Les derniers avis (9189 avis)

Par grogro
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Chevalier Brayard
Chevalier Brayard

Lue entre deux lectures plus « urgentes », ce Chevalier Brayard est parvenu à me captiver de bout en bout. C’est un mélange de plein d’ingrédients qui font mouche, à commencer par un scénario à la mode rabelaisienne. Je précise que j’ai abordé ma lecture avec la certitude qu’il s’agissait d’un premier tome, alors que nenni. J’ai d’abord aimé le dessin et les choix de colorisation qui évoquent tous deux ceux du Marquis d’Anaon. C’est d’une grande clareté, c’est dynamique et expressif. Le petit Jesus en culotte de velours. Je me suis lancé dans cette lecture sans rien connaitre du scénario, un simple feuillettage m’ayant convaincu de faire cette escapade. Je dois dire que j’ai trouvé cette histoire surprenante, quand même ! Son côté très rocambolesque, clairement affiché, est maitrisé. Le patchwork de personnages est assez improbable, et les dialogues décalés n’ont pas oublié d’être drôles (bien que peut-être un peu systématique parfois, il est vrai). Le ton est celui du récit picaresque. On songera - un peu - aux Indes fourbes. L’entrée dans ce road trippes médiéval, tout comme sa conclusion, emprunte beaucoup au western… ainsi que le ton qui, on ne le sent pas tellement venir le long de ce déroulé [ATTENTION : RISQUE IMPORTANT DE SPOUALE] tournera au tragique. J’avoue que sur la fin, j’étais tellement dedans que j'en fus fort bouleversé. Bref ! Le cadre est vite posé, et les personnages taillés dans le bois d’olivier millénaire avec néanmoins cette touche moderne qui lui confèrent toute son actualité. Je trouve cette histoire riche à souhait, et bien moins anecdotique qu’il n’y parait. Le ton grivois permet de masquer l’arrivée de cette fin tragique et tellement frustr… géniale ! J’ai failli dire frustrante mais parce que j’attendais une suite ! Non, rien à redire. C’est une chouette BD, sure de son dessin, fourmillant de références et de sous-textes, et l'on pourra trouver de nombreuses scènes susceptibles de jouer cette fonction de parabole. Dans Chevalier Brayard, il y est question de racisme, de sexualité, de religion, de la mort et bien d’autres choses encore. Je ne boude pas un tel plaisir.

17/02/2025 (modifier)
Par Spooky
Note: 3/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Passeur d'âmes (Taylor)
Le Passeur d'âmes (Taylor)

Au début j'ai cru qu'il s'agissait un recueil de plusieurs récits mettant en scène Dorian Leith, ce fameux thérapeute pour fantômes vendu par la quatrième de couverture, et puis au fil de ma lecture j'ai compris qu'il s'agissait d'une seul et (assez long) récit dont effectivement Dorian est le héros. Il n'en est qu'à ses débuts, mais se retrouve face à un défi de taille, puisque l'action d'une jeune défunte, à savoir de dérober la clé de l'au-delà, a des conséquences terribles : le porte de la mort est fermée et les morts errent dans les limbes, ou plus facilement parmi les vivants, provoquant la panique... L'album parle donc de mort, de deuil, d'anxiété, de maladie mentale, de surmenage, des sujets forts qui ont amené l'éditeur à mettre un petit avertissement destiné au jeune lectorat. Bonne idée cas le style graphique, s'il est semi-réaliste et très coloré, sert un récit aux racines sombres, mais néanmoins porteur d'espoir. L'histoire est un peu longue mais c'est plutôt bien mené, avec ces personnages tous en nuances, qu'ils soient vivants ou morts, et porteurs de vrais questionnements. Johanna Taylor évite de nombreux écueils de l'angélisme ou de la noirceur pour nous livrer un récit très plaisant, qui pourrait parler à de nombreux jeunes en proie à des questionnements existentiels importants. A noter une ambiance victorienne que ne renierait pas Oscar Wilde, influence assumée par l'autrice. Plutôt pas mal, malgré cette longueur qui ne se justifie pas forcément.

