Tout commence par un bel objet, bien épais (208 pages), au dos toilé de qualité et une couverture intrigante, promesse d'une histoire sombre et mystérieuse. A l'intérieur on n'est pas déçu, loin de là. D'abord par le dessin, le trait est maitrisé, moderne et élégant. Le noir est blanc est très à propos et sublime parfaitement l'ambiance du récit.
Et justement le récit... waow. Tout commence par une histoire contemporaine, celle de 3 amis d'enfance. On fait connaissance avec les protagonistes et très vite on va plonger avec eux dans leurs souvenirs d'adolescents. Cette entrée en matière est réussie, sans pouvoir l'expliquer, on a immédiatement envie de savoir quelle va être l'histoire qu'ils vont vivre. Une amie d'enfance retrouvée, puis mystérieusement disparue, il n'en faut pas plus pour être happé par l'intrigue.
Ca pourrait être une enquête sur une disparition réelle, sauf que celle ci prend très vite une dimension fantastique. Mais le tour de force, c'est qu'on y croit bien volontiers. C'est pas abracadabrant, c'est très intelligemment amené. C'est mystérieux juste ce qu'il faut. Les 3 héros vont tout mettre en oeuvre pour retrouver leur vieille copine. Ils vont découvrir des choses de plus en plus étranges : des fresques bizarres, un peintre oublié, des lieux bien curieux, des gens qui essayent de leur mettre des batôns dans les roues, et plus encore. La sauce prend merveilleusement bien, la part fantastique de l'histoire augmente au fil des pages mais on y croit toujours autant.
Cette histoire est très bien racontée, elle est interessante dès le début, le rythme et l'intérêt ne baisse jamais. Les péripéties et les rebondissements ne manquent pas. Le développement est simple et clair, pas de complexité inutile, c'est prenant et la conclusion est totalement satisfaisante. Une BD Comme j'aimerais en lire plus souvent.
Ces 4 albums constituent un pur chef d’œuvre.
L'éternelle question "qu'aurai je fait si j'avais été jeune majeur en 1940" est magistralement traitée au travers des aventures de cet allemand lambda Karl Stieg.
Le plus surprenant peut être est de découvrir que ces aventures n'en ont que le nom puisqu'il s'agit ici de la version, sans doute romancée, de véritables destins.
Le dessin est très agréable, très fouillé et très précis. Le scénario est impeccable et les couleurs inspirantes.
Je ne peux que conseiller l'achat des 4 volumes de la série.
Bravo aux auteurs.
J’étais impatient de lire la superbe intégrale grand format. J’adore les polars noirs, et « The Good Asian » a reçu de nombreux prix en 2022, dont un Eisner Award (meilleure série courte) et un Harvey Award (meilleur album). Et je ressors ravi de ma lecture.
Un détective américain d’origine chinoise enquête sur une disparition dans le Chinatown the San Francisco en 1936. Il va peu à peu mettre à jour une machination compliquée, qui va se ramifier sur 300 pages. La narration est fluide et maitrisée, et les sauts temporels clairement indiqués… Cependant les personnages abondent, et il faut rester concentré pour ne pas dérocher - un album à lire au calme, à tête reposée. Les deux derniers chapitres proposent un dénouement logique et bien amené, et surtout résument les évènements de l’intrigue, ce qui est quand même bien pratique pour tout remettre en place.
La période et le lieu de l’histoire ne sont pas anodins, et fournissent un background riche et lourd de sens : la Loi d'exclusion des Chinois (Chinese Exclusion Act) mise en place en 1882 est toujours active, et les conséquences sociales sont énormes. L’histoire propose donc une réflexion pertinente et accessible sur l’intégration des immigrés, plus d’actualité que jamais en 2024. Le petit dossier en fin d’album démontre que l’auteur (lui-même d’origine thaïlandaise) s’est beaucoup documenté.
La mise en image d’Alexandre Tefenkgi est exemplaire, et les couleurs de Lee Loughridge participent grandement aux ambiances du récit, mais aussi à la narration (pour représenter les sauts temporels). Du beau boulot.
Une lecture un peu éprouvante par moment (le scenario est dense et nébuleux) mais passionnante, que je recommande aux amateurs de polars noirs. Un mot en fin d’album (« Edison Hark will return ») semble indiquer qu’une suite est prévue… j’espère que c’est le cas !
Le sens de la vie selon le Joker
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Ce tome est la réédition version luxe (grand format et nouvelle mise en couleur) d'un comics de 46 pages paru en 1988. L'histoire commence avec Batman qui se rend compte que le Joker s'est échappé une nouvelle fois d'Arkham. À partir de ce point de départ le lecteur est invité à assister aux exactions sadiques du Joker perpétrées à l'encontre de James et Barbara Gordon, à la confrontation qui s'en suit avec Batman et à découvrir l'une des origines possibles du personnage.
Les exégètes estiment qu'Alan Moore n'était pas au meilleur de sa forme quand il a écrit ce scénario. Néanmoins le personnage du Joker et sa psychologie sont admirablement bien rendus. La folie destructrice du Joker est palpable, ses exactions font naître un vrai malaise et une répulsion horrifiée chez le lecteur. Batman est sombre et ténébreux à souhait, même si Alan Moore bafoue quelques traditions comportementales (par exemple il entre par la porte au lieu d'utiliser les fenêtres). Cette histoire se situe bien au-dessus du reste de la production et elle mérite sans conteste sa place parmi les 10 meilleures histoires de Batman. De plus les atrocités commises par le Joker envers Barbara Gordon ont imprimé une marque indélébile sur ce personnage, sur Gotham et sur l'univers DC en général.
À eux seuls, les dessins de Brian Bolland font gagner ses cinq étoiles à cette histoire. Ce dessinateur rare réalise des planches d'une beauté exquise et d'une méticulosité à nulle autre pareille. Chaque expression faciale est travaillée pour devenir unique, chaque posture trouve l'équilibre parfait entre le caractère du personnage et l'efficacité de l'action, sans tomber dans le maniérisme. Chaque planche bénéficie d'une composition étudiée, privilégiant l'efficacité et la sobriété, sans tomber dans le tape-à-l'œil. Chaque case est d'une finesse extrême. C'est un délice rare pour les yeux.
