Inimaginable
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Ce tome relate la vie d’Edward Gein (1906-1924) en bande dessinée. La première édition VO date de 2021. Elle a été réalisée par Harold Schechter pour le scénario, et par Eric Powell pour les dessins et les couleurs. C’est un récit en noir & blanc avec des nuances de gris, qui comportent un peu plus de deux cents pages. Il se termine avec deux pages précisant la source de certains faits, un premier appendice constitué d’une interview de George Arndt, et d’une deuxième constitué d’une interview d’Irene Hill Bailey. Le scénariste est un écrivain qui avait déjà consacré un ouvrage à ce tueur en série, au début de sa carrière : Deviant: The True Story of Ed Gein, the Original Psycho, paru en 1998.
Basé sur une histoire vraie. On ne peut pas appliquer des critères de moralité à un fou. Le 16 juin 1960, sort le nouveau film du réalisateur Alfred Hitchcock. Après La mort aux trousses, il a fait le pari d’adapter un court roman de Robert Bloch : Psychose, paru en 1959. Le sujet était tellement violent que les studios Paramount ont refusé de la financer et que le réalisateur a dû le financer sur ses fonds propres. Il avait également interdit l’accès aux salles de projections, aux retardataires, et enjoint aux spectateurs de ne pas révéler la fin. Interrogé, il se défendait que son film soit à l’origine de meurtres sur des femmes, car il fallait le regarder avec une touche d’humour, en tout cas il lui en avait fallu pour le faire. Il ajoutait qu’il savait que l’histoire avait été écrite à partir d’un fait réel survenu dans le Wisconsin. Dans le cimetière de Plainfield, situé dans cet état, en 1957, l’équipe du coroner se livre à la tâche peu enviable de rouvrir un cercueil, après avoir établi un cordon de police pour empêcher les curieux et les journalistes d’approcher. Ils répriment un frisson de dégout en découvrant que le cercueil ne contient plus qu’un pied de biche usagé.
Mauvais départ : la mère d’Ed lui promet qu’il ne deviendra pas comme les autres hommes, et Dieu lui en est témoin, elle s’en assurera. À la Crosse, dans le Wisconsin en 1904, Augusta Wilhelmine est agenouillée et prie le Seigneur pour son enfant à venir soit une fille. Elle fait l’effort de s’avilir pour se coucher avec son pari George, un bon à rien, et elle se sent trop seule. Elle souhaite avoir une fille pour pouvoir l’élever dans la Foi. Le vingt-sept août 1904, elle accouche d’Edward Theodore Gein. Elle indique à la sage-femme que ce n’est pas la peine d’aller le présenter à son père qui ne saurait pas comment réagir. Elle fait la promesse solennelle de l’élever dans le respect de la parole de Dieu, afin qu’il ne devienne pas un pécheur comme tous les autres hommes. Il a un frère plus âgé : Henry, né en 1901. Dans un premier temps, le couple Gein s’installe dans la petite ville de La Crosse, et parvient à acheter une petite épicerie, qui est mise au nom d’Augusta. Sa façon de juger ses clientes ne va pas dans le sens commerçant. Son époux passe le balai et s’occupe des tâches manuelles, tout en se réconfortant régulièrement avec une lampée d’alcool.
L’exercice de la biographie en bande dessinée, n’est pas un exercice facile : doser une reconstruction pas trop académique, mais pas trop dans l’invention, et effectuer une reconstitution historique, exacte, sans qu’elle ne prenne le pas sur la vie de l’individu passé à la postérité. Pour ouvrir leur récit, les auteurs contextualisent la notoriété de ce tueur : il a inspiré, par un roman interposé, le personnage de Norman Bates dans Psychose, film qui a prouvé qu’une histoire consacrée à un assassin dérangé pouvait faire un carton. Dans ces trois pages d’ouverture, le lecteur relève la première avec une reproduction fidèle et précise de la façade du cinéma Demille à New York, à la première dudit film. Savant dosage entre la précision descriptive des traits et l’ambiance apportée par les nuances de gris. La seconde page comporte trois cases, avec un texte assez fourni. Et la troisième est constituée de cinq cases, chacune étant un gros plan sur le bas du visage d’Alfred Hitchcock, de son col de chemise à son cou, les phylactères reprenant ses réponses à un journaliste sur le mauvais exemple que constitue un film et les critiques négatives, réponses très savoureuses. Une façon assez élégante de le mettre en scène en focalisant l’attention du lecteur sur ce qu’il dit, avec ce bas de visage aisément reconnaissable, plutôt que sur son apparence médiatique célèbre au point d’une faire une icône. Deuxième scène introductive trois ans avant lors de l’enquête policière après l’arrestation du tueur. Puis passage au deuxième chapitre en reprenant les choses au début, c’est-à-dire la présentation de la famille Gein et la naissance du benjamin Edward.
L’ouvrage se compose de neuf chapitres, avec un prologue et un épilogue. Une fois passé le prologue, ils suivent un ordre chronologique. Dans le premier appendice, le scénariste apporte une précision d’un élément qu’il a modifié pour une raison de dramaturgie, et il indique que le reporter a été créé pour donner un point de focalisation dans la narration. Pour le reste, il s’agit d’un ouvrage basé sur des recherches rigoureuses, indiquant quand il existe plusieurs versions d’un même fait (les causes du décès du frère aîné Henry) ou quand les déclarations d’Ed Gein sont sujettes à caution. Il n’y a pas de volonté de dramatisation pour rendre le criminel plus abject, ou les crimes plus sensationnalistes. Le scénariste s’appuie sur les témoignages d’époque, les archives d’interrogatoire et de procès, les nombreuses déclarations du tueur lui-même, parfois contradictoires entre elles. Les images ne viennent pas démentir ou confirmer des hypothèses, elles participent à rendre compte de cet état de fait. Par la force des choses, il y a beaucoup de gens en train de parler, à la police, au reporter, aux enquêteurs, au juge. L’artiste utilise alors des cadrages allant du plan taille au gros plan. Il a un don pour croquer une gueule avec une émotion ou un état d’esprit. Il évite de forcer le trait pour tomber dans la caricature, tout en insufflant une vraie personnalité à chacun. D’un point de vue purement de narration visuelle, ces cases de têtes en train de parler peuvent induire une forme de pauvreté graphique malgré la qualité des portraits. Cependant, ils correspondent à la situation dans laquelle ces témoignages ont été recueillis. Enfin ce type de plan correspond à moins de vingt pourcents de la pagination.
D’un côté, il est vrai que le scénariste a beaucoup d’informations à intégrer à cette reconstitution. De l’autre côté, la narration visuelle donne vie aux individus impliqués, montrent les lieux. Elle place le lecteur aux côtés des policiers qui pénètrent pour la première fois dans la maison du tueur, puis aux côtés d’Ed Gein lorsqu’il donne sa version des faits, pour une reconstitution. Comme le scénariste, le dessinateur ne se complaît pas dans le gore ou dans les détails voyeuristes. Toutefois, il montre ce qui relève des aspects barbares des trophées conservés par cet homme jugé fou. Il ne s’applique pas à transcrire la texture de la peau pour l’abat-jour, mais il représente la ceinture faite de tétons. Le lecteur peut ainsi se projeter dans cette ferme éloignée de la petite ville, participer à une partie de pêche et accrocher son hameçon, aider les voisins pour des petites choses, pleurer sur une tombe à minuit, découvrir les objets macabres et monstrueux dans la maison des Gein, etc. Il se rend compte que les moments les plus monstrueux ne sont pas forcément les actes de barbarie, peu représentés, mais l’expression d’émotions contre nature, comme lorsque le fils aide la mère à s’habiller, ou qu’il se met à saliver devant des photographies de sévices physiques.
Au fur et à mesure, se pose la question de fond : Ed Gein était-il fou ? Cela le rendait-il irresponsable de ses actes ? Dans les deux premiers tiers, l’auteur s’en tient aux faits, indiquant quand un doute plane sur l’un d’eux. Il a choisi une interprétation de la personnalité de Augusta Wilhelmine : lui et Powell mettent en scène son autorité et sa ferveur religieuse, ainsi que la faiblesse de caractère de son époux. Au fur et à mesure, il apparaît qu’ils développent une interprétation psychanalytique tranchée. Comme tout être humain, Ed Gein est le fruit de son éducation, des personnes qui l’ont élevé, des adultes qui lui ont servi de modèle, de milieu socio-économique et culturel dans lequel il a grandi. Ils établissent des liens directs de cause à effet, entre certains événements de sa vie, et certains actes qu’il a commis. Le lecteur peut trouver ça évident, ou estimer que la réalité est forcément plus compliquée que ça, que les processus psychiques ne peuvent pas être aussi simples. Dans le même temps, ils ne décrivent pas le mécanisme qui a conduit cet homme à transgresser des tabous au cœur de chaque société humaine. Il y a des conditions qui sont réunies pour que sa façon d’interpréter la réalité soit faussée et orienté, pour qu’il sache comment tanner et conserver une peau, pour se montrer rusé et prudent, pour concevoir des envies monstrueuses. Mais il n'y a pas d’explication du passage à l’acte. Il y a une pulsion irrépressible que Ed Gein ne sait pas gérer autrement que par s’y adonner.
Raconter la vie d’un tueur immonde sous la forme d’une bande dessinée : un pari très risqué car ce média peut s’avérer très littéral dans sa manière de raconter, très descriptif au point de sous-entendre que les faits se sont bien passés comme ils sont dessinés qu’ils sont réductibles à ce qui est montré. Un amateur de bande dessinée peut trouver certains passages un peu lourds en texte, ou statiques en termes de mise en scène. Dans le même temps, il est rapidement impressionné par la capacité de l’artiste à insuffler de la vie dans chaque personnage, sans les caricaturer, à reconstituer une époque et un environnement, dans un savant équilibre évitant la description figée, et l’évocation sans substance. Même s’il n’est pas entièrement convaincu par la façon de d’expliquer une partie des pulsions de Ed Gein, le lecteur est vite fasciné par la reconstitution de sa vie, par l’horreur de ce que découvrent les enquêteurs, par la question insoluble de la santé mentale de cet individu. Il en ressort à la fois écœuré par la nature des meurtres et la confection d’objets macabres, et très déstabilisé par le questionnement sur la responsabilité de cet individu.
Une fois de plus, je partage l'avis de Noirdésir ! ;-)
J'ai passé un très bon moment avec ce western moderne. Certes, il y a quelques redondances avec les échanges entre le protagoniste et son petit compagnon, mais ça passe bien, ça vient ponctuer comme une morale chaque péripétie (ça reste du Matz quand même, il faut bien qu'il fasse quelques grandes phrases) et l'animal a une bonne bouille...
L'histoire est intéressante et instructive (avec cet historique de la protection des témoins), la tension est palpable et l'action, si on met de côté les flash-back, est finalement ramassée (quelques jours qui se concentrent autour du procès).
J'ai apprécié le découpage cinématographique, les clins d'oeil réjouissants au fil des pages, l'ambiance réussie des années 60-70 avec des marqueurs de l'époque habilement parsemés ici ou là, des personnages consistants et un dessin que personnellement j'ai beaucoup aimé (les paysages notamment sont superbes, la compagne de Giu' aussi) c'était chouette !
Certains ont évoqué une histoire qui s'étirait un peu, mais pour ma part, j'aurais pu suivre encore le parcours du camping-car de Giu' dans ces grands espaces lumineux et arides, même si là encore, je trouve la conclusion très satisfaisante.
A chaque fois c’est pareil ! Quand je vais au festival d’Angoulême, pas moyen de trouver une seule personne durant les 4 jours du festival, adepte du génialissime Léo. Pas grave au final car je vais rester sur mes positions et je ne vais surtout pas renier mes goûts.
N’en déplaise donc à mes détracteurs – j’ai les noms – avec Centaurus nous voilà de nouveau dans un monde imaginé par Léo et son colistier habituel Rodolphe. Petite précision sur cette série Léo n’est pas au dessin mais au scénario avec son complice. Les illustrations ont été confiées à Zoran Janjetov qui reprend habilement le style Léo.
