Cet album m'a touché parce que je m'attendais à une petite bluette adolescente d'aujourd'hui et je tombe sur quelque chose d'un peu plus construit et qui touche finalement à des problèmes nouveaux de notre société de l'image. Des problèmes qui renvoient aussi à notre éducation à toustes.
Çà se passe dans un milieu urbain. Un couple de jeunes se forme entre une brune à la frange courte et un longboard-dancer. L'un va être soulevé par une notoriété assez bizarre, le mannequinat, pendant que l'autre va se sentir détruite par cette popularité monstrueuse, et va avoir la tentation de sombrer sans appeler à l'aide. Je me suis bien identifiée à Lina parce que je suis aussi en couple et que voir l'autre gravir les échelons de la notoriété est une épreuve qu'on ne mesure pas. En revanche, dans le cas de nos deux héros, c'est l'homme qui se met à représenter la beauté, valeur à laquelle nous avons toutes appris à nous plier, ou en tout cas qui semble continuer à être dans nos imaginaires, résolument féminine. C'est troublant que ce partage des genres perdure, même à l'heure de la culture queer. Notre éducation est faite, et notre cerveau ne peut pas se débarrasser si facilement de ses carcans devenus inutiles. Un autre exemple de cette habitude genrée est que l'on ne sait pas quelles sont les activités de Lina, elle court pour rester maigre mais que fait-elle à part ça, on ne sait pas.
Coté image, certaines trouvailles graphiques m'ont beaucoup plu , en particulier lorsque le mannequin entouré des couturiers et habilleuses est représenté comme un christ du XVIème siècle sur une déposition de croix. Les pleureuses au pied de la croix, le corps du christ contorsionné par la douleur et un type sur une échelle qui commence à le détacher... Bref c'est vraiment bien vu.
Mais si le trait est élégant et fin, l'image manque d’acuité. Les visages des deux héros restent particulièrement insaisissables (sans bouche ou presque) comme s'ils devaient rester un écran sur lequel projeter nos désirs. Mais ce parti pris m'a plutôt gêné, donnant l'impression d'une froideur abstraite contreproductive. Adossé à ce tracé à la discrétion extrême, des surfaces charbonneuses marquent des ombres ou différencient des plans mais d'une manière indécise. Un ton de bleu ajouté avec un logiciel englobe des ombres propres, des ombres portées, des matières différentes... Pour moi, ce sont ces surfaces bleues, toujours de la même intensité (ni légère ni sombre) qui plombent l'ensemble. En apprenant le dessin, on représente les ombres portées plus sombres que les ombres propres, pour accentuer le relief, ici aucune variation de ce type. Comme si le curseur de cette couleur était bloqué dans un "médian" qui écrase la fragilité des traits. Quel dommage ! Si l'image avait pu mieux accompagner les dialogues justes et le scénario intéressant, cela aurait pu être une vraie réussite !
Monstera est une plante d'intérieur, et c'est peut-être aussi le message de cet album : cultivons notre intérieur et cessons de nous soucier de notre apparence. Je ne suivrai pas l'auteur sur ce terrain, en revanche la remise en cause de la SEDUCTION comme unique horizon des êtres humains me semble un objectif politique à réhabiliter !
Un jour, on a trente ans, et on se retrouve à contempler un paysage de jungle après avoir planté une jeep de location. Julia Wertz commence son récit ici. Mais pour comprendre ce moment de chaos, il faut remonter quelques années, quand elle décide de prendre le virage compliqué de la sobriété. On y retrouve tout ce qui fait la patte de Wertz : cet humour acerbe, ses punchlines désarmantes, et ce regard sans concession sur elle-même. Le chemin qu'elle raconte est loin d’être linéaire : des groupes de parole improbables, des rechutes, des relations bancales. Avec cette honnêteté brutale, Julia ne triche jamais, ni avec son lecteur, ni avec elle-même.
Le trait de Julia Wertz reste fidèle à son style : simple, direct, parfois un peu brut, mais il y a quelque chose de profondément authentique qui transparaît. Ce n’est pas pour le dessin qu’on est là, mais pour cette capacité à raconter, à captiver avec des moments du quotidien, à rendre les petits détails universels. Certes, les décors sont minimalistes et les dialogues parfois denses, mais cela sert le propos. On a l’impression d’être avec elle, dans son salon en désordre, à écouter une amie nous confier ce qu’elle a sur le cœur.
Ce qui rend cette lecture si forte, c’est l’équilibre qu’elle trouve entre humour et gravité. Elle ne cherche jamais à édulcorer son expérience, mais elle ne sombre pas non plus dans le pathos comme d'autres peuvent le faire. Au fil des pages, on rit, on s’émeut, on réfléchit. Sa capacité à transformer des moments difficiles en récits riches de sens est impressionnante. Elle offre une réflexion sincère sur l’addiction, les relations, et la manière dont on peut réapprendre à vivre.
On sort de cet album avec l’impression d’avoir partagé un moment unique. Une lecture qui touche par sa vérité, par cette manière si propre à Julia Wertz de raconter la vie sans masque, et par cette résilience qui s’en dégage. Un témoignage fort, qui fait réfléchir et qui, au passage, ne manque pas de nous faire sourire.
À l’écouter parler, tout était horrible et affreux.
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Ce contient un récit de nature autobiographique. La première édition de cet ouvrage date de 2019. Il a été réalisé par GiedRé pour le scénario, et par Holly R pour les dessins et la mise en couleurs. Il comporte quatre-vingt-dix-neuf pages de bande dessinée, et un post-scriptum de cinq pages, écrit et dessiné par Giedré.
Il y a environ longtemps, la mère de Giedré était petite et jouait au ping-pong. Elle était vachement forte. Elle gagnait des médailles et tout. À l’époque, les enfants étaient hyper encouragés à faire du sport ou de la musique ou de la danse ou n’importe quoi… Tout était gratuit, il fallait juste s’inscrire et ensuite devenir fort… pour que le reste du monde voie que cette nation était la meilleure. 1952 : record de médailles pour l’URSS ! Il y avait souvent des parades et des grandes manifestations à la gloire de ce merveilleux système qui était le meilleur qui existe. Et si on vous demandait, il fallait répondre que tout était super et qu’on était très contents. Parce que l’endroit où on envoyait les gens qui disaient que c’était pas super était encore moins super. Déjà, c’était hyper loin. Il y faisait toujours -10000°C et parfois on devait rester 10 ans. Alors en général les gens se retenaient de critiquer. Même en petit comité, on faisait comme si de rien n’était parce qu’il y avait des espions un peu partout. D’une manière générale on se méfait d’à peu près tout le monde. On ne faisait confiance à personne. Deux amies qui discutent, l’une demande à l’autre où elle a acheté sa robe, la seconde souhaite savoir pourquoi elle lui demande ça. La première espère que l’autre ne pense pas qu’elle veut la lui racheter plus cher qu’elle ne l’a payée. Et l’autre se dit que son interlocutrice la soupçonne d’avoir eu du tissu en rab.
ULL : union de la Lituanie Libre. La mère de Giedré avait deux frères, dont un qui avait quinze ans (ce qui arrive à tout le monde sauf à ceux qui meurent avant). Et comme beaucoup de gens qui ont quinze ans, il trouvait que la vie, c’était naze. Alors avec quatre copains qui trouvaient aussi que la vie c’était naze, ils ont décidé de faire des trucs. Ils ont commencé à faire des petites affiches qu’ils collaient dans la rue. En gros, ça disait ça : Et, franchement, la vie c’est naze ; la liberté c’est trop important quoi, sérieux, y en a marre, ULL. Bon, ils n’en collaient pas beaucoup parce que c’était un peu dangereux comme passe-temps en Lituanie. Mais malgré tout certaines personnes les voyaient. Et au bout de quelques temps des gens ont commencé à s’y intéresser. On en parlait, on se passait le mot. Et son oncle et ses copains étaient contents de faire des trucs. Mais au bout de deux ans, quelqu’un les a dénoncés, et ils se sont tous fait arrêter. Le KGB a tout de suite perquisitionné dans la maison de sa grand-mère. En rentrant du travail, elle n’a rien compris parce que comme tout le monde elle n’était pas au courant. Son oncle s’est fait enfermer dans une cellule du KGB. Il est resté là le temps d’être majeur pour pouvoir être jugé. Puis s’est fait condamner pour trahison, révolte et trouble à l’ordre public. Il s’est fait emmener loin.
De prime abord, le lecteur découvre une bande dessinée aux autours d’œuvre pour enfants : des dessins à l’allure simplifiée, avec de jolies couleurs au crayon de couleurs, une vision du monde par les yeux d’un enfant. Il commence à lire le texte qui court le long des cases, ainsi que les dialogues : des phrases courtes, des structures simples, des tournures grammaticales pas toujours correctes, un vocabulaire limité, comme si c’est une petite fille d’à peine dix ans qui s’exprime. Effectivement, GiedRé évoque son enfance, comme elle l’a vue et ressentie à cet âge. Les actions des adultes ne lui sont pas toujours compréhensibles, en particulier les événements de politique internationale, par exemple la destruction du mur de Berlin. Elle dépasse du cadre strict de son entendement de petite fille, en évoquant l’histoire de sa famille, des déménagements grâce au statut social de son grand-père paternel : dans la postface, elle explique qu’elle a fait appel aux souvenirs de sa mère pour disposer de ces faits et de cette compréhension. Le lecteur vit donc cette reconstitution historique à hauteur d’enfant, que ce soit la queue pour les magasins, ou le partage de chewing-gum. Dans le même temps, il n’éprouve pas la sensation que le récit s’adresse à un enfant, ou qu’il manque de profondeur.
