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Par Présence
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Dernière cigarette
La Dernière cigarette

C’était un soldat dans un pays devenu fou. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2004. Il a été réalisé par Alex Nikolavitch pour le scénario, et par Marc Botta pour le dessin et les couleurs. Il comporte quarante-quatre pages de bande dessinée. Un prisonnier de guerre est conduit à l’échafaud par des soldats la police militaire. L’un d’eux lui demande s’il a une déclaration à faire. Le colonel Dorscheid répond que pas vraiment. Il voudrait juste une dernière cigarette ; il ajoute qu’il a un paquet dans sa poche. Un policier lui met une clope au bec, et lui allume. Il est arrivé devant le nœud coulant qui lui est passé autour du cou. On lui retire sa cigarette, et un gradé russe salue, pendant que le colonel est pendu. Après quoi il s’éloigne et est abordé par un autre gradé russe qui lui demande si c’est fait, puis s’il repart pour Leningrad. Tchektariov, commissaire politique russe, lui répond que sans doute, et il poursuit son chemin. Il repense au pendu : Dorscheid était mort. La paix avait été signée presque deux ans auparavant mais pour lui Tchektariov, c’était comme si la guerre avait attendu cet instant pour finir. Une guerre qui pour lui avait vraiment commencé en novembre 43, dans les hauteurs autour de Kiev. Le mont Chauve fut le Golgotha pour les hommes de ce bataillon d’infanterie dont il était le commissaire politique. C’était la première fois qu’il voyait le feu. Séparé de ses hommes, sa seule ressource était de trouver un abri jusqu’à la fin des bombardements. Un abri à peu près sûr. Une cave par exemple. Ils étaient dans une cave, de nuit, au cœur du mois de novembre, et pourtant il était en nage. Mais entre un officier de la Wehrmacht et les bombes qui pleuvaient, il ne savait pas trop quel choix faire. Le commissaire politique Tchektariov s’est réfugié dans une cave pour se mettre à l’abri des bombes. Il découvre un colonel de la Wehrmacht assis à même le sol, le colonel Dorscheid. Plutôt que de s’exterminer, Dorscheid lui demande du feu, et propose de lui donner une cigarette en échange. Il estime que c’est une transaction honnête. Tchektariov accepte, tout en estimant que c’est un peu tôt pour la trêve de Noël. Le colonel lui fait observer qu’il ne sait pas où ils seront fin décembre. Ils allument également une lampe à pétrole qui se trouve là. Tchektariov comprend que Dorscheid lui a offert son avant-dernière cigarette. Ils évoquent le bombardement en cours. Le colonel dit que ça ne servira pas à grand-chose si c’est les Allemands qui lâchent des bombes. Il continue : Pilonner pourra tout juste couvrir la retraite de l’infanterie, ou de ce qu’il en reste. Pour lui, l’Armée rouge aura du mal à être arrêtée maintenant, les Russes seront bientôt en Pologne, puis à Berlin, puis… Et puis, il ne sait pas : si les Américains débarquent, ils empêcheront peut-être les Russes d’atteindre Paris. Mais l’armée allemande n’est plus en état de se battre, et n’en a plus envie d’ailleurs. Pour lui, il faut être fanatique, ou désespéré pour vouloir s’interposer entre les Russes et l’ouest. Le commissaire politique fait le constat qu’on dit que la mélancolie fait partie intégrante de l’âme russe. Pour lui, c’est faux : en deux ans de présence ici, le pays l’a contaminé, il est comme les Allemands. C’est cette terre qui est mélancolique, qui rend mélancolique. Une couverture à la manière de George Pratt, fort évocatrice, faisant appel à la culture du lecteur pour reconnaître l’allure d’un uniforme militaire allemand, et un autre évoquant un uniforme russe. En parcourant rapidement ce volume, le lecteur voit une approche assez originale concernant la couleur et les caractéristiques du dessin. La séquence d’ouverture se présente sus la forme de dessins réalisés au crayon, avec des traits de contour également au crayon, et des nuances d’ocre qui viennent habiller les silhouettes et les murs. Puis l’artiste passe à des contours encrés d’un trait fin et irrégulier. Il recourt ensuite au noir & blanc avec des nuances de gris, comme s’il peignait, se débarrassant rapidement des traits de contour au bout de deux pages. Une fois cette séquence achevée, il revient à l’usage des traits de contour encrés et des nappes de couleurs, avec de repasser dans le passé en noir & blanc sans traits de contour. Puis de revenir enfin au présent. Cela produit sur le lecteur, l’impression de peintures en noir & blanc pour les scènes du passé, rendant les souvenirs moins précis, patinés, comme vu à distance, ce qui les rend immuables et leur confère une qualité de destin implacable. Le scénariste situe clairement le temps présent de son récit : à la fin de la seconde guerre mondiale, alors que les prisonniers de guerre commencent à être jugés et exécutés. Il en va encore plus précisément pour le la ligne temporelle dans le passé : novembre 1943 dans les hauteurs autour Kiev. De la même manière, il identifie explicitement la nationalité des deux protagonistes : russe et allemande, ainsi que leur fonction, commissaire politique et colonel de l’armée. Le dessinateur représente les éléments visuels qui permettent de les distinguer facilement : les insignes militaires, la forme de leur couvre-chef, la coupe de leur uniforme. Il en va de même pour les différents soldats, et pour la police militaire. Sans être de nature photographique, les dessins comprennent les détails nécessaires à la compréhension du