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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Ville (Frans Masereel)
La Ville (Frans Masereel)

L’espace d’une journée, Masereel livre une vision cinématique et kaléidoscopique mêlée. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, présentant la particularité d’être narrée sans texte, ni mot. Sa première édition date de 1925. Il a été réalisé par Frans Masereel, pour le scénario et les dessins, par un procédé de gravure sur bois. Il s’ouvre avec une préface d’une page, écrite par Charles Berberian, bédéiste. Il se termine avec une postface de sept pages, rédigée par Samuel Dégardin, intitulée La ville mode d’emploi, constituée des paragraphes : Tentaculaire, Une ville peut en cacher une autre, Vingt-quatre heures de la vie d’une ville, Transport critique, Symphonies urbaines. Vient ensuite une biographie chronologique de quatre pages. Il s’agit du cinquième roman graphique, à raison d’une case par page, sans texte, de cet auteur publié par cet éditeur, après 25 images de la passion d’un homme (1918), Mon livre d’heures (1919, 165 bois gravés et 2 frontispices), Le soleil (1919, soixante-trois bois), Idée (1920, quatre-vingt-trois bois). Un homme, assis au sommet d’un talus en pelouse avec des fleurs, contemple la ville qui s’étale devant lui avec ses nombreuses cheminées et leur panache montant juste au-dessus des constructions. Les locomotives à vapeur circulent sur le faisceau de voies ferrées qui alimentent la gare ferroviaire, chacune produisant également leur colonne de fumée. Un train s’arrête en quai dans la gare, des voyageurs en descendent, certains retrouvant des amis ou de la famille, certains avec des valises, d’autres non. Les grandes artères de la ville grouillent de monde : beaucoup d’hommes avec un pardessus et un couvre-chef marchant dans une direction ou une autre, quelques femmes, des voitures à cheval, des voitures et des autobus à moteur, des fenêtres qui ne laissent rien deviner de ce qui se passe derrière. Quelques rues plus loin, la foule s’est arrêtée, les personnes au premier rang contemplent un homme étendu sur la chaussée, inanimé, derrière les immeubles restent impersonnels, une masse compacte sans âme. En prenant un peu de hauteur, les immeubles semblent former comme une muraille, et la circulation automobile ne laisse que peu de place à l’être humain sur les trottoirs étroits. À un étage élevé dans l’un de ces immeubles, dans une grande pièce avec une hauteur sous-plafond équivalente à deux étages, des dizaines d’hommes sont penchés sur des tables inclinées disposées en rangées, en train de travailler sur des plans. Dans un autre immeuble, il est possible de voir les habitants vaquer à leur occupation : une femme arrosant ses fleurs, à l’étage du dessous un homme accoudé à la rambarde regardant à l’extérieur, encore en dessous une femme enceinte en train de s’habiller, dans les immeubles derrière, une femme à la fenêtre, un couple en train de s’enlacer, des rideaux tirés masquant ce qui se passe, etc. En bas, au niveau de la rue, des ouvriers travaillent sur un chantier de terrassement. Une suite de cent images, à raison d’une par page, sans aucun mot, une invitation pour le lecteur à établir des liens de cause à effet, des liens logiques, qu’ils découlent d’un thème présent dans deux dessins à suivre, ou d’un rapprochement à partir d’un élément visuel similaire d’une image à l’autre. Par comparaison avec les ouvrages antérieurs de ce créateur, celui-ci ne comporte pas de personnage qui soit présent du début jusqu’à la fin, soit un homme pour sa vie, soit un avatar de l’auteur évoquant son parcours de vie entre récit biographie et autofiction, ou bien encore un soleil symbolique, ou encore une allégorie de l’Idée. Le titre s’avère explicite : l’auteur évoque une mégapole. Dans le dossier de fin, Samuel Dégardin exprime sa vision de l’ouvrage : vingt-quatre heures de la vie d’une ville, comme sujet et comme représentation. Il développe : La narration, plus elliptique que jamais, privilégie la multiplicité des points de vue. L’espace d’une journée, Masereel livre une vision cinématique et kaléidoscopique mêlée, ce livre offre une synthèse remarquable de l’œuvre au noir de son auteur. L’auteur ne raconte pas une histoire avec une intrigue, ni l’évolution d’une ou plusieurs situations sous forme chorale ou à partir d’un lieu unique. Pour autant, chaque image respecte un ordre chronologique, commençant à l’aube pour se terminer après la nuit tombée, après la fête. Pour le coup, le lecteur se retrouve réellement décontenancé : comment lire un tel ouvrage dont la seule ligne directrice est que chaque scène se déroule une seule et même grande métropole ? Charge à lui de projeter ses interprétations. Rapidement, il devient très tentant de prendre les pages deux par deux, c’est-à-dire de voir une unité entre les deux pages en vis-à-vis. Bois deux & trois : les trains entrent en gare sur la page de gauche, les passagers en sont sortis et se trouvent sur le quai page de droite. Bois quatre & cinq : le flot des usagers se presse sur les trottoirs et celui des véhicules sur les chaussées, en vis-à-vis l’écoulement de ce flot s’interrompt à cause d’un individu étendu sur la chaussée. Bois six & sept : à gauche une vision des façades des grands immeubles, à droite une représentation de ce qui se passe dans l’un d’eux. Etc. Bois soixante-douze & soixante-treize : à gauche un couple de bourgeois avec des vêtements de soirée luxueux traversant la chaussée entre les véhicules pour se rendre au spectacle, à droite un couple dans sa modeste salle à manger, madame attablée, monsieur debout lui tournant le dos, le lien entre les deux images se trouve dans l’opposition née de la comparaison des deux situations. Ce principe d’opposition peut prendre des formes moins évidentes, par exemple bois soixante-dix-huit & soixante-dix-neuf, d’un côté une rue avec un homme esseulé et un autre enlaçant une femme vraisemblablement une prostituée, de l’autre côté un spectacle de trapéziste dans un théâtre, le lecteur se disant que le couple de trapéziste partage une forme de complicité, de chaleur humaine véritable dans la communion du spectacle, de façon publique sous le regard émerveillé des spectateurs, à l’opposé de la relation tarifée sous l’œil d’un vieil homme indifférent. Ce principe de lier les deux pages en vis-à-vis fonctionne bien, en revanche il ne s’applique pas entre une page de droite, et la suivante de gauche une fois que le lecteur a tourné ladite page. À part l’écoulement chronologique, le lecteur ne discerne pas ce qui guide l’auteur de deux pages en vis-à-vis aux deux suivantes. Il s’attache alors plutôt à savourer la diversité de ce qui est montré, que ce soient les lieux publics ou les intérieurs privés, les scènes en extérieur ou celles en intérieur, les personnes seules isolées chez elles ou bien solitaires dans l’anonymat de la foule, et celles accompagnées partageant quelque chose avec d’autres. Il se retrouve vite impressionné par la diversité de ce qui est représenté : les usines, les trains, la gare, les différents modes de déplacement, les ouvriers sur le chantier, les employés dans des bureaux, les grands magasins, le grand bureau avec des secrétaires en batterie en train de taper des courriers, un cortège funèbre, une cour d’un quartier populaire, un cheval mort à la tâche sur la voie publique encore attelé, la bourse, une chambre où la famille vient se recueillir devant le lit du mort, un mariage, une péniche sur le fleuve, un amphithéâtre de l’université de médecine, etc. À quelques reprises, il pense déceler une forme de suite : par exemple, l’enterrement (bois trente-trois) qui répond comme un prolongement du cortège funèbre (bois dix-sept). La technique de réalisation de chaque image sur bois reste identique aux ouvrages précédents : d’abord un dessin sur une feuille, parfois après plusieurs esquisses, la reproduction en image inversée sur un bloc de bois, du poirier dur et séché, puis la reprographie avec des presses mécaniques ou à bras. À nouveau, le lecteur est frappé par la qualité de l’impression de chaque image : des zones noires bien nettes qui ne bavent pas, des détails d’une grande finesse (le bois quarante-sept avec les dizaines de livres dans le bureau d’un érudit). Les blancs impeccables. Chaque image comprend une forte densité d’informations visuelles, avec des compositions remarquables : le magnifique escalier sinueux descendu par un chat dans le bloc quatre-vingt-sept, les scènes de foules, la densité des constructions. Le lecteur prend le temps de détailler chaque page, à la fois pour la richesse des informations visuelles, à la fois pour le rendu, descriptif et réaliste, mais aussi avec une élégance dans la composition entre zones noires et zones blanches, et aussi un goût pour la structure géométrique et ordonnée de chaque composition. Indubitablement, l’auteur a construit son récit pour montrer toute la diversité des activités que peut abriter une ville, soit publiquement, soit dans l’intimité d’un appartement. De fait, le lecteur ne ressent aucune répétition, et dans le même temps il ne se produit pas d’impression de catalogue, grâce à la consistance et les tonalités variées de chaque image. Il se dit que Masereel a construit son récit avec une optique holistique en tête : dresser un panorama complet de la vie d’une ville, en donnant à voir une facette différente dans chaque bois. Bientôt, il ressent que le regard de l’auteur n’est pas neutre. À l’évidence, le regard porté sur les individus comprend une forme d’empathie et un parti pris en faveur des victimes (il y a même un meurtre). Le point de vue de l’auteur comprend également une dimension politique et sociale, humaniste. Des images du prolétariat, que ce soient des ouvriers, des secrétaires, des dessinateurs techniques. À l’évidence, les individus disposant d’une once de pouvoir en profitent pour maltraiter leurs subordonnés, les asservir d’une manière ou d’une autre. La parade militaire peut sembler montrée de manière purement factuelle, mais elle apparaît froide et sinistre. Les classes ouvrières vivent dans des conditions matérielles précaires. Les femmes subissent la domination masculine sous forme de violence physique, de prostitution. Une manifestation populaire est réprimée dans la violence policière. Etc. Le dossier rédigé par Samuel Dégardin complète cette approche de la domination économique et offre également une mise en perspective par rapport aux arts visuels de l’époque. Les précédents ouvrages de Frans Masereel impressionnaient déjà par la force des images, leur esthétisme, la qualité de l’expression littéraire de l’auteur, et sa sensibilité sociale. Ce cinquième ouvrage publié par les éditions Martin de Halleux déroute un peu au départ par son absence de personnage humain comme fil conducteur. L’auteur se montre amitieux en racontant la journée d’une grande ville dans toute sa diversité, tant en termes d’animations et d’événements, que d’individus de classes sociales différentes. La narration visuelle s’avère incroyablement plus riche que la collection de cent images, chacune racontant sa propre histoire. Formidable.

