J’écris cet avis au moment où je referme le 6eme tome de cette série et je vous recommande de foncer sur cet ouvrage qui emprunte des codes déjà vu ailleurs mais pour la première fois utilisés en BD à ma connaissance.
Mon commentaire ressemblera peut être aux autres si élogieux mais quand c’est du bon, il faut le dire!
J’ai adoré me plonger dans cette atmosphère si sombre et dégueulasse de RIP.
Le scénario est parfaitement mené (on se croirait dans celui d’un film tant la construction de l’histoire est complète) et on a la chance d’approfondir chaque personnage dans chacun des tomes. C’est en cela que j’ai vraiment été cueillie ! Cette capacité des auteurs a nous amener petit à petit à reconstituer un puzzle d’une situation presque banale à la base en ajoutant petit à petit toute la complexité de l’histoire de chaque personnage.
Sans rire, c’est impossible de se limiter à un apriori sur l’un d’entre eux lorsque l’on découvre certains passages de leurs vies. On a envie d’en detester certains mais on se rends compte qu’il n’y a rien de simple et qu’il ne faut pas toujours rester à la surface des choses.
C’est probablement très naïf d’écrire quelque chose d’aussi bateau mais pour une fois que l’on constate cette complexité dans une bd qui prend le temps de poser les histoires de chacun (et y parvient réellement ) au travers de ces 6 tomes, bah ca mérite d’être dit.
Foncez donc lire cette œuvre et prenez des gants, ça grouille d’insectes !
Roboratif et instructif, cette petite BD souple à l'italienne prend plus de temps à lire qu'on pourrait le croire.
Eldiablo, expatrié français à Montréal, a des tonnes d'aventures du quotidien à partager et j'ai beaucoup appris de cette lecture. Son dessin, très proche du graffiti (graffito ?) est très bavard : le texte des bulles (phylactères ?) prend presque toute la place, et ça donne un effet de débit , comme si l'auteur nous parlait en continu, sans une seconde de silence.
Les couleurs vives, changeantes et peu réalistes accentuent cette impression de vitesse. La faible diversité des personnages (c'est toujours le narrateur qui est représenté avec sa famille ou en situation de décalage par rapport aux habitudes françaises) est un peu lassante mais il faut avouer que le fond informatif et la justesse du phrasé nous tient en haleine, et on n'a pas envie de lâcher, on est avide de chaque nouvelle anecdote québecoise.
J'ai acheté ce tome suite à l'appel à l'aide des éditions Rouquemoute, et je ne suis pas mécontente de mon achat : je prêterai le livre à toute personne qui aurait envie d'aller à Montréal, pour y vivre ou simplement visiter. En revanche je ne vais pas jusqu'à quatre étoiles parce que j'ai une sorte de frustration au niveau du dessin...
Je suis née pour être insouciante.
-
Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une adaptation d’une nouvelle parue en 1924, du romancier Arthur Schnitzler (1862-1931). Sa première publication date de 2009, et il a bénéficié d’une réédition en 2023. Cette adaptation a été réalisée par Manuele Fiore pour le texte, les dessins et les couleurs. Elle comprend quatre-vingt-trois pages de bande dessinée. L’édition de 2023 se termine avec un texte d’une page de Fiore intitulé Sfumato schnitzlerien, et sept pages d’études graphiques.
Dans la station thermale italienne de San Martino, en vacances, Else, une jeune femme de bonne famille, est en train de jouer au tennis avec son cousin Paul, sous les yeux de Cissy Mohr, une autre jeune femme courtisée par son cousin. Ce dernier court pour ramasser la balle, tout en regrettant que sa cousine ne veuille plus jouer. Elle confirme qu’elle n’en peut plus et lui indique qu’elle le retrouvera tout à l’heure. Puis elle salue Cissy d’un très formel Au revoir chère madame. Celle-ci lui répond gentiment de ne pas toujours l’appeler Madame, mais Cissy tout simplement, alors que Paul se tient contre elle. Taquine, Else reformule sa phrase : au revoir, madame Cissy. Cette dernière continue, lui demandant pourquoi elle part déjà, alors qu’il reste deux bonnes heures avant le dîner. Paul tempère et fait remarquer que Else fait du genre, c’est son jour. À l’attention de sa cousine, il ajoute : un genre d’ailleurs qui lui va à ravir, et son pull rouge encore mieux. Taquine, elle rétorque qu’elle espère qu’il aura plus de succès avec le bleu, couleur du pull de Cissy, et elle s’éloigne, sous le regard agacé de ses deux interlocuteurs.
Dans son for intérieur, Else jurerait qu’ils ont une liaison, cousin Paul et Cissy Mohr. Elle espère seulement qu’ils ne la croient pas jalouse, rien au monde ne lui indiffère davantage. Puis elle joue beaucoup mieux que Cissy, et Paul non plus n’est pas vraiment un matador. Il a une si belle allure pourtant. Si seulement il était moins affecté. Tante Emma n’a rien à craindre. Elle ne pense pas à Paul, pas même en rêve. Elle ne pense à personne. Elle n’est amoureuse de personne. Dommage quand même que le beau brun à la tête de Romain soit déjà reparti. Il a l’air filou, disait Paul. Dieu, elle n’a rien contre les filous au contraire. Elle aimerait assez se marier en Italie, mais pas avec un Italien. Villa sur la Riviera, escalier de marbre plongeant dans la mer. Elle, étendue nue sur le marbre. Elle est née pour une vie insouciante. Ah, pourquoi faut-il retourner à la ville ? Else est arrivée au pied de l’escalier menant à la terrasse de l’hôtel : elle croise monsieur Dorsday, vicomte von Eperies, et son épouse. Ils échangent quelques paroles. Il se montre galant ; elle lui fait une remarque insidieuse et piquante sur son âge. Elle pénètre dans les immenses salons de l’hôtel et son flux de pensées reprend. A-t-elle fait la fière ? Non, elle ne l’est pas. Paul l’appelle Altière. Altière et du genre distant, surtout aujourd’hui. À cause de ses règles évidemment ; ça l’élance dans les reins. Cette nuit, elle reprendra du Véronal. Un groom s’approche d’elle, il a un courrier à son attention. Tout en prenant la lettre, elle remarque que son filou est revenu. Elle regagne sa chambre, dénoue ses cheveux et prend connaissance du courrier de sa mère. Il s’agit de son père, et d’une dette pressante.
L’adaptation d’une œuvre littéraire en bande dessinée constitue un genre en soi, avec le risque du mauvais dosage oscillant entre l’intégration de trop de textes du roman, soit une interprétation trop éloignée qui fait perdre le goût de l’original, voire le trahit. Le lecteur entame ce tome et découvre deux dessins en pleine page avec uniquement un personnage en train de courir pour aller ramasser la balle, de gauche à droite dans la page de gauche sur fond blanc, et inversement au retour dans la page de gauche toujours sur fond blanc. L’artiste indique qu’il va proposer une adaptation aérée, ou au minimum sans gros pavés de texte. De même dans les deux planches suivantes, seuls sont représentés les trois personnages. Puis un dessin en double page les montrent discutant avec l’immense complexe hôtelier à quelque distance, et les montagnes en arrière-plan. Au cours du récit, l’auteur réalise cinq pages dépourvues de texte, laissant les dessins parler d’eux-mêmes, porter toute la narration. Le texte se présente soit sous la forme de dialogues, soit sous la forme du monologue intérieur d’Else, des phrases courtes, assez naturelles, bien éloignées de la simple recopie d’un texte littéraire. Fiore ne fait qu’une seule exception : le texte de la lettre initiale de la mère d’Else qui court sur trois pages, avec des illustrations de la largeur de la page venant s’insérer entre deux paragraphes.
Dans le texte en fin d’ouvrage, l‘auteur indique qu’il a choisi cette œuvre pour répondre à une commande d’adaptation d’un éditeur. Après avoir écarté plusieurs œuvres soit trop difficiles soit déjà mainte fois adaptées, il retient cette nouvelle. Il ajoute : après s’être lancé près de quatre fois, il a compris que l’œuvre graphique de Gustav Klimt (1862-1918) allait être son nord, cette ligne en fil de fer qui est la sienne, qui suit les cuisses des femmes, leur découpe des nez pointus et se courbe selon les formes amples de ses modèles. Il ne réalise pas des tableaux de Klimt, mais il s’inspire de sa façon de représenter les êtres humains. Il utilise des traits de contours très fins, parfois comme tremblés ou mal assurés, ou tracés sous l’inspiration du moment sans avoir été repris pour être consolidés. Cela donne parfois des représentations un peu naïves, un point pour figurer un œil dans un visage ou des yeux écarquillés trop ronds et trop grands, quelques vagues traits pour la barbiche clairsemée de Dorsday, ou au contraire la sensation de percevoir l’état d’esprit du personnage. Le lecteur se dit que cette façon de représenter les individus correspond à la perception subjective qu’en a Else elle-même. Sa propre délicatesse avec son visage épurée et doux, l’âge de monsieur Dorsday avec son visage asymétrique et marqué, ses trois cheveux sur le dessus du crâne, son corps lesté par un gros ventre, la tante avec son air revêche et repoussant comme si elle était incapable de ressentir la détresse qui émane de sa nièce, etc.
Ces traits de contour fins et fragiles sont habillés par des aquarelles qui leur apportent de la consistance, des nuances changeantes, des couleurs naturelles ou bien des impressions de lumière. En fonction de la séquence, du moment de la journée, de l’état d’esprit d’Else, un visage peut aussi bien être de couleur chair, que jaune, ou taupe, ou encore gris. De la même manière, l’aquarelle pare les décors de consistance, soit en venant occuper l’espace délimité par les traits de contour, soit en couleur directe. Passés les quatre dessins en pleine page sur fond blanc, le lecteur découvre le paysage de l’hôtel se détachant sur la ligne de montagne, un trait délimitant le contour du bâtiment, des portes fenêtres et des fenêtres, le pinceau donnant corps aux poutres apparentes, à la rangée d’arbres devant le bâtiment, à celle derrière de couleur plus sombre, ainsi qu’aux pentes de la montagne. Les images emmènent le lecteur sur le court de tennis avec son filet comme quadrillé au crayon, sur les marches menant à la très longue terrasse de l’hôtel, sous les lustres des salons très hauts de plafond, dans la chambre juste esquissée d’Else, de retour dans les salons maintenant teintés d’une nuance verte alors que la soirée commence, puis à l’extérieur dans des teintes bleutées et grises alors que la nuit commence à tomber, sur les rives rougies d’un lac avec de nombreux voiliers, etc.
L’intrigue s’avère fort simple : Else est mandatée par ses parents restés aux Pays-Bas pour demander un prêt urgent de trente mille guldens à monsieur Dorsday, vicomte von Eperies, pour rembourser une dette dans les deux jours. Celui-ci accepte à une condition : pouvoir la contempler nue un quart d’heure. Acceptera-t-elle de se soumettre à cette exigence infâmante et ainsi sauver son père ? Ou refusera-t-elle pour conserver sa dignité au risque de condamner son père ? Un suspense binaire. Les auteurs, le romancier et le bédéiste, mettent admirablement en scène à la fois l’entrée dans l’âge adulte avec ses compromis, à la fois le tourment psychologique de la toute jeune femme. La lettre de la mère, reproduite dans son intégralité, constitue un exercice exemplaire de manipulation coercitive sous les dehors d’une demande gentille d’un menu service aussi banal que dérisoire, sur les plans affectif, émotionnel et psychologique. Voilà que la fille a le pouvoir de vie et de mort sur son père, ou plutôt la responsabilité afférente, ce qui constitue une inversion de la responsabilité des parents envers les enfants. Aussi bien les parents que monsieur Dorsday illustrent la maxime que l’âge et la traîtrise auront toujours raison de la jeunesse et du courage.