Les autrices savent très bien rendre le point de vue d’une enfant. Cela commence dès la première page avec la mère encore adolescente en train de jouer au ping-pong : une silhouette longiligne, de jolis cheveux blonds, des gestes en accéléré, une fierté d’avoir gagné qui se lit sur son visage, le lecteur se sent baigné dans le bonheur dont elle rayonne. En page vingt-quatre, un garçon savoure avec délectation des petits pois : son visage arbore une expression proche de l’extase, dans l’assiette le lecteur voit des petits points verts qui semble comme flotter dans le vide, et quelques taches orange, une représentation naïve. Page trente-neuf, la représentation de la zone résidentielle abritant les résidences secondaires des apparatchiks évoque incontinent un dessin d’enfant : les belles pelouses vertes, les arbres très simplifiés, les routes échappant aux règles de la perspective, etc. Plus tard, la famille de la narratrice va s’installer à la campagne. Elle raconte : À la campagne, il n’y avait pas d’eau courante alors chaque habitation avait ses toilettes loin de la maison, et les leurs étaient à l’orée de la forêt. Avec une lampe torche dans la main, la jeune fille doit se rendre aux toilettes de nuit, une forêt fantasmée, avec une chouette qui regarde droit dans les yeux, une espèce de cabane aux proportions trop allongées pour les toilettes, des arbres aux formes bizarres, vaguement menaçants : le lecteur se retrouve dans un conte pour enfants, sans se sentir pris pour un neuneu, une vraie sensation d’enfance.
Dans le même temps, le lecteur voit bien que les dessins comportent un niveau d’informations qui relève du regard d’adulte. Sous l’apparence enfantine donnée par dessins aux crayons de couleurs, se trouvent un niveau d’informations visuelles bien supérieur au regard d’un enfant. Dans cette première page, un individu joue de l’accordéon, certes aux couleurs pastel, mais comportant bien toutes les parties attendues comme le soufflet, les touches de part et d’autre. Dans la deuxième page, le train ressemble à un jouet, mais dans le même temps l’uniforme des soldats est conforme à la véracité historique, la perspective du stade présente un aspect discrètement gauchi, tout en préservant la perspective et les dimensions. Tout du long, les dessins construisent une reconstitution historique solide et fiable : les vêtements d’époque, les accessoires du quotidien, les appareils ménagers de ces années-là comme les postes de télévision ou les téléphones à cadran en bakélite, etc. Les postures et les mines des individus apparaissent faussement naïfs, avec une grande justesse dans l’expression corporelle, et dans les gestes de tous les jours, aussi bien les jeux d’enfants que les gestes plus mesurés des adultes, voire les comportements emprunts de défiance pour parer au risque de la délation par des citoyens intéressés.
La réception de cette bande dessinée au ton si particulier va dépendre du parcours de vie du lecteur et de son âge. Il peut venir pétri d’a priori et de certitudes sur le régime communiste. Ce qu’il sait déjà lui saute aux yeux : le faible niveau de niveau des citoyens, les queues interminables devant des magasins où le rationnement et la pénurie règnent en maître. Des personnes exerçant un métier sans aucune motivation, un marché noir généralisé et pour tout, une élite qui ne manque de rien attestant d’une corruption systémique, un état totalitaire qui a la déportation facile pour les opposants et les rebelles. Voire s’il a été témoin de ces années au travers des médias, il retrouve tout ce qui était pointé du doigt : des queues interminables, à la délation. S’il est plus jeune, il est possible qu’il éprouve quelques difficultés à croire certaines situations, ou même le mode de fonctionnement d’un pays sous domination soviétique. Déporté en Sibérie pour avoir collé des affiches de protestation en Lituanie, vraiment ?
Le lecteur peut également être pris au dépourvu par l’évocation de ce monde passé, au travers des yeux et des ressentis d’une fillette, qui n’a pas l’air de vivre ça mal. Il lui faut un petit temps de recul pour accepter certaines des choses auxquelles il assiste : le partage de chewing-gum qui passe de la bouche d’un enfant à un autre, jusqu’à une dizaine. Le festin de dégustation de pâté, de ce qu’il identifie immédiatement comme étant une boîte de nourriture pour chat, ne pas savoir qu’il faut enlever la peau d’une banane avant de la manger. Ce n’est plus la Lituanie communiste, c’est tout juste le moyen-âge ! Comment la propagande pouvait-elle avoir une telle force de conviction ? Il arrive alors aux cinq pages dessinées de postface, où GiedRé explicite la manière dont elle a procédé : Pour écrire cette BD, elle a beaucoup fait appel à sa mère pour qu’elle lui raconte, et à l’écouter parler, tout était horrible et affreux. D’un autre côté, l’autrice a vécu ces moments comme une petite fille, et elle a passé une enfance qu’elle juge heureuse. La narration qu’elle en fait ne nie pas les exactions et la répression, mais, elle, ça ne l’a jamais rendue triste de partager son chewing-gum.
Impossible de ne pas partir avec des a priori divers et variés pour la lecture : entre ce que le lecteur connaît des chansons de l’autrice, ce qu’il sait de la domination de l’URSS sur les pays satellites, ou ce que l’image édulcorée de la couverture lui évoque. Il se retrouve surpris par l’évocation positive tout en étant honnête d’une enfance en Lituanie juste avant qu’elle ne recouvre son indépendance, totalement sous le charme de la narration à l’apparence enfantine, à la consistance et au sérieux adulte. Une enfance heureuse dans un pays sous un joug totalitaire.
Ah, Donjon Zénith. Le point central de tout cet univers partagé.
On y suit les aventures de Marvin et d'Herbert, le premier est un puissant guerrier draconique, le second est un canard lâche mais malin. Ensemble, ils travaillent dans le Donjon, officiellement une forteresse où les plus puissants héros peuvent venir braver les dangers dans l'espoir de repartir les poches pleines, dans les faits c'est surtout un attrape-niguaud.
Les premières histoires sont simples, c'est au début surtout une grosse parodie d'univers d'Heroic Fantasy avec ses races invraisemblables, ses magies incompréhensibles évoluant au gré du scénario et ses armes légendaires aux pouvoirs mystérieux et absurdes. Ensuite, ça évolue pour devenir un vrai univers cohérent, avec des cultures différentes, des personnages plus complexes et surtout un vrai récit épique filé (sans jamais vraiment oublier le côté décalé).
Les premiers albums sont dessinés par Trondheim, les suivants par Boulet. Le changement de dessinateur était nécessaire. Sans le trouver excellent j'aime bien le dessin de Trondheim mais le changement de ton que prend la série à partir du tome 5 nécessitait d'également changer la forme. Le dessin de Boulet est très bon, il arrive à bien représenter les scènes d'actions tout en gardant le ton comique lorsqu'il est nécessaire.
Dans l'ensemble que forment les séries Donjon, Zénith est l'âge d'or, celui où le monde est encore relativement calme mais où l'on sent petit à petit venir l'ère chaotique de Crépuscule.
Une très bonne série.
Si vous souhaitez commencer les séries Donjon, c'est évidemment par celle-là que je vous conseillerait de débuter.
Première publication de Jean Dalin je pense, cet album nous fait découvrir un auteur original et au talent certain. En particulier son travail graphique, qui justifie mon coup de cœur, et qui est très bien mis en valeur par le travail éditorial de Sarbacane (très grand format, papier épais).
J’ai bien aimé la colorisation, très tranchée. Mais c’est surtout la construction des pages qui détonne. Adieu le gaufrier traditionnel, nous entrons ici dans quelque chose de très personnel et original. Certaines pleines pages nous montrent des personnages se mouvant dans un décor faisant penser à des jeux vidéo de plates-formes, foisonnent de détails multicolores, de formes géométriques, d’autres cases sont plus sobres. Le visuel est franchement marquant. Il ne plaira sans doute pas à tout le monde, en particulier les personnages, au physique parfois improbables (voir certains nez ressemblant à une défense de narval), mais je l’ai beaucoup aimé en tout cas.
L’intrigue se laisse plus difficilement apprivoiser je trouve, et j’ai mis un temps à me faire à la narration et à l’histoire. Mais une fois entré dedans, c’est un récit lui aussi plein de qualités qui s’offre au lecteur. Pas mal d’absurde (voir les démarches administratives), de poésie, un peu de loufoque, dans des aventures qui pourtant se déroulent dans un univers pas tout rose, une sorte de dystopie, avec quelques relents de thriller.
Une série franchement inclassable, dont j’attends avec pas mal de curiosité la fin, promise dans le prochain album.
Allez, viens ! On va jouer !
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Véro Cazot pour le scénario, et par Anaïs Bernabé pour les dessins et les couleurs. Il comporte cent-vingt-sept pages de bande dessinée. La scénariste a également réalisé Betty Boob (2017) illustré par Julie Rocheleau, et Les petites distances (2018) avec Camille Benyamina.
