Je vais utiliser cet avis pour déclarer mon amour pour les créations d’Emile Bravo.
Tout d'abord parce que je trouve son dessin magnifique, simple, propre et expressif, mais aussi parce que je trouve qu’il sait parfaitement manier les récits jeunesse, les rendre agréables et intéressants à tout âge, sans avoir recours aux doubles sens de lecture.
Bref, je trouve ses récits frais et inventifs.
Ici c’est même très inventif car monsieur Bravo nous propose de la réécriture de conte. Pas forcément une relecture afin d’étayer un propos. Non, non : du gros délire, tout simplement.
Les aventures des sept ours nains, c’est un gros gloubi-boulga de contes de fées, un mic-mac de références et de jeux de mots, bref, comme dit précédemment, un gros délire.
C’était jouissif à lire quand j’étais enfant, cela le reste tout autant aujourd’hui.
A faire découvrir aux enfants comme aux adultes.
Les attentes : le démon caché dans toute âme enthousiaste.
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Ce tome contient une approche biographique de la vie de la sculptrice Camille Claudel (1864-1943), également sœur du dramaturge Paul Claudel (1868-1955), et collaboratrice du sculpteur Auguste Rodin (1840-1917). Son édition originale date de 2022 en Italie, et de 2023 en France. Il a été réalisé par Monica Foggia pour le scénario et Martina Marzadori pour les dessins et la mise en couleurs, traduit de l’italien par Jérôme Nicolas. Il comporte cent-dix pages de bandes dessinées. Il se termine avec une postface de cinq pages, rédigée par la scénariste, revenant sur la relation entre la sculptrice et Rodin, sur son internement et la notion d’hystérie à l’époque, sur le fait qu’elle était considérée inadaptée pour exercer un métier réservé aux hommes, et sur l’inspiration de l’écoute de La mer de Claude Debussy pour son écriture. Viennent ensuite une page de remerciements, et une dernière page avec la bibliographie recensant sept ouvrages, le film de Bruno Nuytten dans lequel Sophie Marceau incarne la sculptrice, et deux sites internet.
Une petite fille de bonne famille. La souffrance de la beauté qui déchire la roche, la met en pièces pour dominer sa forme. En 1876, dans la campagne de Montfavet, devant un rocher appelé géant de Montpreux, Camille Claudel est en train de façonné une petite statue de terre, son petit frère posant devant elle et commençant à fatiguer. Il finit par s’allonger dans l’herbe. Louise-Athanaïse, leur mère, les appelle, exigeant qu’ils viennent ici tout de suite. Elle admoneste sa fille qui devrait avoir honte : les demoiselles de bonne famille ne se salissent pas, et la robe de Camille est maculée de terre. Cette dernière répond que pour créer, il faut se salir, Dieu l’a fait. Montfavet en 1921 : Camille regarde par la fenêtre, elle observe un oiseau donner la becquée à ses oisillons. Une dame l’appelle : un paquet est arrivé pour elle. Il contient de la terre à modeler.
À Villeneuve-sur-Fère en 1878, dans la maison familiale des Claudel, la jeune Camille indique à sa mère qu’elle a une grande envie de faire son portrait, elle ajoute que papa serait content. Après un mouvement de refus, sa mère accepte à condition que sa fille essaye de la mettre en valeur. La fille emmène la mère dans le jardin et cette dernière s’assied dans un fauteuil, sous l’ombre d’un feuillage. Camille se met au dessin en pensant que pour mettre sa mère en valeur, elle a dû déchirer le voile que sa mère avait elle-même tissé. Des grands yeux de sa mère, Camille a saisi la douleur secrète. De son corps, l’esprit de la résignation. De ses mains l’abnégation complète. Camille a toujours pensé que sa mère la détestait parce que sa fille n’avait pas voulu se soumettre comme sa mère l’avait fait. Mais avec le temps, elle a compris qu’au fond sa mère l’enviait parce que Camille n’était pas comme elle. Au temps présent de 1921, Camille se demande où est ce portrait à présent. Il doit être perdu, comme sa mère. Elle se rappelle comme sa mère détestait ses outils d’artiste, elle les aurait volontiers jetés au feu, et sa fille avec.
Les autrices ont choisi d’adopter le point de vue de Camille Claudel (1864-1943) du début jusqu’à la fin, présente dans chaque page. Il s’agit donc d’une histoire de femme, avec son point de vue, l’accès de temps à autre à ses pensées. Dans sa postface, la scénariste explicite son choix de ne pas insister dans ce roman graphique sur la maladie mentale qui affligea Camille : il est dicté par la nécessité de rendre justice à la femme, à la sculptrice, à la personne et à sa grandeur artistique. Elle évoque également le comportement de sa mère à son égard : froide et bigote, ne cessant de la rabaisser, et de tenter de brider sa vocation artistique. Elle indique que son père, à l’inverse, était parfaitement conscient du talent de sa fille aînée : il la soutint jusqu’à la fin de ses jours. Le sculpteur Alfred Boucher (1850-1934) a évalué et reconnu son talent. Son frère Paul Claudel (1868-1955) l’a également soutenue. Auguste Rodin l’a encouragée : elle est devenue sa plus proche collaboratrice, sa modèle et sa maîtresse. Elle dû vivre avec son infidélité, la possible appropriation de ses œuvres par Rodin, un avortement, la réaction d’une société patriarcale contre le mouvement d’émancipation des femmes, en particulier le recours abusif au diagnostic d’hystérie. Pour autant, ces faits sont évoqués comme les autres événements de sa vie, sans que la bande dessinée ne prenne les formes d’un pamphlet féministe ou anti-patriarcat, les autrices se focalisant sur les moments essentiels dans la vie artistique de cette créatrice.
Le lecteur découvre Camille Claudel avant l’adolescence en train de modeler la terre pour sculpter son petit frère. Les cases sont dépourvues de bordure tracée, alignées en bande, quelques-unes biseautées en trapèze. L’absence de bordure introduit une forme de douceur, confortée par la mise en couleurs, comme réalisée au crayon, et estompée. De prime abord, la narration visuelle dégage une impression d’art naïf avec des visages simplifiés, des expressions parfois un peu enfantines, un regard qui s’attache plus à certains éléments de l’environnement qu’à d’autres. Dans le même temps, la composition des pages et la variété des découpages correspondent à une narration adulte, avec une quinzaine d’illustrations en pleine page, trois en double page, des pages où un personnage est représenté à plusieurs reprises dans des positions diverses dans une seule image, des cases avec uniquement un personnage et des accessoires sans arrière-plan, quelques magnifiques paysages ou intérieurs. Par exemple, le très bel effet de la lumière du soleil dans le feuillage à la fenêtre de la chambre de Camille à Montfavet, les motifs abstraits des tapis, une double page consacrée à une vue d’une rue de Paris avec son animation nocturne, les étudiants en train de s’affairer sur leur sculpture dans l’atelier de l’Académie Colarossi, la grande salle d’un théâtre parisien, les falaises de l’ile Wight, un quai en bord de Seine à Paris, une vue en extérieur du bâtiment de l’asile de Montfavet, etc.
À plusieurs reprises, la narration visuelle saisit un moment fugace ou complexe, avec une grande sensibilité. Le lecteur ressent pleinement ce qui se joue entre la mère et la fille quand cette dernière demande à la dessiner, par les expressions de visages, les mouvements. Dans la scène suivante quand la mère fait obstacle à la volonté du père d’emmener leur fille à Paris pour qu’elle puisse étudier dans un atelier, le lecteur éprouve l’impression que le jeu des acteurs est forcé : il se dit que l’artiste représente les réactions du père et de la mère comme vues par les yeux d’enfants de Camille, ce qui explique ces émotions plus brutes. Il en a la confirmation en voyant l’entrain avec lequel la demoiselle prépare sa valise, tellement heureuse que son père ait emporté la décision. Lorsqu’elle rencontre Rodin pour la première fois, le lecteur voit qu’elle est devenue une jeune femme, consciente du désir. Plus tard, il peut comparer le comportement de Camille avec Claude Debussy (1862-1918), à son comportement avec Rodin : les deux jeunes gens apparaissent plus insouciants, plus gais, sans le poids de l’âge de Rodin, de vingt-quatre ans l’aîné de Camille. En page cent-onze, la sculptrice se retrouve devant un peloton d’exécution, une métaphore de la condamnation que la société fait peser sur elle, du fait de sa vie émancipée, que ce soit pour l’exercice d’un métier d’homme, ou pour la liberté de sa vie amoureuse.
Du fait du mode narratif, le lecteur éprouve une empathie pleine et entière pour Camille Claudel, voyant sa vie par ses yeux, au travers de ses émotions. Il ressent le besoin de créer, la vocation sans doute possible pour sculpter. Il ressent son élan de bonheur quand elle apprend que son père a pu faire en sorte qu’elle étudie dans un atelier. Il ressent son assurance quand elle répond à Filippo Colarossi (1841-1906) qui estime qu’elle a un style viril, sans rien de mièvre, ni de décoratif, car l’œuvre qu’il contemple à un style incisif. Elle le reprend devant tous les autres étudiants et étudiantes, en lui enjoignant de ne pas confondre ce qui est masculin avec ce qui est expressif et profond, une femme aussi est capable d’exprimer cela. Il s’enthousiasme avec elle quand elle accueille Jessie Lipscomb (1861-1952). Il apprécie une deuxième fois sa confiance quand elle répond à Auguste Rodin que le style de ce dernier n’est pas celui à elle. Les autrices savent faire vivre Camille Claudel, par ses envies, ses convictions, ses émotions, son travail. Elles évoquent la nature de son talent, sans aller jusqu’à se livrer à une analyse de son apport à la sculpture. Elles dressent le portrait d’un être humain grandissant en faisant avec les caractéristiques de la société de l’époque, ballotée entre sa vocation, ses amours, la manière dont elle est traitée par son amant.
En entamant la biographie d’une artiste, le lecteur ne sait pas toujours qu’elle en sera la nature, plutôt biographique axée sur les moments de vie personnelle, ou avec un accent plus important sur la carrière avec une analyse de l’œuvre. Ici, les autrices ont choisi la première approche, montrant avant tout un être humain faisant tout son possible pour exercer sa vocation, pour faire aboutir sa vision artistique, tout en composant avec les contraintes imposées par la société. La narration visuelle s’avère formidable par sa douceur, et par sa sensibilité, très adulte même si l’apparence des dessins peut évoquer certains aspects de l’art naïf.
J’ai adoré cet album.
Les dessins sont magnifiques, très colorés et tout en rondeurs. Les thèmes abordés, bien que simples dans leur traitement, me parlent énormément. Le personnage principal est très attachant. La lecture a été on ne peut plus agréable et c’est un gros coup de cœur pour moi.
Bref, sur le papier, je mettrais 4 étoiles et un coup de cœur sans état d’âme et puis basta.
Mais voilà, l’œuvre souffre tout de même d’un défaut : le rythme du récit est très lent.