16/02/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Hulk - Banner
Hulk - Banner

Un monstre, par Richard Corben - Ce tome contient les quatre épisodes de la minisérie du même nom, parus en 2001. Le scénario est de Brian Azzarello et les illustrations de Richard Corben. Il s'agit d'un récit indépendant de la continuité du personnage. Il suffit de savoir que Bruce Banner a été exposé à des rayons suite à l'explosion d'une bombe à rayon gamma, et que depuis il se transforme en gros monstre vert chaque fois qu'il s'énerve. Quelque part dans une petite ville du Nouveau Mexique, Hulk est déchaîné, dans une rage folle. Il casse tout ce qui est à portée de main, à commencer par les habitations. Le nombre de victimes civiles augmente rapidement au fur et à mesure de la destruction réalisée à grands coups de poing. Après coup, un détachement de l'armée arrive sur place avec à sa tête le docteur Leonard Skivorski, un autre produit des radiations gamma plus connu sous le sobriquet de Doc Samson. Il s'arrange avec le général commandant les troupes pour fabriquer une explication à base de tornade, afin de masquer les agissements de Hulk. La mission de Samson est de capturer Hulk dans les 48 heures. Pendant ce temps là, Bruce Banner reprend conscience parmi les décombres, constate l'étendue des destructions occasionnées par Hulk, et propose son aide aux services de secours. Lui aussi souhaite mettre un terme à la menace qu'est Hulk. Il dérobe un pistolet pour pouvoir mettre fin à ses jours. Dans la postface, Axel Alonso (le responsable en charge de cette minisérie) explique que l'objectif est de cette histoire est de déterminer comment Banner pourrait supporter la responsabilité des destructions engendrées par Hulk. Donc Brian Azzarello ne s'embarrasse pas de fioritures ; il fait dans l'efficace. Il faut une scène de destruction massive ; c'est la première du récit et là il n'y a pas d'invraisemblance bienvenue. L'accès de rage destructrice de Hulk occasionne des blessures (et peut être des morts) dans la population civile. Ensuite, Banner est contraint de constater par lui-même et, sans possibilité de détourner la tête, le coût en vies humaines. La suite reprend une trame classique des histoires de Hulk : Bruce Banner est traqué par l'armée, il fuit de petite ville en petite ville en essayant de ne pas attirer l'attention et il finit par se trouver dans une situation qui provoque la transformation redoutée. La confrontation est inéluctable. Ce qui est appréciable dans ce récit complet est qu'Azzarello peut aller jusqu'au bout de cette dynamique, sans avoir à se soucier de préserver un statu quo. Le lecteur a le droit à une résolution claire, nette et tranchée à la fin du récit. En plus du plaisir d'assister à l'aboutissement de cette traque, à la résolution du danger que constitue l'existence de Hulk, il y a les affrontements homériques et le tout est dessiné par un vétéran des comics au style très affirmé : Richard Corben. Je suis un grand admirateur de cet illustrateur hors pair, au style à la fois réaliste et exagéré, à la démesure plausible depuis que je l'ai découvert dans les deux séries initiales de Den. Dès la première scène de destruction, il est évident qu'il s'est bien amusé à combiner une description réaliste des dégâts, avec une exagération second degré tout en ironie. Corben a l'art et la manière d'exagérer une musculature avec des veines saillantes au possible, pour conférer une présence incroyable à Hulk; Il y ajoute des expressions où l'émotion est exacerbée, et Hulk apparaît comme il devrait être : massif, incapable de toute maîtrise sur ses émotions, emporté par le tourbillon de sa colère comme un enfant sans aucune maîtrise. Après coup, le survol de la ville montre un quartier de la ville en ruine où les décombres noient le reste des murs. Lorsque Banner reprend conscience, il est confronté à la vision des soldats retirant un cadavre des décombres. Corben ne s'enfonce pas dans le gore, il montre juste le corps inerte et le visage incrusté de pierraille. Il n'a rien perdu de sa capacité à représenter les textures au point que le lecteur a l'impression de pouvoir tâter les fibres des vêtements. Le deuxième épisode s'ouvre sur une scène dans le désert, et Corben transcrit admirablement sa désolation, ainsi que les formations rocheuse. Son exagération ironique imprègne ses représentations de Hulk en tant qu'enfant incontrôlable, mais aussi l'apparence et le langage corporel de Doc Samson. Ce dernier est irrésistible en individu à la force herculéenne, ce qui lui donne une assurance peu commune. Il en impose en stratège donnant des ordres pour l'exécution des manœuvres qui doivent permettre de terrasser le monstre. Corben a l'art et la manière de représenter l'impact des coups sur les corps, la brutalité des chocs du métal contre la chair (la tête de Hulk dans les pales d'un hélicoptère). Et il sait en une case créer des personnages aussi mémorables que singuliers (les deux frères mexicains dans la station service, aussi veules que dangereux). Ces quatre épisodes forment une histoire courte et ramassée dans laquelle le lecteur retrouve les scènes attendues de destruction et de combats brutaux à base de coups de poing primaires. La nature du récit qui est déconnecté de la continuité permet à Azzarello de dépasser cette trame convenue pour offrir une résolution à la culpabilité insoutenable de Banner quant aux actions de Hulk. Le style si particulier de Corben permet de transformer chaque scène en une démonstration de force primaire et premier degré, tout en incluant une ironie second degré mordante. Cette recette simple a été préparée par des grands chefs, et le résultat se déguste et se savoure comme un met simple à la saveur inouïe.