lecteur. Les auteurs évoquent la seconde bataille de Kiev, opération de l'Armée rouge et contre-attaque de la Wehrmacht entre le 3 octobre et 22 décembre 1943. Puis, alors que l’armée allemande se désagrège et reflue en désordre, le commissaire politique russe se joint à une colonne d’infanterie qui va marcher vers Berlin en traversant la Biélorussie, pour rejoindre la Pologne, stationner quelque temps à Varsovie, et reprendre la marche jusqu’à Berlin. Le dessinateur représente des scènes effroyables, trouvant le juste équilibre entre ce qu’il montre, et ce qu’il laisse à l’imagination du lecteur, rendant ces pans d’ombre encore plus horribles. Il voit la corde passée autour du cou de Dorscheid, sans assister au spectacle du nœud qui se resserre. Il voit les soldats avancer dans la neige, avec la sensation du froid qui le pénètre, sans aller jusqu’à la représentation de la morsure du froid et des souffrances physiques correspondantes. Par la suite, Tchektariov évoque dans son flux de pensée les abominations dont il est le témoin : Partout où ils passaient, ce n’étaient que scènes de désolation, Les plaines fertiles de l’Ukraine labourées par les clous et les chenilles des chars, engraissées par des cadavres sans nombre, l’ordre de ne pas faire de prisonniers parmi les SS qui tenaient la région (De toute façon, ses hommes n’avaient pas envie de faire de quartier), villages rasés, tous les habitants enterrés dans des fosses communes. La Biélorussie avait souffert encore plus que l’Ukraine. L’ennemi était désespéré et vivait sur un pays devenu plus qu’hostile. Toute résistance donnait lieu à des représailles.et le simple fait de n’avoir plus rien à manger, et donc de ne rien pouvoir donner, était considéré comme un acte de résistance. Les seules représailles encore possibles étant l’anéantissement total. La destruction, faute d’avoir un sac de farine ou un poulet. Accompagnant cet énoncé, le lecteur peut voir des images évoquant ces horreurs : des soldats avançant en groupe leur arme pointée devant eux, un officier allemand assis à même le sol avec un pistolet pointe sur l’arrière de son crâne par un soldat russe debout, de vagues formes humaines allongées sur le sol certainement des cadavres dans la neige. Et plus tard, un cadavre pendu à un lampadaire dans une rue de Varsovie, jusqu’à l’horreur de la solution finale avec un survivant dans son uniforme de prisonnier. Pour terminer avec une interprétation de la célèbre photographie Le Drapeau rouge sur le Reichstag, cliché d'Evgueni Khaldeï pris le 2 mai 1945 sur le toit du palais du Reichstag, à Berlin. Le lecteur se retrouve complètement pris par cette narration visuelle entre description et sous-entendus, le faisant participer par automatisme, l’impliquant en faisant appel à son imagination pour compléter les zones imprécises. La voix intérieure de Tchektariov guide la narration, les images donnent à voir les situations au lecteur, les actions des personnages, elles rendent concret ce qui resterait sinon désincarné. Le lecteur commence par éprouver de l’empathie pour le commissaire politique, puisqu’il le voit dans une situation de péril, alors qu’il voit le feu pour la première fois, qu’il est vierge de tout acte de guerre. Par le hasard des circonstances, deux homes de camp ennemi se retrouvent à partager le même abri : ils font preuve de sens pratique. Pas de raison de se massacrer, de tuer l’autre : ce sont deux êtres humains en présence, inconnu l’un pour l’autre, sans motif de haine personnelle. Puis la vie reprend son cours normal, ou plutôt la guerre continue. Ils se revoient deux ans plus tard, dans des circonstances où ils incarnent chacun une facette de leur pays respectif, sans possibilité de se soustraire à cette fonction. Tchektariov se fait la réflexion que : Dorscheid était allé au bout de la guerre et avait commis l’erreur de se laisser entraîner dans celle des autres, c’était un soldat dans un pays devenu fou. Le commissaire politique russe dispose du recul nécessaire pour avoir conscience que lui-même il a fait exécuter des hommes servant dans son unité. Parce qu’ils n’étaient pas dans la ligne. Il est également déjà le témoin des prémices de l’après-guerre, de la valeur différenciée des prisonniers, selon qu’ils servent d’exemple, ou bien qu’ils soient discrètement escamotés parce qu’ils pourront servir (par exemple les savants et les industriels) dans des guerres futures. Sans être né en 17 à Leidenstadt, Tchektariov fait le constat que chacun, suivant les circonstances et les pressions, peut devenir un Dorscheid. Il est possible de se sauver soi-même, si l’on prend la décision de partir. De disparaître. De cesser d’être un rouage dans la machine. Une histoire de guerre de plus : une amitié éphémère entre un colonel allemand et un commissaire politique russe à Kiev, le temps d’un bombardement durant la seconde guerre mondiale, et la suite. Une narration visuelle évoquant des peintures en noir & blanc, avec des nuances de gris en temps de guerre, plus classiques avec trait de contour, juste à la fin de la guerre. Elle rend concret l’environnement et l’époque, avec les éléments pertinents pour illustrer le flux de pensées du narrateur, et d’imprécision pour ne pas obérer l’horreur de ce qu’il évoque. Le lecteur sent peser sur lui la présence de la mort soudaine et arbitraire, ainsi que les prises de décision et les ordres ayant pour conséquence de donner la mort. Il se retrouve à éprouver de la compassion pour Tchektariov, mais aussi pour le colonel de la Wehrmacht. Miséricordieux.