Le décor est planté dés le premier album. Nous sommes transportés dans un futur où l'humanité, à bord d'un gigantesque vaisseau-monde, cherche une nouvelle planète habitable après la destruction de la Terre.
"Terre promise" : Le premier tome nous plonge immédiatement dans une intrigue palpitante et les défis auxquels les personnages doivent faire face. Le vaisseau-monde arrive enfin à proximité de Vera, une planète potentiellement habitable. L'équipage est envoyé en reconnaissance, découvrant un monde mystérieux et dangereux
"Terre étrangère" : L'équipe d'exploration découvre que Vera est peuplée de créatures étranges et hostiles. Ils doivent naviguer dans cet environnement inconnu tout en essayant de maintenir la communication avec le vaisseau-monde.
"Terre de folie" : Les tensions montent à bord du vaisseau-monde alors que les explorateurs rapportent des découvertes troublantes. Les mystères de Vera commencent à se dévoiler, révélant des secrets qui pourraient changer le cours de l'humanité.
"Terre d'angoisse" : Les explorateurs font face à des dangers encore plus grands alors qu'ils approfondissent leurs recherches sur Vera. Le suspense est à son comble alors que les personnages luttent pour survivre et comprendre les mystères de cette nouvelle planète.
"Terre de mort" : Le dernier tome de la série est un crescendo d'action et de révélations. Les explorateurs doivent faire face à des défis mortels pour sauver l'humanité et découvrir la vérité derrière les mystères de Vera.
Vous ne pouvez lire ces 5 albums d’une seule traite. L’exaltation est bien présente. Que dire des paysages fantastiques et de sa faune mystérieuse. Un régal pour les yeux.
Le suspens est bien là tout au long de votre lecture. La fin nous invite à découvrir encore et encore de nouveaux mondes.
C’est de nouveau un chef-d’œuvre de la science-fiction, qui saura toucher les lecteurs les plus exigeants et les passionnés de récits interstellaires.
Ce treize novembre, Bruno Coquatrix se félicite de n’avoir pas cédé à la raison.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, de nature historique. Sa première édition date 2024. Il a été réalisé par Martine Lagardette pour le scénario et les dialogues, et par Farid Boudjellal pour les dessins et les couleurs. Il comprend environ cent-soixante-dix pages de bande dessinée. Il se termine par une page recensant une vingtaine de sources bibliographiques, un dossier de huit pages présentant quelques fragments des années d’errance des auteurs pendant la conception de l’album.
Il est rarement question de hasard et de music-hall lorsque l’on évoque la politique étrangère des nations, excepté quand ils accomplissent des prodiges. Pour comprendre ce qui suit, il faut remonter au 26 juillet 1966, date choisie par Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia, pour se rendre en Égypte. Ce jour-là, au Caire, le cœur des Égyptiens bat très fort. Le pays fête les dix ans de la nationalisation du canal de Suez. Dans un avion, Bruno Coquatrix discute avec Jean-Michel Boris et Odile. Ils évoquent le mauvais rôle joué par la France, et le départ effectif des étrangers à l’époque. Le directeur de l’Olympia conclut qu’il vaut mieux laisser le passé aux historiens, et la scène aux artistes. En descendant de l’avion, il estime que les festivités, c’est bien, mais qu’ils ne sont pas en vacances. Leur Olympia est un ogre, il lui faut du sang frais. Ils ne disposent que de trois jours, c’est peu pour trouver de nouveaux talents. Odile lui précise que le rendez-vous avec le ministre Okacha est confirmé, mais le jour et l’heure ne lui ont pas été précisés. Elle ajoute que l’Égypte est l’école de la patience. Dans l’aéroport, ils sont attendus et pris en charge par Mohamed qui leur confirme que monsieur Okacha les recevra demain matin. Il les conduit à leur limousine : il ne faut pas perdre de temps, il y a beaucoup de circulation en ville et ils sont attendus à leur hôtel pour des commémorations. Le Hilton a prévu un dîner suivi d’un spectacle.
Pendant le trajet en voiture, ils peuvent voir la foule manifester à travers les vitres de l’habitacle. Mohamed confirme que Monsieur Okacha est impatient de faire la connaissance de Coquatrix et de ses amis. Le ministre n’a entendu que des éloges de leur festival égyptien l’année dernière. Pour le prochain, il est prêt à les aider. À cet effet, Mohamed a établi une liste des artistes à auditionner, tous excellents. Il espère que son choix conviendra au directeur de l’Olympia. L’assister est un honneur pour lui. Il a découvert l’Olympia quand il étudiait à Paris. Il s’était ruiné pour aller voir Dalida. Après ça, il avait mangé du pain trempé dans du café au lait le reste du mois. Il indique qu’ils arrivent à la fin des manifestations, comme ils peuvent le constater, les Égyptiens sont fougueux. La discussion continue, et Coquatrix en vient à indiquer que plusieurs des artistes se produisant à l’Olympia sont nés en Égypte : Guy Béart, Richard Anthony, Georges Moustaki. Il n’a pas choisi par hasard cette destination pour voyager. Il avoue que leurs récits y sont pour quelque chose. Mohamed explique que Nasser n’a pas eu le choix, concernant la nationalisation du canal de Suez.
Une bande dessinée à la pagination copieuse, pour évoquer un concert (deux en fait) qui a fait date dans l’histoire de l’Olympia et en France. Le titre complet évoque également la dimension politique avec le nom de Gamal Abdel Nasser Hussein (1918-1970), second président de la République d’Égypte. Cette dernière se trouve au cœur du récit : la nationalisation du canal de Suez est mentionnée dès la première page pour l’anniversaire de ses dix ans. Bruno Coquatrix a rendez-vous au Caire avec Sarwat Okacha (1921-2012) le ministre égyptien de la Culture de 1958 à 1961, puis de 1966 à 1970. Au cours de la bande dessinée, le lecteur se retrouve dans le bureau du Général Charles de Gaulle (1890-1970) président de la République française de 1959 à 1969, en présence du ministre de la Culture André Malraux (1901-1976). Il est question à plusieurs reprises de Nasser. Pour assurer la sécurité de la diva sur le sol français, le Général assure Malraux de l’aide de Maurice Grimaud (1913-2009, préfet de police de Paris), de Louis Amade (1915-1992, préfet hors cadre), ou encore de Maurice Couve de Murville (1907-1989, premier ministre de 1968 à 1969). Dans ces moments, le choix graphique de l’artiste prend tout son sens : réaliser des images qui font penser à des photographies en noir & blanc dont le contraste aurait été poussé à fond, puis habillées de nuances de gris en dégradé parfois lissé. Ainsi il peut rendre compte de ces moments d’actualité de manière authentique.
Pour autant, il s’agit avant tout de l’histoire de deux soirées de gala, dans une des salles de spectacle les plus célèbres de Paris. L’Olympia situé 28 boulevard des Capucines, inauguré 11 avril 1893, créé par Joseph Oller (1839-1922, Josep Oller i Roca), et consacré majoritairement à la chanson à partir de 1954, avec la nomination de Bruno Coquatrix au poste de directeur. Pour réaliser cet album, les auteurs ont bénéficié des souvenirs de Doudou Morizot, régisseur général de l’Olympia à partir de 1956, et responsable du suivi lumière de la Diva pour ses deux concerts, ainsi que de ceux de Jean-Michel Boris, directeur artistique et bras droit de Bruno Coquatrix, et enfin de ceux de Jeanne Tallon, ouvreuse puis directrice de salle. Au fil de la période évoquée, le lecteur peut voir s’y produire ou venir en spectateur : Édith Piaf (1915-1963, seulement sur une affiche), Claude François (1939-1978, en train de répéter, au bar), Charles Aznavour (1924-1918), Johnny Halliday (1943-2017), Sylvie Vartan (1944-), Dalida (1933-1987), Otis Redding (1941-1967), les Rolling Stones, Amália Rodrigues (1920-1999), Sammy Davis Jr. (1925-1990), Brigitte Bardot (1934-, au bar de Marilyn), James Brown (1933-2006), et de nombreux autres. À nouveau, le mode de représentation de type photoréaliste fait des merveilles pour intégrer toutes ces personnalités de manière organique dans la narration, à partir de références photographiques. Cela permet de les mettre en scène conformément à leur image médiatique, générant ainsi un écho naturel avec la représentation mentale qu’en a le lecteur. Le lecteur ressent également que le dessinateur a sérieusement étudié la disposition des locaux de l’Olympia et qu’il la restitue avec rigueur, ainsi que sa décoration de l’époque.
Déjà bien fourni avec la dimension politique et la dimension culture populaire, le fil directeur du récit se déroule autour de l’organisation des deux concerts d’Oum Kalsoum à l’Olympia. Le voyage du Directeur de l’établissement au Caire l’amène à se fixer cet objectif, tout en ayant conscience du statut de diva de la chanteuse, et de son engagement politique auprès de Nasser. L’histoire se compose de quatorze chapitres de longueur variable (de deux à vingt-quatre pages), chaque titre comprenant un repère chronologique : Le Caire (juillet 1966), La dame du Nil (27 juillet 1966), Boulevard des Capucines (décembre 1966), Palais de l’Élysée (janvier 1967), Diplomatie acte I (février 1967), Turbulences (mars, avril, mai 1967), La blessure (juin 1967), Le doute (octobre 1967), Diplomatie acte II (octobre, novembre 1967), L’arme secrète de Nasser (8 novembre 1967), Olympia forever (9 novembre 1967), Oum Kalthoum, Umm Kulthumm ? (12 novembre 1967), Tarab (13 novembre 1967), Diplomatie acte III (16 novembre 1967).
Incroyablement servi par les illustrations qui rendent concrète cette époque, qui font œuvre d’une reconstitution tangible et vivante, la scénariste peut faire vivre son sujet sur encore d’autres plans. Du début à la fin, le lecteur suit le déploiement d’efforts considérables pour ce projet risqué, par Bruno Coquatrix (1910-1979), âgé de cinquante-six ans à l’époque, très élégant, fumant régulièrement le cigare, au four et au moulin les soirs de spectacle à l’Olympia, ménageant et flattant les vedettes avec un savoir-faire niveau expert dans le compliment juste et valorisant. Le lecteur s’attache à lui, admiratif de son implication, sans borne, partageant ses inquiétudes et même ses angoisses, se prenant à souhaiter ardemment la réussite de son entreprise, alors même qu’il sait que ces concerts ont eu lieu. À chaque étape, la narration visuelle immerge le lecteur dans chaque lieu, au milieu des vedettes et des artistes, aussi bien au cœur de l’Olympia que dans les rues du Caire ou de Paris. La mise en scène s’effectue souvent sur les deux pages en vis-à-vis, avec des prises de vue élaborées qui montrent les foules, les individus, les activités, les émotions.
Et puis il y a Oum Kalsoum. Et sa musique. Les auteurs vont au-delà d’un simple reportage journalistique, ou de la reconstitution d’un projet de concert. Ils évoquent la versant artistique : les facettes de diva de la chanteuse, ainsi que l’effet produit par son chant, l’adoration de ses admirateurs, sa position sociale, sa liberté d’artiste, y compris de femme dans la société de l’époque. Ils présentent les différents artistes égyptiens se produisant au Caire lors de la visite de Bruno Coquatrix et de Jean-Michel Boris, ainsi que les compositeurs. Lorsque le concert commence, ils présentent les différents musiciens, un par un, avec une ou deux phrases sur leur parcours, leur reconnaissance. Ils évoquent le mindile (tissu en mousseline de soie) d’Oum Kalsoum, Said el Tahan (le plus grand admirateur de la Dame), le nombre de chansons interprétées, la déclaration politique du journaliste Galal Moawad à l’entracte, l’incident avec le jeune homme enivré par les vocalises de la Dame qui monte sur scène et se jette à ses pieds, la ferveur du public, etc. À l’opposé d’un compte-rendu technique et clinique, le lecteur ressent ce moment, et il lui tarde de se jeter sur une application pour entendre ou réentendre des enregistrements de la quatrième pyramide d’Égypte. S’il le souhaite il peut lire auparavant Oum Kalthoum - Naissance d'une diva (2023), par Chadia Loueslati & Nadia Hathroubi-Safsaf, une introduction légère, pour faire connaissance avec la Perle du Nil.
