Les dessins ont toujours déplu à plein de monde. Et c’est bien la moindre des choses.
-
Ce tome contient un exposé complet indépendant de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Aurel (Aurélien Forment) pour le scénario, les dessins, les couleurs. Il comprend trente-deux pages de bande dessinée. L’auteur a réalisé des dessins de presse pour Le Monde et l'hebdomadaire Politis, Le Canard enchaîné, et par le passé pour Marianne
(1) Un dessin réussi (comme une blague) est la combinaison de trois éléments fondamentaux : une émettrice – un émetteur (qui dessine), un récepteur – une réceptrice (qui lit) et un contexte. Si les trois éléments ne sont pas clairement identifiés et ne partagent pas les mêmes codes culturels, ça ne peut pas marcher. (2) L’humour est hautement culturel : un bon dessin français peut laisser de marbre un-e Allemand-e et vice-versa. Une blague populaire en Belgique peut choquer une Italienne. Sans parler du flop d’un gag breton à Marseille. (3) En France, les seules limites posées à la liberté d’expression sont celles de la loi. (4) Dans ce livre, la question de l’extrême droite et des extrémistes religieux n'est pas évoquée, car pour elle et eux, le dessin de presse est au mieux un effet secondaire indésirable de la vie politique, au pire, une hérésie à réprimer – voire buter. La discussion est vite close. - Dix ans après la déflagration qu’a représentée l‘attentat contre Charlie Hebdo et l’assassinat des dessinateurs parmi les meilleurs de la profession (déjà peu peuplée – quelques dizaines d’individus), le dessin de presse continue de tenter de survivre à une maladie qu’il avait contracté bien avant 2015. Au-delà de l’horreur de l’attentat, l’ignominie des frères Kouachi a été un facteur aggravant ; accélérant la sénescence d’un métier. Le dessin de presse – mais en fait l’humour d’actualité au sens large – se meurt.
Le funambule constitue une bonne métaphore graphique de cette situation, dans les dessins de presse. C’est très pratique pour figurer la fragilité d’une position, la précarité d’un équilibre politique ou une inexorable chute qui pourtant tarde à venir… Et on peut adjoindre à l’allégorie en péril, tout un tas d’attributs exprimant ses contraintes. Dans une mise en abyme, on pourrait représenter le dessinateur de presse en funambule. Première des multiples affections dont souffre le dessin de presse : son principal support – la presse écrite – va mal, les ventes s’effondrent. Et lorsqu’ils prennent plus ou moins bien le virage du numérique, les journaux oublient bien souvent d’embarquer le dessin sur le web. Il suffirait de pas grand-chose et surtout d’un tout petit peu de bonne volonté pour le faire bouger, évoluer et le faire profiter des avantages qu’offre le numérique. Mais à quelques exceptions près, comme Charlie Hebdo ou Le Canard enchaîné, les journaux se sont bien accommodés d’oublier l’encombrant dessin au passage sur le web. Car oui, nous sommes encombrant-e-s ! En effet – seconde affection – un dessin d’actualité doit être percutant, irrévérencieux, sale gosse.
Le sept janvier 2015, les frères Chérif et Saïd Kouachi perpètrent un attentat islamiste contre le journal satirique Charlie Hebdo faisant douze morts : Frédéric Boisseau, Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, Elsa Cayat, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Franck Brinsolaro, puis Ahmed Merabet à l’extérieur. Dans cet ouvrage, l’auteur indique quelle était sa relation avec le magazine Charlie Hebdo. Quelques semaines après l’attentat, un copain s’étonne de le voir arborer un badge Je suis Charlie, car il connaît ses différends politiques avec le journal. Aurel explicite : Primo, ça n’entre pas en compte pour lui à ce moment-là. Et secundo, il explique à son ami ce que signifie pour lui être Charlie : Pouvoir être libre de dire et de dessiner ce qu’on veut dans la limite de la loi. Il ajoute : Et dans les limites de la loi ou pas, un désaccord ne peut en aucun cas se résoudre par un assassinat. Une prise de position qui lui paraît simple et limpide, il ne sait pas s‘il a convaincu son interlocuteur mais i est assez content d’avoir pu le formuler simplement. Dix ans après l’attentat de Charlie Hebdo, Aurel a besoin de faire le point sur la situation, à la fois de l’héritage de ces crimes abjects, à la fois sur le fait que par la malédiction des Kouachi, Charlie s’est transformé en martyr de la liberté d’expression. Cela a eu pour conséquence qu’un petit groupe s’en est emparé pour de plus ou moins bonnes raisons, parfois (souvent) par simple calcul personnel ou politique, et a touché le gros lot.
Le lecteur comprend dès la première page qu’il s’agit d’un essai, ce qui induit un mode narratif particulier, avec ses propres spécificités. L’auteur a choisi de mettre en scène un avatar de lui-même pour s’adresser directement au lecteur, avec un dessin descriptif et simplifié, sans pour autant s’embellir. Il apparaît comme un homme normal, avec les cheveux en bataille, une barbe hirsute un sweatshirt informe et un pantalon passe-partout. Il met à profit la possibilité d’accentuer et même d’exagérer les expressions de visage pour faire ressentir son état d’esprit en fonction des situations ; énervement, sidération, abattement, peur, indignation, inquiétude, lassitude, réflexion, entrain, etc. Il utilise des conventions graphiques telles que les étoiles au-dessus de la tête pour l’étourdissement après une chute, le nuage noir au-dessus de la tête pour la colère, etc. Il met en œuvre quelques métaphores visuelles comme son avatar en train de faire le funambule. Il joue sur l’encrage, ajoutant des traits secs pour faire ressentir le degré d’intensité d’une émotion. Lorsqu’il apprend la mort des dessinateurs de Charlie Hebdo, il se liquéfie, et le lecteur peut voir que les traits de contour de son personnage perdent toute leur tension, succombant à la gravité, comme s’il se liquéfiait littéralement.
Un essai induit que le rôle de la bande dessinée induit que la narration visuelle est inféodée au texte, à sa construction et ses développements, qu’elle l’illustre plus qu’elle ne le raconte. Le choix de l’avatar de l’auteur, lui, induit également de le voir s’adresser au lecteur, étant régulièrement assis à sa table de travail, ou en train de dessiner. Pour autant, l’auteur va au-delà de l’alignement de cases en bande, avec uniquement des têtes en train de parler, ou de lui-même en plan poitrine en train de parler. Il fait usage de métaphores et de mises en situation diversifiées. Le lecteur croise d’autres personnages et se retrouve dans des environnements inattendus. Dans la première catégorie, il voit un patron de presse, un copain de l’auteur, des bras avec une chaussette au bout pour un théâtre de Guignol, le temps d’une case les six dessinateurs assassinés (Cabu, Choron, Cavanna, Reiser, Gébé, Wolinski), Nicolas Sarkozy, PhilippeVal (ex-rédacteur en chef de Charlie Hebdo, ex-directeur de France Inter, chroniqueur sur Europe 1)… et même des jeunes. Au cours de sa lecture, assiste à des événements aussi inattendus et divers qu’une chute à la verticale sur la hauteur de la page, une liquéfaction, l’intervention d’une citrouille grimée en tête de clown, une chute en chaîne de dominos, le passage de Charlie Brown (pour indiquer d’où vient le titre du magazine satirique), un bouclage du magazine à la grande époque historique (avec des prostituées), et les deux mâchoires de l’étau qui se resserre.
Au cours de son essai, l’auteur développe les répercussions de l’attentat contre Charlie Hebdo sous différents points de vue. Il commence par donner sa définition du dessin de presse réussi, puis il évoque l’état de la profession, c’est-à-dire la frilosité des patrons de presse d’inclure ce type de rubrique dans leur périodique. Il effectue plusieurs constats auxquels le lecteur attribue une valeur certaine, ne serait-ce que parce qu’Aurel est lui-même un professionnel de ce métier. En fonction de sa familiarité avec ce domaine, il en apprend plus ou moins, ou il trouve la confirmation de ce qu’il a déjà pu lire ailleurs : la précarisation du métier par la diminution des journaux accueillant les dessins de presse, la mise en concurrence systématique et l’absence de contrat stable avec un journal, le questionnement de chaque production par les éditeurs avant toute publication. Il s’agit de réalités économiques et de conditions d’emploi que le lecteur connaît peut-être déjà, ayant été attiré par cette bande dessinée au propos ciblé.
