumatisé (à nouveau) par son expérience de soldat pendant la guerre. Il est interné dans une prison de très haute sécurité, condamné pour avoir tué 21 personnes (au moins). Aujourd'hui il est transféré dans une prison appelée Hoxford, avec un groupe d'autres détenus aussi monstrueux dont Morton (violeur d'enfants multirécidiviste), Burly Bill (violeur et meurtrier multirécidiviste) et Skinny (meurtrier et nécrophile). Les conditions d'incarcération à Hoxford sont sévères, ce qui n'empêche pas quelques dérapages sous les douches, ou dans les parties communes. le docteur Jessica Ainley qui suivait le traitement psychiatrique de Delgado se rend à Hoxford pour contrôler ses conditions de détention. Elle découvre que l'administration de la prison ne délivre pas les médicaments aux prisonniers. Mais elle va bientôt en savoir plus car sa visite tombe le jour où les responsables de Hoxford célèbrent un rituel séculaire. Dans l'introduction, Ben Templesmith explique qu'il avait toujours méprisé les loups garous dans le bestiaire des monstres horrifiques car il estime qu'ils font trop dessins animés, et pas assez peur. Or lui ce qu'il aime, c'est l'horreur qui fout la trouille, qui est contre nature, qui est perverse, malsaine, et primale. Il est le co-créateur avec Steve Niles de la série 30 jours de nuit. C'est également un illustrateur très particulier qui est connu pour avoir dessiné Fell de Warren Ellis. Ce tome commence comme un film de série Z qui se prend au sérieux en listant tous les sévices qu'a subis Delgado et en le décrivant comme une grosse brute énigmatique, victime de délires hallucinatoires. Il est dangereux, il a tué à plusieurs reprises et il est enfermé avec d'autres ayant commis des actes tellement barbares que la société souhaite les oublier, faute de pouvoir les exécuter du fait de l'absence de peine de mort. Ces individus aiment surtout parler de leurs crimes immondes et promettre qu'ils s'entretueront à la première occasion, avec sévices sexuels à la clef. Les dialogues sont malsains et il est visible que Templesmith raconte son récit au premier degré, sans aucune ironie. Arrivé à Hoxford, Templesmith introduit le responsable de l'établissement qui semble sadique à souhait, et le docteur Ainley qui semble destinée à être la frêle jeune femme qui jouera le rôle de l'otage. Mais petit à petit, les éléments graphiques attirent l'attention du lecteur sur des détails qui renforcent le premier degré d'une manière sinistre qui force son implication. Il est assez difficile de décrire le style de Templesmith. L'histoire commence avec une pleine page de la tête du père de Raymond Delgado s'apprêtant à le maltraiter alors qu'il est encore enfant. L'image est baignée dans une teinte jaune orangé évoquant la lumière crue d'une ampoule non protégée, mais qui n'arrive pas à dissiper la noirceur du monde. Son père est fort et gras, il a un visage asymétrique avec des yeux de taille différente, un gros pif, une grimace qui lui découvre 24 dents (anatomiquement impossible) et il est vêtu d'un marcel qu'on suppose crade. Il n'y a aucune information visuelle sur le lieu. En fait la scène suivante avec les persécuteurs de l'école baigne dans la même lumière, toujours sans décors, et il en va de même pour la scène sur le champ de bataille. Il faut presque attendre le voyage en bus pour commencer à voir apparaître les bancs improbables et les chaines qui assurent l'immobilité des prisonniers. Par contre quand Jessica Ainley se tient à l'extérieur de Hoxford, Templesmith utilise l'infographie pour insérer une photographie retouchée d'un bâtiment en fond de case. Il sur-imprime parfois des trames aux dessins pour leur donner une texture. La prédominance des couleurs sombres et des contours de formes délavées demandent une forte attention du lecteur qui s'implique dans l'observation des cases. le rendu des personnages oscille entre la caricature avec un langage corporel exagéré et des formes parfois proches de l'esquisse rapide. Parfois Templesmith choisit de privilégier l'impact visuel au détriment de tout réalisme en tirant ses représentations vers le symbolisme ou l'abstraction. Il ne représente plus vraiment la réalité de l'action, mais plus l'idée sous-jacente, l'impression, les sensations. Ben Templesmith ne s'embarrasse pas de réalisme et il joue avec son lecteur en le contraignant à vraiment regarder ses illustrations par des teintes très sombres et des contours difficiles à distinguer. du coup, quand il focalise une case sur une action ou une anatomie détaillée, l'implication du lecteur est plus importante et les détails s'incrustent dans sa rétine. le lecteur perçoit l'intensité de Raymond Delgado, et sa distance par rapport à ce que tout le monde s'accorde à être la réalité. L'apparence singulière des monstres devient immonde grâce à la forme abjecte de leur dentition, leur salive, etc. Bien sûr ces éléments ne sont pas nouveaux, mais la représentation de Templesmith leur rend toute leur horreur, leur impossibilité, leur inhumanité. le lecteur est sorti de sa zone de confort pour découvrir des individus abjects confrontés à des créatures monstrueuses. le style graphique sophistiqué et intellectualisé de Templesmith empoigne le lecteur et le plonge dans les sensations, dans le ressenti pour mieux le choquer et l'atteindre. Par exemple, Delgado mord un prisonnier après la douche. La case en question baigne dans un camaïeu de vert légèrement cafardeux qui recouvre indifféremment le fond indistinct et les personnages. Il y a un gros effet sonore "CHOMP", presque comique, le buste du prisonnier vu de devant et la tête de Delgado derrière dont les dents se fiche dans le cou du prisonnier. À part l'effet sanguinolent et l'impact de la prise de Delgado pour maintenir sa victime, le dessin reste assez retenu (pas de jet d'hémoglobine, pas de morceau déchiqueté dans la bouche, pas de détails chirurgicaux). du coup, le lecteur scrute la case suivante pour se rendre compte des dégâts. Or l'illustration n'est pas plus précise, le plan n'est pas plus rapproché, il faut donc bien regarder pour voir le morceau qui manque, et le lecteur se retrouve pris en flagrant délit de voyeurisme nauséabond. Cette histoire met en scène des criminels immondes confrontés à des créatures inhumaines, pour un massacre gore et sanglant. le savoir faire de Ben Templesmith, son talent de conteur, permet de rendre viscérale cette histoire classique.