Wouaahhh !!! Applaudissements nourris ! Une bande dessinée exceptionnelle pour découvrir l’envergure de la venue d’Oum Kalsoum pour se produire à Paris les 13 et 15 novembre 1967. La narration visuelle revêt une apparence de type photographique capturant au mieux la réalité de l’époque, que ce soit les lieux ou les personnalités, avec une mise en scène variée et sophistiquée donnant vie à chaque séquence, quelle qu’en soit la nature. Les auteurs ont souhaité réaliser une bande dessinée avec une approche holistique, rendant compte des différentes dimensions de l’événement : historique, politique, culturelle, artistique. Une réussite totale qui implique le lecteur, dans une reconstitution vivante de l’époque, lui donnant une envie irrépressible d’écouter l’Astre d’Orient.
Malgré son concept fort, j'avoue n'avoir pas été immédiatement séduit par cette série. Le premier tome fonctionne, mais en choisissant de nous immerger très progressivement dans son univers, met du temps à faire démarrer l'intrigue. On se perd un peu dans le jargon technique, dans les échanges financiers, et on se demande si on va arriver à suivre.
Et puis le tome 2 arrive, et là, on sait qu'on va adorer. Le récit s'envole, les personnages se creusent, et les tournants pris par la narration deviennent un peu moins prévisibles, presque surprenant par moments. Et surtout, Dorison sait exploiter à 200% le fond de son sujet ! Après son premier tome d'exposition, il pose les vrais dilemmes dans ce tome 2 assez brillant, on comprend mieux où il veut nous mener. A ce titre, l'implacable tome 3 clôt merveilleusement la série, d'une manière parfaitement cohérente, toujours avec la profondeur qu'on attend d'un tel récit dystopique. La réflexion sur l'humanité, le libre arbitre, et notre avenir est vraiment bien menée et nous pose de vraies questions, sans que jamais, on ne se fasse écraser par un didactisme pesant.
Le dessin d'Allart est très efficace et participe bien à nous immerger dans cet univers d'hypocrisie et de faux-fuyants. De belles couleurs, un trait souple, un réalise jamais excessif, on y est, on y croit.
Bref, tout cela est très beau, et si, finalement, je n'ai eu qu'une petite réserve à la fin de cette lecture, c'est que, quelque part, j'ai eu un peu l'impression d'avoir déjà vu cette histoire. Le lien n'est pas évident de prime abord, mais quand on a vu The Truman Show, il est vraiment difficile de ne pas y voir de grosses résonances avec le tome 3. On est loin du plagiat, bien évidemment, mais tout de même, les parallèles sont très nombreux, même si j'éviterai de les lister ici pour ne pas gâcher la surprise d'éventuels futurs lecteurs.
Ce rapprochement un peu trop évident à mes yeux, est loin de disqualifier la série, mais cela lui enlève ce petit côté vraiment unique qui caractérise les grands chefs-d'œuvre. En l'état, on a déjà une excellente trilogie, agréable à lire, et très bien menée, qui nous fait déjà envisager avec le plus grand plaisir la perspective de la relire un jour. C'est déjà énorme.
Waw, très simple mais une belle claque quand-même !
Betty Boob c'est une histoire (semi) muette parlant de deux choses : le cancer et le rapport au corps (particulièrement ici le corps féminin).
Notre protagoniste, dont nous ne connaissons pas le réel prénom, perd son sein et ses cheveux à cause d'un cancer et doit apprendre à vivre sa vie après cela. Elle souffre de son image, son petit ami a du mal à la regarder dans les yeux, ne la désire plus, elle se sent observée et jugée partout où elle va, elle tente désespérément de trouver un moyen de récupérer son sein, … Jusqu'à ce que, finalement, elle tombe sur une troupe de cabaret burlesque qui décide de la prendre sous son aile. Là, parmi d'autres femmes aux corps hors normes (en surpoids, à la poitrine plate, avec une prothèse de jambe, avec beaucoup de tatouages, …) elle va enfin apprendre à ne plus subir les conséquences de sa maladie et, mieux encore, apprendre à aimer son corps et reprendre le contrôle de sa vie.
C'est très beau. D'une part visuellement, le dessin de Julie Rocheleau est travaillé, possède une belle patte et elle se permet de jouer avec les couleurs et la représentation fantasque pour illustrer ses scènes.
Mais le fond est tout aussi joli. J'aime beaucoup le sujet du corps, de la perception que nous avons de ne corps et du rôle qu'elle joue sur notre bien être. Tout ce propos sur le corps féminin, particulièrement enfermé dans des standards de beautés strictes dans notre société, et ce rejet et cette difficulté à accepter les corps hors-normes, sortant des carcans, m'a profondément parlé. Et l'aspect très positif, très doux et bon enfant du récit, qui parvient à aborder des moments durs (comme l'abandon d'êtres chers ou encore les stigmates de la maladie) tout en gardant ce ton léger et optimiste... moi ça me touche sincèrement. L'histoire est fantasque à souhait, laissant volontiers le réalisme pour l'illustration rêveuse et le symbolique, et ça ça marche très bien sur moi.
Un coup de cœur et une lecture recommandée pour ma part.
Alors ça, c'est glauque à souhait.
Jolies ténèbres, c'est un conte macabre, un récit fantastique mêlant les joies enfantines aux horreurs plus sombres et cruelles du monde réel. Tout commence dans l'esprit d'une jeune fille… morte. Oui, ici, nous allons suivre des petits êtres humanoïdes tout droit sortis de l'imaginaire d'une enfant et qui vont devoir tenter de survivre hors de sa tête lorsque celle-ci meurt en pleine forêt dans des circonstances inconnues. Le sujet, en réalité, ne sera pas la mort de la jeune fille en elle-même (si ce n'est à la rigueur que tout ce récit pourrait être interprété comme une métaphore pour la mort symbolique de l'enfance et un passage forcé et dramatique à l'âge adulte et ses horreurs plus froides). Ici, nous allons suivre ces petits personnages à l'apparence si innocente progressivement se transformer en monstres. Vols, inégalités, meurtres, survie en milieu hostiles, … On comprend très rapidement que l'on ne nous raconte pas ici une histoire joyeuse.
Comme le nom de l'album l'indique, nous avons ici un croisement du beau, du mignon, de l'idéal (de l'idéalisé, même) et du terrifiant, du monstrueux, du froid, du réel. Seuls une poignée de personnages semblent objectivement sympathiques, mais bien évidemment, comme souvent dans ce genre de récit, ce sont elleux qui subiront les pires tragédies.
Aurore, notre protagoniste, est une jeune rêveuse, souhaitant l'entraide, la paix avec les animaux et tout simplement que tout le monde puisse vivre en harmonie. Cette histoire est celle de ses désillusion, de la perte de son innocence, de sa découverte presque trop cruelle des pires aspects de l'humanité. Elle qui n'était qu'une sorte de poupée idéalisée au début, ne rêvant que de fêtes, de thés et de son beau prince, elle finira traumatisée, froide, monstrueuse à son tour.
L'album retourne, met sincèrement mal à l'aise par moment, et surtout réussi son pari de faire de ce récit une rencontre entre une leçon de vie poétique et imagée et une version horrifique du roman "Les Chapardeurs" de Mary Norton.
Le dessin de Kerascoët est, comme toujours, très beau. Iels arrivent toujours à donner des visages et des apparences adorables à leurs personnages, ce qui aide beaucoup pour le contraste avec les évènements affreux que ces petits êtres vivent. Les dernières planches beaucoup plus froides et terrifiantes m'ont vraiment bluffée.
L'album m'a sincèrement retournée. C'est glauque, prenant, angoissant, …
La lecture est on ne peut plus recommandée pour moi.
Vivre avec / Vivre contre
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les sept épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits, dessinés et encrés par Steve Skroce qui a également réalisé les couvertures. La mise en couleurs a été réalisée par Dave Stewart, et le lettrage par le studio Fonografiks.
Nathaniel Hawkthorne, le président des États-Unis, s'adresse à son peuple depuis son pupitre, avec le drapeau américain derrière lui. Il se trouve dans un énorme hangar souterrain militaire, devant des civils assis, avec des militaires debout, et de nombreux avions de chasse, ainsi que des chars occupant l'immense espace. Le temps est venu pour le peuple de la Bulle de reconquérir le territoire de la nation. Après un sabotage de grande ampleur il y a quelques années, leur arsenal est revenu au plus haut niveau, grâce à une reconstruction automatisée. Il est certain que ce projet de reconstruction est le bon, c'est ce qu'il lit dans le regard des civils assis, dans celui des soldats, et même celui des anciens rebelles en tenue orange qui ont finit par se soumettre. La ville rutilante n'est plus que ruines, mais les fondations sont encore solides : il est temps que d'ensemencer pour que quelque chose de plus beau puisse prendre racine. Dans le même temps, deux individus, Dom et Mike, ont réussi à s'infiltrer dans une autre partie du hangar et ils se mettent à trafiquer un avion. Ils sont repérés par deux soldats.
Comprenant qu'ils ont été identifiés comme des rebelles, les deux hommes dégainent et abattent les deux soldats. Le président a entendu les coups de feu et ordonnent aux soldats d'intervenir sans faire de prendre de prisonnier. Dom et Mike sont parvenus à s'installer au poste de pilotage de l'avion, mais les balles commencent à fuser. Dans l'étage supérieur, quatre autres rebelles contemplent la situation et savent ce qu'il leur reste à faire : déclencher l'explosion des charges même s'ils se trouvent en plein dans leur champ d'action. Les deux rebelles profitent de l'explosion pour décoller et sortir de cette gigantesque base installée au cœur du mont Cheyenne dans le Colorado. Malheureusement l'appareil a été touché et ils vont devoir se poser rapidement. Dans un campement non loin de là, Rudy, un individu chétif avec des plaques de rougeur sur le corps, accueille Carolyn, pendant qu'un petit groupe regarde un dessin animé en plein air, mettant en scène les superhéros Night Terror et Don. Il s'adresse à une jeune femme peu commode qui explique qu'elle est venue parler à leur chef F.F. Celui-ci arrive en volant grâce à un exosquelette et ordonne à Rudy d'aller voir ailleurs vite, parce que ses talents de cannibale n'apportent pas grand-chose à la communauté. Puis il s'adresse à Carolyn, lui indiquant qu'il apprécie ses talents et qu'il souhaite l'aider à les mettre à profit de la communauté. de manière peut-être ironique, elle répond qu'elle est touchée de pouvoir interagir à haut niveau avec le vrai responsable. Soudain, quelqu'un pointe du doigt un aéronef dans le ciel qui semble proche de se crasher.
Après Maestros (2018) et une histoire de magie, Steve Skroce réalise une nouvelle histoire entre science-fiction et anticipation : la civilisation s'est écroulée, une communauté a survécu dans un environnement protégé, avec toute la modernité technologique préservée et automatisée. Il est temps pour l'autorité légitime des États-Unis de reconquérir le territoire et de rebâtir la nation. Oui, ça commence comme ça, mais le personnage identifié comme le héros s'oppose à cette campagne militaire. Le créateur ne fait pas les choses à moitié : il donne à voir ce futur du vingt-troisième siècle dans le détail, sans ménager sa peine. La vision panoramique de l'énorme caverne impressionne le lecteur : le nombre d'avions, les citoyens assis sur des rangées de chaises bien alignées, l'uniforme des soldats, la tenue des prisonniers, avec des visages tous différents. Le lecteur un peu plus exigeant relève que la caverne comprend également des installations techniques permettant la sortie et la rentrée des avions, la place pour qu'ils puissent évoluer. Ce n'est pas un dessin effectué sous le coup de l'inspiration, mais une installation pensée pour être fonctionnelle.