Cet essai va plus loin qu’un constat économique peu encourageant. L’auteur analyse également les forces systémiques en place s’appliquant sur la forme d’humour. Il développe la nature de ces deux mâchoires. D’un côté les néo-réacs : il explicite ce que recouvre ce terme dans le contexte du dessin de presse, comment ce groupe d’opinion s’est imposé après que Charlie Hebdo ait été érigé en martyr, comment il contraint les dessinateurs, et quelles sont ses limites, en particulier les limites de sa pertinence et de sa légitimité dans la définition de ce que serait le bon humour. De l’autre côté : la société évolue, et l’humour doit évoluer avec. Il évoque l’esprit Woke, avec ce que cette appellation peut avoir de flou, et l’associant à des prises de position, des exigences de la jeunesse, des lecteurs plus jeunes. Il détaille la pertinence de ces exigences, leur légitimité, le besoin de les prendre en compte, ce qui ne signifie pas les accepter les yeux fermés. Il voit les critiques Woke (retenant cette appellation faute d’un terme plus approprié) comme une incitation à ne pas se montrer fainéants.
Après l’horreur du massacre de Charlie Hebdo du sept janvier 2015, après le mouvement de solidarité d’une ampleur formidable Je suis Charlie, un auteur de dessin de presse constate et analyse les évolutions survenues. Il présente un essai sous forme de bande dessinée en faisant usage de toute la diversité graphique d’expression de ce médium. Il expose la situation du dessin de presse comme pris dans un étau, entre les néo-réacs et les Wokes (faute d’un meilleur terme), avec des conditions d’emploi toujours aussi précaires. Une profession fragile et complexe, pour un humour évoluant avec la société.
volume 1
Très belle découverte avec cet auteur que je ne connaissais pas du tout.
Avec cette histoire d'échangisme, Andrew Tarusov nous offre un scénario solide basé sur un superbe dessin. En effet, les dessins de Tarusov sont tout simplement lumineux, à l'image de la couverture.
Certes, l'auteur nous présente des scènes de sexe explicites sur un temps très court, celui d'une rencontre à la plage.
J'ai littéralement été séduit par le style de Tarusov, qui illustre des corps parfaits de pin-up, des visages souriants, respirant la joie de vivre, bref l'auteur met en scène une partie de jambe en l'air joyeuse entre 4 adultes consentants. Un véritable hymne à l'amour libre sous le soleil.
Une bande dessinée pour adulte rafraichissante qui mérite de s'y attarder.
Une suite serait bienvenue, bien que l'histoire pourrait se conclure ici, mais le "à suivre" laisse présager de bonnes nouvelles.
Un auteur à suivre, un dessin de très bonne qualité...bref, je recommande ce bouquin des éditions "dynamite".
volume 2: Pleasure Land
C'est avec surprise que je suis tombé sur le deuxième tome de cette série érotique chez mon libraire.
J'avais adoré le premier volume qui respirait la liberté, le soleil et la bonne humeur.
Nous retrouvons Grant et Betty, notre jeune couple toujours en quête de plus de sensations sexuelles .
Là où leur première aventure se cantonnait à un décor unique, la plage, nous voyons nos deux héros s'ébattre en bonne et belle compagnie dans un véritable baisodrome avec sauna, piscine, chambre d'hôtel,boite échangiste. Certes Grant, ici, se montre moins entreprenant que dans le premier volume mais c'est un plaisir de découvrir Betty , sa compagne, dans des situations et positions très équivoques.
Car ce qui fait la force de cet album c'est le dessin lumineux d'Andrew Tarusov, qui respire la joie, la bonne humeur.
Les scènes de sexe sont toujours consentantes et les femmes y sont magnifiquement représentées.
Un ouvrage de porno chic, sur un scénario assez simple mais de très bonne qualité.
Andrew Tarusov confirme avec ce deuxième volume tout le bien que je pensais avec le tome 1.
Cerise sur le gâteau, un tome 3 est annoncé.
Un nouvel auteur est né dans le monde de la bande dessinée pour adulte, en renouvelant le genre avec prenant le parti du plaisir et de la joie de vivre.
Je recommande aux amateurs.
Léonarde, fille du chef des armées du roi, rêve depuis longtemps que les humains, les leus et les goupils puissent enfin vivre en paix.
Les trois peuples se disputent le territoire depuis longtemps, semblent incapables de s'entendre et risquent à tout moment de réveiller le Houéran, l'entité protectrice de la forêt empêchant jusque là les conflits de prendre une tournure trop violente par peur d'une annihilation absolue et totale des trois partis aux mains dudit Houéran. Léonarde, désireuse de continuer le projet de sa mère d'un jour obtenir la paix entre les trois peuples, décide de voler un parchemin au prince qui lui permettrait, elle l'espère, de pouvoir communiquer avec les bêtes. Problème, plutôt que de lui permettre de parler aux bêtes le rituel lié au parchemin l'a directement mise dans la peau d'une bête, plus précisément dans la peau d'une goupile. Pensant d'abord avoir trouver un moyen parfait pour ouvrir des discussion entre les trois peuples, Léonarde va malheureusement constater par elle-même ce que la peur des autres inspire chez chacune des espèces, à commencer par ses anciens camarades les humains.
Un récit sur la peur et la haine des autres, sur les barrières du langage, une tension de guerre imminente, un cadre médiéval fantastique teinté de légendes bien franchouillardes, un dessin vif, simple et expressif, … Il n'y a pas à dire, ce ne sont pas les qualités qui manquent dans cette œuvre !
C'est typiquement le genre d'histoire que j'adorais dans ma jeunesse et mon enfance, mêlant aventure, situation socio-politique un minimum complexe et un propos sur l'humanité et la paix. Je dis que j'adorais ça avant mais j'apprécie toujours énormément ces récits, je veux dire par là que je suis persuadée que si j'avais eu cette BD entre les mains plus tôt j'aurais facilement pu en garder un souvenir impérissable pour de nombreuses décennies.
Je suis sans doute hyperbolique dans mon appréciation, mais ce genre de récit simple mais plus complexe qu'en apparence, mêlant action vive et propos réfléchis et surtout maîtrisant une forme fluide et un rythme entraînant, ce sont toujours des histoires qui me plaisent énormément. Je suis une grande-enfant et je n'ai pas honte de le dire !
Un très bon récit pouvant plaire à tout âge je pense !
PS : le petit 1 sur la tranche me laisse penser qu'il y aura peut-être une suite, si c'est bien le cas je l'attend avec impatience (surtout si elle se montre de la même qualité que cet album-ci).
Comment redessine-t-il le corps de la femme dans cette nouvelle collection ?
-
Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, s’attachant au Smoking et aux contextes de sa création. Son édition originale date de 2024 Il a été réalisé par Loo Hui Phang pour le scénario, et par Benjamin Bachelier pour les dessins et les couleurs. Il comprend environ cent-quarante pages de bande dessinée. Il se termine avec huit pages présentant de manière synthétique trente-quatre personnalités historiques croisées au cours de l’ouvrage, d’Anne-Marie Muñoz (1933-2020) à Marcel Proust (1871-1922), puis par une chronologie reprenant vingt-deux dates de la vie de Saint Laurent, et quatorze dates d’événements choisis dans l’évolution de la condition sociale de la femme en France.
Prologue en mouvement. En 1966, à sa table de travail, Yves Saint Laurent est en train de réaliser le croquis d’une nouvelle création. Anne-Marie, une assistante entre dans la pièce et lui indique que les premiers et les premières d’atelier attendent ses croquis. Il lui remet son dernier croquis, elle commente : un nouveau défi pour l’atelier. Il explique : un Smoking, comme celui des hommes, mais adapté à la femme. Le vestiaire masculin est une pyramide et le smoking en est le sommet. Elle répond qu’il fait un vrai hold-up : ce sera une révolution. Il corrige : non, juste une évolution. – Avancer. New York en 1967, Betty Catroux retrouve Yves Saint Laurent au pied d‘un immeuble. Il lui demande ce qu’elle a fait à ses cheveux. Il trouve que c’est sauvage, c’est chic. Quand elle lui dit qu’elle ne les a pas lavés depuis cinq jours, il s’exclame : Quelle horreur ! Et il lui demande d’aller les laver, ce qu’elle refuse. Il continue ses observations : parfum d’homme et cigarette, il ne lui demande pas ce qu’elle a fait cette nuit. Elle répond qu’elle a passé la nuit dans un bouge et qu’elle ne s’est pas changée.
Yves Saint Laurent constate que Betty Catroux porte un Smoking de la dernière collection, et rien en dessous, et les mains dans les poches en petite allumeuse. Il conclut qu’elle est son héroïne. Le grand couturier se lance dans un développement sur le pouvoir diabolique des poches. Il lui indique deux femmes devant qui demandent une table pour déjeuner dans un grand restaurant. La première sans poches se présente devant l’hôte d’accueil du Hilton qui lui demande si elle a réservé : Saint Laurent estime qu’elle a l’air d’une idiote et en effet elle n'obtient pas l’accès. La seconde se présente les mains dans les poches affichant une grande confidence et le majordome la prie de le suivre à l’intérieur. Le grand couturier explique : Les vêtements induisent des gestes, et ces gestes sont des signes. Il poursuit : en l’occurrence, les mains dans les poches sont l’attitude du dominant, celui-ci a le pouvoir en toute décontraction. À leur tour, ils s’approchent de l’entrée, et la femme sans poche reconnaît le créateur. Le maître d’hôtel répond qu’il ne peut pas les laisser entrer. Alors que Saint Laurent fait observer que le restaurant n’a pas l’air bondé, l’hôte explique que les femmes en pantalon ne sont pas admises dans l’établissement.