Un peu normal vu que nous suivons l’évolution d’un personnage, de sa perception de soi et du monde qui l’entoure, sur plusieurs années, mais là c’est quand-même un chouïa trop lent.
Le récit reste une histoire feel good sur la découverte et l’épanouissement personnel d’individus en marge de la société, donc un rythme lent qui installe son récit est bienvenu, mais là on a parfois l’impression que le récit se met en pause par moment.
Bref, un rythme parfois ballant.
Mis à part ça, l’album reste une très bonne lecture.
L’histoire qui nous est racontée est celle d’un enfant albinos rejeté par son village (et son propre père) qui va finir par croiser la route de Viviana, une « sorcière » vivant seule dans la forêt suite à la perte d’un être cher.
Autour de cette base simple, les autrices traitent de l’exclusion, de l’acceptation de soi, du besoin d’être entouré et soutenu lorsque le plus grand nombre nous veut du mal, et également du genre.
L’album tourne beaucoup autour de la question du genre.
Du genre féminin, tout d’abord, puisque nous suivons des personnages évoluant pour la majorité dans une sororité de « sorcières ». La figure de la sorcière est ici utilisée, comme souvent, pour représenter les individues en marge de la société, les parias des bonnes gens et surtout la figure féminine sortant des carcans imposés par une société patriarcale. Ici, je précise, tous les hommes sont des gros cons. Certains regretteront sans doute le manque de nuance, je l’excuse facilement car le récit cherche davantage à s’adresser à la figure de la sorcière, des rejetées, plutôt qu’à celle du bourreau. Clairement, la BD n’avait pas pour cible les « Not all men » et c’est tout à son honneur.
Mais alors, si tous les hommes sont cruels et violents dans cette histoire, comment notre protagoniste, présenté comme un garçon, peut-il rejoindre cette sororité au cœur du récit ?
Eh bien par un petit twist très simple : en se révélant ne pas être un garçon.
En effet, Rebis n’est pas que le titre de l’album, c’est également le nom que prendra la jeune fille suite à sa renaissance. Renaissance d’ailleurs symbolisée par la petite larve d’insecte qu’elle a sauvée et protégée des années avant qu’elle ne finisse par éclore et s’envoler. Scène d’envol où elle apprend à sa sœur son changement (l’échange est sous-entendu mais on la verra bien la genrer au féminin par la suite). D’ailleurs, mis à part les brutes du village, tout le monde genre Rebis au féminin après ça.
Je ne sais pas si je pourrais qualifier Rebis de femme transgenre, ne serait-ce que parce que rapporter des notions modernes à des personnages ayant vécu dans une société différente est casse-gueule, mais l’histoire ayant été écrite par des autrices contemporaines c’est comme ça que je l’ai interprétée. Après tout, si le personnage principal et l’œuvre portent tout deux le nom de Rebis (mot issu du lexique alchimique pour désigner un corps hermaphrodite) ce n’est sans doute pas pour rien.
Bref, je déblatère, je déblatère…
Rebis est une très bonne histoire traitant de sujets qui me parlent beaucoup, donc je vais essayer de remonter un peu sa note.
(Note réelle : 3,5)
Bon, cet avis va très probablement être long et personnel.
Je vais commencer par le positif : c’est une bonne (très bonne) histoire. Rien de nécessairement révolutionnaire mais l’intrigue est entraînante et les personnages sont charismatiques.
Le récit, qui s’inscrit dans un univers étendu, s’en sort bien. On nous raconte les origines d’un personnage extrêmement important tout en rendant ça accessible et compréhensible à des néophytes (même si, c’est sûr, connaître les tenants et aboutissants de l’univers aide l’appréciation).
Le dessin de Mig est magnifique. J’apprécie énormément son style et, ici, il colle parfaitement à l’intrigue. Les personnages gagnent beaucoup en expressivité et en charisme grâce à lui.
La fratrie (que je vais vous présenter plus loin) est un groupe de personnages que je n’ai jamais vraiment aimé mais qui ici, étrangement, me plait. C’est la seule œuvre les concernant qui a vraiment réussi à me les rendre intéressant-e-s. Bon, ça reste quand-même pour la grande majorité un ramassis de salopards, mais j’arrive à en avoir quelque chose à faire de leurs pommes (et croyez-moi, pour avoir vu et lu les autres histoires les concernant, c’était pas forcément gagné).
La fratrie, justement, va me servir de pont pour aborder les problèmes de cette série.
Alors, la fratrie, c’est qui ?
C’est un groupe composé de demi-dieux, abandonnés par leurs parents divins et qui complotent dans l’ombre pour les destituer et prendre leur place (dans cet univers, les divinités se comportent de manière similaire à celles de la mythologie grecque, c’est-à-dire qu’elles sont très souvent égoïstes et créent des marmots avec des mortel-le-s par centaines – on peut comprendre l’énervement des rejetons).
Bon, en soi, la promesse d’un tel groupe est intrigante et intéressante, et il y a de quoi faire plein d’histoires autour de ce concept.
Le problème, ici, c’est qu’à la barre de ce grand projet transmédia, on peut trouver Tot.
Tot, c’est un peu celui qui gère la cohérence globale de cet univers étendu et écrit de nombreuses histoires s’y passant. Le problème donc, c’est que Tot a un jour décidé de faire de cette fratrie le centre de l’univers. C’est-à-dire que, du jour au lendemain, tous les évènements catastrophiques qui ont eu lieu, racontés dans diverses histoires, ont tous été causés ou aidés par la fratrie.
Ce choix étrange est pour moi à la fois un aveu d’échec et du sabotage.
Un aveu d’échec car je ressens par cette décision une absence d’idée sur comment rendre ce groupe intéressant. On n’avait pas d’idée pour leur raconter une histoire ou pour leur donner des choses à faire, alors du coup on les a greffés, tels des sangsues, sur toutes les autres histoires qui, elles, avaient des idées.
Du sabotage, donc, car par là-même chacune de ces histoires, chacun de ces évènements majeurs qui forment cet univers perd immédiatement de sa valeur. Un personnage était intéressant car une simple erreur a causé sa ruine et l’a fait sombrer dans la folie ? En fait non, ses malheurs ont été causés par un groupe ultra secret très méchant qui l’a manipulé. Un personnage nous faisait nous questionner sur le bien et le mal en nous montrant que, toute sincère soit votre envie de vous racheter après avoir commis des crimes, il suffit d’un malentendu pour que l’on vous renie et vous conspue ? En fait non, ses malheurs ont été causés par un groupe ultra secret très méchant qui l’a manipulé.
Bref, vous voyez le problème.
L’idée du groupe ultra secret qui en fait contrôlait tout depuis le début, c’est malheureusement une idée qui fleurit parfois dans les univers étendus et qui a toujours pour résultat final de tuer ledit univers et son intérêt. Et je ne comprends toujours pas comment des gens peuvent continuer de penser que cela est une bonne idée.
Pour cette série précise, on ressent aussi les effets négatifs. Je ne peux pas être sûre à 100% mais, aux vues de la correspondance entre l’arrivée (et la réception) de la saison 3 de Wakfu (centrée sur la fratrie) et le début des hiatus entre les publications de cette série, et étant donné des bruits de couloirs (qui valent ce qu’ils valent, hein, attention) que j’ai entendus, j’ai bien l’impression que de nouvelles directives de la part des décisionnaires sont venues parasiter le récit que voulait nous raconter Mig. Je le ressens particulièrement avec le personnage de Dathura qui, j’ai l’impression, voit son histoire partir dans une direction un peu mal amenée pour justifier sa présence au sein de la fratrie tel que montrée dans la série Wakfu.
Je vais arrêter là ma complainte sur ces problèmes en amont de cette série et me recentrer sur cette dernière.
Encore une fois, elle est bonne. Les personnages qu’elle introduit sont vraiment sympas, leurs designs marquants, sublimés par le trait de Mig. Les personnages existants sont approfondis ou utilisés à petite dose avec juste ce qu’il faut (je pense à Toxine et Coqueline dont les interventions sont pour l’instant très courtes mais où l’on comprend très rapidement leurs différentes personnalités).
L’histoire sait être drôle par moment. Pas par des blagues qui vous font exploser de rire, non. Mais des blagues qui font sourire et qui surtout définissent les personnages. Les interventions de Kali qui sont très souvent borderline (ou en tout cas démontrent son extrême immoralité) sont drôles mises en contraste avec les réactions des personnages, ce qui nous permet également rapidement de l’identifier comme quelqu’un de dangereux.
Vraiment, malgré tous les défauts tournant autour de la série, je l’aime sincèrement (ce n’est pas pour rien que mon avatar sur ce site est Lupa). Si j’ai écrit ce pavé et tenu à partager tout ça c’est aussi parce que ça me fait mal de voir cette histoire assez sympathique et prometteuse ne pas pouvoir atteindre son plein potentiel. D’autant qu’avec la tendance d’Ankama à annuler des séries, rien ne me dit que je pourrais voir le tome 5 et la conclusion de tout ça…
En tout cas, ne vous sentez pas découragé de lire Ogrest si son histoire vous intéresse, je suis sûre que vous pourrez passer un bon moment (les défauts dont je parle sont quasi-indétectable à la lecture si on les ignore).
J’ai hésité entre 3 et 4 étoiles, je vais partir sur 3 (mais avec un coup de cœur).
Cette série me semble injustement méconnue. Comme Spooky et PseudoRandom75, je suis tombé sous le charme de cette série. Formidable dit même Spooky et je suis bien d'accord. J'ai un faible pour les série qui traitent du Handicap avec justesse. Ici Jak et Geg y ajoutent un environnement de cité à la fois drôle, caustique et souvent touchant. J'ai beaucoup aimé que l'on montre cette cité du Val Fleuri sous un jour bien meilleur que les traditionnels reportages. Cette cité se trouve à Mantes la Jolie dans les Yvelines, elle a été sous le feu des projecteurs plusieurs fois et qu'une série humoristique la mette au centre de son récit me semble une bonne chose. Toutefois les auteurs ne versent pas dans un angélisme béat et si ils reprennent une vision Black Blanc Beur qui s'essoufflait c'est avec beaucoup d'humour soutenu par un texte d'une très bonne qualité avec des gags presque toujours drôles. C'est parfois caustique avec une belle galerie de portraits beaufs qui feraient pâlir d'envie les versions originales.
Le graphisme est simple et correspond aux codes des récits humoristiques traditionnels. C'est dynamique à la fois au texte et au visuel.
Un formidable esprit traverse cette série. Tient j'ai dit formidable.
Je suis raccord avec les précédents aviseurs pour apporter une louange de plus à cette brillante série pour enfants.
Il y a beaucoup d'intelligence dans ce récit qui peut être lu comme un conte éthique. D'ailleurs le titre de la nouvelle d'Heinrich Böll (prix Nobel de littérature) dont Bernard Friot adapte la nouvelle parle d"Arbeitsmorale" que l'on traduit par l'éthique du travail.