Cette édition est dite Deluxe pour les raisons suivantes. (1) Brian Bolland a refait la mise en couleur en adoptant des tons plus nuancé et moins criards. (2) Il a retouché une partie des dessins en particulier en supprimant l'ovale jaune qui servait de fond à la chauve-souris sur le costume de Batman. (3) Certains croquis et esquisses préparatoires ont été insérés à la fin du volume. (4) Une autre histoire de Batman (8 pages) illustrée par Brian Bolland a été mise en couleurs et intégrée. (5) Le format adopté est plus grand que celui des comics traditionnels.
La découverte ou la relecture de cette histoire permet de découvrir le sort de Barbara Gordon et de rencontrer un Joker inquiétant, dérangé, sadique, fou, voulant à tout prix imposer sa vision de la vie à son ennemi de toujours.
Tout en nuances
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Fin des années 80, juste après Crisis on Infinite Earths , DC Comics décide de relancer les séries de ses principaux héros. John Byrne redémarre Superman avec la minisérie The Man of Steel et George Pérez redémarre Wonder Woman avec Wonder Woman: Gods and Mortals . Le cas de Batman est un peu à part car les éditeurs sont persuadés qu'il n'y a pas besoin de recommencer à zéro, juste de disposer d'un récit plus récent des origines du personnages. La tâche est confiée à Frank Miller qui vient d'achever The Dark Knight Returns. Celui-ci accepte sous réserve que les illustrations soient confiées à David Mazzucchelli (ils ont également fait ensemble l'excellent Born again, de Daredevil).
L'histoire tout le monde la connaît : Bruce Wayne revient de ses années de formation à l'étranger pour combattre le crime dans Gotham City. Ce qui rend cette version de ses origines remarquable et indispensable c'est la combinaison de deux talents exceptionnels au sommet de leur art. Frank Miller à l'idée géniale de mettre en vis à vis les tribulations d'un Batman tâtonnant avec l'arrivée de James Gordon dans la police de Gotham. Cette histoire suit les deux hommes pendant la première année de leur retour à Gotham. Bruce Wayne expérimente pour trouver le modus operandi le plus efficace pour lutter contre la criminalité (costume, relations avec la police, tactiques…) et James Gordon se heurte de plein fouet à la corruption et à la responsabilité de devenir père dans une ville peu hospitalière.
Frank Miller déroule l'histoire à partir du point de vue de ses deux principaux personnages. Les informations complémentaires sont délivrées par le biais de flashs d'informations télé (astuce déjà utilisée dans Dark Knight, mais ici beaucoup mieux maîtrisée). C'est histoire constitue la preuve du talent de Miller : elle est parue en 1986 dans quatre épisodes (Batman 404 à 407) et elle contient toutes les bases du mythe tel qu'il est toujours valable aujourd'hui dans la continuité. Avec ce seul volume, vous pourrez enfin connaître les relations entre Selina Kyle et Holly Hunter, Catwoman et Batman, Sarah Essen et James Gordon, Harvey Dent et Bruce Wayne. Du début jusqu'à la fin, Frank Miller déroule un scénario très ramassé sur un mode narratif sans aucun temps mort et avec une empathie complète avec ses personnages.
Le choix de David Mazzucchelli est d'une pertinence exceptionnelle. Par opposition au Dark Knight qui est un récit flamboyant et jusqu'au-boutiste, Year One est très terre à terre et factuel. Il s'agit presque d'articles de presse relatant des faits divers. Le style détaillé et réaliste de Mazzucchelli est en parfaite adéquation avec le ton du récit. Chaque personnage est reconnaissable et crédible, chaque décor est pensé à la manière d'un décorateur ou d'un urbaniste. Le choix d'un style appliqué et tout en retenu plutôt que démonstratif sert admirablement l'histoire. Le regard est frappé par la vraisemblance des intérieurs (les meubles ne sont pas disposés au petit bonheur, mais comme dans un intérieur ordinaire). Le travail du dessinateur est admirablement complété par la mise en couleurs de Richmond Lewis. Les couleurs ont été refaites à l'occasion de la première édition en tradepaperback. Richmond Lewis utilise une palette volontairement limitée à quelques couleurs neutres qu'elle décline en de subtiles nuances. L'objectif est le même que celui du style des illustrations : privilégier cette sensation très ordinaire, et fuir le grand spectacle. Elle ne s'autorise qu'à de rares reprises à montrer l'étendue de son talent : un tapis par ci et une superbe paire de draps par là (dernière image du troisième épisode).
Tous ces atouts font de Year One un récit subtil et nuancé à l'opposé d'un film à gros budget et grand spectacle. L'humanité de chaque personnage et ses motivations s'en trouvent magnifiées. Chaque relecture (j'en ai une dizaine au compteur) transporte à nouveau et à chaque fois dans les difficultés et les choix cornélien de ces héros (Wayne et Gordon) très humains. La version Deluxe car elle contient quelques pages du script de Miller, les crayonnés de quelques pages et les différentes mises en couleurs de quelques pages (version comics mensuelle, pages avec uniquement les couleurs et résultat final).
Quoi de plus naïf qu'une hôtesse ?
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Ce tome est le premier de la série consacrée à Kathleen Van Overstraeten, en termes d’ordre de parution, mais le deuxième, à ce jour, par ordre chronologique de sa vie, après Bruxelles 43 (2020). Il a été réalisé par Patrick Weber pour le scénario, Baudouin Deville pour les dessins, l'encrage et la mise en couleurs, Bérengère Marquebreucq pour la mise en lumière uniquement de la couverture, c’est-à-dire la même équipe que celle des quatre autres albums de la série : Bruxelles 43 (paru en 2020), Léopoldville 60 (paru en 2019), Berlin 61 (paru en 2023), Innovation 67 (paru en 2021). Ce tome comporte cinquante-deux pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de huit pages, agrémenté de photographies, intitulé Souvenirs d’Expo, découpé en plusieurs articles : Derrière l’Expo d’autres expos, Un monde meilleur grâce à l’Expo ?, L’Expo invente le pays du sourire, L’Atomium star de l’Expo, Les pavillons les plus courus de l’Expo, L’Expo consacre le style Atome, À l’Expo cette drôle de Belgique joyeuse, Après l’Expo une autre Belgique ?, et une interview d’une page de Jacqueline Mens de Fernig, la fille du baron Georges Moens de Fernig (1899-1978). Viennent enfin deux pages sur lesquelles sont listées les centaines de personnes ayant contribué à la campagne de financement participatif.