Quelque part sous les tropiques, sous un soleil chaleureux, en bordure d’une plage de rêve, dans une construction de plusieurs étages de forme ovoïde, l’architecte Marsu Chevalier est en train de parler à ce bâtiment qu’elle a conçue. Elle le rassure en lui indiquant qu’ils arrivent, ils viennent pour le rencontrer, des architectes comme elle, ou des bâtisseurs. Ils vont le regarder sous toutes les coutures et chercher tous ses secrets. Il n’a pas à s’inquiéter, ils vont l’adorer. Elle éprouve un petit recul quand le Cocon lui répond. Il a peur qu’ils ne s’essuient pas leurs pieds avant d’entrer, qu’ils lui trouvent des défauts, qu’ils ne le comprennent pas. Marsu comprend qu’il s’agit d’une personne en train d’imiter l’hôtel de l’autre côté de la cloison du balcon. Le monsieur se présente : Thom Robinson. Il a assisté à la présentation de son projet à Nantes, pas loin de la salle de concert qu’elle construit. Elle répond que son mari Harry parle aussi beaucoup aux objets. Il est potier, il parle à ses pots, à ses outils, il a même donné un nom à son four. Thom s’allume une cigarette, Marsu lui demande du feu et elle s’allume une cigarette imaginaire. Elle a arrêté il y a cinq ans.
Plus tard, Marsu Chevalier présente son projet aux séminaristes rassemblés dans le grand hall : Les organes vivants sont capables de développer des stratégies complexes pour s’adapter aux contraintes de leur environnement. C’est une source d’inspiration extraordinaire pour construire des villes et des habitations écorégénératrices et durables. Conçu en collaboration avec des biologistes, le Cocon s’intègre parfaitement à l’écosystème qui l’accueille. Sa forme ovoïde est l’une des plus résistantes à l’usure et aux intempéries. Composé de matériaux issus du vivant, le Cocon respire et réagit à la lumière et aux températures intérieures et extérieures. Et elle commence à se demander s’il n’est pas sensible à aux émotions humaines. Elle demande aux auditeurs du premier rang s’ils ne l’ont pas vu rougir. Puis c’est au tour de Thom Robinson d’effectuer sa présentation : il est un architecte en réalité virtuelle et créateur de l’univers Athome. Il continue : Athome propose des espaces de rencontres de la simple salle de réunion à la villa de luxe. Il souhaite développer le marché du tourisme avec des lieux de vacances virtuels, une excellente alternative pour voyager à moindre coût. Athome recherche des partenariats avec des architectes de tous horizons, pour reproduire virtuellement les plus beaux hôtels, afin qu’un maximum de vacanciers puissent en bénéficier, l’hôtel étant dupliqué à volonté. Il s’adresse à Marsu car ce serait un immense honneur d’avoir le Cocon dans leur catalogue.
L’immersion produit son plein effet dès la première page : le lecteur se retrouve dans cet endroit ensoleillé, paradisiaque, se sent immédiatement proche de Marsu Chevalier, il est en agréable compagnie. Le premier contact entre elle et Thom Robinson se déroule de manière naturelle et unique, apportant à la fois des informations sur leur personnalité et leur caractère comme lors d’une première prise de contact, un début d’information sur ce qu’ils font là, et également les prémices de leur relation. Le lecteur observe leurs postures, leurs petits gestes : leur langage corporel montre qu’ils s’entendent bien dès cette rencontre, une forme de compatibilité d’état d’esprit. La seconde séquence se déroule avec la même sensation d’évidence : un congrès réunissant différents types de bâtisseurs, à la fois la présentation à d’éventuels investisseurs ou acheteurs, à de simples curieux, mais aussi des contacts potentiels entre différents professionnels. Le lecteur déambule dans le hall monumental qui accueille les interventions des professionnels, il assiste tout naturellement à leur prise de paroles, dans ce cadre prestigieux à la lumière dorée et chaude. Il assiste en direct à la proposition de l’architecte virtuel d’intégrer la réalisation de l’architecte dans le monde réel. En trois pages, les autrices ont mis en place la dynamique du récit avec une élégance rare, une complémentarité parfaite, le lecteur étant déjà devenu l’ami et confident des deux principaux personnages, scénariste et artiste racontant comme une seule et unique personne. Du grand art.
Avant toute chose, ce récit constitue une histoire d’amour, une variation sophistiquée sur plusieurs configurations, mettant à profit les nouvelles technologies. De ce point de vue, il s’agit d’un récit d’anticipation : dans un futur proche, les mondes virtuels ont acquis une consistance et une cohérence permettant à chaque individu de s’y créer un chez soi personnalisé, voire un foyer, d’y accueillir des invités, et, pourquoi pas, de le faire évoluer à deux ou plus. Les autrices mettent en place cette évolution technologique avec une grande habileté : l’accès à ce monde virtuel se fait par l’utilisation d’un simple casque de réalité virtuel, un modèle à peine plus performant que ce qui existe déjà, plus accessible. La narration visuelle montre la facilité de s’en servir, le rendant très plausible, ainsi que l’effet d’immersion dans la réalité virtuelle : l’artiste réalise les dessins correspondant à la réalité avec un encrage au crayon et une mise en couleur numérique, ceux correspondant au virtuel sont réalisés au crayon de couleur. Le passage d’une réalité (physique) à l’autre (virtuelle) s’opère en douceur, sans contraste spectaculaire, ce qui contribue encore plus à rendre ce monde virtuel plausible et tangible, accessible, concret, un simple pas de côté par rapport à la réalité, tout en y étant très semblable, avec des éclairages différents permettant au lecteur de savoir s’il se trouve dans l’une ou l’autre.
S’il est familier des récits d’anticipation relatifs aux mondes virtuels, le lecteur apprécie à sa juste valeur la qualité de la mise en œuvre qui permet de croire à ce procédé de vie virtuel, et de concomitance avec le réel. Il peut prêter attention aux détails : le nom Athome (une combinaison entre At home, c’est-à-dire au foyer, et avec le prénom Thom), la manière de nourrir ce monde virtuel avec les créations du réel, le confort qu’il présente visible dans chaque image avec des accessoires, des meubles, des lieux des aménagements qui combinent une sensation douillette et sécurisante, détente et relaxation à l’abri des agressions quotidiennes de la réalité. Les autrices ont conçu un équilibre qui rend cette virtualité d’autant plus plausible et probable, un dosage très bien pensé. Il se retrouve vite convaincu de la pertinence de baser ce monde sur les créations du réel, que ce soient les constructions architecturales, ou les éléments de la nature (faune et flore), avec quelques adaptations. Le principe de transposer les grandes créations de la nature et de l’humanité dans le virtuel offre de fait une richesse et une diversité infinies, une familiarité rendant ce monde plus plausible et facilitant l’adaptation, limitant la déréalisation. Au cours du récit, le lecteur peut voir comment les personnages y apportent leur touche personnelle entre suppression des inconvénients (par exemple air pollué et bruits pour un fac-similé de New York), expurgeant les éléments considérés comme nuisibles ou indésirables, un monde toujours neuf et propre, nettoyé et désinfecté, assaini et édulcoré, dépourvu de besoin de maintenance, insensible aux effets de l’entropie. D’un côté, ce parti pris fait sens pour créer un monde virtuel cohérent d’une telle ampleur, restant simple à appréhender par chaque individu ; de l’autre côté le questionnement sur les attentes relatives à un tel monde est bien présent de manière sous-jacente. À chaque immersion dans ce virtuel, le lecteur éprouve un plaisir esthétique de chaque case qui lui fait, lui aussi, éprouver l’envie irrépressible d’y retourner, d’y séjourner.
Les autrices intègrent d’autres questionnements sur les mondes virtuels de manière tout aussi pragmatique. Marsu Chevalier (un autre nom chargé de sens) éprouve a priori une défiance pour cette technologie qui la coupe du réel, et elle fait l’expérience du temps qu’elle y consacre, presqu’à son insu, en tout cas contre son gré. Le lecteur y voit le principe implicite du fonctionnement des réseaux sociaux dématérialisés : capter l’attention, la retenir, pour monopoliser un temps de cerveau disponible allant toujours en augmentant. Les échanges entre personnages et les mises en situation emploient un vocabulaire et des mises en scène terre à terre, tout en fonctionnant sur les principes du système de récompense, du conditionnement opérant, du processus de renforcement. Sous la narration douce et prévenante, les thèmes de fond sont bien présents. Vu sous cet angle, les autrices mettent en œuvre un mode narratif ouvert à tous, avec la possibilité d’identifier différents éléments culturels pour ceux qui s’y sont déjà intéressés. Un exemple parlant réside dans la réparation d’une tasse par Harry : il l’a offerte à Marsu qui la laisse tomber dans un moment d’inadvertance, et il la répare avec une technique à base de laque saupoudrée de poudre d’or. L’image est très belle, servant également de métaphore pour recoller les morceaux dans une relation, et celui qui en est familier identifie l’art japonais du Kintsugi (ou Kintsukuroi).
Comme l’évoque la première scène, il s’agit également d’une histoire d’amour : Marsu et Thom partagent une même façon de penser pour ce qui est de leur mode de création, ce qui se traduit par une affinité spirituelle, et une attraction amoureuse. Le lecteur peut littéralement la voir dans leur langage corporel, les expressions passant sur leur visage, leurs petites attentions l’un envers l’autre. Il est touché par leur gentillesse respective et cette intimité d’esprit. Le champ des possibles du titre évoque celui de la virtualité, ainsi que celui des modes amoureux. Harry et Marsu forment un couple qui n’entrave pas leur liberté, l’un comme l’autre pouvant aller voir ailleurs, ce qui n’entame pas leur amour réciproque. Thom découvre même qu’il existe une forme de trouple avec leur amie Clémence. Le monde virtuel ouvre le champ des possibles à d’autres configurations amoureuses pour la relation entre Marsu et Thom. Le lecteur voit leur relation évoluer, l’attirance, les émotions positives qui en découlent et qui renforcent même les sentiments de Marsu pour son époux. Il voit et il ressent leur frustration quand le rapprochement physique ne fonctionne pas, quelles que soient leur envie et leur tendresse. La relation dématérialisée s’offre alors comme une évidence, y compris pour le lecteur, à la fois par la solidité et l’intelligence du dispositif Athome, à la fois par les dessins qui montrent ce monde virtuel, avec des touches expressionnistes discrètes et raffinées. Même s’il s’agit d’une évidence, cette relation est à construire, à développer, à faire croître en s’y impliquant, en s’adaptant à ses conséquences, pour les amoureux et pour le conjoint. Ce n’est pas du tout la même dynamique entre une relation physique et une relation dématérialisée.