16/02/2025 (modifier)
Par Josq
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Zaroff
Zaroff

L'enthousiasme de notre ami Agecanonix était tel que je ne pouvais pas passer à côté de cette bande dessinée ! Après avoir découvert le merveilleux film de 1932 récemment, je me suis donc lancé dans cette suite dessinée, et indéniablement, c'est du très, très bon boulot ! Faire revivre ce personnage détestable et fascinant n'était pas chose aisée, mais Sylvain Runberg a trouvé un excellent point de départ, permettant de renouveler les bases du scénario original tout en perpétuant l'univers dans la grande continuité de ce qu'instaurait le film de Pichel et Schoedsack. Cette idée d'opposer au général Zaroff une autre psychopathe permet de mettre en scène un nouveau duel où, cette fois, il devient difficile de déterminer qui, des deux adversaires, est la proie et qui est le chasseur. Les personnage sont très bien dessinés, et surtout très nuancés, par leurs actes et leurs dialogues, joliment écrits. Ainsi, Zaroff se découvre une âme en étant obligé de sauver la famille de sa sœur, mais pour autant, il ne devient pas un "gentil". Cela reste un psychopathe, un chasseur qui aime le goût du sang, mais au fond duquel sommeille toutefois un homme loyal. Heureusement, le scénario nous offre donc également les personnages de la sœur du général russe et de ses enfants, auxquels on aura moins de scrupules à s'attacher qu'au personnage principal. Le second tome, avec son intrigue plus axée "guerre, espionnage", tend peut-être un peu trop à faire de Zaroff un héros dont on questionne moins régulièrement les actions, sans parler du recours assez facile (quoique logique) aux nazis comme grands méchants inexcusables du récit. Toutefois, le scénario nous rappelle toujours, de manière ponctuelle mais prenante, les horreurs dont le comte est capable, notamment dans un cliffhanger particulièrement réussi. Le récit est raconté sur un ton très réaliste, et prend le temps de développer chacune de ses péripéties, malgré quelques raccourcis narratifs vraiment pas méchants (genre la civière qui surgit de nulle part sans précision d'une quelconque ellipse temporelle ayant permis sa confection), un défaut qui sera quelque peu exacerbé dans le deuxième tome. Dans le premier tome, la crédibilité est donc bien de mise dans ce duel entre deux esprits tout aussi tordus l'un que l'autre, à la fois terrifiants et envoûtants. Dans le second tome, il manque peut-être à opposer à Zaroff un esprit aussi brillant que lui pour que le récit soit de la même qualité. Dans tous les cas, le récit est parfaitement servi par le dessin de François Miville-Deschênes, d'une précision ahurissante et donc d'une beauté stupéfiante. Vraiment, chaque case est un pur plaisir à regarder. Je n'aime pas toujours quand le dessin est hyper-réaliste (à la Bergèse dans les Buck Danny de 2005-2006, par exemple), mais ici, Miville-Deschênes réussit à faire quelque chose de très fluide. Notamment, l'alchimie entre les personnages et les paysages (élément essentiel dans les histoires mettant en scène le comte Zaroff) est admirable, il n'y a pas le côté trop statique qu'on trouve souvent quand le dessin essaye d'être le plus réaliste possible. Ici, pas un trait en trop, l'équilibre est parfait ! Seul (très) léger reproche : il est peut-être un peu trop propre par rapport au ton du récit. Quand ça devient vraiment sanglant, on a parfois un petit peu de peine à ressentir l'impact d'une blessure ou d'un coup de griffe. Ou encore le visage blessé du général Zaroff est bien trop lisse par rapport à ce à quoi on aurait pu s'attendre. Mais bon, ça n'entame pas la qualité incroyable du dessin. Ainsi, alors que le pari de reprendre la nouvelle initiale et le film de 1932 avec la même intensité semblait perdu d'avance, Runberg et Miville-Deschênes réussissent pourtant à créer un résultat à la hauteur des œuvres initiales. Rien n'est édulcoré, aucun élément de base n'est trahi, et la continuité est parfaitement entretenue jusqu'à des cliffhangers de grande qualité, qui résument parfaitement l'esprit de cette bande dessinée : ne rien trahir, trouver le juste équilibre. Clairement, c'est une mission accomplie pour les deux auteurs !