19/10/2024 (modifier)
Par Linette
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Celle qui parle
Celle qui parle

Au début je pensais tomber sur une histoire de Pocahontas. Mais pas du tout. Cette jeune femme n'était qu'une marionnette des hommes de sa vie. Par force elle nous montre le courage parcouru pour devenir une femme respectable et indispensable envers ces hommes autrefois aveugles. Elle nous montre aussi tous les sacrifices qu'il faut faire dans le silence et la colère. Dès le début elle était promise à un grand destin. Passant de fille de chef à esclave, jusqu'à être la parole des plus grands chefs . Ce récit tend à nous faire voir la force des mots à travers les conflits humains. Et nous rappelle le chemin éternel mené par nos ancêtres pour nous permettre de lever la voie...

18/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Chute de la Maison Usher (Corben)
La Chute de la Maison Usher (Corben)

Une excellente adaptation, pleine de caractère - En 1986, Richard Corben réalise une adaptation de La chute de la Maison Usher, d'Edgar Allan Poe (nouvelle publiée en 1839), contenue dans ce tome, avec deux autres histoires courtes, à savoir une adaptation de The raven (un poème de Poe, paru en 1845, l'adaptation de Corben date de 1974) et Shadow - a parable (un court texte de Poe daté de 1850, l'adaptation de Corben date de 1975). Toutes les histoires sont en couleurs. La chute de la Maison Usher (26 pages) - Il s'agit d'une adaptation, dans la mesure où Corben a réarrangé plusieurs séquences. Edgar Arnold, un gentilhomme à cheval, traverse une zone naturelle désolée, où la végétation a dépéri. Il remarque le squelette d'un cheval dans le sol. Il arrive en vue d'une imposante demeure isolée de tout et son cheval chute et se noie dans une étendue d'eau. Il arrive trempé dans le hall de la maison des Usher où il s'évanouit à la vue de cercueils vermoulus et de cadavres décomposés. Lorsqu'il reprend connaissance, il est allongé sur un divan, et Roderick Usher (son hôte) est en train de lui parler. Tout au long de sa carrière, Richard Corben aura adapté des histoires d'Edgar Allan Poe (parfois plusieurs fois la même, c'est le cas pour le poème Le corbeau). Dans les années 2000, il a consacré un recueil à une nouvelle série d'adaptation : Haunt of horror - Edgar Allan Poe (en français L'antre de l'horreur). Ici il s'agit d'une adaptation réalisée entièrement par ses soins (sans l'aide d'un scénariste comme Chris Margopoulos), et en couleurs. Corben a transposé l'histoire de Poe en y incorporant ses propres obsessions. Le premier signe d'une adaptation est qu'il donne un nom au narrateur (Edgar Arnold), alors que dans la nouvelle il reste anonyme. Le deuxième signe d'une adaptation est le rôle plus important de Madeline, la sœur de Roderick, avec des scènes déshabillées (nudité frontale, sauf pour le sexe de la dame, avec hypertrophie mammaire chère à Corben). L'avantage de ce mode de transposition est que le lecteur a l'impression de lire une histoire en bandes dessinées, plutôt qu'un charcutage du texte originel illustré par des images accolées pour une narration séquentielle plus ou moins heurtée. La contrepartie est bien sûr que le lecteur ne retrouvera pas exactement l'atmosphère de la nouvelle, encore moins les saveurs de l'écriture d'Edgar Allan Poe. Si l'histoire ne présente que peu de surprises pour quelqu'un connaissant déjà l'original de Poe, elle est très savoureuse, car il est visible que Corben a passé du temps sur ses planches et s'est bien amusé. Dès la première page, il est possible de reconnaître son style caractéristique (un mélange de réalisme pour les personnages et les vêtements, et d'exagération simplifiée pour une partie des décors) dans le contraste entre la végétation désolée et le regard affolé de la monture d'Arnold. Les pages 2 & 3 offrent une composition conçue à l'échelle de la double page, où il est possible de suivre le déplacement du personnage d'une page à l'autre, ainsi que la première vue de la Maison Usher (une photographie retouchée à la main), puis dans la case du bas s'étalant sur les deux pages, la distance séparant le cavalier de son but. La page d'après est constituée d'un premier plan fixe en quatre cases montrant Arnold s'approchant de la Maison, puis d'un traveling avant en cinq cases de la largeur de la page vers la Maison, pendant que les onomatopées du bruitage laissent deviner la chute du cheval dans l'étendue d'eau. Tout au long de cette histoire, Corben va jouer avec la mise en page à l'échelle de chaque planche, pour des découpages de séquence aussi rigoureux qu'intelligents et efficaces. Corben travaille également sur la composition de plusieurs cases pour qu'elles offrent un spectacle saisissant. Au fil des pages, le lecteur pourra se régaler du premier degré (et parfois du second degré) d'un visage à la chair putréfiée suite à son séjour sous terre puis dans l'eau putride, d'un brouillard épais pourpre se déversant par l'interstice de la porte ouverte dans la chambre d'Arnold, d'Usher et Arnold s'ennuyant ferme le soir à la veillée, des murs suintant une humeur fétide dans les sous-sols de la Maison, d'une vue du ciel de la Maison entourée d'eau, etc. En fait chaque page recèle plusieurs trouvailles graphiques aussi bien en termes de mise en page, que de dessins suscitant l'effroi ou un sourire soit jaune, soit moqueur. Richard Corben s'approprie l'histoire d'Edgar Allan Poe pour y greffer ses obsessions (humour noir et macabre, et sensualité déviante), avec des visuels inventifs et maitrisés. Il réalise lui-même ses couleurs un peu moins exubérantes que d'habitude, mais très efficaces pour installer l'ambiance de chaque scène. Il s'agit d'une histoire à placer parmi les réussites exceptionnelles de Richard Corben. - The Raven (Le corbeau, 8 pages) - Un homme est assis dans son fauteuil, dans une maison isolée. Il est en train de lire quand il entend du bruit à la porte, mais il n'y a personne. Peu de temps après, il entend du bruit à la fenêtre qu'il ouvre, et un corbeau en profite pour pénétrer dans la pièce et se percher sur un buste de Pallas. Alors que l'homme se met à parler à haute voix, le corbeau répond à chaque fois : Plus jamais (Nevermore). Il s'agit d'un poème de dix-huit strophes de cinq vers chacune, qui a rendu Poe célèbre et qui a bénéficié de nombreuses adaptations y compris au cinéma (une version de Roger Corman). À moins de reprendre les vers du poème, il est impossible de transcrire l'effet qu'ils produisent sur le lecteur. Corben se lance donc dans une adaptation de l'histoire mettant en scène de manière littérale le narrateur, sa confrontation avec le corbeau et l'image de sa défunte bien-aimée. Si vous n'avez jamais lu ce poème, cela vous donnera une idée de son argument, mais pas de l'intensité de la confrontation de sentiments contradictoires dans la psyché du narrateur. Si vous avez déjà lu ce poème, il apparaîtra que cette transposition souffre de sa forme littérale et qu'elle n'apporte rien à l'original. Même Corben semble être en mal d'inspiration pour transcrire les tourments intérieurs du narrateur sous forme visuelle, et son déchirement entre faire son deuil et garder le souvenir d'Elenore. J'ai de loin préféré la deuxième adaptation qu'il en a faite dans Haunt of horror. - The shadow (L'ombre, 8 pages) - Dans la Grèce antique, un groupe de sept personnes est en train de s'adonner à des libations, dans une pièce barricadée, où repose un mort. Bientôt une ombre s'insinue dans la pièce, et dans l'esprit des convives. Corben adapte cette fois-ci un court texte (soixante-cinq lignes, 981 mots) et il en tire la substantifique moelle pour transcrire l'ambiance mortifère qui s'en dégage. Au travers d'images assez simples, le lecteur se sent envahi par cette atmosphère délétère et cet état d'esprit accablé par l'horreur de la situation à l'extérieur de la pièce. Même si les sept convives sont bodybuildés, le jeu des acteurs et les images conçues par Corben transmettent au lecteur le caractère débilitant et morbide de la situation.

17/10/2024 (modifier)
Par karibou79
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Dementia 21
Dementia 21

4.5 Shintarô Kago est un auteur talentueux touche-à-tout que l'on malheureusement trop rapidement dans l'ero-guro. Il tente continuellement de tordre le coup à l'ordre établi et aux conventions du manga, tout en offrant un univers riche et une maîtrise parfaite de ses personnages. Ces 2 tomes racontent des choses de tout ordre, ayant pour fil conducteur les vieux. Oui on ne prend pas de pincettes avec le terme, ici les seniors sont aussi vantards, filous, mignons, crasseux, charmants que les plus jeunes. L'auteur fait preuve d'un humanisme tout en se foutant de la gueule des travers et problèmes de nos aînés. Le sujet est assez sensible au Japon où le 3ème âge est un électorat à bichonner et un parent à respecter. C'est ainsi que sont abordés tous les thèmes et faits divers liés aux vieux de cet archipel: des marionniers sur le nombre s'étant étouffé en mangeant du mochi gluant au réveillon, le problème de la surpopulation carcérale gabrataire... Il y a un tout un inventaire à la Prévert qui étonnera les lecteurs à chaque chapitre. Cette courte série de Kago peut se voir comme un pendant délirant façon Monthy Python des receuils de nouvelles de Junji Ito. En rajoutant la qualité des livres eux-même, je ne peux que vous encouragez à découvrir l'oeuvre de Kago-Sensei.