Bruxelles, 1957, chantier de l’Atomium. Deux ouvriers discutent en se rendant dans la cabane de chantier pour prendre leurs affaires. Pol de Mesmaeker récrimine contre le rythme qui leur est imposé, sans compter que ce bazar à boules ne tiendra jamais debout. Son collègue verra bien qu’ils finiront par avoir des accidents sur ce chantier de fous. L’autre le chambre en lui rétorquant qu’il se demande si son collègue ne serait pas en train de virer rouge. Si ça ne lui plaît pas, il n’a qu’à postuler au pavillon de l’U.R.S.S. Ayant revêtu leur bleu de travail, ils ressortent, mais le téléphone sonne. Mesmaeker retourne dans la cabane de chantier. Il est poignardé et l’assassin s’empare de son laisser-passer.
Quatre mois plus tard, des dizaines de jeunes femmes se présentent pour s’inscrire et passer les tests d’hôtesse. Parmi elles, se trouvent Kathleen Overstraeten et son amie Monique. Tout le groupe est reçu par madame Jacqueline Devriendt, responsable du recrutement des hôtesses. Elle prend à parti une d’entre elles et lui demande si elle veut devenir une hôtesse de l’exposition universelle. La réponse étant positive, elle lui demande ensuite si elle connaît la définition du mot Sourire. Et elle hausse le ton pour lui demander de la mettre en pratique. Elle désigne ensuite Kathleen pour la prendre comme exemple : elle est le parfait exemple de ce qui est attendu, un sourire offert au monde, le sourire 58 ! Elle emmène ensuite les postulantes retenues pour aller voir l’Atomium en construction. Puis pendant quatre mois, les futures hôtesses sont astreintes à une formation accélérée. Elles assistent à des conférences données par des journalistes, des professeurs d’université et des architectes de jardins. La culture générale passe aussi par des visites d’usines et de musées.
Premier tome de la série, le lecteur en découvre les caractéristiques : reconstitution historique, belgitude, intrigue d’aventure (ici espionnage), féminisme sous-jacent. Les auteurs ont choisi un événement historique dans l’histoire de la Belgique : une exposition universelle qui a fait date, à la fois pour son monument passé à la postérité, l’Atomium à Laecken sur le plateau du Heysel, à la fois pour le style Atome reconnu par les historiens de l’art et du stylisme. Il est immédiatement évident que les auteurs ont procédé à de solides recherches pour bâtir leur projet. La lecture du récit s’avère fluide, tout en intégrant de nombreuses références historiques. Les caractéristiques de l’Expo : la présence de André Waterkeyn (1917-2005) ingénieur et concepteur de l’Atomium, Lucien de Roeck (1915-2002) graphiste et créateur du logotype de l’exposition universelle de 1958. L’héroïne croise d’autres personnages historiques comme Daniel Gélin (1921-2002), Romy Schneider (1938-1982), Lilli Palmer (1914-1986), Sidney Bechet (1897-1959) et son orchestre, et même Herbert Hoover (1874-1964) le trente-et-unième président des États-Unis. Le lecteur se rend compte que le scénariste dispose même de trop d’éléments et qu’il ne peut pas tout développer, en particulier quand Monique évoque le fait que le pavillon du Congo est un lieu sensible, certains voulant faire fermer le village des indigènes (authentique).
Dès la première page, le lecteur peut mesurer la qualité de la minutie de la reconstitution historique sur le plan visuel avec cette représentation de l’Atomium en cours de construction et les véhicules d’époque. Tout au long de ces cinquante-deux pages, l’artiste s’investit sans compter pour représenter cette époque, ces lieux, cet événement. Le lecteur ouvre grand les yeux pour ne pas en perdre une miette : les dernières traces de chantier, l’Atomium presque achevé (plus qu’une seule sphère de ce cristal de fer à finir de construire), les étoiles de De Roeck décorant les allées sur des mâts, le pavillon des États-Unis, le pavillon du Vatican, celui de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (U.R.S.S.), un plan de masse de l’exposition, le pavillon du Congo, le téléphérique de l’exposition, la grande allée, les mâts de signalétiques, etc. L’artiste se montre tout aussi précis et exact dans les représentations de Bruxelles à cette époque : une très belle brasserie, la grand-place de Bruxelles, sans oublier une magnifique vue du pavillon d’accueil de l’exposition, avec une vue générale de la place de Brouckère et la fontaine Anspach, les tramways, l’hôtel Continental avec son enseigne pour une célèbre marque de soda, l’hôtel Metropol, etc. Le lecteur ne perd pas non plus une seule représentation de voiture, et même du tricycle motorisé pour parcourir les allées de l’exposition, ou encore un side-car dans la scène de poursuite finale. L’attention prêtée au détail ne présente aucun défaut, jusqu’à l’emballage des barres chocolatées Dessert 58 de Côte d’Or. Les auteurs se sont également, à l’évidence concerté, pour parsemer des éléments culturels belges comme la visite d’Annie Cordy (1928-2020), les fraises de Wépion ou encore un cornet de frites ou deux.
Les caractéristiques des dessins relèvent de la ligne claire, dans une veine réaliste et descriptive, très agréable à la lecture. Le lecteur éprouve la sensation d’évoluer aux côtés des personnages, pouvant porter son intérêt sur les lieux, sur les tenues vestimentaires, sur leur comportement, leurs gestes. Le dessinateur conserve son haut degré d’investissement pour toutes les pages, toutes les cases, les arrière-plans comprenant de nombreuses informations visuelles. Les discussions bénéficient de plans de prise de vue dynamique, montrant l’environnement dans lesquelles elles se déroulent, les actions des interlocuteurs, les individus qui passent à proximité. L’avant-dernière séquence correspond à une course-poursuite avec prise d’otage, le lecteur ressentant le mouvement des déplacements, ainsi que la tension du fugitif et de son otage. En effet, cette bande dessinée raconte bien une histoire, une aventure de type Espionnage, en relation organique avec le contexte historique de l’époque et la tenue de l’exposition universelle en pleine Guerre froide, à quelques semaines de la crise de Berlin avec l’ultimatum de Nikita Khrouchtchev sommant les occidentaux de trouver une solution au statut de cette ville. La pauvre Kathleen Overstraeten se retrouve donc prise dans les intrigues de plusieurs individus aux enjeux secrets : Jean-Marc Spruyt (belge, ressemblant à Cary Grant), Ronald Amber (responsable du protocole du pavillon des États-Unis), Fra Matteo (journaliste de l’Ossvervatore Romano, le journal du Vatican) et Nicolas Soukine (officiel du pavillon soviétique).
