Comment elle gagne sa vie déjà ?
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première parution date de 2019. Le récit a été écrit par François Vignolle et Julien Dumond, il a été dessiné, encré et mis en couleurs par Grégory Mardon. Cet ouvrage comprend 144 pages de bandes dessinées.
Au Raincy, dans la banlieue nord de Paris, Yanis Habbache est en train de réparer un faux contact dans le moteur d'une voiture stationnée dans la rue. Son fils sort de l'immeuble et lui suggère de laisser tomber, car il juge la voiture bonne pour la casse. Le 28 septembre 2016, un jet privé atterrit à l'aéroport du Bourget. Il en descend Kim Kardashian, accompagnée par Simone son amie styliste, et escortée par son garde du corps. Les photographes la mitraillent depuis l'autre côté du grillage. Bien installée sur la banquette arrière d'une limousine, Kim Kardashian commence à twitter pour informer ses fans : elle est arrivée à Paris, une ville si romantique. Rue de Bretagne dans le troisième arrondissement, Aomar Ait Kacem pénètre dans le café Le Paparazzi. Il parle affaires avec le barman. Ce dernier lui montre une vidéo sur son portable : Vitali Sediuk un ancien journaliste de la télé ukrainienne s'est approché de Kardashian plaçant sa tête à côté de son postérieur. Il a rapidement été maîtrisé par le garde du corps de Kardashian. Aomar Ait Kacem (dit Le Vieux) indique au barman qu'il ne lui reste plus qu'à convaincre un vieil ami et il pourra accomplir le coup : cueillir Cendrillon.
Le lendemain, Kim Kardashian participe au défilé Balmain à l'Hôtel Potocki. Elle y croise Carla Bruni. Les photographes n'arrêtent pas de la mitrailler. Son compte Twitter s'affole. Le dimanche 2 octobre 2016, Yanis Habbache remonte dans son appartement, et informe sa femme qu'il a fini le boulot sur la voiture : ça devrait lui rapporter 50 euros. On frappe à la porte : c'est Aomar Ait Kacem qui vient lui rendre visite. La femme de Yanis lui fait les gros yeux, pas contente de cette visite. Habbache vient lui proposer de participer à un gros coup. Aomar Ait Kacem lui indique qu'il va bientôt se faire opérer du cœur, et qu'il faut que ce soit un coup tranquille. Il en obtient l'assurance d'Habbache. Pendant la Fashion Week, Kim Kardashian est de tous les défilés, embrasant tous les réseaux sociaux : Twitter, Instagram, Snapchat. Enfin, le dimanche soir, elle va pouvoir passer une nuit tranquille, seule dans sa suite. À 02h10, trois clampins en blouson noir, avec un brassard Police et le visage masqué se présentent à la réception de l'hôtel No Adress, braquent le réceptionniste et se font ouvrir les portes.
En face ce de la première page de bande dessinée, les auteurs indiquent qu'ils ont eu accès au dossier de l'enquête judiciaire et qu'ils ont rencontré plusieurs protagonistes de l'affaire. Pour autant certaines scènes relèvent de la fiction. Les faits sont simples : le 03 octobre 2016, Kim Kardashian se fait braquer dans sa suite de l'hôtel Pourtalès (dans le huitième arrondissement) et est victime d'un vol de bijoux pour un montant d'environ 10 millions d'euros. Le 09 janvier 2017, la police arrête les auteurs présumés du vol qui devraient être jugés en 2020. Au fil du récit, le lecteur fait connaissance avec 2 des braqueurs (Yanis Habbache, Aomar Ait Kacem, dont les noms ont été changés du fait que le procès n'ait pas encore eu lieu). Il se retrouve aux côtés de Kim Kardashian quand elle descend de son jet privé, dans sa suite à l'hôtel, chez elle à Los Angeles. Il participe aux investigations des principaux inspecteurs de police, Anton Molko, Justine Paquej et Loïc Libra dont les noms ont également été changés. La lecture donne une impression de reportage, comme si les auteurs avaient pu être présents dans les moments clé, avec un choix de séquences et un montage intelligents, sans donner dans le sensationnalisme. Grégory Mardon réalise des planches en phase avec cette approche. Ses dessins se situent entre des instantanés pris sur le vif (la coiffure d'Anton Molko) et des représentations avec une bonne densité descriptive pour que le lecteur puisse voir chaque lieu (rue du Raincy, intérieur de l'hôtel Potocki, appartement modeste d'Aomar Ait Kacem, suite luxueuse de l'hôtel Pourtalès, bureaux de la Brigade de Répression du Banditisme (BRB), quartier de Créteil, rue du dix-neuvième arrondissement, cellule du centre de détention de Fresnes.
Les auteurs ont pris le parti d'effectuer une reconstitution naturaliste, sans exagération spectaculaire ou racoleuse. Les personnages ne sont pas représentés de manière romantique, ni embellis. Le lecteur peut voir les marques de l'âge sur les braqueurs. Grégory Mardon n'en rajoute pas sur la plastique de Kim Kardashian, simplifiant ses traits de visage, en marquant essentiellement ses grands yeux et ses lèvres charnues. Lors du braquage dans sa chambre, il ne la transforme pas en objet du désir même si elle ne porte qu'une robe de chambre, montrant plutôt sa vulnérabilité face aux voleurs qui eux -mêmes ne prêtent pas attention à son corps. Bien que le métier de cette personne soit de mettre en scène sa vie pour rentabiliser sa personne et son style de vie en tant que produit, elle apparaît comme un être humain, avec sa vulnérabilité, sans rien occulter de son mode de vie. Le talent de l'artiste va plus loin qu'humaniser une personne ayant un talent extraordinaire pour façonner son image, il sait faire exister sur le même plan, deux niveaux de vie séparés à l'extrême, de la banlieue ordinaire et banale, aux palaces des défilés de mode et aux fastes de la Fashion Week. Ainsi le récit est ancré dans le réel, sans misérabilisme pour le regard jeté sur les quartiers populaires, sans étoiles dans les yeux en regardant les signes ostentatoires de richesse, les paillettes et le luxe
Les coscénaristes ont construit leur récit sur la base de séquences qui se focalisent sur les faits : le lieu de vie d'Aomar Ait Kacem, les prises de contact de Yanis Habbache, l'arrivée de Kim Kardashian à Paris, le braquage et la fuite (20 pages), l'arrivée de la police, la déclaration de la victime, les différentes phases de l'enquête. Pourtant le lecteur ressent des émotions, perçoit que les auteurs ne se contentent pas d'être factuels. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte que ces émotions sont essentiellement générées par les dessins. En effet il perçoit la concentration du garde du corps dans son visage fermé et tendu, l'indifférence blasée de Yanis Habbache faisant affaire avec le barman (étrange qu'il puisse fumer dans un café), les sourires professionnels de façade des people aux défilés, l'hostilité de la compagne de Kacem en voyant arriver Habbache, la terreur de Kim Kardashian se retrouvant à la merci d'individus cagoulés et armés, le calme né de l'expérience d'Anton Molko quand il prend connaissance des faits. De temps à autre, Grégory Mardon accentue une expression de visage pour marquer l'intensité de l'émotion, par exemple quand Anton Molko se rend compte que tout le monde donne son avis sur le braquage, sur les réseaux sociaux (Karl Lagerfeld, Mathieu Kassovitz). Il s'agit donc d'une histoire incarnée, où interagissent des individus adultes habités par des convictions et des valeurs.
Le lecteur se demande bien quel parti pris vont adopter les auteurs pour raconter leur histoire : plutôt défense de la victime, ou plutôt Robin des Bois ? Voire moqueur en jouant sur le décalage sur la vie de célébrité de Kim Kardashian et le braquage effectué par des individus du troisième âge se déplaçant à bicyclette ? Bien sûr ce décalage est mis en scène : l'appartement modeste d'Aomar Ait Kacem contraste avec le luxe de la suite de Kim Kardashian, le déplacement à vélo avec gilet jaune est aux antipodes des déplacements en jet privé, les 50 euros de réparation à rapporter aux revenus de Kim Kardashian. Mais le récit ne vire pas à la dénonciation, à la critique sociale. Le style de vie de Kim Kardashian n'est montré comme enviable, ou comme un statut social à atteindre ; le style de vie de Kacem et Habbache n'est pas paré d'un vernis romantique, ni pointé du doigt. Kim Kardashian aspire à un moment de détente, à arrêter d'être en représentation pour une soirée ; les braqueurs ont déjà fait de la tôle, y passant plusieurs années de leur vie. Les auteurs ne se rangent donc ni du côté de Karl Lagerfeld réconfortant la star, ni de Mathieu Kassovitz voyant là un acte symbolique de revanche du peuple contre une profiteuse vaniteuse de la société du spectacle. Ils ne cherchent pas non plus à présenter une version originale ou différente de l'enquête, encore moins conspirationniste (ce braquage aurait été mis en scène comme tout le reste de la vie de Kim Kardashian…). Mais quand même…
Au travers de cette reconstitution un peu romancée, le lecteur touche du doigt le spectacle factice monté de toutes pièces de la vie de Kim Kardashian, une sorte de quart d'heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol (1928-1987), étiré à l'échelle d'une vie dans une société du spectacle théorisée par Guy Debord (1931-1994). Il contemple l'inégalité de la répartition des richesses. Il assiste à l'efficacité de la police dans son enquête, sans diabolisation (pas de sous-entendu sur un outil d'oppression), sans non plus d'angélisme sur ce corps de métier. Dans le même temps, cette bande dessinée retrace un fait divers, sous l'angle d'un fait de société en faisant apparaître les différentes composantes, les différents angles de vue pour le considérer, rendant compte d'une réalité complexe, habitée par des êtres humains complexes et divers, où la vie d'une célébrité se mettant en scène croise celle de banlieusards du troisième âge.
François Vignolle, Julien Dumond et Grégory Mardon reconstituent le déroulement d'un fait divers sortant de l'ordinaire : le braquage d'une célébrité mondiale par un groupe de prolétaires âgés. Ils jouent le jeu du reportage objectif, trouvant le juste équilibre entre braqueurs et victimes, sans parti pris affiché pour les uns ou contre les autres. Le lecteur voit alors apparaître une radiographie partielle de la société sous un angle original et révélateur.
Purée ! Mais non !!??
La BD Boule à Zéro est taxée de racisme me dit-on !
C'est pas possible !!
1 -Une BD bienveillante et pleine de tendresse.
Ça c'est du racisme !
2 - De l'empathie et de l'émotion tout au long des albums.
Ça c'est du racisme !
3 - De l’humour et de l'espoir pour des enfants atteints de maladies graves.
Ça c'est du racisme !
4 - De l’humanisme, de la chaleur, de la générosité et du cœur.
Ça c'est du racisme !
5 - De la résilience et du courage face à la souffrance.
Ça c'est du racisme !
6 - Un dessin tout en rondeurs et des personnages attendrissants de toutes les couleurs -même verts - et de caractère bien affirmé.
Ah?! Un personnage est vert parce qu'il est malade ? Ouf ! J'ai cru à un moment que des petits hommes verts allaient eux aussi nous lancer une pétition.
Ça c'est du racisme !
7 - Des auteurs généreux et mobilisés à 1000% en faveur des enfants malades.
Ça c'est du racisme !
8 - Un éditeur engagé qui à offert des milliers d'exemplaires aux enfants hospitalisés.
Ça c'est du racisme !
Oui, c'est bon là... Stop On a compris !!
Bref quelles que soient les raisons pour lesquelles cette BD est raciste, et je ne doute pas qu'il en existe beaucoup d'autres que celles que je viens de mentionner, je continuerai à dévorer cette pépite qui fait œuvre d'Amour et de fraternité avec un CŒUR GROS COMME ÇA.
Le plus beau rôle : la muse.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2008. Il a été entièrement réalisé par Edmond Baudouin, auteur de bandes dessinées depuis 1980.
Dans le studio du peintre Paul, une modèle est en train de poser nue, debout les bras croisés derrière la tête, pendant qu'il est en train de la peindre. La modèle (la muse) lui fait observer qu'il est vieux. Elle lui demande son âge. Il lui répond qu'elle lui fait penser à sa mère. Il lui propose de faire une pause et de prendre un thé. Elle revêt une robe rouge et lui demande quel est son plus ancien souvenir. Il répond qu'une fois il a été chassé du paradis, mais qu'il ne se souvient plus de ce jour. La muse étant étonnée, il clarifie son propos : il parle de son expulsion du ventre de sa mère, du fait que l'invention du Paradis correspond à la nostalgie du temps avant la naissance. Il continue en indiquant qu'il a passé sa vie à retourner le plus souvent possible dans les femmes, avec ses faibles moyens. Mais cette quête lui a surtout appris à mesurer la distance qui sépare l'homme de la femme.
Paul continue d'évoquer son apprentissage des différences entre les hommes et les femmes. Il se rappelle qu'à la cour d'école, les garçons étaient déjà dans une sorte de compétition, pour pisser le plus loin, sauter le plus haut, courir le plus vite, oser dire les mots les plus cochons, etc. Au contraire, les petites filles se livraient à des jeux dont la compétition était exclue. Pour lui, c'est lié au fait qu'elles avaient déjà la conviction inconsciente qu'elles pourraient continuer le monde avec leur ventre, ce qui les rend sereines. Il ajoute que cette course des garçons à inventer des compensations fait l'Histoire. Elle lui demande de lui raconter l'histoire. Il accepte, mais elle doit recommencer à poser. Il énumère la liste de toutes les activités de compensation que les hommes entreprennent : maîtriser, dominer ordonner, créer, posséder, civiliser, construire, détruire, faire à son image. Il parle ensuite de ses 14 ans, quand il réparait sa mobylette en vue d'une course avec un copain, et que Julie est passée devant lui, dans une robe rose, sans lui adresser la parole comme à son habitude. Il n'a pas pu s'empêcher de lui dire qu'elle n'était même pas belle. Ce à quoi elle a répondu que son opinion est le dernier de ses soucis. Tout d'un coup, sa mobylette avait perdu tout intérêt pour lui.
Cette bande dessinée s'apparente donc à un long discours sur la nature des différences entre les hommes et les femmes, tenu par un homme ayant essayé de comprendre ces différences, de mesurer la distance séparant les 2 genres et de bâtir un pont par-dessus ce gouffre. D'une certaine manière, il est possible de considérer cet ouvrage comme un essai sur ce thème, avec le discours de ce vieil homme disposant d'une longue expérience et s'étant livré lui-même à cette quête, avec quelques questions de sa muse pour qu'il éclaircisse un point de son argumentation. Le lecteur découvre des pages avec une densité importante de mots, sans qu'ils ne mangent les images, sans qu'ils ne donnent l'impression d'une lecture pesante ou fastidieuse. La prose de l'auteur est claire et simple, offrant une lecture agréable et légère. Ce roman graphique s'apparente donc une œuvre entre psychologie et philosophie. Baudoin indique rapidement que pour lui les différences homme/femme proviennent d'une différence unique : la capacité de la femme de donner la vie, d'enfanter, chose qui reste inatteignable pour l'homme. Il évoque cette conviction dès la page 7. Elle revient régulièrement tout au long des 100 pages de BD, et il la reprend dans sa conclusion en page 97. Pour autant, Edmond Baudoin ne se contente pas de dérouler un texte tout ficelé en le collant dans des phylactères accolés à des têtes en train de parler. Plusieurs surprises attendent le lecteur à commencer par une suppression du quatrième mur, et la muse n'est pas une simple potiche, une chambre d'écho ou un artifice narratif.