06/02/2025 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série L'Histoire d'un vilain rat
L'Histoire d'un vilain rat

J’adore la genèse de « L'Histoire d'un vilain rat ». Bryan Talbot voulait écrire une histoire se déroulant dans la magnifique région anglaise du Lake District (où ma femme et moi adorons partir en vacances). Ne voulant pas réaliser un simple reportage, il a commencé à formuler l’histoire d’une jeune femme SDF fuyant Londres pour partir sur les traces de Beatrix Potter, l’autrice des livres jeunesse « Peter Rabbit » (Pierre Lapin en français), elle-même originaire du Lake District. Il ne lui manquait plus qu’une raison pour cette fuite. Suite à des recherches sur les abus infantiles, Bryan Talbot fut bouleversé par ce fléau plus que jamais d’actualité, et en fit finalement le thème central de cet album (lire notre interview de 2024 pour plus d’infos sur la genèse de cet album). L’histoire, fictive mais inspirée de témoignages réels, est parfaitement racontée, et les déboires de Hélène m’ont captivé et beaucoup touché. Il s’agit d’un pur roman graphique qui devrait plaire aux amateurs du genre. Le ton est juste et finalement plutôt optimiste et éducatif, la morale étant qu’il faut parler de ce genre d’abus pour faire avancer les choses. La mise en image est adaptée à ce genre d’histoire, et propose quelques trouvailles originales (le rat géant, les suicides imaginés, les hallucinations). Et puis les paysages du Lake District en deuxième moitié d’album sont un délice pour les yeux. J’ai personnellement passé un excellent moment de lecture. La réédition chez Delirium est l’occasion rêvée de découvrir ce chouette album.

21/01/2024 (MAJ le 06/02/2025) (modifier)
Par Anhia
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Lover Dose
Lover Dose

Coup de coeur maximal !! Enfin le retour de la BD d'humour, ça fait du bien ! Sujet sans fin que le couple, c'est hilarant et le style graphique est hyper lisible et rafraichissant ! Bref, j'ai adoré, j'avais envie de le partager.