Bien vite, Kathleen Ovesrtraeten est dépassée par les événements : le vol de sa sacoche pendant une visite guidée, les avances insistantes de Spruyt, le vol de l’œuvre d’art Le Christ décalé de l’artiste Svoboda dans le pavillon du Vatican, un globe terrestre qui se décroche et tombe avec fracas dans le pavillon de l’U.R.S.S., et la police qui s’intéresse de près à cette jeune femme qui était présente sur les lieux à chaque incident. Le lecteur se sent tout aussi perdu que l’héroïne et l’admire pour sa capacité à encaisser et à essayer de prendre des initiatives, bien que son emploi d’hôtesse soit en jeu. De ce point de vue, elle incarne à la fois une obligation de conformisme pour être belle et sourire afin de se montrer compétente dans son emploi, à la fois une forme d’émancipation car elle rit au nez de sa mère qui se demande si sa fille sera bonne à marier et elle ne se cantonne pas au rôle de victime que les événements semblent vouloir lui imposer. Par l’exemple, elle incarne une émancipation sous-jacente, une femme indépendante, un signe avant-coureur du féminisme.
Le dossier en fin d’ouvrage s’avère fort intéressant, venant développer certains points, comme le fait que l’Expo inventa même un nouveau métier, celui d’hôtesse au sol. Le lecteur ressort enchanté de cette bande dessinée : une immersion touristique et historique dans l’exposition universelle de Bruxelles en 1958, une aventure d’espionnage bien ficelée, un personnage principal attachant et crédible, avec une réelle personnalité déstabilisant les espions mâles ne voyant en elle qu’une belle plante. Formidable.
Wow, quel dessin, j'adore ! Dès le début, on est plongé dans un Paris sous la pluie, un décor oppressant, magnifiquement rendu par le noir et blanc de Peeters. Il maîtrise à merveille l'art du clair-obscur, avec ses ambiances lourdes. Les décors sont vivants, qu'il s'agisse d'un Paris sous une pluie constante ou de paysages plus naturels, presque fantastiques. Il y a aussi une certaine économie dans les détails, mais chaque trait compte. L'ensemble est mis en relief par des cadrages recherchés sans en faire trop, qui servent très bien le récit. Là franchement, bravo Mr Peeters.
Le scénario de Lehman n'est pas en reste, il monte en puissance, avec cette lente progression vers le mystique. Au départ, on suit des histoires de famille, des non-dits qui pèsent sur trois générations de femmes. Puis, petit à petit, le fantastique s’invite, sans forcer, tout ça s’intègre naturellement dans l’histoire. J'ai beaucoup aimé cette frontière floue entre le réel et l’imaginaire, qui n’est jamais clairement tranchée.
Si je devais lui trouver un défaut, je dirais que la fin va un peu vite, mais une fin plus longue aurait elle apporté le même équilibre global ?
Un one shot qui fait fort, très fort, autant par son récit que par son ambiance visuelle.
Un très bon one-shot.
J'avais quand même un peu peur au début parce que ça commence quand même de manière cliché: le riche homme d'affaire sans scrupules veut absolument un territoire pour ses ressources et le propriétaire est un vieux dur qui ne veut pas vendre du tout.
Heureusement, le scénariste s'est comment rendre captivant un récit qui contient des éléments qu'on a déjà vu. Il faut dire qu'il a eu la bonne idée de développer le personnage de l'homme d'affaire qui se révèle un peu plus complexe que les méchants riches qu'on voit habituellement dans ce type de western. Le scénario est prenant et il y a de très bonnes surprises, tout n'est pas cousu de fil blanc comment on pourrait le penser en lisant les premières pages.
Le dessin est très bon au niveau de la mise en scène et c'est dynamique, mais les personnages sont souvent un peu moches. Mais bon si je ne me trompe pas le dessinateur est débutant et il y a des chances qu'il s'améliore au fils du temps.
Coup de coeur pour moi. J'ai tellement été touché par rosa. Une sacrée femme ! A cette époque où la femme reste bien inférieure à l'homme, elle a su faire entendre sa voix, elle a pu découvrir son pouvoir face à des hommes qui pensent que la virilité ne tient qu'à la brutalité et la force. Elle est devenue maîtresse de chacun d'eux, découvrant leur fragilité et leurs âmes d'enfants. Mais ce qui est le plus beau dans cette histoire, c'est qu'elle a pu se découvrir elle-même et goûter la Liberté la vraie, celle dont peu de femmes de cette époque pouvaient soupçonner l'existence...
Zénith, c’est pour moi le pilier de l’univers de Donjon. L’humour absurde s’impose comme la marque de fabrique de cette époque, avec des personnages aussi improbables qu’attachants. Herbert, l’anti-héros parfait, et Marvin, le dragon végétarien, évoluent dans un monde bourré de clins d’œil aux jeux de rôle et à l’heroic fantasy, tout en renversant les clichés habituels du genre.
Le style graphique, au départ minimaliste avec Trondheim, a pris un tournant avec l’arrivée de Boulet qui a su apporter un souffle nouveau tout en restant fidèle à l’esprit de la série. L’évolution des personnages, bien qu’inscrite dans un univers volontairement décalé, donne une véritable consistance à leurs aventures. Les tomes successifs, s’ils gardent ce ton léger et parodique, apportent une vraie profondeur à l’intrigue, notamment avec les ramifications entre les différentes époques de l’univers Donjon.
En fait, Donjon Zénith n’est pas qu’une simple parodie : sous l’apparence légère, il y a un vrai savoir-faire narratif.
Tout simplement un incontournable, que ce soit pour ses personnages inoubliables ou son humour singulier. Ce n’est peut-être pas toujours aussi surprenant qu’à ses débuts, mais l’univers reste solide et attachant, un must pour les amateurs de fantasy et de BD d’aventure.