Dès la première séquence, le lecteur a conscience que la jeune demoiselle est ballotée par les injonctions sociales à trouver un mari et par ses hormones. D’un côté, elle ressent le fait de devoir bientôt se trouver un mari, devoir accepter les avances d’un homme qu’elle ne pourra au mieux que choisir par défaut, au pire qui lui sera imposé, tout en défendant sa vertu contre toutes les tentations. Elle a déjà pu constater l’effet que la présence physique de son corps habillé a sur les hommes, le pouvoir de séduction que cela lui confère et les avantages qu’elle peut en retirer. Dans le même temps, elle a compris que se montrer nue à Dorsday équivaut à faire de son corps, d’elle-même, une simple marchandise vendue pour de l’argent, un produit ayant une valeur économique dans un système capitaliste. D’un autre côté, elle fait l’expérience qu’elle ne peut pas concilier toutes les injonctions sociales qui pèsent implicitement la femme qu’elle est. Pouvoir faire l’expérience d’être amoureuse, et faire un bon mariage ou un mariage de raison. Accepter son corps sexué et la sexualité qui va avec, et rester pure. Sauver son père au prix d’être souillée par le regard d’un quinquagénaire libidineux et riche, et préserver sa vertu, sa virginité comme les convenances l’exigent. Conserver son intégrité psychique et sauver son père. Personne ne peut ressortir indemne d’autant de doubles contraintes. Comment devenir adulte dans une telle situation ? Comment construire sa propre voie, sa manière personnelle de faire ?
Adapter Arthur Schnitzler en conservant toute sa finesse et ses subtilités : un beau défi, relevé avec élégance par Manuele Fiore. Une bande dessinée à la narration visuelle sophistiquée et élégante, exprimant en douceur feutrée toutes les dimensions du conflit psychique se déroulant dans l’esprit d’une jeune femme estimant qu’elle est née pour être insouciante.
Mon coup de cœur 2024.
(2023 Blacksad - pas découvert plus tôt).
Irrévérencieux, scénario béton, personnages décalés, pas de temps morts.
Et, cerise sur le gâteau, le second tome est tout aussi excellent que le tome 1.
Hâte de lire la suite.
Quand il tombe, l'arbre fait deux trous. Celui dans le ciel est le plus grand.
-
Ce tome constitue une courte biographie poétique du chanteur Félix Leclerc (1914-1988), auteur-compositeur-interprète, poète, écrivain, animateur de radio et de télévision, scénariste, metteur en scène et acteur québécois. Sa publication date de 2019. Il a été réalisé par Christian Quesnel pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comporte quarante-huit pages de bande dessinée. Il commence avec une courte introduction de Martin Leclerc, son premier fils. Vient ensuite un texte d'avant-propos de deux pages, rédigé par l'auteur. En fin d'ouvrage se trouvent la liste des pièces musicales évoquées, au nombre de vingt-quatre, ainsi qu'une liste des sources d'inspiration.
Dans la préface, Martin Leclerc constate que son père est décédé depuis plus de trois décennies et que son œuvre inspire encore la jeunesse. Dans l'avant-propos, l'auteur évoque l'usage qu'il fait de la parole de Félix Leclerc dans les phylactères et les cartouches bleus, ce qui expose le lecteur à la vie de Félix, mais aussi à certaines de ses œuvres. Puis il indique qu'il a mis à profit les documents laissés des témoins précieux. Il ajoute que ce projet sur Félix Leclerc lui a permis de travailler avec l'Orchestre symphonique de Gatineau, le maestro Yves Léveillé, l'orchestrateur Yves Marchand et l'historien amateur Raymond Ouimer pour créer un concert multimédia autour du récit graphique.
Le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire, cette sombre journée, c'est comme si toute la vie de Félix l'y avait préparé. Un oiseau s'envole dans le ciel. Il va se poser sur la tête d'un homme assis sur une chaise, le dos courbé comme par un grand poids. Tu ne sais pas voler, tu vas tomber, tu es maladroit, l'air n'est pas pour toi, balourd, n'a-t-on cessé de lui crier. Et l'oiseau eut peur. Il n'a pas osé. Il est resté sur terre tristement. Et il a haï l'azur, et il n'a jamais vu les hauteurs. Son amour et sa soif du pays, Félix les a toujours placés au cœur de son œuvre, laquelle est à l'origine du printemps de la chanson québécoise. La neige qui fond, l'étang dans son petit lit qui boit le soleil, la scie ronde qui chante chez le voisin, la corneille qui est revenue, une hache, un tas de bois à bûcher, la moutonne qui a eu ses petits, la semence qu'on sort des greniers, les premiers pissenlits sur les buttes, l'odeur de l'érable… S'il n'y a pas de ces matins-là au Paradis, ça va jaser du côté des habitants. Les manches de guitare se confondent avec le tronc des érables, le cerf s'éloignant dans le lointain. À l'approche de l'automne, on baisse la voix, au printemps on parle fort. Un homme chaudement vêtu, s'appuie sur la cognée de sa hache, en regardant un oiseau s'envoler au-dessus d'un champ. Félix naît le 2 août 1914, à la Tuque, en Mauricie. Sixième d'une famille de onze enfants, il grandit dans un milieu peuplé de draveurs et de bûcherons, mais aussi bercé par la musique et la tendresse. Suis pas un dur, suis pas un mou, suis un doux. L'amour se passe de cadeaux mais pas de présence. Chaque pomme est une fleur qui a connu l'amour.
L'auteur a donc indiqué que chaque page ou double page ferait dialoguer un élément biographique de la vie du chanteur, avec une brève citation de lui et un tableau ou quelques cases évoquant une chanson ou une image de Félix Leclerc. Effectivement, l'ouvrage comporte douze illustrations en pleine page, et quatre en double page. Au maximum il se trouve quatre cases sur une même page. Pour autant, le lecteur éprouve plus la sensation de lire une bande dessinée qu'un texte illustré. Il y a la progression chronologique de la vie du chanteur, des images qui racontent une histoire, des compositions en double page où l'œil lit les éléments visuels de gauche à droite comme ordonnés sur un fil narratif. La première illustration montre un oiseau, certainement une alouette, en plein vol sur un fond de page blanche. L'oiseau vient se poser sur la tête du poète prostré sur sa chaise, après avoir pris connaissance des résultats du référendum. le motif de l'oiseau, une alouette ou d'autres, revient tout du long du récit. En page neuf, les ailes grandes écartées pour aller plus haut dans le ciel. En page dix sur un branche, avec un mini Félix Leclerc encore enfant, monté sur son dos. En page trente, volant entre les troncs de bouleaux. Faisant la liaison entre les pages trente-deux et trente-trois, comme il fait également pour les pages trente-six et trente-sept mais en sens inverse de droite à gauche. Mort étendu sur le sol en page trente-huit. À plusieurs moments de son vol en page quarante-neuf. Un vol d'outardes en page cinquante-et-un, observé par un garçon.
Tout du long de l'album, l'œil du lecteur est attiré par la faune et la flore du Québec. Un renne en pages huit dans les bois, un autre sur la tour Eiffel en page seize. Encore un en page vingt-neuf dont les bois semblent engendrer un halo fantasmagorique dans leur sillage. En page huit des manches de guitare forment les arbres d'une forêt, avec des gobelets pour en recueillir la sève. Lors des années parisiennes, la chevelure de Félix semble voir se développer comme des branches en hiver, comme s'il lui poussait de nouvelles ramures générées par ses expériences en France. de retour au Québec, la nature reprend son importance primordiale : une forêt de bouleau, l'île d'Orléans dans l'embouchure du fleuve Saint Laurent, avec ses côtes, les petits bateaux de pêche à moteur, les zones marécageuses, le scintillement de la lumière sur le fleuve, une vision onirique des plantes aquatiques sous-marines comme une longue chevelure folle, le bleu de l'eau répondant au bleu du ciel, etc. Dès la première page, le lecteur se rend compte que l'histoire du Québec est également présente en filigrane. L'auteur entame sa biographie par : le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire… Il appartient au lecteur soit d'être familier avec l'importance de cet événement dans l'histoire du Québec, soit d'aller se renseigner pour comprendre l'importance qu'il revêt pour Leclerc. À savoir le premier référendum relatif au projet de souveraineté du Québec ; il a été organisé à l'initiative du gouvernement du Parti québécois (PQ) de René Lévesque, l'un des événements majeurs de l'histoire du Québec contemporain.
Au fil de la vie de Félix Leclerc, apparaissent d'autres marqueurs temporels et culturels. Sa date de naissance bien sûr, et en fin d'ouvrage la date de sa mort, mais aussi le début de ses études à Ottawa en 1931, ses débuts à Radio-Canada, son premier mariage en 1942, le début du succès dans les années 1950 grâce à l'accueil que lui réserve la France, ce qui sera suivi par sa reconnaissance au Québec, son influence sur la génération suivante de chanteurs compositeurs français et belges Guy Béart (1930-2015), Léo Ferret (1916-1993), Georges Brassens (1921-1981) et Jacques Brel (1929-1978), son second mariage en 1969, la crise d'octobre en 1970 (enlèvement d'un attaché commercial britannique, enlèvement et meurtre du ministre provincial du travail Pierre Laporte au Québec, par le Front de Libération du Québec), la Superfrancofête d'août 1974 sur les plaines d'Abraham à Sainte-Foy à Québec avec la participation de Gilles Vignault (1928-), Félix Leclerc (1914-1988) et Robert Charlebois (1944-) pour le spectacle J'ai vu le loup, le renard, le lion, le 13 août 1974. Dans ses paroles le chanteur rend hommage à sa province, que ce soient ses paysages, ou des métiers spécifiques comme celui de draveur.
Après avoir pris connaissance de l'avant-propos, le lecteur sait que l'auteur va évoquer brièvement quelques dates et faits biographiques de Félix Leclerc, et qu'il va surtout se consacrer à l'évoquer par ses mots et par les images qu'ils engendrent. le lecteur va découvrir Félix Leclerc au travers de la vision et du ressenti qu'en a Christian Quesnel, bédéiste originaire de la région du Outaouais au Québec. Il réalise des illustrations à l'encre et à la peinture, amalgamant parfois des images entre elles, jouant à la frontière de l'impressionnisme, de l'expressionnisme, du collage. Les couleurs expriment le ressenti ou l'état d'esprit du chanteur. Les dessins naviguent entre représentation descriptive pour une voiture, pour un bâtiment, un télésiège dans une station de ski, et des visons oniriques comme une licorne, une guitare avec une chevelure, des mains formant une coupe contenant de l'eau et un petit bateau de pêche à sa surface, l'image récurrente d'une femme en train de danser. L'artiste choisit la technique qui correspond le mieux à ce qu'il souhaite exprimer : formes détourées à l'encre, peinture, écriture manuscrite pour en fond de case avec des bribes de parole de chanson, photographie de famille tracée, dessin au crayon pour une rue de Paris, fond de case en motif de cercles de couleur, trame de fond avec un texte tapé à la machine à écrire, surimpression de deux images décalées, etc. Une grande richesse visuelle avec une vision d'ensemble qui assure une cohérence tout du long.
L'auteur évoque l'héritage de Félix Leclerc. Succinctement par quelques éléments biographiques, quelques événements historiques. Culturellement par des citations succinctes de texte de ses chansons, et la mise en valeur de la province du Québec. Affectivement et émotionnellement par une narration visuelle qui lie texte et image, qui se fait poétique et onirique, donnant à voir la représentation du monde et plus particulièrement du Québec telle que l'œuvre de Félix Leclerc en brosse le portrait partial de la terre qu'il porte dans son cœur.