Koko n'aime pas le capitalisme & autres histoires
Je suis tout à fait le cœur de cible de ce genre d’album, et c’est avec beaucoup de plaisir que je l’ai parcouru. Troisième album de cette maison d’édition que je lis, et il confirme leur politique éditoriale très originale, et leurs partis pris (comiques, idéologiques) qui tous me siéent. Ici pas de vieilles bandes américaines libres de droits et détournées, mais une accumulation de strips qui tous jouent sur un humour assez corrosif : humour con et/ou noir parfois, humour absurde toujours (quelques accointances parfois avec le travail de Reuzé ou Fabcaro – un clin d’œil/hommage à Zaï Zaï Zaï Zaï occupe même la page 20 !). Tienstiens nous livre une vision atroce et décalée de notre société. Car, au travers d’un humour que j’ai trouvé très efficace (quelques éclats de rire et de très nombreux sourires), tienstiens dézingue, en s’en donnant à cœur-joie, quelques têtes de gondole politiques ou médiatiques (Macron ; Christian Clavier, etc.) et surtout, à coup de parodies du Surfeur d’argent, ou de brainstormings de cabinets de communicants, il s’attaque à la doxa ultralibérale : on aperçoit même au cours d’un strip l’– excellent – économiste Frédéric Lordon. Quant à Koko, le gorille qui a du mal avec le capitalisme, c’est un vrai champion de la contreculture qui a du mal à assimiler une leçon d'ultralibéralisme ! Excellent et très drôle, j’en redemande ! Tellement d’ailleurs qu’alors que je l’avais emprunté, je l’ai acheté aujourd’hui lors d’une virée à Paris.
Le Juif arabe
C'est ma première incursion en territoire Hanuka. Et c'est bien évidemment le titre (c'est d'actualité) qui m'a attiré vers le Juif Arabe. C'est très bon. A commencer par ce graphisme minimaliste mais qui tire l'essentiel, que ce soit des expressions ou des paysages. Ça m'a énormément rappelé Ronson de César Sebastian, l'une de mes dernières lectures et gros coup de cœur. C'est tout à fait le genre de dessin que j'affectionne. Question couleurs, j'aime aussi beaucoup le choix de ces aplats de couleurs qui apportent un côté très dynamique. Enfin, Asaf Hanuka procède à une petite inversion des conventions qui, mine de rien, apporte un gros surplus de sens. En effet, les scènes censées se dérouler dans le présent sont en noir et blanc, contenant parfois une discrète touche de couleur qui fait, là encore, toujours sens (par exemple le bleu de la mer qui étincelle comme une lueur d'espoir, ou le rouge qui détoure le visage lors d'une scène tragique), alors que les flashbacks et les souvenirs racontés par le père de l'auteur (ou l'un de ses amis) sont en couleurs. Personnellement, j'y décèle une résonance forte avec la situation actuelle, terrible et embourbée (d'où les scènes actuelles en noir et blanc donc), bien que cette BD ait été réalisée bien avant les attentats du Hamas contre Israël et le massacre des palestiniens de Gaza par l'état hébreux (presque 40000 morts à ce jour). Toujours selon cette idée, les souvenirs, du point de vue de l'auteur, demeurent vivants et apportent toute la nuance que mérite la situation présente (d'où les scènes passées en couleurs). Je ne veux rien dévoiler de l'histoire, sinon qu'elle est assez folledingue, et surtout très touchante, à commencer par le fait qu'elle soit vraie. En effet, l'auteur enquête sur son histoire familiale, occasion pour lui comme pour le lecteur, de plonger au cœur des relations intimes qui unissaient (autrefois) juifs et arabes. Mais elle est aussi bouleversante parce qu'elle résonne bien entendu on-ne-peut-plus fortement avec l'actualité. Ainsi, au fil des pages, on parvient à entrevoir toute la complexité de l'Histoire, et tout particulièrement celle de la famille de l'auteur, la petite histoire. Par ce biais, Hanuka apporte de la nuance ! Nuance salutaire, toujours, contre les prises de position radicales qui semblent désormais être devenue la norme dans notre monde numérisé, sommant les individus de prendre immédiatement position et de tenir cette position coute que coute, quitte à envenimer les choses. Non, "les choses" ne sont jamais noires ou blanches. C'est une idée à laquelle je crois dur comme fer. Il existe derrière toute situation une palette de couleurs subtiles, palette que l'auteur orchestre donc parfaitement. Outre le fait que l'actualité vient percuter cette BD de plein fouet, il y a dans ces souvenirs une urgence que vient souligner un dénouement peu commun. Sans en dire plus, la tension monte progressivement à mesure que l'histoire avance. Le tissage scénaristique où s'entrecroisent passés et présents (je mets ces mots volontairement au pluriel) débouche sur une enquête en définitive presque policière, et quand le dénouement éclate, le lecteur en a partout sur lui et gros dans la tête, assez nourrir une réflexion sur le sujet. Une histoire magnifique au point qu'elle en devient presque une parabole, mais aussi un ouvrage salutaire et tout à fait bienvenu. Gros coup de cœur !