20/04/2021 (MAJ le 16/02/2025) (modifier)
Couverture de la série Alouette
Alouette

Dans Alouette, Andréa Delcorte nous entraîne aux côtés d’une héroïne livrée à elle-même sur une île inconnue et inhospitalière. En quête de Pilou, elle doit affronter un environnement oppressant : une nature qui semble toxique, des créatures menaçantes, et surtout des visions troublantes. Peu à peu, des fragments de son passé resurgissent, entremêlant souvenirs douloureux et hallucinations. À travers ce récit, l’auteur explore avec finesse la mémoire traumatique. Alouette, marquée par une enfance difficile et des épreuves brutales, se retrouve confrontée à ses propres démons dans un monde où la frontière entre illusion et réalité se fait de plus en plus floue. Comme elle, le lecteur avance en terrain incertain, pris dans un labyrinthe sensoriel jusqu’au dénouement. Le dessin, sombre et immersif, accentue cette atmosphère suffocante, renforçant le sentiment de perte de repères. Alouette est une œuvre marquante, à la fois crue et poétique, qui nous happe jusqu’à la dernière page.

15/02/2025 (modifier)
Par sloane
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série La Cuisine des ogres
La Cuisine des ogres

Par les dieux que c'est bien, que c'est beau. Comme certains de mes petits camarades dans les avis précédents, lorsque je vois une BD signée Jean Baptiste Andreae je ne réfléchis pas une seconde et fébrilement je prends le dit objet avec un mélange de joie contenue et de fébrilité, quand vais-je enfin pouvoir me poser pour lire la chose ? Depuis MangeCoeur et Azimut je voue à Mr Andreae et à son dessin une sorte de culte. Richesse des décors, foisonnement des détails, à tel point que j'ai lu la BD deux fois de suite. La première pour découvrir et la deuxième pour me concentrer sur tous ces petits détails dont je parlais plus haut. Voilà quelqu'un qui sait ce que veut dire remplissage d'une case ; ce terme de remplissage pourrait paraitre péjoratif, mais pour moi il n'en est rien tant cela concourt à la magnificence du rendu final. Pour ce qui est de l'histoire en elle même l'univers du conte ainsi présenté répond parfaitement aux critères du genre, un savant mélange de passages "qui font peur" : le hachoir géant et puis des plages d'une grande poésie. Parfaite alchimie entre le merveilleux, le fantastique et la noirceur cet album ravira les grands comme les plus petits. Un seul regret j'aurais aimé que cela soit plus long. Encore une réussite.

15/02/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Le Travail m'a tué
Le Travail m'a tué