Friot actualise cette nouvelle de 1963 en mettant l'accent sur la bêtise d'un capitalisme sauvage, d'une course insensée au profit avec un sous-entendu fort sur l'impact écologique d'un tel comportement. En 1963 cette dernière vision était probablement peu sensible car la mer était alors considérée comme une ressource inépuisable. Le récit est donc d'une modernité qui nous accable. La trentaine de pages d'un récit qui nous capture de plus en plus à la manière d'une Pierrette avec son pot de lait ne présente aucun temps mort. C'est au niveau des jeunes lecteurs comme des adultes.
L'excellence de cette série est amplifiée par le formidable graphisme d'Emile Bravo dont je suis un grand fan. L'auteur reprend un dessin qui rappelle beaucoup Les Sept Ours Nains avec un côté décalé voire caustique dans l'attitude d'un touriste à la Fantasio très envahissant face à un vieux loup de mer qui nous rappelle ce bon capitaine Haddock.
Ma seule réserve tient à la couverture qui oublie le nom de Bernard Friot.
Une excellente lecture pour initier les petits à la réflexion intelligente.
Cet album est un double hommage de l’auteur, rappelé dans une élégante préface, à sa mère, décédée aux commandes de son avion, et à Kara Hultgreen, première femme pilote de chasse. Mais l’objet principal de ce récit est bien sûr le F-14 « Tomcat », emblème de la guerre froide.
J’avoue avoir été assez déstabilisé par l’incipit de cette aventure, je ne suis pas en effet fan des albums se conjuguant à la première personne lorsqu’il s’agit d’objet ou de machine (à l’instar de La Bombe d’Alcante, Bollée et Rodier). J’ai appris beaucoup à la lecture de ce one-shot, qui est en fait plus une bande dessinée documentaire qu’un récit d’aventure : ce qui a inspiré « Top Gun », mais surtout le destin extraordinaire de Kara Hultgreen. Comme certains je pense, j’ai fait des recherches sur internet pour en savoir plus sur cette pilote de chasse que je ne connaissais pas du tout.
Mais ce qui fait la force de cet album réside dans le dessin de Romain Hugault qui s’est surpassé ici. Une véritable claque visuelle ! Les planches présentées viennent, il faut l’avouer, combler un scénario assez classique, même si le découpage choisi est assez surprenant (une partie sur le Tomcat et l’autre sur Kara Hultgreen). Je crois n’avoir raté aucun album de ce dessinateur depuis ses débuts mais je suis sûr de le relire plusieurs fois rien que pour la beauté des planches. Il faut dire que j’ai acheté la version grand format (déjà épuisée chez le distributeur) limitée à 3000 exemplaires et qui en met pleins la vue au lecteur. Une véritable réussite et Romain Hugault a fait le bon choix de s’associer avec une nouvelle scénariste pour se renouveler. En effet,le scénario du dernier album co-signé avec Yann (" Anything Goes" de la série Angel Wings), volait vraiment très bas ! Seul le dessin avait sauvé l’album, à mon avis.
Je recommande vivement la lecture de récit, qui s’achève de manière émouvante.
Ben Stenbeck s'est fait connaître pour ses collaborations avec Mike Mignola (qui signe d'ailleurs la préface de cet album). Pour ma part, c'est avec Hellboy et B.P.R.D. - Origines que j'ai découvert cet auteur. Le voici qui signe son premier album solo dans un registre qui sort du fantastique pour lequel on le connaissait pour nous proposer un album SF post-apo' d'une grande force.
Comme le relève la présentation de l'éditeur, on est ici dans un univers proche de Mad Max. C'est sur les pas agiles d'un jeune garçon sauvage et le regard curieux d'une IA en mission sur Terre que nous allons découvrir cet univers ravagé où pullulent des tribus cannibales. Un seul objectif : survivre. Pour y parvenir tout est permis, et ça notre jeune l'a bien compris. Quant à notre IA, son petit côté philanthrope va lui jouer des tours, car c'est en voulant venir en aide au garçon que tout ce petit monde va se retrouver impliqué dans une tragique chasse à l'homme. Chasseur, chassé, les rôles tournent, les têtes aussi et volent parfois : ça va saigner sec !
Voilà en tout cas un album surprenant, certainement un des meilleurs albums de SF lus depuis pas mal de temps. On se laisse en effet rapidement prendre par cette histoire âpre et noire où importe juste le fait de survivre. Les personnages sont bien campés et originaux, que ce soit notre mystérieux garçon, le duo d'IA ou même les personnages composants la meute humaine qui poursuit notre protagoniste.
Côté graphisme, le style épuré de Ben Stenbeck très bien mis en valeur par la colorisation sobre de Dave Stewart est d'une redoutable efficacité.
Un très bon one shot, qui donnerait presque envie de voir d'autres albums étoffer cet univers !
Mais comment cette série a-t-elle pu passer aussi inaperçue ? Il est plus que temps de la sortir de l'ombre !
Sur conseil d'un ami et à l'occasion de la sortie du deuxième tome du diptyque, je me suis plongé dans cette lecture, et bien m'en a pris. J'ai ainsi découvert une œuvre forte, au concept ultrapuissant, et au thème très profond. Je ne m'attaquerai qu'à une chose : la traduction. N'étant pas en mesure de lire la version originale italienne, je ne peux pas juger de la qualité d'écriture des dialogues, mais dans la version française, ils manquent souvent de fluidité, et je pense vraiment que c'est dû à une traduction parfois approximative. Enfin, c'est peut-être juste moi, mais je serais curieux d'avoir l'avis d'un autre lecteur sur le sujet. En tous cas, je trouve ça vraiment dommage... mais pas irrémédiable !
En effet, ça ne m'a pas empêché d'entrer à fond dans l'univers proposé par Paola Barbato et Mattia Surroz.
Comme dans un épisode de Black Mirror, ils nous plongent dans un monde qui a toutes les apparences du nôtre, à une exception près : ici, la mort de tous est programmée dès avant la naissance. Chacun a dans son ADN la date précise de sa fin de vie, mais tout le monde ignore cette date. On sait juste qu'il y a 6 échéances possibles (l'incertitude de la dernière échéance étant garantie par le fait que certains ont le droit de vivre au-delà), à l'approche desquelles on prépare ses funérailles comme une fête d'anniversaire, au cas où, en espérant que nos proches n'auront pas à les célébrer... Grâce à une habile propagande visant à normaliser la mort et à la quasi-certitude de ne pas mourir en dehors de ces 6 échéances, la société vit beaucoup plus heureuse. La délinquance et la criminalité ont été éradiquées, et tous les risques sont bannis de notre quotidien.
Bref, tout ressemble à notre monde, dans une version plus ou moins idéale. Sauf qu'on sent vite que quelque chose ne tourne pas rond... Les auteurs ont un talent phénoménal pour nous faire découvrir peu à peu les différences avec notre monde au gré de la lecture (dans le premier tome, un objet que tout le monde porte, par exemple, mais qu'on ne remarque même pas dans les premières pages du récit...) et qui sont lourdes de sens.
Sans que jamais la bande dessinée ne prenne un tour excessivement philosophique, larmoyant ou trop démonstratif, les auteurs réussissent à créer une réflexion très forte sur l'étouffement causé par une société sans risques, sans peur, sans violence et sans mort imprévue. On comprend vite qu'une telle société ne signifie pas le bonheur assuré, et le récit sait pousser son concept dans ses retranchements pour en tirer une vraie vision d'anticipation. Car c'est bien ce dont il s'agit : on est ici dans ce sous-genre bien connu de la science-fiction, l'anticipation, et les auteurs maîtrisent à merveille les codes du genre. Le portrait d'une société qui nous paraît absurde et qui, pourtant, n'est que l'exagération de certains traits caractéristiques de la nôtre, est joliment mis en place, toujours de manière pertinente. A travers le portrait d'une bande de parias qui veulent réintroduire dans leur monde l'incertitude du hasard, 10 octobre nous interroge directement sur notre propre rapport aux lois, aux risques et à la mort. C'est parfois un peu conventionnel, mais ça n'est jamais raté, et c'est d'une efficacité redoutable.
Il faut dire que la grande réussite de cette bande dessinée, ce sont ses personnages. Avec un dessin qui évoque (de manière volontaire, précisée en postface) des acteurs de renom tels que Kathy Bates, Toni Collette ou Robin Williams, on s'attache immédiatement à chacun des membres de la bande. Bien évidemment, comme tous ces personnages approchent d'une échéance, on se doute que certains d'entre eux ne vont pas la passer, mais on a évidemment envie qu'aucun d'entre eux ne meure à la date de son échéance. Ce suspense nous tient en haleine tout au long d'un second tome brillantissime !
De fait, si le premier tome pose magnifiquement le concept et les personnages, le second tome prend la forme d'une véritable course contre la montre, qui évoque cette fois totalement la série Severance, avec ces personnages luttant contre un système qui les écrase, prenant la forme d'une grande entreprise aux couloirs aseptisés. Une fois le décompte lancé, on ne peut plus détacher ses yeux des pages qui tournent et des péripéties qui défilent, en espérant que tel ou tel personnage ne mourra pas la page d'après.
Au-delà de ce suspense d'une efficacité dont j'ai rarement vu l'équivalent en bande dessinée, le récit a une portée émotionnelle très forte. Les auteurs savent ménager des instants suspendus (même si la tension ne redescend pas vraiment) où on s'intéresse au passé d'un personnage sans ralentir pour autant la narration, et où on développe son background de manière aussi discrète que subtile.
Enfin, le suspense et l'émotion n'empêchent jamais le propos de continuer à développer une réflexion qui préfère la suggestion à de grandes affirmations sentencieuses qui auraient alourdi inutilement le récit. Et quelle profondeur dans cette savante dissection des rapports humains et de ce qui motive nos actes en profondeur !
Bref, je n'étais vraiment pas loin des 5 étoiles, malgré les petites difficultés de lecture que j'attribue à la traduction.
Mon seul regret, c'est une conclusion, certes très réussie, mais qui arrive de manière un peu abrupte. Peut-être 4 ou 5 pages de plus auraient-elles permis de conclure de manière plus exhaustive le récit. Cela dit, on n'a pas l'impression d'une fin bâclée lorsqu'on arrive à cette dernière vignette, terriblement frustrante. Mais c'est précisément parce qu'elle est frustrante qu'elle est aussi géniale.
Oui, j'aurais aimé avoir une fin plus explicite. Non, il ne fallait surtout pas rendre la fin plus explicite. C'est exactement celle qu'il fallait. C'est au pouvoir d'imagination du lecteur de prendre le relais. Et c'est peut-être bien là tout le rôle de l'Art, n'est-ce pas ?
Avec le discret, on est peinard !
