Honnêtement, c'est sans doute le meilleur Western que j'ai jamais lu. Et Neyef a sans doute fait une oeuvre qui mérite autant lecture, relecture que contemplation.
Je ne connaissais de l'auteur que Mutafukaz - Puta Madre que j'ai beaucoup apprécié, et malgré un coup de crayon qui reste assez spécifique mais aisément reconnaissable (nez petit et pointu, décors chargés) je trouve qu'il a fait un travail colossale ici. C'est beau, dans les décors et les environnements, c'est riche, immersif ! On se croirait traverser soi-même les vallées américaines, les grandes plaines et les collines. Je ne pensais pas que ce serait aussi immersif, mais qu'est-ce que j'étais dedans ! A entendre les cris d'oiseaux et à sentir l'odeur des bois qu'on traverse.
Mais ce dessin que je loue n'est pas le seul atout, et l'histoire convient tout à fait. Déjà parce que l'auteur a décidé, pour une œuvre aussi longue, de ne pas innover : le canevas est tout ce qu'il y a de plus classique, mais efficace. On est sur du déjà vu dans les grandes lignes, mais c'est typiquement la BD qui nous rappelle que ce n'est pas la nouveauté qui importe, puisque toutes les histoires existent déjà. C'est la façon de la raconter et ce que l'histoire nous dit réellement qui compte. Ici une question d'héritage, de vengeance, de violence aveugle, dans une ambiance de fin des temps pour l'amérindien. Une vraie histoire sordide, dont les ressorts scénaristiques m'ont parfois surpris et qui se finit sur une grande tristesse, du genre qu'on ne peut consoler juste en pleurant. La fin donne des airs de tragédie et j'accepte volontiers le coup du hasard qui fait recroiser les personnages. Nous sommes dans les rouages d'une tragédie antique, où le hasard n'est que la forme prise par la fatalité pour jouer le dernier tour de la pièce. Fortune, nous sommes tous des jouets entre tes mains !
Une telle BD, c'est presque un petit miracle. Une histoire simple pour traiter de divers sujets tous aussi pertinents les uns que les autres, un dessin qui sublime la nature et les paysages pour nous entrainer dans cette longue balade vengeresse, une tragédie que n'aurais pas renié les grecs pour motif final et l'ensemble dans un ouvrage où l'édition a choisi la qualité. Sans rire, je crois bien qu'on est sur un sans-faute ou presque !
Pour ma part, je suis sous le charme comme je l'ai peu été pour des westerns. C'est l'un des genres que je lis le moins en BD, mais quelle découverte ! Incontournable des sorties 2022, à mon sens. Pour dire à quel point cette BD m'a parlé, j'ai depuis très longtemps l'idée de faire un jour une traversée des États-Unis à cheval pour profiter au mieux, pleinement, de ces grands paysages qui me font de l’œil. Cette BD m'a donnée l'impression de pouvoir vivre un peu ce rêve, mais surtout me l'a remis en mémoire alors que je n'y ai plus pensé depuis des années.
Je ne peux que vous conseiller de la lire !
C'est toujours un autoportrait qu'on fait.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, réalisée en collaboration par Céline Wagner & Edmond Baudoin. La première édition date de 2003. Il a été réédité avec deux autres récits, le chant des baleines (2005) et Les essuie-glaces (2006), dans le recueil Trois pas vers la couleur. Il s'agit de la première bande dessinée réalisée en couleurs par Edmond Baudoin, et elle compte cinquante planches. Elle s'ouvre avec une page d'introduction. le premier tiers est de la main de Baudoin : il explique que Céline Wagner était venue assister à une dédicace, lui a acheté une bande dessinée, lui a expliquée qu'elle était en dernière année d'une école d'art et qu'il lui a fait un dessin sous lequel il a écrit son adresse. Plus tard, il a reçu une lettre dans laquelle elle lui demandait de venir chez lui pour son stage de fin d'études. Elle est venue. Il ne sait plus aujourd'hui lequel des deux a été stagiaire. Dans sa partie, Wagner évoque ses difficultés à parler de la banlieue, l'environnement où elle a grandi.
Dans l'atelier d'Edmond Baudoin à Nice, Céline Wagner est en train de poser alors qu'il est en train de la peindre. Elle lui demande d'arrêter de poser des questions sur la banlieue. Sa banlieue, il lui en a fait un costume, et ce n'est pas celui qu'elle aurait choisi. Les pas nonchalants, la zone, les mots vomis à l'envers, c'est du cinéma. Il sait qu'elle aime les mots à l'endroit. Elle continue : bien sûr, il en reste des traces dans ses gestes, dans ses mots et ses regards, des automatismes, rien à elle. Et c'est ces traces qui le fascinent. de sa banlieue, il ne reste aujourd'hui que des sacs en plastique dans les branches des arbres. Aujourd'hui, elle veut des choses qui n'existent pas.
L'esprit de Céline vagabonde un peu : elle pense à une promenade en bordure de mer, se remémorant quelques mots d'une coupure de presse sur le décès de quelqu'un, le succès d'un orchestre engagé en janvier 1999, dans une mise en scène monumentale. Elle est devenue silencieuse et elle revient à l'instant présent. Elle se demande si Edmond cherche vraiment quelque chose. Il la gomme, il gomme petit à petit la réalité pour coller sa gueule à elle sur son tableau. Elle, elle ne veut pas être un tableau. Elle veut devenir elle. Elle lui dit qu'il a les yeux d'un fou, le visage d'un fou. Il lui demande si elle peut enlever sa chemise. Elle répond positivement, mais d'abord elle veut prendre une douche. Elle entre dans la salle de bain. Il enlève du chevalet, le dessin qu'il vient de réaliser, et il accroche une nouvelle feuille blanche. Dans la baignoire, elle se fait la réflexion que si elle se dessinait, elle ne ferait aucun poil, aucun bouton. Juste de la peau lisse, du beau. Et un peu de laid pour qu'on puisse l'aimer. Il demande s'il peut venir ; elle accepte. Il la regarde et répond à sa question : son père à lui était beau, vraiment beau. Quand il est mort, Edmond l'a regardé longtemps. Il n'a rien retrouvé de sa beauté, plus rien. Sa vie était partie et avec elle sa beauté. Il ajoute qu'elle est si belle. Céline répond qu'il lui fout l'angoisse.
S'il n'a jamais lu de bande dessinée de d'Edmond Baudoin, le lecteur se demande ce qu'il va trouver, s'il va parvenir à apprécier les partis pris graphiques très personnels, et une histoire qui semble se limiter à quelques instants de discussion entre l'auteur lui-même et une jeune femme venue comme stagiaire. S'il est familier de cet auteur, le lecteur sait qu'il va retrouver des thèmes déjà abordés, que la linéarité présumée du récit n'est simpliste qu'en apparence. Il s'interroge quand même sur le fait que le cœur du récit soit la relation entre l'artiste et son modèle, comme de ses œuvres, par exemple le portrait ou L'Arleri. D'un autre côté, cette création est réalisée à deux, avec la participation du modèle. Effectivement, le récit se compose d'une suite d'échanges entre l'artiste Baudoin et son modèle Wagner : des discussions à bâtons rompues pendant une séance de pose, dans la salle de bain, lors d'une promenade sur les quais, d'un bain de mer depuis une jetée, avec une seule exception, le temps d'une page lorsque Céline se promène seule dans la rue pour aller appeler son père. C'est du pur Edmond Baudoin, avec des traits charbonneux au pinceau, un rapport de séduction, des pages contemplatives en particulier huit dépourvues de tout texte, de tout mot.
Pour faire la différence, Edmond utilise la couleur. Les traits de contours sont encrés, le plus souvent au pinceau, parfois à la plume, peut-être des silhouettes tracées par Céline Wagner. Les couleurs semblent apposées au pinceau, avec une approche de type naturaliste, c'est-à-dire des couleurs correspondant à ce que voit l’œil. le lecteur observe toutefois que dans certaines cases, parfois même le temps d'une page, l'usage de la couleur s'éloigne de la réalité pour un effet expressionniste, voire abstrait. Par exemple le corps laissé en blanc de Céline allongée sur des coussins jaune pâle qui forment un motif géométrique abstrait. Des fonds de case entièrement rouge totalement artificiels avec à nouveau le corps dénudé de Céline laissé totalement vierge de couleur, comme une absence d'émotion ressortant contre l'intensité agressive du rouge. Puis, il est possible que la mise en couleurs ne soit pas uniquement le fait de Baudoin. le lecteur relève également quelques particularités visuelles dont Baudoin n'est pas coutumier. Cela commence dans la troisième planche : un petit morceau de journal collé sur le bord d'une case, comme la rémanence fugace et incomplète d'un souvenir qui a échappé à Céline parce que repris par un journaliste, mais qu'elle ne peut pas se sortir de l'esprit. Dans la même case, se trouvent des parallélépipèdes rectangles blancs très géométriques, des formes que Baudoin n'utilise pas. Il s'agit de blocs de béton entassés pour former une digue artificielle.
Edmond Baudoin relate cette expérience avec une jeune femme stagiaire en fin d'études d'école d'art : elle est sa modèle et il doit exister une différence d'âge. Elle pose bien volontiers. Comme il l'expliquait dans le portrait, il essaye de dessiner la vie, son rêve impossible, de saisir et transcrire sa beauté. Cela donne un échange particulièrement dérangeant alors qu'il lui parle de la beauté de son père, de sa disparition avec sa mort, de sa beauté à elle, ce qui mène Céline à penser à sa propre mort. Il sort se promener sur le port et contemple les reflets d'un bateau à la surface, en se disant qu'il ne dispose que de ça pour essayer d'aller en dessous, derrière ce miroir, pour saisir l'unicité de la vie de son modèle, dans une métaphore très parlante sous la surface de l'eau / sous la surface de la peau. Mais, par comparaison avec le portrait et L'Arleri, le modèle fait entendre sa propre voix, ses réactions, ses émotions, puisqu'elle est également autrice de cette oeuvre. le lecteur regarde des esquisses comme réalisées au fur et à mesure par Baudoin sur deux planches, 12 & 13, en vis-à-vis, comme si le lecteur était présent alors que l'artiste cherche à saisir cette vie chez son modèle. Puis, il lui indique qu'il a besoin de sortir pour marcher vers le port un moment.
Après son départ, Céline se rhabille et part à sa suite. Elle pense qu'il est parti pour essayer de comprendre, qu'il semble que pour comprendre il faille toujours partir. Une fois qu'elle l'a rejoint, elle exprime la manière dont elle perçoit sa façon de faire : il tient à l'habiller d'une légende alors qu'il la peint nue. Par la suite, elle va se baigner, et il la regarde. Elle indique que sous la surface, au fond, c'est vraiment beau, mais on ne peut pas y rester sans mourir. À ce moment, le lecteur prend conscience que l'objectif de rendre compte de la personnalité profonde d'un individu sous la peau rejoint cette volonté de nager sous l'eau, d'aller au fond qui constitue alors une métaphore, une expression différente du même but pour Céline que pour Edmond. En prenant un café en terrasse planche 23, Edmond fait un aveu à Céline : il en a marre ne pas y arriver, on ne peut pas y arriver, l'autre reste toujours l'autre. C'est toujours un autoportrait qu'on fait. En planche 40, dans l'atelier, elle lui fait observer qu'il entretient une obsession : se voir dans tout, alors qu'elle lui montre le portrait d'elle qu'il a fait et dont le visage présente des ressemblances avec le sien à lui. Encore une fois, Baudoin a su parler de son art avec un point de vue différent de ses autres œuvres ayant le même thème.
Puis le lecteur se dit qu'il manque d'honnêteté intellectuelle : cette bande dessinée raconte également l'histoire personnelle de Céline par ellipse. Des mots dans ses phrases, les fragments de coupure de journaux avec leurs phrases incomplètes. L'autrice évoque également sa vie, la vie tragique de son amoureux, le lien avec son père, les traces que la banlieue a laissées en elle. Tout cela n'est pas exprimé de manière explicite, plus par remarques indirectes, mais s'il entretient un doute, il suffit au lecteur de relire l'introduction pour que le fil directeur de ces remarques devienne évident. La force de la personnalité de Baudoin semble dominer chaque page, et pourtant la personnalité de Wagner est bien présente en filigrane, parfois de manière apparente et au premier plan. le lecteur se souvient alors de la courte introduction de Baudoin se terminant sur le constat qu'il ne sait plus aujourd'hui lequel des deux a été le stagiaire. En effet, Céline Wagner est parvenue à faire passer sa personnalité dans ses pages malgré la personnalité artistique si singulière de son maître de stage. Elle est parvenue à faire apparaître son être profond dans les portraits en cours d'élaboration réalisés par Baudoin tout du long, à inscrire son fond à elle dans ces exercices où il se heurte à la sensation de toujours faire un autoportrait.
Une bande dessinée de plus d'Edmond Baudoin avec son flux de pensée qui n'appartient qu'à lui et ses mêmes thèmes présents tout au long de sa carrière, ici en particulier son rapport aux femmes comme modèles, comme muse. Toutes les qualités de cet artiste sont présentes de ses dessins si vivants exsudant une chaleur humaine irrésistible. Mais c'est aussi plus que ça, une vraie collaboration au sein de laquelle la jeune artiste peut exister car il lui en laisse la place, et sait exister car elle trouve sa propre voix pour s'exprimer.
Du superhéros servi bien noir
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de la continuité de Batman. Une connaissance superficielle de Batman suffit pour l'apprécier. Il comprend les 3 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019, écrits par Brian Azzarello, magnifiquement illustrés par Lee Bermejo, pour les dessins et la mise en couleurs. le lettrage a été réalisé par Jared K. Fleicher.
Après un trait plat, le cardiogramme reprend un tracé normal. Une voix intérieure pense à la ligne qui sépare le blanc et le noir, ou la vie et la mort, puis à la chute d'une blague sur la santé mentale et un rayon de lumière. Batman reprend connaissance sur une civière dans une ambulance, avec 2 personnels soignants et un policier à ses côtés. L'infirmier prend des ciseaux pour découper le masque. Batman réagit violemment en le repoussant contre la paroi de l'habitacle, écarte le médecin et se jette sur le policier. Sous le choc, la porte arrière de l'ambulance s'ouvre et les deux hommes se retrouvent sur la chaussée. Ce n'est pas la chute qui fait mal, c'est l'atterrissage. Batman se relève et fonce dans le tas de quatre personnes regroupées pour regarder ce qui se passe. Il court se mettre à l'abri dans une ruelle, personne n'ayant envie de le suivre. Il se souvient de sa chute dans la rivière depuis un pont métallique de Gotham. En reprenant une bouffée d'air, il avait aperçu la silhouette de ses parents sur la rive, avant de reglisser sous la surface de l'eau. Batman reprend un instant conscience dans la ruelle : devant lui se tient John Constantine, menteur professionnel.
Ayant reperdu connaissance, Bruce Wayne se souvient d'un moment de son enfance, quand il était sur un jeu d'enfant, un plateau circulaire en train de tourner. Il avait appelé ses parents pour attirer leur attention. Son esprit d'enfant avait remarqué le regard que son père jetait à une autre femme, sans en saisir le sens. Il avait également remarqué une femme aux cheveux filasse sales, habillée gothique, se tenant derrière un arbre, dans le dos de sa mère. L'Enchanteresse lui avait parlé dans son esprit, lui indiquant qu'elle est à la fois le désir et la peur du désir, lui demandant s'il serait à elle. le jeune Bruce avait chuté du manège. Batman se réveille sur un lit dans un petit appartement. John Constantine est dans la pièce d'à côté en train de regarder les nouvelles à la télé : les informations rapportent la mort de Joker dont le corps a été retrouvé sur la berge de la rivière de Gotham. Invisible aux yeux de Batman, se tient Deadman (un spectre) juste aux cotés de John Constantine. Batman file à l'anglaise, Constantine ne s'en rendant compte qu'après avoir fini sa phrase. Batman se jette entre les buildings, et il se laisse tomber en chute libre le long d'une façade, tout en se souvenant d'un moment avec son père et une femme en robe verte, sur un pont métallique de Gotham.
Difficile de résister à une promesse aussi alléchante : le scénariste de 100 Bullets (avec Eduardo Risso) et l'artiste de Suiciders. En fonction de ses goûts, le lecteur a plus ou moins apprécié leur précédente collaboration à Gotham : Joker (2008). Il garde par contre un excellent souvenir de Batman: Noel (2011) réalisé par Bermejo tout seul. Il s'agit du premier projet original publié par la branche Black Label de DC Comics, un label spécialisé dans des histoires plus adultes des superhéros de l'éditeur. La présentation est soignée avec une jaquette de type papier calque, et un format carré sortant de l'ordinaire. le lecteur ouvre le tome au hasard et est immédiatement impressionné par la qualité des dessins : hyper-réalistes, quasi photographiques, avec une mise en couleurs extraordinaire, combinant une approche naturaliste avec une approche impressionniste. le lecteur sait que, quel que soient ses a priori, il a déjà succombé à la séduction de ces planches. Il peut effectivement éprouver un moment de recul en voyant une voix désincarnée se lancer dans un soliloque peu clair et emphatique. Il peut s'inquiéter de voir intervenir John Constantine, signalant que le récit baigne dans le surnaturel. Il peut se crisper en voyant Enchanteresse traitée comme une gothique, et Deadman comme un spectre, c'est-à-dire que les auteurs effectuent une forme de transposition de ces personnages costumés de l'univers partagé DC pour les rendre plus réalistes, plus plausibles dans un univers réel. D'ailleurs c'est exactement ce que Bermejo et Azzarello font subir à deux autres personnages dans un club de magie. Par contre, ils n'essayent même pas avec la dernière créature horrifique à intervenir dans le récit.