De la même manière, le déroulé du raisonnement de l'auteur ne se limite pas à un exposé théorique. Quand Paul se met à raconter l'histoire, il raconte la sienne, son histoire avec les femmes. Il évoque ainsi son premier amour, sa première relation sexuelle, les autres femmes, la mère de ses enfants, etc. Baudoin évoque la manière dont Paul se heurte à la réalité, comment chaque rencontre avec une femme l'oblige à revoir ses préjugés, à prendre conscience de la fausseté de ses représentations. Cela commence doucement avec la réalité basique de la différence des jeux entre filles et garçons dans la cour d'école. Cela continue avec des considérations plus sociologiques comme les caractéristiques discriminantes des sociétés patriarcales vis-à-vis des femmes, l'évolution de la représentation des pénis durs de façon imagée avec les pistolets dans les films, la différence entre amour et sexe, la dissociation entre amour et fidélité, l'impossibilité de posséder une femme, les différences de comportement post-coïtal, etc. L'auteur n'hésite pas à aborder les questions de manière frontale, avec des termes explicites, mais sans vulgarité, ni grivoiserie. Il s'interroge honnêtement sur ses idées préconçues, les femmes lui indiquant leur façon de penser. En fonction de son expérience personnelle, le lecteur se reconnaît dans certaines façons de penser, dans certaines remarques, dans le décalage entre ses attentes et la réalité, qu'il soit homme ou femme. Il apprécie la délicatesse, la franchise et la retenue de l'auteur, y compris du point de vue visuel.
L'exposé et le fil de vie de Paul abordent sa relation avec les femmes, à chaque fois à partir de son désir sexuel et des relations qui s'en suivent. Edmond Baudoin ne se montre pas hypocrite et représente donc les corps dénudés. Pour autant, il ne s'agit pas d'un ouvrage pornographique (aucun gros plan anatomique ou de pénétration), ni même d'un ouvrage érotique magnifiant une représentation descriptive du corps féminin (ou parfois masculin), encore moins d'un manuel passant en revue les positions. La muse apparaît nue de face dès la première page, sa silhouette détourée d'un trait dont l'épaisseur varie, avec quelques courts traits noirs pour évoquer la toison pubienne, et juste un gros point noir pour le téton gauche. L'artiste s'amuse à reprendre cette représentation simplifiée en page 3, dans un cadrage de la toile du peintre débutant juste en dessous du cou et s'arrêtant à mi-cuisse, avec à nouveau ces quelques tâches noires pour la toison pubienne et les mamelons. Il n'y a pas d'érotisme à proprement parler, mais plus une impression poétique. Ce phénomène se répète en page 9 quand le corps allongé de la muse se dédouble dans cette nouvelle pose, indiquant sa silhouette physique et le début d'interprétation qu'en fait le peintre. De même quand Julie retire son teeshirt sur le lit de Paul adolescent, elle est de trois-quarts de dos, et son torse est détouré d'un trait rouge orangé, sans précision photographique. Baudoin varie sa technique de représentation en fonction de la nature de la scène, de l'état d'esprit des personnages, de la tension sexuelle, de l'attente. Il applique les mêmes modalités de représentation au corps masculin dénudé.
S'il n'y est pas sensible ou attentif, il faut un peu de temps pour que le lecteur prenne pleinement conscience de la subtilité de la narration de visuelle. Il ne s'agit pas d'un simple tête-à-tête entre la muse et l'artiste dans son atelier, car lorsque Paul évoque ses souvenirs, ils sont représentés dans les cases, les images montrant le lieu et les personnes évoquées. Edmond Baudoin choisit sa technique de représentation en fonction de la nature de la scène. Il peut détourer les formes avec un trait encré, ou un trait de contour réalisé au pinceau avec une couleur noir, comme il peut passer en mode aquarelle sans trait de contour, parfois même de simples tâches de couleurs pour évoquer la forme d'une tête et de sa chevelure, sans traits de visage. En page 29, le lecteur a la surprise de découvrir une photographie des berges de Seine à Paris, intégrée en l'état, technique utilisée de manière sporadique, la photographie étant parfois retouchée à l'encre ou à la couleur. L'artiste ne s'aventure pas sur le terrain de l'abstraction ou de l'art conceptuel, mais il n'hésite pas à passer en mode impressionniste ou expressionniste quand il souhaite s'exprimer de cette façon. Il ne s'agit pas pour lui d'apporter de la variété au gré de sa fantaisie, mais bien d'exprimer des ressentis en mettant différentes techniques au service de sa narration visuelle. Au fil des pages, le lecteur ressent pleinement cette adéquation entre flux du discours ou des dialogues et caractéristiques visuelles de la séquence. Il perçoit la fibre émotionnelle, l'affect accompagnant les propos. Edmond Baudoin joue également sur la mise en page pour faire fluctuer le rythme, insérant quelques dessins en pleine page, des images juxtaposées sans bordure, même si la majeure partie du temps il s'en tient à des cases rectangulaires avec bordure, sagement alignées en bande.
Le lecteur prend donc grand plaisir à découvrir la vision personnelle de l'auteur sur la différence entre femme et homme. Il constate que la différence de la capacité à donner la vie constitue une caractéristique qui éclaire les différences de comportement à la fois sur le plan sexuel et sur le plan du genre. Ce discours aborde également la question de la différence entre amour affectif et amour physique, ainsi que la question de la fidélité. Il se termine avec une ouverture en forme de rapprochement entre l'amour et la peinture, une façon d'être attentif à l'autre et d'être présent, et sur une profession de foi quant à la nature de la vie, la manière de vivre en sachant que la mort suit l'individu toujours à trois pas derrière.
Cette bande dessinée est à la fois une thèse sur l'essence de la différence entre les hommes et les femmes, une biographie vue à partir des relations amoureuses, une narration visuelle d'une sophistication et d'une richesse aussi discrètes que justes, une façon d'envisager la vie aussi personnelle qu'attentive à l'autre. En considérant les avancées sociales gagnées par les femmes, l'auteur ne peut constater que l'homme n'est toujours en mesure d'enfanter.
Citation : Les plus grands poèmes sur la liberté ont été écrits par des humains privés de liberté. Les hommes ont écrit les beaux poèmes sur l'amour. Est-ce parce qu'ils en sont interdits ? Parce qu'ils le magnifient pour qu'il soit impossible à atteindre ? Toujours ailleurs, dans le paradis perdu du ventre de leur mère.
Bon, je ne vais pas trop m'étaler, tout à déjà été dit ou presque, et puis : 5/5 + coup de cœur, tout le monde aura compris ce que je pense de la BD.
A priori, j'étais pourtant un peu sceptique au départ, quel rapport, me disais je, entre Hermann et romain Renard ?
Ou entre Commanche / Red Dust et Melville ?, pour le dire autrement.
Sauf que, rien à dire, c'est vraiment de la belle ouvrage. C'est fin, bien amené, et, même les aspects un peu 'attendus' (comme l'acmé finale, une fois arrivés au ranch) passent très bien. On retrouve notre Red Dust, vieilli, et gris comme le dessin qui lui redonne vie, symbole d'un monde qui disparaît (ou a déjà disparu). L'opposition avec l'autre protagoniste, une jeune femme enceinte, cette opposition est donc poussée au maximum, leur sexe, leur âge, leur trajectoire personnelle, lui donne la mort quand elle donne la vie, bref, difficile de pousser plus loin le ressort antagoniste, et pourtant, une réelle affection, un profond respect mutuel, une forme de compréhension réciproque intime va naître progressivement entre ces deux là, que tout opposait au départ. Une fois encore, on pourrait critiquer, et dire que l'on s'y attend, rapidement, pour ne pas dire dès le départ, mais, c'est tellement bien construit, qu'on marche à fond.
Enfin, bien sûr, impossible de ne pas dire un mot sur le dessin, vraiment envoutant, qui met en valeur cette nature à la fois belle et presque aussi menaçante que la nature humaine, par moments.
Je pourrais dire un mot du superbe travail sur les angles de vue aussi, qui fait de romain Renard, un véritable metteur en scène.
On se prend d'ailleurs à imaginer une adaptation cinématographique d'une telle œuvre, avec, imaginons, un Eastwood derrière la caméra (puisqu'on parlait de vieux messieurs symboles d'une époque qui passe...), le scénario lui irait très bien en tout cas, bref, on se plaît à évoluer, et à rester dans cet univers.
Une grande et belle BD, vraiment.
Contentement / désappointement / insatisfaction
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, qui présente la particularité d'être dénuée de mot, ni dialogue, ni récitatif. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2015, écrite, dessinée et encrée par Grégory Mardon, qui a également réalisé la mise en couleur.
Le soleil se lève sur une grande mégapole qui ressemble fortement à New York. Un homme marié, père de 2 enfants, prend son petit déjeuner dans la cuisine inondée de soleil, avec eux. Il a le regard dans le vide. Les enfants mangent, son épouse s'affaire autour de la table en téléphonant. Elle lui touche l'épaule pour le faire redescendre sur Terre. Il regarde l'heure se rend compte qu'il faut qu'il y aille. Il enfile sa veste, les parents et les enfants prennent l'ascenseur et se séparent sur le trottoir. L'homme fait l'effort de s'éloigner de l'entrée de l'immeuble et de s'insérer dans le flux ininterrompu de piétons. Il éprouve une conscience aigüe de la hauteur des gratte-ciels, du flux de piétons sur le trottoir, du flux de voitures sur la chaussée. Il prend de l'argent au distributeur automatique, donne quelques pièces au sans abri assis à côté, prend un journal au kiosque du coin de la rue, commence à lire le journal en marchant. Il attend sur un quai de métro bondé. Il lit son journal tant bien que mal dans la rame elle aussi bondée.
Au fil des articles, l'homme lit des informations sur un homme politique faisant un discours devant une foule, une manifestation militante, une émeute, l'intervention de forces de l'ordre casquées et armées, une guerre, des victimes civiles, le recours à des bombardements, une pub, la pollution industrielle atmosphérique, un cyclone dévastateur, une pub, l'exploitation des ressources fossiles, une exécution par des fanatiques, une pub, le déversement de d'ordures ménagères en décharge, la pollution industrielle atmosphérique, la pollution des eaux, l'immense trafic routier sans fin, la surconsommation, la violence, l'omniprésence des marques, etc. Il sort du métro, rentre dans un gratte-ciel, prend un dossier que lui tend une secrétaire, s'installe à son bureau d'architecte, passe en revue des plans, des projets, se rend sur un chantier, retourne au bureau jusqu'à tard le soir, passe au club de gym, rentre chez lui, embrasse ses enfants, sort au restaurant puis au spectacle avec sa femme. Ils sortent dans un club branché ensuite, et rentrent enfin chez eux. Il perd une dent en se les brossant avant d'aller se coucher. La nuit, il n'arrive pas à dormir. Le lendemain, un mauvais geste fait que son portefeuille tombe dans un avaloir. Il se met à pleuvoir. Quand il se remet en marche vers son bureau, il éprouve la sensation de ne plus faire partie des gens autour de lui. Au bout d'une rue, il aperçoit l'océan.
En commençant cette bande dessinée, l'horizon d'attente du lecteur se trouve déjà conditionné par 2 paramètres : cet ouvré est publié par Futuropolis, maison d'édition réputée pour son ambition, et il s'agit d'une bande dessinée sans un seul mot, ni dialogue, ni didascalie, ni cartouche de texte. Il voit que cette histoire se déroule sur 220 pages ce qui est rassurant car d'expérience il faut beaucoup plus de cases quand une bande dessinée se prive de l'interaction entre image et texte. Ensuite, le titre (le seul texte : un substantif avec son article) annonce le thème et les premières pages explicitent qu'il s'agit de l'échappée d'un homme du milieu dans lequel il vit. La prise de contact avec la narration qui est donc 100% visuelle se fait avec la couverture : une image d'une grande expressivité, un homme sortant du flux d'individus pressés et qui a déjà commencé son chemin dans un territoire vierge, ici incarné par le blanc de la page. Le lecteur peut déjà observer une première caractéristique étonnante des dessins de Grégory Mardon pour cet ouvrage : les personnages semblent à la fois avoir été représentés rapidement, dégageant une impression de spontanéité, et à la fois ils présentent des particularités les rendant tous singuliers. Ce trait en apparence rapide et souple apporte une vie à chaque individu qu'il soit un premier rôle, un second rôle ou un simple figurant. La simplification du contour des personnages et des traits de leur visage facilite la projection du lecteur en eux, et les rend plus expressifs.
Cette histoire repose autant sur une intrigue (Dans quel endroit arrive l'homme ? Que va-t-il y découvrir ? Par qui et comment sera-t-il accueilli ?) que sur un suspense psychologique (trouvera-t-il un ce qu'il cherche ? Un ailleurs où il peut s'épanouir ?). Tout du long de ces pages, le lecteur perçoit pleinement l'état d'esprit de l'homme quelle que soit la nature de l'émotion qui l'habite : légère hébétude née du ronron anesthésiant et bruit du quotidien, impassibilité pendant la descente en ascenseur avec des inconnus, sourire de circonstance pour dire au revoir aux enfants à l'école, assurance professionnelle sur le chantier, énervement lors de la perte de sa carte bleue, ténacité lors de la lutte contre les ronces, hébétude souriante dans le village parfait, rage animale dans la jungle, etc. Alors même que l'homme n'exprime jamais en mot les ressentis qu'il éprouve et les réflexions qu'il effectue en réaction aux événements, à sa situation, à ce qu'il observe, le lecteur peut suivre le cheminement de sa pensée. Grâce à une narration visuelle élégante et sophistiquée, le lecteur voit l'homme réfléchir, peut même reconstituer des processus mentaux complexes. Afin de s'assurer d'une lecture active, l'auteur met en œuvre un procédé osé à partir de la page 13 pendant une quinzaine de pages. Précédemment, la logique de la succession des cases procède d'un lien de cause à effet directe, essentiellement sur une base chronologique, un moment succédant à un autre, le lecteur n'ayant qu'un effort minimal à fournir pour faire le lien : par exemple l'homme et sa famille dans l'ascenseur suivi par la famille dehors sur le pas de porte de l'immeuble.
À partir de la page 13, le lecteur se retrouve devant des images accolées : d'abord 6 pages en 3 lignes de 2, puis à raison de 9 par pages à partir de la page 25, puis 12 par pages à partir de la page 26, puis 24 par pages à partir de la page 28. Le lecteur doit s'investir un peu plus dans sa lecture pour comprendre qu'il s'agit des thèmes évoqués dans le journal lu par l'homme dans les transports en commun, puis d'une forme d'association d'idées automatique. La narration a insensiblement basculé dans un autre domaine : d'une forme de reportage naturaliste, vers un domaine conceptuel où la juxtaposition d'images en nombre croissant rend compte d'une surabondance, d'une sollicitation sans fin de l'attention de l'individu par des images choisies ou fabriquées par une société dont les médias renvoient une image de violence (conflits de nature diverses) et de surconsommation (publicités sans fin à l'inventivité infinie avec le seul but de provoquer la consommation de l'individu). Le lecteur se retrouve devant le constat de l'hypermodernité (une abondance sans fin), d'un flux incontrôlable toujours plus rapide (que ce soit le flux de piétons, le flux d'informations, le flux de produits créés uniquement pour déclencher l'impulsion d'achats, le flux d'images ou de concepts créés dans le seul but de stimuler les centres du plaisir). Après ces 16 pages, le lecteur a conscience qu'il ne découvre pas seulement un exercice de style (narration exclusivement visuelle), une étude de caractère (la prise de conscience d'un homme quant à son ressenti sur la vie qu'il mène), mais aussi une réflexion philosophique sur la réalité des forces motrices de la société moderne. Ce passage change complètement le ressenti du lecteur sur l'ouvrage, avec le constat de sa dimension philosophique.
