Les derniers avis (9059 avis)

Par Blue boy
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Slava
Slava

Après être arrivé à la conclusion de ce triptyque, me voilà donc obligé de pousser ma note au maximum, totalement convaincu que « Slava » marquera définitivement le neuvième art d’une pierre blanche. Non mais quel talent, ce Gomont ! Si « Après la chute » (le tome 1) m’avait laissé indécis, tout en en reconnaissant les qualités, je dois avouer que « Les Nouveaux Russes », second volet de cette trilogie, m’a définitivement rassuré. Une seconde lecture du premier tome a même été salutaire (eh oui, il arrive que parfois on ne soit pas dans le bon « mood »), du fait sans doute que j’étais déjà plus familiarisé avec le récit et les personnages. Quant au dernier tome, « Un enfer pour un autre », il constitue l’apogée de « Slava ». Alors que toute échappatoire à la tragédie annoncée semble de plus en plus compromise, la narration va prendre une coloration de plus en plus sombre, avec pour acmé une déflagration spectaculaire, au propre comme au figuré, qui laissera peu de monde indemne. Mais comme Gomont n’a pas pour seul but de faire pleurer dans les datchas, il va conclure son histoire en nous emmenant vers des terres plus apaisées, plus lumineuses, plus poignantes aussi. Nous laissant dans un silence ému au sortir de cette lecture. Alors que l’écroulement de l’ancien monde soviétique n’en finit pas d’entraîner la mort et la désolation, c’est captivé que l’on suit le destin de ces deux hommes, Slava et Lavrine, un destin en forme de montagnes russes, expression facile mais tellement appropriée…Il faut dire que Pierre-Henry Gomont, en plus d’être un dessinateur hors pair, sait concevoir un scénario (très peu d’auteurs ont ce double talent, il faut bien le dire) avec en prime des textes et des dialogues ciselés. La narration possède un souffle indéniable, assorti à une touche de burlesque incarné par le personnage de Volodia, l’attachant géant géniteur de la belle Nina, qui n’hésite pas à disperser façon puzzle (la diplomatie c’est pas son fort), tout particulièrement avec les vautours et les aigrefins, qu’un don particulier lui permet de repérer à dix mille lieues à la ronde. Concernant la partie graphique, je dirais que « Slava » ne saurait être dissocié du dessin. Celui-ci apporte une vibration unique, une énergie totalement en phase avec la narration. Et puis, il y a ce sens du détail pertinent pour imprimer une ambiance, allié à un minimalisme astucieux quand il s’agit de souligner les états d’âme des personnages ou un comique de situation, avec toujours ce trait agile et élégant… Chaque coup de pinceau est une gourmandise oculaire, une sensation que personnellement je n’ai pas eu si souvent l’occasion d’éprouver. A ce titre, Gomont nous livre peut-être une partie de son secret par le biais de Tatiana, personnage secondaire mais ô combien important, conseillère artistique passagère de Slava Segarov qui ne fut pas étrangère à son revirement vers l’art. Ce qui laisserait penser que ce dernier est finalement un peu le double de Pierre-Henry… Dans « Slava », il y a un vrai souffle, de tout ce qui peut composer une aventure, avec aussi une pincée de conscience sociale à travers l’histoire de cette mine que les ouvriers veulent maintenir en vie, à l’abri des rapaces sans foi ni loi. Car le récit parle aussi de cela, de cette avidité reptilienne caractéristique de l’être humain, poussée aujourd’hui à son paroxysme avec le capitalisme financier et qui ne cesse de conduire l’humanité vers le précipice depuis qu’elle existe. Et puis il y a tout de même, telle une jolie fleur née sur le fumier, cette magnifique histoire d’amour entre Slava et Nina, parce que oui, bien sûr, que serait ce monde de brutes sans amour… L’autre grande originalité de ce récit, qui le distingue encore davantage, si besoin était, est d’avoir pris le contrepied des productions mainstream en situant l’action dans cette Russie postsoviétique au lieu des sempiternelles références étatsuniennes. Un peu à la manière de Serge Lehman, qui « milite » à travers son œuvre pour la réintégration de notre bonne vieille Europe dans la pop-culture. C’est peu dire que le dernier opus conclut en beauté la saga, figurant désormais au panthéon des œuvres majeures du neuvième art. Et si on considère que PHG s’est un peu projeté dans le personnage de Slava, on ose espérer qu’il conservera comme lui une éthique plus proche des artistes galériens (mais avec le confort pécuniaire) que galeristes (ceux qui ont lu le dernier tome comprendront), afin qu’il puisse encore nous émouvoir et nous surprendre à l’avenir.