Une histoire d’amour, un récit d’anticipation, une intrigue romantique non-conformiste avec des beaux dessins : tout ça et bien plus encore. Le sentiment amoureux s’avère protéiforme : les réseaux sociaux et le distantiel, la réalité virtuelle offrent de nouvelles possibilités, ou en tout cas des moyens différents, s’inscrivant ainsi dans de précédents modes alternatifs comme les relations épistolaires, les textos, les sextos, les visios, etc. Les deux autrices explorent ce potentiel, au travers d’un roman chaleureux et solaire, avec gentillesse, et sans faiblesse. Comme le dit Clémence, Marsu est toujours à fond : à la fois consciente des risques d’addiction, à la fois déterminée à rendre féconde cette nouvelle forme de relation. Ces deux créatrices réenchantent le monde, savent en mettre en valeur le merveilleux, avec un esprit ludique. Un enchantement.
Adaptation du roman éponyme de l’écrivain finlandais Arto Paasilinna, cette BD nous transporte dans un petit village du nord de la Finlande, peu après la Seconde Guerre mondiale, où un étranger, Gunnar Huttunen (dit Nanar), rachète et remet en marche le vieux moulin local. Bien que d’abord accueilli à bras ouverts, Huttunen révèle une particularité troublante : une certaine propension à hurler et à l'excentricité qui va perturber la quiétude des villageois. Ces derniers, dérangés par ses frasques, n’ont dès lors qu’une idée en tête : l’envoyer à l’asile.
Dumontheuil s’approprie avec jubilation cette histoire tragique où l’humour et une certaine soif d’absolu sont de mise. J'avais déjà adoré le dessin dans de Nicolas Dumontheuil dans Qui a tué l'idiot ?, et ai retrouvé ici avec grand plaisir les traits vivants, les formes dynamiques et les libertés géométrique qui créent ce dessin assez virevoltant qui colle très bien à l'histoire. Les décors faits de paysages forestiers sombres et de bâtiments en bois aux structures imposantes finissent de poser l’atmosphère visuelle.
Le récit oscille entre drame et comédie grinçante, offrant une critique en règle d’une société régie par les préjugés et l’arbitraire. Sous les aspects d'une comédie loufoque, c'est une critique subtile et incisive des groupes humains qui se met en place. À travers le rejet dont il est victime, l’œuvre pointe du doigt les travers d’une société conformiste, méfiante envers ceux qui sortent du cadre établi. Huttunen, avec son excentricité et sa sensibilité exacerbée, devient le bouc émissaire d’un village où l’ordre social repose sur des codes implicites mais rigides.
L’histoire met en lumière le poids des normes sociales et la peur de la différence, transformant une communauté apparemment paisible en un tribunal implacablement injuste. Les villageois, au lieu d’accepter les singularités de Gunnar, s’unissent pour l’exclure, symbolisant une société qui préfère réprimer ce qu’elle ne comprend pas plutôt que de chercher à l’intégrer. La folie apparente de Gunnar est en réalité un cri de liberté, un refus des carcans imposés, tandis que la “normalité” des villageois se révèle dans toute sa petitesse et sa cruauté tant et si bien qu'on finit par se demander qui est le fou de l'histoire.
C'est très grinçant mais contrairement à Canarde, je trouve que c'est une œuvre qui fait du bien, parce qu'elle a le mérite de remettre l'église au milieu du village.
Bravo Monsieur Dumontheuil, un coup de coeur pour moi.
J'ai beaucoup apprécié cette fiction documentaire rappelant l'histoire du bidonville de Nanterre. J'aurais presque pu croiser les enfants de Kader à l'école puisque j'habitais Courbevoie qui est tout proche de Nanterre. La construction du site de la Défense, les jeux dans les terrains vagues (encore nombreux à l'époque), me rappelle des souvenirs d'enfances. Bien sûr nous connaissions l'existence du grand bidonville de Nanterre sans y avoir jamais pénétrer mais nous pouvions le voir de la route et cette image est restée gravée dans ma mémoire. Laurent Maffre reprend le témoignage de Monique Hervo qui est intervenu pendant dix ans pour aider (aide scolaire, écrivaine public, conseil et accompagnement humain) auprès de ce public très vulnérable. Je troue que l'auteur réussit très bien à traduire les paradoxes de cette époque. En effet le scénario met bien en valeur la complexité d'une situation où la population était officiellement Française ( jusqu'en 62), travailleuse et discrète et officieusement perçue comme un ennemi ( FLN, 17 octobre 61). Le récit se veut non polémique (Papon n'est jamais cité) et se veut très optimiste sans tomber dans l'angélisme. La narration est fluide malgré quelques flash back pour insérer quelques éléments historiques qui, expliquent le contexte ( guerre en Algérie, manif du 17 octobre). Les auteurs préfèrent minimiser le racisme ambiant pour honorer les Français aidants . Monique Hervo est ainsi mis en scène sous les traits de Françoise. Ce récit-témoignage est à mes yeux très important 60 ans plus tard dans un contexte où les relations Franco Algériennes sont toujours compliquées.
Le graphisme en N&B de Maffre amplifie le côté reportage du récit. Le trait est épuré avec une belle recherche sur les visages masculins. J'ai eu un peu plus de mal sur les visages féminins. Surtout j'ai admiré le travail pour transcrire les détails du bidonville. A la fois dans ces extérieurs et pour la vie intime les atmosphères décrites sont très crédible. J'ai vraiment été impressionné.
Une lecture qui traverse de nombreuses thématiques: historique, sociale, sociétale qui mérite la lecture d'un public large.
Perso un très bon 4
Voilà un album que j'ai adoré.
Je ne connaissais pas Romain Dutreix, dorénavant je vais guetter ses futures productions avec beaucoup d'attention.
Il y très longtemps que je ne m'étais amusé autant à lire une bande dessinée. Il y a même des moments franchement hilarants. L'histoire est prenante et merveilleusement racontée. Dutreix a un sens du rythme infaillible.
Le dessin est épatant, avec une stylisation remarquable et un sens extraordinaire pour représenter les expressions des visages et les postures des corps des personnages. C'est vivant au possible. La mise en couleur est elle aussi très réussie.
Bref les parties graphique et scénaristique sont de haut niveau et concourent à offrir un album de bande dessinée populaire et grand public de premier ordre. Et je dois avouer que l'annonce d'une suite en fin d'album m'enchante littéralement.
note: 4,5/5
C'est à nouveau un très bel album de Jérémie Moreau.
Dans cet ouvrage au format agréable (pratiquement un carré de petite taille), on suit le périple d'un jeune batricien, qui, comme son père l'avait fait avant lui, cherche la terre promise, une mare, un écrin de verdure qui permettra peut-être à sa progéniture de s'épanouir et de perpétuer à son tour le cycle de la vie. Alyte, petit orphelin miraculé, va faire des rencontres qui le marqueront et lui permettront de trouver le courage suffisant pour affronter la terrifiante " Léthalyte ", cette bande grise mortifère qui recrache impitoyablement ses victimes.
Pour peindre cette ode à la nature et au monde animal, J. Moreau utilise comme il le fait depuis un certain temps une palette aux couleurs très vives, pop, acidulées, mais comme il le dit lui-même, cet univers est " faussement mignon " et souvent sans concession car la vie, comme le rappelle chaque péripétie d'Alyte, demeure incertaine, plus que jamais fragile, car les dangers qui la menacent se multiplient désormais sous l'effet de l'activité humaine et du réchauffement climatique.
Les images de Moreau sont puissantes. Nul doute qu'elles marqueront également durablement les jeunes enfants qui découvriront ce joli conte écologique et poétique. Comme dans son " Discours de la panthère ", la nature est vue à hauteur d'animaux. Mais " Alyte " me semble plus homogène que Le Discours de la panthère (qui était composé d'histoires courtes parfois inégales). Le récit de ce dernier ouvrage est sans temps morts, moins sentencieux que celui de son grand-frère peut-être et il finit en beauté avec une rencontre particulièrement bien amenée entre notre crapaud héroïque et un personne dont je vous laisse découvrir l'identité !
Au fil de cette odyssée, j'ai également pensé à Miyasaki, il me semble en effet voir une filiation entre le célèbre auteur japonais de " Nausicaa " et Jérémie Moreau, à la fois dans les thèmes abordés et dans la représentation de la nature avec les eaux qui jaillissent, les arbres qui bruissent et la vie animale qui résiste tant bien que mal aux coups de boutoir d'hommes insensés.
Pour moi, c'est ni plus ni moins un indispensable de cette année 2024 (!) et un coup de coeur bien sûr !