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Ce tome contient une enquête journalistique sur la mort de Dulcie September, abattu à Paris le 29 mars 1988. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Benoît Collombat, journaliste, et Grégory Mardon, bédéiste. Il compte deux-cent quatre-vingt-dix-huit pages de bandes dessinées, en noir et blanc avec des nuances de gris. Il se termine avec deux pages de notes et crédits, un paragraphe de remerciements, et une page listant les autres ouvrages de ces auteurs.
Paris 10e arrondissement, rue des petites Écuries, le 29 mars 1988, Dulcie September marche dans la rue, en se retournant une fois ou deux pour voir s’il y a quelqu’un derrière elle. Elle atteint le numéro trente-huit de la rue et pénètre par la porte d’entrée dans un porche. En passant devant loge, elle prend le courrier que lui remet la gardienne. Elle pénètre dans l’immeuble par l’accès au fond de la cour, ouvre la porte de l’ascenseur et appuie sur le bouton du quatrième étage. Elle sort de la cabine à 09h47. Elle prend les clés dans sa poche pour ouvrir la porte des locaux parisiens de l’ANC (Congrès National Africain) et commence à tourner la clé. Dans son dos, un homme fait feu à cinq reprises, un autre se tenant derrière lui. Ils descendent par l’escalier, alors que la femme gît morte, étendue sur le sol dans une flaque de sang. Ils croisent un homme qui entre dans l’immeuble et qui monte dans l’escalier après les avoir laissé sortir.
Extraits du rapport d’enquête de la brigade criminelle – Le cadavre repose en position dorsale, en diagonale d’un axe imaginaire situé entre la porte d’ascenseur et la photocopieuse posée au sol. La face, maculée de sang, est tournée vers le plafond. La tête se situe à 60 cm de la porte d’ascenseur et 108 cm du mur de gauche, en sortant de ce dernier. Les paumes de mains sont tournées vers le plafond, les doigts repliés sur les paumes. La main gauche se situe à 60 cm du mur de gauche et à 34 cm de la porte d’ascenseur. Les jambes sont pliées et écartées, la distance entre les deux genoux est de 80 cm. À droite de la tête de la victime, un important écoulement sanguin imprègne le tapis et la moquette, ainsi que la chevelure au niveau postérieur du crâne. Au total, six coups de feu ont été tirés par un pistolet petit calibre 22 LR, cinq balles ont atteint Dulcie September à courte distance, précise le rapport d’enquête. Six douilles cuivrées longues de 15 mm sont retrouvées sur place. Dans le salon d’un appartement, les auteurs écoutent Jacqueline Derens, ancienne militante anti-apartheid, raconter sa première rencontre avec Dulcie September : cette dernière était venue à l’UNESCO témoigner du sort des enfants sous l’apartheid, qui mouraient à cause de la malnutrition ou faute de vaccins. Jacqueline était fascinée par la passion avec laquelle Dulcie expliquait les choses. Elle ne se contentait pas d’aligner des chiffres, elle vivait l’horreur de l’apartheid dans sa chair, et ça, pour les militants, c’était irremplaçable
Le sous-titre annonce clairement la nature de l’ouvrage : une enquête de journaliste sur un assassinat dans Paris, d’une militante anti-apartheid. Cette enquête est menée par un journaliste de profession, travaillant à la rédaction de France Inter depuis 1994 en qualité de grand reporter. Il raconte l’enquête qu’il a menée sur ce meurtre, et il explique la raison qui l’a amené à se lancer dans cette entreprise : Pourquoi raconter cette histoire aujourd’hui ? D’abord parce que cet assassinat s’est déroulé sur le sol français, en plein Paris, quelques semaines avant la réélection de François Mitterrand à l’Élysée. Ensuite, parce que cette affaire reste un mystère. L’enquête judiciaire française s’est soldée par un non-lieu en juillet 1992, sans que soient identifiés les coupables. […] L’assassinat de Dulcie September est une histoire qui reste très gênante pour la France : Dulcie dénonçait les relations économiques illégales entre Paris et le régime de l’apartheid, notamment en matière d’armement. Ce soutien des autorités françaises à un régime officiellement raciste est, aujourd’hui, encore, largement méconnu. […] Depuis plus de dix ans, Collombat accumule de la documentation, il épluche les archives et il réalise des interviews filmées avec celles et ceux qui ont connu Dulcie à l’époque. Beaucoup sont morts aujourd’hui. Le temps est venu de raconter cette histoire et de tenter de comprendre pourquoi Dulcie September est devenue une cible.
Ayant conscience de cela, le lecteur s’attend à une narration visuelle adaptée en conséquence. En particulier, elle comporte une forte part de têtes en train de parler : des témoins d’origine très diverse, racontant ce qu’ils ont vécu, parfois au temps présent, parfois comme souvenirs du passé. L’artiste doit reproduire l’apparence de nombreuses personnes politiques et autres. Il a dû produire un grand nombre de pages, ce qui a dû s’accompagner d’une cadence assez élevée. Très rapidement, le lecteur se rend compte que chaque page contient une forte densité d’informations, et que la narration est entièrement soumise à l’enquête. De temps en temps, une page ne peut être composée que des cases avec le buste d’une personne en train de parler, au travers d'un copieux phylactère. Pour autant ce dispositif permet d’incarner chaque propos, de voir qui les tient, et il montre qui parle, en toute transparence. Les deux auteurs font en sorte que le lecteur puisse voir qui parle, et à quel moment de sa vie, c’est-à-dire autant d’éléments d’information et de contexte laissant le lecteur libre d’apprécier les biais potentiels du locuteur. Par exemple Jacqueline Derens évoquant ses souvenirs de Dulcie September, trente ans plus tard. Ou bien Jean-Marie Le Pen en train de s’exprimer en direct au cours de l’émission L’heure de vérité, le 27 janvier 1988, les archives permettant de reproduire la séquence sans risque de déformation du fait des décennies passées. De même, voir Collombat poser des questions rappelle que lui aussi se livre à cette enquête avec un objectif précis, ce qui oriente le champ de ses questions, ce qui peut avoir une incidence sur la réponse de ses interlocuteurs.
Le journaliste réalise une enquête qui explore de nombreuses possibilités, en fonction des réponses des personnes qu’il interroge, avec qui il discute, aussi bien ceux qui ont côtoyé Dulcie September dans sa famille, dans la branche parisienne de l’ANC (African National Congress), aussi bien des policiers qui ont enquêté sur le meurtre, d’autres activistes, des politiciens avec des niveaux de responsabilité variés. L’enquête évoque aussi bien des enjeux politiques que des enjeux économiques à l’échelle d’entreprises internationales, à l’échelle également de plusieurs nations. Cela induit que le dessinateur représente des situations, des environnements, des accessoires très variés. Cela commence avec une rue de Paris, une cage d’escalier avec un ascenseur, pour déboucher dans cette première scène sur un pistolet équipé d’un silencieux et un cadavre ensanglanté. Par la suite, Grégory Mardon montre les discussions assises autour d’une table pour recueillir des témoignages, aussi bien dans une cuisine que dans un salon bourgeois, des colloques et des allocutions officielles, des violences de foule, la ville d’Althone dans la banlieue du Cap, des manifestations de protestation, une cellule de prison, des cartes géographiques pour montrer les frontières, la ville de Genève, de Nice, de Zagora, la place de la Bastille, son opéra et la colonne de Juillet, l’assemblée nationale, les couloirs du métro parisien, des installations de centrale nucléaire, la gare d’Amsterdam, des missiles, d’avions militaires Mirage F1, etc. Il reproduit également la ressemblance de nombreux hommes politiques ou de personnalités comme François Mitterrand, Jacques Chirac, Charles Pasqua, Nelson Mandela, Simone Signoret & Jean-Paul Sartre, Pierre Joxe, et d’autres moins connus. Deux musiciens : Johnny Clegg, Abdullah Ibrahim (Dollar Brand).
Dans un premier temps, le lecteur manque d’assurance quant à la construction de l’ouvrage. Celui-ci s’ouvre avec l’assassinat de sang-froid par un professionnel, permettant d’appréhender la réalité de ce crime, de cette exécution commanditée. Puis les deux auteurs se mettent en scène en train d’écouter Jacqueline Derens chez elle, au temps présent de la réalisation de l’ouvrage. Celle-ci raconte sa première rencontre avec Dulcie September en 1979. Il va ainsi se produire de nombreux va-et-vient temporels entre le temps présent des entretiens et celui des faits relatés, des développements sur la persistance du racisme dans la société française, trois pages consacrées au régime de l’apartheid, la jeunesse et la vie de Dulcie September jusqu’à son arrivée à Pairs, l’emprisonnement de Nelson Mandela en 1964, suite au jugement à Rivonia, prison à perpétuité pour lui et sept autres compagnons de lutte (Walter Sisulu, Govan Mbeki, Raymond Mhlaba, Elias Motsoaledi, Andrex Mlangeni, Ahmed Kathrada, Denis Glodberg). Une page consacrée à l’ANC et à l’établissement de sa direction en exil à Lusaka en Zambie. L’élection de François Mitterrand en 1981. La visite des anciens locaux de l’ANC à Paris au temps présent de l’enquête. Un séjour à Genève en septembre 2011, pour rencontrer Margrit Lienert, ancienne hôtesse de l’air, engagée par la suite dans le mouvement anti-apartheid suisse (branche romande) au début des années 1970. Etc. Progressivement, la ligne conductrice de l’enquête apparaît : des recherches pour chaque possibilité à envisager, des recherches de témoignages, des explications concises sur les différents acteurs, des membres de l’ANC, des politiciens, des militaires, des patrons d’entreprise, etc. Il s’agit d’une véritable enquête menée avec rigueur, confrontée au fait que certains témoins sont décédés depuis, que certains ne sont pas forcément fiables, et que les enjeux se révèlent énormes, à la fois sur le plan économique et le plan politique. Il est question des services secrets de plusieurs nations, de mercenaires aux agissements discutables (l’ombre de Bob Denard, 1929-2007, se faisant sentir), et de secrets d’état. En fonction des témoignages, le lecteur voit bien quand les auteurs se heurtent à des murs, et à d’autres moments il est même surpris qu’ils puissent en apprendre autant.
Une enquête d’un journaliste professionnel, sur un assassinat commis à Paris, contre une militante anti-apartheid, et jamais élucidé. Une mise en images réalisée par un bédéiste professionnel, adaptant son approche à la nature de l’ouvrage, réalisant un travail impressionnant pour montrer les différentes personnes, soit racontant leurs souvenirs, soit lors de reconstitution du passé, participant à la rigueur de la présentation, et à son honnêteté intellectuelle. Le lecteur explore ainsi les nombreuses ramifications de ce meurtre commandité, suivant chaque possibilité, pour voir progressivement se dessiner la plus probable, étayée par de nombreux faits. Édifiant. Benoît Collombat a réalisé le scénario d’autres bandes dessinées, en particulier Cher pays de notre enfance: Enquête sur les années de plomb de la V? République (2015) avec Étienne Davodeau, Le choix du chômage: De Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique (2021) avec Damien Cuvillier.