Pour autant, le lecteur continue d'apprécier l'histoire au premier degré. Grégory Mardon ne sacrifie en rien la minutie de la narration visuelle par la suite. Il continue de donner vie aux êtres humains (et aux animaux dans la dernière partie) avec une élégance épatante. Il continue de décrire les environnements dans le détail : une belle vue de dessus du salon cuisine de la famille de l'homme, une vision très juste du flux de piétons et de voitures dans la rue, l'étonnant assemblage des personnes en train d'attendre sagement et de manière disciplinée sur un quai de métro, des tapis de course dans une salle de sport en étage, les ronds dans l'eau générés par les gouttes de pluie, les transats alignés sur le pont supérieur d'un paquebot, la forme des vagues dans un océan déchaîné, la granulosité de falaises infranchissables, la répartition des petites maisons dans un village à flanc de colline, la luxuriance de la flore dans la jungle. Grâce aux détails, chaque lieu est unique et devient tangible et plausible.
La lecture s'avère d'une facilité épatante : les pages se tournent rapidement et le lecteur éprouve la sensation de progresser à bonne vitesse dans le récit, sans s'ennuyer, sans avoir l'impression qu'il doit passer plus de temps sur les pages, sans que le récit ne se déroule trop vite, sans qu'il sente que la fin arrive de manière précipitée. S'il y prête attention, le lecteur observe que Grégory Mardon met en œuvre un vocabulaire et une grammaire visuelle étendus, sans pour autant être démonstratif. Dans un récit où ce qu'observe le personnage principal revêt une importance capitale, l'artiste réalise 19 dessins en pleine page. Le lecteur les perçoit à la fois comme l'importance que l'homme accorde à ce paysage ou ce spectacle, à la fois comme une invitation à prendre lui aussi ce temps, à la fois comme une petite respiration entre 2 pages de suite de cases. Il y a également 7 dessins en double page, à nouveau une indication de l'importance primordiale de ce moment pour le récit, à la fois un spectacle méritant qu'on lui consacre 2 pages. En termes de composition de pages, Mardon peut passer d'un dessin en double page à 24 cases par page. Il utilise des cases de format rectangulaire ou carré, sans bordure tracée, ce qui est en phase avec le thème de l'échappée. Il réalise une mise en couleurs de type bichromie : vert de gris ajouté au noir & blanc pour la première partie, bleu azur pour la deuxième partie, et vert anis pour la troisième partie.
Parmi les autres caractéristiques picturales, le lecteur peut trouver des ombres chinoises (page 31), l'utilisation d'un pictogramme (pour un phylactère en page 37), de gros aplats de noir pour un fort contraste (par exemple la danseuse en page 40), des contrastes également entre le blanc et la couleur (l'océan en vert / le ciel en blanc en page 53), un travail remarquable sur le langage corporel que ce soit pour l'homme ou pour les autres personnages. Pour ce dernier point, le lecteur remarque que les postures de l'homme varient fortement, avec un registre différent pour chacune des trois parties. Au fur et à mesure de sa progression dans le récit, le lecteur prend également conscience que certains éléments revêtent une signification symbolique. Il en acquiert la certitude avec la forêt de ronces en page 102 & 103, lui rappelant celle de la Belle au Bois dormant. De la même manière les falaises forment un mur infranchissable, l'empêchement de pénétrer dans le site suivant. Rétrospectivement, il se dit que le départ en paquebot de l'homme participe également de la narration d'un conte. Avec cette idée en tête, il comprend que les environnements des deuxième et troisième parties sont plus conceptuels que littéraux, et il devient logique que le récit ne s'attarde pas sur des aspects comme la maladie ou les blessures.
Avec l'idée que le récit agit comme un conte, le lecteur comprend mieux les choix narratifs et l'intention de l'auteur. L'homme cherche à s'échapper de son milieu urbain dont les caractéristiques sont montrées avec limpidité, et mener une autre vie. L'échappée ayant réussi, il peut alors mener une vie dans une société utopique, puis dans un environnement sauvage, une sorte de retour à l'état naturel. Le lecteur participe alors bien volontiers au jeu des comparaisons entre les 3 modes de vie successifs de l'homme. Il observe comment le deuxième environnement lui apporte ce qui lui manquait, dans le premier, et de même avec le troisième par rapport au deuxième. Le thème principal du conte apparaît alors : à la fois celui de l'échappée, mais aussi celui de l'envie, de l'insatisfaction, de l'impossibilité à se contenter de ce qu'on a. L'homme a conscience de ce que lui apporte chaque environnement, mais il ne peut s'en satisfaire. Il éprouve le besoin de découvrir, d'aller voir ailleurs, d'explorer de nouveaux territoires, de conquérir. Grégory Mardon met ce besoin en vis-à-vis d'autres besoins : la sécurité, les besoins affectifs, la sexualité, la faim, l'autonomie… Il laisse le lecteur libre de réagir à ce qui lui est montré, de se comparer à l'homme, de mesurer lui-même ce qu'il a payé pour bénéficier de la situation dans laquelle il se trouve, de ce qu'il souhaite obtenir de plus, tout ça de manière visuelle, sans nombrilisme d'artiste, ni discours académique.
Une bande dessinée sans texte ni dialogue constitue une source de plaisir immédiat irrésistible : lire une histoire sans avoir d'effort à faire pour lire, avec le spectacle des images. Le lecteur se rend compte de l'adresse de Grégory Mardon par l'absence : aucune difficulté de compréhension, tout coule de source et s'enchaîne naturellement, une vitesse de lecture rapide sans être frénétique ou épileptique, et une histoire avec de la consistance. Avec la séquence de ressenti d'une société hypermoderne, il perçoit la nature philosophique du récit, et en a la confirmation avec quelques éléments dont le symbolisme est évident. En plus du plaisir du voyage et des découvertes, il accompagne la réflexion de l'homme sur son état, sur son envie d'avoir envie, sur son besoin de conquérir, se situant lui-même par rapport à ces besoins.
J’ai été pris dès le début par cette histoire. On découvre un monde dur, où la peur et la surveillance sont partout. Chaque événement m’a donné envie de savoir ce qui allait se passer ensuite. Il y a des surprises, des moments forts et un vrai suspense. Plus j’avançais, plus je ressentais une tension qui ne faisait que grandir.
Cette BD parle de liberté et de résistance. Elle montre ce qui arrive quand un gouvernement devient trop puissant et ce que certaines personnes sont prêtes à faire pour retrouver leurs droits. J’ai trouvé ça très fort et parfois même troublant. Ça pousse à réfléchir sur la société et sur la valeur de la liberté.
V est un personnage impressionnant. Il est à la fois mystérieux, intelligent et imprévisible. J’ai aimé suivre ses actions et essayer de comprendre ses intentions. Evey, elle, change énormément au fil de l’histoire, et j’ai ressenti beaucoup d’émotions en la voyant évoluer. Les autres personnages sont tous marquants à leur façon et apportent quelque chose d’important à l’histoire.
Les dessins renforcent l’ambiance sombre de l’histoire. Les couleurs sont souvent froides, les ombres sont bien utilisées, et tout ça donne une vraie personnalité à la BD. Chaque page a un côté presque cinématographique, ce qui rend la lecture encore plus immersive. J’ai eu l’impression de vraiment entrer dans ce monde, comme si j’y étais.
On termine quand même ?
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Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il est paru initialement en 2018, avec un scénario de Pascal Rabaté, des dessins et une mise en couleurs de François Ravard.
Le soleil se lève sur la ferme de Didier. Il vient de se réveiller et il se dirige vers les toilettes. Il pousse un cri déchirant en faisant ses besoins. Il se rend chez le médecin en mobylette. Avant d'entendre l'avis du professionnel de santé, il lui dit qu'il sait qu'il va mourir, et il est triste de ne pas avoir encore connu le vrai amour alors qu'il a déjà 45 ans. Le docteur lui prescrit un traitement pour ses hémorroïdes, lui conseille de ne plus boire d'alcool pendant quelques jours, et lui suggère de s'inscrire sur un site de rencontre pour résoudre son autre problème. Il rentre à la ferme sur sa mobylette (ayant mis un coussin sur la selle) et n'est pas du tout surpris de voir Régis en slip et en bottes en train de se rouler une clope sur le pas de la porte. Il lui demande où se trouve sa sœur Soazic. Ayant eu la réponse, il se dirige vers l'étable où Soazic vient de terminer de traire les vaches. Il lui demande ce que fait Régis à la ferme. Elle le toise bizarrement en lui disant que la cuite d'hier avait dû être sévère.
La vieille Didier était parti à la ferme de Régis pour participer à la vente aux enchères de tous ses biens, car il avait fait faillite. Le commissaire-priseur avait commencé par le tracteur, un modèle 635 Massey Ferguson de 2010, avec une mise à prix de départ fixée à 1.200 euros. Didier avait commencé à enchérir, mais son attention avait été détournée par le comportement de Régis. Ce dernier avait commencé par aller dire au revoir à ses vaches, en tenant à la main, une corde avec un nœud coulant. Puis il avait enlevé son bleu de travail devant tout le monde, pour se retrouver en slip et en bottes, et il était rentré chez lui avec sa corde à nœud coulant à la main. Didier s'était précipité au carreau de la porte pour voir ce qui allait se passer, alors que la vente aux enchères se poursuivait sans interruption. À son grand soulagement, Régis était ressorti sain et sauf. Au temps présent, Soazic voit que Didier a recouvré la mémoire et elle lui enjoint de prêter de quoi s'habiller à Régis. Puis ils prennent le petit déjeuner tous les trois dans la cuisine. Régis demande comment il peut aider. Soazic lui répond qu'il sait très bien qu'il y a toujours quelque chose à faire à la ferme. Didier lui demande s'il s'y connaît en internet.
La couverture affiche clairement le parfum d'autodérision du récit : les casseroles tirées par le tracteur, la mention du célibat encore frais, sans compter que ce sont les vaches qui occupent le premier plan, et le titre apporte la touche finale. Le lecteur fait connaissance avec Didier dès la première page. Dès la deuxième, il connaît son âge (45 ans), son naturel inquiet (la fin est proche) et le drame de sa vie (il est célibataire). Il est facile de se moquer de ce paysan, pas très bon gestionnaire, sans vie affective, avec comme seul ami un fermier ayant fait faillite, prenant des cuites non maîtrisées de temps à autre, et vivant avec sa sœur qui assure les corvées ménagères (il ne sait pas faire la lessive), ainsi qu'une part significative des tâches de la ferme. Il est vrai que Didier est en surcharge pondérale, qu'il porte des grosses lunettes et que ses cheveux commencent à s'éclaircir, sachant qu'il est déjà grisonnant. Pour autant, le lecteur éprouve immédiatement une forte sympathie pour ce monsieur. D'un côté, il représente tout ce que la société réprouve de manière implicite (surcharge pondérale, métier sans gloire, absence totale de dimension spectaculaire) ; de l'autre côté, il a un cœur gros comme ça. En effet c'est le seul à se préoccuper de Régis, de s'inquiéter d'un possible suicide, de l'accueillir chez lui sans demande de compensation. Il apparaît en creux qu'il n'exploite en rien sa sœur, et que ce sont les hasards de la vie qui les ont amenés à continuer à habiter sous le même toit. Il échappe même au ridicule car ce n'est pas qu'il ne se respecte pas, c'est qu'il est dépourvu de toute vanité. Par voie de conséquence, il est impossible de se moquer de lui, ou de le mépriser.
Bien sûr, les dessins participent pour beaucoup à dresser le portrait de Didier, à lui insuffler un élan vital. Dans la deuxième page, François Ravard représente Didier en slip dans le cabinet du médecin. Il ne minimise pas la dimension de sa brioche, mais sans la transformer non plus en étalage de viande, ou en tas de saindoux. Il montre les bajoues importantes sans être flasques, ainsi que les énormes lunettes, très fonctionnelles et dépourvues de toute qualité esthétique. Bien sûr Didier apparaît à plusieurs reprises comme un peu pathétique, que ce soit dans sa tenue de travail très ample, déconfit dans sa chemise trop petite (qu'il n'a portée que deux fois), surpris que les ronds de son maillot à pois rouge se déforment, ou encore courant tout nu dans un champ moissonné. Pourtant il ne s'agit pas de misérabilisme ou de méchanceté. En effet par ailleurs, Didier est montré comme un individu calme et posé, sensible et faisant preuve d'empathie. Il est en décalage avec la France qui gagne, avec les battants. En observant son visage, le lecteur peut voir qu'il n'est pas dépressif ou aigri. Il montre son désaccord par une moue désapprobatrice quand une réaction, une remarque ou une situation va à l'encontre de ses convictions ou de ses émotions.
De la même manière, le lecteur s'attache très rapidement aux autres personnages. La plastique de Soazic n'est pas celle d'une pinup, mais d'une femme au visage avec un menton trop petit et un nez trop gros, ainsi qu'un bassin un peu empâté. Les expressions de son visage indiquent qu'elle a conservé un amour propre plus développé que son frère. Elle a, elle aussi, accepté sa condition de fermière dont la vie est accaparée par la ferme, sans pour avoir renoncé à la possibilité d'une vie différente. Elle n'a pas totalement accepté les choses comme elles sont, et elle continue à lutter contre ce qui l'agace chez son frère (à commencer par sa mollesse). Elle n'a pas baissé les bras face à une sorte de stase régissant sa vie. Le lecteur observe donc son langage corporel ainsi que les expressions de son visage et voit apparaître des jugements de valeur, des moments d'énervement, une volonté d'agir, le plaisir d'avoir une idée nouvelle. Régis vient compléter ce trio, avec une morphologie très fine, mais également dépourvue de toute élégance. Par comparaison avec les postures ou les expressions de Didier, il apparaît plus résigné. Il ne se plaint pas d'avoir tout perdu, mais il n'a pas l'énergie de se lancer dans un nouveau projet. Il prend les jours comme ils viennent, avec la mine d'un individu qui n'attend plus rien, sans être amer pour autant. Advienne que pourra.
Dès la première case, le lecteur se retrouve à observer une cour de ferme dans une case de la largeur de la page, avec une luminosité de lever de soleil, des couleurs portant une part d'ombre, mais commençant déjà à se réchauffer. En page 6, il voit Didier au loin sur sa mobylette, avec un champ vert et jaune au premier plan, et des champs avec quelques arbres dans le lointain. L'artiste n'a utilisé quasiment aucun trait pour délimiter les contours, tout est représenté à la couleur directe, avec à nouveau une ambiance lumineuse paisible pour un jour ensoleillé. Quelques pages plus loin, Didier va voir son poirier dans le jardin, avec le chat qui court, quelques poules qui picorent, et les éoliennes discrètement esquissées au loin en fond de case. François Ravard a l'art et la manière de composer ses cases, en dosant soigneusement les éléments très précis, et les éléments esquissés, ou dont la forme se trouve discrètement peinte dans une teinte pale. À l'instar de ces éoliennes présentes dans quelques cases, le lecteur peut aussi remarquer de minuscules détails s'il s'en donne la peine : le coussin ajouté sur la selle de la mobylette, le collier de protection autour de la tête du chat, la manique accrochée au mur de la cuisine, les pneus sur le tas de fumier, les enseignes du coiffeur et du bar en forme de jeu de mots, la pompe à eau dans le jardin de la ferme de Régis, etc. Il est facile de se laisser prendre par la douceur de la narration visuelle et de ne pas prêter attention à ses menus détails. Il est tout aussi facile de prendre le temps de laisser son regard se poser sur une case ou une autre et d'en découvrir la richesse.