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Monstera
Cet album m'a touché parce que je m'attendais à une petite bluette adolescente d'aujourd'hui et je tombe sur quelque chose d'un peu plus construit et qui touche finalement à des problèmes nouveaux de notre société de l'image. Des problèmes qui renvoient aussi à notre éducation à toustes. Çà se passe dans un milieu urbain. Un couple de jeunes se forme entre une brune à la frange courte et un longboard-dancer. L'un va être soulevé par une notoriété assez bizarre, le mannequinat, pendant que l'autre va se sentir détruite par cette popularité monstrueuse, et va avoir la tentation de sombrer sans appeler à l'aide. Je me suis bien identifiée à Lina parce que je suis aussi en couple et que voir l'autre gravir les échelons de la notoriété est une épreuve qu'on ne mesure pas. En revanche, dans le cas de nos deux héros, c'est l'homme qui se met à représenter la beauté, valeur à laquelle nous avons toutes appris à nous plier, ou en tout cas qui semble continuer à être dans nos imaginaires, résolument féminine. C'est troublant que ce partage des genres perdure, même à l'heure de la culture queer. Notre éducation est faite, et notre cerveau ne peut pas se débarrasser si facilement de ses carcans devenus inutiles. Un autre exemple de cette habitude genrée est que l'on ne sait pas quelles sont les activités de Lina, elle court pour rester maigre mais que fait-elle à part ça, on ne sait pas. Coté image, certaines trouvailles graphiques m'ont beaucoup plu , en particulier lorsque le mannequin entouré des couturiers et habilleuses est représenté comme un christ du XVIème siècle sur une déposition de croix. Les pleureuses au pied de la croix, le corps du christ contorsionné par la douleur et un type sur une échelle qui commence à le détacher... Bref c'est vraiment bien vu. Mais si le trait est élégant et fin, l'image manque d’acuité. Les visages des deux héros restent particulièrement insaisissables (sans bouche ou presque) comme s'ils devaient rester un écran sur lequel projeter nos désirs. Mais ce parti pris m'a plutôt gêné, donnant l'impression d'une froideur abstraite contreproductive. Adossé à ce tracé à la discrétion extrême, des surfaces charbonneuses marquent des ombres ou différencient des plans mais d'une manière indécise. Un ton de bleu ajouté avec un logiciel englobe des ombres propres, des ombres portées, des matières différentes... Pour moi, ce sont ces surfaces bleues, toujours de la même intensité (ni légère ni sombre) qui plombent l'ensemble. En apprenant le dessin, on représente les ombres portées plus sombres que les ombres propres, pour accentuer le relief, ici aucune variation de ce type. Comme si le curseur de cette couleur était bloqué dans un "médian" qui écrase la fragilité des traits. Quel dommage ! Si l'image avait pu mieux accompagner les dialogues justes et le scénario intéressant, cela aurait pu être une vraie réussite ! Monstera est une plante d'intérieur, et c'est peut-être aussi le message de cet album : cultivons notre intérieur et cessons de nous soucier de notre apparence. Je ne suivrai pas l'auteur sur ce terrain, en revanche la remise en cause de la SEDUCTION comme unique horizon des êtres humains me semble un objectif politique à réhabiliter !
Les Imbuvables ou comment j'ai arrêté de boire
Un jour, on a trente ans, et on se retrouve à contempler un paysage de jungle après avoir planté une jeep de location. Julia Wertz commence son récit ici. Mais pour comprendre ce moment de chaos, il faut remonter quelques années, quand elle décide de prendre le virage compliqué de la sobriété. On y retrouve tout ce qui fait la patte de Wertz : cet humour acerbe, ses punchlines désarmantes, et ce regard sans concession sur elle-même. Le chemin qu'elle raconte est loin d’être linéaire : des groupes de parole improbables, des rechutes, des relations bancales. Avec cette honnêteté brutale, Julia ne triche jamais, ni avec son lecteur, ni avec elle-même. Le trait de Julia Wertz reste fidèle à son style : simple, direct, parfois un peu brut, mais il y a quelque chose de profondément authentique qui transparaît. Ce n’est pas pour le dessin qu’on est là, mais pour cette capacité à raconter, à captiver avec des moments du quotidien, à rendre les petits détails universels. Certes, les décors sont minimalistes et les dialogues parfois denses, mais cela sert le propos. On a l’impression d’être avec elle, dans son salon en désordre, à écouter une amie nous confier ce qu’elle a sur le cœur. Ce qui rend cette lecture si forte, c’est l’équilibre qu’elle trouve entre humour et gravité. Elle ne cherche jamais à édulcorer son expérience, mais elle ne sombre pas non plus dans le pathos comme d'autres peuvent le faire. Au fil des pages, on rit, on s’émeut, on réfléchit. Sa capacité à transformer des moments difficiles en récits riches de sens est impressionnante. Elle offre une réflexion sincère sur l’addiction, les relations, et la manière dont on peut réapprendre à vivre. On sort de cet album avec l’impression d’avoir partagé un moment unique. Une lecture qui touche par sa vérité, par cette manière si propre à Julia Wertz de raconter la vie sans masque, et par cette résilience qui s’en dégage. Un témoignage fort, qui fait réfléchir et qui, au passage, ne manque pas de nous faire sourire.
La Boîte de petits pois
À l’écouter parler, tout était horrible et affreux. - Ce contient un récit de nature autobiographique. La première édition de cet ouvrage date de 2019. Il a été réalisé par GiedRé pour le scénario, et par Holly R pour les dessins et la mise en couleurs. Il comporte quatre-vingt-dix-neuf pages de bande dessinée, et un post-scriptum de cinq pages, écrit et dessiné par Giedré. Il y a environ longtemps, la mère de Giedré était petite et jouait au ping-pong. Elle était vachement forte. Elle gagnait des médailles et tout. À l’époque, les enfants étaient hyper encouragés à faire du sport ou de la musique ou de la danse ou n’importe quoi… Tout était gratuit, il fallait juste s’inscrire et ensuite devenir fort… pour que le reste du monde voie que cette nation était la meilleure. 1952 : record de médailles pour l’URSS ! Il y avait souvent des parades et des grandes manifestations à la gloire de ce merveilleux système qui était le meilleur qui existe. Et si on vous demandait, il fallait répondre que tout était super et qu’on était très contents. Parce que l’endroit où on envoyait les gens qui disaient que c’était pas super était encore moins super. Déjà, c’était hyper loin. Il y faisait toujours -10000°C et parfois on devait rester 10 ans. Alors en général les gens se retenaient de critiquer. Même en petit comité, on faisait comme si de rien n’était parce qu’il y avait des espions un peu partout. D’une manière générale on se méfait d’à peu près tout le monde. On ne faisait confiance à personne. Deux amies qui discutent, l’une demande à l’autre où elle a acheté sa robe, la seconde souhaite savoir pourquoi elle lui demande ça. La première espère que l’autre ne pense pas qu’elle veut la lui racheter plus cher qu’elle ne l’a payée. Et l’autre se dit que son interlocutrice la soupçonne d’avoir eu du tissu en rab. ULL : union de la Lituanie Libre. La mère de Giedré avait deux frères, dont un qui avait quinze ans (ce qui arrive à tout le monde sauf à ceux qui meurent avant). Et comme beaucoup de gens qui ont quinze ans, il trouvait que la vie, c’était naze. Alors avec quatre copains qui trouvaient aussi que la vie c’était naze, ils ont décidé de faire des trucs. Ils ont commencé à faire des petites affiches qu’ils collaient dans la rue. En gros, ça disait ça : Et, franchement, la vie c’est naze ; la liberté c’est trop important quoi, sérieux, y en a marre, ULL. Bon, ils n’en collaient pas beaucoup parce que c’était un peu dangereux comme passe-temps en Lituanie. Mais malgré tout certaines personnes les voyaient. Et au bout de quelques temps des gens ont commencé à s’y intéresser. On en parlait, on se passait le mot. Et son oncle et ses copains étaient contents de faire des trucs. Mais au bout de deux ans, quelqu’un les a dénoncés, et ils se sont tous fait arrêter. Le KGB a tout de suite perquisitionné dans la maison de sa grand-mère. En rentrant du travail, elle n’a rien compris parce que comme tout le monde elle n’était pas au courant. Son oncle s’est fait enfermer dans une cellule du KGB. Il est resté là le temps d’être majeur pour pouvoir être jugé. Puis s’est fait condamner pour trahison, révolte et trouble à l’ordre public. Il s’est fait emmener loin. De prime abord, le lecteur découvre une bande dessinée aux autours d’œuvre pour enfants : des dessins à l’allure simplifiée, avec de jolies couleurs au crayon de couleurs, une vision du monde par les yeux d’un enfant. Il commence à lire le texte qui court le long des cases, ainsi que les dialogues : des phrases courtes, des structures simples, des tournures grammaticales pas toujours correctes, un vocabulaire limité, comme si c’est une petite fille d’à peine dix ans qui s’exprime. Effectivement, GiedRé évoque son enfance, comme elle l’a vue et ressentie à cet âge. Les actions des adultes ne lui sont pas toujours compréhensibles, en particulier les événements de politique internationale, par exemple la destruction du mur de Berlin. Elle dépasse du cadre strict de son entendement de petite fille, en évoquant