Que dire qui n'ait déjà été dit ?
Bien sûr, on l'a compris, Inexistences n'est pas une bande dessinée classique. C'est davantage un album conceptuel, qui nous mélange les codes de la peinture, de la bande dessinée et de la narration romanesque. On ne s'attendra donc pas à un scénario à proprement parler, et on fera bien, car de scénario, point. Et pourtant, on ne s'ennuie pas un instant !
Il faut dire que graphiquement, l'auteur-dessinateur a vraiment mis le paquet ! Sur des doubles pages-doubles (donc 4 volets), Bec nous propose des illustrations absolument fascinantes, dans lesquelles on se plonge avec un plaisir certain. J'ai toujours adoré le Bec dessinateur, et même si les dessins qu'il nous offre ici n'ont pas forcément la finesse de l'exceptionnel Sanctuaire avec ses fameux jeux d'ombres, ils n'en restent pas moins grandioses et somptueux. Chaque nouvelle image nous fait ressentir de nouveaux sentiments, de nouvelles émotions, et emmène notre âme toujours plus loin dans cette sombre odyssée en forme de flash-forwards.
C'est le principal intérêt de cette "bande dessinée", qui nous propose par ailleurs une réflexion assez sommaire sur la fin du monde. Rien de très original ici, dans la post-apocalypse mise en scène par Bec. On a une évocation des traditionnelles guerres technologiques, d'une apocalypse classique qui fait passer brutalement l'Humanité de l'ère du high-tech à un quasi-retour au Moyen-Âge. Pour autant, on ne songerait à le reprocher à Bec, car on a bien compris qu'il ne cherche pas ici l'originalité.
Tout ce qu'il souhaite faire, c'est nous émerveiller tout en nous racontant les sinistres événements d'une apocalypse inévitable, que l'on souhaiterait pourtant éviter à tout prix. Et là-dessus, le pari est réussi. Je m'en voudrais peut-être un jour d'avoir écrit cette phrase, mais j'ai pris un plaisir étrange et fascinant à me plonger dans cette post-apocalypse sombre et déshumanisée.
Et finalement, n'est-ce pas là le but de cette grande oeuvre d'anticipation, de cette monumentale somme artistique ? N'est-ce pas là, peut-être, tout le paradoxe de l'Art ? Rendre l'horreur belle sur le papier pour la rendre moins désirable dans la réalité ? Car je me replongerai toujours avec un immense plaisir de cette magnifique oeuvre. Mais pour rien au monde, je ne souhaiterai y vivre un jour.
Belle ambiguïté que Christophe Bec saisit à merveille pour nous révéler page après page, ce qu'il est ici plus que jamais.
Un Artiste.
Avec un très grand A.
Une bande-dessinée matrimoniale.
Je ne peux que remercier Trina Robbins d'avoir ressuscité ces autrices des années folles. Et un grand bravo à Bliss Comics pour la qualité du bouquin au format franco-belge, mais un prix qui pourra en freiner plus d'un.
Trina Robbins, après un gros travail de recherche, nous propose de découvrir des autrices de talent du début du XXe siècle. Des autrices qui ont croqué une révolution avec l'apparition des Flappers, un mot qui désigne des jeunes femmes indépendantes au début des années 1920, les garçonnes. Un changement vestimentaire puisqu'elles vont quitter leurs corsets, les robes se raccourcissent jusqu'à atteindre les genoux et les cheveux longs font place à des coupes juste en dessous des oreilles. Une révolution !
Un bouleversement que l'on doit à la première guerre mondiale, les femmes ont quitté leur foyer pour contribuer à l'effort de guerre. Elles travaillent dans les usines, dans le médical ou même sur le front en tant qu'infirmières, elles ont goûté à l'indépendance et elles ne veulent pas faire machine arrière.
Une période qui verra la même année, 1919, la ratification de deux amendements, celui de la prohibition et celui du droit de vote aux femmes.
C'est ces aventures de garçonnes que racontent les autrices, des strips qui étaient publiés dans les journaux.
Une préface et une présentation de chaque autrice de Trina Robbins.
On va d'abord faire la connaissance de Nell Brinkley pour ouvrir le bal, la tête de proue du mouvement des Flappers. C'est sous crayon que l'on voit pour la première fois une jolie jeune femme dessinée par une femme. Sur plus de cinquante pages, on va découvrir plusieurs de ses Brinkley Girls sur des pleines pages en couleurs dans un style art nouveau. Un dessin qui m'a surpris par la qualité du trait tout en finesse, par le soin apporté aux détails et par la sensualité des personnages féminins. Des planches où les images sont agencées entre elles. Aucun phylactère, juste du texte, numéroté pour le sens de la lecture, qui décrit l'action et les états d'âme des protagonistes. Des histoires simples avec des garçonnes de moins en moins prudes au fil des pages. Des strips publiés de 1925 à 1930.
Place à Eleanor Schorer (5 pages) et les aventures de Judy, sur un ton humoristique. Des strips en noir et blanc au trait fin, élégant et légèrement caricatural. Une belle surprise.
Ensuite c'est Édith Stevens qui, sur 10 planches, nous régal de son dessin en noir et blanc, tantôt réaliste, tantôt caricatural, on a droit à un véritable défilé de mode, les chapeaux sont mis en avant. Un univers uniquement féminin, les situations cocasses sonnent juste et le ton est souvent drôle. Pas mal.
Et voilà Ethel Hays, avec de superbes planches (21) en couleurs agencées façon Nell Brinkley. Hays revendique avoir été influencée par cette dernière, mais son style tient plus de l'art déco, son trait est plus anguleux et sa colorisation moins exubérante. Superbe !
Des strips qui mettent en avant la mode et le quotidien de ces garçonnes. Des planches datant de 1928 à 1932.
Puis sur 11 pages, des strips toujours aussi mordants en noir et blanc publiés entre 1926 et 1928.
Maintenant, c'est Fay King qui croque ces garçonnes sur 6 pages dans un style où la caricature et le réalisme se répondent. Un noir et blanc très plaisant à regarder. Un humour qui fait mouche.
Virginia Huget se démarque de ses consœurs par des histoires plus insolentes. Graphiquement, Huguet est difficilement classable puisque certaines planches empruntent à Nell Brinkley, tandis que d'autres à Ethel Hays dans le style, la mise en scène et les couleurs, mais avec des personnages aux postures singulières. Enfin, on aura droit aussi à des saynètes avec un découpage en gaufrier et même à des phylactères où Huguet se moque de la publicité. Jubilatoire.
Vingt planches de 1927 à 1936.
Enfin, c'est Dorothy Urfer qui ferme le bal sur quatre pages. Des strips humoristique sur les relations amoureuses. Un noir et blanc avec beaucoup de charme, au trait fin, précis et expressif. Vraiment bien.
Maintenant il faut fermer la salle de bal et c'est Nell Brinkley qui va s'en charger. Les temps ont changé, c'est la mort des garçonnes. Six pages publiées en 1937.
En conclusion, je dois reconnaître que je ne connaissais aucune de ces dames avant cette lecture, un comics qui m'a fait remonter le temps, j'ai pris grand plaisir à côtoyer ces jeunes femmes à la coupe au carré, aux longues jambes et aux lèvres rouges incendiaires qui boivent et qui fument. Une lecture qui m'a donné envie de danser le charleston, moi qui suis un piètre danseur.
Gros coup de cœur.
J'ai eu du mal à quitter cette série tellement je me suis attaché au destin de Hakim et de son fils Hadi. J'avais déjà été séduit par ma précédente lecture de Fabien Toulmé avec son récit autobiographique de la naissance de sa seconde fille. L'auteur reste dans une narration biographique qu'il maîtrise à merveille. En effet le récit du voyage d'Hakim et de son fils de un an est passionnant en lui-même mais la qualité de la narration de Toulmé donne une dimension supplémentaire à cette dramatique aventure. Fabien Toulmé se range incontestablement parmi les meilleurs conteurs d'histoires de la BD de langue française actuelle. L'auteur ne s'éparpille pas et reste du début à la fin dans les limites de son sujet. Il veut nous faire découvrir l'histoire d'un réfugié migrant tout en sachant qu'il en existe mille autres plus "simples" (comme la famille de son épouse) ou plus dramatiques comme ces pauvres personnes violées, asservies en esclavage ou tuées sur leur route de l'espoir. Hakim lui est présenté par une amie journaliste. En frappant à sa porte il ne connait rien de lui comme nous quand nous ouvrons le T1. Simplement Toulmé se met à l'écoute d'un récit pour nous le transmettre tel quel, sans tricherie ni biais autre que celui de la langue. Jamais Toulmé ne verse dans le sensationnalisme ou le pathos facile. Il n'en a pas besoin tellement le déroulé du voyage du gentil Syrien porte sa propre tension dramatique. Hakim et son fils vont de l'avant montrant une résolution à vaincre l'adversité qui laisse le lecteur sans voix. Toulmé réussit la prouesse de synthétiser ces dizaines d'heures d'écoutes en un récit d'une fluidité cristalline.
Le ton est toujours juste sans jugement de valeur, la bêtise, la cruauté et l'injustice s'étalant d'elles-mêmes sans que l'auteur aie besoin d'en rajouter. Les trois tomes sont d'un égal niveau même si personnellement j'ai trouvé la T2 au summum d'un récit dramatique.
Graphiquement cette traversée d'un petit bout de la mer Egée restera longtemps gravée dans ma mémoire. La scène est très statique puisque personne ne peut bouger dans le Zodiac.
Pourtant, grâce au sublime des expressions des passagers (et surtout celles du petit Hadi) Toulmé parvient à nous faire sentir cette houle menaçante et cette eau glaciale qui envahit petit à petit la frêle embarcation. Ce passage rend le récit de Toulmé universel puisqu'il présente les deux fins possibles d'une telle situation ; la noyade ou le sauvetage. Car dès le début de cet insensé départ avec un petit de un an il n'y a pas d'autres alternatives : la noyade en mer, dans un camps ou sur le bord d'une route à la suite d'une mauvaise rencontre ou le sauvetage de toute une famille à Aix ou à Dortmund.
Toulmé hisse sa série au niveau des plus grands récits. Elle s'inscrit dans un environnement précis mais peut être lu comme l'universelle tragédie des déracinés de tous les siècles passés ou à venir.
Une lecture passionnante tout en justesse et en sensibilité. Un must.
Voilà une bande dessinée qui promet un concept intéressant ! Emmanuele Arioli est connu pour avoir mis au jour un récit méconnu de la Table ronde : Ségurant ou le chevalier au dragon. Et s'il prend ici quelques libertés, visiblement (Ségurant devenant Sivar), il nous propose donc une relecture du propre travail qu'il a mené pendant 10 ans à la recherche d'un mythe méconnu de la Table ronde.
Evidemment, pour ma part, je suis incapable de discerner les ajouts pour la bande dessinée des péripéties réelles du récit originel. Quoiqu'il en soit, j'ai été plutôt séduit par ce récit de fantasy médiévale très classique. On peut toutefois lui reprocher dans une certaine mesure ce classicisme, qui aligne des péripéties pas toujours très intéressantes, et surtout de manière très mécanique. Ce n'est pas mauvais, mais on connaît un peu le processus, au bout d'un moment...