21/09/2022 (MAJ le 25/10/2024) (modifier)
Par Spooky
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Il était une fois l'Amérique - Une histoire de la littérature américaine
Il était une fois l'Amérique - Une histoire de la littérature américaine

Voilà exactement une BD dont j'avais besoin. J'ai lu quelques-uns des auteurs majeurs de son histoire, comme beaucoup de gens je pense, tels que Herman Melville, Henry James (qui était américain au départ avant de mal tourner et de devenir anglais), ou même Nathaniel Hawthorne. Mais je n'avais pas vraiment une vue d'ensemble des débuts de cette littérature, que l'autrice Catherine Mory place au début du XIXème siècle. Je pense qu'il y a eu quelques auteurs auparavant, mais qu'ils n'ont pas eu le rayonnement de la quinzaine de noms qui sont traités ici. L'enjeu est ici de nous montrer comment, à partir de James Fenimore Cooper (auteur du Dernier des Mohicans entre autres), ces femmes et ces hommes ont construit une véritable légende, une mythologie pour leur pays si disparate, si difficile à saisir. On notera au passage qu'une seule femme est présente dans ce casting, qu'à ma grande honte je ne connaissais pas, à part en ayant croisé son nom sans aller bien plus loin. On nous présente donc la vie et l'œuvre de chacune de ces augustes personnes, en nous indiquant dans quel milieu il ou elle a grandi, comment il ou elle s'est construit(e) mais aussi les œuvres remarquables de chacun(e). Et c'est fait de façon assez accessible, didactique sans être lourdingue. Il y a des pincées d'humour, mais sans en rajouter. Catherine Mory, enseignante en littérature, est clairement dans son élément, aidée par ses éditeurs dont le nom figure en couverture. J'avoue que j'ai bien aimé ma lecture, j'ai appris énormément de choses en parcourant ce premier tome qui fait un tour d'horizon de l'autrice et de l'auteur nés au XIXème siècle, certains ayant terminé leur carrière et leur vie au début du XXème. Après chaque épisode bio-bibliographique, un arbre nous propose en un clin d'œil de voir qui sont les héritier(e)s de chaque grand nom au XXème siècle, de quoi prolonger les recherches ou piocher des idées de lecture en attendant le deuxième tome qui traitera du XXème. Dans ce deuxième tome, on continue sur les mêmes bases, à savoir un panorama des auteurs majeurs de la littérature américaine. Je dis bien "auteurs", car malheureusement peu de femmes sont présentes : une seule sur les dix noms présentés, même si à l'issue de chaque chapitre, un arbre permet de voir quel(le)s autres auteurs/trices chacun(e) a pu influencer. C'est donc Flannery O'Connor, qui a écrit des romans noirs, empreints de son Sud profond, qui a l'honneur de représenter la gent féminine. C'est d'ailleurs celle dont la vie me semble la mieux décrite, de manière un peu moins scolaire que celle de gars comme Hemingway, Capote ou Tennessee Williams... Comme le souligne Gaston dans son avis, il est un peu dommage que l'on ait droit à des résumés entiers des œuvres, alors que la vocation d'une telle collection est plutôt de donner envie de découvrir les écrits de tel ou tel auteur... Mais cela reste pertinent, passionnant et indispensable. Le dessin est assuré par Jean-Baptiste Hostache, qui a fait son petit bout de chemin depuis Clockwerx, et propose un style mêlant une certaine rigueur dans les costumes avec un relâchement à la Blutch dans les postures et les expressions des personnages parfois. Bref, c'est passionnant, c'est indispensable, c'est très plaisant, je recommande évidemment.