Après cette entrée en matière qui en jette, le lecteur se demande si l'investissement de l'artiste va baisser ou va rester de même niveau au fil des épisodes. Il obtient la réponse très rapidement : il n'y a pas de scène sacrifiée, ou de passage en mode expéditif. Ainsi le lecteur va pouvoir se projeter dans plusieurs endroits de la Bulle, l'environnement dans le Mont Cheyenne évidé, comme la zone de plage, la fabrique automatisée de drones, la salle de commandement militaire, les serres hydroponiques, le restaurant haut de gamme, les cascades intérieures, les nurseries, et même un plan holographique de l'ensemble des installations de la Bulle. Il peut satisfaire sa curiosité en prenant le temps de détailler les caractéristiques d'autres lieux : le camp de F.F. mettant à profit des bâtiments abandonnés, avec son arène pour des affrontements sanglants et son sol tapissé d'ossements, ses enclos à prisonniers, la ville préservée d'où est originaire Carolyn, une mégapole dont les gratte-ciels s'écroulent, sans oublier les installations très inattendues des studios Wonder à Hollywood. L'artiste se montre d'une inventivité tout aussi généreuse pour les véhicules, les armes, les accessoires, les personnages tout du long : le harnais de vol autonome, des prothèses remplaçant des membres perdus, des simulateurs de plaisirs pour le pénis, un 4*4 vraiment tout terrain, des bolas réalisés avec des têtes humaines, des droïdes de combat, des animatronics, des poulets particulièrement agressifs. Le lecteur se rend également compte qu'il y a des éléments visuels nouveaux dans chaque épisode, que le dessinateur n'attire pas l'attention dessus de manière ostentatoire ou démonstrative. Il reste donc libre d'y prêter attention ou non, et ça vaut le coup : impossible d'oublier la veste et la chemise en peau humaine en dernière page de l'épisode 1. En fonction de sa culture comics, le lecteur peut y voir un clin d’œil à la série Crossed de Jacen Burrows et Garth Ennis. Dans la silhouette en ombre chinoise en dessin en pleine page à la fin de l'épisode 2, il peut voir un hommage au Dark Knight de Frank Miller. À chaque fois, il s'agit d'une influence bien assimilée, par d'un ersatz pour rendre la page plus intéressante.
Il apparaît rapidement que le scénario est aussi dense que le sont les dessins. le premier épisode propose un point de départ simple : une version totalitaire d'un gouvernement sans légitimité aucune (et certainement pas démocratique) s'apprête à pratiquer la politique de la terre brûlée en annihilant toutes les communautés sur le territoire pour en devenir maître et rétablir une société favorisant les nantis. Deux rebelles vont tenter de stopper cette machine de guerre. Bien sûr, Dom et Mike vont faire l'expérience désagréable de la réalité : les communautés à l'extérieur ne sont pas démocratiques non plus, et pratiquent la politique du plus fort également. Dans l'épisode 1, le président des États-Unis par défaut revient sur une partie de l'historique de la situation actuelle, à l'occasion de son discours sur deux pages. Mike explique la situation de la Bulle à Carolyn lors d'une page d'exposition bien fournie. C'est un peu lourd comme mode de présentation mais ça passe vite. Dans l'épisode 2, le président fait un nouveau discours de deux pages pour en dire plus sur l'actualité, et le lecteur tombe des nues en découvrant le secret de Carolyn. Dans l'épisode 3, nouvelle ville et informations complémentaires sur l'arrivée de l'élite dans la bulle, l'accession au pouvoir de Nathaniel Hawkthorne, dans des planches bien fournies en texte et en illustrations. Steve Skroce ne se moque pas du lecteur : il n'a pas étiré son intrigue sur 7 épisodes, il a même du mal à tout faire tenir en seulement 7 épisodes.
Cette histoire accroche de suite le lecteur pour sa narration graphique évoquant par moment la minutie de Geoff Darrow, parfois l'élégance de Frank Quitely, parfois la froideur descriptive de Jacen Burrows, en conservant toujours la personnalité propre de Skroce. Ce récit post apocalyptique contient de nombreux éléments spécifiques, et montre des combats brutaux et soignés, ce qui le place au-dessus du tout-venant des comics de ce genre. Plusieurs éléments relevant de l'humour noir et même macabre, avec une touche de gore, viennent relever le plat. Il y a également quelques touches d'humour moins sanglant, en particulier un petit doigt de pied espion irrésistible. Le fond de l'histoire ne se réduit pas à un affrontement manichéen entre des bons et des méchants, chaque faction ayant la conviction d’œuvrer pour le bien général. Le lecteur sourit en découvrant la forme de patriotisme du président en place, le fait qu'il ne tire pas légitimité d'une élection, sa vision impérialiste de la domination de l'élite. Il se rend compte que ce qui s'avère encore plus dérangeant réside dans le fait que les habitants de la Bulle n'ont aucun mérite : ils se sont installés dans cette énorme base, prête à l'emploi sans avoir aucun effort à faire, tout étant automatisé, et ne s'attribuant comme seule responsabilité que de survivre en prenant du bon temps. Par la force des choses, la communauté cannibale ne présente pas de valeur morale digne d'admiration. La douceur de vivre de la communauté d'où est originaire Carolyn a un coût. La société des studios Wonder a son propre objectif qui exclut également une partie significative de la population encore en vie. Pour autant, le scénariste ne verse pas non plus dans le Tous pourris, et l'évolution de la situation se fait au travers d'un effort collectif. En cherchant plus loin, le lecteur constate que les individus ayant combattu dans le conflit en portent les stigmates. En continuant sur cette lancée, le lecteur constate que ce qui différencie les factions en présence, c'est leur façon d'envisager la société : soit Vivre contre une autre communauté (ou plusieurs), soit chercher des solutions pour Vivre avec.
Au vu de la couverture, le lecteur se prépare à une lecture détente, de combats brutaux dans une société post apocalyptique. Son horizon d'attente est comblé au-delà de ses espérances, car Steve Skroce investit du temps dans la conception de ce futur peu engageant et dans sa représentation détaillée. L'humanité étant ce qu'elle est, les profiteurs sont toujours de ce monde, et en plus, ils ont les armes de leur côté. Au fur et à mesure que les conflits progressent, l'intrigue prend de l'ampleur et le propos se révèle plus sophistiqué que prévu, plus intelligent et plus constructif également. Dans un divertissement de haut vol, l'auteur met en œuvre le principe qui devrait être évident que vivre en société, c'est vivre avec les autres, et pas contre les autres.
Bon, Life is Strange, à la base - à la toute base- c'est un jeu vidéo sorti en 2015 et qui raconte l'histoire de Max, une étudiante en photographie qui va gagner du jour au lendemain la capacité de rembobiner le temps. Le jeu est une sorte de film interactif dans lequel l'importance des choix, les conséquences de ces choix et le champs des possibles sont au centre de la narration. C'est un jeu qui parle de la vie, de l'importance de nos choix et de ce qu'ils font de nous, dans une ambiance très nostalgique et mélancolique (avec aussi beaucoup de drames). Ce jeu a été un de mes premiers coups de cœur vidéoludiques à sa sortie (et toujours un de mes préférés) et je ne peux que vous conseiller d'y jouer.
Suite à son succès, une sorte de franchise est née, chaque nouvel opus vidéoludique se centrant sur un personnage ayant toujours deux points communs avec les autres : iels sont jeunes et iels ont un pouvoir très puissant (sauf deux exceptions). De tous ces autres, je n'ai joué qu'à Before the Storm, une préquelle au premier Life is Strange centré sur Chloé.
Pourquoi est-ce que je vous parle de tout ça ? Parce qu'ici, on se centre sur Max et Chloé, les personnages principaux de ce premier opus, des personnages que j'aime, auxquels je suis très attachée et que cette série se veut être une continuation narrative du jeu. Comment faire suite à un jeu où tout le sel vient du fait que de nombreux embranchements sont possibles et que donc plusieurs conséquences existent ? Eh bien, ici, fort heureusement, on a une solution en béton : Max, notre voyageuse temporelle. L'intrigue de cette série part du fait que Max, toujours hantée par les évènements du jeu, commence à vivre ce qu'elle appelle des battements, elle glisse petit à petit dans d'autres univers, des réalités créées à partir de choix différents. Sujet parfaitement en accord avec le jeu et les personnages donc. J'ai trouvé tout ce sujet du deuil et du fait d'aller de l'avant, ou plus précisément de murir après avoir vécu quelque chose d'affreux, très bon. Là encore, nos personnages mûrissent en apprenant qu'au delà de l'importance de nos choix sur notre avenir, nos choix passés font en réalité de nous ce que nous sommes aujourd'hui.
Au delà du fait que le sujet et l'histoire sont bon-ne-s, je suis aussi comblée en tant que passionnée du jeu de base. Je retrouve des personnages qui me sont chers, je peux voir la continuation de leur évolution, les voir vivre les conséquences des évènements du jeu, je peux aussi voir du Pricefield canon ! Bah ouais, j'ai été biberonnée à ce ship, laissez-moi apprécier le fait d'avoir une autre œuvre de la licence les canoniser, ne serait-ce que dans un univers (répétez après moi : "Double Exposure n'est jamais arrivé"). J'ai pu remarquer un clin d’œil à Before the Storm lors d'un dialogue, peut-être y avait-il d'autres références aux autres jeux, mais je ne les connais que de loin.
Je n'étais pas sûre d'aimer l'idée d'introduire de nouveaux personnages avec pouvoirs dans l'intrigue, mais je trouve qu'ici les deux nouveaux ajouts se marient bien avec le thème (l'un peut disparaître, ne plus avoir aucune importance sur le monde qui l'entoure, l'autre peut voir les possibilités, les mondes différents, mais ne peut pas agir sur elleux).
Tout de même un défaut, je trouve les dessins trop figés, pas assez expressifs ou vivants. L'histoire est bonne mais mon appréciation a été diminuée à cause de la forme qui m'a parue parfois un peu molle (surtout le découpage de certains battements dans le premier album). Plusieurs des dessins des couvertures alternatives m'ont parus meilleurs, mais que voulez-vous, ça doit être une affaire de goût.
Il n'empêche, un petit coup de cœur.
Une BD qui se lit le sourire aux lèvres.
Le plaisir de retrouver le duo de Celle qui fit le bonheur des insectes.
Je suis un peu embêté, je ne peux pas vous dévoiler ce qui se cache derrière cette crevette, il faut garder la surprise. Bon d'accord, un indice : il ne s'agit pas du crustacé.
Un Vaudeville à l'ancienne, où l'amour ne sera pas absent, dans le Paris de 1953.
On va côtoyer la lingerie fine dans le magasin la Divine, un magasin dirigé par l'acariâtre Séraphin.
Un album savoureux aux situations cocasses, aux dialogues truculents et aux personnages attachants. Il y a évidemment la jolie Aline (aux seins riquiqui) qui va découvrir le petit secret de son patron, l'exubérante Brigitte à la forte poitrine (bonnet F), mais aussi un mannequin du magasin, le témoin immobile de tout ce petit monde.
Un récit sur un rythme soutenu, à l'humour savamment dosé et agrémenté de la voix off du mannequin.
Et le message de fond pourrait être : ce n'est pas parce que la nature ne vous a pas gâté que vous n'avez pas droit au bonheur.
Un Zidrou en grande forme !
Le dessin de Paul Salomone est toujours aussi beau. Un trait fin, lisible et expressif rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Il magnifie ce Paris des années cinquante.
La mise en page est dynamique.
La couverture avec cette crevette au milieu d'un cœur formé par des soutiens-gorge est un parfait condensé de cette comédie.
Un album qui donne la banane ! ;)
Coup de cœur.