Dans le même temps, cette hypothèse d'une velléité de tout ramener au réel vole en éclat dès la première scène. Batman est couché sur une civière et son corps dégage une telle présence que le récit s'inscrit d'office dans le registre superhéros, ce qui ne se produisait pas pour le récit Joker. Lee Bermejo réalise des planches d'une minutie hallucinante. Il a repris le postulat du récit Noël : Bruce Wayne a réalisé son costume de Batman à partir d'éléments du commerce. le lecteur peut les identifier en regardant le personnage. Il voit les coutures renforcées, les bottes de combat, la ceinture à sacoche, la protection ventrale en kevlar, les gants bien rembourrés, les protections aux épaules. du début jusqu'à la fin, l'artiste soigne ses planches avec le même niveau d'investissement, attestant qu'il a disposé du temps nécessaire pour fignoler chaque page. Tout du long, le lecteur obsessionnel peut contempler à loisir les décors, les tenues vestimentaires jusqu'aux boutons des habits, les façades des bâtiments, la texture de la peau des êtres humains comme des animaux, la texture de la pierre dans la grotte ou des pierres taillées de l'église, les sculptures sur les bancs de l'église, les gargouilles, le cuir des banquettes du bar, etc. C'est une qualité tactile qui en devient sensuelle.
Tout du long également, le lecteur baigne dans une ambiance unique, réaliste avec un soupçon d'onirisme grâce à une mise en couleurs sophistiquée et palpable. Il suffit de regarder Batman perché sur un câble d'un pont à hauban pour être bouche bée devant la manière dont chaque détail ressort, alors que tout baigne dans une lumière bleu acier / gris. Il est possible de distinguer les buildings en arrière-plan, tous les câbles partant du hauban, le courant du fleuve, la rive au pied des buildings, la file de circulation en contrebas avec les voitures de police, les 4 policiers, le commissaire Gordon, un témoin en train d'être interrogé, les draps sur les corps, et Batman des petits éperons sur ses gants, jusqu'aux boucles sur ses bottes. Chaque case de chaque page bénéficie de ce degré finition, de cette clarté à la lecture, de cette mise en couleurs. du coup, le lecteur se retrouve au départ pris entre 2 niveaux un peu contradictoire. D'un côté, la narration visuelle l'incite à se placer dans un mode réaliste, où tout ce qui est montré est à prendre au premier degré, comme une description authentique. À partir de ce point de vue, il recommence à se crisper un peu à la vue des personnages habituels de l'univers Batman traités comme de simples individus plus ou moins détraqués, ce qui les appauvrit. En outre ce point de vue réaliste ne fait pas toujours sens. de ce point de vue, l'apparition d'Enchanteresse donne l'impression d'un film de série de Z, John Constantine est une collection de clichés ambulante, et Deadman reste un personnage de comics de superhéros, sans aucun espoir de ne jamais pouvoir lui donner un sens dans un environnement réel. Tous les éléments surnaturels deviennent kitchs et ridicules.
Du coup, le lecteur se dit qu'il ne doit pas être dans le bon mode de lecture. Il revient à son impression première : aussi réalistes que soient les dessins, ils ne parviennent pas à faire croire à l'existence de Batman comme personne réelle. Il reste un fantasme urbain, un alpha-mâle à la résistance impossible, aux capacités trop viriles, à l'apparence trop kitch. du coup, il repasse en mode superhéros dans sa lecture, avec e degré de suspension consentie d'incrédulité qui va avec. L'histoire passe beaucoup mieux ainsi, même si les dessins deviennent presque trop précieux pour un simple récit de superhéros. Comme à son habitude, Brian Azzarrelo ne se gêne pas pour employer un langage fleuri, pour inclure une scène de sexe entre Batman et une ennemie, ni pour augmenter la dose superhéros au-delà de Deadman. Comme à son habitude il joue avec les clichés du polar et ses conventions, les utilisant au premier degré. Comme le récit se déroule en dehors de la continuité, il en ajoute aussi une couche avec les coucheries de papa Wayne. Mais en cours de route, ces éléments hétéroclites finissent par s'agréger dans une narration cohérente, en phase également avec les choix graphiques. Cette plongée de Batman dans un monde plus sombre que d'habitude, très tangible, avec John Constantine sur les talons, en croisant des gugusses aux pouvoirs impossible devient une quête, une expression métaphorique d'autre chose. Ce monde de cauchemar à la logique étrange est tellement incarné que le héros ne peut pas s'en échapper, qu'il doit toujours avancer et se confronter à ses souvenirs et à des vérités, dans une quête spirituelle. En poussant Batman dans ses derniers retranchements réalistes, Brian Azzarello et Lee Bermejo confrontent le personnage à l'absurdité d'un type qui s'habille en chauve-souris pour lutter contre le crime de rue. Ils contentent le lecteur de superhéros en incluant des personnages aux pouvoirs tellement impossibles que le récit rebascule dans le registre superhéros. Dans le même temps, l'enquête de Batman prend une dimension de métaphore, rappelant que quand il est bien maîtrisé le genre superhéros peut s'avérer aussi riche que n'importe quel autre genre littéraire, et servir de support à n'importe quel type de récit.
L'éditeur DC Comics est spécialisé dans le genre superhéros. Quand il publie ce récit, le lecteur part avec le présupposé que l'objectif est de proposer un récit de Batman le plus réaliste possible, surtout avec un scénariste maître du polar urbain, et un dessinateur maître de la représentation hyperréaliste, un peu inquiet d'une perte de saveur de personnages plus grands que nature. Le début donne l'impression que cette volonté de réalisme est incompatible avec le concept d'un individu qui s'habille en chauve-souris. Petit à petit, l'évidence se fait : Azzarello & Bermejo ne renient rien des conventions de superhéros, et au contraire les utilisent avec leur touche personnelle, pour un récit qui est avant tout un récit de superhéros, mais aussi un polar urbain agissant comme le révélateur de la psyché du héros. Remarque : pour cette édition complète, les responsables éditoriaux ont pris le parti de faire disparaître dans les ombres, le sexe de Bruce Wayne, nu après être sorti de la Batmobile dans la Batcave.
Un album qui marquera à coup sûr 2024.
Des auteurs, je ne connaissais que Savoia … Alors que je ramenais ma fraise, j’ai eu l’air d’un ignare devant mon bibliothécaire, il m’apprend donc que Petit pays est d’abord un roman d’un rappeur/écrivain et qu’il a même déjà fait l’objet d’une adaptation au cinéma.
Je découvre donc ce récit via le médium BD, et bah franchement je le conseille à tout le monde. C’est assez magistral dans le rendu, j’ai été complètement happé de la première à la dernière case.
Le style du dessinateur a encore évolué de belle manière, tout est parfait pour nous immerger : trait, couleurs, narration…
L’histoire est très dure et remplie d’horreurs. Gaël Faye, alors enfant, nous relate sa vie pendant le conflit Rwandais. De l’insouciance à la perte de l’innocence, à travers ses yeux d’enfant et ses questionnements, nous assistons à cette aberration qui chamboulera à jamais sa vie. Ses parents m’ont beaucoup touché.
Un témoignage rare et utile, parfaitement construit. Remarquable.
Surpris des notes moyennes.
Moi, je me suis régalé à la lecture des 2 albums concoctés par fabcaro et erré.
Mission remplie : faire rire, c'est réussi.
Dessin cartoonesque, gags absurdes car décalé entre la transposition de notre période et celle du western.
Bd humoristique bien au dessus des albums Solos de fabcaro pour lequel je n'accroche vraiment pas ( open bar, ....).
Le même régal qu'avec z comme Diego des mêmes auteurs.
Bd bien meilleure que certaines qui ont pourtant un succès que je ne comprends pas du tout, tant c'est plat, ennuyeux, je pense à riad satouf ( cahiers d'esther, arabe du futur, jamais réussi à finir un album !) ou silex and thé city, mon dieu, horrible à lire)
Alors, si vous voulez passer du bon temps avec une BD qui vous fait rire, n'hésitez pas !!
Vous êtes étranges, vous les chrétiens. Vous adorez des perdants qui ont été mis à mort.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il s'agit d'une reconstitution de la vie de Léon Ier le grand de l'an 452 à l'an 455. Sa première édition date de 2019. Il a été réalisé par France Richemond, médiéviste, pour le scénario, Stefano Carloni pour les dessins, et Luca Merli pour la couleur. Il comporte quarante-six planches de bande dessinée. En fin d'ouvrage, se trouve un dossier écrit par Bernard Lecomte, développant le contexte historique dans lequel a vécu le quarante-cinquième pape : le déclin de l'Empire romain, Un pouvoir impérial en déconfiture, La primauté de Rome, Que sait-on de Léon ?, Léon triomphe à Chalcédoine, La lutte contre les hérésies, le face-à-face avec Attila, Après Attila, Genséric, Ce qui reste de Léon.
À Milan, des barbares à cheval, poursuivent des citoyens et les exterminent avec leur épée : c'est un massacre ! Quelques temps auparavant, à Ravenne, dans le palais de l'empereur d'Occident, Valentinien III reçoit le vénérable Léon, évêque de Rome. Avant que l'hôte ne soit autorisé à entrer, la discussion s'engage entre l'empereur, son épouse Licinia Eudoxia et Honoria la soeur de Valentinien. Son épouse lui reproche de ne pas s'intéresser à la religion, de ne pas avoir l'envergure de son cher père, l'empereur d'Orient qui a tant lutté pour la Foi, que son manque d'ambition a pour conséquence que l'empire restera éternellement divisé entre l'Orient et l'Occident. Il rétorque qu'il n'a peut-être pas d'envergure, mais qu'il est vivant, alors que son père Théodose vient de se tuer bêtement, d'une chute de cheval. Elle réagit : il aurait pu en profiter pour réclamer l'empire d'Orient puisqu'elle est la seule héritière, au lieu de laisser sa tante Pulchérie se saisir de la pourpre avec Marcien, son époux fantoche. Il décide de faire entrer le pape Léon premier.
Le pape l'informe que c'est un jour heureux : le concile de Chalcédoine que la défunte impératrice Galla Placidia souhaitait tant a rétabli la pureté de la Foi. Licinia en rajoute : la mère de l'empereur savait, elle, que le destin de l'empire est lié à celui de l'Église. Léon premier synthétise les faits : une grave hérésie est venue du moine Eutychès, supérieur d'un puissant monastère de Constantinople. Sa réputation de sainteté et d'ascèse rayonnait dans tout l'Orient, pourtant il s'acharnait dans l'erreur monophysite. Eutychès refusait de croire que le Seigneur Jésus ait une âme humaine. Il la jugeait incompatible avec sa divinité. Honoria rappelle que l'empereur Théodose avait tout fait pour protéger ce moine. Jusqu'à convoquer un concile dans le seul but de faire lever l'excommunication lancée contre lui. Concile où l'on refusa la parole aux légats du vénérable pape Léon, et où Flavien, le patriarche de Constantinople, fut arrêté violemment en pleine séance. Les rappels théologiques continuent ainsi jusqu'à l'irruption d'un soldat qui les informe qu'Attila et ses Huns sont en train de massacrer les romains dans la cité de Milan.
Un défi ambitieux : une reconstitution historique, devant en plus évoquer la Foi catholique puisqu'il s'agit d'un pape. le lecteur habitué des bandes dessinées à caractère historique s'est déjà forgé son horizon d'attente : des dessins descriptifs, avec beaucoup de dialogues ou d'exposition à rendre vivants, quelques exagérations romanesques dans les prises de vue, une nécessité contraignante pour la scénariste d'exposer de nombreux éléments historiques dans une pagination restreinte, également par le biais de cartouches. La première séquence comporte deux pages consacrées au massacre des habitants de Milan par les Huns. La prise de vue est dynamique, avec des angles et des cadrages accentuant l'impression de mouvement par des plongées et des contreplongées, de la violence. Il n'y a que quatre phylactères très courts pour laisser la place à l'action visuelle. La seconde séquence se déroule sur six pages, des discussions en deux parties, d'abord entre l'empereur, sa sœur et son épouse, puis avec l'interlocuteur supplémentaire qu'est le pape Léon. L'artiste met en œuvre un réel savoir-faire, avec une forte implication pour que la prise de vue ne se limite pas à une simple alternance de champ et contrechamp. Il ne lésine ni sur la représentation des arrière-plans, ni sur les angles de vue travaillés, avec par exemple une vue de dessus de la salle du trône pour établir la configuration de la pièce. La scénariste entremêle les informations avec l'état d'esprit des personnages, faisant ainsi passer leurs émotions. La narration s'avère vivante, retenant l'attention du lecteur.
Au vu du titre et du sujet, cette bande dessinée attire le lecteur qui y vient en toute connaissance de cause : un récit historique sur un moment précis de la vie du quarante-cinquième pape, dans un contexte bien défini. Pour autant, les auteurs doivent s'adresser aussi bien au néophyte qu'à celui qui dispose déjà de quelques notions. Pour être crédible, le dessinateur doit être en mesure de proposer des visuels plausibles, et de nature descriptive, ce qui induit un bon niveau de recherches de références historiques, ainsi qu'un degré de détails suffisant, sans devenir trop pesant. S'il a déjà lu d'autres bandes dessinées historiques, le lecteur se retrouve très favorablement impressionné par l'investissement de Stefano Carloni pour donner à voir cette époque. le lecteur prend le temps de savourer les différents lieux et leurs aménagements : la salle du trône de Valentinien III avec son dallage, ses colonnes, son plafond, le camp des Huns et leurs tentes, celle d'Attila où il reçoit le pape, les meubles, les tapis, les plats et les mets servis, l'extérieur du palais impérial à Rome, sa piscine pour les bains, le port de Rome alors qu'arrivent les navires de la flotte de Genséric, roi des Vandales et des Alains, la grande place de Rome, l'étude dans laquelle Léon dicte ses missives et rédige ses sermons, etc. le dessinateur ne se contente pas de représenter le décor dans la première case de chaque séquence, puis de laisser les fonds vides au bon soin du coloriste : il les représente dans presque toutes les cases, ce qui permet au lecteur de se projeter dans chaque lieu, d'avoir à l'esprit où se déroule chaque scène, de découvrir d'autres aspects du lieu dans les cases suivantes en fonction des mouvements de caméra.
D'une manière tout aussi solide et documentée, la scénariste dose habilement les informations historiques et leur exposé, avec des moments faisant ressortir la personnalité ou l'émotion des personnages. le lecteur n'éprouve jamais la sensation de se perdre en route, ou de passer à côté des enjeux. La scène d'ouverture établit visuellement qu'il s'agit d'éviter que Rome et ses habitants ne subissent le même sort que Milan et les milanais. Les personnages historiques bénéficient d'une présentation savamment dosée pour être définis, sans jamais avoir l'impression de lire une fiche dans une encyclopédie. le lecteur fait ainsi connaissance avec Valentinien, son épouse Licinia Eudoxia, sa soeur Honoria, le pape Léon, Flavius Aetius, Attila, le sénateur Flavius Bassus Hercolanus, Dame Lucina et son époux, etc. Dans le même temps, il prend note de ceux qui sont évoqués lors de conversation : Priscillien (340-385), Marcien (392-457), Pélage (v. 350 - v. 420), etc. Leur mention se fait avec ce qu'il faut d'informations pour qu'il ne s'agisse pas d'une liste désincarnée, sans devenir trop pesant. Lorsque se produit le face-à-face promis par le titre, le lecteur situe aussi bien Attila en tant que chef de la horde des Huns, et les enjeux pour lui, que le pape Léon, d'où il vient et sa foi. L'entretien s'avère passionnant, sans que les auteurs n'aient besoin de recourir à une dramatisation artificielle ou appuyée.
L'évocation d'un moment de la vie d'un pape ne s'arrête pas à une reconstitution historique de nature politique : le lecteur attend également que soit évoqué l'Église et la Foi. La scénariste n'occulte pas cette dimension, sans faire ni œuvre de prosélytisme, ni se montrer moqueuse. Elle établit l'Église comme une force politique indissoluble de l'unité de l'empire. Elle ne se limite pas à ça : elle intègre le fait que le pape est le chef de l'Église et le montre à l’œuvre. Il ne s'agit pas de le montrer accomplissant les rituels catholiques : elle met en scène son apport décisif à l'unité de l'Église en luttant contre les hérésies. À nouveau, pas besoin d'être versé dans l'histoire du dogme catholique pour comprendre les enjeux. La narration comporte les éléments nécessaires à la compréhension d'hérésies comme le monophysisme, le pélagianisme ou le manichéisme. Libre au lecteur de continuer en allant chercher de plus amples informations dans une encyclopédie. Après avoir parcouru le dossier en fin d'ouvrage, il prend mieux la mesure de la qualité d'écriture et de narration de la bande dessinée : ce texte vient étoffer ce qui est exposé dans la bande dessinée, attestant qu'elle contient bien tous les éléments essentiels.
Parfois, un lecteur doute que les auteurs parviennent à tenir leurs promesses, tellement le projet est ambitieux. Ici, il vient pour découvrir qui fut le pape Léon premier, pourquoi il a laissé une trace dans l'Histoire, et dans quelles circonstances il s'est retrouvé face à Attila, sans forcément nourrir un goût prononcé pour la religion. Il reconnait bien les spécificités propres à la majeure partie des bandes dessinées historiques : dessins descriptifs pour donner de la consistance à la reconstitution, et volume d'informations important. Il se rend vite compte que dessinateur et scénariste se montrent très compétents et investis pour réaliser des planches sans dramatisation artificielle ou arrière-plans sporadiques, avec un dosage de l'information remarquable. Les personnages historiques sont animés par des motivations et des émotions réelles, tout en restant cohérents avec la vérité historique. le rôle de l'Église est au cœur du récit, ainsi que l'importance du pape, sans prosélytisme, tout en établissant les enjeux tant politiques que théologiques de l'institution. Remarquable.