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Tout commence par un bel objet, bien épais (208 pages), au dos toilé de qualité et une couverture intrigante, promesse d'une histoire sombre et mystérieuse. A l'intérieur on n'est pas déçu, loin de là. D'abord par le dessin, le trait est maitrisé, moderne et élégant. Le noir est blanc est très à propos et sublime parfaitement l'ambiance du récit. Et justement le récit... waow. Tout commence par une histoire contemporaine, celle de 3 amis d'enfance. On fait connaissance avec les protagonistes et très vite on va plonger avec eux dans leurs souvenirs d'adolescents. Cette entrée en matière est réussie, sans pouvoir l'expliquer, on a immédiatement envie de savoir quelle va être l'histoire qu'ils vont vivre. Une amie d'enfance retrouvée, puis mystérieusement disparue, il n'en faut pas plus pour être happé par l'intrigue. Ca pourrait être une enquête sur une disparition réelle, sauf que celle ci prend très vite une dimension fantastique. Mais le tour de force, c'est qu'on y croit bien volontiers. C'est pas abracadabrant, c'est très intelligemment amené. C'est mystérieux juste ce qu'il faut. Les 3 héros vont tout mettre en oeuvre pour retrouver leur vieille copine. Ils vont découvrir des choses de plus en plus étranges : des fresques bizarres, un peintre oublié, des lieux bien curieux, des gens qui essayent de leur mettre des batôns dans les roues, et plus encore. La sauce prend merveilleusement bien, la part fantastique de l'histoire augmente au fil des pages mais on y croit toujours autant. Cette histoire est très bien racontée, elle est interessante dès le début, le rythme et l'intérêt ne baisse jamais. Les péripéties et les rebondissements ne manquent pas. Le développement est simple et clair, pas de complexité inutile, c'est prenant et la conclusion est totalement satisfaisante. Une BD Comme j'aimerais en lire plus souvent.
Chez Adolf
Ces 4 albums constituent un pur chef d’œuvre. L'éternelle question "qu'aurai je fait si j'avais été jeune majeur en 1940" est magistralement traitée au travers des aventures de cet allemand lambda Karl Stieg. Le plus surprenant peut être est de découvrir que ces aventures n'en ont que le nom puisqu'il s'agit ici de la version, sans doute romancée, de véritables destins. Le dessin est très agréable, très fouillé et très précis. Le scénario est impeccable et les couleurs inspirantes. Je ne peux que conseiller l'achat des 4 volumes de la série. Bravo aux auteurs.
The Good Asian
J’étais impatient de lire la superbe intégrale grand format. J’adore les polars noirs, et « The Good Asian » a reçu de nombreux prix en 2022, dont un Eisner Award (meilleure série courte) et un Harvey Award (meilleur album). Et je ressors ravi de ma lecture. Un détective américain d’origine chinoise enquête sur une disparition dans le Chinatown the San Francisco en 1936. Il va peu à peu mettre à jour une machination compliquée, qui va se ramifier sur 300 pages. La narration est fluide et maitrisée, et les sauts temporels clairement indiqués… Cependant les personnages abondent, et il faut rester concentré pour ne pas dérocher - un album à lire au calme, à tête reposée. Les deux derniers chapitres proposent un dénouement logique et bien amené, et surtout résument les évènements de l’intrigue, ce qui est quand même bien pratique pour tout remettre en place. La période et le lieu de l’histoire ne sont pas anodins, et fournissent un background riche et lourd de sens : la Loi d'exclusion des Chinois (Chinese Exclusion Act) mise en place en 1882 est toujours active, et les conséquences sociales sont énormes. L’histoire propose donc une réflexion pertinente et accessible sur l’intégration des immigrés, plus d’actualité que jamais en 2024. Le petit dossier en fin d’album démontre que l’auteur (lui-même d’origine thaïlandaise) s’est beaucoup documenté. La mise en image d’Alexandre Tefenkgi est exemplaire, et les couleurs de Lee Loughridge participent grandement aux ambiances du récit, mais aussi à la narration (pour représenter les sauts temporels). Du beau boulot. Une lecture un peu éprouvante par moment (le scenario est dense et nébuleux) mais passionnante, que je recommande aux amateurs de polars noirs. Un mot en fin d’album (« Edison Hark will return ») semble indiquer qu’une suite est prévue… j’espère que c’est le cas !
Killing Joke (Batman - The Killing Joke/Rire et Mourir/Souriez !)
Le sens de la vie selon le Joker - Ce tome est la réédition version luxe (grand format et nouvelle mise en couleur) d'un comics de 46 pages paru en 1988. L'histoire commence avec Batman qui se rend compte que le Joker s'est échappé une nouvelle fois d'Arkham. À partir de ce point de départ le lecteur est invité à assister aux exactions sadiques du Joker perpétrées à l'encontre de James et Barbara Gordon, à la confrontation qui s'en suit avec Batman et à découvrir l'une des origines possibles du personnage. Les exégètes estiment qu'Alan Moore n'était pas au meilleur de sa forme quand il a écrit ce scénario. Néanmoins le personnage du Joker et sa psychologie sont admirablement bien rendus. La folie destructrice du Joker est palpable, ses exactions font naître un vrai malaise et une répulsion horrifiée chez le lecteur. Batman est sombre et ténébreux à souhait, même si Alan Moore bafoue quelques traditions comportementales (par exemple il entre par la porte au lieu d'utiliser les fenêtres). Cette histoire se situe bien au-dessus du reste de la production et elle mérite sans conteste sa place parmi les 10 meilleures histoires de Batman. De plus les atrocités commises par le Joker envers Barbara Gordon ont imprimé une marque indélébile sur ce personnage, sur Gotham et sur l'univers DC en général. À eux seuls, les dessins de Brian Bolland font gagner ses cinq étoiles à cette histoire. Ce dessinateur rare réalise des planches d'une beauté exquise et d'une méticulosité à nulle autre pareille. Chaque expression faciale est travaillée pour devenir unique, chaque posture trouve l'équilibre parfait entre le caractère du personnage et l'efficacité de l'action, sans tomber dans le maniérisme. Chaque planche bénéficie d'une composition étudiée, privilégiant l'efficacité et la sobriété, sans tomber dans le tape-à-l'œil. Chaque case est d'une finesse extrême. C'est un délice rare pour les yeux. Cette édition est dite Deluxe pour les raisons suivantes. (1) Brian Bolland a refait la mise en couleur en adoptant des tons plus nuancé et moins criards. (2) Il a retouché une partie des dessins en particulier en supprimant l'ovale jaune qui servait de fond à la chauve-souris sur le costume de Batman. (3) Certains croquis et esquisses préparatoires ont été insérés à la fin du volume. (4) Une autre histoire de Batman (8 pages) illustrée par Brian Bolland a été mise en couleurs et intégrée. (5) Le format adopté est plus grand que celui des comics traditionnels. La découverte ou la relecture de cette histoire permet de découvrir le sort de Barbara Gordon et de rencontrer un Joker inquiétant, dérangé, sadique, fou, voulant à tout prix imposer sa vision de la vie à son ennemi de toujours.