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Ed Gein - Autopsie d'un tueur en série
Inimaginable - Ce tome relate la vie d’Edward Gein (1906-1924) en bande dessinée. La première édition VO date de 2021. Elle a été réalisée par Harold Schechter pour le scénario, et par Eric Powell pour les dessins et les couleurs. C’est un récit en noir & blanc avec des nuances de gris, qui comportent un peu plus de deux cents pages. Il se termine avec deux pages précisant la source de certains faits, un premier appendice constitué d’une interview de George Arndt, et d’une deuxième constitué d’une interview d’Irene Hill Bailey. Le scénariste est un écrivain qui avait déjà consacré un ouvrage à ce tueur en série, au début de sa carrière : Deviant: The True Story of Ed Gein, the Original Psycho, paru en 1998. Basé sur une histoire vraie. On ne peut pas appliquer des critères de moralité à un fou. Le 16 juin 1960, sort le nouveau film du réalisateur Alfred Hitchcock. Après La mort aux trousses, il a fait le pari d’adapter un court roman de Robert Bloch : Psychose, paru en 1959. Le sujet était tellement violent que les studios Paramount ont refusé de la financer et que le réalisateur a dû le financer sur ses fonds propres. Il avait également interdit l’accès aux salles de projections, aux retardataires, et enjoint aux spectateurs de ne pas révéler la fin. Interrogé, il se défendait que son film soit à l’origine de meurtres sur des femmes, car il fallait le regarder avec une touche d’humour, en tout cas il lui en avait fallu pour le faire. Il ajoutait qu’il savait que l’histoire avait été écrite à partir d’un fait réel survenu dans le Wisconsin. Dans le cimetière de Plainfield, situé dans cet état, en 1957, l’équipe du coroner se livre à la tâche peu enviable de rouvrir un cercueil, après avoir établi un cordon de police pour empêcher les curieux et les journalistes d’approcher. Ils répriment un frisson de dégout en découvrant que le cercueil ne contient plus qu’un pied de biche usagé. Mauvais départ : la mère d’Ed lui promet qu’il ne deviendra pas comme les autres hommes, et Dieu lui en est témoin, elle s’en assurera. À la Crosse, dans le Wisconsin en 1904, Augusta Wilhelmine est agenouillée et prie le Seigneur pour son enfant à venir soit une fille. Elle fait l’effort de s’avilir pour se coucher avec son pari George, un bon à rien, et elle se sent trop seule. Elle souhaite avoir une fille pour pouvoir l’élever dans la Foi. Le vingt-sept août 1904, elle accouche d’Edward Theodore Gein. Elle indique à la sage-femme que ce n’est pas la peine d’aller le présenter à son père qui ne saurait pas comment réagir. Elle fait la promesse solennelle de l’élever dans le respect de la parole de Dieu, afin qu’il ne devienne pas un pécheur comme tous les autres hommes. Il a un frère plus âgé : Henry, né en 1901. Dans un premier temps, le couple Gein s’installe dans la petite ville de La Crosse, et parvient à acheter une petite épicerie, qui est mise au nom d’Augusta. Sa façon de juger ses clientes ne va pas dans le sens commerçant. Son époux passe le balai et s’occupe des tâches manuelles, tout en se réconfortant régulièrement avec une lampée d’alcool. L’exercice de la biographie en bande dessinée, n’est pas un exercice facile : doser une reconstruction pas trop académique, mais pas trop dans l’invention, et effectuer une reconstitution historique, exacte, sans qu’elle ne prenne le pas sur la vie de l’individu passé à la postérité. Pour ouvrir leur récit, les auteurs contextualisent la notoriété de ce tueur : il a inspiré, par un roman interposé, le personnage de Norman Bates dans Psychose, film qui a prouvé qu’une histoire consacrée à un assassin dérangé pouvait faire un carton. Dans ces trois pages d’ouverture, le lecteur relève la première avec une reproduction fidèle et précise de la façade du cinéma Demille à New York, à la première dudit film. Savant dosage entre la précision descriptive des traits et l’ambiance apportée par les nuances de gris. La seconde page comporte trois cases, avec un texte assez fourni. Et la troisième est constituée de cinq cases, chacune étant un gros plan sur le bas du visage d’Alfred Hitchcock, de son col de chemise à son cou, les phylactères reprenant ses réponses à un journaliste sur le mauvais exemple que constitue un film et les critiques négatives, réponses très savoureuses. Une façon assez élégante de le mettre en scène en focalisant l’attention du lecteur sur ce qu’il dit, avec ce bas de visage aisément reconnaissable, plutôt que sur son apparence médiatique célèbre au point d’une faire une icône. Deuxième scène introductive trois ans avant lors de l’enquête policière après l’arrestation du tueur. Puis passage au deuxième chapitre en reprenant les choses au début, c’est-à-dire la présentation de la famille Gein et la naissance du benjamin Edward. L’ouvrage se compose de neuf chapitres, avec un prologue et un épilogue. Une fois passé le prologue, ils suivent un ordre chronologique. Dans le premier appendice, le scénariste apporte une précision d’un élément qu’il a modifié pour une raison de dramaturgie, et il indique que le reporter a été créé pour donner un point de focalisation dans la narration. Pour le reste, il s’agit d’un ouvrage basé sur des recherches rigoureuses, indiquant quand il existe plusieurs versions d’un même fait (les causes du décès du frère aîné Henry) ou quand les déclarations d’Ed Gein sont sujettes à caution. Il n’y a pas de volonté de dramatisation pour rendre le criminel plus abject, ou les crimes plus sensationnalistes. Le scénariste s’appuie sur les témoignages d’époque, les archives d’interrogatoire et de procès, les nombreuses déclarations du tueur lui-même, parfois contradictoires entre elles. Les images ne viennent pas démentir ou confirmer des hypothèses, elles participent à rendre compte de cet état de fait. Par la force des choses, il y a beaucoup de gens en train de parler, à la police, au reporter, aux enquêteurs, au juge. L’artiste utilise alors des cadrages allant du plan taille au gros plan. Il a un don pour croquer une gueule avec une émotion ou un état d’esprit. Il évite de forcer le trait pour tomber dans la caricature, tout en insufflant une vraie personnalité à chacun. D’un point de vue purement de narration visuelle, ces cases de têtes en train de parler peuvent induire une forme de pauvreté graphique malgré la qualité des portraits. Cependant, ils correspondent à la situation dans laquelle ces témoignages ont été recueillis. Enfin ce type de plan correspond à moins de vingt pourcents de la pagination. D’un côté, il est vrai que le scénariste a beaucoup d’informations à intégrer à cette reconstitution. De l’autre côté, la narration visuelle donne vie aux individus impliqués, montrent les lieux. Elle place le lecteur aux côtés des policiers qui pénètrent pour la première fois dans la maison du tueur, puis aux côtés d’Ed Gein lorsqu’il donne sa version des faits, pour une reconstitution. Comme le scénariste, le dessinateur ne se complaît pas dans le gore ou dans les détails voyeuristes. Toutefois, il montre ce qui relève des aspects barbares des trophées conservés par cet homme jugé fou. Il ne s’applique pas à transcrire la texture de la peau pour l’abat-jour, mais il représente la ceinture faite de tétons. Le lecteur peut ainsi se projeter dans cette ferme éloignée de la petite ville, participer à une partie de pêche et accrocher son hameçon, aider les voisins pour des petites choses, pleurer sur une tombe à minuit, découvrir les objets macabres et monstrueux dans la maison des Gein, etc. Il se rend compte que les moments les plus monstrueux ne sont pas forcément les actes de barbarie, peu représentés, mais l’expression d’émotions contre nature, comme lorsque le fils aide la mère à s’habiller, ou qu’il se met à saliver devant des photographies de sévices physiques. Au fur et à mesure, se pose la question de fond : Ed Gein était-il fou ? Cela le rendait-il irresponsable de ses actes ? Dans les deux premiers tiers, l’auteur s’en tient aux faits, indiquant quand un doute plane sur l’un d’eux. Il a choisi une interprétation de la personnalité de Augusta Wilhelmine : lui et Powell mettent en scène son autorité et sa ferveur religieuse, ainsi que la faiblesse de caractère de son époux. Au fur et à mesure, il apparaît qu’ils développent une interprétation psychanalytique tranchée. Comme tout être humain, Ed Gein est le fruit de son éducation, des personnes qui l’ont élevé, des adultes qui lui ont servi de modèle, de milieu socio-économique et culturel dans lequel il a grandi. Ils établissent des liens directs de cause à effet, entre certains événements de sa vie, et certains actes qu’il a commis. Le lecteur peut trouver ça évident, ou estimer que la réalité est forcément plus compliquée que ça, que les processus psychiques ne peuvent pas être aussi simples. Dans le même temps, ils ne décrivent pas le mécanisme qui a conduit cet homme à transgresser des tabous au cœur de chaque société humaine. Il y a des conditions qui sont réunies pour que sa façon d’interpréter la réalité soit faussée et orienté, pour qu’il sache comment tanner et conserver une peau, pour se montrer rusé et prudent, pour concevoir des envies monstrueuses. Mais il n'y a pas d’explication du passage à l’acte. Il y a une pulsion irrépressible que Ed Gein ne sait pas gérer autrement que par s’y adonner. Raconter la vie d’un tueur immonde sous la forme d’une bande dessinée : un pari très risqué car ce média peut s’avérer très littéral dans sa manière de raconter, très descriptif au point de sous-entendre que les faits se sont bien passés comme ils sont dessinés qu’ils sont réductibles à ce qui est montré. Un amateur de bande dessinée peut trouver certains passages un peu lourds en texte, ou statiques en termes de mise en scène. Dans le même temps, il est rapidement impressionné par la capacité de l’artiste à insuffler de la vie dans chaque personnage, sans les caricaturer, à reconstituer une époque et un environnement, dans un savant équilibre évitant la description figée, et l’évocation sans substance. Même s’il n’est pas entièrement convaincu par la façon de d’expliquer une partie des pulsions de Ed Gein, le lecteur est vite fasciné par la reconstitution de sa vie, par l’horreur de ce que découvrent les enquêteurs, par la question insoluble de la santé mentale de cet individu. Il en ressort à la fois écœuré par la nature des meurtres et la confection d’objets macabres, et très déstabilisé par le questionnement sur la responsabilité de cet individu.
Le Serpent et le Coyote
Une fois de plus, je partage l'avis de Noirdésir ! ;-) J'ai passé un très bon moment avec ce western moderne. Certes, il y a quelques redondances avec les échanges entre le protagoniste et son petit compagnon, mais ça passe bien, ça vient ponctuer comme une morale chaque péripétie (ça reste du Matz quand même, il faut bien qu'il fasse quelques grandes phrases) et l'animal a une bonne bouille... L'histoire est intéressante et instructive (avec cet historique de la protection des témoins), la tension est palpable et l'action, si on met de côté les flash-back, est finalement ramassée (quelques jours qui se concentrent autour du procès). J'ai apprécié le découpage cinématographique, les clins d'oeil réjouissants au fil des pages, l'ambiance réussie des années 60-70 avec des marqueurs de l'époque habilement parsemés ici ou là, des personnages consistants et un dessin que personnellement j'ai beaucoup aimé (les paysages notamment sont superbes, la compagne de Giu' aussi) c'était chouette ! Certains ont évoqué une histoire qui s'étirait un peu, mais pour ma part, j'aurais pu suivre encore le parcours du camping-car de Giu' dans ces grands espaces lumineux et arides, même si là encore, je trouve la conclusion très satisfaisante.