17/10/2024 (modifier)
Couverture de la série Les Campbell
Les Campbell

Oh, la bonne surprise que voilà ! J’ai toujours grandement apprécié le dessin de Munuera (que je trouve coloré et dynamique) mais n’avais malheureusement jamais été satisfaite de ses quelques œuvres que j’avais pu lire. Disons aussi que je l’associe à l’une des pires périodes de Spirou, alors… Mais là, cette série traînait dans ma bibliothèque, je voyais qu’elle sortait souvent et j’ai donc finalement décidé de lui donner sa chance. Et j’ai bien fait ! Les Campbell, c’est beaucoup de choses sous une forme assez simple : un drame familial, un conflit fratricide, l’histoire d’une famille monoparentale toujours hantée par la mort de la mère, le tout sous une forme de récit jeunesse. Savoir faire une œuvre simple mais bien réalisée, adaptée aux enfants et agréable pour les adultes aimant les drames simples ou tout simplement les récits entraînants que l’on trouve si souvent en jeunesse, ça mérite tout de même un applaudissement. J’y retrouve aussi des débuts de pensées et de sous-textes ma foi intéressants, notamment la fin de l’âge d’or de la piraterie et de la liberté utilisée comme métaphore du passage à l’âge adulte et de la perte d’une certaine forme d’innocence (idée que l’on retrouve bien mieux développée dans la trilogie originale des Pirates des Caraïbes, d’ailleurs). Mais peut-être que je m’emporte dans cette lecture… En tout cas, même si ce sous-texte n’est qu’une de mes affabulations, ce n’est pas grave, car l’intérêt principal de cette série ne repose pas (ou en tout cas pas complètement) sur la piraterie et ses symboliques. C’est avant tout une histoire de famille : de la famille de sang, celle qui reste, celle qui nous trahit, celle qui nous abandonne, celle que l’on veut protéger et celle que l’on hait. Mais aussi la famille du cœur, celle que l’on choisit, celle que l’on protège et aime coûte que coûte, et je trouve que c’est un simple mais très bon message à transmettre. Et moi qui suit amatrice d’œuvres sentimentales, romantiques et tragiques, j’avoue avoir grandement apprécié et même lâché quelques larmes à la fin du dernier tome. Bon, certes, l’œuvre n’est pas sans défaut. L’humour ne fait pas forcément mouche hors d’un publique jeunesse mais, même si l’on ne rit pas aux blagues, on y sourit volontiers (l’ambiance est vraiment bon enfant). Non, le vrai défaut objectif que je donnerais à cette série, c’est les quelques facilités scénaristiques auxquelles elle a parfois recours (la réplique sur la « quatrième malédiction » concluant le dernier tome est très belle, mais tombe un peu comme un cheveu sur la soupe puisque, si j’ai bien suivi l’histoire, les deux frères ne se sont pas revus depuis toutes ces années et l’autre n’est pas censé être au courant de cette histoire de trois malédictions, mais bref…). Je donnerais 4 étoiles à cette série (note réelle 3,5). Peut-être est-ce trop généreux, mais je me dis qu’une histoire si sympathique mériterait de voir sa note remonter. Et puis ma larme lâchée lors de cette lecture vaut bien une quatrième étoile (émotive que je suis…).

16/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Magritte - Ceci n'est pas une biographie
Magritte - Ceci n'est pas une biographie

Peindre le réel équivaut à le penser par l’image, une trahison féconde. - Cet ouvrage porte sur René Magritte (1898-1967) peintre surréaliste belge, et son œuvre, mais, comme l’indique le titre, ce n’est pas une biographie. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Vincent Zabus pour le scénario et par Thomas Campi pour les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Un chapeau melon ! Qui eut cru qu’un jour, lui, Charles Singulier, il s’abandonnerait à la fantaisie d’acheter une futilité de ce genre. Et avec plaisir, qui plus est. Et il ose même le porter. Quelle extravagance ! il faut dire que la perspective d’être officiellement promu ce lundi a de quoi griser le plus imperturbable des hommes. Comme quoi, vingt ans de travail sérieux ont plus de valeur que le fayotage auquel se sont livrés nombre de ses collègues. Midi. Dans 24 heures, il sera un homme nouveau. Il faut qu’il se calme. Et qu’il enlève ce foutu chapeau. Un peu d’air lui fera du bien. Au fil de ses pensées, il a traversé le marché en plein air, puis remonté sa rue jusqu’à la porte d’entrée de son appartement. Il rentre à l’intérieur passe devant et regarde le miroir de l’entrée qui, étrangement, reflète son dos. Il s’approche de la fenêtre à guillotine. Elle est bloquée et à force de tirer pour la soulever le verre se brise. Il regarde son image fracturée sur les morceaux de verre par terre. L’image de Fantômas apparaît sur son écran de téléviseur et il s’adresse à Charles : c’est à cause lui, Magritte, car Charles n’aurait pas dû mettre son chapeau. Maintenant ça ne va plus s’arrêter. Charles Singulier a du mal à comprendre. L’avatar de Fantômas continue : ils sont ici pour informer Charles de l’objet de sa mission. Charles se retourne : une géante nue se tient dernière lui. Elle lui indique qu’il doit percer le mystère de Magritte. Fantômas lui dit qu’il a été choisi, à cause du chapeau qui était le sien. La femme ajoute : en le portant, il est entré dans son monde, maintenant il doit en saisir les secrets, sinon… Fantômas complète : sinon son chapeau restera à jamais vissé sur sa tête. Tant que Charles n’aura pas accompli sa mission, il portera le chapeau. Il essaye en vain de retirer le chapeau melon, sans succès. Il débranche sa télévision pour faire disparaître Fantômas, sans succès. L’image de dos de Charles, identique à celle du miroir, apparaît ensuite sur ledit écran. Il se retourne et découvre un petit carton sur sa table basse : au recto figure le nom de Fantômas, et au verso Le cinéma bleu, 13h. Il se rend à pied, à cette invitation. Une jolie jeune femme évoque le peintre. Magritte a toujours adoré les films de Fantômas qu’il allait voir adolescent au Cinéma Bleu de Charleroi. Avec les nouvelles d’Edgar Poe, Fantômas fait partie des œuvres fondatrices qui le marquent durablement. Le refus de l’ordre établi revendiqué par le roi des voleurs plaisait au peintre. De même, le changement d’identité de Fantômas ne pouvait que séduire Magritte, lui qui n’aura de cesse d’étonner en affichant une personnalité changeante suivant les époques. La conférence est terminée, les spectateurs se rendent dans les salles de l’exposition pour admirer les tableaux du peintre. Ceci n’est pas une biographie : un bel avertissement en guise de sous-titre, ainsi qu’un écho de la phrase figurant sur le tableau La trahison des images (1928/1929). Le lecteur suit un personnage sur lequel il n’apprend quasiment rien. Les dessins montrent que Charles Singulier est un homme blanc, habitant à Bruxelles, mince et d’une grande taille, habillé en costume avec une cravate, portant le chapeau melon de René Magritte, une