On va réévaluer vos objectifs à la hausse pour compenser la baisse. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première parution date de 2019. Le récit a été écrit par Hubert Prolongeau et Arnaud Delalande, il a été dessiné, encré et mis en couleurs par Grégory Mardon. En 2019, au tribunal des affaires de sécurité sociale, Françoise Perez arrive avec son avocate : l'enjeu du jugement est la reconnaissance du harcèlement moral et du harcèlement institutionnel. Un journaliste vient interrompre la discussion de l'avocate avec sa cliente, mais l'avocate indique que ce n'est pas le moment, qu'elles doivent se préparer pour l'audience. En 1988, Carlos Perez reçoit la lettre qui lui confirme qu'il est pris à l'École Centrale Paris, il court l'annoncer à ses parents qui sont très fiers de lui. À la sortie de l'école, il passe un entretien et est embauché chez un constructeur automobile national. 5 ans plus tard, il a gravi des échelons et devient chef d'atelier. Il sort avec Françoise, et ils se marient peu de temps après. Peu de temps après, le centre technique déménage à Gonesse, ce qui induit des temps de transport plus longs pour Carlos qui a acheté à Saint-Cloud. Il passe aussi à un aménagement des bureaux en espace partagé, plus bruyant. Dans le même temps, la messagerie électronique prend son essor et il y a de plus en plus de courriels à traiter. Françoise est enceinte de leur premier enfant. Un jour en se promenant avec elle, il voit le modèle de voiture (une Nymphéa) dans la rue, pour la première fois, le centre technique étant séparé des ateliers de fabrication. Avec la circulation, Carlos Perez se rend compte qu'il vaut mieux qu'il prenne les transports en commun, avec les aléas afférents. 2 ans après l'installation dans le centre technique, la direction change, et les ingénieurs sont convoqués pour une réunion plénière. Un nouveau cadre leur explique que les résultats de vente de la Nymphéa en font un succès, mais qu'il va falloir que l'entreprise s'améliore encore, en révisant ses méthodes de travail, et que des objectifs individualisés vont être instaurés. Dans le lit conjugal, sa femme lui indique que l'individualisation est également une opportunité pour que ses efforts soient reconnus à leur juste mesure. Le lendemain, Carlos Perez est confronté à un carburateur mal conçu. Il décide de demander à son équipe de travailler dessus tard dans la soirée pour le rendre conforme afin que l'équipe suivante dans la chaîne dispose d'un carburateur viable. Il passe toute la nuit au bureau avec plusieurs collègues. Le lendemain, il reçoit un message de sa femme lui indiquant qu'elle est en salle de travail. Il se dépêche de se rendre à l'hôpital et arrive juste à temps. En découvrant cette bande dessinée, le lecteur a conscience de 2 caractéristiques. La première est qu'elle paraît en 2019, l'année du jugement sur les suicides de France Telecom / Orange : 35 suicides liés au travail entre 2008 et 2009. La seconde est que cette bande dessinée reprend des éléments du livre Travailler à en mourir : Quand le monde de l'entreprise mène au suicide (2009) de Paul Moreira (documentariste) & Hubert Prolongeau (journaliste), ce dernier étant coscénariste de la BD. Le fait que Carlos Perez travaille comme chef d'atelier pour un constructeur automobile français renvoie aux suicides de trois salariés du technocentre de Renault à Guyancourt entre octobre 2006 à février 2007. Les auteurs ont donc comme intention d'évoquer les circonstances et les mécanismes qui mènent à un tel acte, par le biais d'une fiction entremêlant les éléments de France Telecom et de Renault. Le lecteur peut identifier la création du Centre Technique pour Renault, et les plans de restructuration comme pendant du plan NExT (Nouvelle Expérience des Télécommunications, plan de 2006-2008) et du programme managérial Act (Anticipation et compétences pour la transformation), ayant pour objectif de diminuer la masse salariale. La bande dessinée est un média, pouvant accueillir tout type de narration, tout type de genre. L'introduction permet de rattacher le récit à l'actualité, mais plus encore à l'enjeu du jugement, pour la veuve de Carlos Perez, mais aussi pour le monde du travail, pour tenter de mettre les managers et les hauts cadres face aux conséquences de leurs décisions. Le cœur de la bande dessinée comprend 104 pages exposant les faits en suivant le parcours professionnel de Carlos Perez et quelques étapes de sa vie privée. Le lecteur y retrouve des transformations professionnelles rendant compte de la mutation de l'organisation du travail dans ce secteur d'activité : un changement de modèle d'organisation avec une augmentation de la spécialisation et une segmentation des process (le centre technique est déconnecté des ateliers de production : ils ne sont plus au même endroit), une accélération de la mise en place de nouveaux outils (courriels, logiciels de conception assistée par ordinateur, mondialisation), la mise en place de gestionnaires ne connaissant pas le métier, l'apparition du chômage chez les cadres. D'une certaine manière, Carlos Perez n'arrive pas à s'adapter à ces nouvelles conditions de travail malgré ses efforts, restant dans le mode de fonctionnement de l'ancien modèle. Hubert Prolongeau, Arnaud Deallande et Grégory Mardon ont ambition de retracer ce drame pour de nombreux salariés au travers d'une bande dessinée. Afin de donner à voir cette histoire de vie, Grégory Mardon a opté pour un trait semi-réaliste, avec une apparence de surface un peu esquissée. En ce qui concerne cette dernière caractéristique, le hachurage pour les ombres est fait avec des traits pas très droits, pas très parallèles, n'aboutissant pas proprement sur le trait détourant la forme qu'ils habillent. Les personnages sont tous distincts, en termes de morphologie et de visage, avec parfois une impression de corps construit un peu rapidement (le raccord des bras aux épaules en particulier) et d'expression de visages qui peuvent être un appuyées pour mieux transcrire l'état d'esprit du personnage. Cela donne plus une sensation de reportage, de dessins croqués