Centaurus
A chaque fois c’est pareil ! Quand je vais au festival d’Angoulême, pas moyen de trouver une seule personne durant les 4 jours du festival, adepte du génialissime Léo. Pas grave au final car je vais rester sur mes positions et je ne vais surtout pas renier mes goûts. N’en déplaise donc à mes détracteurs – j’ai les noms – avec Centaurus nous voilà de nouveau dans un monde imaginé par Léo et son colistier habituel Rodolphe. Petite précision sur cette série Léo n’est pas au dessin mais au scénario avec son complice. Les illustrations ont été confiées à Zoran Janjetov qui reprend habilement le style Léo. Le décor est planté dés le premier album. Nous sommes transportés dans un futur où l'humanité, à bord d'un gigantesque vaisseau-monde, cherche une nouvelle planète habitable après la destruction de la Terre. "Terre promise" : Le premier tome nous plonge immédiatement dans une intrigue palpitante et les défis auxquels les personnages doivent faire face. Le vaisseau-monde arrive enfin à proximité de Vera, une planète potentiellement habitable. L'équipage est envoyé en reconnaissance, découvrant un monde mystérieux et dangereux "Terre étrangère" : L'équipe d'exploration découvre que Vera est peuplée de créatures étranges et hostiles. Ils doivent naviguer dans cet environnement inconnu tout en essayant de maintenir la communication avec le vaisseau-monde. "Terre de folie" : Les tensions montent à bord du vaisseau-monde alors que les explorateurs rapportent des découvertes troublantes. Les mystères de Vera commencent à se dévoiler, révélant des secrets qui pourraient changer le cours de l'humanité. "Terre d'angoisse" : Les explorateurs font face à des dangers encore plus grands alors qu'ils approfondissent leurs recherches sur Vera. Le suspense est à son comble alors que les personnages luttent pour survivre et comprendre les mystères de cette nouvelle planète. "Terre de mort" : Le dernier tome de la série est un crescendo d'action et de révélations. Les explorateurs doivent faire face à des défis mortels pour sauver l'humanité et découvrir la vérité derrière les mystères de Vera. Vous ne pouvez lire ces 5 albums d’une seule traite. L’exaltation est bien présente. Que dire des paysages fantastiques et de sa faune mystérieuse. Un régal pour les yeux. Le suspens est bien là tout au long de votre lecture. La fin nous invite à découvrir encore et encore de nouveaux mondes. C’est de nouveau un chef-d’œuvre de la science-fiction, qui saura toucher les lecteurs les plus exigeants et les passionnés de récits interstellaires.
Oum Kalsoum - L'Arme secrète de Nasser
Ce treize novembre, Bruno Coquatrix se félicite de n’avoir pas cédé à la raison. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, de nature historique. Sa première édition date 2024. Il a été réalisé par Martine Lagardette pour le scénario et les dialogues, et par Farid Boudjellal pour les dessins et les couleurs. Il comprend environ cent-soixante-dix pages de bande dessinée. Il se termine par une page recensant une vingtaine de sources bibliographiques, un dossier de huit pages présentant quelques fragments des années d’errance des auteurs pendant la conception de l’album. Il est rarement question de hasard et de music-hall lorsque l’on évoque la politique étrangère des nations, excepté quand ils accomplissent des prodiges. Pour comprendre ce qui suit, il faut remonter au 26 juillet 1966, date choisie par Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia, pour se rendre en Égypte. Ce jour-là, au Caire, le cœur des Égyptiens bat très fort. Le pays fête les dix ans de la nationalisation du canal de Suez. Dans un avion, Bruno Coquatrix discute avec Jean-Michel Boris et Odile. Ils évoquent le mauvais rôle joué par la France, et le départ effectif des étrangers à l’époque. Le directeur de l’Olympia conclut qu’il vaut mieux laisser le passé aux historiens, et la scène aux artistes. En descendant de l’avion, il estime que les festivités, c’est bien, mais qu’ils ne sont pas en vacances. Leur Olympia est un ogre, il lui faut du sang frais. Ils ne disposent que de trois jours, c’est peu pour trouver de nouveaux talents. Odile lui précise que le rendez-vous avec le ministre Okacha est confirmé, mais le jour et l’heure ne lui ont pas été précisés. Elle ajoute que l’Égypte est l’école de la patience. Dans l’aéroport, ils sont attendus et pris en charge par Mohamed qui leur confirme que monsieur Okacha les recevra demain matin. Il les conduit à leur limousine : il ne faut pas perdre de temps, il y a beaucoup de circulation en ville et ils sont attendus à leur hôtel pour des commémorations. Le Hilton a prévu un dîner suivi d’un spectacle. Pendant le trajet en voiture, ils peuvent voir la foule manifester à travers les vitres de l’habitacle. Mohamed confirme que Monsieur Okacha est impatient de faire la connaissance de Coquatrix et de ses amis. Le ministre n’a entendu que des éloges de leur festival égyptien l’année dernière. Pour le prochain, il est prêt à les aider. À cet effet, Mohamed a établi une liste des artistes à auditionner, tous excellents. Il espère que son choix conviendra au directeur de l’Olympia. L’assister est un honneur pour lui. Il a découvert l’Olympia quand il étudiait à Paris. Il s’était ruiné pour aller voir Dalida. Après ça, il avait mangé du pain trempé dans du café au lait le reste du mois. Il indique qu’ils arrivent à la fin des manifestations, comme ils peuvent le constater, les Égyptiens sont fougueux. La discussion continue, et Coquatrix en vient à indiquer que plusieurs des artistes se produisant à l’Olympia sont nés en Égypte : Guy Béart, Richard Anthony, Georges Moustaki. Il n’a pas choisi par hasard cette destination pour voyager. Il avoue que leurs récits y sont pour quelque chose. Mohamed explique que Nasser n’a pas eu le choix, concernant la nationalisation du canal de Suez. Une bande dessinée à la pagination copieuse, pour évoquer un concert (deux en fait) qui a fait date dans l’histoire de l’Olympia et en France. Le titre complet évoque également la dimension politique avec le nom de Gamal Abdel Nasser Hussein (1918-1970), second président de la République d’Égypte. Cette dernière se trouve au cœur du récit : la nationalisation du canal de Suez est mentionnée dès la première page pour l’anniversaire de ses dix ans. Bruno Coquatrix a rendez-vous au Caire avec Sarwat Okacha (1921-2012) le ministre égyptien de la Culture de 1958 à 1961, puis de 1966 à 1970. Au cours de la bande dessinée, le lecteur se retrouve dans le bureau du Général Charles de Gaulle (1890-1970) président de la République française de 1959 à 1969, en présence du ministre de la Culture André Malraux (1901-1976). Il est question à plusieurs reprises de Nasser. Pour assurer la sécurité de la diva sur le sol français, le Général assure Malraux de l’aide de Maurice Grimaud (1913-2009, préfet de police de Paris), de Louis Amade (1915-1992, préfet hors cadre), ou encore de Maurice Couve de Murville (1907-1989, premier ministre de 1968 à 1969). Dans ces moments, le choix graphique de l’artiste prend tout son sens : réaliser des images qui font penser à des photographies en noir & blanc dont le contraste aurait été poussé à fond, puis habillées de nuances de gris en dégradé parfois lissé. Ainsi il peut rendre compte de ces moments d’actualité de manière authentique. Pour autant, il s’agit avant tout de l’histoire de deux soirées de gala, dans une des salles de spectacle les plus célèbres de Paris. L’Olympia situé 28 boulevard des Capucines, inauguré 11 avril 1893, créé par Joseph Oller (1839-1922, Josep Oller i Roca), et consacré majoritairement à la chanson à partir de 1954, avec la nomination de Bruno Coquatrix au poste de directeur. Pour réaliser cet album, les auteurs ont bénéficié des souvenirs de Doudou Morizot, régisseur général de l’Olympia à partir de 1956, et responsable du suivi lumière de la Diva pour ses deux concerts, ainsi que de ceux de Jean-Michel Boris, directeur artistique et bras droit de Bruno Coquatrix, et enfin de ceux de Jeanne Tallon, ouvreuse puis directrice de salle. Au fil de la période évoquée, le lecteur peut voir s’y produire ou venir en spectateur : Édith Piaf (1915-1963, seulement sur une affiche), Claude François (1939-1978, en train de répéter, au bar), Charles Aznavour (1924-1918), Johnny Halliday (1943-2017), Sylvie Vartan (1944-), Dalida (1933-1987), Otis Redding (1941-1967), les Rolling Stones, Amália Rodrigues (1920-1999), Sammy Davis Jr. (1925-1990), Brigitte Bardot (1934-, au bar de Marilyn), James Brown (1933-2006), et de nombreux autres. À nouveau, le mode de représentation de type photoréaliste fait des merveilles pour intégrer toutes ces personnalités de manière organique dans la narration, à partir de références photographiques. Cela permet de les mettre en scène conformément à leur image médiatique, générant ainsi un écho naturel avec la représentation mentale qu’en a le lecteur. Le lecteur ressent également que le dessinateur a sérieusement étudié la disposition des locaux de l’Olympia et qu’il la restitue avec rigueur, ainsi que sa décoration de l’époque. Déjà bien fourni avec la dimension politique et la dimension culture populaire, le fil directeur du récit se déroule autour de l’organisation des deux concerts d’Oum Kalsoum à l’Olympia. Le voyage du Directeur de l’établissement au Caire l’amène à se fixer cet objectif, tout en ayant conscience du statut de diva de la chanteuse, et de son engagement politique auprès de Nasser. L’histoire se compose de quatorze chapitres de longueur variable (de deux à vingt-quatre pages), chaque titre comprenant un repère chronologique : Le Caire (juillet 1966), La dame du Nil (27 juillet 1966), Boulevard des Capucines (décembre 1966), Palais de l’Élysée (janvier 1967), Diplomatie acte I (février 1967), Turbulences (mars, avril, mai 1967), La blessure (juin 1967), Le doute (octobre 1967), Diplomatie acte II (octobre, novembre 1967), L’arme secrète de Nasser (8 novembre 1967), Olympia forever (9 novembre 1967), Oum Kalthoum, Umm Kulthumm ? (12 novembre 1967), Tarab (13 novembre 1967), Diplomatie acte III (16 novembre 1967). Incroyablement servi par les illustrations qui rendent concrète cette époque, qui font œuvre d’une reconstitution tangible et vivante, la scénariste peut faire vivre son sujet sur encore d’autres plans. Du début à la fin, le lecteur suit le déploiement d’efforts considérables pour ce projet risqué, par Bruno Coquatrix (1910-1979), âgé de cinquante-six ans à l’époque, très élégant, fumant régulièrement le cigare, au four et au moulin les soirs de spectacle à l’Olympia, ménageant et flattant les vedettes avec un savoir-faire niveau expert dans le compliment juste et valorisant. Le lecteur s’attache à lui, admiratif de son implication, sans borne, partageant ses inquiétudes et même ses angoisses, se prenant à souhaiter ardemment la réussite de son entreprise, alors même qu’il sait que ces concerts ont eu lieu. À chaque étape, la narration visuelle immerge le lecteur dans chaque lieu, au milieu des vedettes et des artistes, aussi bien au cœur de l’Olympia que dans les rues du Caire ou de Paris. La mise en scène s’effectue souvent sur les deux pages en vis-à-vis, avec des prises de vue élaborées qui montrent les foules, les individus, les activités, les émotions. Et puis il y a Oum Kalsoum. Et sa musique. Les auteurs vont au-delà d’un simple reportage journalistique, ou de la reconstitution d’un projet de concert. Ils évoquent la versant artistique : les facettes de diva de la chanteuse, ainsi que l’effet produit par son chant, l’adoration de ses admirateurs, sa position sociale, sa liberté d’artiste, y compris de femme dans la société de l’époque. Ils présentent les différents artistes égyptiens se produisant au Caire lors de la visite de Bruno Coquatrix et de Jean-Michel Boris, ainsi que les compositeurs. Lorsque le concert commence, ils présentent les différents musiciens, un par un, avec une ou deux phrases sur leur parcours, leur reconnaissance. Ils évoquent le mindile (tissu en mousseline de soie) d’Oum Kalsoum, Said el Tahan (le plus grand admirateur de la Dame), le nombre de chansons interprétées, la déclaration politique du journaliste Galal Moawad à l’entracte, l’incident avec le jeune homme enivré par les vocalises de la Dame qui monte sur scène et se jette à ses pieds, la ferveur du public, etc. À l’opposé d’un compte-rendu technique et clinique, le lecteur ressent ce moment, et il lui tarde de se jeter sur une application pour entendre ou réentendre des enregistrements de la quatrième pyramide d’Égypte. S’il le souhaite il peut lire auparavant Oum Kalthoum - Naissance d'une diva (2023), par Chadia Loueslati & Nadia Hathroubi-Safsaf, une introduction légère, pour faire connaissance avec la Perle du Nil. Wouaahhh !!! Applaudissements nourris ! Une bande dessinée exceptionnelle pour découvrir l’envergure de la venue d’Oum Kalsoum pour se produire à Paris les 13 et 15 novembre 1967. La narration visuelle revêt une apparence de type photographique capturant au mieux la réalité de l’époque, que ce soit les lieux ou les personnalités, avec une mise en scène variée et sophistiquée donnant vie à chaque séquence, quelle qu’en soit la nature. Les auteurs ont souhaité réaliser une bande dessinée avec une approche holistique, rendant compte des différentes dimensions de l’événement : historique, politique, culturelle, artistique. Une réussite totale qui implique le lecteur, dans une reconstitution vivante de l’époque, lui donnant une envie irrépressible d’écouter l’Astre d’Orient.