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Les Sept Ours Nains
Je vais utiliser cet avis pour déclarer mon amour pour les créations d’Emile Bravo. Tout d'abord parce que je trouve son dessin magnifique, simple, propre et expressif, mais aussi parce que je trouve qu’il sait parfaitement manier les récits jeunesse, les rendre agréables et intéressants à tout âge, sans avoir recours aux doubles sens de lecture. Bref, je trouve ses récits frais et inventifs. Ici c’est même très inventif car monsieur Bravo nous propose de la réécriture de conte. Pas forcément une relecture afin d’étayer un propos. Non, non : du gros délire, tout simplement. Les aventures des sept ours nains, c’est un gros gloubi-boulga de contes de fées, un mic-mac de références et de jeux de mots, bref, comme dit précédemment, un gros délire. C’était jouissif à lire quand j’étais enfant, cela le reste tout autant aujourd’hui. A faire découvrir aux enfants comme aux adultes.
Camille Claudel - La création comme espace de liberté
Les attentes : le démon caché dans toute âme enthousiaste. - Ce tome contient une approche biographique de la vie de la sculptrice Camille Claudel (1864-1943), également sœur du dramaturge Paul Claudel (1868-1955), et collaboratrice du sculpteur Auguste Rodin (1840-1917). Son édition originale date de 2022 en Italie, et de 2023 en France. Il a été réalisé par Monica Foggia pour le scénario et Martina Marzadori pour les dessins et la mise en couleurs, traduit de l’italien par Jérôme Nicolas. Il comporte cent-dix pages de bandes dessinées. Il se termine avec une postface de cinq pages, rédigée par la scénariste, revenant sur la relation entre la sculptrice et Rodin, sur son internement et la notion d’hystérie à l’époque, sur le fait qu’elle était considérée inadaptée pour exercer un métier réservé aux hommes, et sur l’inspiration de l’écoute de La mer de Claude Debussy pour son écriture. Viennent ensuite une page de remerciements, et une dernière page avec la bibliographie recensant sept ouvrages, le film de Bruno Nuytten dans lequel Sophie Marceau incarne la sculptrice, et deux sites internet. Une petite fille de bonne famille. La souffrance de la beauté qui déchire la roche, la met en pièces pour dominer sa forme. En 1876, dans la campagne de Montfavet, devant un rocher appelé géant de Montpreux, Camille Claudel est en train de façonné une petite statue de terre, son petit frère posant devant elle et commençant à fatiguer. Il finit par s’allonger dans l’herbe. Louise-Athanaïse, leur mère, les appelle, exigeant qu’ils viennent ici tout de suite. Elle admoneste sa fille qui devrait avoir honte : les demoiselles de bonne famille ne se salissent pas, et la robe de Camille est maculée de terre. Cette dernière répond que pour créer, il faut se salir, Dieu l’a fait. Montfavet en 1921 : Camille regarde par la fenêtre, elle observe un oiseau donner la becquée à ses oisillons. Une dame l’appelle : un paquet est arrivé pour elle. Il contient de la terre à modeler. À Villeneuve-sur-Fère en 1878, dans la maison familiale des Claudel, la jeune Camille indique à sa mère qu’elle a une grande envie de faire son portrait, elle ajoute que papa serait content. Après un mouvement de refus, sa mère accepte à condition que sa fille essaye de la mettre en valeur. La fille emmène la mère dans le jardin et cette dernière s’assied dans un fauteuil, sous l’ombre d’un feuillage. Camille se met au dessin en pensant que pour mettre sa mère en valeur, elle a dû déchirer le voile que sa mère avait elle-même tissé. Des grands yeux de sa mère, Camille a saisi la douleur secrète. De son corps, l’esprit de la résignation. De ses mains l’abnégation complète. Camille a toujours pensé que sa mère la détestait parce que sa fille n’avait pas voulu se soumettre comme sa mère l’avait fait. Mais avec le temps, elle a compris qu’au fond sa mère l’enviait parce que Camille n’était pas comme elle. Au temps présent de 1921, Camille se demande où est ce portrait à présent. Il doit être perdu, comme sa mère. Elle se rappelle comme sa mère détestait ses outils d’artiste, elle les aurait volontiers jetés au feu, et sa fille avec. Les autrices ont choisi d’adopter le point de vue de Camille Claudel (1864-1943) du début jusqu’à la fin, présente dans chaque page. Il s’agit donc d’une histoire de femme, avec son point de vue, l’accès de temps à autre à ses pensées. Dans sa postface, la scénariste explicite son choix de ne pas insister dans ce roman graphique sur la maladie mentale qui affligea Camille : il est dicté par la nécessité de rendre justice à la femme, à la sculptrice, à la personne et à sa grandeur artistique. Elle évoque également le comportement de sa mère à son égard : froide et bigote, ne cessant de la rabaisser, et de tenter de brider sa vocation artistique. Elle indique que son père, à l’inverse, était parfaitement conscient du talent de sa fille aînée : il la soutint jusqu’à la fin de ses jours. Le sculpteur Alfred Boucher (1850-1934) a évalué et reconnu son talent. Son frère Paul Claudel (1868-1955) l’a également soutenue. Auguste Rodin l’a encouragée : elle est devenue sa plus proche collaboratrice, sa modèle et sa maîtresse. Elle dû vivre avec son infidélité, la possible appropriation de ses œuvres par Rodin, un avortement, la réaction d’une société patriarcale contre le mouvement d’émancipation des femmes, en particulier le recours abusif au diagnostic d’hystérie. Pour autant, ces faits sont évoqués comme les autres événements de sa vie, sans que la bande dessinée ne prenne les formes d’un pamphlet féministe ou anti-patriarcat, les autrices se focalisant sur les moments essentiels dans la vie artistique de cette créatrice. Le lecteur découvre Camille Claudel avant l’adolescence en train de modeler la terre pour sculpter son petit frère. Les cases sont dépourvues de bordure tracée, alignées en bande, quelques-unes biseautées en trapèze. L’absence de bordure introduit une forme de douceur, confortée par la mise en couleurs, comme réalisée au crayon, et estompée. De prime abord, la narration visuelle dégage une impression d’art naïf avec des visages simplifiés, des expressions parfois un peu enfantines, un regard qui s’attache plus à certains éléments de l’environnement qu’à d’autres. Dans le même temps, la composition des pages et la variété des découpages correspondent à une narration adulte, avec une quinzaine d’illustrations en pleine page, trois en double page, des pages où un personnage est représenté à plusieurs reprises dans des positions diverses dans une seule image, des cases avec uniquement un personnage et des accessoires sans arrière-plan, quelques magnifiques paysages ou intérieurs. Par exemple, le très bel effet de la lumière du soleil dans le feuillage à la fenêtre de la chambre de Camille à Montfavet, les motifs abstraits des tapis, une double page consacrée à une vue d’une rue de Paris avec son animation nocturne, les étudiants en train de s’affairer sur leur sculpture dans l’atelier de l’Académie Colarossi, la grande salle d’un théâtre parisien, les falaises de l’ile Wight, un quai en bord de Seine à Paris, une vue en extérieur du bâtiment de l’asile de Montfavet, etc. À plusieurs reprises, la narration visuelle saisit un moment fugace ou complexe, avec une grande sensibilité. Le lecteur ressent pleinement ce qui se joue entre la mère et la fille quand cette dernière demande à la dessiner, par les expressions de visages, les mouvements. Dans la scène suivante quand la mère fait obstacle à la volonté du père d’emmener leur fille à Paris pour qu’elle puisse étudier dans un atelier, le lecteur éprouve l’impression que le jeu des acteurs est forcé : il se dit que l’artiste représente les réactions du père et de la mère comme vues par les yeux d’enfants de Camille, ce qui explique ces émotions plus brutes. Il en a la confirmation en voyant l’entrain avec lequel la demoiselle prépare sa valise, tellement heureuse que son père ait emporté la décision. Lorsqu’elle rencontre Rodin pour la première fois, le lecteur voit qu’elle est devenue une jeune femme, consciente du désir. Plus tard, il peut comparer le comportement de Camille avec Claude Debussy (1862-1918), à son comportement avec Rodin : les deux jeunes gens apparaissent plus insouciants, plus gais, sans le poids de l’âge de Rodin, de vingt-quatre ans l’aîné de Camille. En page cent-onze, la sculptrice se retrouve devant un peloton d’exécution, une métaphore de la condamnation que la société fait peser sur elle, du fait de sa vie émancipée, que ce soit pour l’exercice d’un métier d’homme, ou pour la liberté de sa vie amoureuse. Du fait du mode narratif, le lecteur éprouve une empathie pleine et entière pour Camille Claudel, voyant sa vie par ses yeux, au travers de ses émotions. Il ressent le besoin de créer, la vocation sans doute possible pour sculpter. Il ressent son élan de bonheur quand elle apprend que son père a pu faire en sorte qu’elle étudie dans un atelier. Il ressent son assurance quand elle répond à Filippo Colarossi (1841-1906) qui estime qu’elle a un style viril, sans rien de mièvre, ni de décoratif, car l’œuvre qu’il contemple à un style incisif. Elle le reprend devant tous les autres étudiants et étudiantes, en lui enjoignant de ne pas confondre ce qui est masculin avec ce qui est expressif et profond, une femme aussi est capable d’exprimer cela. Il s’enthousiasme avec elle quand elle accueille Jessie Lipscomb (1861-1952). Il apprécie une deuxième fois sa confiance quand elle répond à Auguste Rodin que le style de ce dernier n’est pas celui à elle. Les autrices savent faire vivre Camille Claudel, par ses envies, ses convictions, ses émotions, son travail. Elles évoquent la nature de son talent, sans aller jusqu’à se livrer à une analyse de son apport à la sculpture. Elles dressent le portrait d’un être humain grandissant en faisant avec les caractéristiques de la société de l’époque, ballotée entre sa vocation, ses amours, la manière dont elle est traitée par son amant. En entamant la biographie d’une artiste, le lecteur ne sait pas toujours qu’elle en sera la nature, plutôt biographique axée sur les moments de vie personnelle, ou avec un accent plus important sur la carrière avec une analyse de l’œuvre. Ici, les autrices ont choisi la première approche, montrant avant tout un être humain faisant tout son possible pour exercer sa vocation, pour faire aboutir sa vision artistique, tout en composant avec les contraintes imposées par la société. La narration visuelle s’avère formidable par sa douceur, et par sa sensibilité, très adulte même si l’apparence des dessins peut évoquer certains aspects de l’art naïf.