Batman - Année Un (Year One)
Tout en nuances - Fin des années 80, juste après Crisis on Infinite Earths , DC Comics décide de relancer les séries de ses principaux héros. John Byrne redémarre Superman avec la minisérie The Man of Steel et George Pérez redémarre Wonder Woman avec Wonder Woman: Gods and Mortals . Le cas de Batman est un peu à part car les éditeurs sont persuadés qu'il n'y a pas besoin de recommencer à zéro, juste de disposer d'un récit plus récent des origines du personnages. La tâche est confiée à Frank Miller qui vient d'achever The Dark Knight Returns. Celui-ci accepte sous réserve que les illustrations soient confiées à David Mazzucchelli (ils ont également fait ensemble l'excellent Born again, de Daredevil). L'histoire tout le monde la connaît : Bruce Wayne revient de ses années de formation à l'étranger pour combattre le crime dans Gotham City. Ce qui rend cette version de ses origines remarquable et indispensable c'est la combinaison de deux talents exceptionnels au sommet de leur art. Frank Miller à l'idée géniale de mettre en vis à vis les tribulations d'un Batman tâtonnant avec l'arrivée de James Gordon dans la police de Gotham. Cette histoire suit les deux hommes pendant la première année de leur retour à Gotham. Bruce Wayne expérimente pour trouver le modus operandi le plus efficace pour lutter contre la criminalité (costume, relations avec la police, tactiques…) et James Gordon se heurte de plein fouet à la corruption et à la responsabilité de devenir père dans une ville peu hospitalière. Frank Miller déroule l'histoire à partir du point de vue de ses deux principaux personnages. Les informations complémentaires sont délivrées par le biais de flashs d'informations télé (astuce déjà utilisée dans Dark Knight, mais ici beaucoup mieux maîtrisée). C'est histoire constitue la preuve du talent de Miller : elle est parue en 1986 dans quatre épisodes (Batman 404 à 407) et elle contient toutes les bases du mythe tel qu'il est toujours valable aujourd'hui dans la continuité. Avec ce seul volume, vous pourrez enfin connaître les relations entre Selina Kyle et Holly Hunter, Catwoman et Batman, Sarah Essen et James Gordon, Harvey Dent et Bruce Wayne. Du début jusqu'à la fin, Frank Miller déroule un scénario très ramassé sur un mode narratif sans aucun temps mort et avec une empathie complète avec ses personnages. Le choix de David Mazzucchelli est d'une pertinence exceptionnelle. Par opposition au Dark Knight qui est un récit flamboyant et jusqu'au-boutiste, Year One est très terre à terre et factuel. Il s'agit presque d'articles de presse relatant des faits divers. Le style détaillé et réaliste de Mazzucchelli est en parfaite adéquation avec le ton du récit. Chaque personnage est reconnaissable et crédible, chaque décor est pensé à la manière d'un décorateur ou d'un urbaniste. Le choix d'un style appliqué et tout en retenu plutôt que démonstratif sert admirablement l'histoire. Le regard est frappé par la vraisemblance des intérieurs (les meubles ne sont pas disposés au petit bonheur, mais comme dans un intérieur ordinaire). Le travail du dessinateur est admirablement complété par la mise en couleurs de Richmond Lewis. Les couleurs ont été refaites à l'occasion de la première édition en tradepaperback. Richmond Lewis utilise une palette volontairement limitée à quelques couleurs neutres qu'elle décline en de subtiles nuances. L'objectif est le même que celui du style des illustrations : privilégier cette sensation très ordinaire, et fuir le grand spectacle. Elle ne s'autorise qu'à de rares reprises à montrer l'étendue de son talent : un tapis par ci et une superbe paire de draps par là (dernière image du troisième épisode). Tous ces atouts font de Year One un récit subtil et nuancé à l'opposé d'un film à gros budget et grand spectacle. L'humanité de chaque personnage et ses motivations s'en trouvent magnifiées. Chaque relecture (j'en ai une dizaine au compteur) transporte à nouveau et à chaque fois dans les difficultés et les choix cornélien de ces héros (Wayne et Gordon) très humains. La version Deluxe car elle contient quelques pages du script de Miller, les crayonnés de quelques pages et les différentes mises en couleurs de quelques pages (version comics mensuelle, pages avec uniquement les couleurs et résultat final).