05/02/2025 (modifier)
Couverture de la série Louca
Louca

J’ai prêté mes Loucas en classe et TOUT le monde a voulu les lire !! Les dessins sont superbes, surtout vers la fin de la série ! L’intrigue est bien réfléchie et je m’étonne à chaque fois de voir ce que les proches de Louca lui font “subir” ! Je suis en stress depuis que j’ai lu le 11 de savoir la suite !!! J’ai hâte que le prochain sorte en librairie !

05/02/2025 (modifier)
Couverture de la série La Trahison d'Olympe
La Trahison d'Olympe

Indéniablement mon coup de cœur graphique de l’année 2024. Pour un premier album, l’auteur en impose, il assure tout seul et fait preuve d’une grande maîtrise. L’objet est superbe et l’intérieur l’est tout autant. On déguste chaque planche, le monde déployé possède un petit côté loufoque et absurde qui a su m’attraper. C’est fait avec beaucoup de talent. Je conseille vivement à ceux qui aiment les expériences narratives. Hâte de lire la suite.

04/02/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Nom de la Rose
Le Nom de la Rose

Les images marginales prêtent souvent à sourire, mais à des fins d’édification. - Ce tome est le premier d’un diptyque formant l’adaptation en bande dessinée du roman du même nom, paru en 1980, d’Umberto Eco (1932-2016), ayant fait l’objet d’un film en 1986, réalisé par Jean-Jacques Annaud, avec Sean Connery (1930-2020) et Christian Slater dans les rôles principaux. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Milo Manara pour l’adaptation et les dessins, par Simona Manara pour les couleurs, avec une traduction de Jean-Noël Schifano conformée à la présente adaptation graphique par Aurore Schmid. Il comprend soixante-deux pages de bande dessinée. Il se termine par un cahier de recherches graphiques de sept pages. À pic sur une boucle du Danube, à proximité de Melk, se dresse le très beau Stift, un monastère plus d’une fois restauré au cours des siècles. L’écrivain s’y rend vers la fin août 1968 pour dénicher quelque trace d’un manuscrit ancien – naturellement. Il en avait trouvé mention dans un livre dû à la plume d’un certain abbé Vallet. Le livre s’intitulait Le manuscrit de Dom Adson de Melk, traduit en français d’après l’édition de Dom J. Mabillon, et on le lui mit dans les mains à Prague, le 16 août 1968. Dans l’attente d’une personne chère, il rédigeait presque d’un seul jet, une traduction sur ces grands cahiers de la papeterie Joseph Gibert, où il est si agréable d’écrire avec une plume douce. Six jours après, les troupes soviétiques envahissaient la malheureuse ville. En suivant un parcours hasardeux, il parvint à atteindre la frontière autrichienne à Linz. De là, il se dirigea vers Vienne, où il rejoignit la personne attendue, et ils remontèrent le cours du fleuve. Avant d’arriver à Salzbourg, une nuit tragique, dans un petit hôtel sur les rives du Mondsee. La personne avec qui il voyageait disparut en emportant dans son bagage le livre de l’abbé Vallet. Il ne lui resta ainsi qu’une série de cahiers écrits de sa propre main et un grand vide dans le cœur. Quelques mois plus tard à Paris, à la bibliothèque Sainte-Geneviève, il trouvait les Vetera Analecta auxquels faisait référence Vallet. Inutile de dire qu’ils ne contenaient aucun manuscrit d’Adso ou Adson de Melk. Il en serait probablement encore à se demander d’où pouvait bien venir l’histoire d’Adso de Melk si, en 1970, à Buenos Aires, ne lui était aussi tombé dans les mains un opuscule de Milo Temesvar, trouvé sur les étagères d’un petit libraire antiquaire dans la Corrientes. Il s’agissait de la traduction introuvable de l’original en langue géorgienne du De l’utilisation des miroirs dans le jeu des échecs, et, à sa grande surprise, il y lut de copieuses citations du manuscrit d’Adso, sauf que la source n’en était pas Vallet, mais bien le père Athanasus Kircher. Les épisodes auxquels il se référait étaient absolument analogues à ceux du manuscrit trouvé par Vallet. C’est ainsi que l’écrivain se sent libre de raconter par simple goût fabulateur, l’histoire d’Adso de Melk, si glorieusement éloignée du temps présent parce que c’est là une histoire de livres, non