Une artiste doit tout expérimenter, mais ne doit jamais tout révéler.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première édition date de 2017. Cette bande dessinée a été réalisée par Virginie Greiner pour le scénario, et Daphné Collignon pour les dessins et les couleurs. Elle comprend quarante-six pages. L'ouvrage se termine avec un dossier de sept pages, écrit par Dimitri Joannidès, une biographie de l'artiste Tamara de Lempicka, en six parties : Une jeunesse cosmopolite, À la conquête de Paris, le style garçonne, La vanité du paraître, La belle Rafaëla, La fin d'un monde, Une reconnaissance posthume. Chaque page est illustrée, par une photographie dans la première page, et par un tableau pour les six pages suivantes : Vierge bleue (1934), La chemise rose ou Jeune femme les seins dénudés vêtue d'une combinaison de dentelle transparente (1933), Roses dans un vase (1950), La belle Rafaëla (1927), Chambre d'hôtel (1951), Adam et Ève (1932).
En 1923, dans un café huppé, Tamara de Lempicka est assise à une table avec une autre femme et deux hommes, tous en habits. Elle prend une cigarette dans l'étui d'un des deux gentlemen. Celui-ci fait observer que les femmes bien élevées ne se servent pas par elles-mêmes. Elle lui rétorque qu'elle prend ça comme un compliment. Son amie lui demande si elle a repéré le mâle idéal parmi les autres clients. Elle répond qu'il n'y a rien d'intéressant pour le moment. Un homme s'approche de leur table pour inviter Tamara à danser. Elle le toise lentement et répond par un simple non, sans façon. Les autres observent qu'en voilà un qui ne reviendra pas de sitôt, et souhaitent savoir pour quelle raison elle l'a congédié car il était pourtant très séduisant. Elle répond qu'il n'était pas assez italien à son goût, les Italiens sont les seuls hommes qui baisent plus longtemps que n'importe quels autres. À l'invitation d'un des deux hommes, elle se lève pour aller danser avec l'autre invitée. Bientôt un petit groupe se forme pour les regarder, en particulier les ondulations de Tamara.
Une fois la danse terminée, le prince Yusuov, travestie en femme, vient les saluer. Il explique que sa belle robe noire est du dernier chic parmi les gens qui comptent ici et en nomme plusieurs assis à une table : la duchesse de la Salle, Natalie Barney, Jean Cocteau, Gide et Colette. Il continue : Natalie Barney tient le meilleur salon saphique de la capitale, et il espère vivement qu'elle y viendra. Puis il s'avance vers la table et leur présente Tamara de Lempicka : une talentueuse peintre de ses amies, ses toiles accèderont bientôt à une gloire méritée. La conversation s'engage évoquant la Révolution russe, à laquelle Tamara a survécu, le champagne à la cour du tsar, Tadeusz Lempicka, le mari de Tamara. En réponse à une question, elle explique qu'elle essaye d'aller au-delà de l'image. Elle peint les gens comme ils sont, mais surtout ce qu'ils ont dedans. Elle utilise son intuition pour capturer leur vraie personnalité. Elle accepte de faire le portrait de la duchesse de la Salle, et elle accepte l'invitation de Natalie Barney de se rendre à son prochain vendredi.
Même si la date de la première séquence n'est pas explicite, le lecteur découvre la peintre dans son atelier à Paris, et le récit semble se dérouler sur quelques jours, s'achevant avec la présentation de la toile La belle Rafaëla qui date de 1927. Les autrices ont donc choisi de concentrer leur récit sur cette courte période, plutôt que de réaliser une biographie complète. le lecteur accompagne Tamara de Lempicka dans sa vie quotidienne, et elle est présente sur toutes les planches de l'album. Il observe une femme menant une vie de bohème quelque peu dissolue, mais sans souci matériel grâce à son succès. C'est d'ailleurs d'elle que provient la source de revenu de la famille. Elle vit une vie aussi libre que celle d'un homme, une vie d'artiste, une femme libérée (quasi) ouvertement bisexuelle, qui parle parfois d'elle à la troisième personne du singulier, par exemple quand elle s'adresse à sa fille Marie-Christine (1916-1980, surnommé Kizette) alors âgée d'environ dix ans. Les autrices n'insistent pas trop sur le poids des interdits de la société, ni sur le coût de les braver, le contrecoup étant d'une autre nature.
Dans un premier temps, le lecteur remarque surtout le caractère feutré de la mise en couleurs, propices aux conversations dans les cafés en soirée, et dans les alcôves. La coloriste a choisi une palette volontairement réduite. Dans la première scène, les personnages et le décor sont rendus avec des bruns de type alezan, acajou, auburn, bronze, café au lait, cannelle, chaudron, lavallière, tabac, terre de Sienne, etc. Un personnage peut parfois ressortir par contraste dans une teinte plus orangée. Il ne s'agit pas d'une mise en couleur naturaliste, mais axée sur l'ambiance lumineuse, pour transcrire un état d'esprit, et s'approcher également de certaines couleurs des tableaux de l'artiste. Il en va ainsi tout le long de l'album, avec des glissements dans des tons plus gris, ou plus vert, en fonction de la nature de la séquence. Cela a pour effet d'établir une continuité forte, comme s'il s'agissait de l'état d'esprit de Tamara de Lempicka tout du long. Par voie de conséquence, cette approche accentue également ce qui est représenté dans chaque case, ce qui fait rapidement prendre conscience au lecteur que beaucoup sont consacrées à des visages ou des bustes des personnages en train de parler. Tout en ayant bien conscience de cet effet limité de têtes en train de parler, le lecteur se rend compte qu'il ne produit pas un effet répétitif ou appauvrissant, car il confère plus de présence aux personnages.
Le parti pris de la colorisation étant très affirmé, il imprègne les traits encrés au point d'en devenir indissociable. En se concentrant sur ces derniers, le lecteur perçoit des traits de contour assez arrondis ce qui rend les dessins plus agréables à l’œil, ainsi que des simplifications dans la représentation des personnages et des décors. Par exemple, les pupilles et les iris se retrouvent réduits à un simple point noir dans certaines cases. Les très gros plans sur les visages ou sur les corps peuvent affranchir l'artiste de représenter quelque arrière-plan que ce soit, ou même le laisser juste en blanc, vierge de tout trait. Dans le même temps, ces choix graphiques apportent une sorte de légèreté et de grâce à la narration visuelle. Pour autant, Daphné Collignon représente des personnages aisément reconnaissables. Elle prend de toujours planter le décor dans plusieurs cases, ne laissant jamais le lecteur dans l'incertitude du lieu où se déroule la scène, évitant de réduire les personnages à des acteurs interprétant leur rôle sur une scène vide et interchangeable.
L'apparence visuelle de Tamara de Lempicka rend bien compte de son caractère affirmé, de sa sensualité sans tomber dans l'exagération ou la vulgarité. Les autres personnages se comportent comme de vrais adultes que ce soit dans leurs postures, leur langage corporel ou l'expression de leur visage. Loin de se réduire à une succession monotone de têtes en train de parler, la narration visuelle emmène le lecteur vers des moments mémorables : Tamara de Lempicka dansant avec une femme dans un boîte très consciente du regard des hommes, la peintre prenant du recul sur le tableau qu'elle est en train de réaliser, les tentatives de son mari pour prendre le dessus de la conversation avec elle, sa concentration en observant les toiles de maître au Louvre, l'intimité artistique qui s'installe entre elle et André Gide (1869-1951), Tamara expliquant à sa fille en quoi sa vie d'artiste est différente de celle des autres femmes, la peintre abordant sa future muse Rafaëla, la réaction des invités lors du dévoilement du tableau La belle Rafaëla. Au fur et à mesure, le lecteur succombe au magnétisme que dégage Tamara de Lempicka, telle que mise en scène par la dessinatrice.
Dans un premier temps, le lecteur peut s'interroger sur le choix réducteur de s'intéresser à une très courte période de la vie de la peintre, sans évoquer ses années de formation, les aspects concrets de son succès, l'impact de son œuvre sur les artistes de l'époque, ou simplement la pertinence de son expression artistique comme incarnation de l'esprit du moment, et ce qu'elle comportait également d'universel. Mais en fait si, tous ces éléments s'y trouve bien, sous une forme elliptique, le temps d'un dialogue ou d'une case, sans pour autant prendre la forme d'un exposé exhaustif, plus d'évocations allusives. Au fur et à mesure, il apparaît que cette focalisation sur cette courte période permet de cristalliser comment sa peinture constitue à la fois l'expression de la personnalité de l'artiste, ainsi que sa recherche d'un idéal de beauté et de la façon d'en rendre compte par sa peinture, de se montrer à la hauteur de ce qu'elle souhaite exprimer.
L'exercice de la biographie peut parfois paraître vain du fait que personne ne peut réellement savoir ce que pensait un autre individu au cours de sa vie. En effectuant un choix clair dans la reconstitution de la vie de Tamara de Lempicka, les autrices indiquent explicitement qu'il ne s'agit pas d'une œuvre exhaustive, tout en concentrant leur vision de ce qu'incarne cette artiste pour elles. Grâce à une narration visuelle douce qui parvient à être sensuelle, elles parviennent à donner vie à cette femme, à la faire s'incarner, le lecteur tombant sous son charme et quelque peu sous sa domination, sans en avoir forcément bien conscience.
Une tarte à la rhubarbe
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui peut aussi se concevoir comme une première saison, sans assurance qu'il y en aura une seconde. Il comprend les huit épisodes initialement parus en 2018/2019, coécrits par Robert Kirkman & Scott M. Gimple, dessinés par Chris Burnham, et mis en couleurs par Nathan Fairbairn.
À Shrewsbury en Angleterre, des chiens sont en train de faire une course dans un stade, les parieurs guettant anxieusement leur progression. Un homme en bouscule un autre et ramasse le ticket de pari qu'il a fait tomber, et le rend à l'homme âgé. Ce dernier se rend compte que ce n'est pas son ticket de pari, mais qu'il porte le nom du chien gagnant à mille contre un. de son côté, Paul a enfourché sa moto et s'en va à toute allure, sans casque. Il constate dans le rétroviseur qu'il est suivi par un Hummer et qu'on lui tire dessus, une balle cassant son rétroviseur droit. Il riposte avec un pistolet en vain. le Hummer percute l'arrière de la moto à 2 reprises et Paul finit par voler dans les airs. Il retrouve son arme à feu dans le talus et continue de se défendre, abattant trois poursuivants. Il arrive encore à en maîtriser 2 autres, mais se fait neutraliser par derrière par Stan qui lui sectionne le nez avec son couteau, puis qui l'assomme avec un coup porté par le manche sur la tempe. de par le monde, il existe des individus animés d'intentions mauvaises qu'ils mettent à exécution. Au sein du gouvernement des États-Unis existe une cabale secrète qui utilise les assassinats dirigés pour éliminer ces individus nuisibles et toxiques pour la société.
Stan essuie son couteau et s'assure que ses assistants encore vivants ; ces derniers emmènent Paul toujours inconscient. Dans son bureau plongé dans le noir, la sénatrice Connie Lipshitz s'enfile trois rails de coke en pensant au secrétaire d'état à l'environnement David Atkinson qui est un pédophile. Elle pense à tous les moyens de le neutraliser, mais aussi aux conséquences de son élimination, et aux moyens pour contenir ces effets secondaires. Nate Lipshitz fait irruption dans son bureau, constatant qu'il y a un homme nu sur le canapé. Connie Lipshitz place devant lui une petite boîte en lui demandant de l'ouvrir. À l'intérieur il découvre un nez. La sénatrice lui explique que c'est celui de Paul (un de ses agents) et qu'il faut le récupérer. Elle part déjeuner avec Anita Chavez. Elle l'asticote tant et plus avec un mélange de chantage et de rudesse que Chavez finit par lâcher le morceau : Paul va être vendu au plus offrant, dans une mise aux enchères spéciale. Dans une riche demeure, un individu ressemblant comme 2 gouttes d'eau à Paul se gare dans l'allée, salue son assistant Martin et se place devant le tableau des armes à feu pour choisir celle pour sa prochaine mission. Au beau milieu d'une forêt, un hélicoptère se pose, Nate Lipshitz en descend et hèle l'individu habitant la cabane en bois au bord de la clairière : John.
Difficile de résister à la curiosité en voyant un nouveau titre écrit par Robert Kirkman, le scénariste de The Walking Dead et Invincible, même si ici il ne fait que coécrire le titre. En outre, l'artiste Chris Burnham a réalisé des histoires remarquables comme Batman Incorporated avec Grant Morrison, Nameless également avec Morrison, Nixon's Pals avec Joe Casey. Scott M. Gimple a plus travaillé pour Bongo Comics, sur la série des Simpson. La couverture promet une boucherie, un carnage sanglant, et un nez sectionné. Les auteurs ne font pas attendre le lecteur, et après cette page avec le ticket de pari gagnant, le premier combat s'engage. Chris Burnham dessine de manière descriptive et détaillée pour un bon niveau de réalisme. Son découpage de planche accentue les mouvements, et son plan de prise de vue est conçu sur mesure, provoquant l'immersion et l'implication du lecteur. Dès la quatrième page, des balles traversent des crânes, avec giclée de sang à la sortie de la boîte crânienne. le tranchage de nez est montré en gros plan, plus sanglant que gore, mais très cru. Pas de promesse mensongère : la série s'intitule Meurs répété trois fois avec point d'exclamation, et le récit tient cette promesse : visage couvert du sang d'un ennemi, balle en plein front à bout portant, couteau enfoncé avec force à travers le crâne, automutilation, nez cassé, tranchage de gorge. Il n'y a pas tromperie sur la marchandise.
Le lecteur constate que les auteurs (scénaristes et dessinateur) n'hésitent pas à apposer une petite touche d'humour noir. Difficile de ne pas sourire à cette femme enfonçant une dague effilée dans l'arrière du crâne de son amant avec la pointe qui ressort par le front (Quelle force dans le coup porté !), devant une dizaine de personnes. Kirkman, Gimple et Burnham s'en donnent également à cœur joie dans le mauvais goût comportemental et graphique. le lecteur peut donc voir la sénatrice Connie Lipshitz sniffer des rails de poudre de blanche, un type se faire dans sa culotte au point que son pantalon s'en trouve tout marron, une femme en train de se faire lécher sous le bureau. Par certains côtés, ce genre de scène peut faire penser à des moments Ennis, mais ils restent dans une la zone de plausibilité, sans aller jusqu'à l'absurde. Ils sont révélateurs d'un trait de personnalité de l'individu qui les perpétue, restant à la frontière du mauvais goût assumé et d'un moment Ennis. Ce genre d'éléments peut dégoûter certains lecteurs, tout comme la violence sanglante peut également en écarter d'autres. Là encore, la couverture annonce la couleur et le lecteur peut se tenir à l'écart d'un tel type d'ouvrage.
Le lecteur est donc servi en termes de violence et de provocation, avec une narration graphique détaillée, donnant de la consistance et de la personnalité à ces horreurs. le lecteur observe des individus réalistes, avec des mouvements de combattants aguerris, des destructions et des blessures plausibles et spectaculaires. Il est frappé par la présence de Connie Lipshitz. L'artiste fait en sorte qu'elle ne soit jamais réduite à un objet du désir : il montre une femme forte et dure, marquée par l'âge, svelte et tonique, une femme impressionnante et intransigeante qui n'est jamais une victime qui a l'habitude de satisfaire ses plaisirs, tout en ayant conscience du prix qu'elle paye, des répercussions sur son caractère et sa personnalité. de la même manière, le sénateur Barnaby Smith est très réel avec ses grosses lunettes rondes, sa calvitie, son sourire amical, sa frêle stature, sa petite taille, et son horrible sourire carnassier quand il tombe le masque. Alors qu'au départ, Nate Lipshitz n'est qu'un individu avec un forte carrure, un sourire enfantin et de beaux cheveux blonds, il s'humanise au fur et à mesure du récit, l'artiste réussissant à faire apparaître des expressions nuancées quand il regarde sa fille ou dans la vie civile. Chris Burnham sait également faire apparaître les différences de caractère entre John, Paul et George, à la fois dans leurs expressions de visage, et dans leur langage corporel. Très rapidement, le lecteur ressent le fait que les auteurs ne sont pas juste en train de bourriner dans un récit d'action plus violent que la moyenne.
Pourtant, au départ, l'intrigue débute de manière basique : un groupe d'agents opérant pour une branche officieuse du gouvernement des États-Unis et se livrant à une guerre des services. Il y en a un qui s'est fait choper et ça dégénère. Il y a une lutte d'influence au sein de ce service officieux qui dégénère en guerre intestine. La cheffe (Connie Lipshitz) mène une vie dissolue, avec orgies, abus de pouvoir, et maltraitance d'une partie de ses collaborateurs, un vrai homme de pouvoir en quelque sorte. Elle ne ressort comme une personne sympathique, que parce qu'en face d'elle Barnaby Smith est pire. Mais dans l'épisode 3, un dialogue entre Lipshitz et Smith attire l'attention du lecteur. Les coscénaristes optent pour une mise en scène très artificielle : les deux personnages sont à l'arrière d'une voiture et chacun son tour bénéficie d'une double page pour exprimer ses convictions profondes (dans un langage fleuri), avec une case occupant les deux tiers de la hauteur de la page et s'étalant sur la double page, avec 8 petites cases de la même taille alignées sur la bande inférieure. La forme du discours manque de naturel, mais le credo ainsi exposé dépasse le simple discours de circonstance pour faire avancer le récit, pour nourrir l'antagonisme. Les paroles prononcées sur ces quatre pages constituent une profession de foi d'adulte quant à ses responsabilités dans la société en fonction de ses compétences, sans une trace d'angélisme ou de romantisme, avec un pragmatisme des plus concrets.