06/02/2024 (MAJ le 25/10/2024) (modifier)
Couverture de la série Stacy
Stacy

Gipi Gipi deux fois oui... Fan absolu de cet auteur, je me suis jeté sur les deux dernières productions publiés en France en cette fin d'été 2024, Barbarone sorti "plus anonymement" chez les rêveurs et donc Stacy destiné potentiellement à un public plus large parue chez Futuropolis. Bon, allons-y gaiement et rentrons derechef dans le vif du sujet: STACY. Cette BD est très difficile à cerner et apprivoiser. La couverture est frappante dans ce sens car n'invite pas forcément à l'achat et à la lecture, une grosse prise de risque (probablement une balle dans le pied pour l'éditeur) mais prévient du contenu du livre. Il est sans concession. Il est complexe dans les ressentis qu'il procure. Il est vraiment sans concession. Un visage émacié recouvert par des lettres incandescentes, qui forment un mot, un prénom "STACY". Paraissant indélébile comme marqué aux fers rouges, le personnage, hanté ne pourra s'en défaire. On comprendra aisément la raison de cette couverture, le dérapage verbal au travers d'une banal interview pour une émission radio à l'auditoire restraint mais qui engendrera à l'heure des réseaux sociaux un lynchage sociétal dont on ne se remet pas. L'auteur l'a vécu, il sait ce que ça fait et à la lecture on comprends qu'il ne l'a pas digéré et qu'il ne le digérera probablement jamais. A la fois dure, caustique, cruelle, dérangeante, ironique, mordante, drôle, touchante, amère, acerbe. On ressort un peu déboussolé de la première lecture dont brille tout de même une certaine poésie dans le texte, poésie propre à l'auteur. On n'est pas non plus dépaysé par le dessin, c'est du Gipi et ça se reconnait. Mais, avec Stacy, qu'est-ce-que veut nous dire, transmettre l'auteur (ou son double)? Quel est son message? En fait, à tout bien réfléchir, je dirais RIEN, pas de leçons, de jugements ou de grand discours, juste un partage d'émotions (de la colère, beaucoup de colère), d'une experience et d'un constat. On en ressort pas indemne nous non plus et on s'interroge. La marque des grands livres. Oeuvre insaisissable, à la manière d'un Fight Club, l'épreuve du temps nous dira si ce Stacy rejoindra le pantheon des chef d'oeuvres de cet auteur: Notes pour une histoire de guerre, La Terre des fils et Moments extraordinaires sous faux applaudissements. Du très très bon GIPI mais pas son livre le plus abordable et que je recommanderai pour un néophyte. Pour ma part, un immanquable de 2024 de plus.

24/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Sauvages (Nadar/Julien Frey)
Les Sauvages (Nadar/Julien Frey)