l’histoire de sa famille, des déménagements grâce au statut social de son grand-père paternel : dans la postface, elle explique qu’elle a fait appel aux souvenirs de sa mère pour disposer de ces faits et de cette compréhension. Le lecteur vit donc cette reconstitution historique à hauteur d’enfant, que ce soit la queue pour les magasins, ou le partage de chewing-gum. Dans le même temps, il n’éprouve pas la sensation que le récit s’adresse à un enfant, ou qu’il manque de profondeur. Les autrices savent très bien rendre le point de vue d’une enfant. Cela commence dès la première page avec la mère encore adolescente en train de jouer au ping-pong : une silhouette longiligne, de jolis cheveux blonds, des gestes en accéléré, une fierté d’avoir gagné qui se lit sur son visage, le lecteur se sent baigné dans le bonheur dont elle rayonne. En page vingt-quatre, un garçon savoure avec délectation des petits pois : son visage arbore une expression proche de l’extase, dans l’assiette le lecteur voit des petits points verts qui semble comme flotter dans le vide, et quelques taches orange, une représentation naïve. Page trente-neuf, la représentation de la zone résidentielle abritant les résidences secondaires des apparatchiks évoque incontinent un dessin d’enfant : les belles pelouses vertes, les arbres très simplifiés, les routes échappant aux règles de la perspective, etc. Plus tard, la famille de la narratrice va s’installer à la campagne. Elle raconte : À la campagne, il n’y avait pas d’eau courante alors chaque habitation avait ses toilettes loin de la maison, et les leurs étaient à l’orée de la forêt. Avec une lampe torche dans la main, la jeune fille doit se rendre aux toilettes de nuit, une forêt fantasmée, avec une chouette qui regarde droit dans les yeux, une espèce de cabane aux proportions trop allongées pour les toilettes, des arbres aux formes bizarres, vaguement menaçants : le lecteur se retrouve dans un conte pour enfants, sans se sentir pris pour un neuneu, une vraie sensation d’enfance. Dans le même temps, le lecteur voit bien que les dessins comportent un niveau d’informations qui relève du regard d’adulte. Sous l’apparence enfantine donnée par dessins aux crayons de couleurs, se trouvent un niveau d’informations visuelles bien supérieur au regard d’un enfant. Dans cette première page, un individu joue de l’accordéon, certes aux couleurs pastel, mais comportant bien toutes les parties attendues comme le soufflet, les touches de part et d’autre. Dans la deuxième page, le train ressemble à un jouet, mais dans le même temps l’uniforme des soldats est conforme à la véracité historique, la perspective du stade présente un aspect discrètement gauchi, tout en préservant la perspective et les dimensions. Tout du long, les dessins construisent une reconstitution historique solide et fiable : les vêtements d’époque, les accessoires du quotidien, les appareils ménagers de ces années-là comme les postes de télévision ou les téléphones à cadran en bakélite, etc. Les postures et les mines des individus apparaissent faussement naïfs, avec une grande justesse dans l’expression corporelle, et dans les gestes de tous les jours, aussi bien les jeux d’enfants que les gestes plus mesurés des adultes, voire les comportements emprunts de défiance pour parer au risque de la délation par des citoyens intéressés. La réception de cette bande dessinée au ton si particulier va dépendre du parcours de vie du lecteur et de son âge. Il peut venir pétri d’a priori et de certitudes sur le régime communiste. Ce qu’il sait déjà lui saute aux yeux : le faible niveau de niveau des citoyens, les queues interminables devant des magasins où le rationnement et la pénurie règnent en maître. Des personnes exerçant un métier sans aucune motivation, un marché noir généralisé et pour tout, une élite qui ne manque de rien attestant d’une corruption systémique, un état totalitaire qui a la déportation facile pour les opposants et les rebelles. Voire s’il a été témoin de ces années au travers des médias, il retrouve tout ce qui était pointé du doigt : des queues interminables, à la délation. S’il est plus jeune, il est possible qu’il éprouve quelques difficultés à croire certaines situations, ou même le mode de fonctionnement d’un pays sous domination soviétique. Déporté en Sibérie pour avoir collé des affiches de protestation en Lituanie, vraiment ? Le lecteur peut également être pris au dépourvu par l’évocation de ce monde passé, au travers des yeux et des ressentis d’une fillette, qui n’a pas l’air de vivre ça mal. Il lui faut un petit temps de recul pour accepter certaines des choses auxquelles il assiste : le partage de chewing-gum qui passe de la bouche d’un enfant à un autre, jusqu’à une dizaine. Le festin de dégustation de pâté, de ce qu’il identifie immédiatement comme étant une boîte de nourriture pour chat, ne pas savoir qu’il faut enlever la peau d’une banane avant de la manger. Ce n’est plus la Lituanie communiste, c’est tout juste le moyen-âge ! Comment la propagande pouvait-elle avoir une telle force de conviction ? Il arrive alors aux cinq pages dessinées de postface, où GiedRé explicite la manière dont elle a procédé : Pour écrire cette BD, elle a beaucoup fait appel à sa mère pour qu’elle lui raconte, et à l’écouter parler, tout était horrible et affreux. D’un autre côté, l’autrice a vécu ces moments comme une petite fille, et elle a passé une enfance qu’elle juge heureuse. La narration qu’elle en fait ne nie pas les exactions et la répression, mais, elle, ça ne l’a jamais rendue triste de partager son chewing-gum. Impossible de ne pas partir avec des a priori divers et variés pour la lecture : entre ce que le lecteur connaît des chansons de l’autrice, ce qu’il sait de la domination de l’URSS sur les pays satellites, ou ce que l’image édulcorée de la couverture lui évoque. Il se retrouve surpris par l’évocation positive tout en étant honnête d’une enfance en Lituanie juste avant qu’elle ne recouvre son indépendance, totalement sous le charme de la narration à l’apparence enfantine, à la consistance et au sérieux adulte. Une enfance heureuse dans un pays sous un joug totalitaire.
Donjon Zenith
Ah, Donjon Zénith. Le point central de tout cet univers partagé. On y suit les aventures de Marvin et d'Herbert, le premier est un puissant guerrier draconique, le second est un canard lâche mais malin. Ensemble, ils travaillent dans le Donjon, officiellement une forteresse où les plus puissants héros peuvent venir braver les dangers dans l'espoir de repartir les poches pleines, dans les faits c'est surtout un attrape-niguaud. Les premières histoires sont simples, c'est au début surtout une grosse parodie d'univers d'Heroic Fantasy avec ses races invraisemblables, ses magies incompréhensibles évoluant au gré du scénario et ses armes légendaires aux pouvoirs mystérieux et absurdes. Ensuite, ça évolue pour devenir un vrai univers cohérent, avec des cultures différentes, des personnages plus complexes et surtout un vrai récit épique filé (sans jamais vraiment oublier le côté décalé). Les premiers albums sont dessinés par Trondheim, les suivants par Boulet. Le changement de dessinateur était nécessaire. Sans le trouver excellent j'aime bien le dessin de Trondheim mais le changement de ton que prend la série à partir du tome 5 nécessitait d'également changer la forme. Le dessin de Boulet est très bon, il arrive à bien représenter les scènes d'actions tout en gardant le ton comique lorsqu'il est nécessaire. Dans l'ensemble que forment les séries Donjon, Zénith est l'âge d'or, celui où le monde est encore relativement calme mais où l'on sent petit à petit venir l'ère chaotique de Crépuscule. Une très bonne série. Si vous souhaitez commencer les séries Donjon, c'est évidemment par celle-là que je vous conseillerait de débuter.
La Trahison d'Olympe
Première publication de Jean Dalin je pense, cet album nous fait découvrir un auteur original et au talent certain. En particulier son travail graphique, qui justifie mon coup de cœur, et qui est très bien mis en valeur par le travail éditorial de Sarbacane (très grand format, papier épais). J’ai bien aimé la colorisation, très tranchée. Mais c’est surtout la construction des pages qui détonne. Adieu le gaufrier traditionnel, nous entrons ici dans quelque chose de très personnel et original. Certaines pleines pages nous montrent des personnages se mouvant dans un décor faisant penser à des jeux vidéo de plates-formes, foisonnent de détails multicolores, de formes géométriques, d’autres cases sont plus sobres. Le visuel est franchement marquant. Il ne plaira sans doute pas à tout le monde, en particulier les personnages, au physique parfois improbables (voir certains nez ressemblant à une défense de narval), mais je l’ai beaucoup aimé en tout cas. L’intrigue se laisse plus difficilement apprivoiser je trouve, et j’ai mis un temps à me faire à la narration et à l’histoire. Mais une fois entré dedans, c’est un récit lui aussi plein de qualités qui s’offre au lecteur. Pas mal d’absurde (voir les démarches administratives), de poésie, un peu de loufoque, dans des aventures qui pourtant se déroulent dans un univers pas tout rose, une sorte de dystopie, avec quelques relents de thriller. Une série franchement inclassable, dont j’attends avec pas mal de curiosité la fin, promise dans le prochain album.