Avec ce passage, le récit acquiert une épaisseur inattendue. L'humour noir et la provocation ne disparaissent pas, la violence non plus. Les motivations des personnages deviennent plus adultes et sortent du manichéisme. Les auteurs mettent en scène le fait que la fin ne justifie pas tous les moyens et que ces derniers ne doivent pas dicter tous les objectifs, ou pire encore devenir des objectifs en eux-mêmes. le récit reste bien dans un sous-genre mélangeant ultra-violence, organisations secrètes, combats spectaculaires et sanglants, avec des missions impossibles à exécuter avec des combats spectaculaires, tout en bénéficiant en plus de personnages étoffés avec leurs propres motivations, leur propre histoire personnelle, leur propre caractère, et d'une réflexion sur la nécessité d'interventions de combat pour lutter à armes égales contre des criminels faisant usage de ces mêmes moyens. Les auteurs épatent également le lecteur par la capacité à faire usage d'un humour sarcastique, cynique, méchant, sans pour autant que le récit ne sombre dans une vision dépressive et sans espoir, un beau numéro d'équilibre.
Le titre de la série annonce un carnage, et il a bien lieu, les auteurs tenant leur promesse, à la fois avec l'intrigue et avec les dessins. Ce récit de genre pour lecteur au cœur bien accroché (deux sectionnements de nez par exemple) ne se limite pas à un usage des conventions dudit genre. Les auteurs font preuve de plus d'ambitions, à la fois sur le recours à des agents secrets mettant à mort leurs cibles, à la fois avec des personnages différenciés, et avec un humour saignant sans être morbide. Une première saison extraordinaire et satisfaisante pour elle- même.
Pourfendeur d'hypocrisie
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Ce tome regroupe des bandes dessinées politiques et satiriques réalisées par Peter Bagge pour le magazine Reason (créé en 1968), de tendance politique libertaire. Il contient 50 éditoriaux réalisées sous forme de comics de 1 à 4 pages, entre 2001 et 2010, et été publié pour la première fois en 2013. La majeure partie de ces éditoriaux sont en couleurs. le tome s'ouvre avec une courte introduction rédigée par Nick Gillepsie, le rédacteur en chef du magazine Reason, indiquant qu'en tant que dessinateur de presse et satiriste, Peter Bagge se montre cruel, mais il est aussi capable de reconnaître quand il s'est trompé. Indépendamment des orientations politiques du lecteur et de ses convictions, il peut être assuré que ces éditoriaux auront au moins 2 effets : le faire réfléchir et le faire rire.
Les différents éditoriaux sont regroupés en 9 chapitres thématiques : (1) la guerre, (2), le sexe), (3) les arts, (4), le business, (5) les cafouillages, (6) les drames, (7) la politique, (8) la nation, (9) une biographie. Chaque chapitre comporte un nombre d'éditoriaux différents, de 2 pour le sexe, à 14 pour celui sur la nation. Chapitre 1 - En 2003 à Seattle, en tant que journaliste, Peter Bagge se rend à une manifestation contre la guerre en Irak, c'est-à-dire la seconde guerre du Golfe (2003-2011). Il écoute les différentes interventions dont celle d'un membre du Congrès ayant traité le président Bush de menteur. Il recueille aussi l'avis et les arguments de différents manifestants. En 2006, il met en scène différents élus à Washington réfléchissant aux nouvelles mesures anti-terrorisme pouvant être mises en œuvre. En 2007, il évoque l'évolution de la législation sur les armes à feu, jusqu'à la possession d'un bazooka. Dans le chapitre consacré au sexe, il assiste en tant que journaliste à une convention sur les genres de vie alternatifs, toujours avec une opinion très critique sur les raisonnements utilisés pour légitimer ces modes de vie aux yeux de la loi. Puis il passe en revue les arguments contre l'avortement et la pilule.
Dans le chapitre consacré aux arts, Peter Bagge ridiculise aussi bien les solos de clarinette dans les concerts de jazz, que les artistes évoquant hypocritement des causes sociales pendant les cérémonies de remise de prix, les financements gouvernementaux à l'art moderne, le rock chrétien, les créateurs au comportement artistique allant à l'encontre de ce qu'ils défendent, et les humoristiques à contretemps et changeant d'opinion en fonction du sens du vent politique. Dans le chapitre sur le commerce, il retrace l'évolution de son appréciation des centres commerciaux géants (mall), l'avis de l'artiste sur la propriété intellectuelle, les casinos implantés dans les réserves indiennes, son expérience d'une convention de comics espagnole, la stratégie des grands commerces entre généralisme ou hyperspécialisation. Les cafouillages concernent aussi bien les transports en commun que les stades municipaux, les trains ou la faillite économique de Detroit. Par la suite il aborde des sujets aussi divers que l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques, les sans-abris, une prison pour femmes, l'hypocrisie inhérente aux présidents des États-Unis, l'immigration clandestine, les idées reçues idiotes… le tome se termine avec une biographie en 12 pages d'Isabel Mary Paterson (1886-1961), et enfin les réactions extrêmes que suscitent les ouvrages de Ayn Rand (1905-1982).
S'il a eu la curiosité d'ouvrir cet ouvrage, le lecteur en connaît déjà la nature : une anthologie d'éditoriaux de nature politique (au sens large) de Peter Bagge. En outre, il sait vraisemblablement aussi que cet auteur revendique être un libertaire, un individu souhaitant une liberté totale dans une société débarrassée des formes institutionnelles de l'autorité. Enfin, Bagge est américain : ses chroniques se basent donc sur des particularités de la société américaine et du peuple américain. Il est également probable qu'il ait été attiré par l'exubérance des dessins marqués par des exagérations caricaturales qui leur donnent une saveur à nulle autre pareille. Effectivement, c'est du Peter Bagge pur jus. Dès la couverture, le lecteur retrouve les bouches dessinées en fer à cheval, avec une dentition soit toute blanche, sans séparation de dents, soit avec des dents de type dent de scie ou une dentition à trou, à chaque fois exagérée pour un effet comique. le dessinateur s'amuse toujours autant avec les expressions des visages : les yeux à moitié exorbités veinés de rouge sous l'effet d'une émotion intense, parfois les yeux comme des billes de loto pour un louchage irrésistible, la bouche grande ouverte pour hurler à plein poumon d'énervement, les sourcils très froncés pour une colère intense, etc. Il est impossible de rester de marbre devant ces individus surexcités, réagissant avec des émotions non filtrées.
Les morphologies des individus sont elles aussi malmenées : les corps deviennent caoutchouteux, en particulier les bras dont les coudes disparaissent souvent pour ne plus laisser qu'une forme arrondie de l'épaule au poignet. L'artiste accentue encore cet effet donnant une impression de souplesse enfantine, avec des têtes parfois plus grosses que la normale (ou des corps plus petits). Les dos peuvent également s'arrondir avec des troncs donnant alors une impression de ballon. Ces caractéristiques confèrent une vitalité remarquable aux personnages, et fait s'exprimer leurs émotions avec force. D'éditorial en éditorial, le lecteur est impressionné par la diversité des individus représentés que ce soit leur morphologie, leur âge, leur coiffure, leur corpulence, leur tenue vestimentaire, leur maintien, leur langage corporel. de la même manière, Bagge sait évoquer des lieux très variés, parfois en quelques traits, parfois avec de nombreux détails : la scène d'un rassemblement, les rayonnages d'une vente privée d'armes, les allées d'un supermarché, le comptoir d'une pharmacie, la chambre d'un adolescent, le salon d'une maison avec canapé et télé, un plateau de tournage de la passion du Christ, les allées d'un complexe commercial, le casino d'une réserve indienne, un stade sportif flambant neuf, un wagon de l'Amtrack, etc. Dans d'autres séquences, il se focalise uniquement sur les personnages et leurs mouvements, avec des fonds vides. Dans tous les cas, il s'agit d'une lecture dense.
S'il a déjà lu des comics de cet auteur, le lecteur sait que son écriture est dense et qu'il faut compter 2 à 3 fois plus de temps pour une lire page de Bagge que pour un comics normal. Il retrouve cette particularité ici, non pas du fait de pavés de texte copieux, mais bien du fait de la concision. Cette caractéristique de son écriture est manifeste dans la biographie d'Isabel Mary Paterson, écrivaine, philosophe, ayant publié un essai sur le libertarisme. Chaque vignette est à la fois concise et dense, le tout intégrant un nombre impressionnant d'éléments de sa vie, sans rien sacrifier aux émotions de chaque moment. le principe des éditoriaux est que Peter Bagge effectue un reportage, ou donne simplement son avis sur un aspect de la société américaine. Il vaut mieux être un peu familier de la forme bipartisane de la vie politique, et de quelques caractéristiques de la société américaine et de sa vie urbaine pour tout saisir, mais cela ne requiert pas un niveau expert, ou une connaissance pointue du contexte sociopolitique des années 2000. le lecteur sait pertinemment que Peter Bagge exprime son avis partial et son point de vue de libertaire sur ce qu'il commente. D'ailleurs il affiche clairement ses convictions dans ses jugements de valeur. Chaque éditorial s'avère très drôle, et même cocasse du fait des capacités d'observation pénétrante de l'auteur, de son point de vue tranché ne s'interdisant pas d'être de mauvaise foi, et de ses jugements critiques à l'emporte-pièce. le lecteur peut très bien ne pas être d'accord, tout en savourant la verve comique de l'auteur.
Peter Bagge n'est pas tendre avec ses concitoyens, encore moins avec les élus, et il n'hésite pas à se mettre en scène avec un regard tout aussi critique pour pointer ses propres incohérences ou lâchetés. Par exemple dans les 4 pages consacrées aux complexes commerciaux (malls), il se met en scène d'abord comme un adolescent fustigeant ces temples de la consommation, pour ensuite dire tout le bien qu'il en pense une fois devenu parent. Il en va de même pour sa position sur la guerre en Iraq, reconnaissant que son premier éditorial était orienté au point d'en devenir idiot. En fonction de sa sensibilité, le lecteur est plus ou moins intéressé par tel sujet. Mais à la lecture, le degré d'implication viscérale de Peter Bagge pour chaque sujet fait qu'il s'y intéresse ne serait-ce que pour les réactions comiques. Il finit par se rendre compte que certaines opinions de l'auteur trahissent parfois un manque d'information (par exemple sur les OGM). Toutefois, comme le commentaire de Bagge est toujours très tranché et presque toujours porteur d'informations, la force émotionnelle de son discours fait que chaque éditorial provoque une réaction chez le lecteur, que ce soit sur la posture faussement pacifiste des États-Unis, sur les conséquences liberticides de la loi anti-terroriste, sur le port d'armes et sa restriction, et même sur les trains et les transports en commun. En effet, ces éditoriaux offrent une vision d'une culture différente de celle du lecteur, lui donnant des points de comparaison, pour une réflexion sur l'organisation de son propre pays. En plus, Peter Bagge est à chaque fois irrésistible quand il s'en prend aux postures hypocrites des politiques comme des consommateurs, un vrai jeu de massacre.
À l'opposé d'éditoriaux austères ou cliniques, ceux de Peter Bagge sont partiaux et habités par une verve comique énorme qui fait que le lecteur ne s'ennuie jamais et se rend compte qu'ils provoquent une réaction irrépressible en lui, l'obligeant à considérer ses propres convictions, pas toujours beaucoup plus brillantes que celle de l'américain moyen.
Qu'on me donne l'envie d'avoir envie.
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Ce tome regroupe les 6 épisodes de la minisérie parue en 2003. Il contient une histoire complète avec Thanos comme personnage principal.
Dès la première page, Thanos soliloque au profit du lecteur sur un fond noir en indiquant que s'il vient de détruire l'univers ce n'est pas pour les raisons que l'on pourrait croire. Il estime que c'était son destin de détruire toute réalité après avoir joué avec le cube cosmique, puis avec le Gant de l'Infini. le récit passe ensuite à l'ascension d'Akhenaten, un pharaon de l'Égypte antique, telle que perçue dans un flash télépathique par Jean Grey. Thor est le premier à percevoir le retour d'Akhenaten depuis Asgard. Puis Silver Surfer découvre les traces destructrices de son passage. Dès son arrivée sur Terre, Akhenaten rassemble les dirigeants de tous les pays pour leur expliquer comment la race humaine va obéir sous son nouveau règne. Doctor Doom (Victor von Doom) commence immédiatement à réfléchir à comment s'accaparer le pouvoir d'Akhenaten. Thanos organise autour de lui une petite équipe de 5 superhéros pour ourdir et mettre en œuvre son propre plan d'action.
Jim Starlin a créé le personnage de Thanos qui est apparu pour la première fois dans l'épisode 55 de la série Iron Man en février 1973. Tout au long de la carrière de Jim Starlin chez Marvel Comics, Thanos n'était pas loin, que ce soit contre Captain Marvel, contre Adam Warlock , contre Silver Surfer (1990), dans la saga des Infinity (Le défi de Thanos : le Gant de l'infini en 1991, La guerre de l'infini en 1992, et La Croisade de l'infini en 1993), ou en solo dans Thanos: le gouffre de l'Infini (2002).
Cette histoire se déroule peu de temps après Infinity Abyss et elle s'inscrit dans la série des histoires Marvel estampillées The end, telles que Hulk - La fin (Peter David & Dale Keown) ou X-Men - The end (Chris Claremont & Sean Chen). Elle peut donc être considérée dans la continuité ou non, suivant la préférence du lecteur.
Une dizaine d'années après Infinity Gauntlet, Jim Starlin semble bien parti pour retrouver ses mêmes thèmes de prédilection et ses mêmes tics narratifs : une nouvelle menace à l'échelle de la destruction de l'univers, une nouvelle source de pouvoir, Thanos à la position toujours moralement ambiguë et des superhéros en veux-tu en voilà qui ne servent à rien. Eh bien oui, la tripotée de superhéros qui apparaissent sporadiquement ne sert qu'à montrer à quel point ils sont inefficaces contre la menace d'Akhenaten. Starlin redonne le même rôle à Doctor Doom : essayer de barboter la source de pouvoir pour son propre usage, au nez et à la barbe de tout le monde. Les entités cosmiques (Eternity, Lord Chaos, Master Order et les autres) font office de figurants de luxe ; il ne manque qu'Uatu à l'appel. Effectivement, Starlin dévoile une autre menace derrière celle d'Akhenaten. Rien ne semble avoir changé depuis Infinity Gauntlet et ses suites. Et pourtant Adam Warlock n'a droit qu'à trois ou quatre répliques ; le centre du récit s'est déplacé de Warlock vers Thanos de manière drastique.
Les 6 épisodes sont dessinés par Jim Starlin, et encrés par Al Milgrom, avec qui il a déjà collaboré à plusieurs reprises (ils ont même pris l'habitude de cosigner sous le nom de Gemini). Milgrom effectue un travail soigné, appliqué et méticuleux, qui met bien en valeur la finesse des détails de Starlin. Il emploie toutefois un trait légèrement plus épais que celui de Starlin, le lecteur amoureux de Starlin notera une petite perte de finesse. Starlin se permet de s'affranchir des décors dans 2 types de situations. La première correspond à Thanos s'adressant à un auditeur invisible sur fond noir ; elle est pleinement justifiée et l'absence de décors constitue un élément important de la narration. La deuxième correspond aux scènes dans une dimension mystique où Christie Scheele (responsable des couleurs) et Starlin jouent avec l'infographie pour établir des camaïeux de couleurs avec des formes géométriques en lieu et place d'un décor en bonne et due forme. le résultat n'est pas très convaincant car il ressemble à une utilisation basique des capacités d'un logiciel de dessin peu sophistiqué.
Malgré ce défaut, il est évident que le projet tenait à cœur de Starlin vu le temps qu'il a passé pour arriver à ce niveau de détails sur les personnages et les décors (dans les autres scènes). Il s'est appliqué à reproduire l'apparence de chaque superhéros conformément aux comics de l'époque (il y a parfois des costumes bizarres, et même 2 ou 3 personnages que je n'ai pas su reconnaître). La mise en page repose sur des cases bien rectangulaires dont le nombre varie de 9 par page, à quelques illustrations en double page pour accentuer une foule ou une action déterminante. le conseil des dieux de différents panthéons fait ressortir à quel point les costumes sont dessinés dans le moindre détail. L'apparence moderne d'Akhenaten fait preuve d'originalité. Il y a un gros travail sur les textures de matériaux qu'il s'agisse de pierres ou de rideaux. La mise en scène des combats est intelligente dans la mesure où le lecteur peut retracer les mouvements de chaque protagoniste. Et Starlin organise de jolis mouvements de caméras dans les séquences les plus longues.
Finalement le lecteur constate que Jim Starlin (et Al Milgrom) a investi beaucoup de temps dans l'illustration de cette histoire, pour aboutir à un aspect visuel descriptif immersif quels que soient les localisations, les personnages et les actions. À un premier niveau de lecture, les agissements de Thanos reprennent la structure de la série des crossovers estampillés Infinity, sans tomber dans la parodie, en innovant sur ces schémas, et en tenant les promesses du titre et de la première page : la fin de l'univers. le fan de Starlin reconnaîtra également dans le personnage d'Akhenaten, le retour de motifs utilisés dans l'Odyssée de la Métamorphose. le résultat est savoureux, intriguant et suffisamment imaginatif pour maintenir le suspense jusqu'au bout.
Et comme dans les crossovers Infinity, Jim Starlin inclut un ou deux métacommentaires dans son récit. le premier apparaît quand Thanos finit par se trouver en situation de détruire l'univers (et ce n'est pas que le pouvoir absolu corrompt absolument). Je vous laisse la surprise de découvrir le deuxième métacommentaire, très ironique, à destination des lecteurs de comics de superhéros et des éditeurs Marvel et DC. The end est donc à ranger parmi les meilleurs récits cosmiques de Jim Starlin, où il reprend une structure qu'il maîtrise pour y inclure des éléments novateurs et aboutir à une fable efficace, à plusieurs niveaux de lecture. Après ce récit, Jim Starlin a débuté une série mensuelle consacrée à Thanos dont les premiers épisodes sont réunis dans Thanos rédemption (2003).