Les Esclaves oubliés de Tromelin
J'ai vraiment beaucoup aimé cette série de Sylvain Savoia. Plus je découvre le travail de cet auteur et plus j'ai de l'admiration pour ses créations. L'ouvrage s'articule autour de deux récits qui se renvoient l'un l'autre à une image de la responsabilité de l'humanité sur son présent. Une partie documentaire où Savoia intervient de façon humble et précieuse. Il y a de l'humilité devant les éléments d'une nature hostile et résiliente à la présence de l'homme. Toutefois cette présence est précieuse au devoir de mémoire d'une aventure humaine à la fois tragique et grandiose. C'est tragique car cela renvoie à une des périodes les plus sombres de l'histoire de notre pays. Mais c'est grandiose de voir comment un groupe d'hommes et de femmes a pu trouver les ressources pour s'organiser et survivre des années sur cette minuscule île volcanique et sableuse. La construction est compliquée car il s'agit de passer du récit de fiction très émotionnel à un récit documentaire scientifique bien plus raisonnable et froid. Le risque de déséquilibrer les deux parties était réel. C'est tout l'art de Savoia d'introduire une part de poésie où réflexions personnelles dans la partie contemporaine. J'ai souvent été séduit par les analyses de l'auteur sur son action et sur ses positions tout au long des découvertes effectuées. Ses pensées font ainsi un pont avec justesse vers l'autre partie du récit qui met en valeur les grandes qualités humaines du groupe Malgache avec la jeune Tsimiavo en tête de proue. L'auteur ne propose pas un récit moralisateur car la dénonciation de l'esclavagisme se fait d'elle-même : d'un côté un capitaine cupide et incompétent de l'autre un groupe qui montre toutes ses qualités avec des hommes et des femmes abandonnées mais libres de faire valoir leur résistance et leur résilience face à l'adversité. Au milieu, un groupe illustré par le lieutenant Castellan qui accepte l'ignominie de son époque comme un fait économique établi tout en gardant une lueur de conscience d'humanisme au fond de lui-même. J'ai trouvé le final très émouvant et plein d'espoir dans un sursaut d'humanité. Graphiquement Savoia travaille sur deux styles qui permettent de différencier les deux récits. La partie doc utilise un trait précis avec des personnages souvent en bustes ou figés dans leurs actions de recherches. La part est belle pour les détails des équipements, de la faune ou de l'océan. Le texte est très présent et souvent d'excellente qualité. La partie fiction revient à un dessin plus rond avec des séquences narratives plus visuelles et longues aux plans plus larges. La voix off devient rare et seuls les dialogues plus intimes nous font rentrer dans le quotidien possible des survivants avec beaucoup d'émotion. La mise en couleur est de toute beauté sachant traduire avec bonheur une lumière qui rend ces paysages hostiles mais sublimes. Une excellente lecture pour découvrir et faire partager un devoir de mémoire.
La Ligue des économistes extraordinaires
On peut investir sur soi-même comme un chef d'entreprise investit sur une machine ou sur un nouvel employé. - Cet ouvrage paru en 2014 apparaît classé dans les bandes dessinées : en fait il s'agit de textes, chacun consacrés à un capitaliste différent, accompagnés d'un ou deux gags en bande dessinée, avec une répartition d'environ 80% texte, 20?. Il a été réalisé par Benoist Simmat, journaliste économique et essayiste, et par Vincent Caut bédéiste. Ils passent en revue trente-sept économistes remarquables, répartis en trois grands chapitres : les classiques (XIXe siècle avec treize économistes), les révolutionnaires (XXe siècle, avec onze économistes), les contemporains (XXIe siècle, avec treize économistes). Chaque chapitre s'ouvre avec une introduction : les impairs de nos pères pour le XIXe siècle, le temps des dynamiteurs pour le XXe, Vive la crise ! pour le XXIe. L'ouvrage débute avec une préface de deux pages, écrite par Jean-Marc Daniel (spécialiste de la politique économique et professeur), une introduction de quatre pages : la science économique est née ce jour-là… Il se termine avec une conclusion de deux pages, un glossaire de cinq pages, un index d'une page, et une page de références et de remerciements. Ces deux auteurs ont ensuite réalisé un ouvrage consacré à La ligue des capitalistes extraordinaires (2015). Introduction. En l'an de grâce 1764, au cours d'un dimanche de fin d'été, deux gentlemen eurent une longue et passionnante conversation au premier étage d'une auberge de Compiègne. L'un, Adam Smith, était un Écossais, célèbre en Angleterre pour son œuvre de philosophe où tout le monde connaissait son faciès disgracieux reproduit sur les gazettes du pays. L'autre, François Quesnay, un Français très connu lui aussi, mais dans la France de Louis XIV, était un physicien courtisé qui exerçait la fonction très symbolique de barbier du roi, c'est-à-dire médecin personnel de sa Majesté. Ils parlent économie. Adam Smith (1723-1790) : le saint patron de la productivité. Sa Main Invisible est devenue la parabole de tous les capitalistes du monde. Adam Smith porte un prénom rêvé pour être le premier des économistes extraordinaires. Ce natif de la petite ville de Kirkcaldy (nord-est de l'Écosse), qui souffrait d'une maladie nerveuse lui faisant sans cesse opiner du menton, sera toute sa vie un professeur totalement farfelu, à la distraction légendaire. Malgré, cela, quelques années avant la Révolution française, l'Europe entière accourait à Glasgow pour écouter les leçons magistrales de ce professeur de morale – discipline universitaire des temps anciens, mélange de théologie, de philosophie et d'économie politique. Voltaire ou Hume commentaient son œuvre ; Benjamin Franklin en personne lui avait rendu visite. Un jour, un premier ministre de sa majesté s'était même levé alors qu'il entrait dans une pièce. Smith est l'homme d'un ouvrage célébrissime, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, grande fresque théorique sur l'émergence de la société marchande. Pourtant rien, mais alors vraiment rien ne destinait le jeune Adam à devenir cette figure légendaire dont les traders analphabètes actuels s'offrent encore le maître livre (pour caler leur armoire ?). Cet ouvrage brosse donc le portrait de trente-sept économistes d'Adam Smith à Thomas Picketty. Chaque entrée est structurée de la même manière. D'abord le nom de l'économiste, ses dates de naissance et de mort (s'il est décédé), une formule pour le qualifier, une courte phrase pour synthétiser son apport. Un exemple : Karl Marx (1818-1883), le pervers narcissique de la plus-value. Son pavé de 2.500 pages a mis la moitié