Rebis
J’ai adoré cet album. Les dessins sont magnifiques, très colorés et tout en rondeurs. Les thèmes abordés, bien que simples dans leur traitement, me parlent énormément. Le personnage principal est très attachant. La lecture a été on ne peut plus agréable et c’est un gros coup de cœur pour moi. Bref, sur le papier, je mettrais 4 étoiles et un coup de cœur sans état d’âme et puis basta. Mais voilà, l’œuvre souffre tout de même d’un défaut : le rythme du récit est très lent. Un peu normal vu que nous suivons l’évolution d’un personnage, de sa perception de soi et du monde qui l’entoure, sur plusieurs années, mais là c’est quand-même un chouïa trop lent. Le récit reste une histoire feel good sur la découverte et l’épanouissement personnel d’individus en marge de la société, donc un rythme lent qui installe son récit est bienvenu, mais là on a parfois l’impression que le récit se met en pause par moment. Bref, un rythme parfois ballant. Mis à part ça, l’album reste une très bonne lecture. L’histoire qui nous est racontée est celle d’un enfant albinos rejeté par son village (et son propre père) qui va finir par croiser la route de Viviana, une « sorcière » vivant seule dans la forêt suite à la perte d’un être cher. Autour de cette base simple, les autrices traitent de l’exclusion, de l’acceptation de soi, du besoin d’être entouré et soutenu lorsque le plus grand nombre nous veut du mal, et également du genre. L’album tourne beaucoup autour de la question du genre. Du genre féminin, tout d’abord, puisque nous suivons des personnages évoluant pour la majorité dans une sororité de « sorcières ». La figure de la sorcière est ici utilisée, comme souvent, pour représenter les individues en marge de la société, les parias des bonnes gens et surtout la figure féminine sortant des carcans imposés par une société patriarcale. Ici, je précise, tous les hommes sont des gros cons. Certains regretteront sans doute le manque de nuance, je l’excuse facilement car le récit cherche davantage à s’adresser à la figure de la sorcière, des rejetées, plutôt qu’à celle du bourreau. Clairement, la BD n’avait pas pour cible les « Not all men » et c’est tout à son honneur. Mais alors, si tous les hommes sont cruels et violents dans cette histoire, comment notre protagoniste, présenté comme un garçon, peut-il rejoindre cette sororité au cœur du récit ? Eh bien par un petit twist très simple : en se révélant ne pas être un garçon. En effet, Rebis n’est pas que le titre de l’album, c’est également le nom que prendra la jeune fille suite à sa renaissance. Renaissance d’ailleurs symbolisée par la petite larve d’insecte qu’elle a sauvée et protégée des années avant qu’elle ne finisse par éclore et s’envoler. Scène d’envol où elle apprend à sa sœur son changement (l’échange est sous-entendu mais on la verra bien la genrer au féminin par la suite). D’ailleurs, mis à part les brutes du village, tout le monde genre Rebis au féminin après ça. Je ne sais pas si je pourrais qualifier Rebis de femme transgenre, ne serait-ce que parce que rapporter des notions modernes à des personnages ayant vécu dans une société différente est casse-gueule, mais l’histoire ayant été écrite par des autrices contemporaines c’est comme ça que je l’ai interprétée. Après tout, si le personnage principal et l’œuvre portent tout deux le nom de Rebis (mot issu du lexique alchimique pour désigner un corps hermaphrodite) ce n’est sans doute pas pour rien. Bref, je déblatère, je déblatère… Rebis est une très bonne histoire traitant de sujets qui me parlent beaucoup, donc je vais essayer de remonter un peu sa note. (Note réelle : 3,5)
Ogrest
Bon, cet avis va très probablement être long et personnel. Je vais commencer par le positif : c’est une bonne (très bonne) histoire. Rien de nécessairement révolutionnaire mais l’intrigue est entraînante et les personnages sont charismatiques. Le récit, qui s’inscrit dans un univers étendu, s’en sort bien. On nous raconte les origines d’un personnage extrêmement important tout en rendant ça accessible et compréhensible à des néophytes (même si, c’est sûr, connaître les tenants et aboutissants de l’univers aide l’appréciation). Le dessin de Mig est magnifique. J’apprécie énormément son style et, ici, il colle parfaitement à l’intrigue. Les personnages gagnent beaucoup en expressivité et en charisme grâce à lui. La fratrie (que je vais vous présenter plus loin) est un groupe de personnages que je n’ai jamais vraiment aimé mais qui ici, étrangement, me plait. C’est la seule œuvre les concernant qui a vraiment réussi à me les rendre intéressant-e-s. Bon, ça reste quand-même pour la grande majorité un ramassis de salopards, mais j’arrive à en avoir quelque chose à faire de leurs pommes (et croyez-moi, pour avoir vu et lu les autres histoires les concernant, c’était pas forcément gagné). La fratrie, justement, va me servir de pont pour aborder les problèmes de cette série. Alors, la fratrie, c’est qui ? C’est un groupe composé de demi-dieux, abandonnés par leurs parents divins et qui complotent dans l’ombre pour les destituer et prendre leur place (dans cet univers, les divinités se comportent de manière similaire à celles de la mythologie grecque, c’est-à-dire qu’elles sont très souvent égoïstes et créent des marmots avec des mortel-le-s par centaines – on peut comprendre l’énervement des rejetons). Bon, en soi, la promesse d’un tel groupe est intrigante et intéressante, et il y a de quoi faire plein d’histoires autour de ce concept. Le problème, ici, c’est qu’à la barre de ce grand projet transmédia, on peut trouver Tot. Tot, c’est un peu celui qui gère la cohérence globale de cet univers étendu et écrit de nombreuses histoires s’y passant. Le problème donc, c’est que Tot a un jour décidé de faire de cette fratrie le centre de l’univers. C’est-à-dire que, du jour au lendemain, tous les évènements catastrophiques qui ont eu lieu, racontés dans diverses histoires, ont tous été causés ou aidés par la fratrie. Ce choix étrange est pour moi à la fois un aveu d’échec et du sabotage. Un aveu d’échec car je ressens par cette décision une absence d’idée sur comment rendre ce groupe intéressant. On n’avait pas d’idée pour leur raconter une histoire ou pour leur donner des choses à faire, alors du coup on les a greffés, tels des sangsues, sur toutes les autres histoires qui, elles, avaient des idées. Du sabotage, donc, car par là-même chacune de ces histoires, chacun de ces évènements majeurs qui forment cet univers perd immédiatement de sa valeur. Un personnage était intéressant car une simple erreur a causé sa ruine et l’a fait sombrer dans la folie ? En fait non, ses malheurs ont été causés par un groupe ultra secret très méchant qui l’a manipulé. Un personnage nous faisait nous questionner sur le bien et le mal en nous montrant que, toute sincère soit votre envie de vous racheter après avoir commis des crimes, il suffit d’un malentendu pour que l’on vous renie et vous conspue ? En fait non, ses malheurs ont été causés par un groupe ultra secret très méchant qui l’a manipulé. Bref, vous voyez le problème. L’idée du groupe ultra secret qui en fait contrôlait tout depuis le début, c’est malheureusement une idée qui fleurit parfois dans les univers étendus et qui a toujours pour résultat final de tuer ledit univers et son intérêt. Et je ne comprends toujours pas comment des gens peuvent continuer de penser que cela est une bonne idée. Pour cette série précise, on ressent aussi les effets négatifs. Je ne peux pas être sûre à 100% mais, aux vues de la correspondance entre l’arrivée (et la réception) de la saison 3 de Wakfu (centrée sur la fratrie) et le début des hiatus entre les publications de cette série, et étant donné des bruits de couloirs (qui valent ce qu’ils valent, hein, attention) que j’ai entendus, j’ai bien l’impression que de nouvelles directives de la part des décisionnaires sont venues parasiter le récit que voulait nous raconter Mig. Je le ressens particulièrement avec le personnage de Dathura qui, j’ai l’impression, voit son histoire partir dans une direction un peu mal amenée pour justifier sa présence au sein de la fratrie tel que montrée dans la série Wakfu. Je vais arrêter là ma complainte sur ces problèmes en amont de cette série et me recentrer sur cette dernière. Encore une fois, elle est bonne. Les personnages qu’elle introduit sont vraiment sympas, leurs designs marquants, sublimés par le trait de Mig. Les personnages existants sont approfondis ou utilisés à petite dose avec juste ce qu’il faut (je pense à Toxine et Coqueline dont les interventions sont pour l’instant très courtes mais où l’on comprend très rapidement leurs différentes personnalités). L’histoire sait être drôle par moment. Pas par des blagues qui vous font exploser de rire, non. Mais des blagues qui font sourire et qui surtout définissent les personnages. Les interventions de Kali qui sont très souvent borderline (ou en tout cas démontrent son extrême immoralité) sont drôles mises en contraste avec les réactions des personnages, ce qui nous permet également rapidement de l’identifier comme quelqu’un de dangereux. Vraiment, malgré tous les défauts tournant autour de la série, je l’aime sincèrement (ce n’est pas pour rien que mon avatar sur ce site est Lupa). Si j’ai écrit ce pavé et tenu à partager tout ça c’est aussi parce que ça me fait mal de voir cette histoire assez sympathique et prometteuse ne pas pouvoir atteindre son plein potentiel. D’autant qu’avec la tendance d’Ankama à annuler des séries, rien ne me dit que je pourrais voir le tome 5 et la conclusion de tout ça… En tout cas, ne vous sentez pas découragé de lire Ogrest si son histoire vous intéresse, je suis sûre que vous pourrez passer un bon moment (les défauts dont je parle sont quasi-indétectable à la lecture si on les ignore). J’ai hésité entre 3 et 4 étoiles, je vais partir sur 3 (mais avec un coup de cœur).
La Bande à Ed
Cette série me semble injustement méconnue. Comme Spooky et PseudoRandom75, je suis tombé sous le charme de cette série. Formidable dit même Spooky et je suis bien d'accord. J'ai un faible pour les série qui traitent du Handicap avec justesse. Ici Jak et Geg y ajoutent un environnement de cité à la fois drôle, caustique et souvent touchant. J'ai beaucoup aimé que l'on montre cette cité du Val Fleuri sous un jour bien meilleur que les traditionnels reportages. Cette cité se trouve à Mantes la Jolie dans les Yvelines, elle a été sous le feu des projecteurs plusieurs fois et qu'une série humoristique la mette au centre de son récit me semble une bonne chose. Toutefois les auteurs ne versent pas dans un angélisme béat et si ils reprennent une vision Black Blanc Beur qui s'essoufflait c'est avec beaucoup d'humour soutenu par un texte d'une très bonne qualité avec des gags presque toujours drôles. C'est parfois caustique avec une belle galerie de portraits beaufs qui feraient pâlir d'envie les versions originales. Le graphisme est simple et correspond aux codes des récits humoristiques traditionnels. C'est dynamique à la fois au texte et au visuel. Un formidable esprit traverse cette série. Tient j'ai dit formidable.