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Honnêtement, c'est sans doute le meilleur Western que j'ai jamais lu. Et Neyef a sans doute fait une oeuvre qui mérite autant lecture, relecture que contemplation. Je ne connaissais de l'auteur que Mutafukaz - Puta Madre que j'ai beaucoup apprécié, et malgré un coup de crayon qui reste assez spécifique mais aisément reconnaissable (nez petit et pointu, décors chargés) je trouve qu'il a fait un travail colossale ici. C'est beau, dans les décors et les environnements, c'est riche, immersif ! On se croirait traverser soi-même les vallées américaines, les grandes plaines et les collines. Je ne pensais pas que ce serait aussi immersif, mais qu'est-ce que j'étais dedans ! A entendre les cris d'oiseaux et à sentir l'odeur des bois qu'on traverse. Mais ce dessin que je loue n'est pas le seul atout, et l'histoire convient tout à fait. Déjà parce que l'auteur a décidé, pour une œuvre aussi longue, de ne pas innover : le canevas est tout ce qu'il y a de plus classique, mais efficace. On est sur du déjà vu dans les grandes lignes, mais c'est typiquement la BD qui nous rappelle que ce n'est pas la nouveauté qui importe, puisque toutes les histoires existent déjà. C'est la façon de la raconter et ce que l'histoire nous dit réellement qui compte. Ici une question d'héritage, de vengeance, de violence aveugle, dans une ambiance de fin des temps pour l'amérindien. Une vraie histoire sordide, dont les ressorts scénaristiques m'ont parfois surpris et qui se finit sur une grande tristesse, du genre qu'on ne peut consoler juste en pleurant. La fin donne des airs de tragédie et j'accepte volontiers le coup du hasard qui fait recroiser les personnages. Nous sommes dans les rouages d'une tragédie antique, où le hasard n'est que la forme prise par la fatalité pour jouer le dernier tour de la pièce. Fortune, nous sommes tous des jouets entre tes mains ! Une telle BD, c'est presque un petit miracle. Une histoire simple pour traiter de divers sujets tous aussi pertinents les uns que les autres, un dessin qui sublime la nature et les paysages pour nous entrainer dans cette longue balade vengeresse, une tragédie que n'aurais pas renié les grecs pour motif final et l'ensemble dans un ouvrage où l'édition a choisi la qualité. Sans rire, je crois bien qu'on est sur un sans-faute ou presque ! Pour ma part, je suis sous le charme comme je l'ai peu été pour des westerns. C'est l'un des genres que je lis le moins en BD, mais quelle découverte ! Incontournable des sorties 2022, à mon sens. Pour dire à quel point cette BD m'a parlé, j'ai depuis très longtemps l'idée de faire un jour une traversée des États-Unis à cheval pour profiter au mieux, pleinement, de ces grands paysages qui me font de l’œil. Cette BD m'a donnée l'impression de pouvoir vivre un peu ce rêve, mais surtout me l'a remis en mémoire alors que je n'y ai plus pensé depuis des années. Je ne peux que vous conseiller de la lire !
Les Yeux dans le mur
C'est toujours un autoportrait qu'on fait. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, réalisée en collaboration par Céline Wagner & Edmond Baudoin. La première édition date de 2003. Il a été réédité avec deux autres récits, le chant des baleines (2005) et Les essuie-glaces (2006), dans le recueil Trois pas vers la couleur. Il s'agit de la première bande dessinée réalisée en couleurs par Edmond Baudoin, et elle compte cinquante planches. Elle s'ouvre avec une page d'introduction. le premier tiers est de la main de Baudoin : il explique que Céline Wagner était venue assister à une dédicace, lui a acheté une bande dessinée, lui a expliquée qu'elle était en dernière année d'une école d'art et qu'il lui a fait un dessin sous lequel il a écrit son adresse. Plus tard, il a reçu une lettre dans laquelle elle lui demandait de venir chez lui pour son stage de fin d'études. Elle est venue. Il ne sait plus aujourd'hui lequel des deux a été stagiaire. Dans sa partie, Wagner évoque ses difficultés à parler de la banlieue, l'environnement où elle a grandi. Dans l'atelier d'Edmond Baudoin à Nice, Céline Wagner est en train de poser alors qu'il est en train de la peindre. Elle lui demande d'arrêter de poser des questions sur la banlieue. Sa banlieue, il lui en a fait un costume, et ce n'est pas celui qu'elle aurait choisi. Les pas nonchalants, la zone, les mots vomis à l'envers, c'est du cinéma. Il sait qu'elle aime les mots à l'endroit. Elle continue : bien sûr, il en reste des traces dans ses gestes, dans ses mots et ses regards, des automatismes, rien à elle. Et c'est ces traces qui le fascinent. de sa banlieue, il ne reste aujourd'hui que des sacs en plastique dans les branches des arbres. Aujourd'hui, elle veut des choses qui n'existent pas. L'esprit de Céline vagabonde un peu : elle pense à une promenade en bordure de mer, se remémorant quelques mots d'une coupure de presse sur le décès de quelqu'un, le succès d'un orchestre engagé en janvier 1999, dans une mise en scène monumentale. Elle est devenue silencieuse et elle revient à l'instant présent. Elle se demande si Edmond cherche vraiment quelque chose. Il la gomme, il gomme petit à petit la réalité pour coller sa gueule à elle sur son tableau. Elle, elle ne veut pas être un tableau. Elle veut devenir elle. Elle lui dit qu'il a les yeux d'un fou, le visage d'un fou. Il lui demande si elle peut enlever sa chemise. Elle répond positivement, mais d'abord elle veut prendre une douche. Elle entre dans la salle de bain. Il enlève du chevalet, le dessin qu'il vient de réaliser, et il accroche une nouvelle feuille blanche. Dans la baignoire, elle se fait la réflexion que si elle se dessinait, elle ne ferait aucun poil, aucun bouton. Juste de la peau lisse, du beau. Et un peu de laid pour qu'on puisse l'aimer. Il demande s'il peut venir ; elle accepte. Il la regarde et répond à sa question : son père à lui était beau, vraiment beau. Quand il est mort, Edmond l'a regardé longtemps. Il n'a rien retrouvé de sa beauté, plus rien. Sa vie était partie et avec elle sa beauté. Il ajoute qu'elle est si belle. Céline répond qu'il lui fout l'angoisse. S'il n'a jamais lu de bande dessinée de d'Edmond Baudoin, le lecteur se demande ce qu'il va trouver, s'il va parvenir à apprécier les partis pris graphiques très personnels, et une histoire qui semble se limiter à quelques instants de discussion entre l'auteur lui-même et une jeune femme venue comme stagiaire. S'il est familier de cet auteur, le lecteur sait qu'il va retrouver des thèmes déjà abordés, que la linéarité présumée du récit n'est simpliste qu'en apparence. Il s'interroge quand même sur le fait que le cœur du récit soit la relation entre l'artiste et son modèle, comme de ses œuvres, par exemple le portrait ou L'Arleri. D'un autre côté, cette création est réalisée à deux, avec la participation du modèle. Effectivement, le récit se compose d'une suite d'échanges entre l'artiste Baudoin et son modèle Wagner : des discussions à bâtons rompues pendant une séance de pose, dans la salle de bain, lors d'une promenade sur les quais, d'un bain de mer depuis une jetée, avec une seule exception, le temps d'une page lorsque Céline se promène seule dans la rue pour aller appeler son père. C'est du pur Edmond Baudoin, avec des traits charbonneux au pinceau, un rapport de séduction, des pages contemplatives en particulier huit dépourvues de tout texte, de tout mot. Pour faire la différence, Edmond utilise la couleur. Les traits de contours sont encrés, le plus souvent au pinceau, parfois à la plume, peut-être des silhouettes tracées par Céline Wagner. Les couleurs semblent apposées au pinceau, avec une approche de type naturaliste, c'est-à-dire des couleurs correspondant à ce que voit l’œil. le lecteur observe toutefois que dans certaines cases, parfois même le temps d'une page, l'usage de la couleur s'éloigne de la réalité pour un effet expressionniste, voire abstrait. Par exemple le corps laissé en blanc de Céline allongée sur des coussins jaune pâle qui forment un motif géométrique abstrait. Des fonds de case entièrement rouge totalement artificiels avec à nouveau le corps dénudé de Céline laissé totalement vierge de couleur, comme une absence d'émotion ressortant contre l'intensité agressive du rouge. Puis, il est possible que la mise en couleurs ne soit pas uniquement le fait de Baudoin. le lecteur relève également quelques particularités visuelles dont Baudoin n'est pas coutumier. Cela commence dans la troisième planche : un petit morceau de journal collé sur le bord d'une case, comme la rémanence fugace et incomplète d'un souvenir qui a échappé à Céline parce que repris par un journaliste, mais qu'elle ne peut pas se sortir de l'esprit. Dans la même case, se trouvent des parallélépipèdes rectangles blancs très géométriques, des formes que Baudoin n'utilise pas. Il s'agit de blocs de béton entassés pour former une digue artificielle. Edmond Baudoin relate cette expérience avec une jeune femme stagiaire en fin d'études d'école d'art : elle est sa modèle et il doit exister une différence d'âge. Elle pose bien volontiers. Comme il l'expliquait dans le portrait, il essaye de dessiner la vie, son rêve impossible, de saisir et transcrire sa beauté. Cela donne un échange particulièrement dérangeant alors qu'il lui parle de la beauté de son père, de sa disparition avec sa mort, de sa beauté à elle, ce qui mène Céline à penser à sa propre mort. Il sort se promener sur le port et contemple les reflets d'un bateau à la surface, en se disant qu'il ne dispose que de ça pour essayer d'aller en dessous, derrière ce miroir, pour saisir l'unicité de la vie de son modèle, dans une métaphore très parlante sous la surface de l'eau / sous la surface de la peau. Mais, par comparaison avec le portrait et L'Arleri, le modèle fait entendre sa propre voix, ses réactions, ses émotions, puisqu'elle est également autrice de cette oeuvre. le lecteur regarde des esquisses comme réalisées au fur et à mesure par Baudoin sur deux planches, 12 & 13, en vis-à-vis, comme si le lecteur était présent alors que l'artiste cherche à saisir cette vie chez son modèle. Puis, il lui indique qu'il a besoin de sortir pour marcher vers le port un moment. Après son départ, Céline se rhabille et part à sa suite. Elle pense qu'il est parti pour essayer de comprendre, qu'il semble que pour comprendre il faille toujours partir. Une fois qu'elle l'a rejoint, elle exprime la manière dont elle perçoit sa façon de faire : il tient à l'habiller d'une légende alors qu'il la peint nue. Par la suite, elle va se baigner, et il la regarde. Elle indique que sous la surface, au fond, c'est vraiment beau, mais on ne peut pas y rester sans mourir. À ce moment, le lecteur prend conscience que l'objectif de rendre compte de la personnalité profonde d'un individu sous la peau rejoint cette volonté de nager sous l'eau, d'aller au fond qui constitue alors une métaphore, une expression différente du même but pour Céline que pour Edmond. En prenant un café en terrasse planche 23, Edmond fait un aveu à Céline : il en a marre ne pas y arriver, on ne peut pas y arriver, l'autre reste toujours l'autre. C'est toujours un autoportrait qu'on fait. En planche 40, dans l'atelier, elle lui fait observer qu'il entretient une obsession : se voir dans tout, alors qu'elle lui montre le portrait d'elle qu'il a fait et dont le visage présente des ressemblances avec le sien à lui. Encore une fois, Baudoin a su parler de son art avec un point de vue différent de ses autres œuvres ayant le même thème. Puis le lecteur se dit qu'il manque d'honnêteté intellectuelle : cette bande dessinée raconte également l'histoire personnelle de Céline par ellipse. Des mots dans ses phrases, les fragments de coupure de journaux avec leurs phrases incomplètes. L'autrice évoque également sa vie, la vie tragique de son amoureux, le lien avec son père, les traces que la banlieue a laissées en elle. Tout cela n'est pas exprimé de manière explicite, plus par remarques indirectes, mais s'il entretient un doute, il suffit au lecteur de relire l'introduction pour que le fil directeur de ces remarques devienne évident. La force de la personnalité de Baudoin semble dominer chaque page, et pourtant la personnalité de Wagner est bien présente en filigrane, parfois de manière apparente et au premier plan. le lecteur se souvient alors de la courte introduction de Baudoin se terminant sur le constat qu'il ne sait plus aujourd'hui lequel des deux a été le stagiaire. En effet, Céline Wagner est parvenue à faire passer sa personnalité dans ses pages malgré la personnalité artistique si singulière de son maître de stage. Elle est parvenue à faire apparaître son être profond dans les portraits en cours d'élaboration réalisés par Baudoin tout du long, à inscrire son fond à elle dans ces exercices où il se heurte à la sensation de toujours faire un autoportrait. Une bande dessinée de plus d'Edmond Baudoin avec son flux de pensée qui n'appartient qu'à lui et ses mêmes thèmes présents tout au long de sa carrière, ici en particulier son rapport aux femmes comme modèles, comme muse. Toutes les qualités de cet artiste sont présentes de ses dessins si vivants exsudant une chaleur humaine irrésistible. Mais c'est aussi plus que ça, une vraie collaboration au sein de laquelle la jeune artiste peut exister car il lui en laisse la place, et sait exister car elle trouve sa propre voix pour s'exprimer.