Sourire 58
Quoi de plus naïf qu'une hôtesse ? - Ce tome est le premier de la série consacrée à Kathleen Van Overstraeten, en termes d’ordre de parution, mais le deuxième, à ce jour, par ordre chronologique de sa vie, après Bruxelles 43 (2020). Il a été réalisé par Patrick Weber pour le scénario, Baudouin Deville pour les dessins, l'encrage et la mise en couleurs, Bérengère Marquebreucq pour la mise en lumière uniquement de la couverture, c’est-à-dire la même équipe que celle des quatre autres albums de la série : Bruxelles 43 (paru en 2020), Léopoldville 60 (paru en 2019), Berlin 61 (paru en 2023), Innovation 67 (paru en 2021). Ce tome comporte cinquante-deux pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de huit pages, agrémenté de photographies, intitulé Souvenirs d’Expo, découpé en plusieurs articles : Derrière l’Expo d’autres expos, Un monde meilleur grâce à l’Expo ?, L’Expo invente le pays du sourire, L’Atomium star de l’Expo, Les pavillons les plus courus de l’Expo, L’Expo consacre le style Atome, À l’Expo cette drôle de Belgique joyeuse, Après l’Expo une autre Belgique ?, et une interview d’une page de Jacqueline Mens de Fernig, la fille du baron Georges Moens de Fernig (1899-1978). Viennent enfin deux pages sur lesquelles sont listées les centaines de personnes ayant contribué à la campagne de financement participatif. Bruxelles, 1957, chantier de l’Atomium. Deux ouvriers discutent en se rendant dans la cabane de chantier pour prendre leurs affaires. Pol de Mesmaeker récrimine contre le rythme qui leur est imposé, sans compter que ce bazar à boules ne tiendra jamais debout. Son collègue verra bien qu’ils finiront par avoir des accidents sur ce chantier de fous. L’autre le chambre en lui rétorquant qu’il se demande si son collègue ne serait pas en train de virer rouge. Si ça ne lui plaît pas, il n’a qu’à postuler au pavillon de l’U.R.S.S. Ayant revêtu leur bleu de travail, ils ressortent, mais le téléphone sonne. Mesmaeker retourne dans la cabane de chantier. Il est poignardé et l’assassin s’empare de son laisser-passer. Quatre mois plus tard, des dizaines de jeunes femmes se présentent pour s’inscrire et passer les tests d’hôtesse. Parmi elles, se trouvent Kathleen Overstraeten et son amie Monique. Tout le groupe est reçu par madame Jacqueline Devriendt, responsable du recrutement des hôtesses. Elle prend à parti une d’entre elles et lui demande si elle veut devenir une hôtesse de l’exposition universelle. La réponse étant positive, elle lui demande ensuite si elle connaît la définition du mot Sourire. Et elle hausse le ton pour lui demander de la mettre en pratique. Elle désigne ensuite Kathleen pour la prendre comme exemple : elle est le parfait exemple de ce qui est attendu, un sourire offert au monde, le sourire 58 ! Elle emmène ensuite les postulantes retenues pour aller voir l’Atomium en construction. Puis pendant quatre mois, les futures hôtesses sont astreintes à une formation accélérée. Elles assistent à des conférences données par des journalistes, des professeurs d’université et des architectes de jardins. La culture générale passe aussi par des visites d’usines et de musées. Premier tome de la série, le lecteur en découvre les caractéristiques : reconstitution historique, belgitude, intrigue d’aventure (ici espionnage), féminisme sous-jacent. Les auteurs ont choisi un événement historique dans l’histoire de la Belgique : une exposition universelle qui a fait date, à la fois pour son monument passé à la postérité, l’Atomium à Laecken sur le plateau du Heysel, à la fois pour le style Atome reconnu par les historiens de l’art et du stylisme. Il est immédiatement évident que les auteurs ont procédé à de solides recherches pour bâtir leur projet. La lecture du récit s’avère fluide, tout en intégrant de nombreuses références historiques. Les caractéristiques de l’Expo : la présence de André Waterkeyn (1917-2005) ingénieur et concepteur de l’Atomium, Lucien de Roeck (1915-2002) graphiste et créateur du logotype de l’exposition universelle de 1958. L’héroïne croise d’autres personnages historiques comme Daniel Gélin (1921-2002), Romy Schneider (1938-1982), Lilli Palmer (1914-1986), Sidney Bechet (1897-1959) et son orchestre, et même Herbert Hoover (1874-1964) le trente-et-unième président des États-Unis. Le lecteur se rend compte que le scénariste dispose même de trop d’éléments et qu’il ne peut pas tout développer, en particulier quand Monique évoque le fait que le pavillon du Congo est un lieu sensible, certains voulant faire fermer le village des indigènes (authentique). Dès la première page, le lecteur peut mesurer la qualité de la minutie de la reconstitution historique sur le plan visuel avec cette représentation de l’Atomium en cours de construction et les véhicules d’époque. Tout au long de ces cinquante-deux pages, l’artiste s’investit sans compter pour représenter cette époque, ces lieux, cet événement. Le lecteur ouvre grand les yeux pour ne pas en perdre une miette : les dernières traces de chantier, l’Atomium presque achevé (plus qu’une seule sphère de ce cristal de fer à finir de construire), les étoiles de De Roeck décorant les allées sur des mâts, le pavillon des États-Unis, le pavillon du Vatican, celui de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (U.R.S.S.), un plan de masse de l’exposition, le pavillon du Congo, le téléphérique de l’exposition, la grande allée, les mâts de signalétiques, etc. L’artiste se montre tout aussi précis et exact dans les représentations de Bruxelles à cette époque : une très belle brasserie, la grand-place de Bruxelles, sans oublier une magnifique vue du pavillon d’accueil de l’exposition, avec une vue générale de la place de Brouckère et la fontaine Anspach, les tramways, l’hôtel Continental avec son enseigne pour une célèbre marque de soda, l’hôtel Metropol, etc. Le lecteur ne perd pas non plus une seule représentation de voiture, et même du tricycle motorisé pour parcourir les allées de l’exposition, ou encore un side-car dans la scène de poursuite finale. L’attention prêtée au détail ne présente aucun défaut, jusqu’à l’emballage des barres chocolatées Dessert 58 de Côte d’Or. Les auteurs se sont également, à l’évidence concerté, pour parsemer des éléments culturels belges comme la visite d’Annie Cordy (1928-2020), les fraises de Wépion ou encore un cornet de frites ou deux. Les caractéristiques des dessins relèvent de la ligne claire, dans une veine réaliste et descriptive, très agréable à la lecture. Le lecteur éprouve la sensation d’évoluer aux côtés des personnages, pouvant porter son intérêt sur les lieux, sur les tenues vestimentaires, sur leur comportement, leurs gestes. Le dessinateur conserve son haut degré d’investissement pour toutes les pages, toutes les cases, les arrière-plans comprenant de nombreuses informations visuelles. Les discussions