Le titre indique explicitement le sujet de l’ouvrage : en quoi le Smoking féminin créé par Yves Saint Laurent a constitué une révolution. Dans un premier temps, l’ouvrage peut apparaître déconcertant. Yves Saint Laurent (1936-2008) a remis le croquis fatidique : celui du premier Smoking pour femme, avec un S majuscule pour désigner cette variation sur un vêtement masculin. Puis, le lecteur le suit accompagné par le mannequin français Betty Catroux (1945-) qui fut également sa muse. Pour une question d’accès à un grand restaurant newyorkais, puis un autre, ils rencontrent différentes personnalités historiques, et ils évoquent leur parcours personnel, ainsi que des faits historiques comme la création du modèle initial du smoking (pour homme, sans majuscule). La narration visuelle présente elle aussi des particularités marquées. Elle commence avec des dessins réalisés au crayon sur une feuille de papier blanc cassé de jaune, dont l’artiste semble avoir découpé les contours pour les coller ensuite sur la page blanche, comme s’il avait lui-même réalisé des croquis, une mise en abîme de ceux réalisés par le grand couturier. Pour la première page du chapitre Avancer : une illustration en pleine page mêlant décors à la peinture, et Betty encrée en noir & blanc sur un trottoir blanc immaculé. Le reste de la bande dessinée va ainsi mêler ces trois modes graphiques : croquis sur papier jaune, noir & blanc, couleur directe.
Autre caractéristique très forte du récit : l’intervention de personnages historiques. Saint Laurent fait rapidement mention de Coco Chanel (1883-1971, Gabrielle Chasnel), puis il évoque Pélagie d’Antioche (Ve siècle), et il rentre dans le détail : Marguerite était une comédienne belle et frivole, elle voulait faire pénitence en se retirant dans un couvent de moines basiliens, sous le nom de frère Pélage. Elle voua son existence à Dieu, recluse dans une petite cellule. Son dévouement forgea son extraordinaire réputation. À sa mort, les moines et le clergé découvrirent que frère Pélage était une femme. Remplis d’admiration, ils rendirent grâce à Dieu. Cette femme est donc citée pour avoir porté le pantalon. Puis Betty & Yves rencontrent Julien Joseph Virex (1775-1846, naturaliste et anthropologue) : celui-ci affirme que le pantalon est l’attribut de l’homme et que Betty n’a pas le droit de l’usurper, jugement qu’il fonde sur ses études qui établissent que la nature a conçu l’homme pour penser, la femme pour enfanter. Mais voilà qu’intervient Madeleine Pelletier (1874-1939) habillée en costume masculin, première femme médecin diplômée en psychiatrie en France, accompagnée de Rrose Sélavy (c’est-à-dire Marcel Duchamp, 1887-1968, travesti en femme) et Candy Darling (1944-1974, née James Lawrence Slaterry) qui attestent qu’il existe des exemples de porosité entre les deux genres. Apparaissent ainsi une trentaine de personnes certaines connues comme Andy Warhol (1928-1987), Alexandra David-Néel (1868-1969, exploratrice, première femme occidentale à atteindre Lhassa), Yoko Ono (1933-, artiste), George Sand (1804-1876, écrivaine), jusqu’à Michel Butor (1926-2016, écrivain), Simone de Beauvoir (1908-1986, philosophe et féministe), Marcel Proust (1871-1922) et bien d’autres. Ainsi que certains moins connus du grand public comme Sophie Foucauld (années 19830, typote, surnommée la femme-culotte), Marie Marvingt (1875-1963, cycliste, soldat, infirmière de l’air) ou encore le grand couturier Paul Poiret (1879-1944).
Et d’ailleurs, le principe de couper puis de coller des dessins sur la page rappelle la manière de faire de Philippe Dupuis qui a consacré une bande dessinée à Paul Poiret : Peindre ou ne pas peindre (2019). Quoi qu’il en soit, celle-ci commence avec des dessins sans bordures, pour le prologue, puis avec une illustration en pleine page pour l’ouverture du premier chapitre, avec ensuite des cases alignées en bande, sans gouttière pour les séparer dans une même bande. Parfois un personnage ou un objet (comme une cravate découpée) peut dépasser de la bordure d’une case, sur la bande inférieure. À d’autres moments, l’artiste peut revenir à des images sans bordure, juxtaposées, ou comme en insert les unes à côté des autres. Une juxtaposition d’images par exemple pour les différents stades d’évolution des braies au pantalon des sans-culotte. Il continue de d’entremêler des passages en noir & blanc, avec des passages en couleurs, parfois au sein d’une même case. Lorsqu’il s’agit d’évoquer le noir du Smoking, le grand renoncement à la couleur, les fonds de page deviennent noirs. Puis les dessins se font plus conceptuels, se rapprochant de l’abstraction. Le lecteur a tôt fait de s’adapter à cette apparence sortant de l’ordinaire, pour apprécier la liberté qu’elle apporte, ainsi que son élégance, et sa capacité à aborder des thèmes et des idées très variées, autour du port du pantalon et du geste politique que constitue la conception de tenues pour les femmes.
De la même manière, la construction de la balade de Betty & Yves marie élégamment une approche chronologique sur le port du pantalon à travers différentes civilisations, des éléments techniques sur la haute couture et des informations personnelles sur ces deux personnages. Sans être de nature biographique, le récit évoque les origines de Betty et celles d’Yves ainsi que leur parcours professionnel, sans s’appesantir sur leur vie affective et amoureuse ou sur les polémiques de leur vie (par exemple les sources d’inspiration de La vilaine Lulu, 1967). Le lecteur découvre également le rôle des premiers d’atelier, avec Jean-Pierre Derbord et Alain Marchais premiers d’atelier pour Yves Saint Laurent, l’origine du smoking pour homme grâce aux goûts d’Édouard VII (1841-1910), l’importance des tenues militaires dans la création de Saint Laurent (le caban, la saharienne, le trench) le symbolisme du noir dans les vêtements, etc. Tout du long, la question du port du pantalon occupe également une place importante : en particulier la franche opposition des hommes à ce que les femmes puissent en porter, dans la société occidentale, avec de nombreuses références culturelles et historiques mettant en évidence que cette transgression relève d’une construction artificielle, qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Même si Yves Saint Laurent répond à Betty qu’il s’agit d’une évolution, le lecteur comprend en quoi le Smoking féminin a constitué une révolution, comme l’annonce le titre.
En effet, le Smoking (le modèle féminin créé par Yves Saint Laurent) est bien au centre de cet ouvrage qui le contextualise dans l’époque où il a vu le jour, aussi bien socialement que culturellement. Scénario et narration visuelle sont en phase : faisant usage d’une liberté de créer, de jouer sur les formes, aussi bien celle de la balade du couturier et de son modèle à New York qu’esthétiques entre couleurs et noir & blanc, représentations figuratives et croquis, pour mettre en scène une phase significative de la modernité, provoquée par cette création haute couture. Plus que la mode, une libération.
Ouh, voilà un album avec une base classique mais une exécution efficace !
J'ai décidé de lire cet album sur un coup de tête, la couverture m'avait attiré l'œil et les quelques pages mises à disposition sur le site m'avaient donné envie de lire l'histoire.
C'est un genre de récit qui marche beaucoup sur moi, mêlant réflexions profondes sur la vie et l'humain et une forme fantasque. Ici, il est question de mort, de suicide, d'erreurs, de choix, de l'importance de chaque actions et décisions que l'on prend.
Catalina est seule, Catalina est amoureuse d'un homme qui la trompe avec sa propre colocataire, Catalina ne sait plus quoi faire, Catalina se tranche les veines sur un coup de tête. Sauf qu'au lieu de mourir, Catalina reçoit la visite d'une étrange jeune femme du nom de Karmen, dont le nom va très rapidement nous faire comprendre le rôle qu'elle va jouer dans cette histoire : celui du juge karmique.