La Leçon de Pêche
Je suis raccord avec les précédents aviseurs pour apporter une louange de plus à cette brillante série pour enfants. Il y a beaucoup d'intelligence dans ce récit qui peut être lu comme un conte éthique. D'ailleurs le titre de la nouvelle d'Heinrich Böll (prix Nobel de littérature) dont Bernard Friot adapte la nouvelle parle d"Arbeitsmorale" que l'on traduit par l'éthique du travail. Friot actualise cette nouvelle de 1963 en mettant l'accent sur la bêtise d'un capitalisme sauvage, d'une course insensée au profit avec un sous-entendu fort sur l'impact écologique d'un tel comportement. En 1963 cette dernière vision était probablement peu sensible car la mer était alors considérée comme une ressource inépuisable. Le récit est donc d'une modernité qui nous accable. La trentaine de pages d'un récit qui nous capture de plus en plus à la manière d'une Pierrette avec son pot de lait ne présente aucun temps mort. C'est au niveau des jeunes lecteurs comme des adultes. L'excellence de cette série est amplifiée par le formidable graphisme d'Emile Bravo dont je suis un grand fan. L'auteur reprend un dessin qui rappelle beaucoup Les Sept Ours Nains avec un côté décalé voire caustique dans l'attitude d'un touriste à la Fantasio très envahissant face à un vieux loup de mer qui nous rappelle ce bon capitaine Haddock. Ma seule réserve tient à la couverture qui oublie le nom de Bernard Friot. Une excellente lecture pour initier les petits à la réflexion intelligente.
Tomcat
Cet album est un double hommage de l’auteur, rappelé dans une élégante préface, à sa mère, décédée aux commandes de son avion, et à Kara Hultgreen, première femme pilote de chasse. Mais l’objet principal de ce récit est bien sûr le F-14 « Tomcat », emblème de la guerre froide. J’avoue avoir été assez déstabilisé par l’incipit de cette aventure, je ne suis pas en effet fan des albums se conjuguant à la première personne lorsqu’il s’agit d’objet ou de machine (à l’instar de La Bombe d’Alcante, Bollée et Rodier). J’ai appris beaucoup à la lecture de ce one-shot, qui est en fait plus une bande dessinée documentaire qu’un récit d’aventure : ce qui a inspiré « Top Gun », mais surtout le destin extraordinaire de Kara Hultgreen. Comme certains je pense, j’ai fait des recherches sur internet pour en savoir plus sur cette pilote de chasse que je ne connaissais pas du tout. Mais ce qui fait la force de cet album réside dans le dessin de Romain Hugault qui s’est surpassé ici. Une véritable claque visuelle ! Les planches présentées viennent, il faut l’avouer, combler un scénario assez classique, même si le découpage choisi est assez surprenant (une partie sur le Tomcat et l’autre sur Kara Hultgreen). Je crois n’avoir raté aucun album de ce dessinateur depuis ses débuts mais je suis sûr de le relire plusieurs fois rien que pour la beauté des planches. Il faut dire que j’ai acheté la version grand format (déjà épuisée chez le distributeur) limitée à 3000 exemplaires et qui en met pleins la vue au lecteur. Une véritable réussite et Romain Hugault a fait le bon choix de s’associer avec une nouvelle scénariste pour se renouveler. En effet,le scénario du dernier album co-signé avec Yann (" Anything Goes" de la série Angel Wings), volait vraiment très bas ! Seul le dessin avait sauvé l’album, à mon avis. Je recommande vivement la lecture de récit, qui s’achève de manière émouvante.
Poussière d'os
Ben Stenbeck s'est fait connaître pour ses collaborations avec Mike Mignola (qui signe d'ailleurs la préface de cet album). Pour ma part, c'est avec Hellboy et B.P.R.D. - Origines que j'ai découvert cet auteur. Le voici qui signe son premier album solo dans un registre qui sort du fantastique pour lequel on le connaissait pour nous proposer un album SF post-apo' d'une grande force. Comme le relève la présentation de l'éditeur, on est ici dans un univers proche de Mad Max. C'est sur les pas agiles d'un jeune garçon sauvage et le regard curieux d'une IA en mission sur Terre que nous allons découvrir cet univers ravagé où pullulent des tribus cannibales. Un seul objectif : survivre. Pour y parvenir tout est permis, et ça notre jeune l'a bien compris. Quant à notre IA, son petit côté philanthrope va lui jouer des tours, car c'est en voulant venir en aide au garçon que tout ce petit monde va se retrouver impliqué dans une tragique chasse à l'homme. Chasseur, chassé, les rôles tournent, les têtes aussi et volent parfois : ça va saigner sec ! Voilà en tout cas un album surprenant, certainement un des meilleurs albums de SF lus depuis pas mal de temps. On se laisse en effet rapidement prendre par cette histoire âpre et noire où importe juste le fait de survivre. Les personnages sont bien campés et originaux, que ce soit notre mystérieux garçon, le duo d'IA ou même les personnages composants la meute humaine qui poursuit notre protagoniste. Côté graphisme, le style épuré de Ben Stenbeck très bien mis en valeur par la colorisation sobre de Dave Stewart est d'une redoutable efficacité. Un très bon one shot, qui donnerait presque envie de voir d'autres albums étoffer cet univers !
10 Octobre
Mais comment cette série a-t-elle pu passer aussi inaperçue ? Il est plus que temps de la sortir de l'ombre ! Sur conseil d'un ami et à l'occasion de la sortie du deuxième tome du diptyque, je me suis plongé dans cette lecture, et bien m'en a pris. J'ai ainsi découvert une œuvre forte, au concept ultrapuissant, et au thème très profond. Je ne m'attaquerai qu'à une chose : la traduction. N'étant pas en mesure de lire la version originale italienne, je ne peux pas juger de la qualité d'écriture des dialogues, mais dans la version française, ils manquent souvent de fluidité, et je pense vraiment que c'est dû à une traduction parfois approximative. Enfin, c'est peut-être juste moi, mais je serais curieux d'avoir l'avis d'un autre lecteur sur le sujet. En tous cas, je trouve ça vraiment dommage... mais pas irrémédiable ! En effet, ça ne m'a pas empêché d'entrer à fond dans l'univers proposé par Paola Barbato et Mattia Surroz. Comme dans un épisode de Black Mirror, ils nous plongent dans un monde qui a toutes les apparences du nôtre, à une exception près : ici, la mort de tous est programmée dès avant la naissance. Chacun a dans son ADN la date précise de sa fin de vie, mais tout le monde ignore cette date. On sait juste qu'il y a 6 échéances possibles (l'incertitude de la dernière échéance étant garantie par le fait que certains ont le droit de vivre au-delà), à l'approche desquelles on prépare ses funérailles comme une fête d'anniversaire, au cas où, en espérant que nos proches n'auront pas à les célébrer... Grâce à une habile propagande visant à normaliser la mort et à la quasi-certitude de ne pas mourir en dehors de ces 6 échéances, la société vit beaucoup plus heureuse. La délinquance et la criminalité ont été éradiquées, et tous les risques sont bannis de notre quotidien. Bref, tout ressemble à notre monde, dans une version plus ou moins idéale. Sauf qu'on sent vite que quelque chose ne tourne pas rond... Les auteurs ont un talent phénoménal pour nous faire découvrir peu à peu les différences avec notre monde au gré de la lecture (dans le premier tome, un objet que tout le monde porte, par exemple, mais qu'on ne remarque même pas dans les premières pages du récit...) et qui sont lourdes de sens. Sans que jamais la bande dessinée ne prenne un tour excessivement philosophique, larmoyant ou trop démonstratif, les auteurs réussissent à créer une réflexion très forte sur l'étouffement causé par une société sans risques, sans peur, sans violence et sans mort imprévue. On comprend vite qu'une telle société ne signifie pas le bonheur assuré, et le récit sait pousser son concept dans ses retranchements pour en tirer une vraie vision d'anticipation. Car c'est bien ce dont il s'agit : on est ici dans ce sous-genre bien connu de la science-fiction, l'anticipation, et les auteurs maîtrisent à merveille les codes du genre. Le portrait d'une société qui nous paraît absurde et qui, pourtant, n'est que l'exagération de certains traits caractéristiques de la nôtre, est joliment mis en place, toujours de manière pertinente. A travers le portrait d'une bande de parias qui veulent réintroduire dans leur monde l'incertitude du hasard, 10 octobre nous interroge directement sur notre propre rapport aux lois, aux risques et à la mort. C'est parfois un peu conventionnel, mais ça n'est jamais raté, et c'est d'une efficacité redoutable. Il faut dire que la grande réussite de cette bande dessinée, ce sont ses personnages. Avec un dessin qui évoque (de manière volontaire, précisée en postface) des acteurs de renom tels que Kathy Bates, Toni Collette ou Robin Williams, on s'attache immédiatement à chacun des membres de la bande. Bien évidemment, comme tous ces personnages approchent d'une échéance, on se doute que certains d'entre eux ne vont pas la passer, mais on a évidemment envie qu'aucun d'entre eux ne meure à la date de son échéance. Ce suspense nous tient en haleine tout au long d'un second tome brillantissime ! De fait, si le premier tome pose magnifiquement le concept et les personnages, le second tome prend la forme d'une véritable course contre la montre, qui évoque cette fois totalement la série Severance, avec ces personnages luttant contre un système qui les écrase, prenant la forme d'une grande entreprise aux couloirs aseptisés. Une fois le décompte lancé, on ne peut plus détacher ses yeux des pages qui tournent et des péripéties qui défilent, en espérant que tel ou tel personnage ne mourra pas la page d'après. Au-delà de ce suspense d'une efficacité dont j'ai rarement vu l'équivalent en bande dessinée, le récit a une portée émotionnelle très forte. Les auteurs savent ménager des instants suspendus (même si la tension ne redescend pas vraiment) où on s'intéresse au passé d'un personnage sans ralentir pour autant la narration, et où on développe son background de manière aussi discrète que subtile. Enfin, le suspense et l'émotion n'empêchent jamais le propos de continuer à développer une réflexion qui préfère la suggestion à de grandes affirmations sentencieuses qui auraient alourdi inutilement le récit. Et quelle profondeur dans cette savante dissection des rapports humains et de ce qui motive nos actes en profondeur ! Bref, je n'étais vraiment pas loin des 5 étoiles, malgré les petites difficultés de lecture que j'attribue à la traduction. Mon seul regret, c'est une conclusion, certes très réussie, mais qui arrive de manière un peu abrupte. Peut-être 4 ou 5 pages de plus auraient-elles permis de conclure de manière plus exhaustive le récit. Cela dit, on n'a pas l'impression d'une fin bâclée lorsqu'on arrive à cette dernière vignette, terriblement frustrante. Mais c'est précisément parce qu'elle est frustrante qu'elle est aussi géniale. Oui, j'aurais aimé avoir une fin plus explicite. Non, il ne fallait surtout pas rendre la fin plus explicite. C'est exactement celle qu'il fallait. C'est au pouvoir d'imagination du lecteur de prendre le relais. Et c'est peut-être bien là tout le rôle de l'Art, n'est-ce pas ?