bénéficient de plans de prise de vue dynamique, montrant l’environnement dans lesquelles elles se déroulent, les actions des interlocuteurs, les individus qui passent à proximité. L’avant-dernière séquence correspond à une course-poursuite avec prise d’otage, le lecteur ressentant le mouvement des déplacements, ainsi que la tension du fugitif et de son otage. En effet, cette bande dessinée raconte bien une histoire, une aventure de type Espionnage, en relation organique avec le contexte historique de l’époque et la tenue de l’exposition universelle en pleine Guerre froide, à quelques semaines de la crise de Berlin avec l’ultimatum de Nikita Khrouchtchev sommant les occidentaux de trouver une solution au statut de cette ville. La pauvre Kathleen Overstraeten se retrouve donc prise dans les intrigues de plusieurs individus aux enjeux secrets : Jean-Marc Spruyt (belge, ressemblant à Cary Grant), Ronald Amber (responsable du protocole du pavillon des États-Unis), Fra Matteo (journaliste de l’Ossvervatore Romano, le journal du Vatican) et Nicolas Soukine (officiel du pavillon soviétique). Bien vite, Kathleen Ovesrtraeten est dépassée par les événements : le vol de sa sacoche pendant une visite guidée, les avances insistantes de Spruyt, le vol de l’œuvre d’art Le Christ décalé de l’artiste Svoboda dans le pavillon du Vatican, un globe terrestre qui se décroche et tombe avec fracas dans le pavillon de l’U.R.S.S., et la police qui s’intéresse de près à cette jeune femme qui était présente sur les lieux à chaque incident. Le lecteur se sent tout aussi perdu que l’héroïne et l’admire pour sa capacité à encaisser et à essayer de prendre des initiatives, bien que son emploi d’hôtesse soit en jeu. De ce point de vue, elle incarne à la fois une obligation de conformisme pour être belle et sourire afin de se montrer compétente dans son emploi, à la fois une forme d’émancipation car elle rit au nez de sa mère qui se demande si sa fille sera bonne à marier et elle ne se cantonne pas au rôle de victime que les événements semblent vouloir lui imposer. Par l’exemple, elle incarne une émancipation sous-jacente, une femme indépendante, un signe avant-coureur du féminisme. Le dossier en fin d’ouvrage s’avère fort intéressant, venant développer certains points, comme le fait que l’Expo inventa même un nouveau métier, celui d’hôtesse au sol. Le lecteur ressort enchanté de cette bande dessinée : une immersion touristique et historique dans l’exposition universelle de Bruxelles en 1958, une aventure d’espionnage bien ficelée, un personnage principal attachant et crédible, avec une réelle personnalité déstabilisant les espions mâles ne voyant en elle qu’une belle plante. Formidable.
L'Homme gribouillé
Wow, quel dessin, j'adore ! Dès le début, on est plongé dans un Paris sous la pluie, un décor oppressant, magnifiquement rendu par le noir et blanc de Peeters. Il maîtrise à merveille l'art du clair-obscur, avec ses ambiances lourdes. Les décors sont vivants, qu'il s'agisse d'un Paris sous une pluie constante ou de paysages plus naturels, presque fantastiques. Il y a aussi une certaine économie dans les détails, mais chaque trait compte. L'ensemble est mis en relief par des cadrages recherchés sans en faire trop, qui servent très bien le récit. Là franchement, bravo Mr Peeters. Le scénario de Lehman n'est pas en reste, il monte en puissance, avec cette lente progression vers le mystique. Au départ, on suit des histoires de famille, des non-dits qui pèsent sur trois générations de femmes. Puis, petit à petit, le fantastique s’invite, sans forcer, tout ça s’intègre naturellement dans l’histoire. J'ai beaucoup aimé cette frontière floue entre le réel et l’imaginaire, qui n’est jamais clairement tranchée. Si je devais lui trouver un défaut, je dirais que la fin va un peu vite, mais une fin plus longue aurait elle apporté le même équilibre global ? Un one shot qui fait fort, très fort, autant par son récit que par son ambiance visuelle.
Carcajou
Un très bon one-shot. J'avais quand même un peu peur au début parce que ça commence quand même de manière cliché: le riche homme d'affaire sans scrupules veut absolument un territoire pour ses ressources et le propriétaire est un vieux dur qui ne veut pas vendre du tout. Heureusement, le scénariste s'est comment rendre captivant un récit qui contient des éléments qu'on a déjà vu. Il faut dire qu'il a eu la bonne idée de développer le personnage de l'homme d'affaire qui se révèle un peu plus complexe que les méchants riches qu'on voit habituellement dans ce type de western. Le scénario est prenant et il y a de très bonnes surprises, tout n'est pas cousu de fil blanc comment on pourrait le penser en lisant les premières pages. Le dessin est très bon au niveau de la mise en scène et c'est dynamique, mais les personnages sont souvent un peu moches. Mais bon si je ne me trompe pas le dessinateur est débutant et il y a des chances qu'il s'améliore au fils du temps.
Rosa
Coup de coeur pour moi. J'ai tellement été touché par rosa. Une sacrée femme ! A cette époque où la femme reste bien inférieure à l'homme, elle a su faire entendre sa voix, elle a pu découvrir son pouvoir face à des hommes qui pensent que la virilité ne tient qu'à la brutalité et la force. Elle est devenue maîtresse de chacun d'eux, découvrant leur fragilité et leurs âmes d'enfants. Mais ce qui est le plus beau dans cette histoire, c'est qu'elle a pu se découvrir elle-même et goûter la Liberté la vraie, celle dont peu de femmes de cette époque pouvaient soupçonner l'existence...
Donjon Zenith
Zénith, c’est pour moi le pilier de l’univers de Donjon. L’humour absurde s’impose comme la marque de fabrique de cette époque, avec des personnages aussi improbables qu’attachants. Herbert, l’anti-héros parfait, et Marvin, le dragon végétarien, évoluent dans un monde bourré de clins d’œil aux jeux de rôle et à l’heroic fantasy, tout en renversant les clichés habituels du genre. Le style graphique, au départ minimaliste avec Trondheim, a pris un tournant avec l’arrivée de Boulet qui a su apporter un souffle nouveau tout en restant fidèle à l’esprit de la série. L’évolution des personnages, bien qu’inscrite dans un univers volontairement décalé, donne une véritable consistance à leurs aventures. Les tomes successifs, s’ils gardent ce ton léger et parodique, apportent une vraie profondeur à l’intrigue, notamment avec les ramifications entre les différentes époques de l’univers Donjon. En fait, Donjon Zénith n’est pas qu’une simple parodie : sous l’apparence légère, il y a un vrai savoir-faire narratif. Tout simplement un incontournable, que ce soit pour ses personnages inoubliables ou son humour singulier. Ce n’est peut-être pas toujours aussi surprenant qu’à ses débuts, mais l’univers reste solide et attachant, un must pour les amateurs de fantasy et de BD d’aventure.