Le Champ des possibles
Allez, viens ! On va jouer ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Véro Cazot pour le scénario, et par Anaïs Bernabé pour les dessins et les couleurs. Il comporte cent-vingt-sept pages de bande dessinée. La scénariste a également réalisé Betty Boob (2017) illustré par Julie Rocheleau, et Les petites distances (2018) avec Camille Benyamina. Quelque part sous les tropiques, sous un soleil chaleureux, en bordure d’une plage de rêve, dans une construction de plusieurs étages de forme ovoïde, l’architecte Marsu Chevalier est en train de parler à ce bâtiment qu’elle a conçue. Elle le rassure en lui indiquant qu’ils arrivent, ils viennent pour le rencontrer, des architectes comme elle, ou des bâtisseurs. Ils vont le regarder sous toutes les coutures et chercher tous ses secrets. Il n’a pas à s’inquiéter, ils vont l’adorer. Elle éprouve un petit recul quand le Cocon lui répond. Il a peur qu’ils ne s’essuient pas leurs pieds avant d’entrer, qu’ils lui trouvent des défauts, qu’ils ne le comprennent pas. Marsu comprend qu’il s’agit d’une personne en train d’imiter l’hôtel de l’autre côté de la cloison du balcon. Le monsieur se présente : Thom Robinson. Il a assisté à la présentation de son projet à Nantes, pas loin de la salle de concert qu’elle construit. Elle répond que son mari Harry parle aussi beaucoup aux objets. Il est potier, il parle à ses pots, à ses outils, il a même donné un nom à son four. Thom s’allume une cigarette, Marsu lui demande du feu et elle s’allume une cigarette imaginaire. Elle a arrêté il y a cinq ans. Plus tard, Marsu Chevalier présente son projet aux séminaristes rassemblés dans le grand hall : Les organes vivants sont capables de développer des stratégies complexes pour s’adapter aux contraintes de leur environnement. C’est une source d’inspiration extraordinaire pour construire des villes et des habitations écorégénératrices et durables. Conçu en collaboration avec des biologistes, le Cocon s’intègre parfaitement à l’écosystème qui l’accueille. Sa forme ovoïde est l’une des plus résistantes à l’usure et aux intempéries. Composé de matériaux issus du vivant, le Cocon respire et réagit à la lumière et aux températures intérieures et extérieures. Et elle commence à se demander s’il n’est pas sensible à aux émotions humaines. Elle demande aux auditeurs du premier rang s’ils ne l’ont pas vu rougir. Puis c’est au tour de Thom Robinson d’effectuer sa présentation : il est un architecte en réalité virtuelle et créateur de l’univers Athome. Il continue : Athome propose des espaces de rencontres de la simple salle de réunion à la villa de luxe. Il souhaite développer le marché du tourisme avec des lieux de vacances virtuels, une excellente alternative pour voyager à moindre coût. Athome recherche des partenariats avec des architectes de tous horizons, pour reproduire virtuellement les plus beaux hôtels, afin qu’un maximum de vacanciers puissent en bénéficier, l’hôtel étant dupliqué à volonté. Il s’adresse à Marsu car ce serait un immense honneur d’avoir le Cocon dans leur catalogue. L’immersion produit son plein effet dès la première page : le lecteur se retrouve dans cet endroit ensoleillé, paradisiaque, se sent immédiatement proche de Marsu Chevalier, il est en agréable compagnie. Le premier contact entre elle et Thom Robinson se déroule de manière naturelle et unique, apportant à la fois des informations sur leur personnalité et leur caractère comme lors d’une première prise de contact, un début d’information sur ce qu’ils font là, et également les prémices de leur relation. Le lecteur observe leurs postures, leurs petits gestes : leur langage corporel montre qu’ils s’entendent bien dès cette rencontre, une forme de compatibilité d’état d’esprit. La seconde séquence se déroule avec la même sensation d’évidence : un congrès réunissant différents types de bâtisseurs, à la fois la présentation à d’éventuels investisseurs ou acheteurs, à de simples curieux, mais aussi des contacts potentiels entre différents professionnels. Le lecteur déambule dans le hall monumental qui accueille les interventions des professionnels, il assiste tout naturellement à leur prise de paroles, dans ce cadre prestigieux à la lumière dorée et chaude. Il assiste en direct à la proposition de l’architecte virtuel d’intégrer la réalisation de l’architecte dans le monde réel. En trois pages, les autrices ont mis en place la dynamique du récit avec une élégance rare, une complémentarité parfaite, le lecteur étant déjà devenu l’ami et confident des deux principaux personnages, scénariste et artiste racontant comme une seule et unique personne. Du grand art. Avant toute chose, ce récit constitue une histoire d’amour, une variation sophistiquée sur plusieurs configurations, mettant à profit les nouvelles technologies. De ce point de vue, il s’agit d’un récit d’anticipation : dans un futur proche, les mondes virtuels ont acquis une consistance et une cohérence permettant à chaque individu de s’y créer un chez soi personnalisé, voire un foyer, d’y accueillir des invités, et, pourquoi pas, de le faire évoluer à deux ou plus. Les autrices mettent en place cette évolution technologique avec une grande habileté : l’accès à ce monde virtuel se fait par l’utilisation d’un simple casque de réalité virtuel, un modèle à peine plus performant que ce qui existe déjà, plus accessible. La narration visuelle montre la facilité de s’en servir, le rendant très plausible, ainsi que l’effet d’immersion dans la réalité virtuelle : l’artiste réalise les dessins correspondant à la réalité avec un encrage au crayon et une mise en couleur numérique, ceux correspondant au virtuel sont réalisés au crayon de couleur. Le passage d’une réalité (physique) à l’autre (virtuelle) s’opère en douceur, sans contraste spectaculaire, ce qui contribue encore plus à rendre ce monde virtuel plausible et tangible, accessible, concret, un simple pas de côté par rapport à la réalité, tout en y étant très semblable, avec des éclairages différents permettant au lecteur de savoir s’il se trouve dans l’une ou l’autre. S’il est familier des récits d’anticipation relatifs aux mondes virtuels, le lecteur apprécie à sa juste valeur la qualité de la mise en œuvre qui permet de croire à ce procédé de vie virtuel, et de concomitance avec le réel. Il peut prêter attention aux détails : le nom Athome (une combinaison entre At home, c’est-à-dire au foyer, et avec le prénom Thom), la manière de nourrir ce monde virtuel avec les créations du réel, le confort qu’il présente visible dans chaque image avec des accessoires, des meubles, des lieux des aménagements qui combinent une sensation douillette et sécurisante, détente et relaxation à l’abri des agressions quotidiennes de la réalité. Les autrices ont conçu un équilibre qui rend cette virtualité d’autant plus plausible et probable, un dosage très bien pensé. Il se retrouve vite convaincu de la pertinence de baser ce monde sur les créations du réel, que ce soient les constructions architecturales, ou les éléments de la nature (faune et flore), avec quelques adaptations. Le principe de transposer les grandes créations de la nature et de l’humanité dans le virtuel offre de fait une richesse et une diversité infinies, une familiarité rendant ce monde plus plausible et facilitant l’adaptation, limitant la déréalisation. Au cours du récit, le lecteur peut voir comment les personnages y apportent leur touche personnelle entre suppression des inconvénients (par exemple air pollué et bruits pour un fac-similé de New York), expurgeant les éléments considérés comme nuisibles ou indésirables, un monde toujours neuf et propre, nettoyé et désinfecté, assaini et édulcoré, dépourvu de besoin de maintenance, insensible aux effets de l’entropie. D’un côté, ce parti pris fait sens pour créer un monde virtuel cohérent d’une telle ampleur, restant simple à appréhender par chaque individu ; de l’autre côté le questionnement sur les attentes relatives à un tel monde est bien présent de manière sous-jacente. À chaque immersion dans ce virtuel, le lecteur éprouve un plaisir esthétique de chaque case qui lui fait, lui aussi, éprouver l’envie irrépressible d’y retourner, d’y séjourner. Les autrices intègrent d’autres questionnements sur les mondes virtuels de manière tout aussi pragmatique. Marsu Chevalier (un autre nom chargé de sens) éprouve a priori une défiance pour cette technologie qui la coupe du réel, et elle fait l’expérience du temps qu’elle y consacre, presqu’à son insu, en tout cas contre son gré. Le lecteur y voit le principe implicite du fonctionnement des réseaux sociaux dématérialisés : capter l’attention, la retenir, pour monopoliser un temps de cerveau disponible allant toujours en augmentant. Les échanges entre personnages et les mises en situation emploient un vocabulaire et des mises en scène terre à terre, tout en fonctionnant sur les principes du système de récompense, du conditionnement opérant, du processus de renforcement. Sous la narration douce et prévenante, les thèmes de fond sont bien présents. Vu sous cet angle, les autrices mettent en œuvre un mode narratif ouvert à tous, avec la possibilité d’identifier différents éléments culturels pour ceux qui s’y sont déjà intéressés. Un exemple parlant réside dans la réparation d’une tasse par Harry : il l’a offerte à Marsu qui la laisse tomber dans un moment d’inadvertance, et il la répare avec une technique à base de laque saupoudrée de poudre d’or. L’image est très belle, servant également de métaphore pour recoller les morceaux dans une relation, et celui qui en est familier identifie l’art japonais du Kintsugi (ou Kintsukuroi). Comme l’évoque la première scène, il s’agit également d’une histoire d’amour : Marsu et Thom partagent une même façon de penser pour ce qui est de leur mode de création, ce qui se traduit par une affinité spirituelle, et une attraction amoureuse. Le lecteur peut littéralement la voir dans leur langage corporel, les expressions passant sur leur visage, leurs petites attentions l’un envers l’autre. Il est touché par leur gentillesse respective et cette intimité d’esprit. Le champ des possibles du titre évoque celui de la virtualité, ainsi que celui des modes amoureux. Harry et Marsu forment un couple qui n’entrave pas leur liberté, l’un comme l’autre pouvant aller voir ailleurs, ce qui n’entame pas leur amour réciproque. Thom découvre même qu’il existe une forme de trouple avec leur amie Clémence. Le monde virtuel ouvre le champ des possibles à d’autres configurations amoureuses pour la relation entre Marsu et Thom. Le lecteur voit leur relation évoluer, l’attirance, les émotions positives qui en découlent et qui renforcent même les sentiments de Marsu pour son époux. Il voit et il ressent leur frustration quand le rapprochement physique ne fonctionne pas, quelles que soient leur envie et leur tendresse. La relation dématérialisée s’offre alors comme une évidence, y compris pour le lecteur, à la fois par la solidité et l’intelligence du dispositif Athome, à la fois par les dessins qui montrent ce monde virtuel, avec des touches expressionnistes discrètes et raffinées. Même s’il s’agit d’une évidence, cette relation est à construire, à développer, à faire croître en s’y impliquant, en s’adaptant à ses conséquences, pour les amoureux et pour le conjoint. Ce n’est pas du tout la même dynamique entre une relation physique et une relation dématérialisée. Une histoire d’amour, un récit d’anticipation, une intrigue romantique non-conformiste avec des beaux dessins : tout ça et bien plus encore. Le sentiment amoureux s’avère protéiforme : les réseaux sociaux et le distantiel, la réalité virtuelle offrent de nouvelles possibilités, ou en tout cas des moyens différents, s’inscrivant ainsi dans de précédents modes alternatifs comme les relations épistolaires, les textos, les sextos, les visios, etc. Les deux autrices explorent ce potentiel, au travers d’un roman chaleureux et solaire, avec gentillesse, et sans faiblesse. Comme le dit Clémence, Marsu est toujours à fond : à la fois consciente des risques d’addiction, à la fois déterminée à rendre féconde cette nouvelle forme de relation. Ces deux créatrices réenchantent le monde, savent en mettre en valeur le merveilleux, avec un esprit ludique. Un enchantement.