Cette stratégie de représentation porte ses fruits en décrivant à la fois un quotidien très pragmatique et concret, réaliste (l'aménagement de la cuisine, les travaux de la ferme), à la fois l'ambiance de l'environnement que le regard embrasse dans son ensemble, sans forcément le scruter à chaque passage. Le lecteur se rend compte que ce mode de représentation fonctionne aussi avec les personnages, à la fois pour les petits gestes du quotidien (Régis en train de rouler sa clope), à la fois pour l'impression générale (la détresse de Didier dans le cabinet de consultation). Le lecteur se sent donc privilégié de pouvoir côtoyer ces individus ordinaires, dans leur vie spécifique. Il ressent une grande tendresse pour Didier et son sentiment que la vie ne lui a pas apporté ce qu'il attendait, pour Soazic vaguement excédée par un quotidien auquel il manque l'espoir d'un avenir, pour Régis résigné sans être abattu. Il ressent une pleine et entière adhésion à leurs projets. De ce fait, il ressent une forte curiosité pour le projet de Didier (s'inscrire sur un site de rencontre). Il sourit en voyant que Didier prend de la distance avec cet outil, au point que ce sont Soazic et Régis (ensemble ou chacun dans son coin) qui s'approprient le projet et accompagnent Didier, pour être sûr qu'il aboutisse. Bien sûr, la confrontation avec la réalité va être cruelle et brutale.
Didier, avec l'aide de Soazic et Régis, va pouvoir mener son projet à bien. Dans le même temps, cette dynamique va initier d'autres changements inattendus. Malgré la douceur chaleureuse de la forme du récit et des illustrations, il est bien question du mal-être de plusieurs individus, d'avoir envie de faire quelque chose de sa vie, de désirer ce que l'on n'a pas et qui semble un dû au vu de ce qu'on a déjà accompli. Didier est contraint d'apprendre à se connaître en se mesurant à la réalité de son désir, ainsi qu'à ce qu'obtiennent les autres. De la même manière que le récit ne baigne pas dans le misérabilisme, il ne se complaît pas non plus dans l'amertume. Il y a ce que l'on veut, et ce dont on a besoin. L'effort fourni par Didier pour s'arracher à sa stase ne lui apporte pas ce qu'il avait escompté, mais il ne retourne pas au point de départ.
Il est difficile de résister au second degré contenu dans le titre de cet ouvrage, ainsi qu'à sa couverture faussement naïve (les petits cœurs dans le ciel). Il est impossible de ne pas succomber à la gentillesse de la narration, ainsi qu'à sa cruauté sous-jacente, à son regard sur un quotidien dont les spécificités chassent la banalité, dont les personnages apparaissent faciles et agréables à vivre, à la fois pour leurs qualités et pour leurs défauts.
Eh bien, voilà une série qui n'a pas volé son excellente réputation !
Un univers simple dans la forme mais riche dans le fond, des personnages attachants et murissant avec le récit, une aventure tout public mais qui arrive à traiter avec sérieux ses sujets lourds, des dessins magnifiques, un peuple à la culture très marquée, et un monde qui donne sincèrement envie d'être exploré. Il n'y a pas à dire, la recette est alléchante et le plat final réussi ! Une série culte, à n'en pas douter !
Le tout commence assez simplement, dans ce qui nous semble être le début d'une quête initiatique pour une jeune fille souhaitant plus que tout rejoindre l'ordre des Bergères Guerrières, une sorte de force armée exclusivement féminine fondée suite au départ des hommes du village partis il y a des années pour rejoindre la guerre. Mais voilà, cette simple histoire d'épanouissement et les rêves de gloire de notre héroïne, Molly, volent en éclat lorsqu'une terrible malebête décide d'attaquer leur village.
Le récit est vraiment prenant, mais je me garde de trop vous en dire, l'histoire mérite vraiment d'être découverte. Je vous dirais simplement que la série parle de guerre, de peur, de deuil, d'honneur et de magie. Les enfants mûrissent, la quête initiatique et épique prend rapidement des allures de tragédie, on craint pour nos personnages, le récit ne leur fait pas de cadeau et ici préparez-vous à ce que les actions aient des conséquences et que la bonté des gens ne suffise pas à leur assurer une fin heureuse.
Pas qu'elle ait besoin de moi pour aider à sa renommée, mais je conseille sincèrement la lecture de cette série.
Rien de plus effrayant que l'inconnu, rien de plus dangereux que l'ignorance.
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Ce tome comprend une histoire complète mettant en scène Francis Blake et Philip Mortimer. La première édition date de 2019. Il a été réalisé par François Schuiten (scénario, dessins et encrage), Jaco van Dormael (scénario, réalisateur et metteur en scène belge), Thomas Gunzig (scénario, écrivain belge francophone) et Laurent Durieux (couleur).
À l'intérieur de la pyramide de Kheops, au Caire en Égypte, Francis Blake et Philip Mortimer reprennent difficilement conscience. Ils ne se souviennent plus d'où ils se trouvent. Ils finissent par comprendre qu'ils se trouvent dans la Chambre du Roi de la pyramide. Quelques années plus tard, le professeur Mortimer pénètre dans la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles. Il y retrouve son ami Henri qui évoque le taux élevé du rayonnement électromagnétique. Henri emmène Mortimer au sous-sol et lui montre une pièce récemment mise à jour : le bureau de travail de Joseph Poelaert (1817-1879), l'architecte du Palais de Justice. Il l'emmène jusqu'au fond de la pièce où il lui montre des hiéroglyphes et une représentation du dieu Seth. À la surprise de Mortimer, Henri se saisit d'une masse et en frappe le mur. de la fissure s'échappe une puissante lumière. Henri passe par la faille, mais le mur s'écroule derrière lui, empêchant Mortimer de le suivre. Mortimer remonte le plus vite possible et sort du Palais de Justice. le rayonnement s'échappe du bâtiment et irradie toute la ville.
Trois semaines plus tard, Mortimer se réveille sur un lit d'hôpital où il est venu consulter à cause de terribles cauchemars dans lequel Seth lui apparaît. À l'extérieur, l'armée a commencé à évacuer les civils. Quelques temps plus tard, Mortimer retrouve Blake devant le Palais de Justice, autour duquel ont été élevés des échafaudages pour constituer une cage de Faraday afin de contenir le rayonnement. Des années plus tard, les bâtiments ont commencé à se dégrader et quelques animaux sauvages circulent dans la rue. Non loin du Palais de Justice, un groupe de personnes prépare un acte de destruction contre le bâtiment. Leur intervention a des conséquences néfastes et Philip Mortimer est contacté par Francis Blake pour une intervention de la dernière chance, en urgence. Mortimer doit se rendre à Bruxelles.
En 1996, paraît une nouvelle aventure de Blake & Mortimer, réalisée par Jean van Hamme & Ted Benoît, 9 ans après la mort de leur créateur Edgar P. Jacobs. Entretemps, Média Participations a fait l'acquisition des Éditions Blake & Mortimer, et Jean van Hamme a défini les règles à respecter pour les albums de la reprise : rester dans les années 1950 et ne pas poursuivre après Les 3 formules du Pr Sato. Lors de l'annonce de ce tome, l'éditeur a clairement indiqué qu'il s'agit d'un projet à part, qui ne s'inscrit pas dans le cadre établi. D'une part Blake et Mortimer ont vieilli car l'aventure se déroule après Les 3 formules du Pr Sato ; d'autre part François Schuiten ne s'en tient pas aux caractéristiques graphiques de la ligne claire d'EP Jacobs. Du coup l'horizon d'attente du lecteur s'en trouve plus incertain, car il a conscience qu'il ne va pas retrouver les spécificités bien établies pour la reprise de la série.
Avec la scène d'ouverture, l'amateur de Blake & Mortimer se retrouve en terrain connu, puisqu'il s'agit d'une scène tirée de Blake et Mortimer, tome 5 : le Mystère de la Grande Pyramide, Deuxième Partie (1955). Au fur et à mesure du récit, il retrouve les éléments classiques des personnages, ainsi que le ton de la narration, et le thème d'aventure. Il suit Mortimer (et un peu Blake) enquêtant sur un phénomène physique non théorisée scientifiquement, menaçant de causer des destructions à l'échelle planétaire, devant faire preuve de courage pour surmonter les obstacles tant physiques que scientifiques. Dans des interviews, Schuiten a indiqué qu'il a développé l'intrigue (avec Dormael et Gunzig) sur la base d'une idée présente dans les carnets de Jacobs. En termes de narration visuelle, le lecteur découvre une mise en couleurs très sophistiquée qui met en jeu des techniques autres que les simples aplats de couleurs. François Schuiten réalise des images d'une minutie exquise, évoquant les gravures du dix-neuvième siècle, et les illustrations de Gustave Doré, pas du tout dans un registre ligne claire.
Le lecteur entame ce tome et se sent tout de suite en terrain familier, qu'il soit lecteur de Blake & Mortimer, ou de Schuiten. Outre la base de l'intrigue empruntée à Jacobs, il suit le professeur Mortimer dans sa difficile progression dans Bruxelles, jusqu'à atteindre la source du rayonnement électromagnétique, pour essayer de sauver le monde, pendant que Blake essaye de limiter les dégâts probables d'une intervention armée sans finesse. Les auteurs font référence à quelques éléments de la mythologie de la série, soit évidents comme la Grande Pyramide, soit plus à destination des connaisseurs comme l'apparition d'une Méganeura. Pour autant, l'histoire reste intelligible et satisfaisante, même si le lecteur n'a jamais ouvert un album de Blake & Mortimer. de la même manière, le lecteur retrouve les caractéristiques des dessins de François Schuiten : une incroyable précision, des touches romanesques et romantiques, un amour de l'architecture. Il peut aussi apprécier la narration visuelle s'il ne connaît pas cet artiste, pour la qualité de ses descriptions, l'utilisation de cadrages (gros plan sur une main en train d'agir, posture des personnages en mouvement) et de plans de prise de vue directement empruntés à Jacobs. Le lecteur familier des albums originaux retrouve ces cases très déconcertantes où la cellule de texte décrit ce que montre l'image. Par exemple page onze, le texte indique : Mais déjà le marteau s'abat contre la surface de pierre. C'est exactement ce que montre la petite case, faisant s'interroger le lecteur sur l'intérêt de doublonner ainsi l'information, si ce n'est pour un hommage.
Arrivé à la fin de l'album, le lecteur a apprécié l'aventure, observé que Dormael, Gunzig et Schuiten ont imaginé un risque technologique de type anticipation plausible dans son concept, peu réaliste dans sa mise en œuvre, mais très cohérent avec les récits d'anticipation de Jacobs. Il a bénéficié d'une narration visuelle d'une grande richesse, respectant l'esprit un peu suranné des œuvres originelles, avec des techniques de dessins et de mise en couleurs différentes de celles d'Edgar P. Jacobs. Il en ressort un peu triste. le choix de situer l'histoire plus récemment amène à voir les personnages ayant vieilli, Mortimer indiquant qu'il est à la retraite. Ils ne sont pas diminués physiquement, mais leurs remarques contiennent une part de nostalgie, et de jugement de valeur négatif sur leur présent. Dans des interviews, Schuiten a déclaré qu'il souhaitait exprimer l'état d'esprit d'Edgar P. Jacobs qui se déclarait déconnecté de son époque à la fin de sa vie, ne comprenant plus le monde qui l'entourait. Cette sensation d'obsolescence de l'individu s'exprime en toile de fond, avec le jugement de valeur de Mortimer sur les conséquences du rayonnement électromagnétique, ramenant l'humanité dans un stade technologique qu'il estime plus humain.
S'il a suivi la carrière de François Schuiten, le lecteur détecte plusieurs références à d'autres de ses œuvres. L'échafaudage englobant le Palais de Justice évoque le réseau Robick de Les Cités obscures, Tome 2 : La fièvre d'Urbicande (1985). La locomotive est un modèle 12.004 de la SNCB, celui qui figure dans La Douce (2012). le Palais de Justice de Bruxelles joue déjà un rôle central dans Les Cités obscures, Tome 6 : Brüsel (1992), et son architecte Joseph Poelaert y est évoqué. Le thème du temps qui passe, du décalage avec l'époque présente entre en résonance avec ces évocations d'une longue carrière, constituant un regard en arrière. Avec cette idée en tête, le lecteur considère d'une autre manière les références à la culture de l'Égypte antique, à la très ancienne confrérie évoquée par Henri, aux transformations induites par la technologie sur la société humaine. Dans cette optique, l'essaim de scarabées libéré par Bastet s'apparente à une plaie d'Égypte, une condamnation divine. Les cauchemars de Mortimer deviennent des signaux émanant du passé. L'utilisation d'un pigeon voyageur (Wittekop) pour communiquer est un symbole d'une communication indépendante de la technologie de pointe. Mortimer fait confiance aux chats pour le guider car l'instinct des animaux les pousse à éviter ce qui pourrait leur faire du mal : à nouveau la sagesse ne vient pas de la technologie, mais de la nature. Les soins prodigués par Lisa relèvent d'une forme de médecine alternative qui devient un savoir thérapeutique héritée de la sagesse ancienne, et plus efficace que les cachets et les pilules. Le fait que Mortimer se retrouve devant des statues égyptiennes sens dessus dessous finit par évoquer que c'est le monde moderne qui marche sur la tête. La nostalgie d'un monde plus simple, plus maîtrisé submerge alors le lecteur. Très habilement, deux personnages évoquent le syndrome chinois : hypothèse selon laquelle le matériel en fusion d'un réacteur nucléaire situé en Amérique du Nord pourrait traverser la croûte terrestre et progresser jusqu'en Chine. Là encore le lecteur peut y voir une angoisse d'applications scientifiques non maîtrisées, et qui en plus ne date pas d'hier.
En ouvrant ce tome, le lecteur sait qu'il s'agit d'un album de Blake & Mortimer qui sort de l'ordinaire, à la fois parce que les personnages principaux ont vieilli, à la fois parce que l'artiste a bénéficié de plus de libertés créatrices que les autres équipes ayant repris la série. Il plonge dans une bande dessinée d'une rare intensité, non pas parce que la narration est dense ou l'intrigue labyrinthique, mais parce qu'il s'agit d'un projet ayant mûri pendant quatre ans de durée de réalisation, parce que les phrases prononcées par les personnages portent en elles des échos des préoccupations des auteurs, parce que la narration visuelle est d'une grande beauté plastique et d'une grande minutie, parce que la mise en couleurs semble avoir été réalisée par la même personne que les dessins. En refermant cet album, le lecteur reste sous le charme de ce récit pendant de longs moments, touché par une œuvre d'auteur jetant un regard d'incompréhension sur le monde qui l'entoure, comme s'il s'était trouvé dépassé par la modernité, finissant déconnecté de son époque.
Ouh ! La pépite ! Houla la grosse affaire que voilà ! Alors là, je vais être sans retenue et sans réserve, ainsi que bref : cette BD est un chef d’œuvre.
Pourquoi ? Parce que le dessin est merveilleux et qu'il parvient à tout dire et à tout exprimer, de la beauté des paysages au curriculum historique comme psychologique des personnages. Je découvre le trait de Glen Chapron qui se fait ici charbonneux (c’est une première apparemment), aussi fumant que les cendres d’un feu de camp après la nuit. Tout est splendide, et les ambiances sont fortes, particulièrement les scènes de nuit dont l’auteur parvient à rendre toute l’intimité créée avec la nature par cette vie sauvage. Il y a de très belles planches, muettes mais emplies du bruit de la cascade ou de l’hululement de la chouette dans la nuit profonde.
Le scénario sur lequel Chapron vient s’appuyer n’est pas en reste. Ce western est une histoire de femmes fortes et ça nous change carrément des vieilles rengaines. La fin est belle et ouverte. Je l’ai lue deux fois de suite, chose rare. Le gros chef d’œuvre de ce début d’année en ce qui me concerne !