Ce qui m'a gêné, c'est surtout les incursions d'un humour déplacé dans un récit qui tenait parfaitement sans cela. On ne comprend pas pourquoi l'auteur s'amuse avec des gags, qui ne sont jamais très pertinents. Un peu comme si Alex Alice avait essayé de glisser de l'humour à la Kaamelott dans son merveilleux Siegfried... Je ne fais pas la comparaison au hasard, car je trouve qu'Alice a réussi là où Le Chevalier au dragon est à la peine. Contrairement à Siegfried, ici, peu voire pas de noblesse. Arioli reste trop souvent terre-à-terre et son humour l'empêche d'aller sur un autre terrain, où on l'aurait pourtant largement attendu. En peinant à glisser un véritable et profond souffle romanesque dans son récit, l'auteur fait tendre finalement son (excellent) travail de vulgarisation vers une simple bande dessinée, peut-être au ton assez comics, mais guère plus.
Mais malgré ces quelques défauts, la grande bonne surprise de cet album, c'est le dessin. En effet, Emiliano Tanzillo nous offre des images vraiment somptueuses, très stylisées. Il réussit à merveille à capter l'essence du récit pour la restituer à travers des images qui, elles, ne manquent pas toujours d'ampleur. C'est aussi ce qui m'a rendu indulgent avec cette bande dessinée, certes réussie, mais qui a parfois du mal à trouver sa voie.
Et finalement, en refermant le tome, on se rend compte qu'on a passé un bon moment. Et même si on ne s'en souviendra pas longtemps, on en est déjà largement satisfait.
Un pays capable d'évoluer
-
Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, ne nécessitant pas de connaissance préalable. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Simon Coleby, avec une mise en couleurs réalisée par John Kalisz. Les splendides couvertures iconiques ont été réalisées par Francesco Francavilla. Le tome se termine avec une postface de 4 pages rédigée par Garth Ennis, explicitant au travers d'une anecdote les choix qu'il a effectués et la part de vérité historique du récit. Il contient aussi les couvertures alternatives réalisées par Brian Stelfreeze, Phil Hester, Declan Shalvey, le script d'Ennis pour le premier épisode, et les recherches graphiques de Francavilla pour la composition des couvertures.
En 1966, à New York ou à Chicago, Reggie Atkison prend l'air sur le pas de porte de son bar le Silver Pony. Il voit son fils Lee rentrer en catimini en passant par derrière. Il le rejoint dans la pièce qui sert de réserve et de toilettes. Il constate qu'il est blessé, et qu'il a un cocard à l'œil droit. Il comprend qu'il s'est rendu à une marche menée par Martin Luther King (1929-1968) et qu'il s'est battu contre des blancs qui les ont insultés avec un terme raciste. Son fils estime que ça valait le coup de les entendre hurler de douleur, alors que son père condamne cette action violente. Lee lui rétorque qu'il a bien tué des hommes pendant la guerre, même s'il s'agissait de soldats nazis ce qui n'excuse rien. Reggie lui répond qu'il n'avait l'impression qu'il s'agissait d'êtres humains, qu'il tirait sur des avions, par sur des hommes. La nuit, Reggie ne dort pas, repensant à un combat aérien pendant la seconde guerre mondiale, quand il était un pilote dans l'un des 4 escadrons de chasse du 332d Fighter Group, après avoir appris à piloter à l'école de vol de Tuskegee dans l'Alabama. Il repense à ce pilote allemand qu'il a vu s'éjecter de son cockpit avec son parachute.
Le lendemain, Lee fait mine de faire amende honorable en repeignant la palissade. Il discute avec Alison, sa mère, qui est assise sur la véranda en train de siroter de la limonade. Il se plaint du comportement de son père qui ne le laisse pas se battre pour ses droits. Alison rentre dans le bar et explique à son mari ce qui mine leur fils. Elle insiste doucement sur le fait que Lee a le droit de savoir qui est son père, d'en apprendre plus sur ce qu'il a fait pendant la guerre. Le soir, Lee est toujours en train de repeindre la palissade. Son père l'interpelle depuis la véranda, il a amené 2 bières et en tend une à son fils, assez décontenancé que son père lui propose de l'alcool. Reggie Atkinson a pris la décision de raconter à son fils comment c'était à l'armée quand il était un pilote pendant la seconde guerre mondiale, parce qu'il ne veut pas lui mentir, même par omission.
C'est la deuxième histoire coup sur coup que Garth Ennis écrit au sujet d'un aviateur pendant la seconde guerre mondiale, la précédente étant Johnny Red: The Hurricane (2015/2016) avec Keith Burns. Il s'agissait alors d'un personnage de fiction de la bande dessinée anglaise auquel il rendait hommage. Cette fois-ci, il rend hommage à un corps de pilotes américains ayant réellement existé. Il explique dans la postface qu'il a pris le parti de raconter des faits réels, mais en mettant en scène des personnages fictifs, à une ou deux exceptions près. Il a donc effectué un travail de recherche conséquent à la fois sur l'escadron de chasse du 332d Fighter Group, à la fois sur les avions utilisés à l'époque, allant même jusqu'à profiter de l'occasion de voler dans l'un d'eux, un modèle Curtiss P-40 Warhawk (ce qui lui permit de comprendre la problématique de visibilité). Pour les personnages, il préfère mettre en scène des individus à qui il peut faire dire ce qu'il souhaite en tant qu'auteur, plutôt qu'une recréation forcément faussée, au risque de placer des opinions faisant contresens par rapport à l'individu concerné. La plus grande exception à cette règle réside dans Benjamin Oliver Davis (1912-2002), du fait de son rôle crucial dans la gestion desdits escadrons.
Garth Ennis donne l'impression de commencer de manière assez pataude, avec cette mise en écho de la situation du fils Lee souhaitant combattre pour ses droits civiques, et la démarche similaire de son père 20 ans plutôt. Le parallèle ainsi établit débouche sur une soirée confession, au cours de laquelle le paternel déballe tout à son fils, dans une forme de confession artificielle. Le lecteur identifie là une construction romanesque pour créer cette résonnance entre les 2 situations. La dramatisation se trouve ainsi un peu appuyée dans le premier épisode. Pour autant, le dispositif ne rate pas complètement son objectif car dans le même temps, Ennis se montre plus sensible que d'habitude dans sa caractérisation du fils et de sa relation au père. Il ne s'agit pas d'un jeune chien fou en opposition de principe à la position paternelle, mais plutôt d'un jeune homme engagé qui souhaite l'approbation de son père. Dans les dernières pages du premier épisode, le lecteur en oublie jusqu'au dispositif alors qu'il se plonge dans l'histoire de Reggie Atkinson. Du fait des détails intégrés dans la narration, il comprend, s'il ne le sait déjà, qu'il s'agit d'une reconstitution historique de faits réels.
Ce n'est pas la première fois que des comics traitent de l'engagement d'afro-américains dans la seconde guerre mondiale, pour un pays pratiquant encore la ségrégation avec les lois dites Jim Crow, voir par exemple l'étonnant Captain America: Truth (2003) de Robert Morales & Kyle Baker. Mais ici, l'auteur réussit à la perfection la dimension biographique, sur fonds historique. Simon Coleby est un artiste qui a précédemment travaillé pour l'hebdomadaire 2000 AD, par exemple sur des histoires de Judge Dredd. Il réalise des dessins de type réaliste, avec un bon niveau de détails. Par la force des choses, il a investi beaucoup de temps dans la recherche de références de matériels militaires, à commencer par les uniformes, et surtout les avions de chasse, car Ennis en laisse passer aucun écart, aucune erreur en termes de reconstitution. Le lecteur apprécie que l'artiste se tienne éloigné des trucs et astuces pour dramatiser les situations de manière artificielles, tels que les cadrages ou les postures exagérées des personnages. Les différents protagonistes présentent des morphologies normales, et effectuent des mouvements mesurés d'adulte. Sans tomber dans le photoréalisme, Coleby s'investit pour représenter les décors avec une grande régularité, là encore en veillant à la conformité historique. Le lecteur peut donc se projeter à chaque endroit et côtoyer des individus qui lui semblent réels, et pas des icônes ou des idéalisations d'êtres humains. John Kalisz utilise une palette de couleurs un peu sombre, avec des bruns et des gris. Cela n'aboutit pas à une sensation cafardeuse, mais à une ambiance lumineuse réaliste.
S'il a suivi la carrière de Garth Ennis, le lecteur se rend compte qu'il a fait des efforts impressionnants pour proscrire les longues scènes de copieux dialogues, au profit d'une narration plus naturaliste. Il répartit les informations de manière plus fluide et naturelle, à la fois dans les séquences de dialogue et dans les scènes de combat. Simon Coleby fait preuve d'une grande maîtrise de la mise en scène, évitant les plans trop basiques de têtes en train de parler, pour des plans de prise de vue plus enveloppant, montrant l'environnement dans lequel se trouvent les interlocuteurs, ainsi que leurs gestes. Il doit également représenter des combats aériens à plusieurs reprises, ce qu'il fait avec une grande clarté. Il joue sur les angles de vue, la profondeur de champ et le positionnement respectif des avions de chasse et des bombardiers pour rendre compte de leurs mouvements, de leurs attaques, de leur avancée relative, dans des séquences compréhensibles au premier coup d'œil, qui se passent d'explication dans les récitatifs.
Le lecteur plonge donc dans une reconstitution historique de qualité, aux côtés de Reggie Atkinson, jeune homme afro-américain, bien décidé à participer à l'effort de guerre et à prouver qu'un afro-américain fait un aussi bon pilote qu'un blanc. Garth Ennis évoque, comme il sait si bien le faire, l'organisation militaire, ainsi que les caractéristiques des différents modèles d'avion de chasse, et les tactiques de combat aérien, lui aussi de manière parfaitement intelligible. Même s'il n'éprouve pas de goût particulier pour lesdits combats, le lecteur se surprend à s'impliquer émotionnellement dans ces explications qui ont une incidence directe et cruciale sur la vie de ces pilotes. Au travers des réflexion de Reggie et de ses collègues, il comprend comme eux les enjeux du convoyage de bombardiers, ou d'affrontements contre des avions allemands. Il les écoute parler des informations partielles glanées sur les changements de commandant de la base, sur leurs prochaines missions, leurs prochaines affectations, sur les auditions militaires se déroulant aux États-Unis, sur les nouveaux modèles d'avion de chasse mis en service et peut-être bientôt intégrés au parc de leur base. Il devine comme eux les enjeux liés à l'existence d'un escadron de pilotes de chasse composé uniquement d'afro-américains. Il voit s'exprimer le racisme ordinaire, ainsi que les idées puantes du KKK reprises par un ou deux militaires. Il perçoit la pertinence des choix narratifs de l'auteur qui peut ainsi mettre en évidence les conflits socio-culturels au travers de ses personnages, de manière adroite, au second plan. Ennis ne joue pas sur la dramatisation, ce qui donne plus de force et de conviction à ce qui est montré, et ce qui rend encore plus terrible et réelle la scène de retour au pays, après la fin de période militaire.
Ce récit est à ranger parmi les chefs d'œuvre d'histoire de guerre écrits par Garth Ennis, en particulier aux côtés de Dear Billy (2009, dans la série Battlefields) avec Peter Snejbjerg. Simon Coleby effectue un travail remarquable de reconstitution historique et de direction d'acteurs. Garth Ennis fait preuve d'une écriture en retenue très rigoureuse, entièrement au service de Reggie Atkinson, sans pitrerie, extraordinaire autant pour l'évocation de l'histoire de cet escadron, que pour le contexte et les enjeux socio-culturels de l'époque.