Avec la pluie, leurs bouses arrivent jusqu’ici et contaminent les éléphants. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Julien Frey pour le récit, Nadar pour le dessin et la couleur, et les exposés ont été réalisés par Joanne Frey. Il s’achève avec une postface rédigée par Johan Michaux, professeur à l’Université de Liège, directeur de recherche au FNRS (Fonds national de la recherche scientifique, équivalent belge du CNRS), conseiller scientifique et chroniqueur à la RTBF pour les émissions Le jardin extraordinaire, et C’est pas fini. Il y aborde le nombre de morts causées par la pandémie de Covid-19, les hypothèses sur l’origine du virus, la destruction des forêts particulièrement en régions tropicales, le commerce d’animaux sauvages à des fins médicinales, le risque d’apparition de nouvelles maladies transmises à l’humain par les animaux, le taux d’extinction des espèces, les solutions comme la lutte contre le réchauffement climatique, contre la déforestation, contre les pollutions chimiques, la régulation des populations humaines, la gestion des espèces domestiques, l’impulsion de changements venant de la population, selon une stratégie partant du grand public vers les décideurs. Juin 2019, cela fait un an que la famille Frey a quitté Montpellier pour vivre à Sarlat dans une belle maison, avec un grand terrain. Le paradis pour les deux enfants Joanne et Benjamin, qui profitent de la balançoire pendant que Aude la mère se détend dans un transat. L’enfer pour Julien, le père, qui tond la pelouse : 3.123 mètres carrés de jardin, deux heures pour tondre le terrain. Cette année, ils récoltent trente kilos de cerises, quarante kilos de prunes, dix kilos de figues. Aude a l’impression que faire des confitures ne s’arrêtera jamais. Julien en rajoute : ça s’arrêtera en octobre avec les noix. Joanne souhaite savoir ce qu’il y a à manger le midi, son père lui demande de mettre un teeshirt, et elle trouve que ce n’est pas juste car son petit frère n’en a pas, c’est juste parce que c’est une fille. Joanne a dix ans. Elle lit, parfois elle parle à son père comme une adolescente, parfois elle lui demande un câlin encore comme une enfant. Ils se sont installés à Sarlat pour le travail de Aude : elle dirige un centre de formation pour adultes. Deux mois après son arrivée, le siège a réorganisé l’activité et a doublé son secteur. Le monde doit tourner de plus en plus vite, alors Aude, roule, roule, roule. Lui n’a pas d’atelier pour travailler à Sarlat, mais il y a pire pour écrire. Il s’installe à la terrasse d’un café pour écrire, et regarde les gens passer. Puis il va s’installer dans une pièce de leur maison mais le chien aboie et le distrait de trop. Joanne parle souvent des animaux sauvages comme les éléphants ou les orangs outans et elle s’inquiète de leur disparition. Julien décide que plutôt que laisser passer le rêve de sa fille, il pourrait en faire quelque chose : scénariste de BD et sa fille de dix ans qui aime les animaux, cherchent mission scientifique pour voir animaux en voie de disparition et faire une bande dessinée. Johan Michaux, biologiste et chercheur de l’Université de Liège leur répond. Ainsi, en février 2020 Julien et sa fille Joanne partent avec le professeur Michaux et une étudiante en mission en Indonésie. Cette bande dessinée réalisée par Julien (et illustrée par Nadar) raconte le séjour du père et de la fille à partir de Bandar Lampung, vers le parc de Way Kambas, avec un bref séjour sur l’île de Rinca. Ils commencent par voir des éléphants, mais des éléphants captifs, puis ils auront l’occasion de voir plusieurs animaux de l’île : héron pourpré (page 52), ibis (p.52), faisan (p.56), serpent liane (Ahaetulla prasina, p.57), grenouille (p.59), rhinocéros (p.61), gecko (p.66), barbu bigarré (p.67), pygargue (p.72), gibbon siamang (p.79), périophtalme (p.88), ours malais (p.97), orang-outan (p.98), raie manta (p.109), dragon de Komodo (p.114). En fonction du lieu et de la faune, Joanne peut réaliser un exposé sur le vif, pendant une page, le plus souvent interrompue par une remarque, plus moins saugrenue, de son père. Ce dernier se rend compte qu’il est beaucoup plus ignorant que sa fille sur lesdits animaux, et sur leur milieu naturel. Au fur et à mesure des environnements qu’ils découvrent, ils bénéficient des explications soit du directeur de recherche, soit de son étudiante Chloé, soit de Wishu, le collègue indonésien du professeur. Ces explications sont courtes et précises, reprises pour partie et développées pour une autre dans la postface. De prime abord, le lecteur se trouve attiré par la couverture : une jolie teinte de vert rendant bien la fraîcheur de l’ombre produite par un feuillage dense, le sympathique gecko au premier plan, et le rappel de la forêt en aquarelle dans l’arrière-plan. De fait l’artiste dose élégamment les éléments descriptifs délimités par des traits encrés, et ceux évoqués