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Les Bijoux de la Kardashian
Comment elle gagne sa vie déjà ? - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première parution date de 2019. Le récit a été écrit par François Vignolle et Julien Dumond, il a été dessiné, encré et mis en couleurs par Grégory Mardon. Cet ouvrage comprend 144 pages de bandes dessinées. Au Raincy, dans la banlieue nord de Paris, Yanis Habbache est en train de réparer un faux contact dans le moteur d'une voiture stationnée dans la rue. Son fils sort de l'immeuble et lui suggère de laisser tomber, car il juge la voiture bonne pour la casse. Le 28 septembre 2016, un jet privé atterrit à l'aéroport du Bourget. Il en descend Kim Kardashian, accompagnée par Simone son amie styliste, et escortée par son garde du corps. Les photographes la mitraillent depuis l'autre côté du grillage. Bien installée sur la banquette arrière d'une limousine, Kim Kardashian commence à twitter pour informer ses fans : elle est arrivée à Paris, une ville si romantique. Rue de Bretagne dans le troisième arrondissement, Aomar Ait Kacem pénètre dans le café Le Paparazzi. Il parle affaires avec le barman. Ce dernier lui montre une vidéo sur son portable : Vitali Sediuk un ancien journaliste de la télé ukrainienne s'est approché de Kardashian plaçant sa tête à côté de son postérieur. Il a rapidement été maîtrisé par le garde du corps de Kardashian. Aomar Ait Kacem (dit Le Vieux) indique au barman qu'il ne lui reste plus qu'à convaincre un vieil ami et il pourra accomplir le coup : cueillir Cendrillon. Le lendemain, Kim Kardashian participe au défilé Balmain à l'Hôtel Potocki. Elle y croise Carla Bruni. Les photographes n'arrêtent pas de la mitrailler. Son compte Twitter s'affole. Le dimanche 2 octobre 2016, Yanis Habbache remonte dans son appartement, et informe sa femme qu'il a fini le boulot sur la voiture : ça devrait lui rapporter 50 euros. On frappe à la porte : c'est Aomar Ait Kacem qui vient lui rendre visite. La femme de Yanis lui fait les gros yeux, pas contente de cette visite. Habbache vient lui proposer de participer à un gros coup. Aomar Ait Kacem lui indique qu'il va bientôt se faire opérer du cœur, et qu'il faut que ce soit un coup tranquille. Il en obtient l'assurance d'Habbache. Pendant la Fashion Week, Kim Kardashian est de tous les défilés, embrasant tous les réseaux sociaux : Twitter, Instagram, Snapchat. Enfin, le dimanche soir, elle va pouvoir passer une nuit tranquille, seule dans sa suite. À 02h10, trois clampins en blouson noir, avec un brassard Police et le visage masqué se présentent à la réception de l'hôtel No Adress, braquent le réceptionniste et se font ouvrir les portes. En face ce de la première page de bande dessinée, les auteurs indiquent qu'ils ont eu accès au dossier de l'enquête judiciaire et qu'ils ont rencontré plusieurs protagonistes de l'affaire. Pour autant certaines scènes relèvent de la fiction. Les faits sont simples : le 03 octobre 2016, Kim Kardashian se fait braquer dans sa suite de l'hôtel Pourtalès (dans le huitième arrondissement) et est victime d'un vol de bijoux pour un montant d'environ 10 millions d'euros. Le 09 janvier 2017, la police arrête les auteurs présumés du vol qui devraient être jugés en 2020. Au fil du récit, le lecteur fait connaissance avec 2 des braqueurs (Yanis Habbache, Aomar Ait Kacem, dont les noms ont été changés du fait que le procès n'ait pas encore eu lieu). Il se retrouve aux côtés de Kim Kardashian quand elle descend de son jet privé, dans sa suite à l'hôtel, chez elle à Los Angeles. Il participe aux investigations des principaux inspecteurs de police, Anton Molko, Justine Paquej et Loïc Libra dont les noms ont également été changés. La lecture donne une impression de reportage, comme si les auteurs avaient pu être présents dans les moments clé, avec un choix de séquences et un montage intelligents, sans donner dans le sensationnalisme. Grégory Mardon réalise des planches en phase avec cette approche. Ses dessins se situent entre des instantanés pris sur le vif (la coiffure d'Anton Molko) et des représentations avec une bonne densité descriptive pour que le lecteur puisse voir chaque lieu (rue du Raincy, intérieur de l'hôtel Potocki, appartement modeste d'Aomar Ait Kacem, suite luxueuse de l'hôtel Pourtalès, bureaux de la Brigade de Répression du Banditisme (BRB), quartier de Créteil, rue du dix-neuvième arrondissement, cellule du centre de détention de Fresnes. Les auteurs ont pris le parti d'effectuer une reconstitution naturaliste, sans exagération spectaculaire ou racoleuse. Les personnages ne sont pas représentés de manière romantique, ni embellis. Le lecteur peut voir les marques de l'âge sur les braqueurs. Grégory Mardon n'en rajoute pas sur la plastique de Kim Kardashian, simplifiant ses traits de visage, en marquant essentiellement ses grands yeux et ses lèvres charnues. Lors du braquage dans sa chambre, il ne la transforme pas en objet du désir même si elle ne porte qu'une robe de chambre, montrant plutôt sa vulnérabilité face aux voleurs qui eux -mêmes ne prêtent pas attention à son corps. Bien que le métier de cette personne soit de mettre en scène sa vie pour rentabiliser sa personne et son style de vie en tant que produit, elle apparaît comme un être humain, avec sa vulnérabilité, sans rien occulter de son mode de vie. Le talent de l'artiste va plus loin qu'humaniser une personne ayant un talent extraordinaire pour façonner son image, il sait faire exister sur le même plan, deux niveaux de vie séparés à l'extrême, de la banlieue ordinaire et banale, aux palaces des défilés de mode et aux fastes de la Fashion Week. Ainsi le récit est ancré dans le réel, sans misérabilisme pour le regard jeté sur les quartiers populaires, sans étoiles dans les yeux en regardant les signes ostentatoires de richesse, les paillettes et le luxe Les coscénaristes ont construit leur récit sur la base de séquences qui se focalisent sur les faits : le lieu de vie d'Aomar Ait Kacem, les prises de contact de Yanis Habbache, l'arrivée de Kim Kardashian à Paris, le braquage et la fuite (20 pages), l'arrivée de la police, la déclaration de la victime, les différentes phases de l'enquête. Pourtant le lecteur ressent des émotions, perçoit que les auteurs ne se contentent pas d'être factuels. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte que ces émotions sont essentiellement générées par les dessins. En effet il perçoit la concentration du garde du corps dans son visage fermé et tendu, l'indifférence blasée de Yanis Habbache faisant affaire avec le barman (étrange qu'il puisse fumer dans un café), les sourires professionnels de façade des people aux défilés, l'hostilité de la compagne de Kacem en voyant arriver Habbache, la terreur de Kim Kardashian se retrouvant à la merci d'individus cagoulés et armés, le calme né de l'expérience d'Anton Molko quand il prend connaissance des faits. De temps à autre, Grégory Mardon accentue une expression de visage pour marquer l'intensité de l'émotion, par exemple quand Anton Molko se rend compte que tout le monde donne son avis sur le braquage, sur les réseaux sociaux (Karl Lagerfeld, Mathieu Kassovitz). Il s'agit donc d'une histoire incarnée, où interagissent des individus adultes habités par des convictions et des valeurs. Le lecteur se demande bien quel parti pris vont adopter les auteurs pour raconter leur histoire : plutôt défense de la victime, ou plutôt Robin des Bois ? Voire moqueur en jouant sur le décalage sur la vie de célébrité de Kim Kardashian et le braquage effectué par des individus du troisième âge se déplaçant à bicyclette ? Bien sûr ce décalage est mis en scène : l'appartement modeste d'Aomar Ait Kacem contraste avec le luxe de la suite de Kim Kardashian, le déplacement à vélo avec gilet jaune est aux antipodes des déplacements en jet privé, les 50 euros de réparation à rapporter aux revenus de Kim Kardashian. Mais le récit ne vire pas à la dénonciation, à la critique sociale. Le style de vie de Kim Kardashian n'est montré comme enviable, ou comme un statut social à atteindre ; le style de vie de Kacem et Habbache n'est pas paré d'un vernis romantique, ni pointé du doigt. Kim Kardashian aspire à un moment de détente, à arrêter d'être en représentation pour une soirée ; les braqueurs ont déjà fait de la tôle, y passant plusieurs années de leur vie. Les auteurs ne se rangent donc ni du côté de Karl Lagerfeld réconfortant la star, ni de Mathieu Kassovitz voyant là un acte symbolique de revanche du peuple contre une profiteuse vaniteuse de la société du spectacle. Ils ne cherchent pas non plus à présenter une version originale ou différente de l'enquête, encore moins conspirationniste (ce braquage aurait été mis en scène comme tout le reste de la vie de Kim Kardashian…). Mais quand même… Au travers de cette reconstitution un peu romancée, le lecteur touche du doigt le spectacle factice monté de toutes pièces de la vie de Kim Kardashian, une sorte de quart d'heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol (1928-1987), étiré à l'échelle d'une vie dans une société du spectacle théorisée par Guy Debord (1931-1994). Il contemple l'inégalité de la répartition des richesses. Il assiste à l'efficacité de la police dans son enquête, sans diabolisation (pas de sous-entendu sur un outil d'oppression), sans non plus d'angélisme sur ce corps de métier. Dans le même temps, cette bande dessinée retrace un fait divers, sous l'angle d'un fait de société en faisant apparaître les différentes composantes, les différents angles de vue pour le considérer, rendant compte d'une réalité complexe, habitée par des êtres humains complexes et divers, où la vie d'une célébrité se mettant en scène croise celle de banlieusards du troisième âge. François Vignolle, Julien Dumond et Grégory Mardon reconstituent le déroulement d'un fait divers sortant de l'ordinaire : le braquage d'une célébrité mondiale par un groupe de prolétaires âgés. Ils jouent le jeu du reportage objectif, trouvant le juste équilibre entre braqueurs et victimes, sans parti pris affiché pour les uns ou contre les autres. Le lecteur voit alors apparaître une radiographie partielle de la société sous un angle original et révélateur.
Boule à zéro
Purée ! Mais non !!?? La BD Boule à Zéro est taxée de racisme me dit-on ! C'est pas possible !! 1 -Une BD bienveillante et pleine de tendresse. Ça c'est du racisme ! 2 - De l'empathie et de l'émotion tout au long des albums. Ça c'est du racisme ! 3 - De l’humour et de l'espoir pour des enfants atteints de maladies graves. Ça c'est du racisme ! 4 - De l’humanisme, de la chaleur, de la générosité et du cœur. Ça c'est du racisme ! 5 - De la résilience et du courage face à la souffrance. Ça c'est du racisme ! 6 - Un dessin tout en rondeurs et des personnages attendrissants de toutes les couleurs -même verts - et de caractère bien affirmé. Ah?! Un personnage est vert parce qu'il est malade ? Ouf ! J'ai cru à un moment que des petits hommes verts allaient eux aussi nous lancer une pétition. Ça c'est du racisme ! 7 - Des auteurs généreux et mobilisés à 1000% en faveur des enfants malades. Ça c'est du racisme ! 8 - Un éditeur engagé qui à offert des milliers d'exemplaires aux enfants hospitalisés. Ça c'est du racisme ! Oui, c'est bon là... Stop On a compris !! Bref quelles que soient les raisons pour lesquelles cette BD est raciste, et je ne doute pas qu'il en existe beaucoup d'autres que celles que je viens de mentionner, je continuerai à dévorer cette pépite qui fait œuvre d'Amour et de fraternité avec un CŒUR GROS COMME ÇA.