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
RIP
J’écris cet avis au moment où je referme le 6eme tome de cette série et je vous recommande de foncer sur cet ouvrage qui emprunte des codes déjà vu ailleurs mais pour la première fois utilisés en BD à ma connaissance. Mon commentaire ressemblera peut être aux autres si élogieux mais quand c’est du bon, il faut le dire! J’ai adoré me plonger dans cette atmosphère si sombre et dégueulasse de RIP. Le scénario est parfaitement mené (on se croirait dans celui d’un film tant la construction de l’histoire est complète) et on a la chance d’approfondir chaque personnage dans chacun des tomes. C’est en cela que j’ai vraiment été cueillie ! Cette capacité des auteurs a nous amener petit à petit à reconstituer un puzzle d’une situation presque banale à la base en ajoutant petit à petit toute la complexité de l’histoire de chaque personnage. Sans rire, c’est impossible de se limiter à un apriori sur l’un d’entre eux lorsque l’on découvre certains passages de leurs vies. On a envie d’en detester certains mais on se rends compte qu’il n’y a rien de simple et qu’il ne faut pas toujours rester à la surface des choses. C’est probablement très naïf d’écrire quelque chose d’aussi bateau mais pour une fois que l’on constate cette complexité dans une bd qui prend le temps de poser les histoires de chacun (et y parvient réellement ) au travers de ces 6 tomes, bah ca mérite d’être dit. Foncez donc lire cette œuvre et prenez des gants, ça grouille d’insectes !
Wesh Caribou
Roboratif et instructif, cette petite BD souple à l'italienne prend plus de temps à lire qu'on pourrait le croire. Eldiablo, expatrié français à Montréal, a des tonnes d'aventures du quotidien à partager et j'ai beaucoup appris de cette lecture. Son dessin, très proche du graffiti (graffito ?) est très bavard : le texte des bulles (phylactères ?) prend presque toute la place, et ça donne un effet de débit , comme si l'auteur nous parlait en continu, sans une seconde de silence. Les couleurs vives, changeantes et peu réalistes accentuent cette impression de vitesse. La faible diversité des personnages (c'est toujours le narrateur qui est représenté avec sa famille ou en situation de décalage par rapport aux habitudes françaises) est un peu lassante mais il faut avouer que le fond informatif et la justesse du phrasé nous tient en haleine, et on n'a pas envie de lâcher, on est avide de chaque nouvelle anecdote québecoise. J'ai acheté ce tome suite à l'appel à l'aide des éditions Rouquemoute, et je ne suis pas mécontente de mon achat : je prêterai le livre à toute personne qui aurait envie d'aller à Montréal, pour y vivre ou simplement visiter. En revanche je ne vais pas jusqu'à quatre étoiles parce que j'ai une sorte de frustration au niveau du dessin...
Mademoiselle Else
Je suis née pour être insouciante. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une adaptation d’une nouvelle parue en 1924, du romancier Arthur Schnitzler (1862-1931). Sa première publication date de 2009, et il a bénéficié d’une réédition en 2023. Cette adaptation a été réalisée par Manuele Fiore pour le texte, les dessins et les couleurs. Elle comprend quatre-vingt-trois pages de bande dessinée. L’édition de 2023 se termine avec un texte d’une page de Fiore intitulé Sfumato schnitzlerien, et sept pages d’études graphiques. Dans la station thermale italienne de San Martino, en vacances, Else, une jeune femme de bonne famille, est en train de jouer au tennis avec son cousin Paul, sous les yeux de Cissy Mohr, une autre jeune femme courtisée par son cousin. Ce dernier court pour ramasser la balle, tout en regrettant que sa cousine ne veuille plus jouer. Elle confirme qu’elle n’en peut plus et lui indique qu’elle le retrouvera tout à l’heure. Puis elle salue Cissy d’un très formel Au revoir chère madame. Celle-ci lui répond gentiment de ne pas toujours l’appeler Madame, mais Cissy tout simplement, alors que Paul se tient contre elle. Taquine, Else reformule sa phrase : au revoir, madame Cissy. Cette dernière continue, lui demandant pourquoi elle part déjà, alors qu’il reste deux bonnes heures avant le dîner. Paul tempère et fait remarquer que Else fait du genre, c’est son jour. À l’attention de sa cousine, il ajoute : un genre d’ailleurs qui lui va à ravir, et son pull rouge encore mieux. Taquine, elle rétorque qu’elle espère qu’il aura plus de succès avec le bleu, couleur du pull de Cissy, et elle s’éloigne, sous le regard agacé de ses deux interlocuteurs. Dans son for intérieur, Else jurerait qu’ils ont une liaison, cousin Paul et Cissy Mohr. Elle espère seulement qu’ils ne la croient pas jalouse, rien au monde ne lui indiffère davantage. Puis elle joue beaucoup mieux que Cissy, et Paul non plus n’est pas vraiment un matador. Il a une si belle allure pourtant. Si seulement il était moins affecté. Tante Emma n’a rien à craindre. Elle ne pense pas à Paul, pas même en rêve. Elle ne pense à personne. Elle n’est amoureuse de personne. Dommage quand même que le beau brun à la tête de Romain soit déjà reparti. Il a l’air filou, disait Paul. Dieu, elle n’a rien contre les filous au contraire. Elle aimerait assez se marier en Italie, mais pas avec un Italien. Villa sur la Riviera, escalier de marbre plongeant dans la mer. Elle, étendue nue sur le marbre. Elle est née pour une vie insouciante. Ah, pourquoi faut-il retourner à la ville ? Else est arrivée au pied de l’escalier menant à la terrasse de l’hôtel : elle croise monsieur Dorsday, vicomte von Eperies, et son épouse. Ils échangent quelques paroles. Il se montre galant ; elle lui fait une remarque insidieuse et piquante sur son âge. Elle pénètre dans les immenses salons de l’hôtel et son flux de pensées reprend. A-t-elle fait la fière ? Non, elle ne l’est pas. Paul l’appelle Altière. Altière et du genre distant, surtout aujourd’hui. À cause de ses règles évidemment ; ça l’élance dans les reins. Cette nuit, elle reprendra du Véronal. Un groom s’approche d’elle, il a un courrier à son attention. Tout en prenant la lettre, elle remarque que son filou est revenu. Elle regagne sa chambre, dénoue ses cheveux et prend connaissance du courrier de sa mère. Il s’agit de son père, et d’une dette pressante. L’adaptation d’une œuvre littéraire en bande dessinée constitue un genre en soi, avec le risque du mauvais dosage oscillant entre l’intégration de trop de textes du roman, soit une interprétation trop éloignée qui fait perdre le goût de l’original, voire le trahit. Le lecteur entame ce tome et découvre deux dessins en pleine page avec uniquement un personnage en train de courir pour aller ramasser la balle, de gauche à droite dans la page de gauche sur fond blanc, et inversement au retour dans la page de gauche toujours sur fond blanc. L’artiste indique qu’il va proposer une adaptation aérée, ou au minimum sans gros pavés de texte. De même dans les deux planches suivantes, seuls sont représentés les trois personnages. Puis un dessin en double page les montrent discutant avec l’immense complexe hôtelier à quelque distance, et les montagnes en arrière-plan. Au cours du récit, l’auteur réalise cinq pages dépourvues de texte, laissant les dessins parler d’eux-mêmes, porter toute la narration. Le texte se présente soit sous la forme de dialogues, soit sous la forme du monologue intérieur d’Else, des phrases courtes, assez naturelles, bien éloignées de la simple recopie d’un texte littéraire. Fiore ne fait qu’une seule exception : le texte de la lettre initiale de la mère d’Else qui court sur trois pages, avec des illustrations de la largeur de la page venant s’insérer entre deux paragraphes. Dans le texte en fin d’ouvrage, l‘auteur indique qu’il a choisi cette œuvre pour répondre à une commande d’adaptation d’un éditeur. Après avoir écarté plusieurs œuvres soit trop difficiles soit déjà mainte fois adaptées, il retient cette nouvelle. Il ajoute : après s’être lancé près de quatre fois, il a compris que l’œuvre graphique de Gustav Klimt (1862-1918) allait être son nord, cette ligne en fil de fer qui est la sienne, qui suit les cuisses des femmes, leur découpe des nez pointus et se courbe selon les formes amples de ses modèles. Il ne réalise pas des tableaux de Klimt, mais il s’inspire de sa façon de représenter les êtres humains. Il utilise des traits de contours très fins, parfois comme tremblés ou mal assurés, ou tracés sous l’inspiration du moment sans avoir été repris pour être consolidés. Cela donne parfois des représentations un peu naïves, un point pour figurer un œil dans un visage ou des yeux écarquillés trop ronds et trop grands, quelques vagues traits pour la barbiche clairsemée de Dorsday, ou au contraire la sensation de percevoir l’état d’esprit du personnage. Le lecteur se dit que cette façon de représenter les individus correspond à la perception subjective qu’en a Else elle-même. Sa propre délicatesse avec son visage épurée et doux, l’âge de monsieur Dorsday avec son visage asymétrique et marqué, ses trois cheveux sur le dessus du crâne, son corps lesté par un gros ventre, la tante avec son air revêche et repoussant comme si elle était incapable de ressentir la détresse qui émane de sa nièce, etc. Ces traits de contour fins et fragiles sont habillés par des aquarelles qui leur apportent de la consistance, des nuances changeantes, des couleurs naturelles ou bien des impressions de lumière. En fonction de la séquence, du moment de la journée, de l’état d’esprit d’Else, un visage peut aussi bien être de couleur chair, que jaune, ou taupe, ou encore gris. De la même manière, l’aquarelle pare les décors de consistance, soit en venant occuper l’espace délimité par les traits de contour, soit en couleur directe. Passés les quatre dessins en pleine page sur fond blanc, le lecteur découvre le paysage de l’hôtel se détachant sur la ligne de montagne, un trait délimitant le contour du bâtiment, des portes fenêtres et des fenêtres, le pinceau donnant corps aux poutres apparentes, à la rangée d’arbres devant le bâtiment, à celle derrière de couleur plus sombre, ainsi qu’aux pentes de la montagne. Les images emmènent le lecteur sur le court de tennis avec son filet comme quadrillé au crayon, sur les marches menant à la très longue terrasse de l’hôtel, sous les lustres des salons très hauts de plafond, dans la chambre juste esquissée d’Else, de retour dans les salons maintenant teintés d’une nuance verte alors que la soirée commence, puis à l’extérieur dans des teintes bleutées et grises alors que la nuit commence à tomber, sur les rives rougies d’un lac avec de nombreux voiliers, etc. L’intrigue s’avère fort simple : Else est mandatée par ses parents restés aux Pays-Bas pour demander un prêt urgent de trente mille guldens à monsieur Dorsday, vicomte von Eperies, pour rembourser une dette dans les deux jours. Celui-ci accepte à une condition : pouvoir la contempler nue un quart d’heure. Acceptera-t-elle de se soumettre à cette exigence infâmante et ainsi sauver son père ? Ou refusera-t-elle pour conserver sa dignité au risque de condamner son père ? Un suspense binaire. Les auteurs, le romancier et le bédéiste, mettent admirablement en scène à la fois l’entrée dans l’âge adulte avec ses compromis, à la fois le tourment psychologique de la toute jeune femme. La lettre de la mère, reproduite dans son intégralité, constitue un exercice exemplaire de manipulation coercitive sous les dehors d’une demande gentille d’un menu service aussi banal que dérisoire, sur les plans affectif, émotionnel et psychologique. Voilà que la fille a le pouvoir de vie et de mort sur son père, ou plutôt la responsabilité afférente, ce qui constitue une inversion de la responsabilité des parents envers les enfants. Aussi bien les parents que monsieur Dorsday illustrent la maxime que l’âge et la traîtrise auront toujours raison de la jeunesse et du courage. Dès la première séquence, le lecteur a conscience que la jeune demoiselle est ballotée par les injonctions sociales à trouver un mari et par ses hormones. D’un côté, elle ressent le fait de devoir bientôt se trouver un mari, devoir accepter les avances d’un homme qu’elle ne pourra au mieux que choisir par défaut, au pire qui lui sera imposé, tout en défendant sa vertu contre toutes les tentations. Elle a déjà pu constater l’effet que la présence physique de son corps habillé a sur les hommes, le pouvoir de séduction que cela lui confère et les avantages qu’elle peut en retirer. Dans le même temps, elle a compris que se montrer nue à Dorsday équivaut à faire de son corps, d’elle-même, une simple marchandise vendue pour de l’argent, un produit ayant une valeur économique dans un système capitaliste. D’un autre côté, elle fait l’expérience qu’elle ne peut pas concilier toutes les injonctions sociales qui pèsent implicitement la femme qu’elle est. Pouvoir faire l’expérience d’être amoureuse, et faire un bon mariage ou un mariage de raison. Accepter son corps sexué et la sexualité qui va avec, et rester pure. Sauver son père au prix d’être souillée par le regard d’un quinquagénaire libidineux et riche, et préserver sa vertu, sa virginité comme les convenances l’exigent. Conserver son intégrité psychique et sauver son père. Personne ne peut ressortir indemne d’autant de doubles contraintes. Comment devenir adulte dans une telle situation ? Comment construire sa propre voie, sa manière personnelle de faire ? Adapter Arthur Schnitzler en conservant toute sa finesse et ses subtilités : un beau défi, relevé avec élégance par Manuele Fiore. Une bande dessinée à la narration visuelle sophistiquée et élégante, exprimant en douceur feutrée toutes les dimensions du conflit psychique se déroulant dans l’esprit d’une jeune femme estimant qu’elle est née pour être insouciante.