apparence évoquant un pâle reflet du peintre, une version affadie. Il doit accomplir une mission bien vague : percer le mystère de l’artiste. Le lecteur se dit qu’il peut y voir une incarnation littérale de la démarche des auteurs : à défaut de percer ledit mystère, charge à eux de le présenter, de le mettre en scène, de donner à voir ce mystère sous différents angles pour en présenter différentes facettes… Et peut-être donner quelques clés de compréhension, quelques faits et quelques circonstances présentant pour partie le contexte dans lequel René Magritte a grandi et a produit ses œuvres. Cette bande dessinée n’est pas une biographie dans le sens où elle ne retrace pas la vie et l’œuvre de René Magritte dans l’ordre chronologique, avec une ambition d’exhaustivité quant aux circonstances ayant engendré un artiste aussi singulier, pour reprendre l’adjectif servant de patronyme au personnage principal. Dès la première page, le lecteur se sent confortablement installé dans une narration visuelle très sympathique : des couleurs douces pour le marché avec un savant dosage entre éléments représentés avec précision, et formes donnant plus dans l’impression produite. Le premier contact avec le personnage principal s’effectue à la fois avec les courtes cellules de texte établissant la situation en une douzaine de phrases sur deux pages, et c’est parti pour la mission. Charles Singulier ne paye pas de mine, un monsieur anonyme, assez pour que le lecteur puisse s’y reconnaître sans effort, assez particulier pour ne pas faire mentir son patronyme. En page cinq, le lecteur comprend facilement que les morceaux de verre reflétant une image brisée de Charles et l’apparition de Fantômas à l’identique de l’affiche du premier film (1913) réalisé par Louis Feuillade donnent des indications sur la manière dont le personnage perçoit la peinture de René Magritte, et donc par voie de conséquence de la manière dont les auteurs vont la présenter. Le coup du chapeau inamovible relève du surréalisme, tout en constituant également un phénomène d’empreinte de l’œuvre de Magritte sur Charles Singulier. L’esprit de l’artiste l’a touché, a laissé une marque sur lui et il ne pourra s’en défaire qu’en s’y intéressant, c’est-à-dire littéralement en accomplissant la mission que lui confie cet avatar de Fantômas. La suite de la narration visuelle se situe dans le registre de la première séquence. Le dessinateur continue d’utiliser des couleurs douces, une palette évoquant celle de René Magritte. Un mode de représentation sans trait de contour, en couleur directe, comme les tableaux de Magritte. D’ailleurs, il est amené à réaliser plusieurs reproductions de ses œuvres. Tout d’abord lors d’une visite du musée René Magritte à Bruxelles, de nuit, plusieurs tableaux célèbres : Le modèle rouge, L’invention collective, La clairvoyance, Mal du pays, La magie noire, Condition humaine. Puis quelques-unes éparpillées dans les séquences, en particulier quand les images des cases se décollent pour révéler des œuvres en dessous, comme La lampe du philosophe, Clairvoyance, Perspective du balcon, Le faux miroir, La légende des siècles. Le lecteur observe également que les bédéistes jouent avec les codes de leur support comme Magritte pouvait jouer avec les conventions de la peinture : intégration d’éléments oniriques (la géante nue dans le salon de Singulier, Fantômas apparaissant sur l’écran éteint), de nombreux éléments absurdes, comme les deux chasseurs au bord de la nuit, sans visage), le feuillage des arbres qui est en deux dimensions dans le cimetière, l’irruption d’un train miniature dans le salon de Singulier par la cheminée (évoquant le tableau La durée poignardée), l’utilisation d’un tableau pour en faire un trou dans une porte (La réponse imprévue), le placardage du tableau Georgette Magritte sur les murs de la cité, des mots s’inscrivant sur les images, les grelots qui flottent dans l’air (La voix des airs), le passage d’un plan d’existence à un autre, d’une réalité à une autre, le désordre chronologique, les apparitions et disparitions de la jeune femme et du biographe officiel de l’artiste, etc. La narration visuelle constitue une lecture très accessible et très agréable, tout en se nourrissant des facéties et des rapprochements visuels de René Magritte. Le lecteur se sent vite gagné par ce jeu de citations et d’écho, ainsi que par la dimension ludique de la structure du récit. Effectivement, le scénariste ne se sent pas tenu de respecter le déroulement chronologique de la vie de Magritte, comme le ferait un biographe académique. Pour autant, lors d’une demi-douzaine de passages, il expose des éléments biographiques que ce soit le séjour dans la banlieue parisienne ou les conditions de la mort de Regina Bertinchamps, la mort de l’artiste. Dans le même temps, il ne fait qu’évoquer en passant les réunions du groupe des surréalistes belges, ou les relations de Magritte avec d’André Breton (1896-1966), la valeur marchande de ses tableaux n’apparaissant que lors d’une fugace allusion, l’analyse restant à l’état embryonnaire pour les tableaux et leur modernité par rapport à la production de l’époque. Le rôle de son épouse Georgette n’est que succinctement évoqué et elle-même n’apparaît que d’une bien étrange façon. De temps à autre, un personnage effectue une remarque sur l’artiste ou sur son œuvre. Deux protagonistes différents font observer que Magritte n’aime pas qu’on fouille dans son passé, ce qui vient apporter une explication au fait que les auteurs eux-mêmes ne le fouillent pas beaucoup. Le lecteur relève quelques observations éparses sur l’œuvre. Vingt ans de travail sérieux ont plus de valeur que le fayotage auquel se sont livrés nombre de mes collègues. L’œuvre de Magritte est figurative, mais elle est un attentat permanent contre la représentation. Peindre le réel équivaut à le penser par l’image, une trahison féconde. La vraie vie est toujours un ailleurs qui n’existe pas. La peinture n’agit pas comme un miroir passif de la réalité, elle la métamorphose. On ne fume pas dans une pipe peinte. L’œil du peintre est un faux miroir. Tout objet en cache un autre. Magritte déteste la psychologie. Elle essaie d’expliquer le mystère, tout le contraire de sa démarche. Ceci n’est pas une biographie : en effet, cette promesse est tenue. L’artiste réalise une narration visuelle en osmose avec la peinture de René Magritte, ce qui permet d’intégrer ses œuvres, soit comme telle, soit comme dispositif narratif, sans solution de continuité. Le scénariste joue également entre les éléments biographiques désordonnées, les énigmes des tableaux, le paradoxe de la vie rangée de Magritte et la remise en cause rebelle contenues dans ses œuvres, avec quelques questions et réflexions sur sa démarche artistique. Les auteurs laissent le lecteur avec une dernière question : Pourquoi vouloir répondre aux questions que la peinture nous pose ?