L'histoire est efficace, en tout cas c'est le genre d'histoire qui me parle énormément. J'aime les récits où les fonctionnements naturels de l'univers sont régis par des êtres parfaitement humains (en tout cas humanoïdes), influençant personnellement le fonctionnement des choses. J'aime aussi les récits où un élément fantastique vient chambouler le quotidien, où une vie tout ce qu'il y a de plus banale change du jour au lendemain à cause d'un évènement paranormal, où la vie quotidienne d'antan prend toute sa saveur face aux conséquences du fantastique. J'aime enfin le sujet de la mort, son inéluctabilité, ses symboliques, la valeur qu'elle donne à la vie par contraste, et aussi ses conséquences pour les vivant-e-s. Comme beaucoup, malheureusement, je suis familière avec le sujet du suicide, l'isolement, le poids de l'idée, le risque parfois de passer à l'acte sur un coup de tête. Peut-être est-ce pour cela, d'ailleurs, que l'album m'a autant touché. En tout cas, j'ai pleuré à chaudes larmes.
Je ne peux que conseiller cet album, cela a été une excellente surprise pour moi.
(Et je vais de ce pas rappeler les personnes que j'aime).
C'est une histoire somme toute classique d'amour, de secrets, de tromperies, de passés troubles et de rebondissements abracadabrantesques.
Sandrine tombe un beau jour éperdument amoureuse du beau Michel, le musicien engagé au visage angélique arrondissant ses fins de mois en livrant des macédoines. Mais Sandrine est mariée à Henry, un brillant homme d'affaire avec qui elle vivait jusque là le parfait amour (en tout cas, la vie était une suite de surprises sans cesse renouvelées).
Leur idylle parviendra-t-elle à embarquer vers les horizons majestueux de l'amour véritable, ou bien les vents de la destiné feront-ils couler leur relation avant-même de quitter port ? Mari, amant, ancien amant, ancien amant bis, ami jaloux (mais ça n'a rien a voir avec le fait qu'il n'a jamais connu son père), devront tous se montrer rusés afin de pouvoir parvenir à leur fins.
Ici, comme souvent avec Fabcaro, c'est un délire absurde jouant sur le contraste d'une forme pseudo-sérieuse et d'un fond profondément débile. C'est une histoire d'amour façon telenovela, jouant sur les codes-même du genre, notamment en parodiant des moments clés de ce genre d'intrigues comme les scènes d'expositions bateaux, les passés troubles, les métaphores verbeuses et les révélations miraculeuses de fin d'histoire.
Tout cet amoncellement de blagues de connivences, de personnages archétypaux profondément idiots et d'envolées lyriques qui feraient pâlir une certaine grande reporter (et future femme de médecin), ça me fait personnellement rire aux éclats à chaque relecture.
Vraiment, même si je reconnais à Zaï Zaï Zaï Zaï d'être la plus aboutie des créations de Fabcaro, c'est bien cet album qui m'apparaît comme son meilleur, et de loin. Sans doute suis-je plus sensible à l'humour parodique et con typique des pastiches de telenovela.
Bon, l'album a reçu tant de louanges, je ne saurais pas vraiment quoi ajouter.
C'est sans doute l'album le plus abouti de son auteur, celui où il a perfectionné son humour, sa forme narrative, où il s'est même essayé à un nouveau style graphique qu'il réutilisera beaucoup par la suite.
C'est l'histoire d'un type lambda (l'auteur lui-même, comme toujours) qui oublie sa carte de fidélité à la caisse et va donc décider de fuir. De cet évènement tout ce qu'il y a de plus banal va se lancer une intrigue rocambolesque, parodiant road movie et thriller, jouant sur une forme sérieuse et un fond absurde, et mêlant humour con et critique social (notamment envers les médias qui enveniment les situations en brassant du vent, les artistes bourgeois profitant des drames sociaux pour faire parler d'elleux, ou encore les débats publiques qui se contentent plus souvent d'enchaîner les mots clés plutôt que de vraiment apporter des propos réfléchis).
Comme dit plus haut, Fabcaro perfectionne ici ses rengaines habituelles : le regard que les autres portent sur sa profession de bédéiste, ses angoisses, ses craintes sur le monde qui l'entoure, sa vision pessimiste mais comique des comportements humains traités sous l'angle de l'absurde, des dialogues volontairement ampoulés, ...
S'il faut faire découvrir l'auteur à quelqu'un, c'est sans doute l'album a conseillé (avec l'un de ces romans et l'une de ses premières BD d'anecdotes absurdes comme Le Steak Haché de Damoclès pour également voir ses autres types de créations).
C'est con, c'est drôle, ça parvient à être plus qu'un simple délire absurde, ça a reçu un succès mérité, …
Vraiment, que dire qui n'a pas déjà été dit ?
Depuis quelques années, J'ai pour habitude d'acheter la version noir et blanc, et la version couleur à chaque sortie d'un album signé Nury et Brüno. Avec cet album, je n'ai pas dérogé à cette habitude, aussi j'ai été surpris de découvrir une version n&b d'une grande qualité éditoriale : un grand format avec dos toilé. Le dessin de Brüno y prend toute son importance car, il faut le dire, son style inimitable et simple à la fois fait beaucoup dans le succès de ses albums signés avec Fabien Nury.
Pourtant à la lecture de cet album, dans les deux versions, je dois dire que ma préférence va, pour une fois, vers la version courante, les couleurs de Laurence Croix, apportant au récit une touche des années 40 qui n'est pas pour me déplaire.
Le duo d'auteurs n'ayant pas signé un one shot ici, cet album se présente comme une longue introduction qui oscille entre récit de Charles Burns et le réel avec l'histoire romancée de Ronald Hubbard, créateur de la scientologie.
Car, je crois que cette histoire, dont nous ne connaissons pas encore le nombre de volumes qui la composera, s'achemine sans nul doute vers cette "découverte révolutionnaire" dont il est fait mention sur le quatrième de couverture.
Mais cet album ne se limite pas à cela, l'auteur distille sa vision du monde éditorial de l'Amérique des années 40, dominé par le polar et la science fiction, comme le prouvent les couvertures des revues présentes dans le dossier en fin d'album.
Même si le lecteur peut sembler rester sur sa faim, j'ai beaucoup aimé ce premier album, et j'ai hâte de découvrir la suite.
J'ai une relation particulière avec le premier roman de William Golding. Comme certains ici et comme l'autrice, je l'ai découvert en cours d'anglais, vers l'âge de 13 à 15 ans. Ce fut immédiatement un choc. Dans un récit d'une puissance, d'une fulgurance que j'ai rarement rencontrées depuis, l'auteur britannique a su saisir la substantifique moëlle de deux aspects de l'Homme : le délicat passage de l'enfance à l'adolescence, avec une autonomie renforcée mais parfois chaotique, et d'autre part la frontière fragile entre la civilisation et la barbarie. Un roman court, tétanisant, que j'ai dévoré à l'époque en VO, et relu dans la langue d'origine et en français depuis.
Une histoire qui m'a hanté pendant une trentaine d'années, au point de vouloir moi-même l'adapter en bande dessinée. Mais les éventuels problèmes liés aux droits d'auteur (Golding étant mort en 1993) et peut-être une immaturité dans le projet l'ont bien vite fait capoter; Je referme là la parenthèse personnelle pour revenir à l'album d'Aimée de Jongh.
Lorsque j'ai vu la sortie de cet album, j'ai eu un petit pincement au cœur, et n'ai pas hésité longtemps avant de l'acquérir (après l'avoir bien sûr feuilleté pour m'assurer qu'au moins mes yeux se régaleraient). J'ai mis un peu plus de temps avant de le lire, souhaitant bien sûr m'entourer des meilleurs conditions pour lire cet album que, quelque part, j'attendais impatiemment. Et le résultat ne m'a déçu. Sur le plan graphique tout d'abord. Il fallait un(e) artiste au style à la fois anguleux et au trait bien affirmé pour adapter cette histoire, qui s'adresse autant aux jeunes ados qu'aux adultes. Aimée de Jongh requiert en effet ces qualités, avec une mise en couleurs qui insiste sur les verts et les nuances de feu, des nuances qui ont toute leur importance dans le récit. J'ai beaucoup aimé également son traitement des moments-clés, tels l'acharnement des enfants sur Simon, la chute de Piggy, ou encore la découverte de la conque et les premiers échanges entre les enfants. J'ai beaucoup aimé ses choix de cadrages, sur les visages ou sur d'autres parties du corps, que ce soit pendant les scènes d'action ou plus contemplatives. Pour moi on n'est pas loin de l'adaptation que j'aurais aimé voir.
Je recommande donc cette lecture à toute personne de plus de 12 ans si elle ne connaît pas le roman, car c'est pour moi, tout simplement, une excellente adaptation d'un roman majeur du XXème siècle.
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
Indépendante depuis sa création en 1998, Cultura se donne pour mission de faire vivre et aimer la culture.