du monde à la corvée de patates. Puis le chapitre qui lui est consacré se compose de trois parties intitulées : Vis sa vie, Thèse antithèse foutaise, Pourquoi il s'est planté, merci ! En fonction de l'importance de l'économiste, de sa renommée ou de ce qu'il a laissé dans l'histoire de cette discipline, l'entrée peut compter de deux à six pages. Elle comprend un ou deux gags sous forme de bande dessinée. Les entrées les plus longues peuvent comprendre également un cas pratique (toujours pour Marx : le marxisme appliqué à la crise de 2008) et une anecdote qui tue (les péripéties de l'édition du Capital de 1867 pour le livre I, à 1910 pour le livre IV, et même une adaptation en manga par la suite). Chaque entrée se termine avec la référence de l'ouvrage de l'économiste, passé à la postérité. Comme les titres en exemple ci-dessus l'indiquent, la tonalité de la rédaction comporte une fibre moqueuse ou insolente. Les bandes dessinées s'inscrivent également dans un registre comique, faisant la part belle à la dérision, à partir d'une anecdote ou d'un trait de caractère réel ou supposé, ces économistes pouvant se montrer mesquins, capricieux, infantiles, colériques, ou bien sûr près de leurs sous. Ces gags font office de respiration illustrée plaisante et bienvenue, sans avoir la prétention d'être révélatrices ou pénétrantes. Une entreprise particulièrement ambitieuse que de vouloir faire connaître l'histoire de cette discipline, l'économie, au travers de textes synthétiques et vivant, présentant la vie, la thèse principale et ses limites d'un économiste remarquable. Dans la conclusion, l'auteur présente les questions auxquelles il a voulu répondre, ou plutôt la problématique qui s'est imposée à lui. L'économie est-elle une science ou un débat ? Est-ce une discipline promouvant une méthode réfutable pour faire avancer la connaissance ? Ou une confrontation entre outils et potions devant entrer dans la composition des politiques économiques et sociales ? Il conclut par le fait qu'il s'agit d'une discipline encore jeune, qui n'a pas atteint l'âge de maturité et que bien souvent elle ne sait fournir que des explications a posteriori, bien loin de pouvoir produire des théories sur la base d'expériences reproductibles, qui serait capables de prévoir quoi que ce soit. le lecteur en ressort avec cette impression que la balance penche fortement du côté Débat, surtout par le fait que la dernière partie de chaque entrée s'intitule Pourquoi il s'est planté, merci ! L'auteur a mis le nom des trois économistes les plus célèbres en couverture : Adam Smith et sa Main Invisible, Karl Marx et son Capital, John Maynard Keynes et l‘absence de mécanisme menant au plein emploi. Pas sûr que le lecteur en connaisse beaucoup d'autres, et c'est d'ailleurs un ouvrage qui s'adresse plutôt aux novices ou débutants en la matière, un ouvrage de vulgarisation. Pour autant chaque entrée est dense et la matière en elle-même induit un bon niveau de conceptualisation. de fait, le lecteur se rend vite compte qu'il apprécie les respirations apportées par les bandes dessinées, même leur humour qui repose sur des mécanismes basiques. Il apprécie également l'impertinence des textes, apportant là aussi une forme de dédramatisation bienvenue, et souvent très savoureuse. Par exemple, dans le glossaire, la définition de la Main Invisible, concept formulé par Adam Smith : magie intrinsèque au marché où la confrontation des égoïsmes et la recherche frénétique des intérêts particuliers aboutit à la satisfaction générale. Pour autant, de temps à autre, le lecteur revient sur un économiste précédent ou sur un paragraphe pour se remettre en tête l'exacte formulation de l'auteur, et en réévaluer le sens au vu de ce qu'il a lu par la suite. Les trois parties consacrées à chaque économiste prennent tout leur sens : la partie biographique pour comprendre le contexte historique dans lequel il a développé ses concepts, la partie théorique très synthétique sur son apport à la discipline, et la mise en perspective au regard de l'évolution de l'économie dans les décennies qui ont suivi. À chaque fois, l'auteur trouve facilement à redire, c'est-à-dire des événements, des évolutions des comportements qui ont contredit la théorie de l'économiste. Pour autant, chaque entrée se révèle intéressante et instructive. Au fil des trente-sept présentations, le lecteur retrouve ou découvre de grandes notions d'économie, depuis la Main Invisible jusqu'au constat que la machine capitaliste fabrique des inégalités (Thomas Pikkety), en passant par les projections d'accroissement de la population (Thomas R. Maltus), la rente foncière (David Ricardo), l'utilité marginale (Léon Walras), l'optimum de Pareto (la loi des 80/20 de Vilfredo Pareto), le processus de destruction créatrice (Joseph Schumpeter), le développement de la bureaucratie au détriment du profit (John K. Galbraith), la théorie du capital humain (Gary Stanley Becker), les inégalités en termes d'information (Joseph Stiglitz), l'indice de développement humain (IDH, Amartya Sen), la place et le rôle des oligopoles (Jean Tirole), etc. Par exemple, il peut savourer la théorie du capital humain. le beckerisme, ou théorie du capital humain, est universellement discuté car son postulat repose sur une évidence rarement étudiée par ces fainéants d'économistes : on peut investir sur soi-même comme un chef d'entreprise investit sur une machine ou sur un nouvel employé. Avec cet éclairage, il comprend mieux certaines visées du développement personnel en provenance des États-Unis, en particulier sur la façon d'envisager ses amitiés, à l'aune de ce qu'elles apportent, pour ne pas dire du potentiel de ce qu'elles peuvent rapporter. Les auteurs attirent le lecteur potentiel avec un titre référentiel (La ligue des Gentlemen Extraordinaires, d'Alan Moore & Kevin O'Neill), des bandes dessinées humoristiques. L'ouvrage commence tranquillement avec une préface, une introduction, et passe au premier de tous : Adam Smith. La forme retenue fait sens très rapidement, à la fois les notes d'humour pour aérer un propos concis et dense sur une discipline conceptuelle, la volonté de donner un minimum de personnalité à chaque économiste, le propos à la tonalité parfois railleuse, mais toujours compensé par un exposé synthétique et clair de l'apport de l'économiste considéré à la compréhension de mécanismes complexes, sa filiation dans l'histoire de la discipline, et les limites d'application de sa théorie. Un ouvrage très instructif et très édifiant, enrichissant la culture personnelle sur un sujet qui entretient des relations avec la politique, la sociologie, la philosophie, et qui parle franchement.