Batman - Damned
Du superhéros servi bien noir - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de la continuité de Batman. Une connaissance superficielle de Batman suffit pour l'apprécier. Il comprend les 3 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2019, écrits par Brian Azzarello, magnifiquement illustrés par Lee Bermejo, pour les dessins et la mise en couleurs. le lettrage a été réalisé par Jared K. Fleicher. Après un trait plat, le cardiogramme reprend un tracé normal. Une voix intérieure pense à la ligne qui sépare le blanc et le noir, ou la vie et la mort, puis à la chute d'une blague sur la santé mentale et un rayon de lumière. Batman reprend connaissance sur une civière dans une ambulance, avec 2 personnels soignants et un policier à ses côtés. L'infirmier prend des ciseaux pour découper le masque. Batman réagit violemment en le repoussant contre la paroi de l'habitacle, écarte le médecin et se jette sur le policier. Sous le choc, la porte arrière de l'ambulance s'ouvre et les deux hommes se retrouvent sur la chaussée. Ce n'est pas la chute qui fait mal, c'est l'atterrissage. Batman se relève et fonce dans le tas de quatre personnes regroupées pour regarder ce qui se passe. Il court se mettre à l'abri dans une ruelle, personne n'ayant envie de le suivre. Il se souvient de sa chute dans la rivière depuis un pont métallique de Gotham. En reprenant une bouffée d'air, il avait aperçu la silhouette de ses parents sur la rive, avant de reglisser sous la surface de l'eau. Batman reprend un instant conscience dans la ruelle : devant lui se tient John Constantine, menteur professionnel. Ayant reperdu connaissance, Bruce Wayne se souvient d'un moment de son enfance, quand il était sur un jeu d'enfant, un plateau circulaire en train de tourner. Il avait appelé ses parents pour attirer leur attention. Son esprit d'enfant avait remarqué le regard que son père jetait à une autre femme, sans en saisir le sens. Il avait également remarqué une femme aux cheveux filasse sales, habillée gothique, se tenant derrière un arbre, dans le dos de sa mère. L'Enchanteresse lui avait parlé dans son esprit, lui indiquant qu'elle est à la fois le désir et la peur du désir, lui demandant s'il serait à elle. le jeune Bruce avait chuté du manège. Batman se réveille sur un lit dans un petit appartement. John Constantine est dans la pièce d'à côté en train de regarder les nouvelles à la télé : les informations rapportent la mort de Joker dont le corps a été retrouvé sur la berge de la rivière de Gotham. Invisible aux yeux de Batman, se tient Deadman (un spectre) juste aux cotés de John Constantine. Batman file à l'anglaise, Constantine ne s'en rendant compte qu'après avoir fini sa phrase. Batman se jette entre les buildings, et il se laisse tomber en chute libre le long d'une façade, tout en se souvenant d'un moment avec son père et une femme en robe verte, sur un pont métallique de Gotham. Difficile de résister à une promesse aussi alléchante : le scénariste de 100 Bullets (avec Eduardo Risso) et l'artiste de Suiciders. En fonction de ses goûts, le lecteur a plus ou moins apprécié leur précédente collaboration à Gotham : Joker (2008). Il garde par contre un excellent souvenir de Batman: Noel (2011) réalisé par Bermejo tout seul. Il s'agit du premier projet original publié par la branche Black Label de DC Comics, un label spécialisé dans des histoires plus adultes des superhéros de l'éditeur. La présentation est soignée avec une jaquette de type papier calque, et un format carré sortant de l'ordinaire. le lecteur ouvre le tome au hasard et est immédiatement impressionné par la qualité des dessins : hyper-réalistes, quasi photographiques, avec une mise en couleurs extraordinaire, combinant une approche naturaliste avec une approche impressionniste. le lecteur sait que, quel que soient ses a priori, il a déjà succombé à la séduction de ces planches. Il peut effectivement éprouver un moment de recul en voyant une voix désincarnée se lancer dans un soliloque peu clair et emphatique. Il peut s'inquiéter de voir intervenir John Constantine, signalant que le récit baigne dans le surnaturel. Il peut se crisper en voyant Enchanteresse traitée comme une gothique, et Deadman comme un spectre, c'est-à-dire que les auteurs effectuent une forme de transposition de ces personnages costumés de l'univers partagé DC pour les rendre plus réalistes, plus plausibles dans un univers réel. D'ailleurs c'est exactement ce que Bermejo et Azzarello font subir à deux autres personnages dans un club de magie. Par contre, ils n'essayent même pas avec la dernière créature horrifique à intervenir dans le récit. Dans le même temps, cette hypothèse d'une velléité de tout ramener au réel vole en éclat dès la première scène. Batman est couché sur une civière et son corps dégage une telle présence que le récit s'inscrit d'office dans le registre superhéros, ce qui ne se produisait pas pour le récit Joker. Lee Bermejo réalise des planches d'une minutie hallucinante. Il a repris le postulat du récit Noël : Bruce Wayne a réalisé son costume de Batman à partir d'éléments du commerce. le lecteur peut les identifier en regardant le personnage. Il voit les coutures renforcées, les bottes de combat, la ceinture à sacoche, la protection ventrale en kevlar, les gants bien rembourrés, les protections aux épaules. du début jusqu'à la fin, l'artiste soigne ses planches avec le même niveau d'investissement, attestant qu'il a disposé du temps nécessaire pour fignoler chaque page. Tout du long, le lecteur obsessionnel peut contempler à loisir les décors, les tenues vestimentaires jusqu'aux boutons des habits, les façades des bâtiments, la texture de la peau des êtres humains comme des animaux, la texture de la pierre dans la grotte ou des pierres taillées de l'église, les sculptures sur les bancs de l'église, les gargouilles, le cuir des banquettes du bar, etc. C'est une qualité tactile qui en devient sensuelle. Tout du long également, le lecteur baigne dans une ambiance unique, réaliste avec un soupçon d'onirisme grâce à une mise en couleurs sophistiquée et palpable. Il suffit de regarder Batman perché sur un câble d'un pont à hauban pour être bouche bée devant la manière dont chaque détail ressort, alors que tout baigne dans une lumière bleu acier / gris. Il est possible de distinguer les buildings en arrière-plan, tous les câbles partant du hauban, le courant du fleuve, la rive au pied des buildings, la file de circulation en contrebas avec les voitures de police, les 4 policiers, le commissaire Gordon, un témoin en train d'être interrogé, les draps sur les corps, et Batman des petits éperons sur ses gants, jusqu'aux boucles sur ses bottes. Chaque case de chaque page bénéficie de ce degré finition, de cette clarté à la lecture, de cette mise en couleurs. du coup, le lecteur se retrouve au départ pris entre 2 niveaux un peu contradictoire. D'un côté, la narration visuelle l'incite à se placer dans un mode réaliste, où tout ce qui est montré est à prendre au premier degré, comme une description authentique. À partir de ce point de vue, il recommence à se crisper un peu à la vue des personnages habituels de l'univers Batman traités comme de simples individus plus ou moins détraqués, ce qui les appauvrit. En outre ce point de vue réaliste ne fait pas toujours sens. de ce point de vue, l'apparition d'Enchanteresse donne l'impression d'un film de série de Z, John Constantine est une collection de clichés ambulante, et Deadman reste un personnage de comics de superhéros, sans aucun espoir de ne jamais pouvoir lui donner un sens dans un environnement réel. Tous les éléments surnaturels deviennent kitchs et ridicules. Du coup, le lecteur se dit qu'il ne doit pas être dans le bon mode de lecture. Il revient à son impression première : aussi réalistes que soient les dessins, ils ne parviennent pas à faire croire à l'existence de Batman comme personne réelle. Il reste un fantasme urbain, un alpha-mâle à la résistance impossible, aux capacités trop viriles, à l'apparence trop kitch. du coup, il repasse en mode superhéros dans sa lecture, avec e degré de suspension consentie d'incrédulité qui va avec. L'histoire passe beaucoup mieux ainsi, même si les dessins deviennent presque trop précieux pour un simple récit de superhéros. Comme à son habitude, Brian Azzarrelo ne se gêne pas pour employer un langage fleuri, pour inclure une scène de sexe entre Batman et une ennemie, ni pour augmenter la dose superhéros au-delà de Deadman. Comme à son habitude il joue avec les clichés du polar et ses conventions, les utilisant au premier degré. Comme le récit se déroule en dehors de la continuité, il en ajoute aussi une couche avec les coucheries de papa Wayne. Mais en cours de route, ces éléments hétéroclites finissent par s'agréger dans une narration cohérente, en phase également avec les choix graphiques. Cette plongée de Batman dans un monde plus sombre que d'habitude, très tangible, avec John Constantine sur les talons, en croisant des gugusses aux pouvoirs impossible devient une quête, une expression métaphorique d'autre chose. Ce monde de cauchemar à la logique étrange est tellement incarné que le héros ne peut pas s'en échapper, qu'il doit toujours avancer et se confronter à ses souvenirs et à des vérités, dans une quête spirituelle. En poussant Batman dans ses derniers retranchements réalistes, Brian Azzarello et Lee Bermejo confrontent le personnage à l'absurdité d'un type qui s'habille en chauve-souris pour lutter contre le crime de rue. Ils contentent le lecteur de superhéros en incluant des personnages aux pouvoirs tellement impossibles que le récit rebascule dans le registre superhéros. Dans le même temps, l'enquête de Batman prend une dimension de métaphore, rappelant que quand il est bien maîtrisé le genre superhéros peut s'avérer aussi riche que n'importe quel autre genre littéraire, et servir de support à n'importe quel type de récit. L'éditeur DC Comics est spécialisé dans le genre superhéros. Quand il publie ce récit, le lecteur part avec le présupposé que l'objectif est de proposer un récit de Batman le plus réaliste possible, surtout avec un scénariste maître du polar urbain, et un dessinateur maître de la représentation hyperréaliste, un peu inquiet d'une perte de saveur de personnages plus grands que nature. Le début donne l'impression que cette volonté de réalisme est incompatible avec le concept d'un individu qui s'habille en chauve-souris. Petit à petit, l'évidence se fait : Azzarello & Bermejo ne renient rien des conventions de superhéros, et au contraire les utilisent avec leur touche personnelle, pour un récit qui est avant tout un récit de superhéros, mais aussi un polar urbain agissant comme le révélateur de la psyché du héros. Remarque : pour cette édition complète, les responsables éditoriaux ont pris le parti de faire disparaître dans les ombres, le sexe de Bruce Wayne, nu après être sorti de la Batmobile dans la Batcave.
Petit pays
Un album qui marquera à coup sûr 2024. Des auteurs, je ne connaissais que Savoia … Alors que je ramenais ma fraise, j’ai eu l’air d’un ignare devant mon bibliothécaire, il m’apprend donc que Petit pays est d’abord un roman d’un rappeur/écrivain et qu’il a même déjà fait l’objet d’une adaptation au cinéma. Je découvre donc ce récit via le médium BD, et bah franchement je le conseille à tout le monde. C’est assez magistral dans le rendu, j’ai été complètement happé de la première à la dernière case. Le style du dessinateur a encore évolué de belle manière, tout est parfait pour nous immerger : trait, couleurs, narration… L’histoire est très dure et remplie d’horreurs. Gaël Faye, alors enfant, nous relate sa vie pendant le conflit Rwandais. De l’insouciance à la perte de l’innocence, à travers ses yeux d’enfant et ses questionnements, nous assistons à cette aberration qui chamboulera à jamais sa vie. Ses parents m’ont beaucoup touché. Un témoignage rare et utile, parfaitement construit. Remarquable.
Walter Appleduck
Surpris des notes moyennes. Moi, je me suis régalé à la lecture des 2 albums concoctés par fabcaro et erré. Mission remplie : faire rire, c'est réussi. Dessin cartoonesque, gags absurdes car décalé entre la transposition de notre période et celle du western. Bd humoristique bien au dessus des albums Solos de fabcaro pour lequel je n'accroche vraiment pas ( open bar, ....). Le même régal qu'avec z comme Diego des mêmes auteurs. Bd bien meilleure que certaines qui ont pourtant un succès que je ne comprends pas du tout, tant c'est plat, ennuyeux, je pense à riad satouf ( cahiers d'esther, arabe du futur, jamais réussi à finir un album !) ou silex and thé city, mon dieu, horrible à lire) Alors, si vous voulez passer du bon temps avec une BD qui vous fait rire, n'hésitez pas !!
Léon le Grand
Vous êtes étranges, vous les chrétiens. Vous adorez des perdants qui ont été mis à mort. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il s'agit d'une reconstitution de la vie de Léon Ier le grand de l'an 452 à l'an 455. Sa première édition date de 2019. Il a été réalisé par France Richemond, médiéviste, pour le scénario, Stefano Carloni pour les dessins, et Luca Merli pour la couleur. Il comporte quarante-six planches de bande dessinée. En fin d'ouvrage, se trouve un dossier écrit par Bernard Lecomte, développant le contexte historique dans lequel a vécu le quarante-cinquième pape : le déclin de l'Empire romain, Un pouvoir impérial en déconfiture, La primauté de Rome, Que sait-on de Léon ?, Léon triomphe à Chalcédoine, La lutte contre les hérésies, le face-à-face avec Attila, Après Attila, Genséric, Ce qui reste de Léon. À Milan, des barbares à cheval, poursuivent des citoyens et les exterminent avec leur épée : c'est un massacre ! Quelques temps auparavant, à Ravenne, dans le palais de l'empereur d'Occident, Valentinien III reçoit le vénérable Léon, évêque de Rome. Avant que l'hôte ne soit autorisé à entrer, la discussion s'engage entre l'empereur, son épouse Licinia Eudoxia et Honoria la soeur de Valentinien. Son épouse lui reproche de ne pas s'intéresser à la religion, de ne pas avoir l'envergure de son cher père, l'empereur d'Orient qui a tant lutté pour la Foi, que son manque d'ambition a pour conséquence que l'empire restera éternellement divisé entre l'Orient et l'Occident. Il rétorque qu'il n'a peut-être pas d'envergure, mais qu'il est vivant, alors que son père Théodose vient de se tuer bêtement, d'une chute de cheval. Elle réagit : il aurait pu en profiter pour réclamer l'empire d'Orient puisqu'elle est la seule héritière, au lieu de laisser sa tante Pulchérie se saisir de la pourpre avec Marcien, son époux fantoche. Il décide de faire entrer le pape Léon premier. Le pape l'informe que c'est un jour heureux : le concile de Chalcédoine que la défunte impératrice Galla Placidia souhaitait tant a rétabli la pureté de la Foi. Licinia en rajoute : la mère de l'empereur savait, elle, que le destin de l'empire est lié à celui de l'Église. Léon premier synthétise les faits : une grave hérésie est venue du moine Eutychès, supérieur d'un puissant monastère de Constantinople. Sa réputation de sainteté et d'ascèse rayonnait dans tout l'Orient, pourtant il s'acharnait dans l'erreur monophysite. Eutychès refusait de croire que le Seigneur Jésus ait une âme humaine. Il la jugeait incompatible avec sa divinité. Honoria rappelle que l'empereur Théodose avait tout fait pour protéger ce moine. Jusqu'à convoquer un concile dans le seul but de faire lever l'excommunication lancée contre lui. Concile où l'on refusa la parole aux légats du vénérable pape Léon, et où Flavien, le patriarche de Constantinople, fut arrêté violemment en pleine séance. Les rappels théologiques continuent ainsi jusqu'à l'irruption d'un soldat qui les informe qu'Attila et ses Huns sont en train de massacrer les romains dans la cité de Milan. Un défi ambitieux : une reconstitution historique, devant en plus évoquer la Foi catholique puisqu'il s'agit d'un pape. le lecteur habitué des bandes dessinées à caractère historique s'est déjà forgé son horizon d'attente : des dessins descriptifs, avec beaucoup de dialogues ou d'exposition à rendre vivants, quelques exagérations romanesques dans les prises de vue, une nécessité contraignante pour la scénariste d'exposer de nombreux éléments historiques dans une pagination restreinte, également par le biais de cartouches. La première séquence comporte deux pages consacrées au massacre des habitants de Milan par les Huns. La prise de vue est dynamique, avec des angles et des cadrages accentuant l'impression de mouvement par des plongées et des contreplongées, de la violence. Il n'y a que quatre phylactères très courts pour laisser la place à l'action visuelle. La seconde séquence se déroule sur six pages, des discussions en deux parties, d'abord entre l'empereur, sa sœur et son épouse, puis avec l'interlocuteur supplémentaire qu'est le pape Léon. L'artiste met en œuvre un réel savoir-faire, avec une forte implication pour que la prise de vue ne se limite pas à une simple alternance de champ et contrechamp. Il ne lésine ni sur la représentation des arrière-plans, ni sur les angles de vue travaillés, avec par exemple une vue de dessus de la salle du trône pour établir la configuration de la pièce. La scénariste entremêle les informations avec l'état d'esprit des personnages, faisant ainsi passer leurs émotions. La narration s'avère vivante, retenant l'attention du lecteur. Au vu du titre et du sujet, cette bande dessinée attire le lecteur qui y vient en toute connaissance de cause : un récit historique sur un moment précis de la vie du quarante-cinquième pape, dans un contexte bien défini. Pour autant, les auteurs doivent s'adresser aussi bien au néophyte qu'à celui qui dispose déjà de quelques notions. Pour être crédible, le dessinateur doit être en mesure de proposer des visuels plausibles, et de nature descriptive, ce qui induit un bon niveau de recherches de références historiques, ainsi qu'un degré de détails suffisant, sans devenir trop pesant. S'il a déjà lu d'autres bandes dessinées historiques, le lecteur se retrouve très favorablement impressionné par l'investissement de Stefano Carloni pour donner à voir cette époque. le lecteur prend le temps de savourer les différents lieux et leurs aménagements : la salle du trône de Valentinien III avec son dallage, ses colonnes, son plafond, le camp des Huns et leurs tentes, celle d'Attila où il reçoit le pape, les meubles, les tapis, les plats et les mets servis, l'extérieur du palais impérial à Rome, sa piscine pour les bains, le port de Rome alors qu'arrivent les navires de la flotte de Genséric, roi des Vandales et des Alains, la grande place de Rome, l'étude dans laquelle Léon dicte ses missives et rédige ses sermons, etc. le dessinateur ne se contente pas de représenter le décor dans la première case de chaque séquence, puis de laisser les fonds vides au bon soin du coloriste : il les représente dans presque toutes les cases, ce qui permet au lecteur de se projeter dans chaque lieu, d'avoir à l'esprit où se déroule chaque scène, de découvrir d'autres aspects du lieu dans les cases suivantes en fonction des mouvements de caméra. D'une manière tout aussi solide et documentée, la scénariste dose habilement les informations historiques et leur exposé, avec des moments faisant ressortir la personnalité ou l'émotion des personnages. le lecteur n'éprouve jamais la sensation de se perdre en route, ou de passer à côté des enjeux. La scène d'ouverture établit visuellement qu'il s'agit d'éviter que Rome et ses habitants ne subissent le même sort que Milan et les milanais. Les personnages historiques bénéficient d'une présentation savamment dosée pour être définis, sans jamais avoir l'impression de lire une fiche dans une encyclopédie. le lecteur fait ainsi connaissance avec Valentinien, son épouse Licinia Eudoxia, sa soeur Honoria, le pape Léon, Flavius Aetius, Attila, le sénateur Flavius Bassus Hercolanus, Dame Lucina et son époux, etc. Dans le même temps, il prend note de ceux qui sont évoqués lors de conversation : Priscillien (340-385), Marcien (392-457), Pélage (v. 350 - v. 420), etc. Leur mention se fait avec ce qu'il faut d'informations pour qu'il ne s'agisse pas d'une liste désincarnée, sans devenir trop pesant. Lorsque se produit le face-à-face promis par le titre, le lecteur situe aussi bien Attila en tant que chef de la horde des Huns, et les enjeux pour lui, que le pape Léon, d'où il vient et sa foi. L'entretien s'avère passionnant, sans que les auteurs n'aient besoin de recourir à une dramatisation artificielle ou appuyée. L'évocation d'un moment de la vie d'un pape ne s'arrête pas à une reconstitution historique de nature politique : le lecteur attend également que soit évoqué l'Église et la Foi. La scénariste n'occulte pas cette dimension, sans faire ni œuvre de prosélytisme, ni se montrer moqueuse. Elle établit l'Église comme une force politique indissoluble de l'unité de l'empire. Elle ne se limite pas à ça : elle intègre le fait que le pape est le chef de l'Église et le montre à l’œuvre. Il ne s'agit pas de le montrer accomplissant les rituels catholiques : elle met en scène son apport décisif à l'unité de l'Église en luttant contre les hérésies. À nouveau, pas besoin d'être versé dans l'histoire du dogme catholique pour comprendre les enjeux. La narration comporte les éléments nécessaires à la compréhension d'hérésies comme le monophysisme, le pélagianisme ou le manichéisme. Libre au lecteur de continuer en allant chercher de plus amples informations dans une encyclopédie. Après avoir parcouru le dossier en fin d'ouvrage, il prend mieux la mesure de la qualité d'écriture et de narration de la bande dessinée : ce texte vient étoffer ce qui est exposé dans la bande dessinée, attestant qu'elle contient bien tous les éléments essentiels. Parfois, un lecteur doute que les auteurs parviennent à tenir leurs promesses, tellement le projet est ambitieux. Ici, il vient pour découvrir qui fut le pape Léon premier, pourquoi il a laissé une trace dans l'Histoire, et dans quelles circonstances il s'est retrouvé face à Attila, sans forcément nourrir un goût prononcé pour la religion. Il reconnait bien les spécificités propres à la majeure partie des bandes dessinées historiques : dessins descriptifs pour donner de la consistance à la reconstitution, et volume d'informations important. Il se rend vite compte que dessinateur et scénariste se montrent très compétents et investis pour réaliser des planches sans dramatisation artificielle ou arrière-plans sporadiques, avec un dosage de l'information remarquable. Les personnages historiques sont animés par des motivations et des émotions réelles, tout en restant cohérents avec la vérité historique. le rôle de l'Église est au cœur du récit, ainsi que l'importance du pape, sans prosélytisme, tout en établissant les enjeux tant politiques que théologiques de l'institution. Remarquable.