par la peinture, comme en couleur directe. Le lecteur relève les détails concrets donnant de la consistance et une impression de réel : l’abri pour mettre la voiture à l’ombre, le grand fait-tout pour les confitures, les crans sur les montants du transat pour régler son inclinaison, un recueil de Love and the Rockets, des frères Gilbert & Jaime Hernandez lu par Julien, le bazar sur le bureau d’écolière de Joanne, le portique décoré à l’entrée du parc national Way Kambas, les chaises en plastique sur la terrasse du site d’étude, le grand canot à moteur pour naviguer sur le fleuve, les serres abritant les pousses de palétuvier, le parc aquatique surdimensionné, le centre d’affaires de Jakarta, les rues plus traditionnelles alentour, etc. Par comparaison, l’évocation des milieux naturels terrestres semblent plus reposer sur la couleur directe : pour rendre compte de la verdure, des zones humides. Pour autant, ces environnements ne finissent pas tous par se ressembler, car l’artiste leur donne à chaque fois une disposition, une profondeur différente, rien à voir entre l’immense enclos pour les éléphants en captivité ou la mangrove. Le lecteur observe les personnages, et se rend compte qu’ils sont à la fois très normaux, banals mêmes, et qu’il s’y attache très rapidement. Joanne apparaît comme une jeune demoiselle bien élevée, d’une humeur quasi égale du début à la fin, sans comédie, ou simagrées, souriant la plupart du temps. Julien se montre calme, souvent réservé, régulièrement surpris par la faune, par des informations qui le désarçonnent. Les autres personnages se comportent avec naturel, bienveillants et pédagogiques. De temps à autre, un des personnages manifeste plus de curiosité, un peu de déception quand l’accès au parc naturel leur est refusé, une pointe d’agacement pour Wishnu devant les réactions des Européens. L’artiste met en œuvre une direction d’acteur des plus naturalistes, sans éclat spectaculaire, avec un respect palpable et une réelle gentillesse. Les séquences de découverte d’animaux sont mises en scène avec le même naturel et la même évidence, dans sensationnalisme, sans même l’émerveillement touristique… Jusqu’à la page cent-sept où le petit groupe effectue du snorkeling. Là, le miroitement de l’eau de la surface vue d’en-dessous, la variété des poissons exotiques, et la grâce des raies mantas suscitent tout naturellement l’émerveillement du lecteur, qu’il ait déjà pratiqué cette activité dans de tels eaux, ou non. Tout naturellement, Joanne et son père se posent des questions sur ce qu’ils vont découvrir, puis sur ce qui les entoure. Cela commence dès le voyage en avion au cours duquel le professeur Michaux et son étudiante expliquent les méthodes du laboratoire Géolab, un des premiers laboratoires européens à étudier les animaux en utilisant des techniques non invasives, c’est-à-dire qui ne perturbent pas l’animal. Il est possible d’étudier les animaux sans les voir, sans les déranger : en récupérant quelques gouttes de salive, quelques poils ou un échantillon de crotte. Au fil du séjour, le petit groupe parle de plusieurs sujets, Julien jouant souvent le rôle de béotien. Certains échanges portent sur des sujets connexes comme le sujet du mémoire de Chloé (L’impact des bruits urbains sur le chant des fauvettes à tête noire), la tâche de stimuler la prostate d’un éléphant pour recueillir son sperme, la diffusion progressive du Covid-19 en Europe, etc. La majeure partie des discussions porte sur la faune d’Indonésie et son territoire qui diminue d’année en année. Les personnages évoquent ainsi la population d’éléphants à Sumatra (entre 1.000 et 2.000), de rhinocéros à Sumatra et Bornéo (entre trente et quatre-vingts) ou de dragons de Komodo (entre 3.000 et 5.000), le besoin en nourriture d’un éléphant sauvage (150 kilos d’herbe et de fourrage par jour), la culture de l’huile de palme et l’enjeu économique, la récolte de l’hévéa et son enjeu économique, le risque de l’exploitation minière, la croissance de la population indonésienne et son besoin de logements, la possibilité du déplacement de la capitale de l’Indonésie, etc. En milieu d’ouvrage, une déclaration à l’emporte-pièce du quarante-cinquième président des États-Unis sur l’absence de Coronavirus sur le sol américain établit un contraste saisissant avec la réalité de ce que vivent les voyageurs. Emmené par une narration visuelle élégamment composée entre éléments détourés et évocations en couleur directe, le lecteur accompagne le scénariste et sa fille dans un voyage en Indonésie, pour aller voir des animaux exotiques dans leur habitat naturel, des sauvages. Il bénéficie des remarques éclairantes d’un professeur d’Université et d’une étudiante, sans pédanterie ni exposé magistral, en faisant l’expérience par lui-même de l’observation de la faune, et de la mise en perspective de l’évolution de leur environnement. Cette nature si riche et si fragile.