One-Punch Man
One Punch Man est le meilleur manga parodique, et l'un des meilleurs mangas qui soit. Voilà. Les dessins sont absolument sublimes et dépassent en dynamisme et en qualité les shonens les plus vendus au monde. Le scénario, bien que volontairement complètement débile, réussit l'exploit de tenir le lecteur en haleine sur une série où le héros démarre au summum de sa puissance. Les références aux plus gros Shonens sont multiples, les vannes s'enchaînent et les combats les plus épiques sont tournés en dérision avec une maîtrise impressionnante. Bien sûr, il est recommandé d'avoir à la fois mangé du Shonen et être doté d'un solide second degré pour apprécier cette oeuvre à sa juste valeur.
Young gods
Exquis - Ce tome reprend les épisodes parus dans Storyteller 1 à 9 d'octobre 1996 à juillet 1997, ainsi qu'un prologue intitulé The pizza story mettant en scène Adastra, les épisodes 10, 11 et 12 (inachevé pour ce dernier), des annotations de Barry Windsor-Smith, une début de tentative de clore le récit, le synopsis de la fin de l'histoire, et un début d'histoire parue avant, mais se déroulant après. Pizza story - Adastra (une déesse du panthéon Orgasma) s'est réfugiée sur terre et se lance dans la livraison de pizza à domicile. Malheureusement, le pizzaiolo est arrêté par la police suite à un malentendu, et l'aide qui arrive pour rédiger d'étranges invitations perd tous ses moyens devant la beauté d'Adastra. Épisodes 1 à 12 - À une autre époque, dans le palais des dieux, Heros est songeur, il doit épouser Celestra le lendemain, la fille de la reine d'un autre panthéon de dieux. Il discute de son malaise avec Strangehands, son meilleur ami. Pendant ce temps là, une flopée de chérubins conçoit la tenue de la mariée sur Celestra qui papote avec Adastra, sa soeur. Alors qu'Heros et Strangehand ont décidé d'aller boire un coup avant d'aller chasser les dragons (pour enterrer la vie de garçon d'Heros), ils croisent Adastra en train de gesticuler comme une folle, pour se débarrasser d'un chérubin caché dans sa chevelure rousse flamboyant. Ils décident d'aller boire ensemble tous les trois. Ailleurs, Otan, le père tout puissant du panthéon d'accueil, rappelle à son Grand Vizir l'importance capitale de l'union de son fils Heros avec Celestra. Sur ces entrefaites, la reine Organa (la mère de Celestra) arrive pour exiger la présence du futur époux auprès de la promise qui se languit. Il s'agit essentiellement d'une comédie mettant en scène des dieux archétypaux, avec une femme n'ayant pas la langue dans sa poche, dans un environnement onirique, avec un soupçon de romantisme. Dès le premier épisode, la personnalité d'Adastra rayonne de chaleur et domine le pauvre Aran complètement empêtré dans son système de valeur. Adastra a acquis un parler légèrement argotique et très terrestre, alors qu'Aran s'exprime en termes choisis et fleuris dans un parler shakespearien. Il adore la déesse Isis, et il idolâtre Adastra comme une déesse (mineure par rapport à Isis, mais déesse quand même). Or les vœux de chasteté qu'il a prononcés font mauvais ménage avec la sensualité d'Adastra. Il s'en suit un dialogue savoureux entre les 2, irrésistible grâce à la mise en scène et au langage corporel d'une expressivité redoutable. La candeur et la jeunesse irradient du visage d'Aran, alors que la compassion et l'agacement agitent le visage d'Adastra de manière contraire. Après cette entrée en matière piquante et sophistiquée, l'histoire commence pour de bon dans un lieu évoquant un croisement entre des temples grecs et New Genesis des New Gods de Jack Kirby (d'ailleurs chaque épisode commence par la même dédicace à Jack Kirby). Dans ce panthéon fictif composé de dieux imaginaires, Heros est un individu tout entier dévoué à ses devoirs, et très sérieux. le caractère de Strangehand est plus difficile à cerner au départ, si ce n'est qu'il joue le rôle de confident et d'ami sûr. Dès son apparition, Adastra accapare la scène par son caractère bien trempé et expansif. Car il s'agit bien d'une scène, les personnages (sauf Adastra) s'expriment comme dans une pièce de théâtre et leur jeu de scène révèle une grande sensibilité de la part de Barry Windsor-Smith quant au jeu des acteurs. le lecteur pense au théâtre du fait de l'aspect littéraire des textes qui évoquent le langage dérivatif créé par Stan Lee pour faire s'exprimer les dieux d'Asgard, ou les dialogues un peu empesés des New Gods ou des Eternals écrits par Jack Kirby, mais en plus vif, plus alerte et plus enjoué. Et l'avantage de la bande dessinée, c'est que les costumes peuvent être aussi exubérants qu'imaginatifs, et les décors aussi bien classiques qu'Art Nouveau. Les personnages peuvent évoluer à leur guise sans les limites physiques d'une vraie scène. Et de temps à autre, Windsor-Smith se lâche le temps d'une pleine page magnifique qui marie la délicatesse, avec les détails, une capacité surnaturelle à rendre les textures et les jeux de lumière. De la même manière que le théâtre peut mettre en évidence la nature humaine par des biais artificiels (jeu légèrement exagéré des acteurs pour passer la rampe, costumes inexistants ou au contraire plus riches que nature, décors en carton-pâte, textes très travaillés), Windsor-Smith utilise une partie de ces artifices pour faire exister ses personnages au-delà du papier. Après avoir refermé ce livre, je me suis surpris à repenser à plusieurs reprises à ces personnages extraordinaires habités par des émotions très humaines, doté d'un humour léger et touchant. BWS manie un humour léger et élaboré qui se manifeste aussi bien par la juxtaposition d'émotions