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
Charlie quand ça leur chante
Les dessins ont toujours déplu à plein de monde. Et c’est bien la moindre des choses. - Ce tome contient un exposé complet indépendant de toute autre. Son édition originale date de 2025. Il a été réalisé par Aurel (Aurélien Forment) pour le scénario, les dessins, les couleurs. Il comprend trente-deux pages de bande dessinée. L’auteur a réalisé des dessins de presse pour Le Monde et l'hebdomadaire Politis, Le Canard enchaîné, et par le passé pour Marianne (1) Un dessin réussi (comme une blague) est la combinaison de trois éléments fondamentaux : une émettrice – un émetteur (qui dessine), un récepteur – une réceptrice (qui lit) et un contexte. Si les trois éléments ne sont pas clairement identifiés et ne partagent pas les mêmes codes culturels, ça ne peut pas marcher. (2) L’humour est hautement culturel : un bon dessin français peut laisser de marbre un-e Allemand-e et vice-versa. Une blague populaire en Belgique peut choquer une Italienne. Sans parler du flop d’un gag breton à Marseille. (3) En France, les seules limites posées à la liberté d’expression sont celles de la loi. (4) Dans ce livre, la question de l’extrême droite et des extrémistes religieux n'est pas évoquée, car pour elle et eux, le dessin de presse est au mieux un effet secondaire indésirable de la vie politique, au pire, une hérésie à réprimer – voire buter. La discussion est vite close. - Dix ans après la déflagration qu’a représentée l‘attentat contre Charlie Hebdo et l’assassinat des dessinateurs parmi les meilleurs de la profession (déjà peu peuplée – quelques dizaines d’individus), le dessin de presse continue de tenter de survivre à une maladie qu’il avait contracté bien avant 2015. Au-delà de l’horreur de l’attentat, l’ignominie des frères Kouachi a été un facteur aggravant ; accélérant la sénescence d’un métier. Le dessin de presse – mais en fait l’humour d’actualité au sens large – se meurt. Le funambule constitue une bonne métaphore graphique de cette situation, dans les dessins de presse. C’est très pratique pour figurer la fragilité d’une position, la précarité d’un équilibre politique ou une inexorable chute qui pourtant tarde à venir… Et on peut adjoindre à l’allégorie en péril, tout un tas d’attributs exprimant ses contraintes. Dans une mise en abyme, on pourrait représenter le dessinateur de presse en funambule. Première des multiples affections dont souffre le dessin de presse : son principal support – la presse écrite – va mal, les ventes s’effondrent. Et lorsqu’ils prennent plus ou moins bien le virage du numérique, les journaux oublient bien souvent d’embarquer le dessin sur le web. Il suffirait de pas grand-chose et surtout d’un tout petit peu de bonne volonté pour le faire bouger, évoluer et le faire profiter des avantages qu’offre le numérique. Mais à quelques exceptions près, comme Charlie Hebdo ou Le Canard enchaîné, les journaux se sont bien accommodés d’oublier l’encombrant dessin au passage sur le web. Car oui, nous sommes encombrant-e-s ! En effet – seconde affection – un dessin d’actualité doit être percutant, irrévérencieux, sale gosse. Le sept janvier 2015, les frères Chérif et Saïd Kouachi perpètrent un attentat islamiste contre le journal satirique Charlie Hebdo faisant douze morts : Frédéric Boisseau, Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, Elsa Cayat, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Franck Brinsolaro, puis Ahmed Merabet à l’extérieur. Dans cet ouvrage, l’auteur indique quelle était sa relation avec le magazine Charlie Hebdo. Quelques semaines après l’attentat, un copain s’étonne de le voir arborer un badge Je suis Charlie, car il connaît ses différends politiques avec le journal. Aurel explicite : Primo, ça n’entre pas en compte pour lui à ce moment-là. Et secundo, il explique à son ami ce que signifie pour lui être Charlie : Pouvoir être libre de dire et de dessiner ce qu’on veut dans la limite de la loi. Il ajoute : Et dans les limites de la loi ou pas, un désaccord ne peut en aucun cas se résoudre par un assassinat. Une prise de position qui lui paraît simple et limpide, il ne sait pas s‘il a convaincu son interlocuteur mais i est assez content d’avoir pu le formuler simplement. Dix ans après l’attentat de Charlie Hebdo, Aurel a besoin de faire le point sur la situation, à la fois de l’héritage de ces crimes abjects, à la fois sur le fait que par la malédiction des Kouachi, Charlie s’est transformé en martyr de la liberté d’expression. Cela a eu pour conséquence qu’un petit groupe s’en est emparé pour de plus ou moins bonnes raisons, parfois (souvent) par simple calcul personnel ou politique, et a touché le gros lot. Le lecteur comprend dès la première page qu’il s’agit d’un essai, ce qui induit un mode narratif particulier, avec ses propres spécificités. L’auteur a choisi de mettre en scène un avatar de lui-même pour s’adresser directement au lecteur, avec un dessin descriptif et simplifié, sans pour autant s’embellir. Il apparaît comme un homme normal, avec les cheveux en bataille, une barbe hirsute un sweatshirt informe et un pantalon passe-partout. Il met à profit la possibilité d’accentuer et même d’exagérer les expressions de visage pour faire ressentir son état d’esprit en fonction des situations ; énervement, sidération, abattement, peur, indignation, inquiétude, lassitude, réflexion, entrain, etc. Il utilise des conventions graphiques telles que les étoiles au-dessus de la tête pour l’étourdissement après une chute, le nuage noir au-dessus de la tête pour la colère, etc. Il met en œuvre quelques métaphores visuelles comme son avatar en train de faire le funambule. Il joue sur l’encrage, ajoutant des traits secs pour faire ressentir le degré d’intensité d’une émotion. Lorsqu’il apprend la mort des dessinateurs de Charlie Hebdo, il se liquéfie, et le lecteur peut voir que les traits de contour de son personnage perdent toute leur tension, succombant à la gravité, comme s’il se liquéfiait littéralement. Un essai induit que le rôle de la bande dessinée induit que la narration visuelle est inféodée au texte, à sa construction et ses développements, qu’elle l’illustre plus qu’elle ne le raconte. Le choix de l’avatar de l’auteur, lui, induit également de le voir s’adresser au lecteur, étant régulièrement assis à sa table de travail, ou en train de dessiner. Pour autant, l’auteur va au-delà de l’alignement de cases en bande, avec uniquement des têtes en train de parler, ou de lui-même en plan poitrine en train de parler. Il fait usage de métaphores et de mises en situation diversifiées. Le lecteur croise d’autres personnages et se retrouve dans des environnements inattendus. Dans la première catégorie, il voit un patron de presse, un copain de l’auteur, des bras avec une chaussette au bout pour un théâtre de Guignol, le temps d’une case les six dessinateurs assassinés (Cabu, Choron, Cavanna, Reiser, Gébé, Wolinski), Nicolas Sarkozy, PhilippeVal (ex-rédacteur en chef de Charlie Hebdo, ex-directeur de France Inter, chroniqueur sur Europe 1)… et même des jeunes. Au cours de sa lecture, assiste à des événements aussi inattendus et divers qu’une chute à la verticale sur la hauteur de la page, une liquéfaction, l’intervention d’une citrouille grimée en tête de clown, une chute en chaîne de dominos, le passage de Charlie Brown (pour indiquer d’où vient le titre du magazine satirique), un bouclage du magazine à la grande époque historique (avec des prostituées), et les deux mâchoires de l’étau qui se resserre. Au cours de son essai, l’auteur développe les répercussions de l’attentat contre Charlie Hebdo sous différents points de vue. Il commence par donner sa définition du dessin de presse réussi, puis il évoque l’état de la profession, c’est-à-dire la frilosité des patrons de presse d’inclure ce type de rubrique dans leur périodique. Il effectue plusieurs constats auxquels le lecteur attribue une valeur certaine, ne serait-ce que parce qu’Aurel est lui-même un professionnel de ce métier. En fonction de sa familiarité avec ce domaine, il en apprend plus ou moins, ou il trouve la confirmation de ce qu’il a déjà pu lire ailleurs : la précarisation du métier par la diminution des journaux accueillant les dessins de presse, la mise en concurrence systématique et l’absence de contrat stable avec un journal, le questionnement de chaque production par les éditeurs avant toute publication. Il s’agit de réalités économiques et de conditions d’emploi que le lecteur connaît peut-être déjà, ayant été attiré par cette bande dessinée au propos ciblé. Cet essai va plus loin qu’un constat économique peu encourageant. L’auteur analyse également les forces systémiques en place s’appliquant sur la forme d’humour. Il développe la nature de ces deux mâchoires. D’un côté les néo-réacs : il explicite ce que recouvre ce terme dans le contexte du dessin de presse, comment ce groupe d’opinion s’est imposé après que Charlie Hebdo ait été érigé en martyr, comment il contraint les dessinateurs, et quelles sont ses limites, en particulier les limites de sa pertinence et de sa légitimité dans la définition de ce que serait le bon humour. De l’autre côté : la société évolue, et l’humour doit évoluer avec. Il évoque l’esprit Woke, avec ce que cette appellation peut avoir de flou, et l’associant à des prises de position, des exigences de la jeunesse, des lecteurs plus jeunes. Il détaille la pertinence de ces exigences, leur légitimité, le besoin de les prendre en compte, ce qui ne signifie pas les accepter les yeux fermés. Il voit les critiques Woke (retenant cette appellation faute d’un terme plus approprié) comme une incitation à ne pas se montrer fainéants. Après l’horreur du massacre de Charlie Hebdo du sept janvier 2015, après le mouvement de solidarité d’une ampleur formidable Je suis Charlie, un auteur de dessin de presse constate et analyse les évolutions survenues. Il présente un essai sous forme de bande dessinée en faisant usage de toute la diversité graphique d’expression de ce médium. Il expose la situation du dessin de presse comme pris dans un étau, entre les néo-réacs et les Wokes (faute d’un meilleur terme), avec des conditions d’emploi toujours aussi précaires. Une profession fragile et complexe, pour un humour évoluant avec la société.