24/10/2024 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Travailleurs de la mer
Les Travailleurs de la mer

Une lecture qui m'a transporté à une autre époque, celle du début du XIXe siècle. L'adaptation d'un roman de Victor Hugo, pas le plus connu, mais pas le moins intéressant. Un roman dédié à l'île de Guernesey et à ses habitants. Glénat a réalisé un superbe travail éditorial, une BD à grand format pour profiter des magnifiques planches de Michel Durand. Et que dire de cette couverture avec des marques en relief qui aimante l'œil. Mais voilà, tout cela se paye. Un plaisir de lecture qui doit beaucoup aux textes proposés, on parle XIXe siècle, cela risque d'en refroidir certains, mais j'ai été conquis par ce phrasé d'un autre temps, nous sommes en 1829. Un temps où la parole d'homme valait tous les contrats. La première partie de l'album nous présente les différents personnages. Gilliatt, le pêcheur de Guernesey, il n'est pas apprécié dans son village, il aurait le pouvoir de guérir les gens, d'être le fils du diable. Mess Lethierry, un homme âgé, le propriétaire de la Durande, un bateaux à vapeur (le progrès ne fait pas toujours l'unanimité). Déruchette, la Jeune et très jolie nièce de mess Lethierry, elle devra se marier à celui qui ramènera le moteur de la Durande après son naufrage. Ebenezer Caudray, jeune révérend anglican, récemment arrivé sur l'île. D'autres personnages auront aussi des rôles importants dans cette histoire teintée de mysticisme digne d'une tragédie antique. Ensuite, place au récit en lui-même, un récit sur la dure vie des îliens (le travail n'est pas un vain mot) et le milieu marin, la Manche en est un élément central. On va suivre les destins inéluctables des ces hommes et de cette jeune femme où l'amour, la révolution technologique, la persévérance et le sacrifice les accompagneront. Une histoire captivante, puissante et romanesque. Un plaisir de lecture qui doit aussi beaucoup à la proposition graphique de Michel Durand. Un somptueux noir et blanc tout en hachures, aucun contour. Chaque dessin ressemble à une gravure. Un dessin d'une grande finesse, très expressif et sachant retranscrire aussi bien la fureur des éléments que les émotions des personnages. Une mise en page cinématographique et immersive, des pleines pages succèdent à des planches où les images sont agencées sans être cloisonnées dans des cases qui elles-mêmes font place à des pages plus traditionnelles. MAGNIFIQUE ! "Il était arrivé en même temps aux rhumatismes et à l'aisance. Au moment où l'on devient riche, on est paralysé". "On l'allait croire mort, et il était riche. On l'allait croire perdu et il était sauvé ". Je termine cet avis en écoutant une chanson de circonstance : "Guernesey" de William Sheller.

24/10/2024 (modifier)
Couverture de la série Mamma mia !
Mamma mia !

J’ai beaucoup aimé, mais pas vraiment pour les raisons auxquelles j’aurais pu penser. Le nom de Trondheim, le résumé et un rapide feuilletage m’avaient vendu une série d’humour qui m’aurait fait rire aux éclats (ou tout du moins un peu sourire) et… Bah, ça a été le cas, mais pas tant que je l’aurais voulu. Tous les gags ne m’ont pas fait rire. C’est malheureusement le défaut que l’on retrouve bien souvent dans ces recueils de gags en une page. Les séries bien faites arrivent tout de même à nous faire sourire lors des gags qui ne font pas mouches. Ici ce fut le cas, j’ai souris tout du long. J’ai même plus souris que ris. Certains gags étaient très drôles, hein, et j’ai facilement ris à plus de la moitié d’entre eux, mais j’ai surtout apprécier ma lecture car je me suis rapidement attachée aux personnages et que certaines de leurs interactions étaient étonnement très touchantes. Voilà, c’est ça le truc : c’était drôle mais j’ai plus été attendrie qu’hilare. Mais bonne surprise, hein, n’allons pas croire ! Ça m’a fait énormément plaisir ! J’ai sincèrement hâte de lire la suite des aventures de cette famille ! Comme série de gags à l’intention de la jeunesse (et lisible à tout âge), je l’ajoute illico à mes recommandations. Un bon 4 étoiles (note réelle 3,5), ça me ferait mal de faire baisser sa note.

23/10/2024 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série The Good Asian
The Good Asian

Un excellent polar. C'est le deuxième comics de Pornsak Pichetshote que je lis après Infidel. Et ils ont un point commun, celui de mettre au centre de l'intrigue des discriminations. Ici, le racisme envers les asiatiques, ils n'ont pas la vie facile, en particulier ceux venant de Chine avec la loi d'exclusion des chinois adoptée par le Congrès en 1882, elle devait stopper cette immigration. En effet, Ils étaient perçus comme faisant baisser les salaires des travailleurs. Un sujet qui tient à cœur à Pornsak, étant lui-même d'origine thaïlandaise. Un sujet qui sera le fil conducteur de ce polar dense, complexe, violent et à l'intrigue intelligemment construite, elle se situe en 1936 dans le chinatown de San Francisco. Une lecture qui se mérite, les personnages sont nombreux et il faut rester concentré pour ne pas perdre le fil de l'histoire. Mais un récit passionnant qui prend le temps de se développer avec les nombreux retours dans le passé des protagonistes, sans nous en laisser deviner le dénouement final. Des personnages très bien travaillés, ils sont incontestablement un des points forts de cet ouvrage. Je découvre Alexandre Tefenkgi, un dessinateur français expatrié aux États-Unis après quelques publications chez Bamboo dans la collection Grand Angle. J'ai aimé sa composition graphique dans un style vintage, elle retranscrit merveilleusement cette période historique. Le stratagème des petits quadrilatères rouges qui apparaissent ci et là au milieu des vignettes fonctionne à merveille, il a guidé mon regard pour ne louper aucun détail. Une ambiance réussie qui doit beaucoup aux somptueuses couleurs de Lee Loughridge, elles seront dans des tons distincts pour différencier les époques, ce qui permet de ne pas se perdre pendant la lecture. Du très bon boulot. Je serai du voyage si une suite voyait le jour. Coup de cœur