antagonistes, que par de minuscules chérubins facétieux. Bien sûr, cette lecture vaut plus par le voyage qu'elle propose que par sa destination. Cela tient lieu d'abord à la nature de la publication originelle en courts épisodes mais aussi à la fin de cette aventure éditoriale. Barry Windsor-Smith (BWS en abrégé) insère plusieurs pages de textes expliquant le contexte de cette histoire. Il estimait en se lançant dans Storyteller, un magazine mensuel de 32 pages de bandes dessinées, qu'il apportait une vision neuve au monde des comics et l'opportunité de séduire un public plus mature. Après 9 numéros, l'éditeur originel a informé Windsor-Smith que ce projet n'était pas économiquement viable et qu'il cessait la publication de cette série. Malgré plusieurs tentatives, BWS n'a jamais réussi à se réinvestir dans ces personnages pour mener à terme leurs aventures. Cette édition comprend un synopsis d'une page qui explique la fin prévue à l'épisode 17. Il comprend également une histoire appelée "The party" dans laquelle les héros de Young Gods, de Freebooter et de Paradoxman se croisent à une soirée pour commenter sur l'arrêt prématuré de leurs aventures. Il comprend la tentative avortée de 5 pages de terminer l'histoire. Young gods & friends est un récit à nul autre pareil qui évoque un croisement entre une pièce shakespearienne, un comics cosmique de Jack Kirby et une comédie sophistiquée de Frank Capra ou même la gentille dérision de Jacques Tati (M. Hulot fait apparition remarquée dans l'épisode 5). Les illustrations évoquent aussi bien Jack Kirby, que l'Art Nouveau ou les peintres préraphaélites tels Dante Gabriel Rossetti. Barry Windsor-Smith fait siennes les valeurs des préraphaélites : aimer ce qui est sérieux, direct et sincère dans l'art du passé, rejeter ce qui est conventionnel, auto-complaisant et appris dans la routine, faire du beau, faire des dessins minutieux privilégiant les détails, naviguer entre la littérature et la poésie. Les personnages existent comme rarement. Chaque personnage livre un numéro d'acteur éblouissant. Et si l'on ne peut être que navré que Barry Windsor-Smith n'ait pas pu terminer son œuvre, la magie du voyage proposé transporte le lecteur dans un monde onirique enchanteur. Une deuxième série de Storyteller a eu droit à une réédition : The Freebooters. Et Adastra a été mise en vedette dans Adastra in Africa.
Bestiarius
Des dessins absoluments sublimes, des personnages assez simples mais attachants, une intrigue efficace et très satisfaisante, et surtout un concept d'univers original et facile d'accès : la Rome antique et ses gladiateurs avec un bestiaire fantastique. J'ai dévoré toute la série d'une traite et je ne regrette absolument pas mon achat. Je recommande !
Matteo Ricci - Dans la Cité Interdite
Une pensée qui ne se nourrit pas de curiosité s'éteint d'elle-même. - Ce tome est le troisième dans une série thématique consacrée à des hommes saints, après Vincent : Un saint au temps des mousquetaires (2016) et Foucauld : Une tentation dans le désert (2019). Sa première publication date de 2022. Il a été réalisé par Jean Dufaux pour le scénario, Martin Jamar pour les dessins et les couleurs, avec un lettrage réalisé par Joëlle François. Il s'ouvre avec une introduction d'une demi-page, écrite par le scénariste dans laquelle il évoque l'écriture d'Élisabeth Rochat de la Vallée qui écrit sur Matteo Ricci, sa relation au Christ et sa relation aux hommes, ce qui permit à une rencontre de s'opérer, à une compréhension mutuelle de devenir possible. Puis il cite les deux auteurs Vincent Cronin et de Michela Fontana dont les ouvrages lui ont permis de découvrir ce saint homme. Pékin, 1601. Jusqu'à présent, bien peu d'occidentaux ont pu franchir les enceintes de la Cité interdite. Là, derrière ces hauts murs de briques, vit le Fils du Ciel, entouré de sa famille, de sa cour, de ses concubines et de la caste puissante des eunuques qui bénéficient de nombreux privilèges et de pouvoirs certains. Justement, l'un d'eux, un certain Ma T'ang, collecteur des taxes de Lintsing, reçoit ses agents qui lui apprennent une bien étrange nouvelle. Un étranger s'est installé dans la ville ! Il semble que ce ne soit ni un espion, ni un agent ennemi, mais un lettré qui a su gagner l'appui de certains mandarins. Il dispose d'ailleurs d'un passeport. L'indicateur continue, tout en conservant une posture courbée : l'étranger cherche un intermédiaire auprès de l'Empereur. Il a des présents à offrir à sa Majesté Impériale. de l'or des bijoux, il paraît qu'il peut changer le cinabre en argent. L'eunuque Ma T'ang demande son nom. Il s'appelle Matteo Ricci. Il est né en Italie, à Macerata. Âgé de 19 ans, il entre au noviciat des jésuites et, après des études au Collège romain, il est ordonné prêtre à Cochin en juillet 1580. Depuis 18 ans, il parcourt la Chine pour y servir Dieu. Par terre, le long des fleuves, au fil des saisons, des déconvenues, mais avec un courage exemplaire qui jamais ne l'abandonne… Il a la grande intelligence du cœur et de l'esprit, de respecter des coutumes et une foi autres que la sienne. Ses connaissances en mathématiques et en astronomie, ses dons pour la philosophie, l'horlogerie le font apprécier des intellectuels et des mandarins qu'il croise sur sa route. Il est ainsi devenu le Lettré du lointain Occident. Mais le plus difficile reste à faire. Il veut rencontrer le Fils du Ciel en personne, car c'est par la tête qu'il veut descendre jusqu'au corps. Rien, cependant, n'est acquis. Impossible de pénétrer dans la Cité interdite sans une invitation personnelle de l'Empereur. Et cette invitation ne peut s'obtenir