16/10/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Une histoire de voleurs et de trolls
Une histoire de voleurs et de trolls

Série découverte grâce à l'avis de Ro que je remercie ! Je me suis vraiment laissé emporter par cet album qui m’a fait retrouver une sensation presque nostalgique de la fantasy à l’ancienne. Il y a quelque chose d’authentique dans cette aventure, une imagination débordante qui s’éloigne des standards post-Lanfeust pour offrir un univers original, avec un graphisme qui m’a particulièrement plu. Je ne connaissais pas l'auteur non plus, et le dessin, souvent proche de l’illustration, est très soigné, presque impeccable dans sa clarté. La colorisation est superbe, le dessin très abouti, minutieux et détaillé, avec des paysages très riches et un soin particulier apporté pour rendre les personnages expressifs. Juste quelques mouvements de personnages, vus sous certains angles qui m'ont un peu gênés. Le scénario, lui aussi, m’a accroché. J'ai aussi eu peur de retomber dans les classiques du genre avec le personnage du voleur roublard et vantard, mais que j’ai trouvé sympathique au final. L'humaine apporte une autre dynamique intéressante. Ce duo improbable fonctionne bien et l’intrigue se densifie au fur et à mesure que de nouveaux éléments viennent bouleverser le récit. Le scénario évite les facilités narratives pour embrasser quelque chose de plus vaste et inattendu à la fin du premier tome. L'ensemble est bien construit, dans un univers qui ne se contente pas de recycler des clichés mais qui apporte un souffle nouveau, tout en restant dans les codes du genre. Coup de coeur pour moi aussi.