22/10/2024 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Quand souffle le vent (Briggs)
Quand souffle le vent (Briggs)

Une oeuvre moins connue de Briggs (Ethel & Ernest, Le Bonhomme de neige), particulièrement en France où elle ne fut publiée qu’une fois en 1983 par les éditions Garnier, avant d’être récemment (2024) rééditée aux éditions Tanibis. L’histoire est pourtant intéressante, et nous ramène à la menace nucléaire de la guerre froide (année de publication oblige). Dans la première partie le lecteur suit les préparatifs d’un vieux couple en vue d’un bombardement nucléaire prochain… Le ton est hilarant. Les personnages ne sont clairement pas très malins, et tentent tant bien que mal d’appliquer les conseils officiels, sans vraiment comprendre ou réaliser les enjeux (construit un abri, certes, mais il ne faudrait pas rayer la peinture ou salir les coussins). La VO (que j’ai lue) retranscrit ce manque d’éducation dans le texte, avec des fautes d’orthographes volontaires. La deuxième partie prend place après le bombardement, et le ton devient beaucoup plus sombre… les protagonistes continuent de faire preuve d’une bêtise consternante, mais la tournure que prend le récit ne fait plus rire du tout… une œuvre beaucoup plus adulte que ce que fait généralement cet auteur. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans cette histoire, la faute notamment à ce choix narratif qui consiste à « caser » 20-25 petites cases par planche, ce qui je trouve rend la lecture pénible (à moins que cela soit volontaire pour retranscrire le sentiment d’enfermement ?). Mais j’ai fini par me laisser emporter par l’histoire, et j’en suis ressorti assez marqué. J’ai lu l’album hier, et j’y repense toujours beaucoup. La nouvelle éditions chez Tanibis est l’occasion rêvée de (re)découvrir cet album (même si je trouve la nouvelle couverture assez moche).

22/01/2020 (MAJ le 22/10/2024) (modifier)
Couverture de la série Globe-trotteuses - Le tour du monde de Nellie Bly et Elizabeth Bisland
Globe-trotteuses - Le tour du monde de Nellie Bly et Elizabeth Bisland

Merveilleusement mis en image par Julie Rocheleau, ce récit de Julian Voloj nous relate le tour du monde de Nellie Bly et d’Elizabeth Bisland. Un tour du monde tout ce qu’il y a de plus véridique même si la version qu’en donnent les deux auteur.e.s fait montre de fantaisie à plus d’une occasion, mais c’est pour mieux illustrer la folie de l’entreprise et l’ampleur des obstacles à surmonter. Après un court prologue dans lequel, les auteur.e.s nous présentent Nellie Bly et les origines de son projet, nous plongeons à cœur perdu dans cette course effrénée pour n’émerger qu’à la fin de l’album, encore essoufflés. C’est trépidant, vivant, drôle souvent, stupéfiant… En clair, c’est fun ! Mais épuisant car les auteur.e.s ne nous laissent que très rarement le temps de respirer. Les jours s’égrènent, les lieux défilent, les difficultés se vainquent, les rencontres fugaces s’enchainent, les découvertes (de pays, de cultures) s’amoncellent, c’est un tourbillon de paysages et d’émotions mais sur lequel on ne peut finalement réfléchir qu’a posteriori. Mon sentiment est donc un peu partagé. Je peux dire que j’ai aimé - L’intérêt historique du récit ; - La mise en scène inventive ; - La vivacité du trait en osmose avec la truculence de l’aventure ; - Les personnalités contrastées des deux principales protagonistes. A contrario, je trouve que tout va finalement trop vite. J’ai bien conscience que c’était le but recherché et parfaitement atteint par Voloj et Rocheleau mais je sors essoufflé de cette lecture, avec ce regret de n’avoir pas pu m’attarder ici ou là. Surtout, touché par le sort d’Elizabeth Bisland, j’aurais aimé resté un peu auprès d’elle. Franchement, pour moi c’est un album à lire (mais je suis un grand fan de Julie Rocheleau), il lui manque cependant un petit quelque chose pour que je le considère comme un indispensable. Ce que je traduis par un 3/5 et coup de cœur.