Tamara de Lempicka
Une artiste doit tout expérimenter, mais ne doit jamais tout révéler. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première édition date de 2017. Cette bande dessinée a été réalisée par Virginie Greiner pour le scénario, et Daphné Collignon pour les dessins et les couleurs. Elle comprend quarante-six pages. L'ouvrage se termine avec un dossier de sept pages, écrit par Dimitri Joannidès, une biographie de l'artiste Tamara de Lempicka, en six parties : Une jeunesse cosmopolite, À la conquête de Paris, le style garçonne, La vanité du paraître, La belle Rafaëla, La fin d'un monde, Une reconnaissance posthume. Chaque page est illustrée, par une photographie dans la première page, et par un tableau pour les six pages suivantes : Vierge bleue (1934), La chemise rose ou Jeune femme les seins dénudés vêtue d'une combinaison de dentelle transparente (1933), Roses dans un vase (1950), La belle Rafaëla (1927), Chambre d'hôtel (1951), Adam et Ève (1932). En 1923, dans un café huppé, Tamara de Lempicka est assise à une table avec une autre femme et deux hommes, tous en habits. Elle prend une cigarette dans l'étui d'un des deux gentlemen. Celui-ci fait observer que les femmes bien élevées ne se servent pas par elles-mêmes. Elle lui rétorque qu'elle prend ça comme un compliment. Son amie lui demande si elle a repéré le mâle idéal parmi les autres clients. Elle répond qu'il n'y a rien d'intéressant pour le moment. Un homme s'approche de leur table pour inviter Tamara à danser. Elle le toise lentement et répond par un simple non, sans façon. Les autres observent qu'en voilà un qui ne reviendra pas de sitôt, et souhaitent savoir pour quelle raison elle l'a congédié car il était pourtant très séduisant. Elle répond qu'il n'était pas assez italien à son goût, les Italiens sont les seuls hommes qui baisent plus longtemps que n'importe quels autres. À l'invitation d'un des deux hommes, elle se lève pour aller danser avec l'autre invitée. Bientôt un petit groupe se forme pour les regarder, en particulier les ondulations de Tamara. Une fois la danse terminée, le prince Yusuov, travestie en femme, vient les saluer. Il explique que sa belle robe noire est du dernier chic parmi les gens qui comptent ici et en nomme plusieurs assis à une table : la duchesse de la Salle, Natalie Barney, Jean Cocteau, Gide et Colette. Il continue : Natalie Barney tient le meilleur salon saphique de la capitale, et il espère vivement qu'elle y viendra. Puis il s'avance vers la table et leur présente Tamara de Lempicka : une talentueuse peintre de ses amies, ses toiles accèderont bientôt à une gloire méritée. La conversation s'engage évoquant la Révolution russe, à laquelle Tamara a survécu, le champagne à la cour du tsar, Tadeusz Lempicka, le mari de Tamara. En réponse à une question, elle explique qu'elle essaye d'aller au-delà de l'image. Elle peint les gens comme ils sont, mais surtout ce qu'ils ont dedans. Elle utilise son intuition pour capturer leur vraie personnalité. Elle accepte de faire le portrait de la duchesse de la Salle, et elle accepte l'invitation de Natalie Barney de se rendre à son prochain vendredi. Même si la date de la première séquence n'est pas explicite, le lecteur découvre la peintre dans son atelier à Paris, et le récit semble se dérouler sur quelques jours, s'achevant avec la présentation de la toile La belle Rafaëla qui date de 1927. Les autrices ont donc choisi de concentrer leur récit sur cette courte période, plutôt que de réaliser une biographie complète. le lecteur accompagne Tamara de Lempicka dans sa vie quotidienne, et elle est présente sur toutes les planches de l'album. Il observe une femme menant une vie de bohème quelque peu dissolue, mais sans souci matériel grâce à son succès. C'est d'ailleurs d'elle que provient la source de revenu de la famille. Elle vit une vie aussi libre que celle d'un homme, une vie d'artiste, une femme libérée (quasi) ouvertement bisexuelle, qui parle parfois d'elle à la troisième personne du singulier, par exemple quand elle s'adresse à sa fille Marie-Christine (1916-1980, surnommé Kizette) alors âgée d'environ dix ans. Les autrices n'insistent pas trop sur le poids des interdits de la société, ni sur le coût de les braver, le contrecoup étant d'une autre nature. Dans un premier temps, le lecteur remarque surtout le caractère feutré de la mise en couleurs, propices aux conversations dans les cafés en soirée, et dans les alcôves. La coloriste a choisi une palette volontairement réduite. Dans la première scène, les personnages et le décor sont rendus avec des bruns de type alezan, acajou, auburn, bronze, café au lait, cannelle, chaudron, lavallière, tabac, terre de Sienne, etc. Un personnage peut parfois ressortir par contraste dans une teinte plus orangée. Il ne s'agit pas d'une mise en couleur naturaliste, mais axée sur l'ambiance lumineuse, pour transcrire un état d'esprit, et s'approcher également de certaines couleurs des tableaux de l'artiste. Il en va ainsi tout le long de l'album, avec des glissements dans des tons plus gris, ou plus vert, en fonction de la nature de la séquence. Cela a pour effet d'établir une continuité forte, comme s'il s'agissait de l'état d'esprit de Tamara de Lempicka tout du long. Par voie de conséquence, cette approche accentue également ce qui est représenté dans chaque case, ce qui fait rapidement prendre conscience au lecteur que beaucoup sont consacrées à des visages ou des bustes des personnages en train de parler. Tout en ayant bien conscience de cet effet limité de têtes en train de parler, le lecteur se rend compte qu'il ne produit pas un effet répétitif ou appauvrissant, car il confère plus de présence aux personnages. Le parti pris de la colorisation étant très affirmé, il imprègne les traits encrés au point d'en devenir indissociable. En se concentrant sur ces derniers, le lecteur perçoit des traits de contour assez arrondis ce qui rend les dessins plus agréables à l’œil, ainsi que des simplifications dans la représentation des personnages et des décors. Par exemple, les pupilles et les iris se retrouvent réduits à un simple point noir dans certaines cases. Les très gros plans sur les visages ou sur les corps peuvent affranchir l'artiste de représenter quelque arrière-plan que ce soit, ou même le laisser juste en blanc, vierge de tout trait. Dans le même temps, ces choix graphiques apportent une sorte de légèreté et de grâce à la narration visuelle. Pour autant, Daphné Collignon représente des personnages aisément reconnaissables. Elle prend de toujours planter le décor dans plusieurs cases, ne laissant jamais le lecteur dans l'incertitude du lieu où se déroule la scène, évitant de réduire les personnages à des acteurs interprétant leur rôle sur une scène vide et interchangeable. L'apparence visuelle de Tamara de Lempicka rend bien compte de son caractère affirmé, de sa sensualité sans tomber dans l'exagération ou la vulgarité. Les autres personnages se comportent comme de vrais adultes que ce soit dans leurs postures, leur langage corporel ou l'expression de leur visage. Loin de se réduire à une succession monotone de têtes en train de parler, la narration visuelle emmène le lecteur vers des moments mémorables : Tamara de Lempicka dansant avec une femme dans un boîte très consciente du regard des hommes, la peintre prenant du recul sur le tableau qu'elle est en train de réaliser, les tentatives de son mari pour prendre le dessus de la conversation avec elle, sa concentration en observant les toiles de maître au Louvre, l'intimité artistique qui s'installe entre elle et André Gide (1869-1951), Tamara expliquant à sa fille en quoi sa vie d'artiste est différente de celle des autres femmes, la peintre abordant sa future muse Rafaëla, la réaction des invités lors du dévoilement du tableau La belle Rafaëla. Au fur et à mesure, le lecteur succombe au magnétisme que dégage Tamara de Lempicka, telle que mise en scène par la dessinatrice. Dans un premier temps, le lecteur peut s'interroger sur le choix réducteur de s'intéresser à une très courte période de la vie de la peintre, sans évoquer ses années de formation, les aspects concrets de son succès, l'impact de son œuvre sur les artistes de l'époque, ou simplement la pertinence de son expression artistique comme incarnation de l'esprit du moment, et ce qu'elle comportait également d'universel. Mais en fait si, tous ces éléments s'y trouve bien, sous une forme elliptique, le temps d'un dialogue ou d'une case, sans pour autant prendre la forme d'un exposé exhaustif, plus d'évocations allusives. Au fur et à mesure, il apparaît que cette focalisation sur cette courte période permet de cristalliser comment sa peinture constitue à la fois l'expression de la personnalité de l'artiste, ainsi que sa recherche d'un idéal de beauté et de la façon d'en rendre compte par sa peinture, de se montrer à la hauteur de ce qu'elle souhaite exprimer. L'exercice de la biographie peut parfois paraître vain du fait que personne ne peut réellement savoir ce que pensait un autre individu au cours de sa vie. En effectuant un choix clair dans la reconstitution de la vie de Tamara de Lempicka, les autrices indiquent explicitement qu'il ne s'agit pas d'une œuvre exhaustive, tout en concentrant leur vision de ce qu'incarne cette artiste pour elles. Grâce à une narration visuelle douce qui parvient à être sensuelle, elles parviennent à donner vie à cette femme, à la faire s'incarner, le lecteur tombant sous son charme et quelque peu sous sa domination, sans en avoir forcément bien conscience.
Die! Die! Die!
Une tarte à la rhubarbe - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui peut aussi se concevoir comme une première saison, sans assurance qu'il y en aura une seconde. Il comprend les huit épisodes initialement parus en 2018/2019, coécrits par Robert Kirkman & Scott M. Gimple, dessinés par Chris Burnham, et mis en couleurs par Nathan Fairbairn. À Shrewsbury en Angleterre, des chiens sont en train de faire une course dans un stade, les parieurs guettant anxieusement leur progression. Un homme en bouscule un autre et ramasse le ticket de pari qu'il a fait tomber, et le rend à l'homme âgé. Ce dernier se rend compte que ce n'est pas son ticket de pari, mais qu'il porte le nom du chien gagnant à mille contre un. de son côté, Paul a enfourché sa moto et s'en va à toute allure, sans casque. Il constate dans le rétroviseur qu'il est suivi par un Hummer et qu'on lui tire dessus, une balle cassant son rétroviseur droit. Il riposte avec un pistolet en vain. le Hummer percute l'arrière de la moto à 2 reprises et Paul finit par voler dans les airs. Il retrouve son arme à feu dans le talus et continue de se défendre, abattant trois poursuivants. Il arrive encore à en maîtriser 2 autres, mais se fait neutraliser par derrière par Stan qui lui sectionne le nez avec son couteau, puis qui l'assomme avec un coup porté par le manche sur la tempe. de par le monde, il existe des individus animés d'intentions mauvaises qu'ils mettent à exécution. Au sein du gouvernement des États-Unis existe une cabale secrète qui utilise les assassinats dirigés pour éliminer ces individus nuisibles et toxiques pour la société. Stan essuie son couteau et s'assure que ses assistants encore vivants ; ces derniers emmènent Paul toujours inconscient. Dans son bureau plongé dans le noir, la sénatrice Connie Lipshitz s'enfile trois rails de coke en pensant au secrétaire d'état à l'environnement David Atkinson qui est un pédophile. Elle pense à tous les moyens de le neutraliser, mais aussi aux conséquences de son élimination, et aux moyens pour contenir ces effets secondaires. Nate Lipshitz fait irruption dans son bureau, constatant qu'il y a un homme nu sur le canapé. Connie Lipshitz place devant lui une petite boîte en lui demandant de l'ouvrir. À l'intérieur il découvre un nez. La sénatrice lui explique que c'est celui de Paul (un de ses agents) et qu'il faut le récupérer. Elle part déjeuner avec Anita Chavez. Elle l'asticote tant et plus avec un mélange de chantage et de rudesse que Chavez finit par lâcher le morceau : Paul va être vendu au plus offrant, dans une mise aux enchères spéciale. Dans une riche demeure, un individu ressemblant comme 2 gouttes d'eau à Paul se gare dans l'allée, salue son assistant Martin et se place devant le tableau des armes à feu pour choisir celle pour sa prochaine mission. Au beau milieu d'une forêt, un hélicoptère se pose, Nate Lipshitz en descend et hèle l'individu habitant la cabane en bois au bord de la clairière : John. Difficile de résister à la curiosité en voyant un nouveau titre écrit par Robert Kirkman, le scénariste de The Walking Dead et Invincible, même si ici il ne fait que coécrire le titre. En outre, l'artiste Chris Burnham a réalisé des histoires remarquables comme Batman Incorporated avec Grant Morrison, Nameless également avec Morrison, Nixon's Pals avec Joe Casey. Scott M. Gimple a plus travaillé pour Bongo Comics, sur la série des Simpson. La couverture promet une boucherie, un carnage sanglant, et un nez sectionné. Les auteurs ne font pas attendre le lecteur, et après cette page avec le ticket de pari gagnant, le premier combat s'engage. Chris Burnham dessine de manière descriptive et détaillée pour un bon niveau de réalisme. Son découpage de planche accentue les mouvements, et son plan de prise de vue est conçu sur mesure, provoquant l'immersion et l'implication du lecteur. Dès la quatrième page, des balles traversent des crânes, avec giclée de sang à la sortie de la boîte crânienne. le tranchage de nez est montré en gros plan, plus sanglant que gore, mais très cru. Pas de promesse mensongère : la série s'intitule Meurs répété trois fois avec point d'exclamation, et le récit tient cette promesse : visage couvert du sang d'un ennemi, balle en plein front à bout portant, couteau enfoncé avec force à travers le crâne, automutilation, nez cassé, tranchage de gorge. Il n'y a pas tromperie sur la marchandise. Le lecteur constate que les auteurs (scénaristes et dessinateur) n'hésitent pas à apposer une petite touche d'humour noir. Difficile de ne pas sourire à cette femme enfonçant une dague effilée dans l'arrière du crâne de son amant avec la pointe qui ressort par le front (Quelle force dans le coup porté !), devant une dizaine de personnes. Kirkman, Gimple et Burnham s'en donnent également à cœur joie dans le mauvais goût comportemental et graphique. le lecteur peut donc voir la sénatrice Connie Lipshitz sniffer des rails de poudre de blanche, un type se faire dans sa culotte au point que son pantalon s'en trouve tout marron, une femme en train de se faire lécher sous le bureau. Par certains côtés, ce genre de scène peut faire penser à des moments Ennis, mais ils restent dans une la zone de plausibilité, sans aller jusqu'à l'absurde. Ils sont révélateurs d'un trait de personnalité de l'individu qui les perpétue, restant à la frontière du mauvais goût assumé et d'un moment Ennis. Ce genre d'éléments peut dégoûter certains lecteurs, tout comme la violence sanglante peut également en écarter d'autres. Là encore, la couverture annonce la couleur et le lecteur peut se tenir à l'écart d'un tel type d'ouvrage. Le lecteur est donc servi en termes de violence et de provocation, avec une narration graphique détaillée, donnant de la consistance et de la personnalité à ces horreurs. le lecteur observe des individus réalistes, avec des mouvements de combattants aguerris, des destructions et des blessures plausibles et spectaculaires. Il est frappé par la présence de Connie Lipshitz. L'artiste fait en sorte qu'elle ne soit jamais réduite à un objet du désir : il montre une femme forte et dure, marquée par l'âge, svelte et tonique, une femme impressionnante et intransigeante qui n'est jamais une victime qui a l'habitude de satisfaire ses plaisirs, tout en ayant conscience du prix qu'elle paye, des répercussions sur son caractère et sa personnalité. de la même manière, le sénateur Barnaby Smith est très réel avec ses grosses lunettes rondes, sa calvitie, son sourire amical, sa frêle stature, sa petite taille, et son horrible sourire carnassier quand il tombe le masque. Alors qu'au départ, Nate Lipshitz n'est qu'un individu avec un forte carrure, un sourire enfantin et de beaux cheveux blonds, il s'humanise au fur et à mesure du récit, l'artiste réussissant à faire apparaître des expressions nuancées quand il regarde sa fille ou dans la vie civile. Chris Burnham sait également faire apparaître les différences de caractère entre John, Paul et George, à la fois dans leurs expressions de visage, et dans leur langage corporel. Très rapidement, le lecteur ressent le fait que les auteurs ne sont pas juste en train de bourriner dans un récit d'action plus violent que la moyenne. Pourtant, au départ, l'intrigue débute de manière basique : un groupe d'agents opérant pour une branche officieuse du gouvernement des États-Unis et se livrant à une guerre des services. Il y en a un qui s'est fait choper et ça dégénère. Il y a une lutte d'influence au sein de ce service officieux qui dégénère en guerre intestine. La cheffe (Connie Lipshitz) mène une vie dissolue, avec orgies, abus de pouvoir, et maltraitance d'une partie de ses collaborateurs, un vrai homme de pouvoir en quelque sorte. Elle ne ressort comme une personne sympathique, que parce qu'en face d'elle Barnaby Smith est pire. Mais dans l'épisode 3, un dialogue entre Lipshitz et Smith attire l'attention du lecteur. Les coscénaristes optent pour une mise en scène très artificielle : les deux personnages sont à l'arrière d'une voiture et chacun son tour bénéficie d'une double page pour exprimer ses convictions profondes (dans un langage fleuri), avec une case occupant les deux tiers de la hauteur de la page et s'étalant sur la double page, avec 8 petites cases de la même taille alignées sur la bande inférieure. La forme du discours manque de naturel, mais le credo ainsi exposé dépasse le simple discours de circonstance pour faire avancer le récit, pour nourrir l'antagonisme. Les paroles prononcées sur ces quatre pages constituent une profession de foi d'adulte quant à ses responsabilités dans la société en fonction de ses compétences, sans une trace d'angélisme ou de romantisme, avec un pragmatisme des plus concrets. Avec ce passage, le récit acquiert une épaisseur inattendue. L'humour noir et la provocation ne disparaissent pas, la violence non plus. Les motivations des personnages deviennent plus adultes et sortent du manichéisme. Les auteurs mettent en scène le fait que la fin ne justifie pas tous les moyens et que ces derniers ne doivent pas dicter tous les objectifs, ou pire encore devenir des objectifs en eux-mêmes. le récit reste bien dans un sous-genre mélangeant ultra-violence, organisations secrètes, combats spectaculaires et sanglants, avec des missions impossibles à exécuter avec des combats spectaculaires, tout en bénéficiant en plus de personnages étoffés avec leurs propres motivations, leur propre histoire personnelle, leur propre caractère, et d'une réflexion sur la nécessité d'interventions de combat pour lutter à armes égales contre des criminels faisant usage de ces mêmes moyens. Les auteurs épatent également le lecteur par la capacité à faire usage d'un humour sarcastique, cynique, méchant, sans pour autant que le récit ne sombre dans une vision dépressive et sans espoir, un beau numéro d'équilibre. Le titre de la série annonce un carnage, et il a bien lieu, les auteurs tenant leur promesse, à la fois avec l'intrigue et avec les dessins. Ce récit de genre pour lecteur au cœur bien accroché (deux sectionnements de nez par exemple) ne se limite pas à un usage des conventions dudit genre. Les auteurs font preuve de plus d'ambitions, à la fois sur le recours à des agents secrets mettant à mort leurs cibles, à la fois avec des personnages différenciés, et avec un humour saignant sans être morbide. Une première saison extraordinaire et satisfaisante pour elle- même.