HSE - Human Stock Exchange
Malgré son concept fort, j'avoue n'avoir pas été immédiatement séduit par cette série. Le premier tome fonctionne, mais en choisissant de nous immerger très progressivement dans son univers, met du temps à faire démarrer l'intrigue. On se perd un peu dans le jargon technique, dans les échanges financiers, et on se demande si on va arriver à suivre. Et puis le tome 2 arrive, et là, on sait qu'on va adorer. Le récit s'envole, les personnages se creusent, et les tournants pris par la narration deviennent un peu moins prévisibles, presque surprenant par moments. Et surtout, Dorison sait exploiter à 200% le fond de son sujet ! Après son premier tome d'exposition, il pose les vrais dilemmes dans ce tome 2 assez brillant, on comprend mieux où il veut nous mener. A ce titre, l'implacable tome 3 clôt merveilleusement la série, d'une manière parfaitement cohérente, toujours avec la profondeur qu'on attend d'un tel récit dystopique. La réflexion sur l'humanité, le libre arbitre, et notre avenir est vraiment bien menée et nous pose de vraies questions, sans que jamais, on ne se fasse écraser par un didactisme pesant. Le dessin d'Allart est très efficace et participe bien à nous immerger dans cet univers d'hypocrisie et de faux-fuyants. De belles couleurs, un trait souple, un réalise jamais excessif, on y est, on y croit. Bref, tout cela est très beau, et si, finalement, je n'ai eu qu'une petite réserve à la fin de cette lecture, c'est que, quelque part, j'ai eu un peu l'impression d'avoir déjà vu cette histoire. Le lien n'est pas évident de prime abord, mais quand on a vu The Truman Show, il est vraiment difficile de ne pas y voir de grosses résonances avec le tome 3. On est loin du plagiat, bien évidemment, mais tout de même, les parallèles sont très nombreux, même si j'éviterai de les lister ici pour ne pas gâcher la surprise d'éventuels futurs lecteurs. Ce rapprochement un peu trop évident à mes yeux, est loin de disqualifier la série, mais cela lui enlève ce petit côté vraiment unique qui caractérise les grands chefs-d'œuvre. En l'état, on a déjà une excellente trilogie, agréable à lire, et très bien menée, qui nous fait déjà envisager avec le plus grand plaisir la perspective de la relire un jour. C'est déjà énorme.
Betty Boob
Waw, très simple mais une belle claque quand-même ! Betty Boob c'est une histoire (semi) muette parlant de deux choses : le cancer et le rapport au corps (particulièrement ici le corps féminin). Notre protagoniste, dont nous ne connaissons pas le réel prénom, perd son sein et ses cheveux à cause d'un cancer et doit apprendre à vivre sa vie après cela. Elle souffre de son image, son petit ami a du mal à la regarder dans les yeux, ne la désire plus, elle se sent observée et jugée partout où elle va, elle tente désespérément de trouver un moyen de récupérer son sein, … Jusqu'à ce que, finalement, elle tombe sur une troupe de cabaret burlesque qui décide de la prendre sous son aile. Là, parmi d'autres femmes aux corps hors normes (en surpoids, à la poitrine plate, avec une prothèse de jambe, avec beaucoup de tatouages, …) elle va enfin apprendre à ne plus subir les conséquences de sa maladie et, mieux encore, apprendre à aimer son corps et reprendre le contrôle de sa vie. C'est très beau. D'une part visuellement, le dessin de Julie Rocheleau est travaillé, possède une belle patte et elle se permet de jouer avec les couleurs et la représentation fantasque pour illustrer ses scènes. Mais le fond est tout aussi joli. J'aime beaucoup le sujet du corps, de la perception que nous avons de ne corps et du rôle qu'elle joue sur notre bien être. Tout ce propos sur le corps féminin, particulièrement enfermé dans des standards de beautés strictes dans notre société, et ce rejet et cette difficulté à accepter les corps hors-normes, sortant des carcans, m'a profondément parlé. Et l'aspect très positif, très doux et bon enfant du récit, qui parvient à aborder des moments durs (comme l'abandon d'êtres chers ou encore les stigmates de la maladie) tout en gardant ce ton léger et optimiste... moi ça me touche sincèrement. L'histoire est fantasque à souhait, laissant volontiers le réalisme pour l'illustration rêveuse et le symbolique, et ça ça marche très bien sur moi. Un coup de cœur et une lecture recommandée pour ma part.
Jolies ténèbres
Alors ça, c'est glauque à souhait. Jolies ténèbres, c'est un conte macabre, un récit fantastique mêlant les joies enfantines aux horreurs plus sombres et cruelles du monde réel. Tout commence dans l'esprit d'une jeune fille… morte. Oui, ici, nous allons suivre des petits êtres humanoïdes tout droit sortis de l'imaginaire d'une enfant et qui vont devoir tenter de survivre hors de sa tête lorsque celle-ci meurt en pleine forêt dans des circonstances inconnues. Le sujet, en réalité, ne sera pas la mort de la jeune fille en elle-même (si ce n'est à la rigueur que tout ce récit pourrait être interprété comme une métaphore pour la mort symbolique de l'enfance et un passage forcé et dramatique à l'âge adulte et ses horreurs plus froides). Ici, nous allons suivre ces petits personnages à l'apparence si innocente progressivement se transformer en monstres. Vols, inégalités, meurtres, survie en milieu hostiles, … On comprend très rapidement que l'on ne nous raconte pas ici une histoire joyeuse. Comme le nom de l'album l'indique, nous avons ici un croisement du beau, du mignon, de l'idéal (de l'idéalisé, même) et du terrifiant, du monstrueux, du froid, du réel. Seuls une poignée de personnages semblent objectivement sympathiques, mais bien évidemment, comme souvent dans ce genre de récit, ce sont elleux qui subiront les pires tragédies. Aurore, notre protagoniste, est une jeune rêveuse, souhaitant l'entraide, la paix avec les animaux et tout simplement que tout le monde puisse vivre en harmonie. Cette histoire est celle de ses désillusion, de la perte de son innocence, de sa découverte presque trop cruelle des pires aspects de l'humanité. Elle qui n'était qu'une sorte de poupée idéalisée au début, ne rêvant que de fêtes, de thés et de son beau prince, elle finira traumatisée, froide, monstrueuse à son tour. L'album retourne, met sincèrement mal à l'aise par moment, et surtout réussi son pari de faire de ce récit une rencontre entre une leçon de vie poétique et imagée et une version horrifique du roman "Les Chapardeurs" de Mary Norton. Le dessin de Kerascoët est, comme toujours, très beau. Iels arrivent toujours à donner des visages et des apparences adorables à leurs personnages, ce qui aide beaucoup pour le contraste avec les évènements affreux que ces petits êtres vivent. Les dernières planches beaucoup plus froides et terrifiantes m'ont vraiment bluffée. L'album m'a sincèrement retournée. C'est glauque, prenant, angoissant, … La lecture est on ne peut plus recommandée pour moi.
Post Americana
Vivre avec / Vivre contre - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, qui n'appelle pas de suite. Il regroupe les sept épisodes de la minisérie, initialement parus en 2021, écrits, dessinés et encrés par Steve Skroce qui a également réalisé les couvertures. La mise en couleurs a été réalisée par Dave Stewart, et le lettrage par le studio Fonografiks. Nathaniel Hawkthorne, le président des États-Unis, s'adresse à son peuple depuis son pupitre, avec le drapeau américain derrière lui. Il se trouve dans un énorme hangar souterrain militaire, devant des civils assis, avec des militaires debout, et de nombreux avions de chasse, ainsi que des chars occupant l'immense espace. Le temps est venu pour le peuple de la Bulle de reconquérir le territoire de la nation. Après un sabotage de grande ampleur il y a quelques années, leur arsenal est revenu au plus haut niveau, grâce à une reconstruction automatisée. Il est certain que ce projet de reconstruction est le bon, c'est ce qu'il lit dans le regard des civils assis, dans celui des soldats, et même celui des anciens rebelles en tenue orange qui ont finit par se soumettre. La ville rutilante n'est plus que ruines, mais les fondations sont encore solides : il est temps que d'ensemencer pour que quelque chose de plus beau puisse prendre racine. Dans le même temps, deux individus, Dom et Mike, ont réussi à s'infiltrer dans une autre partie du hangar et ils se mettent à trafiquer un avion. Ils sont repérés par deux soldats. Comprenant qu'ils ont été identifiés comme des rebelles, les deux hommes dégainent et abattent les deux soldats. Le président a entendu les coups de feu et ordonnent aux soldats d'intervenir sans faire de prendre de prisonnier. Dom et Mike sont parvenus à s'installer au poste de pilotage de l'avion, mais les balles commencent à fuser. Dans l'étage supérieur, quatre autres rebelles contemplent la situation et savent ce qu'il leur reste à faire : déclencher l'explosion des charges même s'ils se trouvent en plein dans leur champ d'action. Les deux rebelles profitent de l'explosion pour décoller et sortir de cette gigantesque base installée au cœur du mont Cheyenne dans le Colorado. Malheureusement l'appareil a été touché et ils vont devoir se poser rapidement. Dans un campement non loin de là, Rudy, un individu chétif avec des plaques de rougeur sur le corps, accueille Carolyn, pendant qu'un petit groupe regarde un dessin animé en plein air, mettant en scène les superhéros Night Terror et Don. Il s'adresse à une jeune femme peu commode qui explique qu'elle est venue parler à leur chef F.F. Celui-ci arrive en volant grâce à un exosquelette et ordonne à Rudy d'aller voir ailleurs vite, parce que ses talents de cannibale n'apportent pas grand-chose à la communauté. Puis il s'adresse à Carolyn, lui indiquant qu'il apprécie ses talents et qu'il souhaite l'aider à les mettre à profit de la communauté. de manière peut-être ironique, elle répond qu'elle est touchée de pouvoir interagir à haut niveau avec le vrai responsable. Soudain, quelqu'un pointe du doigt un aéronef dans le ciel qui semble proche de se crasher. Après Maestros (2018) et une histoire de magie, Steve Skroce réalise une nouvelle histoire entre science-fiction et anticipation : la civilisation s'est écroulée, une communauté a survécu dans un environnement protégé, avec toute la modernité technologique préservée et automatisée. Il est temps pour l'autorité légitime des États-Unis de reconquérir le territoire et de rebâtir la nation. Oui, ça commence comme ça, mais le personnage identifié comme le héros s'oppose à cette campagne militaire. Le créateur ne fait pas les choses à moitié : il donne à voir ce futur du vingt-troisième siècle dans le détail, sans ménager sa peine. La vision panoramique de l'énorme caverne impressionne le lecteur : le nombre d'avions, les citoyens assis sur des rangées de chaises bien alignées, l'uniforme des soldats, la tenue des prisonniers, avec des visages tous différents. Le lecteur un peu plus exigeant relève que la caverne comprend également des installations techniques permettant la sortie et la rentrée des avions, la place pour qu'ils puissent évoluer. Ce n'est pas un dessin effectué sous le coup de l'inspiration, mais une installation pensée pour être fonctionnelle. Après cette entrée en matière qui en jette, le lecteur se demande si l'investissement de l'artiste va baisser ou va rester de même niveau au fil des épisodes. Il obtient la réponse très rapidement : il n'y a pas de scène sacrifiée, ou de passage en mode expéditif. Ainsi le lecteur va pouvoir se projeter dans plusieurs endroits de la Bulle, l'environnement dans