Habemus Bastard
Mon coup de cœur 2024. (2023 Blacksad - pas découvert plus tôt). Irrévérencieux, scénario béton, personnages décalés, pas de temps morts. Et, cerise sur le gâteau, le second tome est tout aussi excellent que le tome 1. Hâte de lire la suite.
Félix Leclerc - L'Alouette en liberté
Quand il tombe, l'arbre fait deux trous. Celui dans le ciel est le plus grand. - Ce tome constitue une courte biographie poétique du chanteur Félix Leclerc (1914-1988), auteur-compositeur-interprète, poète, écrivain, animateur de radio et de télévision, scénariste, metteur en scène et acteur québécois. Sa publication date de 2019. Il a été réalisé par Christian Quesnel pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comporte quarante-huit pages de bande dessinée. Il commence avec une courte introduction de Martin Leclerc, son premier fils. Vient ensuite un texte d'avant-propos de deux pages, rédigé par l'auteur. En fin d'ouvrage se trouvent la liste des pièces musicales évoquées, au nombre de vingt-quatre, ainsi qu'une liste des sources d'inspiration. Dans la préface, Martin Leclerc constate que son père est décédé depuis plus de trois décennies et que son œuvre inspire encore la jeunesse. Dans l'avant-propos, l'auteur évoque l'usage qu'il fait de la parole de Félix Leclerc dans les phylactères et les cartouches bleus, ce qui expose le lecteur à la vie de Félix, mais aussi à certaines de ses œuvres. Puis il indique qu'il a mis à profit les documents laissés des témoins précieux. Il ajoute que ce projet sur Félix Leclerc lui a permis de travailler avec l'Orchestre symphonique de Gatineau, le maestro Yves Léveillé, l'orchestrateur Yves Marchand et l'historien amateur Raymond Ouimer pour créer un concert multimédia autour du récit graphique. Le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire, cette sombre journée, c'est comme si toute la vie de Félix l'y avait préparé. Un oiseau s'envole dans le ciel. Il va se poser sur la tête d'un homme assis sur une chaise, le dos courbé comme par un grand poids. Tu ne sais pas voler, tu vas tomber, tu es maladroit, l'air n'est pas pour toi, balourd, n'a-t-on cessé de lui crier. Et l'oiseau eut peur. Il n'a pas osé. Il est resté sur terre tristement. Et il a haï l'azur, et il n'a jamais vu les hauteurs. Son amour et sa soif du pays, Félix les a toujours placés au cœur de son œuvre, laquelle est à l'origine du printemps de la chanson québécoise. La neige qui fond, l'étang dans son petit lit qui boit le soleil, la scie ronde qui chante chez le voisin, la corneille qui est revenue, une hache, un tas de bois à bûcher, la moutonne qui a eu ses petits, la semence qu'on sort des greniers, les premiers pissenlits sur les buttes, l'odeur de l'érable… S'il n'y a pas de ces matins-là au Paradis, ça va jaser du côté des habitants. Les manches de guitare se confondent avec le tronc des érables, le cerf s'éloignant dans le lointain. À l'approche de l'automne, on baisse la voix, au printemps on parle fort. Un homme chaudement vêtu, s'appuie sur la cognée de sa hache, en regardant un oiseau s'envoler au-dessus d'un champ. Félix naît le 2 août 1914, à la Tuque, en Mauricie. Sixième d'une famille de onze enfants, il grandit dans un milieu peuplé de draveurs et de bûcherons, mais aussi bercé par la musique et la tendresse. Suis pas un dur, suis pas un mou, suis un doux. L'amour se passe de cadeaux mais pas de présence. Chaque pomme est une fleur qui a connu l'amour. L'auteur a donc indiqué que chaque page ou double page ferait dialoguer un élément biographique de la vie du chanteur, avec une brève citation de lui et un tableau ou quelques cases évoquant une chanson ou une image de Félix Leclerc. Effectivement, l'ouvrage comporte douze illustrations en pleine page, et quatre en double page. Au maximum il se trouve quatre cases sur une même page. Pour autant, le lecteur éprouve plus la sensation de lire une bande dessinée qu'un texte illustré. Il y a la progression chronologique de la vie du chanteur, des images qui racontent une histoire, des compositions en double page où l'œil lit les éléments visuels de gauche à droite comme ordonnés sur un fil narratif. La première illustration montre un oiseau, certainement une alouette, en plein vol sur un fond de page blanche. L'oiseau vient se poser sur la tête du poète prostré sur sa chaise, après avoir pris connaissance des résultats du référendum. le motif de l'oiseau, une alouette ou d'autres, revient tout du long du récit. En page neuf, les ailes grandes écartées pour aller plus haut dans le ciel. En page dix sur un branche, avec un mini Félix Leclerc encore enfant, monté sur son dos. En page trente, volant entre les troncs de bouleaux. Faisant la liaison entre les pages trente-deux et trente-trois, comme il fait également pour les pages trente-six et trente-sept mais en sens inverse de droite à gauche. Mort étendu sur le sol en page trente-huit. À plusieurs moments de son vol en page quarante-neuf. Un vol d'outardes en page cinquante-et-un, observé par un garçon. Tout du long de l'album, l'œil du lecteur est attiré par la faune et la flore du Québec. Un renne en pages huit dans les bois, un autre sur la tour Eiffel en page seize. Encore un en page vingt-neuf dont les bois semblent engendrer un halo fantasmagorique dans leur sillage. En page huit des manches de guitare forment les arbres d'une forêt, avec des gobelets pour en recueillir la sève. Lors des années parisiennes, la chevelure de Félix semble voir se développer comme des branches en hiver, comme s'il lui poussait de nouvelles ramures générées par ses expériences en France. de retour au Québec, la nature reprend son importance primordiale : une forêt de bouleau, l'île d'Orléans dans l'embouchure du fleuve Saint Laurent, avec ses côtes, les petits bateaux de pêche à moteur, les zones marécageuses, le scintillement de la lumière sur le fleuve, une vision onirique des plantes aquatiques sous-marines comme une longue chevelure folle, le bleu de l'eau répondant au bleu du ciel, etc. Dès la première page, le lecteur se rend compte que l'histoire du Québec est également présente en filigrane. L'auteur entame sa biographie par : le 20 mai 1980, au soir de la défaite référendaire… Il appartient au lecteur soit d'être familier avec l'importance de cet événement dans l'histoire du Québec, soit d'aller se renseigner pour comprendre l'importance qu'il revêt pour Leclerc. À savoir le premier référendum relatif au projet de souveraineté du Québec ; il a été organisé à l'initiative du gouvernement du Parti québécois (PQ) de René Lévesque, l'un des événements majeurs de l'histoire du Québec contemporain. Au fil de la vie de Félix Leclerc, apparaissent d'autres marqueurs temporels et culturels. Sa date de naissance bien sûr, et en fin d'ouvrage la date de sa mort, mais aussi le début de ses études à Ottawa en 1931, ses débuts à Radio-Canada, son premier mariage en 1942, le début du succès dans les années 1950 grâce à l'accueil que lui réserve la France, ce qui sera suivi par sa reconnaissance au Québec, son influence sur la génération suivante de chanteurs compositeurs français et belges Guy Béart (1930-2015), Léo Ferret (1916-1993), Georges Brassens (1921-1981) et Jacques Brel (1929-1978), son second mariage en 1969, la crise d'octobre en 1970 (enlèvement d'un attaché commercial britannique, enlèvement et meurtre du ministre provincial du travail Pierre Laporte au Québec, par le Front de Libération du Québec), la Superfrancofête d'août 1974 sur les plaines d'Abraham à Sainte-Foy à Québec avec la participation de Gilles Vignault (1928-), Félix Leclerc (1914-1988) et Robert Charlebois (1944-) pour le spectacle J'ai vu le loup, le renard, le lion, le 13 août 1974. Dans ses paroles le chanteur rend hommage à sa province, que ce soient ses paysages, ou des métiers spécifiques comme celui de draveur. Après avoir pris connaissance de l'avant-propos, le lecteur sait que l'auteur va évoquer brièvement quelques dates et faits biographiques de Félix Leclerc, et qu'il va surtout se consacrer à l'évoquer par ses mots et par les images qu'ils engendrent. le lecteur va découvrir Félix Leclerc au travers de la vision et du ressenti qu'en a Christian Quesnel, bédéiste originaire de la région du Outaouais au Québec. Il réalise des illustrations à l'encre et à la peinture, amalgamant parfois des images entre elles, jouant à la frontière de l'impressionnisme, de l'expressionnisme, du collage. Les couleurs expriment le ressenti ou l'état d'esprit du chanteur. Les dessins naviguent entre représentation descriptive pour une voiture, pour un bâtiment, un télésiège dans une station de ski, et des visons oniriques comme une licorne, une guitare avec une chevelure, des mains formant une coupe contenant de l'eau et un petit bateau de pêche à sa surface, l'image récurrente d'une femme en train de danser. L'artiste choisit la technique qui correspond le mieux à ce qu'il souhaite exprimer : formes détourées à l'encre, peinture, écriture manuscrite pour en fond de case avec des bribes de parole de chanson, photographie de famille tracée, dessin au crayon pour une rue de Paris, fond de case en motif de cercles de couleur, trame de fond avec un texte tapé à la machine à écrire, surimpression de deux images décalées, etc. Une grande richesse visuelle avec une vision d'ensemble qui assure une cohérence tout du long. L'auteur évoque l'héritage de Félix Leclerc. Succinctement par quelques éléments biographiques, quelques événements historiques. Culturellement par des citations succinctes de texte de ses chansons, et la mise en valeur de la province du Québec. Affectivement et émotionnellement par une narration visuelle qui lie texte et image, qui se fait poétique et onirique, donnant à voir la représentation du monde et plus particulièrement du Québec telle que l'œuvre de Félix Leclerc en brosse le portrait partial de la terre qu'il porte dans son cœur.