sans l'aval d'un conseiller proche… Ou d'un eunuque bien en cour. Les deux serviteurs comme les appelle le porte-parasol de Ma T'ang, sont en réalité les compagnons de voyage de Ricci. Il y a là frère Fernandez et le jésuite Diego Pantoja, un missionnaire. Dans son introduction, le scénariste indique qu'il connaissait peu de choses de Matteo Ricci à l'époque où il a commencé ce projet. Il cite donc la préface d'Élisabeth Rochat de la Vallée : le danger de se perdre quand on ne se cramponne plus aux certitudes données par sa langue et par la raison de sa culture n'est pas à négliger; danger de perdre son identité et même sa foi. le lecteur sourit en prenant connaissance de ces risques : il se dit que cela s'applique parfaitement au dessinateur, plus habitué à dessiner Paris aux siècles passés, en particulier au dix-neuvième siècle. Dans le même temps, il est pleinement rassuré dès la première page : une magnifique statue d'un lion sur une stèle richement sculptée, devant le mur d'enceinte de la Cité impériale, avec trois marchands ambulants, et trois gardes, tous représentés avec une minutie remarquable. Martin Jamar n'a pas perdu sa culture et son talent de raconteur en images, même s'il a dû faire l'effort de s'adapter aux us et coutumes d'une région du monde qu'il n'est pas familier de représenter. Les cases de la bande inférieure montrent l'eunuque Ma T'ang et ses deux informateurs : le lecteur prend le temps de savourer le magnifique manteau orné de motifs complexe du premier. Il sait que la reconstitution historique est tout aussi soignée que celle de Paris sous Napoléon 1er (Double Masque) ou pendant la Commune (Voleurs d'empires). Le lecteur accompagne donc le prêtre jésuite italien et missionnaire en Chine impériale, dans cette ville dont l'auteur a choisi de conserver l'ancienne appellation de Pékin, plutôt que celle plus moderne de Beijing. Il peut ainsi regarder autour de lui dans les rues et dans la Cité interdite : une rue enneigée pour commencer, une autre débouchant sur un temple, celle menant aux bureaux du mandarin T'sai Hsu-t'sai responsable des ambassades étrangères, une vue générale en légère élévation du palais des Barbares avec ses murs d'enceinte et ses voies intérieures, différents bâtiments de ce palais. Puis en planche vingt-cinq, le missionnaire passe par une porte d'entrée latérale pour franchir l'enceinte extérieure de la Cité interdite. C'est à nouveau l'occasion de pouvoir contempler la multitude d'artisans et de commerçants qui s'affairent, ainsi que les façades du palais. Lors d'une enquête, Ricci se rend dans la demeure du veuf Wang Chung Nim : l'artiste en offre une vue générale en élévation inclinée, puis montre la vue sur les vastes jardins, à partir d'un petit pavillon de bois. le récit se termine avec une case consacrée à la tombe du prêtre, avec une stèle sculptée, et deux magnifiques arbres de part et de d‘autre, ainsi que les bâtiments de la Cité interdite en arrière-plan. le lecteur a envie de le remercier pour lui avoir donner à voir autant de lieux, d'individus en train de vaquer à leurs occupations ordinaires, dans des cases toujours facilement lisibles, avec une colorisation naturaliste faisant ressortir les éléments les uns par rapport aux autres, les ambiances lumineuses, les différents plans. Les prises de vue en intérieur sont tout aussi riches, informatives et vivantes. le lecteur ouvre grand les yeux pour ne pas en perdre une miette qu'il s'agisse des cadeaux à offrir à sa Majesté Impériale, de l'aménagement et de la décoration intérieur d'un temple bouddhiste, du pavillon de Yogour Kahn, de l'atelier d'horlogerie où s'exerce Lin Yu, et bien sûr de la salle du trône. L'artiste s'est fixé pour but de reconstituer chaque lieu, chaque accessoire, chaque tenue vestimentaire, pour que le lecteur puisse en voir le plus possible au cours de son immersion. Il réalise des plans de prise de vue d'une clarté exemplaire, en mettant un point d'honneur à représenter les arrière-plans le plus souvent possible. Sa direction d'acteurs appartient au registre naturaliste, avec des postures qui s'avèrent en parfaite adéquation avec l'occupation du personnage, et permettent de se faire une idée de son état d'esprit. La narration visuelle donne une impression d'évidence et de facilité au lecteur, alors qu'il lui suffit de prendre une case et de réfléchir aux recherches nécessaires pour pouvoir s'imaginer le travail qui a dû être nécessaire. Comme pour les deux tomes précédents, le scénariste a retenu une approche qui rend hommage au Vénérable, c'est-à-dire qu'il ne gomme pas sa foi, mais il ne fait pas acte non plus de prosélytisme. Matteo Ricci évoque sa foi quand il est questionné dessus, il prie, il a amené avec lui un crucifix, des images pieuses. Pour autant, il n'assène pas le credo de sa foi à toutes les personnes qui passent à sa portée. Il fait preuve d'un humanisme chrétien dans son comportement, dans sa façon d'envisager les rapports avec autrui, et de tolérance. Il est venu pour une mission d'évangélisation, avec l'intention de commencer par l'Empereur lui-même. Son voyage l'amène à fréquenter aussi bien des savants, que des individus aguerris en politique, ou aux intrigues de palais. Outre les valeurs morales et la charité chrétiennes, Ricci fait montre de son ouverture d'esprit à plusieurs reprises. Alors que des voleurs se sont introduits dans sa maison et ont été mis en fuite par Lin Yu armée d'une épée, il explique à celle-ci qu'il les laisse fuir car il a bien conscience que ces voleurs obéissent probablement à des ordres qu'ils ne peuvent refuser. Quelques pages plus loin, il