L'Arleri
Le plus beau rôle : la muse. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2008. Il a été entièrement réalisé par Edmond Baudouin, auteur de bandes dessinées depuis 1980. Dans le studio du peintre Paul, une modèle est en train de poser nue, debout les bras croisés derrière la tête, pendant qu'il est en train de la peindre. La modèle (la muse) lui fait observer qu'il est vieux. Elle lui demande son âge. Il lui répond qu'elle lui fait penser à sa mère. Il lui propose de faire une pause et de prendre un thé. Elle revêt une robe rouge et lui demande quel est son plus ancien souvenir. Il répond qu'une fois il a été chassé du paradis, mais qu'il ne se souvient plus de ce jour. La muse étant étonnée, il clarifie son propos : il parle de son expulsion du ventre de sa mère, du fait que l'invention du Paradis correspond à la nostalgie du temps avant la naissance. Il continue en indiquant qu'il a passé sa vie à retourner le plus souvent possible dans les femmes, avec ses faibles moyens. Mais cette quête lui a surtout appris à mesurer la distance qui sépare l'homme de la femme. Paul continue d'évoquer son apprentissage des différences entre les hommes et les femmes. Il se rappelle qu'à la cour d'école, les garçons étaient déjà dans une sorte de compétition, pour pisser le plus loin, sauter le plus haut, courir le plus vite, oser dire les mots les plus cochons, etc. Au contraire, les petites filles se livraient à des jeux dont la compétition était exclue. Pour lui, c'est lié au fait qu'elles avaient déjà la conviction inconsciente qu'elles pourraient continuer le monde avec leur ventre, ce qui les rend sereines. Il ajoute que cette course des garçons à inventer des compensations fait l'Histoire. Elle lui demande de lui raconter l'histoire. Il accepte, mais elle doit recommencer à poser. Il énumère la liste de toutes les activités de compensation que les hommes entreprennent : maîtriser, dominer ordonner, créer, posséder, civiliser, construire, détruire, faire à son image. Il parle ensuite de ses 14 ans, quand il réparait sa mobylette en vue d'une course avec un copain, et que Julie est passée devant lui, dans une robe rose, sans lui adresser la parole comme à son habitude. Il n'a pas pu s'empêcher de lui dire qu'elle n'était même pas belle. Ce à quoi elle a répondu que son opinion est le dernier de ses soucis. Tout d'un coup, sa mobylette avait perdu tout intérêt pour lui. Cette bande dessinée s'apparente donc à un long discours sur la nature des différences entre les hommes et les femmes, tenu par un homme ayant essayé de comprendre ces différences, de mesurer la distance séparant les 2 genres et de bâtir un pont par-dessus ce gouffre. D'une certaine manière, il est possible de considérer cet ouvrage comme un essai sur ce thème, avec le discours de ce vieil homme disposant d'une longue expérience et s'étant livré lui-même à cette quête, avec quelques questions de sa muse pour qu'il éclaircisse un point de son argumentation. Le lecteur découvre des pages avec une densité importante de mots, sans qu'ils ne mangent les images, sans qu'ils ne donnent l'impression d'une lecture pesante ou fastidieuse. La prose de l'auteur est claire et simple, offrant une lecture agréable et légère. Ce roman graphique s'apparente donc une œuvre entre psychologie et philosophie. Baudoin indique rapidement que pour lui les différences homme/femme proviennent d'une différence unique : la capacité de la femme de donner la vie, d'enfanter, chose qui reste inatteignable pour l'homme. Il évoque cette conviction dès la page 7. Elle revient régulièrement tout au long des 100 pages de BD, et il la reprend dans sa conclusion en page 97. Pour autant, Edmond Baudoin ne se contente pas de dérouler un texte tout ficelé en le collant dans des phylactères accolés à des têtes en train de parler. Plusieurs surprises attendent le lecteur à commencer par une suppression du quatrième mur, et la muse n'est pas une simple potiche, une chambre d'écho ou un artifice narratif. De la même manière, le déroulé du raisonnement de l'auteur ne se limite pas à un exposé théorique. Quand Paul se met à raconter l'histoire, il raconte la sienne, son histoire avec les femmes. Il évoque ainsi son premier amour, sa première relation sexuelle, les autres femmes, la mère de ses enfants, etc. Baudoin évoque la manière dont Paul se heurte à la réalité, comment chaque rencontre avec une femme l'oblige à revoir ses préjugés, à prendre conscience de la fausseté de ses représentations. Cela commence doucement avec la réalité basique de la différence des jeux entre filles et garçons dans la cour d'école. Cela continue avec des considérations plus sociologiques comme les caractéristiques discriminantes des sociétés patriarcales vis-à-vis des femmes, l'évolution de la représentation des pénis durs de façon imagée avec les pistolets dans les films, la différence entre amour et sexe, la dissociation entre amour et fidélité, l'impossibilité de posséder une femme, les différences de comportement post-coïtal, etc. L'auteur n'hésite pas à aborder les questions de manière frontale, avec des termes explicites, mais sans vulgarité, ni grivoiserie. Il s'interroge honnêtement sur ses idées préconçues, les femmes lui indiquant leur façon de penser. En fonction de son expérience personnelle, le lecteur se reconnaît dans certaines façons de penser, dans certaines remarques, dans le décalage entre ses attentes et la réalité, qu'il soit homme ou femme. Il apprécie la délicatesse, la franchise et la retenue de l'auteur, y compris du point de vue visuel. L'exposé et le fil de vie de Paul abordent sa relation avec les femmes, à chaque fois à partir de son désir sexuel et des relations qui s'en suivent. Edmond Baudoin ne se montre pas hypocrite et représente donc les corps dénudés. Pour autant, il ne s'agit pas d'un ouvrage pornographique (aucun gros plan anatomique ou de pénétration), ni même d'un ouvrage érotique magnifiant une représentation descriptive du corps féminin (ou parfois masculin), encore moins d'un manuel passant en revue les positions. La muse apparaît nue de face dès la première page, sa silhouette détourée d'un trait dont l'épaisseur varie, avec quelques courts traits noirs pour évoquer la toison pubienne, et juste un gros point noir pour le téton gauche. L'artiste s'amuse à reprendre cette représentation simplifiée en page 3, dans un cadrage de la toile du peintre débutant juste en dessous du cou et s'arrêtant à mi-cuisse, avec à nouveau ces quelques tâches noires pour la toison pubienne et les mamelons. Il n'y a pas d'érotisme à proprement parler, mais plus une impression poétique. Ce phénomène se répète en page 9 quand le corps allongé de la muse se dédouble dans cette nouvelle pose, indiquant sa silhouette physique et le début d'interprétation qu'en fait le peintre. De même quand Julie retire son teeshirt sur le lit de Paul adolescent, elle est de trois-quarts de dos, et son torse est détouré d'un trait rouge orangé, sans précision photographique. Baudoin varie sa technique de représentation en fonction de la nature de la scène, de l'état d'esprit des personnages, de la tension sexuelle, de l'attente. Il applique les mêmes modalités de représentation au corps masculin dénudé. S'il n'y est pas sensible ou attentif, il faut un peu de temps pour que le lecteur prenne pleinement conscience de la subtilité de la narration de visuelle. Il ne s'agit pas d'un simple tête-à-tête entre la muse et l'artiste dans son atelier, car lorsque Paul évoque ses souvenirs, ils sont représentés dans les cases, les images montrant le lieu et les personnes évoquées. Edmond Baudoin choisit sa technique de représentation en fonction de la nature de la scène. Il peut détourer les formes avec un trait encré, ou un trait de contour réalisé au pinceau avec une couleur noir, comme il peut passer en mode aquarelle sans trait de contour, parfois même de simples tâches de couleurs pour évoquer la forme d'une tête et de sa chevelure, sans traits de visage. En page 29, le lecteur a la surprise de découvrir une photographie des berges de Seine à Paris, intégrée en l'état, technique utilisée de manière sporadique, la photographie étant parfois retouchée à l'encre ou à la couleur. L'artiste ne s'aventure pas sur le terrain de l'abstraction ou de l'art conceptuel, mais il n'hésite pas à passer en mode impressionniste ou expressionniste quand il souhaite s'exprimer de cette façon. Il ne s'agit pas pour lui d'apporter de la variété au gré de sa fantaisie, mais bien d'exprimer des ressentis en mettant différentes techniques au service de sa narration visuelle. Au fil des pages, le lecteur ressent pleinement cette adéquation entre flux du discours ou des dialogues et caractéristiques visuelles de la séquence. Il perçoit la fibre émotionnelle, l'affect accompagnant les propos. Edmond Baudoin joue également sur la mise en page pour faire fluctuer le rythme, insérant quelques dessins en pleine page, des images juxtaposées sans bordure, même si la majeure partie du temps il s'en tient à des cases rectangulaires avec bordure, sagement alignées en bande. Le lecteur prend donc grand plaisir à découvrir la vision personnelle de l'auteur sur la différence entre femme et homme. Il constate que la différence de la capacité à donner la vie constitue une caractéristique qui éclaire les différences de comportement à la fois sur le plan sexuel et sur le plan du genre. Ce discours aborde également la question de la différence entre amour affectif et amour physique, ainsi que la question de la fidélité. Il se termine avec une ouverture en forme de rapprochement entre l'amour et la peinture, une façon d'être attentif à l'autre et d'être présent, et sur une profession de foi quant à la nature de la vie, la manière de vivre en sachant que la mort suit l'individu toujours à trois pas derrière. Cette bande dessinée est à la fois une thèse sur l'essence de la différence entre les hommes et les femmes, une biographie vue à partir des relations amoureuses, une narration visuelle d'une sophistication et d'une richesse aussi discrètes que justes, une façon d'envisager la vie aussi personnelle qu'attentive à l'autre. En considérant les avancées sociales gagnées par les femmes, l'auteur ne peut constater que l'homme n'est toujours en mesure d'enfanter. Citation : Les plus grands poèmes sur la liberté ont été écrits par des humains privés de liberté. Les hommes ont écrit les beaux poèmes sur l'amour. Est-ce parce qu'ils en sont interdits ? Parce qu'ils le magnifient pour qu'il soit impossible à atteindre ? Toujours ailleurs, dans le paradis perdu du ventre de leur mère.
Revoir Comanche
Bon, je ne vais pas trop m'étaler, tout à déjà été dit ou presque, et puis : 5/5 + coup de cœur, tout le monde aura compris ce que je pense de la BD. A priori, j'étais pourtant un peu sceptique au départ, quel rapport, me disais je, entre Hermann et romain Renard ? Ou entre Commanche / Red Dust et Melville ?, pour le dire autrement. Sauf que, rien à dire, c'est vraiment de la belle ouvrage. C'est fin, bien amené, et, même les aspects un peu 'attendus' (comme l'acmé finale, une fois arrivés au ranch) passent très bien. On retrouve notre Red Dust, vieilli, et gris comme le dessin qui lui redonne vie, symbole d'un monde qui disparaît (ou a déjà disparu). L'opposition avec l'autre protagoniste, une jeune femme enceinte, cette opposition est donc poussée au maximum, leur sexe, leur âge, leur trajectoire personnelle, lui donne la mort quand elle donne la vie, bref, difficile de pousser plus loin le ressort antagoniste, et pourtant, une réelle affection, un profond respect mutuel, une forme de compréhension réciproque intime va naître progressivement entre ces deux là, que tout opposait au départ. Une fois encore, on pourrait critiquer, et dire que l'on s'y attend, rapidement, pour ne pas dire dès le départ, mais, c'est tellement bien construit, qu'on marche à fond. Enfin, bien sûr, impossible de ne pas dire un mot sur le dessin, vraiment envoutant, qui met en valeur cette nature à la fois belle et presque aussi menaçante que la nature humaine, par moments. Je pourrais dire un mot du superbe travail sur les angles de vue aussi, qui fait de romain Renard, un véritable metteur en scène. On se prend d'ailleurs à imaginer une adaptation cinématographique d'une telle œuvre, avec, imaginons, un Eastwood derrière la caméra (puisqu'on parlait de vieux messieurs symboles d'une époque qui passe...), le scénario lui irait très bien en tout cas, bref, on se plaît à évoluer, et à rester dans cet univers. Une grande et belle BD, vraiment.
L'Échappée
Contentement / désappointement / insatisfaction - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, qui présente la particularité d'être dénuée de mot, ni dialogue, ni récitatif. Cette histoire a été publiée pour la première fois en 2015, écrite, dessinée et encrée par Grégory Mardon, qui a également réalisé la mise en couleur. Le soleil se lève sur une grande mégapole qui ressemble fortement à New York. Un homme marié, père de 2 enfants, prend son petit déjeuner dans la cuisine inondée de soleil, avec eux. Il a le regard dans le vide. Les enfants mangent, son épouse s'affaire autour de la table en téléphonant. Elle lui touche l'épaule pour le faire redescendre sur Terre. Il regarde l'heure se rend compte qu'il faut qu'il y aille. Il enfile sa veste, les parents et les enfants prennent l'ascenseur et se séparent sur le trottoir. L'homme fait l'effort de s'éloigner de l'entrée de l'immeuble et de s'insérer dans le flux ininterrompu de piétons. Il éprouve une conscience aigüe de la hauteur des gratte-ciels, du flux de piétons sur le trottoir, du flux de voitures sur la chaussée. Il prend de l'argent au distributeur automatique, donne quelques pièces au sans abri assis à côté, prend un journal au kiosque du coin de la rue, commence à lire le journal en marchant. Il attend sur un quai de métro bondé. Il lit son journal tant bien que mal dans la rame elle aussi bondée. Au fil des articles, l'homme lit des informations sur un homme politique faisant un discours devant une foule, une manifestation militante, une émeute, l'intervention de forces de l'ordre casquées et armées, une guerre, des victimes civiles, le recours à des bombardements, une pub, la pollution industrielle atmosphérique, un cyclone dévastateur, une pub, l'exploitation des ressources fossiles, une exécution par des fanatiques, une pub, le déversement de d'ordures ménagères en décharge, la pollution industrielle atmosphérique, la pollution des eaux, l'immense trafic routier sans fin, la surconsommation, la violence, l'omniprésence des marques, etc. Il sort du métro, rentre dans un gratte-ciel, prend un dossier que lui tend une secrétaire, s'installe à son bureau d'architecte, passe en revue des plans, des projets, se rend sur un chantier, retourne au bureau jusqu'à tard le soir, passe au club de gym, rentre chez lui, embrasse ses enfants, sort au restaurant puis au spectacle avec sa femme. Ils sortent dans un club branché ensuite, et rentrent enfin chez eux. Il perd une dent en se les brossant avant d'aller se coucher. La nuit, il n'arrive pas à dormir. Le lendemain, un mauvais geste fait que son portefeuille tombe dans un avaloir. Il se met à pleuvoir. Quand il se remet en marche vers son bureau, il éprouve la sensation de ne plus faire partie des gens autour de lui. Au bout d'une rue, il aperçoit l'océan. En commençant cette bande dessinée, l'horizon d'attente du lecteur se trouve déjà conditionné par 2 paramètres : cet ouvré est publié par Futuropolis, maison d'édition réputée pour son ambition, et il s'agit d'une bande dessinée sans un seul mot, ni dialogue, ni didascalie, ni cartouche de texte. Il voit que cette histoire se déroule sur 220 pages ce qui est rassurant car d'expérience il faut beaucoup plus de cases quand une bande dessinée se prive de l'interaction entre image et texte. Ensuite, le titre (le seul texte : un substantif avec son article) annonce le thème et les premières pages explicitent qu'il s'agit de l'échappée d'un homme du milieu dans lequel il vit. La prise de contact avec la narration qui est donc 100% visuelle se fait avec la couverture : une image d'une grande expressivité, un homme sortant du flux d'individus pressés et qui a déjà commencé son chemin dans un territoire vierge, ici incarné par le blanc de la page. Le lecteur peut déjà observer une première caractéristique étonnante des dessins de Grégory Mardon pour cet ouvrage : les personnages semblent à la fois avoir été représentés rapidement, dégageant une impression de spontanéité, et à la fois ils présentent des particularités les rendant tous singuliers. Ce trait en apparence rapide et souple apporte une vie à chaque individu qu'il soit un premier rôle, un second rôle ou un simple figurant. La simplification du contour des personnages et des traits de leur visage facilite la projection du lecteur en eux, et les rend plus expressifs. Cette histoire repose autant sur une intrigue (Dans quel endroit arrive l'homme ? Que va-t-il y découvrir ? Par qui et comment sera-t-il accueilli ?) que sur un suspense psychologique (trouvera-t-il un ce qu'il cherche ? Un ailleurs où il peut s'épanouir ?). Tout du long de ces pages, le lecteur perçoit pleinement l'état d'esprit de l'homme quelle que soit la nature de l'émotion qui l'habite : légère hébétude née du ronron anesthésiant et bruit du quotidien, impassibilité pendant la descente en ascenseur avec des inconnus, sourire de circonstance pour dire au revoir aux enfants à l'école, assurance professionnelle sur le chantier, énervement lors de la perte de sa carte bleue, ténacité lors de la lutte contre les ronces, hébétude souriante dans le village parfait, rage animale dans la jungle, etc. Alors même que l'homme n'exprime jamais en mot les ressentis qu'il éprouve et les réflexions qu'il effectue en réaction aux événements, à sa situation, à ce qu'il observe, le lecteur peut suivre le cheminement de sa pensée. Grâce à une narration visuelle élégante et sophistiquée, le lecteur voit l'homme réfléchir, peut même reconstituer des processus mentaux complexes. Afin de s'assurer d'une lecture active, l'auteur met en œuvre un procédé osé à partir de la page 13 pendant une quinzaine de pages. Précédemment, la logique de la succession des cases procède d'un lien de cause à effet directe, essentiellement sur une base chronologique, un moment succédant à un autre, le lecteur n'ayant qu'un effort minimal à fournir pour faire le lien : par exemple l'homme et sa famille dans l'ascenseur suivi par la famille dehors sur le pas de porte de l'immeuble. À partir de la page 13, le lecteur se retrouve devant des images accolées : d'abord 6 pages en 3 lignes de 2, puis à raison de 9 par pages à partir de la page 25, puis 12 par pages à partir de la page 26, puis 24 par pages à partir de la page 28. Le lecteur doit s'investir un peu plus dans sa lecture pour comprendre qu'il s'agit des thèmes évoqués dans le journal lu par l'homme dans les transports en commun, puis d'une forme d'association d'idées automatique. La narration a insensiblement basculé dans un autre domaine : d'une forme de reportage naturaliste, vers un domaine conceptuel où la juxtaposition d'images en nombre croissant rend compte d'une surabondance, d'une sollicitation sans fin de l'attention de l'individu par des images choisies ou fabriquées par une société dont les médias renvoient une image de violence (conflits de nature diverses) et de surconsommation (publicités sans fin à l'inventivité infinie avec le seul but de provoquer la consommation