Swinging Island
volume 1 Très belle découverte avec cet auteur que je ne connaissais pas du tout. Avec cette histoire d'échangisme, Andrew Tarusov nous offre un scénario solide basé sur un superbe dessin. En effet, les dessins de Tarusov sont tout simplement lumineux, à l'image de la couverture. Certes, l'auteur nous présente des scènes de sexe explicites sur un temps très court, celui d'une rencontre à la plage. J'ai littéralement été séduit par le style de Tarusov, qui illustre des corps parfaits de pin-up, des visages souriants, respirant la joie de vivre, bref l'auteur met en scène une partie de jambe en l'air joyeuse entre 4 adultes consentants. Un véritable hymne à l'amour libre sous le soleil. Une bande dessinée pour adulte rafraichissante qui mérite de s'y attarder. Une suite serait bienvenue, bien que l'histoire pourrait se conclure ici, mais le "à suivre" laisse présager de bonnes nouvelles. Un auteur à suivre, un dessin de très bonne qualité...bref, je recommande ce bouquin des éditions "dynamite". volume 2: Pleasure Land C'est avec surprise que je suis tombé sur le deuxième tome de cette série érotique chez mon libraire. J'avais adoré le premier volume qui respirait la liberté, le soleil et la bonne humeur. Nous retrouvons Grant et Betty, notre jeune couple toujours en quête de plus de sensations sexuelles . Là où leur première aventure se cantonnait à un décor unique, la plage, nous voyons nos deux héros s'ébattre en bonne et belle compagnie dans un véritable baisodrome avec sauna, piscine, chambre d'hôtel,boite échangiste. Certes Grant, ici, se montre moins entreprenant que dans le premier volume mais c'est un plaisir de découvrir Betty , sa compagne, dans des situations et positions très équivoques. Car ce qui fait la force de cet album c'est le dessin lumineux d'Andrew Tarusov, qui respire la joie, la bonne humeur. Les scènes de sexe sont toujours consentantes et les femmes y sont magnifiquement représentées. Un ouvrage de porno chic, sur un scénario assez simple mais de très bonne qualité. Andrew Tarusov confirme avec ce deuxième volume tout le bien que je pensais avec le tome 1. Cerise sur le gâteau, un tome 3 est annoncé. Un nouvel auteur est né dans le monde de la bande dessinée pour adulte, en renouvelant le genre avec prenant le parti du plaisir et de la joie de vivre. Je recommande aux amateurs.
Léonarde
Léonarde, fille du chef des armées du roi, rêve depuis longtemps que les humains, les leus et les goupils puissent enfin vivre en paix. Les trois peuples se disputent le territoire depuis longtemps, semblent incapables de s'entendre et risquent à tout moment de réveiller le Houéran, l'entité protectrice de la forêt empêchant jusque là les conflits de prendre une tournure trop violente par peur d'une annihilation absolue et totale des trois partis aux mains dudit Houéran. Léonarde, désireuse de continuer le projet de sa mère d'un jour obtenir la paix entre les trois peuples, décide de voler un parchemin au prince qui lui permettrait, elle l'espère, de pouvoir communiquer avec les bêtes. Problème, plutôt que de lui permettre de parler aux bêtes le rituel lié au parchemin l'a directement mise dans la peau d'une bête, plus précisément dans la peau d'une goupile. Pensant d'abord avoir trouver un moyen parfait pour ouvrir des discussion entre les trois peuples, Léonarde va malheureusement constater par elle-même ce que la peur des autres inspire chez chacune des espèces, à commencer par ses anciens camarades les humains. Un récit sur la peur et la haine des autres, sur les barrières du langage, une tension de guerre imminente, un cadre médiéval fantastique teinté de légendes bien franchouillardes, un dessin vif, simple et expressif, … Il n'y a pas à dire, ce ne sont pas les qualités qui manquent dans cette œuvre ! C'est typiquement le genre d'histoire que j'adorais dans ma jeunesse et mon enfance, mêlant aventure, situation socio-politique un minimum complexe et un propos sur l'humanité et la paix. Je dis que j'adorais ça avant mais j'apprécie toujours énormément ces récits, je veux dire par là que je suis persuadée que si j'avais eu cette BD entre les mains plus tôt j'aurais facilement pu en garder un souvenir impérissable pour de nombreuses décennies. Je suis sans doute hyperbolique dans mon appréciation, mais ce genre de récit simple mais plus complexe qu'en apparence, mêlant action vive et propos réfléchis et surtout maîtrisant une forme fluide et un rythme entraînant, ce sont toujours des histoires qui me plaisent énormément. Je suis une grande-enfant et je n'ai pas honte de le dire ! Un très bon récit pouvant plaire à tout âge je pense ! PS : le petit 1 sur la tranche me laisse penser qu'il y aura peut-être une suite, si c'est bien le cas je l'attend avec impatience (surtout si elle se montre de la même qualité que cet album-ci).
Dantès
Je ne pouvais pas attendre de lire le prochain tome, l'histoire était très intéressante et prenante. Une série vraiment géniale. À lire !