le Mont Cheyenne évidé, comme la zone de plage, la fabrique automatisée de drones, la salle de commandement militaire, les serres hydroponiques, le restaurant haut de gamme, les cascades intérieures, les nurseries, et même un plan holographique de l'ensemble des installations de la Bulle. Il peut satisfaire sa curiosité en prenant le temps de détailler les caractéristiques d'autres lieux : le camp de F.F. mettant à profit des bâtiments abandonnés, avec son arène pour des affrontements sanglants et son sol tapissé d'ossements, ses enclos à prisonniers, la ville préservée d'où est originaire Carolyn, une mégapole dont les gratte-ciels s'écroulent, sans oublier les installations très inattendues des studios Wonder à Hollywood. L'artiste se montre d'une inventivité tout aussi généreuse pour les véhicules, les armes, les accessoires, les personnages tout du long : le harnais de vol autonome, des prothèses remplaçant des membres perdus, des simulateurs de plaisirs pour le pénis, un 4*4 vraiment tout terrain, des bolas réalisés avec des têtes humaines, des droïdes de combat, des animatronics, des poulets particulièrement agressifs. Le lecteur se rend également compte qu'il y a des éléments visuels nouveaux dans chaque épisode, que le dessinateur n'attire pas l'attention dessus de manière ostentatoire ou démonstrative. Il reste donc libre d'y prêter attention ou non, et ça vaut le coup : impossible d'oublier la veste et la chemise en peau humaine en dernière page de l'épisode 1. En fonction de sa culture comics, le lecteur peut y voir un clin d’œil à la série Crossed de Jacen Burrows et Garth Ennis. Dans la silhouette en ombre chinoise en dessin en pleine page à la fin de l'épisode 2, il peut voir un hommage au Dark Knight de Frank Miller. À chaque fois, il s'agit d'une influence bien assimilée, par d'un ersatz pour rendre la page plus intéressante. Il apparaît rapidement que le scénario est aussi dense que le sont les dessins. le premier épisode propose un point de départ simple : une version totalitaire d'un gouvernement sans légitimité aucune (et certainement pas démocratique) s'apprête à pratiquer la politique de la terre brûlée en annihilant toutes les communautés sur le territoire pour en devenir maître et rétablir une société favorisant les nantis. Deux rebelles vont tenter de stopper cette machine de guerre. Bien sûr, Dom et Mike vont faire l'expérience désagréable de la réalité : les communautés à l'extérieur ne sont pas démocratiques non plus, et pratiquent la politique du plus fort également. Dans l'épisode 1, le président des États-Unis par défaut revient sur une partie de l'historique de la situation actuelle, à l'occasion de son discours sur deux pages. Mike explique la situation de la Bulle à Carolyn lors d'une page d'exposition bien fournie. C'est un peu lourd comme mode de présentation mais ça passe vite. Dans l'épisode 2, le président fait un nouveau discours de deux pages pour en dire plus sur l'actualité, et le lecteur tombe des nues en découvrant le secret de Carolyn. Dans l'épisode 3, nouvelle ville et informations complémentaires sur l'arrivée de l'élite dans la bulle, l'accession au pouvoir de Nathaniel Hawkthorne, dans des planches bien fournies en texte et en illustrations. Steve Skroce ne se moque pas du lecteur : il n'a pas étiré son intrigue sur 7 épisodes, il a même du mal à tout faire tenir en seulement 7 épisodes. Cette histoire accroche de suite le lecteur pour sa narration graphique évoquant par moment la minutie de Geoff Darrow, parfois l'élégance de Frank Quitely, parfois la froideur descriptive de Jacen Burrows, en conservant toujours la personnalité propre de Skroce. Ce récit post apocalyptique contient de nombreux éléments spécifiques, et montre des combats brutaux et soignés, ce qui le place au-dessus du tout-venant des comics de ce genre. Plusieurs éléments relevant de l'humour noir et même macabre, avec une touche de gore, viennent relever le plat. Il y a également quelques touches d'humour moins sanglant, en particulier un petit doigt de pied espion irrésistible. Le fond de l'histoire ne se réduit pas à un affrontement manichéen entre des bons et des méchants, chaque faction ayant la conviction d’œuvrer pour le bien général. Le lecteur sourit en découvrant la forme de patriotisme du président en place, le fait qu'il ne tire pas légitimité d'une élection, sa vision impérialiste de la domination de l'élite. Il se rend compte que ce qui s'avère encore plus dérangeant réside dans le fait que les habitants de la Bulle n'ont aucun mérite : ils se sont installés dans cette énorme base, prête à l'emploi sans avoir aucun effort à faire, tout étant automatisé, et ne s'attribuant comme seule responsabilité que de survivre en prenant du bon temps. Par la force des choses, la communauté cannibale ne présente pas de valeur morale digne d'admiration. La douceur de vivre de la communauté d'où est originaire Carolyn a un coût. La société des studios Wonder a son propre objectif qui exclut également une partie significative de la population encore en vie. Pour autant, le scénariste ne verse pas non plus dans le Tous pourris, et l'évolution de la situation se fait au travers d'un effort collectif. En cherchant plus loin, le lecteur constate que les individus ayant combattu dans le conflit en portent les stigmates. En continuant sur cette lancée, le lecteur constate que ce qui différencie les factions en présence, c'est leur façon d'envisager la société : soit Vivre contre une autre communauté (ou plusieurs), soit chercher des solutions pour Vivre avec. Au vu de la couverture, le lecteur se prépare à une lecture détente, de combats brutaux dans une société post apocalyptique. Son horizon d'attente est comblé au-delà de ses espérances, car Steve Skroce investit du temps dans la conception de ce futur peu engageant et dans sa représentation détaillée. L'humanité étant ce qu'elle est, les profiteurs sont toujours de ce monde, et en plus, ils ont les armes de leur côté. Au fur et à mesure que les conflits progressent, l'intrigue prend de l'ampleur et le propos se révèle plus sophistiqué que prévu, plus intelligent et plus constructif également. Dans un divertissement de haut vol, l'auteur met en œuvre le principe qui devrait être évident que vivre en société, c'est vivre avec les autres, et pas contre les autres.
Life is strange
Bon, Life is Strange, à la base - à la toute base- c'est un jeu vidéo sorti en 2015 et qui raconte l'histoire de Max, une étudiante en photographie qui va gagner du jour au lendemain la capacité de rembobiner le temps. Le jeu est une sorte de film interactif dans lequel l'importance des choix, les conséquences de ces choix et le champs des possibles sont au centre de la narration. C'est un jeu qui parle de la vie, de l'importance de nos choix et de ce qu'ils font de nous, dans une ambiance très nostalgique et mélancolique (avec aussi beaucoup de drames). Ce jeu a été un de mes premiers coups de cœur vidéoludiques à sa sortie (et toujours un de mes préférés) et je ne peux que vous conseiller d'y jouer. Suite à son succès, une sorte de franchise est née, chaque nouvel opus vidéoludique se centrant sur un personnage ayant toujours deux points communs avec les autres : iels sont jeunes et iels ont un pouvoir très puissant (sauf deux exceptions). De tous ces autres, je n'ai joué qu'à Before the Storm, une préquelle au premier Life is Strange centré sur Chloé. Pourquoi est-ce que je vous parle de tout ça ? Parce qu'ici, on se centre sur Max et Chloé, les personnages principaux de ce premier opus, des personnages que j'aime, auxquels je suis très attachée et que cette série se veut être une continuation narrative du jeu. Comment faire suite à un jeu où tout le sel vient du fait que de nombreux embranchements sont possibles et que donc plusieurs conséquences existent ? Eh bien, ici, fort heureusement, on a une solution en béton : Max, notre voyageuse temporelle. L'intrigue de cette série part du fait que Max, toujours hantée par les évènements du jeu, commence à vivre ce qu'elle appelle des battements, elle glisse petit à petit dans d'autres univers, des réalités créées à partir de choix différents. Sujet parfaitement en accord avec le jeu et les personnages donc. J'ai trouvé tout ce sujet du deuil et du fait d'aller de l'avant, ou plus précisément de murir après avoir vécu quelque chose d'affreux, très bon. Là encore, nos personnages mûrissent en apprenant qu'au delà de l'importance de nos choix sur notre avenir, nos choix passés font en réalité de nous ce que nous sommes aujourd'hui. Au delà du fait que le sujet et l'histoire sont bon-ne-s, je suis aussi comblée en tant que passionnée du jeu de base. Je retrouve des personnages qui me sont chers, je peux voir la continuation de leur évolution, les voir vivre les conséquences des évènements du jeu, je peux aussi voir du Pricefield canon ! Bah ouais, j'ai été biberonnée à ce ship, laissez-moi apprécier le fait d'avoir une autre œuvre de la licence les canoniser, ne serait-ce que dans un univers (répétez après moi : "Double Exposure n'est jamais arrivé"). J'ai pu remarquer un clin d’œil à Before the Storm lors d'un dialogue, peut-être y avait-il d'autres références aux autres jeux, mais je ne les connais que de loin. Je n'étais pas sûre d'aimer l'idée d'introduire de nouveaux personnages avec pouvoirs dans l'intrigue, mais je trouve qu'ici les deux nouveaux ajouts se marient bien avec le thème (l'un peut disparaître, ne plus avoir aucune importance sur le monde qui l'entoure, l'autre peut voir les possibilités, les mondes différents, mais ne peut pas agir sur elleux). Tout de même un défaut, je trouve les dessins trop figés, pas assez expressifs ou vivants. L'histoire est bonne mais mon appréciation a été diminuée à cause de la forme qui m'a parue parfois un peu molle (surtout le découpage de certains battements dans le premier album). Plusieurs des dessins des couvertures alternatives m'ont parus meilleurs, mais que voulez-vous, ça doit être une affaire de goût. Il n'empêche, un petit coup de cœur.
La Crevette
Une BD qui se lit le sourire aux lèvres. Le plaisir de retrouver le duo de Celle qui fit le bonheur des insectes. Je suis un peu embêté, je ne peux pas vous dévoiler ce qui se cache derrière cette crevette, il faut garder la surprise. Bon d'accord, un indice : il ne s'agit pas du crustacé. Un Vaudeville à l'ancienne, où l'amour ne sera pas absent, dans le Paris de 1953. On va côtoyer la lingerie fine dans le magasin la Divine, un magasin dirigé par l'acariâtre Séraphin. Un album savoureux aux situations cocasses, aux dialogues truculents et aux personnages attachants. Il y a évidemment la jolie Aline (aux seins riquiqui) qui va découvrir le petit secret de son patron, l'exubérante Brigitte à la forte poitrine (bonnet F), mais aussi un mannequin du magasin, le témoin immobile de tout ce petit monde. Un récit sur un rythme soutenu, à l'humour savamment dosé et agrémenté de la voix off du mannequin. Et le message de fond pourrait être : ce n'est pas parce que la nature ne vous a pas gâté que vous n'avez pas droit au bonheur. Un Zidrou en grande forme ! Le dessin de Paul Salomone est toujours aussi beau. Un trait fin, lisible et expressif rehaussé par de superbes couleurs à l'aquarelle. Il magnifie ce Paris des années cinquante. La mise en page est dynamique. La couverture avec cette crevette au milieu d'un cœur formé par des soutiens-gorge est un parfait condensé de cette comédie. Un album qui donne la banane ! ;) Coup de cœur.