discute avec Lin Yu et elle lui demande pour quelle raison il fait tout cela pour elle : il répond tout naturellement qu'il serait un mauvais chrétien s'il n'aidait pas les gens en difficulté ou en souffrance. Elle poursuit et souhaite savoir s'il pourrait lui apprendre, si c'est son Dieu qui parle ainsi. le scénariste fait preuve à son tour de malice puisque Ricci répond que Partager une règle de vie avec un ami qui vient de loin est une grande joie. Il ajoute qu'il s'agit d'une maxime de Confucius, alors que le lecteur s'attendait à ce qu'il cite les Écritures. L'enjeu du récit réside donc dans le chemin qui mène à l'audience avec l'Empereur. Jean Dufaux met en scène le protocole, les semaines d'attente, les intrigues de palais, les alliances de circonstance, les embûches créées par les jaloux, les envieux, les profiteurs ou les inquiets de leurs privilèges. Matteo Ricci apparaît comme un homme sage et posé, confiant en la Providence, avec une réelle expérience des êtres humains. de la planche trente-et-un à la planche trente-six, il participe à une enquête sur un cas de malédiction, avec une perspicacité et une efficacité qui évoquent celles du Juge Ti, personnage créé par Robert van Gulik, et enquêteur hors pair d'une série de romans policiers. Au fur et à mesure des rencontres avec les autorités, avec les divers représentants, il se dessine en creux une vision de la capitale chinoise, du mode de fonctionnement de cette partie de cette société, à la fois des us et coutumes, à la fois sa capacité à accueillir les étrangers et à établir un réel échange avec eux. S'il a lu les deux précédents tomes, l'un consacré à Saint Vincent de Paul, le suivant à Charles de Foucauld, le lecteur a déjà l'eau à la bouche à la simple idée de découvrir celui-ci. Il n'est pas déçu : les dessins sont toujours aussi fournis avec une lisibilité immédiate, pour une reconstitution historique remarquable. le scénario évoque quelques mois de la vie de Matteo Ricci, son séjour à Pékin, et son invitation à entrer la Cité interdite, sans gommer sa foi religieuse, ni en faire l'apologie, montrant comment son ouverture d'esprit et l'étendue de ses connaissances lui permettent d'être accepté dans cette société à la culture si étrangère à la sienne.
Spider-Man - La dernière chasse de Kraven (La mort du chasseur)
La dernière victoire de Sergei Kravinoff - Ce recueil constitue une histoire complète parue à l'origine en 1987 dans Web of Spider-Man 31 & 32, Amazing Spider-Man 293 & 294, et Spectacular Spider-Man 131 & 132. Ce tome comprend les 6 épisodes en question. Sergei Kravinoff est un criminel qui s'habille d'un pagne en léopard et d'un gilet sans manche et se fait appeler Kraven the Hunter. Ce personnage est apparu pour la première fois dans Amazing Spider-Man 15 en août 1964. Il possède des connaissances en herboristerie qui lui permettent de concocter des potions ayant différents effets : poison, paralysie, augmentation de la force ou de l'acuité des sens… Dans cette histoire, Kraven abat Spider-Man d'une balle de fusil de chasse, il le fait enterrer et il revêt l'habit du superhéros pour prendre sa place. J.M. DeMatteis est un grand professionnel des comics, autant pour des histoires de superhéros ( Batman : absolution & Justice League International ), que pour des bandes dessinées plus personnelles (Moonshadow & Brooklyn Dreams). Mike Zeck est essentiellement connu pour avoir illustré The Punisher : Cercle de sang. Il est ici encré par Bob McLeod, un autre professionnel vétéran des comics. La particularité de cette histoire de Spider-Man est qu'elle a pour principal personnage le criminel et que Peter Parker ne débite pas de blagues. Il s'agit d'une histoire très sombre qui a pour principaux thèmes l'introspection de Kravinoff et l'impact psychologique pour Peter Parker d'avoir été enterré vivant. J.M. DeMatteis nous fait pénétrer dans la psyché de Sergei sous forme de flux de pensées. Il nous invite à adopter le point de vue de Kraven sur la réelle signification des combats qui l'opposent à Spider-Man et sur le poids de son héritage familial. Du coté de Peter Parker, DeMatteis nous montre à la fois la peur instillée par Kraven et l'incapacité totale à déchiffrer et comprendre les actions de Kraven. À l'évidence, il ne s'agit pas d'un comics pour les plus jeunes et il ne rentre pas dans le moule des aventures habituelles du tisseur de toiles. DeMatteis va même jusqu'à jouer avec l'idée de l'araignée comme totem de Peter Parker (thème qui sera repris et développé plus tard par Straczynski) et comme symbole de l'échec de l'être humain. Les illustrations de Mike Zeck sont un peu datées années 80 et souffrent à plusieurs reprises d'un manque criant d'arrière plan. D'un autre coté le rendu des personnages est très soigné avec des relents de Joe Kubert qui leur donnent une intemporalité et une force peu commune. Pour les fans, cette histoire se classe parmi les meilleurs classiques de Spider-Man. Effectivement les deux créateurs réussissent le pari de rendre Sergei Kravinoff humain, crédible, tourmenté et étrangement lucide. Peter Parker a rarement été aussi vulnérable et héroïque. Mary Jane (les deux étaient jeunes mariés à ce moment) est une femme amoureuse mais pas mièvre. Ce qui m'arrête dans l'attribution d'une cinquième étoile est ce manque de décors très déconcertant et le mode narratif qui ne va pas assez loin dans l'utilisation du flux de pensées désordonnées. L'exécution de l'histoire manque d'un soupçon de savoir faire pour atteindre tous les buts ambitieux qu'ils s'étaient fixés. Cette histoire a eu droit à un épilogue : Soul of the Hunter.