Le Meunier hurlant
Adaptation du roman éponyme de l’écrivain finlandais Arto Paasilinna, cette BD nous transporte dans un petit village du nord de la Finlande, peu après la Seconde Guerre mondiale, où un étranger, Gunnar Huttunen (dit Nanar), rachète et remet en marche le vieux moulin local. Bien que d’abord accueilli à bras ouverts, Huttunen révèle une particularité troublante : une certaine propension à hurler et à l'excentricité qui va perturber la quiétude des villageois. Ces derniers, dérangés par ses frasques, n’ont dès lors qu’une idée en tête : l’envoyer à l’asile. Dumontheuil s’approprie avec jubilation cette histoire tragique où l’humour et une certaine soif d’absolu sont de mise. J'avais déjà adoré le dessin dans de Nicolas Dumontheuil dans Qui a tué l'idiot ?, et ai retrouvé ici avec grand plaisir les traits vivants, les formes dynamiques et les libertés géométrique qui créent ce dessin assez virevoltant qui colle très bien à l'histoire. Les décors faits de paysages forestiers sombres et de bâtiments en bois aux structures imposantes finissent de poser l’atmosphère visuelle. Le récit oscille entre drame et comédie grinçante, offrant une critique en règle d’une société régie par les préjugés et l’arbitraire. Sous les aspects d'une comédie loufoque, c'est une critique subtile et incisive des groupes humains qui se met en place. À travers le rejet dont il est victime, l’œuvre pointe du doigt les travers d’une société conformiste, méfiante envers ceux qui sortent du cadre établi. Huttunen, avec son excentricité et sa sensibilité exacerbée, devient le bouc émissaire d’un village où l’ordre social repose sur des codes implicites mais rigides. L’histoire met en lumière le poids des normes sociales et la peur de la différence, transformant une communauté apparemment paisible en un tribunal implacablement injuste. Les villageois, au lieu d’accepter les singularités de Gunnar, s’unissent pour l’exclure, symbolisant une société qui préfère réprimer ce qu’elle ne comprend pas plutôt que de chercher à l’intégrer. La folie apparente de Gunnar est en réalité un cri de liberté, un refus des carcans imposés, tandis que la “normalité” des villageois se révèle dans toute sa petitesse et sa cruauté tant et si bien qu'on finit par se demander qui est le fou de l'histoire. C'est très grinçant mais contrairement à Canarde, je trouve que c'est une œuvre qui fait du bien, parce qu'elle a le mérite de remettre l'église au milieu du village. Bravo Monsieur Dumontheuil, un coup de coeur pour moi.
Demain, demain
J'ai beaucoup apprécié cette fiction documentaire rappelant l'histoire du bidonville de Nanterre. J'aurais presque pu croiser les enfants de Kader à l'école puisque j'habitais Courbevoie qui est tout proche de Nanterre. La construction du site de la Défense, les jeux dans les terrains vagues (encore nombreux à l'époque), me rappelle des souvenirs d'enfances. Bien sûr nous connaissions l'existence du grand bidonville de Nanterre sans y avoir jamais pénétrer mais nous pouvions le voir de la route et cette image est restée gravée dans ma mémoire. Laurent Maffre reprend le témoignage de Monique Hervo qui est intervenu pendant dix ans pour aider (aide scolaire, écrivaine public, conseil et accompagnement humain) auprès de ce public très vulnérable. Je troue que l'auteur réussit très bien à traduire les paradoxes de cette époque. En effet le scénario met bien en valeur la complexité d'une situation où la population était officiellement Française ( jusqu'en 62), travailleuse et discrète et officieusement perçue comme un ennemi ( FLN, 17 octobre 61). Le récit se veut non polémique (Papon n'est jamais cité) et se veut très optimiste sans tomber dans l'angélisme. La narration est fluide malgré quelques flash back pour insérer quelques éléments historiques qui, expliquent le contexte ( guerre en Algérie, manif du 17 octobre). Les auteurs préfèrent minimiser le racisme ambiant pour honorer les Français aidants . Monique Hervo est ainsi mis en scène sous les traits de Françoise. Ce récit-témoignage est à mes yeux très important 60 ans plus tard dans un contexte où les relations Franco Algériennes sont toujours compliquées. Le graphisme en N&B de Maffre amplifie le côté reportage du récit. Le trait est épuré avec une belle recherche sur les visages masculins. J'ai eu un peu plus de mal sur les visages féminins. Surtout j'ai admiré le travail pour transcrire les détails du bidonville. A la fois dans ces extérieurs et pour la vie intime les atmosphères décrites sont très crédible. J'ai vraiment été impressionné. Une lecture qui traverse de nombreuses thématiques: historique, sociale, sociétale qui mérite la lecture d'un public large. Perso un très bon 4
Mamie n'a plus toute sa tête
Voilà un album que j'ai adoré. Je ne connaissais pas Romain Dutreix, dorénavant je vais guetter ses futures productions avec beaucoup d'attention. Il y très longtemps que je ne m'étais amusé autant à lire une bande dessinée. Il y a même des moments franchement hilarants. L'histoire est prenante et merveilleusement racontée. Dutreix a un sens du rythme infaillible. Le dessin est épatant, avec une stylisation remarquable et un sens extraordinaire pour représenter les expressions des visages et les postures des corps des personnages. C'est vivant au possible. La mise en couleur est elle aussi très réussie. Bref les parties graphique et scénaristique sont de haut niveau et concourent à offrir un album de bande dessinée populaire et grand public de premier ordre. Et je dois avouer que l'annonce d'une suite en fin d'album m'enchante littéralement. note: 4,5/5
Alyte
C'est à nouveau un très bel album de Jérémie Moreau. Dans cet ouvrage au format agréable (pratiquement un carré de petite taille), on suit le périple d'un jeune batricien, qui, comme son père l'avait fait avant lui, cherche la terre promise, une mare, un écrin de verdure qui permettra peut-être à sa progéniture de s'épanouir et de perpétuer à son tour le cycle de la vie. Alyte, petit orphelin miraculé, va faire des rencontres qui le marqueront et lui permettront de trouver le courage suffisant pour affronter la terrifiante " Léthalyte ", cette bande grise mortifère qui recrache impitoyablement ses victimes. Pour peindre cette ode à la nature et au monde animal, J. Moreau utilise comme il le fait depuis un certain temps une palette aux couleurs très vives, pop, acidulées, mais comme il le dit lui-même, cet univers est " faussement mignon " et souvent sans concession car la vie, comme le rappelle chaque péripétie d'Alyte, demeure incertaine, plus que jamais fragile, car les dangers qui la menacent se multiplient désormais sous l'effet de l'activité humaine et du réchauffement climatique. Les images de Moreau sont puissantes. Nul doute qu'elles marqueront également durablement les jeunes enfants qui découvriront ce joli conte écologique et poétique. Comme dans son " Discours de la panthère ", la nature est vue à hauteur d'animaux. Mais " Alyte " me semble plus homogène que Le Discours de la panthère (qui était composé d'histoires courtes parfois inégales). Le récit de ce dernier ouvrage est sans temps morts, moins sentencieux que celui de son grand-frère peut-être et il finit en beauté avec une rencontre particulièrement bien amenée entre notre crapaud héroïque et un personne dont je vous laisse découvrir l'identité ! Au fil de cette odyssée, j'ai également pensé à Miyasaki, il me semble en effet voir une filiation entre le célèbre auteur japonais de " Nausicaa " et Jérémie Moreau, à la fois dans les thèmes abordés et dans la représentation de la nature avec les eaux qui jaillissent, les arbres qui bruissent et la vie animale qui résiste tant bien que mal aux coups de boutoir d'hommes insensés. Pour moi, c'est ni plus ni moins un indispensable de cette année 2024 (!) et un coup de coeur bien sûr !