Dulcie - Du Cap à Paris, enquête sur l'assassinat d'une militante anti-apartheid
Avec le discret, on est peinard ! - Ce tome contient une enquête journalistique sur la mort de Dulcie September, abattu à Paris le 29 mars 1988. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Benoît Collombat, journaliste, et Grégory Mardon, bédéiste. Il compte deux-cent quatre-vingt-dix-huit pages de bandes dessinées, en noir et blanc avec des nuances de gris. Il se termine avec deux pages de notes et crédits, un paragraphe de remerciements, et une page listant les autres ouvrages de ces auteurs. Paris 10e arrondissement, rue des petites Écuries, le 29 mars 1988, Dulcie September marche dans la rue, en se retournant une fois ou deux pour voir s’il y a quelqu’un derrière elle. Elle atteint le numéro trente-huit de la rue et pénètre par la porte d’entrée dans un porche. En passant devant loge, elle prend le courrier que lui remet la gardienne. Elle pénètre dans l’immeuble par l’accès au fond de la cour, ouvre la porte de l’ascenseur et appuie sur le bouton du quatrième étage. Elle sort de la cabine à 09h47. Elle prend les clés dans sa poche pour ouvrir la porte des locaux parisiens de l’ANC (Congrès National Africain) et commence à tourner la clé. Dans son dos, un homme fait feu à cinq reprises, un autre se tenant derrière lui. Ils descendent par l’escalier, alors que la femme gît morte, étendue sur le sol dans une flaque de sang. Ils croisent un homme qui entre dans l’immeuble et qui monte dans l’escalier après les avoir laissé sortir. Extraits du rapport d’enquête de la brigade criminelle – Le cadavre repose en position dorsale, en diagonale d’un axe imaginaire situé entre la porte d’ascenseur et la photocopieuse posée au sol. La face, maculée de sang, est tournée vers le plafond. La tête se situe à 60 cm de la porte d’ascenseur et 108 cm du mur de gauche, en sortant de ce dernier. Les paumes de mains sont tournées vers le plafond, les doigts repliés sur les paumes. La main gauche se situe à 60 cm du mur de gauche et à 34 cm de la porte d’ascenseur. Les jambes sont pliées et écartées, la distance entre les deux genoux est de 80 cm. À droite de la tête de la victime, un important écoulement sanguin imprègne le tapis et la moquette, ainsi que la chevelure au niveau postérieur du crâne. Au total, six coups de feu ont été tirés par un pistolet petit calibre 22 LR, cinq balles ont atteint Dulcie September à courte distance, précise le rapport d’enquête. Six douilles cuivrées longues de 15 mm sont retrouvées sur place. Dans le salon d’un appartement, les auteurs écoutent Jacqueline Derens, ancienne militante anti-apartheid, raconter sa première rencontre avec Dulcie September : cette dernière était venue à l’UNESCO témoigner du sort des enfants sous l’apartheid, qui mouraient à cause de la malnutrition ou faute de vaccins. Jacqueline était fascinée par la passion avec laquelle Dulcie expliquait les choses. Elle ne se contentait pas d’aligner des chiffres, elle vivait l’horreur de l’apartheid dans sa chair, et ça, pour les militants, c’était irremplaçable Le sous-titre annonce clairement la nature de l’ouvrage : une enquête de journaliste sur un assassinat dans Paris, d’une militante anti-apartheid. Cette enquête est menée par un journaliste de profession, travaillant à la rédaction de France Inter depuis 1994 en qualité de grand reporter. Il raconte l’enquête qu’il a menée sur ce meurtre, et il explique la raison qui l’a amené à se lancer dans cette entreprise : Pourquoi raconter cette histoire aujourd’hui ? D’abord parce que cet assassinat s’est déroulé sur le sol français, en plein Paris, quelques semaines avant la réélection de François Mitterrand à l’Élysée. Ensuite, parce que cette affaire reste un mystère. L’enquête judiciaire française s’est soldée par un non-lieu en juillet 1992, sans que soient identifiés les coupables. […] L’assassinat de Dulcie September est une histoire qui reste très gênante pour la France : Dulcie dénonçait les relations économiques illégales entre Paris et le régime de l’apartheid, notamment en matière d’armement. Ce soutien des autorités françaises à un régime officiellement raciste est, aujourd’hui, encore, largement méconnu. […] Depuis plus de dix ans, Collombat accumule de la documentation, il épluche les archives et il réalise des interviews filmées avec celles et ceux qui ont connu Dulcie à l’époque. Beaucoup sont morts aujourd’hui. Le temps est venu de raconter cette histoire et de tenter de comprendre pourquoi Dulcie September est devenue une cible. Ayant conscience de cela, le lecteur s’attend à une narration visuelle adaptée en conséquence. En particulier, elle comporte une forte part de têtes en train de parler : des témoins d’origine très diverse, racontant ce qu’ils ont vécu, parfois au temps présent, parfois comme souvenirs du passé. L’artiste doit reproduire l’apparence de nombreuses personnes politiques et autres. Il a dû produire un grand nombre de pages, ce qui a dû s’accompagner d’une cadence assez élevée. Très rapidement, le lecteur se rend compte que chaque page contient une forte densité d’informations, et que la narration est entièrement soumise à l’enquête. De temps en temps, une page ne peut être composée que des cases avec le buste d’une personne en train de parler, au travers d'un copieux phylactère. Pour autant ce dispositif permet d’incarner chaque propos, de voir qui les tient, et il montre qui parle, en toute transparence. Les deux auteurs font en sorte que le lecteur puisse voir qui parle, et à quel moment de sa vie, c’est-à-dire autant d’éléments d’information et de contexte laissant le lecteur libre d’apprécier les biais potentiels du locuteur. Par exemple Jacqueline Derens évoquant ses souvenirs de Dulcie September, trente ans plus tard. Ou bien Jean-Marie Le Pen en train de s’exprimer en direct au cours de l’émission L’heure de vérité, le 27 janvier 1988, les archives permettant de reproduire la séquence sans risque de déformation du fait des décennies passées. De même, voir Collombat poser des questions rappelle que lui aussi se livre à cette enquête avec un objectif précis, ce qui oriente le champ de ses questions, ce qui peut avoir une incidence sur la réponse de ses interlocuteurs. Le journaliste réalise une enquête qui explore de nombreuses possibilités, en fonction des réponses des personnes qu’il interroge, avec qui il discute, aussi bien ceux qui ont côtoyé Dulcie September dans sa famille, dans la branche parisienne de l’ANC (African National Congress), aussi bien des policiers qui ont enquêté sur le meurtre, d’autres activistes, des politiciens avec des niveaux de responsabilité variés. L’enquête évoque aussi bien des enjeux politiques que des enjeux économiques à l’échelle d’entreprises internationales, à l’échelle également de plusieurs nations. Cela induit que le dessinateur représente des situations, des environnements, des accessoires très variés. Cela commence avec une rue de Paris, une cage d’escalier avec un ascenseur, pour déboucher dans cette première scène sur un pistolet équipé d’un silencieux et un cadavre ensanglanté. Par la suite, Grégory Mardon montre les discussions assises autour d’une table pour recueillir des témoignages, aussi bien dans une cuisine que dans un salon bourgeois, des colloques et des allocutions officielles, des violences de foule, la ville d’Althone dans la banlieue du Cap, des manifestations de protestation, une cellule de prison, des cartes géographiques pour montrer les frontières, la ville de Genève, de Nice, de Zagora, la place de la Bastille, son opéra et la colonne de Juillet, l’assemblée nationale, les couloirs du métro parisien, des installations de centrale nucléaire, la gare d’Amsterdam, des missiles, d’avions militaires Mirage F1, etc. Il reproduit également la ressemblance de nombreux hommes politiques ou de personnalités comme François Mitterrand, Jacques Chirac, Charles Pasqua, Nelson Mandela, Simone Signoret & Jean-Paul Sartre, Pierre Joxe, et d’autres moins connus. Deux musiciens : Johnny Clegg, Abdullah Ibrahim (Dollar Brand). Dans un premier temps, le lecteur manque d’assurance quant à la construction de l’ouvrage. Celui-ci s’ouvre avec l’assassinat de sang-froid par un professionnel, permettant d’appréhender la réalité de ce crime, de cette exécution commanditée. Puis les deux auteurs se mettent en scène en train d’écouter Jacqueline Derens chez elle, au temps présent de la réalisation de l’ouvrage. Celle-ci raconte sa première rencontre avec Dulcie September en 1979. Il va ainsi se produire de nombreux va-et-vient temporels entre le temps présent des entretiens et celui des faits relatés, des développements sur la persistance du racisme dans la société française, trois pages consacrées au régime de l’apartheid, la jeunesse et la vie de Dulcie September jusqu’à son arrivée à Pairs, l’emprisonnement de Nelson Mandela en 1964, suite au jugement à Rivonia, prison à perpétuité pour lui et sept autres compagnons de lutte (Walter Sisulu, Govan Mbeki, Raymond Mhlaba, Elias Motsoaledi, Andrex Mlangeni, Ahmed Kathrada, Denis Glodberg). Une page consacrée à l’ANC et à l’établissement de sa direction en exil à Lusaka en Zambie. L’élection de François Mitterrand en 1981. La visite des anciens locaux de l’ANC à Paris au temps présent de l’enquête. Un séjour à Genève en septembre 2011, pour rencontrer Margrit Lienert, ancienne hôtesse de l’air, engagée par la suite dans le mouvement anti-apartheid suisse (branche romande) au début des années 1970. Etc. Progressivement, la ligne conductrice de l’enquête apparaît : des recherches pour chaque possibilité à envisager, des recherches de témoignages, des explications concises sur les différents acteurs, des membres de l’ANC, des politiciens, des militaires, des patrons d’entreprise, etc. Il s’agit d’une véritable enquête menée avec rigueur, confrontée au fait que certains témoins sont décédés depuis, que certains ne sont pas forcément fiables, et que les enjeux se révèlent énormes, à la fois sur le plan économique et le plan politique. Il est question des services secrets de plusieurs nations, de mercenaires aux agissements discutables (l’ombre de Bob Denard, 1929-2007, se faisant sentir), et de secrets d’état. En fonction des témoignages, le lecteur voit bien quand les auteurs se heurtent à des murs, et à d’autres moments il est même surpris qu’ils puissent en apprendre autant. Une enquête d’un journaliste professionnel, sur un assassinat commis à Paris, contre une militante anti-apartheid, et jamais élucidé. Une mise en images réalisée par un bédéiste professionnel, adaptant son approche à la nature de l’ouvrage, réalisant un travail impressionnant pour montrer les différentes personnes, soit racontant leurs souvenirs, soit lors de reconstitution du passé, participant à la rigueur de la présentation, et à son honnêteté intellectuelle. Le lecteur explore ainsi les nombreuses ramifications de ce meurtre commandité, suivant chaque possibilité, pour voir progressivement se dessiner la plus probable, étayée par de nombreux faits. Édifiant. Benoît Collombat a réalisé le scénario d’autres bandes dessinées, en particulier Cher pays de notre enfance: Enquête sur les années de plomb de la V? République (2015) avec Étienne Davodeau, Le choix du chômage: De Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique (2021) avec Damien Cuvillier.