Smoking - La Révolution Yves Saint Laurent
Comment redessine-t-il le corps de la femme dans cette nouvelle collection ? - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, s’attachant au Smoking et aux contextes de sa création. Son édition originale date de 2024 Il a été réalisé par Loo Hui Phang pour le scénario, et par Benjamin Bachelier pour les dessins et les couleurs. Il comprend environ cent-quarante pages de bande dessinée. Il se termine avec huit pages présentant de manière synthétique trente-quatre personnalités historiques croisées au cours de l’ouvrage, d’Anne-Marie Muñoz (1933-2020) à Marcel Proust (1871-1922), puis par une chronologie reprenant vingt-deux dates de la vie de Saint Laurent, et quatorze dates d’événements choisis dans l’évolution de la condition sociale de la femme en France. Prologue en mouvement. En 1966, à sa table de travail, Yves Saint Laurent est en train de réaliser le croquis d’une nouvelle création. Anne-Marie, une assistante entre dans la pièce et lui indique que les premiers et les premières d’atelier attendent ses croquis. Il lui remet son dernier croquis, elle commente : un nouveau défi pour l’atelier. Il explique : un Smoking, comme celui des hommes, mais adapté à la femme. Le vestiaire masculin est une pyramide et le smoking en est le sommet. Elle répond qu’il fait un vrai hold-up : ce sera une révolution. Il corrige : non, juste une évolution. – Avancer. New York en 1967, Betty Catroux retrouve Yves Saint Laurent au pied d‘un immeuble. Il lui demande ce qu’elle a fait à ses cheveux. Il trouve que c’est sauvage, c’est chic. Quand elle lui dit qu’elle ne les a pas lavés depuis cinq jours, il s’exclame : Quelle horreur ! Et il lui demande d’aller les laver, ce qu’elle refuse. Il continue ses observations : parfum d’homme et cigarette, il ne lui demande pas ce qu’elle a fait cette nuit. Elle répond qu’elle a passé la nuit dans un bouge et qu’elle ne s’est pas changée. Yves Saint Laurent constate que Betty Catroux porte un Smoking de la dernière collection, et rien en dessous, et les mains dans les poches en petite allumeuse. Il conclut qu’elle est son héroïne. Le grand couturier se lance dans un développement sur le pouvoir diabolique des poches. Il lui indique deux femmes devant qui demandent une table pour déjeuner dans un grand restaurant. La première sans poches se présente devant l’hôte d’accueil du Hilton qui lui demande si elle a réservé : Saint Laurent estime qu’elle a l’air d’une idiote et en effet elle n'obtient pas l’accès. La seconde se présente les mains dans les poches affichant une grande confidence et le majordome la prie de le suivre à l’intérieur. Le grand couturier explique : Les vêtements induisent des gestes, et ces gestes sont des signes. Il poursuit : en l’occurrence, les mains dans les poches sont l’attitude du dominant, celui-ci a le pouvoir en toute décontraction. À leur tour, ils s’approchent de l’entrée, et la femme sans poche reconnaît le créateur. Le maître d’hôtel répond qu’il ne peut pas les laisser entrer. Alors que Saint Laurent fait observer que le restaurant n’a pas l’air bondé, l’hôte explique que les femmes en pantalon ne sont pas admises dans l’établissement. Le titre indique explicitement le sujet de l’ouvrage : en quoi le Smoking féminin créé par Yves Saint Laurent a constitué une révolution. Dans un premier temps, l’ouvrage peut apparaître déconcertant. Yves Saint Laurent (1936-2008) a remis le croquis fatidique : celui du premier Smoking pour femme, avec un S majuscule pour désigner cette variation sur un vêtement masculin. Puis, le lecteur le suit accompagné par le mannequin français Betty Catroux (1945-) qui fut également sa muse. Pour une question d’accès à un grand restaurant newyorkais, puis un autre, ils rencontrent différentes personnalités historiques, et ils évoquent leur parcours personnel, ainsi que des faits historiques comme la création du modèle initial du smoking (pour homme, sans majuscule). La narration visuelle présente elle aussi des particularités marquées. Elle commence avec des dessins réalisés au crayon sur une feuille de papier blanc cassé de jaune, dont l’artiste semble avoir découpé les contours pour les coller ensuite sur la page blanche, comme s’il avait lui-même réalisé des croquis, une mise en abîme de ceux réalisés par le grand couturier. Pour la première page du chapitre Avancer : une illustration en pleine page mêlant décors à la peinture, et Betty encrée en noir & blanc sur un trottoir blanc immaculé. Le reste de la bande dessinée va ainsi mêler ces trois modes graphiques : croquis sur papier jaune, noir & blanc, couleur directe. Autre caractéristique très forte du récit : l’intervention de personnages historiques. Saint Laurent fait rapidement mention de Coco Chanel (1883-1971, Gabrielle Chasnel), puis il évoque Pélagie d’Antioche (Ve siècle), et il rentre dans le détail : Marguerite était une comédienne belle et frivole, elle voulait faire pénitence en se retirant dans un couvent de moines basiliens, sous le nom de frère Pélage. Elle voua son existence à Dieu, recluse dans une petite cellule. Son dévouement forgea son extraordinaire réputation. À sa mort, les moines et le clergé découvrirent que frère Pélage était une femme. Remplis d’admiration, ils rendirent grâce à Dieu. Cette femme est donc citée pour avoir porté le pantalon. Puis Betty & Yves rencontrent Julien Joseph Virex (1775-1846, naturaliste et anthropologue) : celui-ci affirme que le pantalon est l’attribut de l’homme et que Betty n’a pas le droit de l’usurper, jugement qu’il fonde sur ses études qui établissent que la nature a conçu l’homme pour penser, la femme pour enfanter. Mais voilà qu’intervient Madeleine Pelletier (1874-1939) habillée en costume masculin, première femme médecin diplômée en psychiatrie en France, accompagnée de Rrose Sélavy (c’est-à-dire Marcel Duchamp, 1887-1968, travesti en femme) et Candy Darling (1944-1974, née James Lawrence Slaterry) qui attestent qu’il existe des exemples de porosité entre les deux genres. Apparaissent ainsi une trentaine de personnes certaines connues comme Andy Warhol (1928-1987), Alexandra David-Néel (1868-1969, exploratrice, première femme occidentale à atteindre Lhassa), Yoko Ono (1933-, artiste), George Sand (1804-1876, écrivaine), jusqu’à Michel Butor (1926-2016, écrivain), Simone de Beauvoir (1908-1986, philosophe et féministe), Marcel Proust (1871-1922) et bien d’autres. Ainsi que certains moins connus du grand public comme Sophie Foucauld (années 19830, typote, surnommée la femme-culotte), Marie Marvingt (1875-1963, cycliste, soldat, infirmière de l’air) ou encore le grand couturier Paul Poiret (1879-1944). Et d’ailleurs, le principe de couper puis de coller des dessins sur la page rappelle la manière de faire de Philippe Dupuis qui a consacré une bande dessinée à Paul Poiret : Peindre ou ne pas peindre (2019). Quoi qu’il en soit, celle-ci commence avec des dessins sans bordures, pour le prologue, puis avec une illustration en pleine page pour l’ouverture du premier chapitre, avec ensuite des cases alignées en bande, sans gouttière pour les séparer dans une même bande. Parfois un personnage ou un objet (comme une cravate découpée) peut dépasser de la bordure d’une case, sur la bande inférieure. À d’autres moments, l’artiste peut revenir à des images sans bordure, juxtaposées, ou comme en insert les unes à côté des autres. Une juxtaposition d’images par exemple pour les différents stades d’évolution des braies au pantalon des sans-culotte. Il continue de d’entremêler des passages en noir & blanc, avec des passages en couleurs, parfois au sein d’une même case. Lorsqu’il s’agit d’évoquer le noir du Smoking, le grand renoncement à la couleur, les fonds de page deviennent noirs. Puis les dessins se font plus conceptuels, se rapprochant de l’abstraction. Le lecteur a tôt fait de s’adapter à cette apparence sortant de l’ordinaire, pour apprécier la liberté qu’elle apporte, ainsi que son élégance, et sa capacité à aborder des thèmes et des idées très variées, autour du port du pantalon et du geste politique que constitue la conception de tenues pour les femmes. De la même manière, la construction de la balade de Betty & Yves marie élégamment une approche chronologique sur le port du pantalon à travers différentes civilisations, des éléments techniques sur la haute couture et des informations personnelles sur ces deux personnages. Sans être de nature biographique, le récit évoque les origines de Betty et celles d’Yves ainsi que leur parcours professionnel, sans s’appesantir sur leur vie affective et amoureuse ou sur les polémiques de leur vie (par exemple les sources d’inspiration de La vilaine Lulu, 1967). Le lecteur découvre également le rôle des premiers d’atelier, avec Jean-Pierre Derbord et Alain Marchais premiers d’atelier pour Yves Saint Laurent, l’origine du smoking pour homme grâce aux goûts d’Édouard VII (1841-1910), l’importance des tenues militaires dans la création de Saint Laurent (le caban, la saharienne, le trench) le symbolisme du noir dans les vêtements, etc. Tout du long, la question du port du pantalon occupe également une place importante : en particulier la franche opposition des hommes à ce que les femmes puissent en porter, dans la société occidentale, avec de nombreuses références culturelles et historiques mettant en évidence que cette transgression relève d’une construction artificielle, qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Même si Yves Saint Laurent répond à Betty qu’il s’agit d’une évolution, le lecteur comprend en quoi le Smoking féminin a constitué une révolution, comme l’annonce le titre. En effet, le Smoking (le modèle féminin créé par Yves Saint Laurent) est bien au centre de cet ouvrage qui le contextualise dans l’époque où il a vu le jour, aussi bien socialement que culturellement. Scénario et narration visuelle sont en phase : faisant usage d’une liberté de créer, de jouer sur les formes, aussi bien celle de la balade du couturier et de son modèle à New York qu’esthétiques entre couleurs et noir & blanc, représentations figuratives et croquis, pour mettre en scène une phase significative de la modernité, provoquée par cette création haute couture. Plus que la mode, une libération.
Karmen
Ouh, voilà un album avec une base classique mais une exécution efficace ! J'ai décidé de lire cet album sur un coup de tête, la couverture m'avait attiré l'œil et les quelques pages mises à disposition sur le site m'avaient donné envie de lire l'histoire. C'est un genre de récit qui marche beaucoup sur moi, mêlant réflexions profondes sur la vie et l'humain et une forme fantasque. Ici, il est question de mort, de suicide, d'erreurs, de choix, de l'importance de chaque actions et décisions que l'on prend. Catalina est seule, Catalina est amoureuse d'un homme qui la trompe avec sa propre colocataire, Catalina ne sait plus quoi faire, Catalina se tranche les veines sur un coup de tête. Sauf qu'au lieu de mourir, Catalina reçoit la visite d'une étrange jeune femme du nom de Karmen, dont le nom va très rapidement nous faire comprendre le rôle qu'elle va jouer dans cette histoire : celui du juge karmique. L'histoire est efficace, en tout cas c'est le genre d'histoire qui me parle énormément. J'aime les récits où les fonctionnements naturels de l'univers sont régis par des êtres parfaitement humains (en tout cas humanoïdes), influençant personnellement le fonctionnement des choses. J'aime aussi les récits où un élément fantastique vient chambouler le quotidien, où une vie tout ce qu'il y a de plus banale change du jour au lendemain à cause d'un évènement paranormal, où la vie quotidienne d'antan prend toute sa saveur face aux conséquences du fantastique. J'aime enfin le sujet de la mort, son inéluctabilité, ses symboliques, la valeur qu'elle donne à la vie par contraste, et aussi ses conséquences pour les vivant-e-s. Comme beaucoup, malheureusement, je suis familière avec le sujet du suicide, l'isolement, le poids de l'idée, le risque parfois de passer à l'acte sur un coup de tête. Peut-être est-ce pour cela, d'ailleurs, que l'album m'a autant touché. En tout cas, j'ai pleuré à chaudes larmes. Je ne peux que conseiller cet album, cela a été une excellente surprise pour moi. (Et je vais de ce pas rappeler les personnes que j'aime).