16/10/2024 (modifier)
Couverture de la série La Suprématie des Underbaboons
La Suprématie des Underbaboons

Rarement déçu par Emmanuel Moynot, surtout quand il œuvre dans le style polar noir et crasseux, je me suis jeté sur cet album sans hésiter une seconde. Je trouvais la couverture intrigante et le résumé prometteur. A la lecture, et même si je ressors globalement très satisfait de celle-ci, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver l’ensemble un peu facile. Attention, hein ! C’est très prenant, efficace en diable et le lien fait avec diverses études menées sur d’autres primates apporte un angle original au récit… mais raaahhh, j’espérais sans doute de trop. Pour qui connait l’auteur, on retrouve dans ce récit plusieurs des éléments dont il aime nourrir ses polars les plus noirs, à commencer par le sexe, la noirceur de l’âme et le cynisme. Ainsi, même si elle se focalise sur les Etats-Unis, La Suprématie des Underbaboons se révèle être une critique acerbe et désabusée du genre humain dans son ensemble. Cet aspect du scénario m’a beaucoup plu, tant par la pertinence de la critique que par sa noirceur. L’aspect polar nous propose un récit explosé dans lequel l’auteur nous balade d’un protagoniste à un autre et je me suis longtemps demandé comment tous ces fils allaient bien pouvoir se relier. Là encore, la maitrise scénaristique d’Emmanuel Moynot est une merveille du genre et les recoupements finaux sont tout à fait satisfaisants. Je m’attendais toutefois à ce que les différents documentaires voués aux comportements de diverses familles de primates (babouins, bonobo, chimpanzés, etc…) soient finalement intégrés à ce volet policier, mais ils demeurent juste en contrepoint. Ils permettent cependant de souligner l’animalité de l’homme et même son infériorité face aux autres primates (notamment sur des principes tels que la tolérance ou la gestion des conflits). Le dessin de Moynot est toujours aussi efficace. Ce rendu crasseux n’embellit certainement pas les protagonistes mais nous en dévoile les cicatrices et la noirceur. Les planches sont souvent teintées dans une couleur unique qui ne fait que renforcer l’ambiance, donnant un ton propre à chaque chapitre. Au final, je ne suis vraiment pas loin d’un 4/5 et je ne sais pas trop ce qu’il m’a manqué pour attribuer cette note car tout est très bon. Peut-être un peu plus d’originalité dans la conclusion finale… Mais c’est une lecture que je ne peux que conseiller aux amateurs du genre.

15/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Bleu à la lumière du jour
Bleu à la lumière du jour

Car il n'est rien de caché dans le monde, nul grand secret à découvrir. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre d'une certaine manière, mettant en scène une variation d'un personnage récurrent chez l'auteur d'une autre manière. Sa publication initiale date de 2023 pour la version française. Il a été réalisé par Borja González pour le scénario, les dessins et les aplats de couleur. La traduction de l'espagnol a été réalisée par Christilla Vasserot. Il comprend cent-soixante-seize planches de bande dessinée. Il se termine avec une postface d'une page de l'auteur, ainsi que trois illustrations en pleine page. Cet auteur a précédemment réalisé The Black Holes (2019) avec Gloria, Laura et Cristina comme personnages, et Nuit couleur larme (2021) avec Matilda & Teresa. La nuit dans un bois, avec un château se découpant en ombre chinoise dans le lointain. Sur la plaine, trois cavaliers chevauchent au galop s'éloignant du domaine. Quelque part dans une pièce du château, une bouteille de vin est tombée à terre déversant son contenu sur le plancher. Les bougies sur le bougeoir sont éteintes. La pendule marque minuit moins deux. Au mur, le tableau d'un archer avec deux chiens à ses pieds. Deux coups retentissent à la pendule, une femme en long manteau se tient à l'entrée d'une immense arche, sur le perron. Dans le parc, une autre femme encapuchonnée se retourne pour un dernier regard, puis elle sort du domaine par un grand passage sans portail. Derrière elle, l'autre femme referme les deux vantaux de bois après être rentrée dans le château. Matilde continue de s'éloigner, passant devant un grand arbre aux branches torturées. le bruit de deux vantaux se refermant retentit dans la nuit. La jeune femme ne se retourne pas. Elle continue de marcher, traversant une longue étendue herbeuse plane. Elle atteint l'orée du bois et s'y enfonce. Matilde a rabaissé son capuchon laissant voir ses cheveux. Elle pénètre plus avant dans la forêt. Une mésange bleue la rejoint, attirant son attention par son chant. Elle s'adresse à l'oiseau, s'étonnant qu'il connaisse son nom. Elle ne l'avait jamais vu ici auparavant. Elle lui confirme qu'elle cherche la sortie. Elle écoute sa réponse, surprise de la direction qu'il lui suggère de prendre. La mésange s'envole devant elle et elle décide de la suivre comme si l'oiseau lui indiquait le chemin. Elle finit par rejoindre l'oiseau et elle constate que d'autres oiseaux sont perchés sur des branches. Elle se demande si ce chemin mène bien à l'extérieur. Elle arrive devant une pièce d'eau à la surface de laquelle se trouvent quelques nénuphars, un escalier d'une demi-douzaine de marches permet d'accéder à la surface de l'eau. Elle se retourne vers l'oiseau lui demandant s'il se fiche d'elle, si c'est ça la sortie, le lac ? Il vient se poser sur sa main et il la regarde avec son œil fixe et vide. Elle enlève son long manteau et descend quelques marches en récitant un texte : le vent toujours soupire dans la cime des arbres. L'eau est tout sourire à ses pieds. Et les hirondelles poussent des cris aigus. Voilà un récit bien étrange. le lecteur est immédiatement pris par la douceur onirique de la narration visuelle. Pour commencer, neuf pages dépourvues de tout mot, une séquence nocturne, l'absence de traits de visage pour chacune des deux femmes (pas de bouche, de nez, d’œil), certains éléments dépourvus