22/10/2024 (modifier)
Par Josq
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Baron (Masbou)
Le Baron (Masbou)

Aujourd'hui, s'il y a deux auteurs dont je suis l'actualité plus que tous les autres, c'est Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou, qui ont produit le plus grand chef-d'oeuvre de la BD contemporaine à mes yeux, avec De Cape et de crocs. Alors en attendant leur prochaine collaboration (on avait entendu parler d'un pastiche humoristique de Macbeth par les deux auteurs, espérons que le projet voie le jour dans un avenir pas trop éloigné), ils nous offrent de quoi patienter chacun de leur côté. Tandis qu'Ayroles sortait son chef-d'œuvre Les Indes fourbes, Jean-Luc Masbou n'en faisait pas moins de son côté, avec sa première oeuvre en solo. Et c'est un vrai bijou ! Visuellement, déjà, on renoue avec le style De Cape et de Crocs dans l'intrigue principale, qui met en scène le fameux baron de Münchhausen dans la réalité (puisqu'il s'agit d'un personnage réellement historique). Mais à chaque fois que le baron raconte une histoire, Jean-Luc Masbou s'envole dans un style graphique différent, ce qui donne une excellente dynamique au récit, car on se demande toujours, en plus de savoir ce que va raconter la prochaine histoire, quel style l'auteur aura choisi pour la mettre en scène. Le récit, lui, est très habilement construit sur une excellente mise en abyme, montrant le fameux baron de Münchhausen, habitué à raconter ses histoires fantaisistes, qui voit ces histoires lui revenir comme il ne s'y attendait pas, sous forme de livre. Cela permet bien sûr à Masbou d'introduire une réflexion fine et subtile sur la différence entre une histoire orale et une histoire écrite, et surtout, de rendre un hommage puissant à tous les raconteurs d'histoire de par le monde. L'auteur nous fait entrer dans un monde imaginaire qui, lui-même, nous ouvre la voie à un nombre illimité d'autres mondes. C'est drôle, léger et envoûtant, on veut toujours en savoir plus, au point qu'on ne soucie plus guère de voir avancer l'intrigue (le récit-cadre faisant du sur-place pendant la majorité de la bande dessinée). Seul petit bémol à mes yeux : alors que l'auteur nous dévoile tout le potentiel émotionnel de son récit, il ne s'en sert jamais tout-à-fait. J'aurais aimé que la fin m'émeuve davantage, tant il y avait quelque chose à faire autour de ce personnage recherchant une simplicité que son rang semble lui interdire et s'évadant pour cela dans des histoires fantasmées. En fait, il y a un élément que je trouve malheureusement sacrifié par Masbou alors que, pour ma part, je l'aurais mis au coeur du climax : il s'agit de la relation entre le baron et sa femme. Celle-ci prend un tour inattendu à un moment, mais aurait pu être davantage développée. En montrant le scepticisme et le mépris de la femme du baron pour ses histoires, Masbou aurait pu construire tout son climax autour d'elle et terminer sa BD sur le plus grand succès du baron : acquérir sa femme à la magie qu'il cherche à propager autour de lui, et qu'il aurait enfin réussi à introduire dans son foyer. Mais Masbou a choisi d'emprunter une autre voie, et il le fait tout de même très intelligemment. Simplement, je trouve que le personnage de la femme du baron n'est pas traité aussi bien qu'il aurait pu l'être. Enfin, je ne veux pas terminer cette critique sur cette note (très) légèrement négative, car Le Baron n'a rien d'une déception. C'est une bande dessinée très généreuse, tant envers son lecteur qu'envers tous ceux qui inventent, qui créent, qui écrivent ou qui dessinent des histoires. L'hommage au pouvoir de l'imagination et à tous les hommes qui s'en servent pour faire rêver les autres et rendre le monde meilleur (ou essayer) est touchant, poétique et s'achève sur une dernière page assez laconique et pourtant pleine de sens, même si elle est presque en trop (la lettre qui précède faisant déjà une excellente apothéose pleine d'émotion). En tous cas, Masbou relit de manière très intelligente l'univers fascinant du baron de Münchhausen (avec un joli pied-de-nez au récit sans doute le plus emblématique du baron), et ça m'a clairement donné envie de découvrir plus en détail cet univers !

12/11/2020 (MAJ le 21/10/2024) (modifier)