sur le vif, que de bâclage. Les protagonistes sont vivants et nature, le lecteur ressentant facilement de l'empathie pour eux. Il voit le visage de Carlos Perez se creuser au fur et à mesure qu'il encaisse et qu'il en perd son sommeil. Il est saisi d'effroi en page 45 (page muette) en découvrant le masque de mort qu'est devenu son visage, et la fumée de cigarette qui sort par la bouche, comme s'il s'agissait de son âme en train de quitter son corps. Il n'y a que 3 personnes qui relèvent de la caricature : Sylvain Koba (le premier nouveau chef direct) de Carlos Perez, Nicole Perot celle qui succède à Koba, et la jeune directrice des ressources humaines. En voyant leur langage corporel et leurs expressions, le lecteur voit des personnes manipulatrices, des salariés ne faisant que leur boulot, des êtres réduit à leur fonction, appliquant la politique de l'entreprise sans recul ni état d'âme, encore moins d'empathie pour les employés qu'elles reçoivent. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut y voir une exagération qui en fait des individus mauvais, ou bien l'expression du ressenti de Carlos Perez vis-à-vis d'elles. Il n'en reste pas moins que l'artiste se montre très habile à faire apparaître leur ressenti, en particulier l'esprit de domination de Nicole Perot, et sa jouissance à obtenir satisfaction, à imposer ses choix à son subalterne. À ce titre, Mardon réussit des cases terrifiantes : en page 79 Carlos Perez voyant Nicole Perot dans une légère contreplongée qui montre son ascendant sur lui, en page 80 quand le visage de Perez s'encadre entre le bras et le buste de Perot comme si elle le tenait dans une prise d'étranglement. De prime abord, les différents environnements semblent dessinés avec la même rapidité pour une apparence facile et un peu esquissée. Au fur et à mesure, le lecteur est frappé par la diversité des lieux, leur plausibilité et leur qualité immersive. Il peut effectivement se projeter en esprit dans le petit jardin du pavillon des parents de Carlos Perez. Il a l'impression d'être assis à ses côtés pour son premier entretien d'embauche dans le bureau du recruteur où il n'y a pas encore d'ordinateur. Il a l'impression de jouer le photographe lors de la photographie prise sur les marches de l'église pour le mariage. Il s'installe dans l'open-space en éprouvant tous les désagréments de ce manque d'intimité et de cette ambiance de travail bruyante. Il voit le hall monumental du centre technique remplissant une fonction de prestige, contrastant avec la qualité dégradée des espaces de travail des employés. Il attend impatiemment le RER avec Carlos Perez, maugréant comme lui contre son irrégularité et les incidents à répétition. En page 81, le lecteur suit Carlos Perez alors qu'il inspecte le site technique de l'entreprise en Argentine, et il se trouve vraiment à inspecter une chaîne de montage, à vérifier l'installation par rapport aux processus décrits dans la base de données informatique. En entamant sa lecture, le lecteur a bien conscience de la nature du récit et de sa fin inéluctable. Il n'y a pas d'échappatoire possible pour Carlos Perez. Il n'y a pas d'issue heureuse. Il l'observe en train de se heurter à un changement qu'il ne maîtrise pas, qu'il ne comprend pas, qui remet en cause ses valeurs professionnelles et personnelles. Carlos Perez fait des efforts pour atteindre ses objectifs individualisés et pour répondre aux attentes de ses chefs : chacune de ces actions est à double tranchant. D'entretien en entretien, ses objectifs (comme ceux des autres) sont revus à la hausse, arbitrairement, sans prendre en compte la réalité du métier, sans espoir de les atteindre un jour, puisque dans le meilleur des cas une fois atteints ils seront à nouveau revus à la hausse. Les auteurs réussissent des passages bien plus subtils. Ingénieur de formation, Carlos Perez est envoyé dans une usine implantée en Roumanie pour augmenter la production et rationaliser une masse salariale sans la faire augmenter. Il se rend compte après coup qu'il a joué le même rôle que ses propres chefs : devenir gestionnaire sans état d'âme en profitant de la méconnaissance du droit du travail par les employés pour mieux les exploiter. Ayant assisté à une déclaration du PDG à la télé, il prend l'initiative de développer une solution technique par lui-même pour résoudre le problème évoqué par le PDG. Il apporte une solution technique sans rapport avec la stratégie financière de développement du groupe, dans une incompréhension complète du système. C'est un tour de force des auteurs à la fois par l'intelligence de l'analyse, à la fois par leur capacité à en rendre compte sous forme de bande dessinée, que de montrer à quel point Carlos Perez et cette direction désincarnée ne jouent pas au même jeu. Il y a une forme d'inconscience à penser qu'il est possible de traiter d'un sujet aussi complexe et douloureux que la souffrance au travail, en une simple bande dessinée de 115 pages, en même temps il s'agit d'un engament total et nécessaire. Arnaud Delalande, Hubert Prolongeau et Grégory Mardon racontent l'histoire d'un individu, ce qui permet au lecteur de se projeter, de se reconnaître en lui, d'éprouver de l'empathie. Les dessins présentent une apparence d'urgence, et reflète un monde de flux en phase avec le monde de l'entreprise qui doit fourguer toujours plus de marchandises en menant une véritable guerre économique contre ses concurrents, des adversaires à écraser, à éliminer. En terminant cette BD, le lecteur a dans la bouche un goût amer : le gâchis en vie humaine, un libéralisme capitaliste sans âme qui ne fonctionne que pour son propre intérêt, son propre développement, des individus faisant fonctionner un système sans se poser de question, sans recul, une évolution implacable et inéluctable, arbitraire pour l'individu qui n'a pas les moyens de l'enrayer. À la fois, le lecteur est écœuré par cette vie massacrée, par un système institutionnalisé que les employés appliquent sans état d'âme ; à la fois il aurait bien aimé en découvrir plus, à commencer par ce qui permet aux collègues de Carlos Perez de s'adapter.