Tous des idiots sauf moi
Pourfendeur d'hypocrisie - Ce tome regroupe des bandes dessinées politiques et satiriques réalisées par Peter Bagge pour le magazine Reason (créé en 1968), de tendance politique libertaire. Il contient 50 éditoriaux réalisées sous forme de comics de 1 à 4 pages, entre 2001 et 2010, et été publié pour la première fois en 2013. La majeure partie de ces éditoriaux sont en couleurs. le tome s'ouvre avec une courte introduction rédigée par Nick Gillepsie, le rédacteur en chef du magazine Reason, indiquant qu'en tant que dessinateur de presse et satiriste, Peter Bagge se montre cruel, mais il est aussi capable de reconnaître quand il s'est trompé. Indépendamment des orientations politiques du lecteur et de ses convictions, il peut être assuré que ces éditoriaux auront au moins 2 effets : le faire réfléchir et le faire rire. Les différents éditoriaux sont regroupés en 9 chapitres thématiques : (1) la guerre, (2), le sexe), (3) les arts, (4), le business, (5) les cafouillages, (6) les drames, (7) la politique, (8) la nation, (9) une biographie. Chaque chapitre comporte un nombre d'éditoriaux différents, de 2 pour le sexe, à 14 pour celui sur la nation. Chapitre 1 - En 2003 à Seattle, en tant que journaliste, Peter Bagge se rend à une manifestation contre la guerre en Irak, c'est-à-dire la seconde guerre du Golfe (2003-2011). Il écoute les différentes interventions dont celle d'un membre du Congrès ayant traité le président Bush de menteur. Il recueille aussi l'avis et les arguments de différents manifestants. En 2006, il met en scène différents élus à Washington réfléchissant aux nouvelles mesures anti-terrorisme pouvant être mises en œuvre. En 2007, il évoque l'évolution de la législation sur les armes à feu, jusqu'à la possession d'un bazooka. Dans le chapitre consacré au sexe, il assiste en tant que journaliste à une convention sur les genres de vie alternatifs, toujours avec une opinion très critique sur les raisonnements utilisés pour légitimer ces modes de vie aux yeux de la loi. Puis il passe en revue les arguments contre l'avortement et la pilule. Dans le chapitre consacré aux arts, Peter Bagge ridiculise aussi bien les solos de clarinette dans les concerts de jazz, que les artistes évoquant hypocritement des causes sociales pendant les cérémonies de remise de prix, les financements gouvernementaux à l'art moderne, le rock chrétien, les créateurs au comportement artistique allant à l'encontre de ce qu'ils défendent, et les humoristiques à contretemps et changeant d'opinion en fonction du sens du vent politique. Dans le chapitre sur le commerce, il retrace l'évolution de son appréciation des centres commerciaux géants (mall), l'avis de l'artiste sur la propriété intellectuelle, les casinos implantés dans les réserves indiennes, son expérience d'une convention de comics espagnole, la stratégie des grands commerces entre généralisme ou hyperspécialisation. Les cafouillages concernent aussi bien les transports en commun que les stades municipaux, les trains ou la faillite économique de Detroit. Par la suite il aborde des sujets aussi divers que l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques, les sans-abris, une prison pour femmes, l'hypocrisie inhérente aux présidents des États-Unis, l'immigration clandestine, les idées reçues idiotes… le tome se termine avec une biographie en 12 pages d'Isabel Mary Paterson (1886-1961), et enfin les réactions extrêmes que suscitent les ouvrages de Ayn Rand (1905-1982). S'il a eu la curiosité d'ouvrir cet ouvrage, le lecteur en connaît déjà la nature : une anthologie d'éditoriaux de nature politique (au sens large) de Peter Bagge. En outre, il sait vraisemblablement aussi que cet auteur revendique être un libertaire, un individu souhaitant une liberté totale dans une société débarrassée des formes institutionnelles de l'autorité. Enfin, Bagge est américain : ses chroniques se basent donc sur des particularités de la société américaine et du peuple américain. Il est également probable qu'il ait été attiré par l'exubérance des dessins marqués par des exagérations caricaturales qui leur donnent une saveur à nulle autre pareille. Effectivement, c'est du Peter Bagge pur jus. Dès la couverture, le lecteur retrouve les bouches dessinées en fer à cheval, avec une dentition soit toute blanche, sans séparation de dents, soit avec des dents de type dent de scie ou une dentition à trou, à chaque fois exagérée pour un effet comique. le dessinateur s'amuse toujours autant avec les expressions des visages : les yeux à moitié exorbités veinés de rouge sous l'effet d'une émotion intense, parfois les yeux comme des billes de loto pour un louchage irrésistible, la bouche grande ouverte pour hurler à plein poumon d'énervement, les sourcils très froncés pour une colère intense, etc. Il est impossible de rester de marbre devant ces individus surexcités, réagissant avec des émotions non filtrées. Les morphologies des individus sont elles aussi malmenées : les corps deviennent caoutchouteux, en particulier les bras dont les coudes disparaissent souvent pour ne plus laisser qu'une forme arrondie de l'épaule au poignet. L'artiste accentue encore cet effet donnant une impression de souplesse enfantine, avec des têtes parfois plus grosses que la normale (ou des corps plus petits). Les dos peuvent également s'arrondir avec des troncs donnant alors une impression de ballon. Ces caractéristiques confèrent une vitalité remarquable aux personnages, et fait s'exprimer leurs émotions avec force. D'éditorial en éditorial, le lecteur est impressionné par la diversité des individus représentés que ce soit leur morphologie, leur âge, leur coiffure, leur corpulence, leur tenue vestimentaire, leur maintien, leur langage corporel. de la même manière, Bagge sait évoquer des lieux très variés, parfois en quelques traits, parfois avec de nombreux détails : la scène d'un rassemblement, les rayonnages d'une vente privée d'armes, les allées d'un supermarché, le comptoir d'une pharmacie, la chambre d'un adolescent, le salon d'une maison avec canapé et télé, un plateau de tournage de la passion du Christ, les allées d'un complexe commercial, le casino d'une réserve indienne, un stade sportif flambant neuf, un wagon de l'Amtrack, etc. Dans d'autres séquences, il se focalise uniquement sur les personnages et leurs mouvements, avec des fonds vides. Dans tous les cas, il s'agit d'une lecture dense. S'il a déjà lu des comics de cet auteur, le lecteur sait que son écriture est dense et qu'il faut compter 2 à 3 fois plus de temps pour une lire page de Bagge que pour un comics normal. Il retrouve cette particularité ici, non pas du fait de pavés de texte copieux, mais bien du fait de la concision. Cette caractéristique de son écriture est manifeste dans la biographie d'Isabel Mary Paterson, écrivaine, philosophe, ayant publié un essai sur le libertarisme. Chaque vignette est à la fois concise et dense, le tout intégrant un nombre impressionnant d'éléments de sa vie, sans rien sacrifier aux émotions de chaque moment. le principe des éditoriaux est que Peter Bagge effectue un reportage, ou donne simplement son avis sur un aspect de la société américaine. Il vaut mieux être un peu familier de la forme bipartisane de la vie politique, et de quelques caractéristiques de la société américaine et de sa vie urbaine pour tout saisir, mais cela ne requiert pas un niveau expert, ou une connaissance pointue du contexte sociopolitique des années 2000. le lecteur sait pertinemment que Peter Bagge exprime son avis partial et son point de vue de libertaire sur ce qu'il commente. D'ailleurs il affiche clairement ses convictions dans ses jugements de valeur. Chaque éditorial s'avère très drôle, et même cocasse du fait des capacités d'observation pénétrante de l'auteur, de son point de vue tranché ne s'interdisant pas d'être de mauvaise foi, et de ses jugements critiques à l'emporte-pièce. le lecteur peut très bien ne pas être d'accord, tout en savourant la verve comique de l'auteur. Peter Bagge n'est pas tendre avec ses concitoyens, encore moins avec les élus, et il n'hésite pas à se mettre en scène avec un regard tout aussi critique pour pointer ses propres incohérences ou lâchetés. Par exemple dans les 4 pages consacrées aux complexes commerciaux (malls), il se met en scène d'abord comme un adolescent fustigeant ces temples de la consommation, pour ensuite dire tout le bien qu'il en pense une fois devenu parent. Il en va de même pour sa position sur la guerre en Iraq, reconnaissant que son premier éditorial était orienté au point d'en devenir idiot. En fonction de sa sensibilité, le lecteur est plus ou moins intéressé par tel sujet. Mais à la lecture, le degré d'implication viscérale de Peter Bagge pour chaque sujet fait qu'il s'y intéresse ne serait-ce que pour les réactions comiques. Il finit par se rendre compte que certaines opinions de l'auteur trahissent parfois un manque d'information (par exemple sur les OGM). Toutefois, comme le commentaire de Bagge est toujours très tranché et presque toujours porteur d'informations, la force émotionnelle de son discours fait que chaque éditorial provoque une réaction chez le lecteur, que ce soit sur la posture faussement pacifiste des États-Unis, sur les conséquences liberticides de la loi anti-terroriste, sur le port d'armes et sa restriction, et même sur les trains et les transports en commun. En effet, ces éditoriaux offrent une vision d'une culture différente de celle du lecteur, lui donnant des points de comparaison, pour une réflexion sur l'organisation de son propre pays. En plus, Peter Bagge est à chaque fois irrésistible quand il s'en prend aux postures hypocrites des politiques comme des consommateurs, un vrai jeu de massacre. À l'opposé d'éditoriaux austères ou cliniques, ceux de Peter Bagge sont partiaux et habités par une verve comique énorme qui fait que le lecteur ne s'ennuie jamais et se rend compte qu'ils provoquent une réaction irrépressible en lui, l'obligeant à considérer ses propres convictions, pas toujours beaucoup plus brillantes que celle de l'américain moyen.
Thanos - La Fin de l'univers Marvel
Qu'on me donne l'envie d'avoir envie. - Ce tome regroupe les 6 épisodes de la minisérie parue en 2003. Il contient une histoire complète avec Thanos comme personnage principal. Dès la première page, Thanos soliloque au profit du lecteur sur un fond noir en indiquant que s'il vient de détruire l'univers ce n'est pas pour les raisons que l'on pourrait croire. Il estime que c'était son destin de détruire toute réalité après avoir joué avec le cube cosmique, puis avec le Gant de l'Infini. le récit passe ensuite à l'ascension d'Akhenaten, un pharaon de l'Égypte antique, telle que perçue dans un flash télépathique par Jean Grey. Thor est le premier à percevoir le retour d'Akhenaten depuis Asgard. Puis Silver Surfer découvre les traces destructrices de son passage. Dès son arrivée sur Terre, Akhenaten rassemble les dirigeants de tous les pays pour leur expliquer comment la race humaine va obéir sous son nouveau règne. Doctor Doom (Victor von Doom) commence immédiatement à réfléchir à comment s'accaparer le pouvoir d'Akhenaten. Thanos organise autour de lui une petite équipe de 5 superhéros pour ourdir et mettre en œuvre son propre plan d'action. Jim Starlin a créé le personnage de Thanos qui est apparu pour la première fois dans l'épisode 55 de la série Iron Man en février 1973. Tout au long de la carrière de Jim Starlin chez Marvel Comics, Thanos n'était pas loin, que ce soit contre Captain Marvel, contre Adam Warlock , contre Silver Surfer (1990), dans la saga des Infinity (Le défi de Thanos : le Gant de l'infini en 1991, La guerre de l'infini en 1992, et La Croisade de l'infini en 1993), ou en solo dans Thanos: le gouffre de l'Infini (2002). Cette histoire se déroule peu de temps après Infinity Abyss et elle s'inscrit dans la série des histoires Marvel estampillées The end, telles que Hulk - La fin (Peter David & Dale Keown) ou X-Men - The end (Chris Claremont & Sean Chen). Elle peut donc être considérée dans la continuité ou non, suivant la préférence du lecteur. Une dizaine d'années après Infinity Gauntlet, Jim Starlin semble bien parti pour retrouver ses mêmes thèmes de prédilection et ses mêmes tics narratifs : une nouvelle menace à l'échelle de la destruction de l'univers, une nouvelle source de pouvoir, Thanos à la position toujours moralement ambiguë et des superhéros en veux-tu en voilà qui ne servent à rien. Eh bien oui, la tripotée de superhéros qui apparaissent sporadiquement ne sert qu'à montrer à quel point ils sont inefficaces contre la menace d'Akhenaten. Starlin redonne le même rôle à Doctor Doom : essayer de barboter la source de pouvoir pour son propre usage, au nez et à la barbe de tout le monde. Les entités cosmiques (Eternity, Lord Chaos, Master Order et les autres) font office de figurants de luxe ; il ne manque qu'Uatu à l'appel. Effectivement, Starlin dévoile une autre menace derrière celle d'Akhenaten. Rien ne semble avoir changé depuis Infinity Gauntlet et ses suites. Et pourtant Adam Warlock n'a droit qu'à trois ou quatre répliques ; le centre du récit s'est déplacé de Warlock vers Thanos de manière drastique. Les 6 épisodes sont dessinés par Jim Starlin, et encrés par Al Milgrom, avec qui il a déjà collaboré à plusieurs reprises (ils ont même pris l'habitude de cosigner sous le nom de Gemini). Milgrom effectue un travail soigné, appliqué et méticuleux, qui met bien en valeur la finesse des détails de Starlin. Il emploie toutefois un trait légèrement plus épais que celui de Starlin, le lecteur amoureux de Starlin notera une petite perte de finesse. Starlin se permet de s'affranchir des décors dans 2 types de situations. La première correspond à Thanos s'adressant à un auditeur invisible sur fond noir ; elle est pleinement justifiée et l'absence de décors constitue un élément important de la narration. La deuxième correspond aux scènes dans une dimension mystique où Christie Scheele (responsable des couleurs) et Starlin jouent avec l'infographie pour établir des camaïeux de couleurs avec des formes géométriques en lieu et place d'un décor en bonne et due forme. le résultat n'est pas très convaincant car il ressemble à une utilisation basique des capacités d'un logiciel de dessin peu sophistiqué. Malgré ce défaut, il est évident que le projet tenait à cœur de Starlin vu le temps qu'il a passé pour arriver à ce niveau de détails sur les personnages et les décors (dans les autres scènes). Il s'est appliqué à reproduire l'apparence de chaque superhéros conformément aux comics de l'époque (il y a parfois des costumes bizarres, et même 2 ou 3 personnages que je n'ai pas su reconnaître). La mise en page repose sur des cases bien rectangulaires dont le nombre varie de 9 par page, à quelques illustrations en double page pour accentuer une foule ou une action déterminante. le conseil des dieux de différents panthéons fait ressortir à quel point les costumes sont dessinés dans le moindre détail. L'apparence moderne d'Akhenaten fait preuve d'originalité. Il y a un gros travail sur les textures de matériaux qu'il s'agisse de pierres ou de rideaux. La mise en scène des combats est intelligente dans la mesure où le lecteur peut retracer les mouvements de chaque protagoniste. Et Starlin organise de jolis mouvements de caméras dans les séquences les plus longues. Finalement le lecteur constate que Jim Starlin (et Al Milgrom) a investi beaucoup de temps dans l'illustration de cette histoire, pour aboutir à un aspect visuel descriptif immersif quels que soient les localisations, les personnages et les actions. À un premier niveau de lecture, les agissements de Thanos reprennent la structure de la série des crossovers estampillés Infinity, sans tomber dans la parodie, en innovant sur ces schémas, et en tenant les promesses du titre et de la première page : la fin de l'univers. le fan de Starlin reconnaîtra également dans le personnage d'Akhenaten, le retour de motifs utilisés dans l'Odyssée de la Métamorphose. le résultat est savoureux, intriguant et suffisamment imaginatif pour maintenir le suspense jusqu'au bout. Et comme dans les crossovers Infinity, Jim Starlin inclut un ou deux métacommentaires dans son récit. le premier apparaît quand Thanos finit par se trouver en situation de détruire l'univers (et ce n'est pas que le pouvoir absolu corrompt absolument). Je vous laisse la surprise de découvrir le deuxième métacommentaire, très ironique, à destination des lecteurs de comics de superhéros et des éditeurs Marvel et DC. The end est donc à ranger parmi les meilleurs récits cosmiques de Jim Starlin, où il reprend une structure qu'il maîtrise pour y inclure des éléments novateurs et aboutir à une fable efficace, à plusieurs niveaux de lecture. Après ce récit, Jim Starlin a débuté une série mensuelle consacrée à Thanos dont les premiers épisodes sont réunis dans Thanos rédemption (2003).