Et si l'amour c'était aimer ?
C'est une histoire somme toute classique d'amour, de secrets, de tromperies, de passés troubles et de rebondissements abracadabrantesques. Sandrine tombe un beau jour éperdument amoureuse du beau Michel, le musicien engagé au visage angélique arrondissant ses fins de mois en livrant des macédoines. Mais Sandrine est mariée à Henry, un brillant homme d'affaire avec qui elle vivait jusque là le parfait amour (en tout cas, la vie était une suite de surprises sans cesse renouvelées). Leur idylle parviendra-t-elle à embarquer vers les horizons majestueux de l'amour véritable, ou bien les vents de la destiné feront-ils couler leur relation avant-même de quitter port ? Mari, amant, ancien amant, ancien amant bis, ami jaloux (mais ça n'a rien a voir avec le fait qu'il n'a jamais connu son père), devront tous se montrer rusés afin de pouvoir parvenir à leur fins. Ici, comme souvent avec Fabcaro, c'est un délire absurde jouant sur le contraste d'une forme pseudo-sérieuse et d'un fond profondément débile. C'est une histoire d'amour façon telenovela, jouant sur les codes-même du genre, notamment en parodiant des moments clés de ce genre d'intrigues comme les scènes d'expositions bateaux, les passés troubles, les métaphores verbeuses et les révélations miraculeuses de fin d'histoire. Tout cet amoncellement de blagues de connivences, de personnages archétypaux profondément idiots et d'envolées lyriques qui feraient pâlir une certaine grande reporter (et future femme de médecin), ça me fait personnellement rire aux éclats à chaque relecture. Vraiment, même si je reconnais à Zaï Zaï Zaï Zaï d'être la plus aboutie des créations de Fabcaro, c'est bien cet album qui m'apparaît comme son meilleur, et de loin. Sans doute suis-je plus sensible à l'humour parodique et con typique des pastiches de telenovela.
Zaï Zaï Zaï Zaï
Bon, l'album a reçu tant de louanges, je ne saurais pas vraiment quoi ajouter. C'est sans doute l'album le plus abouti de son auteur, celui où il a perfectionné son humour, sa forme narrative, où il s'est même essayé à un nouveau style graphique qu'il réutilisera beaucoup par la suite. C'est l'histoire d'un type lambda (l'auteur lui-même, comme toujours) qui oublie sa carte de fidélité à la caisse et va donc décider de fuir. De cet évènement tout ce qu'il y a de plus banal va se lancer une intrigue rocambolesque, parodiant road movie et thriller, jouant sur une forme sérieuse et un fond absurde, et mêlant humour con et critique social (notamment envers les médias qui enveniment les situations en brassant du vent, les artistes bourgeois profitant des drames sociaux pour faire parler d'elleux, ou encore les débats publiques qui se contentent plus souvent d'enchaîner les mots clés plutôt que de vraiment apporter des propos réfléchis). Comme dit plus haut, Fabcaro perfectionne ici ses rengaines habituelles : le regard que les autres portent sur sa profession de bédéiste, ses angoisses, ses craintes sur le monde qui l'entoure, sa vision pessimiste mais comique des comportements humains traités sous l'angle de l'absurde, des dialogues volontairement ampoulés, ... S'il faut faire découvrir l'auteur à quelqu'un, c'est sans doute l'album a conseillé (avec l'un de ces romans et l'une de ses premières BD d'anecdotes absurdes comme Le Steak Haché de Damoclès pour également voir ses autres types de créations). C'est con, c'est drôle, ça parvient à être plus qu'un simple délire absurde, ça a reçu un succès mérité, … Vraiment, que dire qui n'a pas déjà été dit ?
Electric Miles
Depuis quelques années, J'ai pour habitude d'acheter la version noir et blanc, et la version couleur à chaque sortie d'un album signé Nury et Brüno. Avec cet album, je n'ai pas dérogé à cette habitude, aussi j'ai été surpris de découvrir une version n&b d'une grande qualité éditoriale : un grand format avec dos toilé. Le dessin de Brüno y prend toute son importance car, il faut le dire, son style inimitable et simple à la fois fait beaucoup dans le succès de ses albums signés avec Fabien Nury. Pourtant à la lecture de cet album, dans les deux versions, je dois dire que ma préférence va, pour une fois, vers la version courante, les couleurs de Laurence Croix, apportant au récit une touche des années 40 qui n'est pas pour me déplaire. Le duo d'auteurs n'ayant pas signé un one shot ici, cet album se présente comme une longue introduction qui oscille entre récit de Charles Burns et le réel avec l'histoire romancée de Ronald Hubbard, créateur de la scientologie. Car, je crois que cette histoire, dont nous ne connaissons pas encore le nombre de volumes qui la composera, s'achemine sans nul doute vers cette "découverte révolutionnaire" dont il est fait mention sur le quatrième de couverture. Mais cet album ne se limite pas à cela, l'auteur distille sa vision du monde éditorial de l'Amérique des années 40, dominé par le polar et la science fiction, comme le prouvent les couvertures des revues présentes dans le dossier en fin d'album. Même si le lecteur peut sembler rester sur sa faim, j'ai beaucoup aimé ce premier album, et j'ai hâte de découvrir la suite.
Sa Majesté des Mouches
J'ai une relation particulière avec le premier roman de William Golding. Comme certains ici et comme l'autrice, je l'ai découvert en cours d'anglais, vers l'âge de 13 à 15 ans. Ce fut immédiatement un choc. Dans un récit d'une puissance, d'une fulgurance que j'ai rarement rencontrées depuis, l'auteur britannique a su saisir la substantifique moëlle de deux aspects de l'Homme : le délicat passage de l'enfance à l'adolescence, avec une autonomie renforcée mais parfois chaotique, et d'autre part la frontière fragile entre la civilisation et la barbarie. Un roman court, tétanisant, que j'ai dévoré à l'époque en VO, et relu dans la langue d'origine et en français depuis. Une histoire qui m'a hanté pendant une trentaine d'années, au point de vouloir moi-même l'adapter en bande dessinée. Mais les éventuels problèmes liés aux droits d'auteur (Golding étant mort en 1993) et peut-être une immaturité dans le projet l'ont bien vite fait capoter; Je referme là la parenthèse personnelle pour revenir à l'album d'Aimée de Jongh. Lorsque j'ai vu la sortie de cet album, j'ai eu un petit pincement au cœur, et n'ai pas hésité longtemps avant de l'acquérir (après l'avoir bien sûr feuilleté pour m'assurer qu'au moins mes yeux se régaleraient). J'ai mis un peu plus de temps avant de le lire, souhaitant bien sûr m'entourer des meilleurs conditions pour lire cet album que, quelque part, j'attendais impatiemment. Et le résultat ne m'a déçu. Sur le plan graphique tout d'abord. Il fallait un(e) artiste au style à la fois anguleux et au trait bien affirmé pour adapter cette histoire, qui s'adresse autant aux jeunes ados qu'aux adultes. Aimée de Jongh requiert en effet ces qualités, avec une mise en couleurs qui insiste sur les verts et les nuances de feu, des nuances qui ont toute leur importance dans le récit. J'ai beaucoup aimé également son traitement des moments-clés, tels l'acharnement des enfants sur Simon, la chute de Piggy, ou encore la découverte de la conque et les premiers échanges entre les enfants. J'ai beaucoup aimé ses choix de cadrages, sur les visages ou sur d'autres parties du corps, que ce soit pendant les scènes d'action ou plus contemplatives. Pour moi on n'est pas loin de l'adaptation que j'aurais aimé voir. Je recommande donc cette lecture à toute personne de plus de 12 ans si elle ne connaît pas le roman, car c'est pour moi, tout simplement, une excellente adaptation d'un roman majeur du XXème siècle.