de texture et de détail, des couleurs posées en aplat, l'hirondelle uniquement en ombre chinoise mais d'un bleu de Prusse, l'absence de nom donné aux deux personnages, l'absence de repère temporel, peut-être une époque médiévale. Cette sensation de monde rêvé perdure tout du long du récit : pas de trait de visage pour aucun personnage, soixante-quatre pages muettes soit un tiers de la pagination, de grandes cases aérées, vingt-trois dessins en pleine page, douze en double page, des pages structurées comme une juxtaposition d'images laissant la liberté à l'imagination du lecteur d'établir les liens de causes à effet entre elles, des éléments visuels récurrents comme l'hirondelle bien sûr, ainsi que son œil vide générant un motif de cercle trouvant son écho dans d'autres éléments visuels, également un cerf, un masque grotesque, des taches rouges de vin ou de sang, une épée fichée dans un bosquet de ronce ou dans un autel, des chiens de chasse, une flèche, quelques fleurs cueillies, des plumes, le crâne d'un cerf accroché au-dessus d'une cheminée, des troncs très droits en forêt comme des piliers ou des barreaux, etc. Par moments, le lecteur ressent l‘influence graphique du bédéiste Mike Mignola (créateur et auteur de Hellboy) et de son coloriste attitré Dave Stewart. La patte Mignola se discerne dans les grandes masses d'aplat de noir uniforme, dans l'usage d'éléments massifs dont la texture de pierre ou de bois est mise en évidence (les arbres, quelques statues), dans quelques cases avec un œil tout rond en très gros plan sans iris ni pupille, dans la mise en valeur d'un élément que le lecteur associe au registre des contes et légendes comme un cerf ou une épée. L'influence de Stewart se détecte dans l'usage d'aplats sans variation de nuances, d'une palette limitée, de quelques formes tranchant du contexte par leur couleur bleue ou rouge, effet utilisé avec une grande parcimonie. Ainsi que cette capacité extraordinaire à faire ressortir chaque élément avec une palette si restreinte. Pour autant, le lecteur n'éprouve jamais l'impression que le bédéiste réalise des cases ou des planches à la manière de. Il met en œuvre un vocabulaire graphique personnel, différent de celui Mignola soit par sa nature, soit par la manière de l'utiliser dans le contexte, ou par des cadrages propres. La narration visuelle s'avère très agréable, à la fois par le faible nombre de cases par page, ce qui donne une sensation d'espace, et également de rythme de lecture régulier, sans effet de lourdeur, et aussi parce que le lecteur ressent qu'il peut choisir son rythme. Il peut se laisser mener par son impatience de découvrir l'histoire et progresser à rythme soutenu en ne s'intéressant qu'à la dimension concrète et descriptive des pages, pour assimiler d'un simple coup d’œil les informations visuelles. Il peut aussi choisir de prendre son temps, en laissant agir l'atmosphère d'un lieu ou d'une situation. Il laisse alors son esprit vagabonder, entre associations d'idées et questions. Associer un château avec une princesse, une épée symbolique avec au choix un mythe comme celui d'Excalibur ou une forme phallique alors que les hommes sont absents du récit parce qu'ils sont partis à la chasse. Et encore le cercle comme étant la surface réfléchissante d'un miroir, mais aussi un œil complètement vide, ou encore le reflet de la Lune ou peut-être un symbole ésotérique, un trou béant, qui sait ? La mésange comme l'animal totémique de Matilde, ou peut-être un esprit animique qui la guider, ou autre chose ? Le mutisme de Matilde comme une stratégie psychologique pour ne pas participer au monde qui l'entoure, ou une preuve de ses faibles capacités cognitives ? Les questionnements gagnent alors en ampleur. Quelle est la part d'éléments réels et d'éléments imaginaires dans ce qui est montré ? Qu'est-ce que Matilde sait réellement de ce qui va advenir et du rôle qu'elle est sensée y tenir ? Sa soeur Teresa en sait-elle plus ? le fait de se réfugier dans le mutisme, peut-il permettre à Matilde de changer le cours des choses ? Est-ce une manière efficace de lutter contre la tradition en n'y participant pas ? D'ailleurs, à quelle époque le récit se déroule-t-il ? Le lecteur est sûr de son fait pour cette dernière question, jusqu'à ce que les deux sœurs atteignent la ville en page cent-trente-six. Très rapidement, le lecteur se rend compte que les caractéristiques narratives l'amènent à participer à la narration et à l'intrigue, à la fois par ses questionnements, et par ses projections émotionnelles, ses supputations sur les liens de cause à effet. La postface de l'auteur vient éclaircir une partie de ses intentions et ajouter à la confusion du lecteur sur d'autres points. Il indique qu'il considère son travail comme un journal émotionnel. Sur le fil conducteur très basique du destin de Matilde, le lecteur peut donc plutôt s'attacher aux états émotionnels qu'il ressent. Cependant le bédéiste ajoute que ce qui l'intéresse, c'est de d'attraper des sensations concrètes, souvent, voire toujours, confuses et fuyantes, comme un rêve capable de laisser une puissante sensation d'angoisse ou de nostalgie. Il continue : le personnage principal de ses histoires est Teresa, une fille totalement déconnectée de son époque, de sa réalité, voire d'elle-même, obsédée par le passé et incapable d'imaginer un futur. Une expérience de lecture sortant de l'ordinaire. Une narration visuelle onirique jouant entre des éléments évoqués et des éléments décrits précisément, des personnages sans visage, des animaux en silhouettes, un environnement entre château médiéval et forêt ancestrale. Une jeune femme qui ne prononce pas un mot, dont la vie quotidienne évoque le vol erratique d'un oiseau sans but, soumis à des contingences matérielles qu'il ne comprend pas, incapable d'établir un contact signifiant avec autrui, évoluant dans un monde dont certains éléments prennent la dimension de symboles récurrents indéchiffrables. Un voyage singulier.