Inexistences
Que dire qui n'ait déjà été dit ? Bien sûr, on l'a compris, Inexistences n'est pas une bande dessinée classique. C'est davantage un album conceptuel, qui nous mélange les codes de la peinture, de la bande dessinée et de la narration romanesque. On ne s'attendra donc pas à un scénario à proprement parler, et on fera bien, car de scénario, point. Et pourtant, on ne s'ennuie pas un instant ! Il faut dire que graphiquement, l'auteur-dessinateur a vraiment mis le paquet ! Sur des doubles pages-doubles (donc 4 volets), Bec nous propose des illustrations absolument fascinantes, dans lesquelles on se plonge avec un plaisir certain. J'ai toujours adoré le Bec dessinateur, et même si les dessins qu'il nous offre ici n'ont pas forcément la finesse de l'exceptionnel Sanctuaire avec ses fameux jeux d'ombres, ils n'en restent pas moins grandioses et somptueux. Chaque nouvelle image nous fait ressentir de nouveaux sentiments, de nouvelles émotions, et emmène notre âme toujours plus loin dans cette sombre odyssée en forme de flash-forwards. C'est le principal intérêt de cette "bande dessinée", qui nous propose par ailleurs une réflexion assez sommaire sur la fin du monde. Rien de très original ici, dans la post-apocalypse mise en scène par Bec. On a une évocation des traditionnelles guerres technologiques, d'une apocalypse classique qui fait passer brutalement l'Humanité de l'ère du high-tech à un quasi-retour au Moyen-Âge. Pour autant, on ne songerait à le reprocher à Bec, car on a bien compris qu'il ne cherche pas ici l'originalité. Tout ce qu'il souhaite faire, c'est nous émerveiller tout en nous racontant les sinistres événements d'une apocalypse inévitable, que l'on souhaiterait pourtant éviter à tout prix. Et là-dessus, le pari est réussi. Je m'en voudrais peut-être un jour d'avoir écrit cette phrase, mais j'ai pris un plaisir étrange et fascinant à me plonger dans cette post-apocalypse sombre et déshumanisée. Et finalement, n'est-ce pas là le but de cette grande oeuvre d'anticipation, de cette monumentale somme artistique ? N'est-ce pas là, peut-être, tout le paradoxe de l'Art ? Rendre l'horreur belle sur le papier pour la rendre moins désirable dans la réalité ? Car je me replongerai toujours avec un immense plaisir de cette magnifique oeuvre. Mais pour rien au monde, je ne souhaiterai y vivre un jour. Belle ambiguïté que Christophe Bec saisit à merveille pour nous révéler page après page, ce qu'il est ici plus que jamais. Un Artiste. Avec un très grand A.
Garçonnes - Les autrices oubliées des années folles
Une bande-dessinée matrimoniale. Je ne peux que remercier Trina Robbins d'avoir ressuscité ces autrices des années folles. Et un grand bravo à Bliss Comics pour la qualité du bouquin au format franco-belge, mais un prix qui pourra en freiner plus d'un. Trina Robbins, après un gros travail de recherche, nous propose de découvrir des autrices de talent du début du XXe siècle. Des autrices qui ont croqué une révolution avec l'apparition des Flappers, un mot qui désigne des jeunes femmes indépendantes au début des années 1920, les garçonnes. Un changement vestimentaire puisqu'elles vont quitter leurs corsets, les robes se raccourcissent jusqu'à atteindre les genoux et les cheveux longs font place à des coupes juste en dessous des oreilles. Une révolution ! Un bouleversement que l'on doit à la première guerre mondiale, les femmes ont quitté leur foyer pour contribuer à l'effort de guerre. Elles travaillent dans les usines, dans le médical ou même sur le front en tant qu'infirmières, elles ont goûté à l'indépendance et elles ne veulent pas faire machine arrière. Une période qui verra la même année, 1919, la ratification de deux amendements, celui de la prohibition et celui du droit de vote aux femmes. C'est ces aventures de garçonnes que racontent les autrices, des strips qui étaient publiés dans les journaux. Une préface et une présentation de chaque autrice de Trina Robbins. On va d'abord faire la connaissance de Nell Brinkley pour ouvrir le bal, la tête de proue du mouvement des Flappers. C'est sous crayon que l'on voit pour la première fois une jolie jeune femme dessinée par une femme. Sur plus de cinquante pages, on va découvrir plusieurs de ses Brinkley Girls sur des pleines pages en couleurs dans un style art nouveau. Un dessin qui m'a surpris par la qualité du trait tout en finesse, par le soin apporté aux détails et par la sensualité des personnages féminins. Des planches où les images sont agencées entre elles. Aucun phylactère, juste du texte, numéroté pour le sens de la lecture, qui décrit l'action et les états d'âme des protagonistes. Des histoires simples avec des garçonnes de moins en moins prudes au fil des pages. Des strips publiés de 1925 à 1930. Place à Eleanor Schorer (5 pages) et les aventures de Judy, sur un ton humoristique. Des strips en noir et blanc au trait fin, élégant et légèrement caricatural. Une belle surprise. Ensuite c'est Édith Stevens qui, sur 10 planches, nous régal de son dessin en noir et blanc, tantôt réaliste, tantôt caricatural, on a droit à un véritable défilé de mode, les chapeaux sont mis en avant. Un univers uniquement féminin, les situations cocasses sonnent juste et le ton est souvent drôle. Pas mal. Et voilà Ethel Hays, avec de superbes planches (21) en couleurs agencées façon Nell Brinkley. Hays revendique avoir été influencée par cette dernière, mais son style tient plus de l'art déco, son trait est plus anguleux et sa colorisation moins exubérante. Superbe ! Des strips qui mettent en avant la mode et le quotidien de ces garçonnes. Des planches datant de 1928 à 1932. Puis sur 11 pages, des strips toujours aussi mordants en noir et blanc publiés entre 1926 et 1928. Maintenant, c'est Fay King qui croque ces garçonnes sur 6 pages dans un style où la caricature et le réalisme se répondent. Un noir et blanc très plaisant à regarder. Un humour qui fait mouche. Virginia Huget se démarque de ses consœurs par des histoires plus insolentes. Graphiquement, Huguet est difficilement classable puisque certaines planches empruntent à Nell Brinkley, tandis que d'autres à Ethel Hays dans le style, la mise en scène et les couleurs, mais avec des personnages aux postures singulières. Enfin, on aura droit aussi à des saynètes avec un découpage en gaufrier et même à des phylactères où Huguet se moque de la publicité. Jubilatoire. Vingt planches de 1927 à 1936. Enfin, c'est Dorothy Urfer qui ferme le bal sur quatre pages. Des strips humoristique sur les relations amoureuses. Un noir et blanc avec beaucoup de charme, au trait fin, précis et expressif. Vraiment bien. Maintenant il faut fermer la salle de bal et c'est Nell Brinkley qui va s'en charger. Les temps ont changé, c'est la mort des garçonnes. Six pages publiées en 1937. En conclusion, je dois reconnaître que je ne connaissais aucune de ces dames avant cette lecture, un comics qui m'a fait remonter le temps, j'ai pris grand plaisir à côtoyer ces jeunes femmes à la coupe au carré, aux longues jambes et aux lèvres rouges incendiaires qui boivent et qui fument. Une lecture qui m'a donné envie de danser le charleston, moi qui suis un piètre danseur. Gros coup de cœur.
L'Odyssée d'Hakim
J'ai eu du mal à quitter cette série tellement je me suis attaché au destin de Hakim et de son fils Hadi. J'avais déjà été séduit par ma précédente lecture de Fabien Toulmé avec son récit autobiographique de la naissance de sa seconde fille. L'auteur reste dans une narration biographique qu'il maîtrise à merveille. En effet le récit du voyage d'Hakim et de son fils de un an est passionnant en lui-même mais la qualité de la narration de Toulmé donne une dimension supplémentaire à cette dramatique aventure. Fabien Toulmé se range incontestablement parmi les meilleurs conteurs d'histoires de la BD de langue française actuelle. L'auteur ne s'éparpille pas et reste du début à la fin dans les limites de son sujet. Il veut nous faire découvrir l'histoire d'un réfugié migrant tout en sachant qu'il en existe mille autres plus "simples" (comme la famille de son épouse) ou plus dramatiques comme ces pauvres personnes violées, asservies en esclavage ou tuées sur leur route de l'espoir. Hakim lui est présenté par une amie journaliste. En frappant à sa porte il ne connait rien de lui comme nous quand nous ouvrons le T1. Simplement Toulmé se met à l'écoute d'un récit pour nous le transmettre tel quel, sans tricherie ni biais autre que celui de la langue. Jamais Toulmé ne verse dans le sensationnalisme ou le pathos facile. Il n'en a pas besoin tellement le déroulé du voyage du gentil Syrien porte sa propre tension dramatique. Hakim et son fils vont de l'avant montrant une résolution à vaincre l'adversité qui laisse le lecteur sans voix. Toulmé réussit la prouesse de synthétiser ces dizaines d'heures d'écoutes en un récit d'une fluidité cristalline. Le ton est toujours juste sans jugement de valeur, la bêtise, la cruauté et l'injustice s'étalant d'elles-mêmes sans que l'auteur aie besoin d'en rajouter. Les trois tomes sont d'un égal niveau même si personnellement j'ai trouvé la T2 au summum d'un récit dramatique. Graphiquement cette traversée d'un petit bout de la mer Egée restera longtemps gravée dans ma mémoire. La scène est très statique puisque personne ne peut bouger dans le Zodiac. Pourtant, grâce au sublime des expressions des passagers (et surtout celles du petit Hadi) Toulmé parvient à nous faire sentir cette houle menaçante et cette eau glaciale qui envahit petit à petit la frêle embarcation. Ce passage rend le récit de Toulmé universel puisqu'il présente les deux fins possibles d'une telle situation ; la noyade ou le sauvetage. Car dès le début de cet insensé départ avec un petit de un an il n'y a pas d'autres alternatives : la noyade en mer, dans un camps ou sur le bord d'une route à la suite d'une mauvaise rencontre ou le sauvetage de toute une famille à Aix ou à Dortmund. Toulmé hisse sa série au niveau des plus grands récits. Elle s'inscrit dans un environnement précis mais peut être lu comme l'universelle tragédie des déracinés de tous les siècles passés ou à venir. Une lecture passionnante tout en justesse et en sensibilité. Un must.