14/02/2025 (modifier)
Par Yann135
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Islander
Islander

Cela fait déjà quelques mois que je tournais autour de cet album. Je l’achète maintenant ou j’attends la sortie du tome 2 voire du tome 3 ? Ca me titille. Et puis le festival d’Angoulême arrive. Je le feuillette sur le stand Glénat. Je le parcours de nouveau chez cosmopolite et je craque forcément devant la splendeur des planches de Corentin Rouge. Il m’avait déjà bluffé le garçon avec Sangoma, les damnés du Cap mais là avec Islander on monte encore d’une marche vers la BD culte ! Tout est admirable. On plonge allègrement dans une atmosphère sombre et mystérieuse, où les destins s'entrecroisent et les secrets se dévoilent. Les amateurs de récits intenses et poignants retrouveront ici la patte unique de Caryl Férey, qui excelle dans l'art de tisser des intrigues captivantes et de créer des ambiances envoûtantes. Il ne serait pas le frère de Christophe Bec ? ? Cette BD est une œuvre magistrale qui transcende les frontières du genre. Dès les premières pages, on est happé par l'univers immersif et envoûtant. Le trait de Corentin Rouge, à la fois précis et expressif, donne vie à des personnages complexes et attachants. Et si vous rajoutez une histoire riche en rebondissements vous comprendrez que la lecture de cet album ne peut se faire que d’une seule traite jusqu’à la dernière case. L'intrigue, savamment construite, explore des thèmes profonds et universels – d’actualité - avec une sensibilité rare. Chaque planche est un chef-d'œuvre visuel, où les détails foisonnent et où l'émotion transparaît à travers chaque coup de crayon. Vache de vache comme on dit dans les campagnes, c’est incroyablement beau ! La narration, fluide et captivante, nous emporte dans un voyage initiatique où chaque personnage évolue et se révèle au fil des pages. Islander n'est pas seulement une bande dessinée, c'est une expérience sensorielle et émotionnelle. Corentin et Caryl ont su marier avec brio le texte et l'image, créant une alchimie unique qui fait que cette œuvre va devenir assurément un incontournable de la littérature graphique. Vous ne pouvez pas passer à côté d'Islander ! C’est une véritable pépite qui laissera une empreinte durable dans votre esprit !