de l'individu). Le lecteur se retrouve devant le constat de l'hypermodernité (une abondance sans fin), d'un flux incontrôlable toujours plus rapide (que ce soit le flux de piétons, le flux d'informations, le flux de produits créés uniquement pour déclencher l'impulsion d'achats, le flux d'images ou de concepts créés dans le seul but de stimuler les centres du plaisir). Après ces 16 pages, le lecteur a conscience qu'il ne découvre pas seulement un exercice de style (narration exclusivement visuelle), une étude de caractère (la prise de conscience d'un homme quant à son ressenti sur la vie qu'il mène), mais aussi une réflexion philosophique sur la réalité des forces motrices de la société moderne. Ce passage change complètement le ressenti du lecteur sur l'ouvrage, avec le constat de sa dimension philosophique. Pour autant, le lecteur continue d'apprécier l'histoire au premier degré. Grégory Mardon ne sacrifie en rien la minutie de la narration visuelle par la suite. Il continue de donner vie aux êtres humains (et aux animaux dans la dernière partie) avec une élégance épatante. Il continue de décrire les environnements dans le détail : une belle vue de dessus du salon cuisine de la famille de l'homme, une vision très juste du flux de piétons et de voitures dans la rue, l'étonnant assemblage des personnes en train d'attendre sagement et de manière disciplinée sur un quai de métro, des tapis de course dans une salle de sport en étage, les ronds dans l'eau générés par les gouttes de pluie, les transats alignés sur le pont supérieur d'un paquebot, la forme des vagues dans un océan déchaîné, la granulosité de falaises infranchissables, la répartition des petites maisons dans un village à flanc de colline, la luxuriance de la flore dans la jungle. Grâce aux détails, chaque lieu est unique et devient tangible et plausible. La lecture s'avère d'une facilité épatante : les pages se tournent rapidement et le lecteur éprouve la sensation de progresser à bonne vitesse dans le récit, sans s'ennuyer, sans avoir l'impression qu'il doit passer plus de temps sur les pages, sans que le récit ne se déroule trop vite, sans qu'il sente que la fin arrive de manière précipitée. S'il y prête attention, le lecteur observe que Grégory Mardon met en œuvre un vocabulaire et une grammaire visuelle étendus, sans pour autant être démonstratif. Dans un récit où ce qu'observe le personnage principal revêt une importance capitale, l'artiste réalise 19 dessins en pleine page. Le lecteur les perçoit à la fois comme l'importance que l'homme accorde à ce paysage ou ce spectacle, à la fois comme une invitation à prendre lui aussi ce temps, à la fois comme une petite respiration entre 2 pages de suite de cases. Il y a également 7 dessins en double page, à nouveau une indication de l'importance primordiale de ce moment pour le récit, à la fois un spectacle méritant qu'on lui consacre 2 pages. En termes de composition de pages, Mardon peut passer d'un dessin en double page à 24 cases par page. Il utilise des cases de format rectangulaire ou carré, sans bordure tracée, ce qui est en phase avec le thème de l'échappée. Il réalise une mise en couleurs de type bichromie : vert de gris ajouté au noir & blanc pour la première partie, bleu azur pour la deuxième partie, et vert anis pour la troisième partie. Parmi les autres caractéristiques picturales, le lecteur peut trouver des ombres chinoises (page 31), l'utilisation d'un pictogramme (pour un phylactère en page 37), de gros aplats de noir pour un fort contraste (par exemple la danseuse en page 40), des contrastes également entre le blanc et la couleur (l'océan en vert / le ciel en blanc en page 53), un travail remarquable sur le langage corporel que ce soit pour l'homme ou pour les autres personnages. Pour ce dernier point, le lecteur remarque que les postures de l'homme varient fortement, avec un registre différent pour chacune des trois parties. Au fur et à mesure de sa progression dans le récit, le lecteur prend également conscience que certains éléments revêtent une signification symbolique. Il en acquiert la certitude avec la forêt de ronces en page 102 & 103, lui rappelant celle de la Belle au Bois dormant. De la même manière les falaises forment un mur infranchissable, l'empêchement de pénétrer dans le site suivant. Rétrospectivement, il se dit que le départ en paquebot de l'homme participe également de la narration d'un conte. Avec cette idée en tête, il comprend que les environnements des deuxième et troisième parties sont plus conceptuels que littéraux, et il devient logique que le récit ne s'attarde pas sur des aspects comme la maladie ou les blessures. Avec l'idée que le récit agit comme un conte, le lecteur comprend mieux les choix narratifs et l'intention de l'auteur. L'homme cherche à s'échapper de son milieu urbain dont les caractéristiques sont montrées avec limpidité, et mener une autre vie. L'échappée ayant réussi, il peut alors mener une vie dans une société utopique, puis dans un environnement sauvage, une sorte de retour à l'état naturel. Le lecteur participe alors bien volontiers au jeu des comparaisons entre les 3 modes de vie successifs de l'homme. Il observe comment le deuxième environnement lui apporte ce qui lui manquait, dans le premier, et de même avec le troisième par rapport au deuxième. Le thème principal du conte apparaît alors : à la fois celui de l'échappée, mais aussi celui de l'envie, de l'insatisfaction, de l'impossibilité à se contenter de ce qu'on a. L'homme a conscience de ce que lui apporte chaque environnement, mais il ne peut s'en satisfaire. Il éprouve le besoin de découvrir, d'aller voir ailleurs, d'explorer de nouveaux territoires, de conquérir. Grégory Mardon met ce besoin en vis-à-vis d'autres besoins : la sécurité, les besoins affectifs, la sexualité, la faim, l'autonomie… Il laisse le lecteur libre de réagir à ce qui lui est montré, de se comparer à l'homme, de mesurer lui-même ce qu'il a payé pour bénéficier de la situation dans laquelle il se trouve, de ce qu'il souhaite obtenir de plus, tout ça de manière visuelle, sans nombrilisme d'artiste, ni discours académique. Une bande dessinée sans texte ni dialogue constitue une source de plaisir immédiat irrésistible : lire une histoire sans avoir d'effort à faire pour lire, avec le spectacle des images. Le lecteur se rend compte de l'adresse de Grégory Mardon par l'absence : aucune difficulté de compréhension, tout coule de source et s'enchaîne naturellement, une vitesse de lecture rapide sans être frénétique ou épileptique, et une histoire avec de la consistance. Avec la séquence de ressenti d'une société hypermoderne, il perçoit la nature philosophique du récit, et en a la confirmation avec quelques éléments dont le symbolisme est évident. En plus du plaisir du voyage et des découvertes, il accompagne la réflexion de l'homme sur son état, sur son envie d'avoir envie, sur son besoin de conquérir, se situant lui-même par rapport à ces besoins.
V pour Vendetta
J’ai été pris dès le début par cette histoire. On découvre un monde dur, où la peur et la surveillance sont partout. Chaque événement m’a donné envie de savoir ce qui allait se passer ensuite. Il y a des surprises, des moments forts et un vrai suspense. Plus j’avançais, plus je ressentais une tension qui ne faisait que grandir. Cette BD parle de liberté et de résistance. Elle montre ce qui arrive quand un gouvernement devient trop puissant et ce que certaines personnes sont prêtes à faire pour retrouver leurs droits. J’ai trouvé ça très fort et parfois même troublant. Ça pousse à réfléchir sur la société et sur la valeur de la liberté. V est un personnage impressionnant. Il est à la fois mystérieux, intelligent et imprévisible. J’ai aimé suivre ses actions et essayer de comprendre ses intentions. Evey, elle, change énormément au fil de l’histoire, et j’ai ressenti beaucoup d’émotions en la voyant évoluer. Les autres personnages sont tous marquants à leur façon et apportent quelque chose d’important à l’histoire. Les dessins renforcent l’ambiance sombre de l’histoire. Les couleurs sont souvent froides, les ombres sont bien utilisées, et tout ça donne une vraie personnalité à la BD. Chaque page a un côté presque cinématographique, ce qui rend la lecture encore plus immersive. J’ai eu l’impression de vraiment entrer dans ce monde, comme si j’y étais.
Didier, la 5e roue du tracteur
On termine quand même ? - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Il est paru initialement en 2018, avec un scénario de Pascal Rabaté, des dessins et une mise en couleurs de François Ravard. Le soleil se lève sur la ferme de Didier. Il vient de se réveiller et il se dirige vers les toilettes. Il pousse un cri déchirant en faisant ses besoins. Il se rend chez le médecin en mobylette. Avant d'entendre l'avis du professionnel de santé, il lui dit qu'il sait qu'il va mourir, et il est triste de ne pas avoir encore connu le vrai amour alors qu'il a déjà 45 ans. Le docteur lui prescrit un traitement pour ses hémorroïdes, lui conseille de ne plus boire d'alcool pendant quelques jours, et lui suggère de s'inscrire sur un site de rencontre pour résoudre son autre problème. Il rentre à la ferme sur sa mobylette (ayant mis un coussin sur la selle) et n'est pas du tout surpris de voir Régis en slip et en bottes en train de se rouler une clope sur le pas de la porte. Il lui demande où se trouve sa sœur Soazic. Ayant eu la réponse, il se dirige vers l'étable où Soazic vient de terminer de traire les vaches. Il lui demande ce que fait Régis à la ferme. Elle le toise bizarrement en lui disant que la cuite d'hier avait dû être sévère. La vieille Didier était parti à la ferme de Régis pour participer à la vente aux enchères de tous ses biens, car il avait fait faillite. Le commissaire-priseur avait commencé par le tracteur, un modèle 635 Massey Ferguson de 2010, avec une mise à prix de départ fixée à 1.200 euros. Didier avait commencé à enchérir, mais son attention avait été détournée par le comportement de Régis. Ce dernier avait commencé par aller dire au revoir à ses vaches, en tenant à la main, une corde avec un nœud coulant. Puis il avait enlevé son bleu de travail devant tout le monde, pour se retrouver en slip et en bottes, et il était rentré chez lui avec sa corde à nœud coulant à la main. Didier s'était précipité au carreau de la porte pour voir ce qui allait se passer, alors que la vente aux enchères se poursuivait sans interruption. À son grand soulagement, Régis était ressorti sain et sauf. Au temps présent, Soazic voit que Didier a recouvré la mémoire et elle lui enjoint de prêter de quoi s'habiller à Régis. Puis ils prennent le petit déjeuner tous les trois dans la cuisine. Régis demande comment il peut aider. Soazic lui répond qu'il sait très bien qu'il y a toujours quelque chose à faire à la ferme. Didier lui demande s'il s'y connaît en internet. La couverture affiche clairement le parfum d'autodérision du récit : les casseroles tirées par le tracteur, la mention du célibat encore frais, sans compter que ce sont les vaches qui occupent le premier plan, et le titre apporte la touche finale. Le lecteur fait connaissance avec Didier dès la première page. Dès la deuxième, il connaît son âge (45 ans), son naturel inquiet (la fin est proche) et le drame de sa vie (il est célibataire). Il est facile de se moquer de ce paysan, pas très bon gestionnaire, sans vie affective, avec comme seul ami un fermier ayant fait faillite, prenant des cuites non maîtrisées de temps à autre, et vivant avec sa sœur qui assure les corvées ménagères (il ne sait pas faire la lessive), ainsi qu'une part significative des tâches de la ferme. Il est vrai que Didier est en surcharge pondérale, qu'il porte des grosses lunettes et que ses cheveux commencent à s'éclaircir, sachant qu'il est déjà grisonnant. Pour autant, le lecteur éprouve immédiatement une forte sympathie pour ce monsieur. D'un côté, il représente tout ce que la société réprouve de manière implicite (surcharge pondérale, métier sans gloire, absence totale de dimension spectaculaire) ; de l'autre côté, il a un cœur gros comme ça. En effet c'est le seul à se préoccuper de Régis, de s'inquiéter d'un possible suicide, de l'accueillir chez lui sans demande de compensation. Il apparaît en creux qu'il n'exploite en rien sa sœur, et que ce sont les hasards de la vie qui les ont amenés à continuer à habiter sous le même toit. Il échappe même au ridicule car ce n'est pas qu'il ne se respecte pas, c'est qu'il est dépourvu de toute vanité. Par voie de conséquence, il est impossible de se moquer de lui, ou de le mépriser. Bien sûr, les dessins participent pour beaucoup à dresser le portrait de Didier, à lui insuffler un élan vital. Dans la deuxième page, François Ravard représente Didier en slip dans le cabinet du médecin. Il ne minimise pas la dimension de sa brioche, mais sans la transformer non plus en étalage de viande, ou en tas de saindoux. Il montre les bajoues importantes sans être flasques, ainsi que les énormes lunettes, très fonctionnelles et dépourvues de toute qualité esthétique. Bien sûr Didier apparaît à plusieurs reprises comme un peu pathétique, que ce soit dans sa tenue de travail très ample, déconfit dans sa chemise trop petite (qu'il n'a portée que deux fois), surpris que les ronds de son maillot à pois rouge se déforment, ou encore courant tout nu dans un champ moissonné. Pourtant il ne s'agit pas de misérabilisme ou de méchanceté. En effet par ailleurs, Didier est montré comme un individu calme et posé, sensible et faisant preuve d'empathie. Il est en décalage avec la France qui gagne, avec les battants. En observant son visage, le lecteur peut voir qu'il n'est pas dépressif ou aigri. Il montre son désaccord par une moue désapprobatrice quand une réaction, une remarque ou une situation va à l'encontre de ses convictions ou de ses émotions. De la même manière, le lecteur s'attache très rapidement aux autres personnages. La plastique de Soazic n'est pas celle d'une pinup, mais d'une femme au visage avec un menton trop petit et un nez trop gros, ainsi qu'un bassin un peu empâté. Les expressions de son visage indiquent qu'elle a conservé un amour propre plus développé que son frère. Elle a, elle aussi, accepté sa condition de fermière dont la vie est accaparée par la ferme, sans pour avoir renoncé à la possibilité d'une vie différente. Elle n'a pas totalement accepté les choses comme elles sont, et elle continue à lutter contre ce qui l'agace chez son frère (à commencer par sa mollesse). Elle n'a pas baissé les bras face à une sorte de stase régissant sa vie. Le lecteur observe donc son langage corporel ainsi que les expressions de son visage et voit apparaître des jugements de valeur, des moments d'énervement, une volonté d'agir, le plaisir d'avoir une idée nouvelle. Régis vient compléter ce trio, avec une morphologie très fine, mais également dépourvue de toute élégance. Par comparaison avec les postures ou les expressions de Didier, il apparaît plus résigné. Il ne se plaint pas d'avoir tout perdu, mais il n'a pas l'énergie de se lancer dans un nouveau projet. Il prend les jours comme ils viennent, avec la mine d'un individu qui n'attend plus rien, sans être amer pour autant. Advienne que pourra. Dès la première case, le lecteur se retrouve à observer une cour de ferme dans une case de la largeur de la page, avec une luminosité de lever de soleil, des couleurs portant une part d'ombre, mais commençant déjà à se réchauffer. En page 6, il voit Didier au loin sur sa mobylette, avec un champ vert et jaune au premier plan, et des champs avec quelques arbres dans le lointain. L'artiste n'a utilisé quasiment aucun trait pour délimiter les contours, tout est représenté à la couleur directe, avec à nouveau une ambiance lumineuse paisible pour un jour ensoleillé. Quelques pages plus loin, Didier va voir son poirier dans le jardin, avec le chat qui court, quelques poules qui picorent, et les éoliennes discrètement esquissées au loin en fond de case. François Ravard a l'art et la manière de composer ses cases, en dosant soigneusement les éléments très précis, et les éléments esquissés, ou dont la forme se trouve discrètement peinte dans une teinte pale. À l'instar de ces éoliennes présentes dans quelques cases, le lecteur peut aussi remarquer de minuscules détails s'il s'en donne la peine : le coussin ajouté sur la selle de la mobylette, le collier de protection autour de la tête du chat, la manique accrochée au mur de la cuisine, les pneus sur le tas de fumier, les enseignes du coiffeur et du bar en forme de jeu de mots, la pompe à eau dans le jardin de la ferme de Régis, etc. Il est facile de se laisser prendre par la douceur de la narration visuelle et de ne pas prêter attention à ses menus détails. Il est tout aussi facile de prendre le temps de laisser son regard se poser sur une case ou une autre et d'en découvrir la richesse. Cette stratégie de représentation porte ses fruits en décrivant à la fois un quotidien très pragmatique et concret, réaliste (l'aménagement de la cuisine, les travaux de la ferme), à la fois l'ambiance de l'environnement que le regard embrasse dans son ensemble, sans forcément le scruter à chaque passage. Le lecteur se rend compte que ce mode de représentation fonctionne aussi avec les personnages, à la fois pour les petits gestes du quotidien (Régis en train de rouler sa clope), à la fois pour l'impression générale (la détresse de Didier dans le cabinet de consultation). Le lecteur se sent donc privilégié de pouvoir côtoyer ces individus ordinaires, dans leur vie spécifique. Il ressent une grande tendresse pour Didier et son sentiment que la vie ne lui a pas apporté ce qu'il attendait, pour Soazic vaguement excédée par un quotidien auquel il manque l'espoir d'un avenir, pour Régis résigné sans être abattu. Il ressent une pleine et entière adhésion à leurs projets. De ce fait, il ressent une forte curiosité pour le projet de Didier (s'inscrire sur un site de rencontre). Il sourit en voyant que Didier prend de la distance avec cet outil, au point que ce sont Soazic et Régis (ensemble ou chacun dans son coin) qui s'approprient le projet et accompagnent Didier, pour être sûr qu'il aboutisse. Bien sûr, la confrontation avec la réalité va être cruelle et brutale. Didier, avec l'aide de Soazic et Régis, va pouvoir mener son projet à bien. Dans le même temps, cette dynamique va initier d'autres changements inattendus. Malgré la douceur chaleureuse de la forme du récit et des illustrations, il est bien question du mal-être de plusieurs individus, d'avoir envie de faire quelque chose de sa vie, de désirer ce que l'on n'a pas et qui semble un dû au vu de ce qu'on a déjà accompli. Didier est contraint d'apprendre à se connaître en se mesurant à la réalité de son désir, ainsi qu'à ce qu'obtiennent les autres. De la même manière que le récit ne baigne pas dans le misérabilisme, il ne se complaît pas non plus dans l'amertume. Il y a ce que l'on veut, et ce dont on a besoin. L'effort fourni par Didier pour s'arracher à sa stase ne lui apporte pas ce qu'il avait escompté, mais il ne retourne pas au point de départ. Il est difficile de résister au second degré contenu dans le titre de cet ouvrage, ainsi qu'à sa couverture faussement naïve (les petits cœurs dans le ciel). Il est impossible de ne pas succomber à la gentillesse de la narration, ainsi qu'à sa cruauté sous-jacente, à son regard sur un quotidien dont les spécificités chassent la banalité, dont les personnages apparaissent faciles et agréables à vivre, à la fois pour leurs qualités et pour leurs défauts.