Le Chevalier au Dragon
Voilà une bande dessinée qui promet un concept intéressant ! Emmanuele Arioli est connu pour avoir mis au jour un récit méconnu de la Table ronde : Ségurant ou le chevalier au dragon. Et s'il prend ici quelques libertés, visiblement (Ségurant devenant Sivar), il nous propose donc une relecture du propre travail qu'il a mené pendant 10 ans à la recherche d'un mythe méconnu de la Table ronde. Evidemment, pour ma part, je suis incapable de discerner les ajouts pour la bande dessinée des péripéties réelles du récit originel. Quoiqu'il en soit, j'ai été plutôt séduit par ce récit de fantasy médiévale très classique. On peut toutefois lui reprocher dans une certaine mesure ce classicisme, qui aligne des péripéties pas toujours très intéressantes, et surtout de manière très mécanique. Ce n'est pas mauvais, mais on connaît un peu le processus, au bout d'un moment... Ce qui m'a gêné, c'est surtout les incursions d'un humour déplacé dans un récit qui tenait parfaitement sans cela. On ne comprend pas pourquoi l'auteur s'amuse avec des gags, qui ne sont jamais très pertinents. Un peu comme si Alex Alice avait essayé de glisser de l'humour à la Kaamelott dans son merveilleux Siegfried... Je ne fais pas la comparaison au hasard, car je trouve qu'Alice a réussi là où Le Chevalier au dragon est à la peine. Contrairement à Siegfried, ici, peu voire pas de noblesse. Arioli reste trop souvent terre-à-terre et son humour l'empêche d'aller sur un autre terrain, où on l'aurait pourtant largement attendu. En peinant à glisser un véritable et profond souffle romanesque dans son récit, l'auteur fait tendre finalement son (excellent) travail de vulgarisation vers une simple bande dessinée, peut-être au ton assez comics, mais guère plus. Mais malgré ces quelques défauts, la grande bonne surprise de cet album, c'est le dessin. En effet, Emiliano Tanzillo nous offre des images vraiment somptueuses, très stylisées. Il réussit à merveille à capter l'essence du récit pour la restituer à travers des images qui, elles, ne manquent pas toujours d'ampleur. C'est aussi ce qui m'a rendu indulgent avec cette bande dessinée, certes réussie, mais qui a parfois du mal à trouver sa voie. Et finalement, en refermant le tome, on se rend compte qu'on a passé un bon moment. Et même si on ne s'en souviendra pas longtemps, on en est déjà largement satisfait.
Dreaming Eagles
Un pays capable d'évoluer - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre, ne nécessitant pas de connaissance préalable. Il comprend les 6 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Simon Coleby, avec une mise en couleurs réalisée par John Kalisz. Les splendides couvertures iconiques ont été réalisées par Francesco Francavilla. Le tome se termine avec une postface de 4 pages rédigée par Garth Ennis, explicitant au travers d'une anecdote les choix qu'il a effectués et la part de vérité historique du récit. Il contient aussi les couvertures alternatives réalisées par Brian Stelfreeze, Phil Hester, Declan Shalvey, le script d'Ennis pour le premier épisode, et les recherches graphiques de Francavilla pour la composition des couvertures. En 1966, à New York ou à Chicago, Reggie Atkison prend l'air sur le pas de porte de son bar le Silver Pony. Il voit son fils Lee rentrer en catimini en passant par derrière. Il le rejoint dans la pièce qui sert de réserve et de toilettes. Il constate qu'il est blessé, et qu'il a un cocard à l'œil droit. Il comprend qu'il s'est rendu à une marche menée par Martin Luther King (1929-1968) et qu'il s'est battu contre des blancs qui les ont insultés avec un terme raciste. Son fils estime que ça valait le coup de les entendre hurler de douleur, alors que son père condamne cette action violente. Lee lui rétorque qu'il a bien tué des hommes pendant la guerre, même s'il s'agissait de soldats nazis ce qui n'excuse rien. Reggie lui répond qu'il n'avait l'impression qu'il s'agissait d'êtres humains, qu'il tirait sur des avions, par sur des hommes. La nuit, Reggie ne dort pas, repensant à un combat aérien pendant la seconde guerre mondiale, quand il était un pilote dans l'un des 4 escadrons de chasse du 332d Fighter Group, après avoir appris à piloter à l'école de vol de Tuskegee dans l'Alabama. Il repense à ce pilote allemand qu'il a vu s'éjecter de son cockpit avec son parachute. Le lendemain, Lee fait mine de faire amende honorable en repeignant la palissade. Il discute avec Alison, sa mère, qui est assise sur la véranda en train de siroter de la limonade. Il se plaint du comportement de son père qui ne le laisse pas se battre pour ses droits. Alison rentre dans le bar et explique à son mari ce qui mine leur fils. Elle insiste doucement sur le fait que Lee a le droit de savoir qui est son père, d'en apprendre plus sur ce qu'il a fait pendant la guerre. Le soir, Lee est toujours en train de repeindre la palissade. Son père l'interpelle depuis la véranda, il a amené 2 bières et en tend une à son fils, assez décontenancé que son père lui propose de l'alcool. Reggie Atkinson a pris la décision de raconter à son fils comment c'était à l'armée quand il était un pilote pendant la seconde guerre mondiale, parce qu'il ne veut pas lui mentir, même par omission. C'est la deuxième histoire coup sur coup que Garth Ennis écrit au sujet d'un aviateur pendant la seconde guerre mondiale, la précédente étant Johnny Red: The Hurricane (2015/2016) avec Keith Burns. Il s'agissait alors d'un personnage de fiction de la bande dessinée anglaise auquel il rendait hommage. Cette fois-ci, il rend hommage à un corps de pilotes américains ayant réellement existé. Il explique dans la postface qu'il a pris le parti de raconter des faits réels, mais en mettant en scène des personnages fictifs, à une ou deux exceptions près. Il a donc effectué un travail de recherche conséquent à la fois sur l'escadron de chasse du 332d Fighter Group, à la fois sur les avions utilisés à l'époque, allant même jusqu'à profiter de l'occasion de voler dans l'un d'eux, un modèle Curtiss P-40 Warhawk (ce qui lui permit de comprendre la problématique de visibilité). Pour les personnages, il préfère mettre en scène des individus à qui il peut faire dire ce qu'il souhaite en tant qu'auteur, plutôt qu'une recréation forcément faussée, au risque de placer des opinions faisant contresens par rapport à l'individu concerné. La plus grande exception à cette règle réside dans Benjamin Oliver Davis (1912-2002), du fait de son rôle crucial dans la gestion desdits escadrons. Garth Ennis donne l'impression de commencer de manière assez pataude, avec cette mise en écho de la situation du fils Lee souhaitant combattre pour ses droits civiques, et la démarche similaire de son père 20 ans plutôt. Le parallèle ainsi établit débouche sur une soirée confession, au cours de laquelle le paternel déballe tout à son fils, dans une forme de confession artificielle. Le lecteur identifie là une construction romanesque pour créer cette résonnance entre les 2 situations. La dramatisation se trouve ainsi un peu appuyée dans le premier épisode. Pour autant, le dispositif ne rate pas complètement son objectif car dans le même temps, Ennis se montre plus sensible que d'habitude dans sa caractérisation du fils et de sa relation au père. Il ne s'agit pas d'un jeune chien fou en opposition de principe à la position paternelle, mais plutôt d'un jeune homme engagé qui souhaite l'approbation de son père. Dans les dernières pages du premier épisode, le lecteur en oublie jusqu'au dispositif alors qu'il se plonge dans l'histoire de Reggie Atkinson. Du fait des détails intégrés dans la narration, il comprend, s'il ne le sait déjà, qu'il s'agit d'une reconstitution historique de faits réels. Ce n'est pas la première fois que des comics traitent de l'engagement d'afro-américains dans la seconde guerre mondiale, pour un pays pratiquant encore la ségrégation avec les lois dites Jim Crow, voir par exemple l'étonnant Captain America: Truth (2003) de Robert Morales & Kyle Baker. Mais ici, l'auteur réussit à la perfection la dimension biographique, sur fonds historique. Simon Coleby est un artiste qui a précédemment travaillé pour l'hebdomadaire 2000 AD, par exemple sur des histoires de Judge Dredd. Il réalise des dessins de type réaliste, avec un bon niveau de détails. Par la force des choses, il a investi beaucoup de temps dans la recherche de références de matériels militaires, à commencer par les uniformes, et surtout les avions de chasse, car Ennis en laisse passer aucun écart, aucune erreur en termes de reconstitution. Le lecteur apprécie que l'artiste se tienne éloigné des trucs et astuces pour dramatiser les situations de manière artificielles, tels que les cadrages ou les postures exagérées des personnages. Les différents protagonistes présentent des morphologies normales, et effectuent des mouvements mesurés d'adulte. Sans tomber dans le photoréalisme, Coleby s'investit pour représenter les décors avec une grande régularité, là encore en veillant à la conformité historique. Le lecteur peut donc se projeter à chaque endroit et côtoyer des individus qui lui semblent réels, et pas des icônes ou des idéalisations d'êtres humains. John Kalisz utilise une palette de couleurs un peu sombre, avec des bruns et des gris. Cela n'aboutit pas à une sensation cafardeuse, mais à une ambiance lumineuse réaliste. S'il a suivi la carrière de Garth Ennis, le lecteur se rend compte qu'il a fait des efforts impressionnants pour proscrire les longues scènes de copieux dialogues, au profit d'une narration plus naturaliste. Il répartit les informations de manière plus fluide et naturelle, à la fois dans les séquences de dialogue et dans les scènes de combat. Simon Coleby fait preuve d'une grande maîtrise de la mise en scène, évitant les plans trop basiques de têtes en train de parler, pour des plans de prise de vue plus enveloppant, montrant l'environnement dans lequel se trouvent les interlocuteurs, ainsi que leurs gestes. Il doit également représenter des combats aériens à plusieurs reprises, ce qu'il fait avec une grande clarté. Il joue sur les angles de vue, la profondeur de champ et le positionnement respectif des avions de chasse et des bombardiers pour rendre compte de leurs mouvements, de leurs attaques, de leur avancée relative, dans des séquences compréhensibles au premier coup d'œil, qui se passent d'explication dans les récitatifs. Le lecteur plonge donc dans une reconstitution historique de qualité, aux côtés de Reggie Atkinson, jeune homme afro-américain, bien décidé à participer à l'effort de guerre et à prouver qu'un afro-américain fait un aussi bon pilote qu'un blanc. Garth Ennis évoque, comme il sait si bien le faire, l'organisation militaire, ainsi que les caractéristiques des différents modèles d'avion de chasse, et les tactiques de combat aérien, lui aussi de manière parfaitement intelligible. Même s'il n'éprouve pas de goût particulier pour lesdits combats, le lecteur se surprend à s'impliquer émotionnellement dans ces explications qui ont une incidence directe et cruciale sur la vie de ces pilotes. Au travers des réflexion de Reggie et de ses collègues, il comprend comme eux les enjeux du convoyage de bombardiers, ou d'affrontements contre des avions allemands. Il les écoute parler des informations partielles glanées sur les changements de commandant de la base, sur leurs prochaines missions, leurs prochaines affectations, sur les auditions militaires se déroulant aux États-Unis, sur les nouveaux modèles d'avion de chasse mis en service et peut-être bientôt intégrés au parc de leur base. Il devine comme eux les enjeux liés à l'existence d'un escadron de pilotes de chasse composé uniquement d'afro-américains. Il voit s'exprimer le racisme ordinaire, ainsi que les idées puantes du KKK reprises par un ou deux militaires. Il perçoit la pertinence des choix narratifs de l'auteur qui peut ainsi mettre en évidence les conflits socio-culturels au travers de ses personnages, de manière adroite, au second plan. Ennis ne joue pas sur la dramatisation, ce qui donne plus de force et de conviction à ce qui est montré, et ce qui rend encore plus terrible et réelle la scène de retour au pays, après la fin de période militaire. Ce récit est à ranger parmi les chefs d'œuvre d'histoire de guerre écrits par Garth Ennis, en particulier aux côtés de Dear Billy (2009, dans la série Battlefields) avec Peter Snejbjerg. Simon Coleby effectue un travail remarquable de reconstitution historique et de direction d'acteurs. Garth Ennis fait preuve d'une écriture en retenue très rigoureuse, entièrement au service de Reggie Atkinson, sans pitrerie, extraordinaire autant pour l'évocation de l'histoire de cet escadron, que pour le contexte et les enjeux socio-culturels de l'époque.