14/02/2025 (modifier)
Par Cacal69
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série L'Île aux orcs
L'Île aux orcs

C'est un feuilletage rapide et sa magnifique couverture qui m'ont fait craquer. Et là, c'est le jackpot. Quel plaisir de retrouver le tandem de Goodnight paradise, il sera cette fois-ci accompagné par le génialissime Matt Hollingsworth à la couleur. De la Fantasy comme on n'en voit pas souvent. Tous les ingrédients sont présents pour faire de ce récit une réussite. Trois personnages principaux, Cerrin fils sion est un demi-elfe, Urghria est une pirate qui a perdu son équipage, ils vont s'associer pour aller voler des crânes d'orc sur l'île aux orcs pour faire fortune et ainsi s'extirper de leur condition misérable. Mais pour cela ils ont besoin de magie, Urghria va acheter un mage au temple, le triste Andune. Des protagonistes qui vous surprendront. Un monde de désolation sous la coupe d'une religion qui ne pense qu'à son bien-être. Un monde où l'on peut découvrir des temples volants et leurs patriarches, des créatures fantastiques et des orcs. Un monde inégalitaire et violent où le sang coule à flot, où les crânes sont fracassés et les langues arrachées. Un récit captivant et sans temps mort qui prend soin de bien planter le décor et les acteurs avec un zeste d'humour. Les surprises seront au rendez-vous, je ne m'attendais pas à une telle fin. Une triste parabole. Une narration maîtrisée de bout en bout. Joshua Dysart est un scénariste à suivre. Le dessin est une tuerie, dans tous les sens du terme, Alberto Ponticelli a réalisé un travail fantastique. La mise en page audacieuse permet d'en prendre plein les mirettes, les décors sont fabuleux, que ce soit cette jungle sauvage ou la cité des orcs. Inventif, expressif, immersif et dynamique. Il me faut aussi mettre en avant le travail extraordinaire de Matt Hollingsworth, ses choix de couleurs apportent une touche singulière à ce récit sanguinolent. N'hésitez pas à feuilletter l'album en librairie, la galerie ne rend pas hommage à ce visuel de toute beauté. Un indispensable pour tous les aficionados de Fantasy. Foncez, foncez et foncez. Gros coup de cœur. "Tout peuple est ennemi de lui-même". Quelques coquilles, une relecture de l'éditeur aurait été nécessaire.

13/02/2025 (modifier)
Par sloane
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série La Route
La Route

Grandiose, fascinant, extraordinaire. Je pourrais ainsi aligner d'autres superlatifs pour dire tout le bien que je pense de cette adaptation. Depuis Le Rapport de Brodeck, je suis un grand fan du dessin de M. Larcenet et plus particulièrement de sa maitrise du noir et blanc. Quelle maestria, il n'en fallait pas moins pour rendre compte de cette ambiance post apocalyptique. La fin du monde comme si vous y étiez. A ce propos je m'interroge sur les avis de posteurs précédents qui s'interrogent sur le manque d'ambiance du récit. Ben mon colon ! Pour du glauque nous sommes servis, cet inexorable "road trip" ponctué de rencontres effrayantes si elles ne font pas sursauter ou flipper le lecteur laisse tout de même un sentiment d'inéluctable sans espoir de rédemption pour l'humanité. Oui ce n'est pas drôle, cela pousse à désespérer du genre humain. Pour ceux qui pensent qu'il reste un peu d'espoir ben ce récit nous montre de quoi l'homme est capable et que l'on ne vienne pas me dire que j'affabule. Forcément culte et coup de cœur.

11/02/2025 (MAJ le 13/02/2025) (modifier)