Bergères Guerrières
Eh bien, voilà une série qui n'a pas volé son excellente réputation ! Un univers simple dans la forme mais riche dans le fond, des personnages attachants et murissant avec le récit, une aventure tout public mais qui arrive à traiter avec sérieux ses sujets lourds, des dessins magnifiques, un peuple à la culture très marquée, et un monde qui donne sincèrement envie d'être exploré. Il n'y a pas à dire, la recette est alléchante et le plat final réussi ! Une série culte, à n'en pas douter ! Le tout commence assez simplement, dans ce qui nous semble être le début d'une quête initiatique pour une jeune fille souhaitant plus que tout rejoindre l'ordre des Bergères Guerrières, une sorte de force armée exclusivement féminine fondée suite au départ des hommes du village partis il y a des années pour rejoindre la guerre. Mais voilà, cette simple histoire d'épanouissement et les rêves de gloire de notre héroïne, Molly, volent en éclat lorsqu'une terrible malebête décide d'attaquer leur village. Le récit est vraiment prenant, mais je me garde de trop vous en dire, l'histoire mérite vraiment d'être découverte. Je vous dirais simplement que la série parle de guerre, de peur, de deuil, d'honneur et de magie. Les enfants mûrissent, la quête initiatique et épique prend rapidement des allures de tragédie, on craint pour nos personnages, le récit ne leur fait pas de cadeau et ici préparez-vous à ce que les actions aient des conséquences et que la bonté des gens ne suffise pas à leur assurer une fin heureuse. Pas qu'elle ait besoin de moi pour aider à sa renommée, mais je conseille sincèrement la lecture de cette série.
Blake et Mortimer - Le Dernier Pharaon
Rien de plus effrayant que l'inconnu, rien de plus dangereux que l'ignorance. - Ce tome comprend une histoire complète mettant en scène Francis Blake et Philip Mortimer. La première édition date de 2019. Il a été réalisé par François Schuiten (scénario, dessins et encrage), Jaco van Dormael (scénario, réalisateur et metteur en scène belge), Thomas Gunzig (scénario, écrivain belge francophone) et Laurent Durieux (couleur). À l'intérieur de la pyramide de Kheops, au Caire en Égypte, Francis Blake et Philip Mortimer reprennent difficilement conscience. Ils ne se souviennent plus d'où ils se trouvent. Ils finissent par comprendre qu'ils se trouvent dans la Chambre du Roi de la pyramide. Quelques années plus tard, le professeur Mortimer pénètre dans la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles. Il y retrouve son ami Henri qui évoque le taux élevé du rayonnement électromagnétique. Henri emmène Mortimer au sous-sol et lui montre une pièce récemment mise à jour : le bureau de travail de Joseph Poelaert (1817-1879), l'architecte du Palais de Justice. Il l'emmène jusqu'au fond de la pièce où il lui montre des hiéroglyphes et une représentation du dieu Seth. À la surprise de Mortimer, Henri se saisit d'une masse et en frappe le mur. de la fissure s'échappe une puissante lumière. Henri passe par la faille, mais le mur s'écroule derrière lui, empêchant Mortimer de le suivre. Mortimer remonte le plus vite possible et sort du Palais de Justice. le rayonnement s'échappe du bâtiment et irradie toute la ville. Trois semaines plus tard, Mortimer se réveille sur un lit d'hôpital où il est venu consulter à cause de terribles cauchemars dans lequel Seth lui apparaît. À l'extérieur, l'armée a commencé à évacuer les civils. Quelques temps plus tard, Mortimer retrouve Blake devant le Palais de Justice, autour duquel ont été élevés des échafaudages pour constituer une cage de Faraday afin de contenir le rayonnement. Des années plus tard, les bâtiments ont commencé à se dégrader et quelques animaux sauvages circulent dans la rue. Non loin du Palais de Justice, un groupe de personnes prépare un acte de destruction contre le bâtiment. Leur intervention a des conséquences néfastes et Philip Mortimer est contacté par Francis Blake pour une intervention de la dernière chance, en urgence. Mortimer doit se rendre à Bruxelles. En 1996, paraît une nouvelle aventure de Blake & Mortimer, réalisée par Jean van Hamme & Ted Benoît, 9 ans après la mort de leur créateur Edgar P. Jacobs. Entretemps, Média Participations a fait l'acquisition des Éditions Blake & Mortimer, et Jean van Hamme a défini les règles à respecter pour les albums de la reprise : rester dans les années 1950 et ne pas poursuivre après Les 3 formules du Pr Sato. Lors de l'annonce de ce tome, l'éditeur a clairement indiqué qu'il s'agit d'un projet à part, qui ne s'inscrit pas dans le cadre établi. D'une part Blake et Mortimer ont vieilli car l'aventure se déroule après Les 3 formules du Pr Sato ; d'autre part François Schuiten ne s'en tient pas aux caractéristiques graphiques de la ligne claire d'EP Jacobs. Du coup l'horizon d'attente du lecteur s'en trouve plus incertain, car il a conscience qu'il ne va pas retrouver les spécificités bien établies pour la reprise de la série. Avec la scène d'ouverture, l'amateur de Blake & Mortimer se retrouve en terrain connu, puisqu'il s'agit d'une scène tirée de Blake et Mortimer, tome 5 : le Mystère de la Grande Pyramide, Deuxième Partie (1955). Au fur et à mesure du récit, il retrouve les éléments classiques des personnages, ainsi que le ton de la narration, et le thème d'aventure. Il suit Mortimer (et un peu Blake) enquêtant sur un phénomène physique non théorisée scientifiquement, menaçant de causer des destructions à l'échelle planétaire, devant faire preuve de courage pour surmonter les obstacles tant physiques que scientifiques. Dans des interviews, Schuiten a indiqué qu'il a développé l'intrigue (avec Dormael et Gunzig) sur la base d'une idée présente dans les carnets de Jacobs. En termes de narration visuelle, le lecteur découvre une mise en couleurs très sophistiquée qui met en jeu des techniques autres que les simples aplats de couleurs. François Schuiten réalise des images d'une minutie exquise, évoquant les gravures du dix-neuvième siècle, et les illustrations de Gustave Doré, pas du tout dans un registre ligne claire. Le lecteur entame ce tome et se sent tout de suite en terrain familier, qu'il soit lecteur de Blake & Mortimer, ou de Schuiten. Outre la base de l'intrigue empruntée à Jacobs, il suit le professeur Mortimer dans sa difficile progression dans Bruxelles, jusqu'à atteindre la source du rayonnement électromagnétique, pour essayer de sauver le monde, pendant que Blake essaye de limiter les dégâts probables d'une intervention armée sans finesse. Les auteurs font référence à quelques éléments de la mythologie de la série, soit évidents comme la Grande Pyramide, soit plus à destination des connaisseurs comme l'apparition d'une Méganeura. Pour autant, l'histoire reste intelligible et satisfaisante, même si le lecteur n'a jamais ouvert un album de Blake & Mortimer. de la même manière, le lecteur retrouve les caractéristiques des dessins de François Schuiten : une incroyable précision, des touches romanesques et romantiques, un amour de l'architecture. Il peut aussi apprécier la narration visuelle s'il ne connaît pas cet artiste, pour la qualité de ses descriptions, l'utilisation de cadrages (gros plan sur une main en train d'agir, posture des personnages en mouvement) et de plans de prise de vue directement empruntés à Jacobs. Le lecteur familier des albums originaux retrouve ces cases très déconcertantes où la cellule de texte décrit ce que montre l'image. Par exemple page onze, le texte indique : Mais déjà le marteau s'abat contre la surface de pierre. C'est exactement ce que montre la petite case, faisant s'interroger le lecteur sur l'intérêt de doublonner ainsi l'information, si ce n'est pour un hommage. Arrivé à la fin de l'album, le lecteur a apprécié l'aventure, observé que Dormael, Gunzig et Schuiten ont imaginé un risque technologique de type anticipation plausible dans son concept, peu réaliste dans sa mise en œuvre, mais très cohérent avec les récits d'anticipation de Jacobs. Il a bénéficié d'une narration visuelle d'une grande richesse, respectant l'esprit un peu suranné des œuvres originelles, avec des techniques de dessins et de mise en couleurs différentes de celles d'Edgar P. Jacobs. Il en ressort un peu triste. le choix de situer l'histoire plus récemment amène à voir les personnages ayant vieilli, Mortimer indiquant qu'il est à la retraite. Ils ne sont pas diminués physiquement, mais leurs remarques contiennent une part de nostalgie, et de jugement de valeur négatif sur leur présent. Dans des interviews, Schuiten a déclaré qu'il souhaitait exprimer l'état d'esprit d'Edgar P. Jacobs qui se déclarait déconnecté de son époque à la fin de sa vie, ne comprenant plus le monde qui l'entourait. Cette sensation d'obsolescence de l'individu s'exprime en toile de fond, avec le jugement de valeur de Mortimer sur les conséquences du rayonnement électromagnétique, ramenant l'humanité dans un stade technologique qu'il estime plus humain. S'il a suivi la carrière de François Schuiten, le lecteur détecte plusieurs références à d'autres de ses œuvres. L'échafaudage englobant le Palais de Justice évoque le réseau Robick de Les Cités obscures, Tome 2 : La fièvre d'Urbicande (1985). La locomotive est un modèle 12.004 de la SNCB, celui qui figure dans La Douce (2012). le Palais de Justice de Bruxelles joue déjà un rôle central dans Les Cités obscures, Tome 6 : Brüsel (1992), et son architecte Joseph Poelaert y est évoqué. Le thème du temps qui passe, du décalage avec l'époque présente entre en résonance avec ces évocations d'une longue carrière, constituant un regard en arrière. Avec cette idée en tête, le lecteur considère d'une autre manière les références à la culture de l'Égypte antique, à la très ancienne confrérie évoquée par Henri, aux transformations induites par la technologie sur la société humaine. Dans cette optique, l'essaim de scarabées libéré par Bastet s'apparente à une plaie d'Égypte, une condamnation divine. Les cauchemars de Mortimer deviennent des signaux émanant du passé. L'utilisation d'un pigeon voyageur (Wittekop) pour communiquer est un symbole d'une communication indépendante de la technologie de pointe. Mortimer fait confiance aux chats pour le guider car l'instinct des animaux les pousse à éviter ce qui pourrait leur faire du mal : à nouveau la sagesse ne vient pas de la technologie, mais de la nature. Les soins prodigués par Lisa relèvent d'une forme de médecine alternative qui devient un savoir thérapeutique héritée de la sagesse ancienne, et plus efficace que les cachets et les pilules. Le fait que Mortimer se retrouve devant des statues égyptiennes sens dessus dessous finit par évoquer que c'est le monde moderne qui marche sur la tête. La nostalgie d'un monde plus simple, plus maîtrisé submerge alors le lecteur. Très habilement, deux personnages évoquent le syndrome chinois : hypothèse selon laquelle le matériel en fusion d'un réacteur nucléaire situé en Amérique du Nord pourrait traverser la croûte terrestre et progresser jusqu'en Chine. Là encore le lecteur peut y voir une angoisse d'applications scientifiques non maîtrisées, et qui en plus ne date pas d'hier. En ouvrant ce tome, le lecteur sait qu'il s'agit d'un album de Blake & Mortimer qui sort de l'ordinaire, à la fois parce que les personnages principaux ont vieilli, à la fois parce que l'artiste a bénéficié de plus de libertés créatrices que les autres équipes ayant repris la série. Il plonge dans une bande dessinée d'une rare intensité, non pas parce que la narration est dense ou l'intrigue labyrinthique, mais parce qu'il s'agit d'un projet ayant mûri pendant quatre ans de durée de réalisation, parce que les phrases prononcées par les personnages portent en elles des échos des préoccupations des auteurs, parce que la narration visuelle est d'une grande beauté plastique et d'une grande minutie, parce que la mise en couleurs semble avoir été réalisée par la même personne que les dessins. En refermant cet album, le lecteur reste sous le charme de ce récit pendant de longs moments, touché par une œuvre d'auteur jetant un regard d'incompréhension sur le monde qui l'entoure, comme s'il s'était trouvé dépassé par la modernité, finissant déconnecté de son époque.
La Veuve
Ouh ! La pépite ! Houla la grosse affaire que voilà ! Alors là, je vais être sans retenue et sans réserve, ainsi que bref : cette BD est un chef d’œuvre. Pourquoi ? Parce que le dessin est merveilleux et qu'il parvient à tout dire et à tout exprimer, de la beauté des paysages au curriculum historique comme psychologique des personnages. Je découvre le trait de Glen Chapron qui se fait ici charbonneux (c’est une première apparemment), aussi fumant que les cendres d’un feu de camp après la nuit. Tout est splendide, et les ambiances sont fortes, particulièrement les scènes de nuit dont l’auteur parvient à rendre toute l’intimité créée avec la nature par cette vie sauvage. Il y a de très belles planches, muettes mais emplies du bruit de la cascade ou de l’hululement de la chouette dans la nuit profonde. Le scénario sur lequel Chapron vient s’appuyer n’est pas en reste. Ce western est une histoire de femmes fortes et ça nous change carrément des vieilles rengaines. La fin est belle et ouverte. Je l’ai lue deux fois de suite, chose rare. Le gros chef d’œuvre de ce début d’année en ce qui me concerne !