15/10/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série L'Amour, après
L'Amour, après

On gagnait tout, sur tous les plans, et tout à coup tout a été annulé. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa publication date de 2023. Il a été réalisé par Baptiste Sornin pour le scénario, et par Marie Baudet pour les dessins et la couleur. Il comprend cent pages de bande dessinée. Sophie, trente-cinq ans conduit la voiture, et Louis, trente-trois ans, est assis sur le siège passager. le GPS indique de prendre la troisième sortie au rond-point. Brisant le silence, elle indique qu'Éric, le nouveau compagnon de sa sœur, est un gros idiot, il n'y a qu'à voir comment il a parlé à la sœur de Sophie. Valentin, son ancien compagnon, était peut-être pénible mais pas insultant. Louis répond laconiquement qu'elle et Valentin ne faisaient plus l'amour. le GPS indique qu'il faut faire demi-tour car ils ont dépassé le rond-point. Un autre jour, Louis conduit sa voiture, et il reçoit un appel de Sophie, il passe sur oreillette. Il est dans les embouteillages, elle lui dicte la liste de courses qu'il retient par cœur, identifiant les produits malgré la mauvaise communication : chèvre pour du fromage de chèvre, zeuse pour de l'eau gazeuse, rouges pour des yaourts rouges, nichons pour des cornichons… Et un bébé. Sous le coup de l'émotion, il tamponne la voiture devant, et s'ouvre légèrement le front. Sophie lui demande si ça va, la réponse étant positive, elle ajoute qu'elle plaisantait. Louis se retrouve dans une large allée de l'hypermarché, avec un grand sac à la main, entre deux longs rayonnages chargés de produits. Il a mis un pansement sur son front, là où la peau s'est déchirée. Il fait la queue à la caisse. La femme devant lui s'aperçoit qu'elle a oublié le lait en poudre. Elle prend le bébé dans le siège du caddie et le confie à Louis en disant qu'elle en a juste pour une minute. le soir, Louis et Sophie sont assis sur le canapé, ayant laissé une place vacante entre eux. Il consulte son téléphone, pendant qu'elle effectue des recherches sur son ordinateur portable : elle cherche un train à un tarif et à un horaire qui leur conviennent. Il est possible de partir le lundi super tôt, il y a des billets à trente-cinq euros. Il demande tôt comment ? À cinq heures du matin. Ça ne lui va pas, ça fait trop tôt. Elle regarde à nouveau et ils pourraient partir le samedi, mais c'est plus cher. Il regarde l'historique de ses messages avec Sophie. À la télévision, le quarante-cinquième président des États-Unis fait son discours : il voudrait remercier le peuple américain, des millions et des millions de personnes ont voté pour lui ce soir. Un groupe de personnes très tristes essaie de les priver de leurs droits, et ils ne l'accepteront pas. Ils ont 76.000 voix d'avance avec presque aucune voix qui reste à compter, et tout à coup tout s'arrête. C'est de la fraude. Avec comme victime, le peuple américain. C'est une honte pour ce pays. Ils se préparaient à gagner cette élection, et honnêtement ils ont gagné cette élection. Sophie est en train de regarder cette allocution au boulot avec une collègue derrière elle, qui se demande s'il est en train d'improviser. Sophie ne sait pas. Voici une bande dessinée très facile de lecture, avec des partis graphiques affirmés. le premier saute aux yeux du lecteur : l'artiste a choisi de ne pas représenter les traits de visage. Cela peut se voir dès la couverture. C'est criant dès la première planche : Louis porte une moustache et une barbe, en revanche ni les yeux, ou la bouche ou le nez ou les sourcils ne sont délimités par la couleur directe, ou détourés par un trait. Il en va de même pour Sophie qui se situe sur la droite de chaque case, celles-ci ayant la largeur de la page dans un plan cadré de face à travers le parebrise. de la même manière, ni bouche, ni nez, ni yeux ni sourcils ne sont représentés sur son visage, ni ride et bien sûr pas de pilosité. Cette absence de traits faciaux ne connaît que deux exceptions en pages 85 & 86 : ces éléments sont présents sur le visage de Sophie et de Louis à l'occasion d'un repas dans le jardin des parents de la première. Le lecteur se retrouve déconcerté par cette absence : cela diminue d'autant l'expressivité des personnages. Pour autant, il peut se faire une idée partielle de l'état d'esprit général des personnages par leur posture et leur occupation. Il présume que l'absence de visage correspond à la baisse d'empathie entre Sophie et Louis, et peut-être envers les individus qu'ils croisent et rencontrent, une forme de détachement émotionnel, ou de repli sur soi-même qui ne permet plus de ressentir les émotions de son interlocuteur. La deuxième caractéristique apparaît dans l'impression donnée par les images : un peu pastel, des couleurs un peu délavées évoquant un temps révolu, ou des sensations émoussées. L'absence de traits de contour ajoute à la douceur des images, des formes qui cohabitent harmonieusement, sans avoir besoin d'être cantonnées par une frontière. Ce mode de représentation peut servir à donner une forme naïve aux voitures, à transcrire l'impression que donne des rayonnages bien ordonnés dans une grande surface, une quantité et une variété bien ordonnée, même si les formes apparaissent assez similaires. Il apporte également une grande douceur aux images : le calme et la tranquillité du jardin des parents de Sophie, ou encore l'intimité feutrée de cette séquence de cinq pages où Sophie et Louis sont allongés dans leur lit. Paradoxalement, cela apporte également une forme de fragilité inattendue au quarante-cinquième président des États-Unis, ce qui permet (presque) de croire à sa sincérité quand il se déclare surpris et même désemparé par le résultat des élections présidentielles de 2020 et la victoire de Joe Biden. Par ailleurs, les auteurs ont conçu leur ouvrage sur une structure en chapitres, de trois à neuf pages, à l'exception des deux derniers qui en comptent dix-neuf pour l'avant-dernier et seize pour le dernier. Cela contribue à donner un rythme assez rapide à la lecture, de courtes scènes légères, des petits riens du quotidien. Un trajet en voiture en évoquant la relation de couple de la sœur de Sophie, les discours du perdant aux élections, un voyage en ascenseur, un papotage avant un match de tennis en double, un échange en terrasse, un achat chez le fleuriste, un arrêt à une station-service, la préparation d'une salade de tomates, un moment d'émotion involontaire au lit, un dernier voyage en voiture. Pas de quoi fouetter un chat, mais des marqueurs révélateurs après-coup d'un glissement insensible sur le moment. le titre renferme une ambiguïté : il n'évoque pas la situation après l'amour, mais ce qu'il advient une fois que l'amour a uni deux êtres. le texte de la quatrième de couverture s'avère tout aussi évasif : ils sont ensemble depuis dix ans, dix ans c'est long en amour… Même s'il part avec une idée préconçue, le lecteur se rend compte que ce suspense binaire agit sur lui : rompront-ils ou non ? Le lecteur peut lire cette bande dessinée d'une traite en un quart d'heure, sans plus y penser. Il peut aussi jouer le jeu du suspense sur le devenir de cette relation de couple et se montrer participatif en cherchant à identifier des schémas, en supputant des liens de cause à effet. Dans un premier temps, il ne sait trop quelle valeur donner à l'échange dans la voiture sur le couple de la sœur de Sophie, sur la liste de courses et l'anecdote dans l'hypermarché. Il ne voit pas ce que le discours mensonger et manipulateur de perdant à l'élection vient faire là, si ce n'est donner un repère chronologique pour le récit. Puis en page trente-quatre, Louis confie au débotté à son partenaire de tennis en double qu'il croit que Sophie l'aime moins. Le lecteur reconsidère alors les petites choses des séquences précédentes sous un autre angle. Les deux remarques sur le couple d'Éric soulignent ce à quoi Sophie est attachée dans le couple (le respect de la dignité du conjoint) et ce à qui Louis est attaché (les rapports sexuels, ou plutôt l'absence de rapport sexuel). La boutade sur le bébé fait prendre conscience à Louis que c'est un sujet qu'il évite, peut-être sciemment, peut-être inconsciemment, et qui doit tenir à cœur à Sophie, même inconsciemment. Quand il se retrouve avec un bébé dans les bras dans l'hypermarché, il ne sait pas quoi en faire, comme il ne saurait pas quoi répondre à Sophie si elle lui demandait qu'ils conçoivent un enfant. Une fois la graine du doute semée dans son esprit, le lien avec les discours du candidat perdant acquiert la force d'une évidence. Ils se préparaient à gagner cette élection, et honnêtement ils ont gagné cette élection : Sophie et Louis sont en couple, ils ont gagné cette épreuve dans la vie d'adulte et il est évident qu'ils vont continuer ensemble, tout le monde le dit. Ensuite, les résultats de ce soir ont été incroyables, ne jamais abandonner, ne jamais abandonner, ne jamais reculer et ne jamais, jamais arrêter de rêver : dix ans de vie commune, c'est déjà une réussite incroyable, Sophie et Louis n'ont aucune raison d'arrêter de rêver, il ne faut jamais abandonner. Le parallèle entre discours de défaite niée et de situation de couple en impasse produit un effet dévastateur : Sophie et Louis sont en train de se mentir pour contenter les personnes autour d'eux. Ils promeuvent cette vérité alternative comme si cela pouvait leur permettre de conserver leur couple, alors qu'ils ressentent, chacun de son côté, au fond d'eux que leur relation arrive à son terme. Il leur reste encore à le verbaliser. le lecteur va alors relire le passage de la salade de tomates : il ressent mieux en quoi l'échange banal sur la composition d'une salade de tomates cristallise tout l'éloignement qui s'est agrandi insensiblement entre les deux compagnons. Au début, c'est étrange de plonger dans l'intimité émotionnelle d'une relation de couple, tout en en étant tenue éloigné par l'absence d'émotions apparentes, faute de représentation des traits de visage sur les personnages. Très vite, c'est le confort d'une relation dans laquelle il n'y a pas de conflit, où l'un et l'autre se connaissent bien, s'apprécient et la tendresse est palpable. La narration visuelle exprime cette douceur douillette au travers de moments banals et insignifiants. L'accumulation de ces petits riens conduit à un brosser très progressivement un constat qui s'impose inéluctablement au couple, qu'ils ressentaient sans le formuler, luttant contre cet état fait de manière passive pour ne pas lui permettre de devenir concret. Une étude relationnelle d'une grande sensibilité et d'une grande subtilité.

14/10/2024 (modifier)