de misères quotidiennes, et sa lecture peut incliner à réciter avec le grand imitateur A. Kemois : In omnibus requiem quaesivi, et nusquam inveni nisi in angulo cim libro. (J’ai cherché le repos partout et ne l’ai trouvé que dans un coin avec un livre.) Adapter le roman le plus célèbre d’Umberto Eco en bande dessinée constitue un défi impressionnant, et le lecteur est fort aise de découvrir que c’est un bédéiste chevronné qui se donne ce défi. Cet écrivain sait conjuguer une intrigue en forme de polar médiéval, révélateur de facettes de la société de l’époque, avec des questionnements philosophiques, un regard d’historien et une savante contextualisation, encore enrichi par d’élégantes métaphores. Une seule certitude : l’adaptation d’une telle œuvre ne peut que perdre en densité du propos de l’auteur, tout en s’y heurtant. De fait, le lecteur voit bien deux ou trois passages au cours desquels l’adaptateur se trouve confronté à la nécessité de transmettre une énorme quantité d’informations en respectant le style de l’écrivain, à la fois dans sa langue et dans la forme, en l’occurrence quel personnage parle. Cela commence avec le prologue dans lequel l’écrivain évoque le processus par lequel il a mis la main sur les mémoires d’Adso de Melk : un texte courant d’un cartouche à l’autre, avec de magnifiques illustrations, le monastère se reflétant dans la rivière, l’écrivain s’adressant au lecteur, le même prenant des notes, un char dans les rues de Prague, puis un fac-similé d’une gravure ancienne dans laquelle un moine se tient à son scriptorium. Cette sensation réapparaît chroniquement face à un phylactère occupant plus de place que le dessin dans une case. Le principe de reprendre des portions du texte original revient en page cinquante-quatre le temps de trois pages, puis de deux autres un peu plus loin. L’artiste passe en mode illustration avec des traits de contour ténus et assurés. Il s’agit d’évoquer la vie du moine Salvatore : de son village natal où les champs pourrissaient tandis que l’atmosphère était viciée par miasmes mortifères, jusqu’à une vie de vagabondage au sein d’une bande de déshérités suivant frère Paul, un boiteux qui se vantait d’avoir eu directement du Saint-Esprit, la révélation que l’acte charnel n’était pas péché. Le lecteur ressent de l’empathie pour ce pauvre homme, ballotté par les circonstances de sa naissance, soumis à la réalité de grands mouvements sociaux, qu’il est incapable de discerner, encore moins de nommer. Puis vient l’histoire d’Ubertin de Casale qui se mêle aux personnes qui suivent le prédicateur Fra Dolcino. À nouveau, l’empathie fonctionne, et le lecteur perçoit l’histoire personnelle d’un individu défavorisé par les circonstances de la naissance. Les dessins apparaissent également d’une incroyable délicatesse, et d’une grande élégance, autant de miniatures permettant au récit de s’incarner, au lecteur de voir de vrais êtres humains qui souffrent tout en espérant un avenir meilleur. Avec un peu de recul, le lecteur perçoit les éléments historiques référencés, sans être toujours explicités. Durant ces deux séquences consacrées à la vie de deux moines, sont évoqués la pauvreté du peuple, les prédicateurs franciscains, le pape coupable de simonie, la croisade des Pastoureaux de 1320 (une insurrection populaire), le règne de Philippe V, une croisade contre des hérétiques, différentes hérésies religieuses. Au début du récit, Guillaume de Baskerville évoque son métier d’inquisiteur, et Adso évoque la chrétienté divisée entre l'autorité du pape Jean XXII et celle de l'empereur Louis IV du Saint-Empire. En fonction de sa familiarité avec cette époque, le lecteur peut éprouver le besoin de se renseigner plus avant, ou alors il soupire d’aise en voyant ce contexte clairement exposé et utilisé avec intelligence. De son côté, Milo Manara réalise des dessins d’une minutie exquise pour donner à voir cette époque, à la fois dans les tenues vestimentaires, et dans les ustensiles divers et variés, que ce soit dans la cuisine, dans la bibliothèque ou encore dans l’herboristerie. Le lecteur se régale de ces images délicates et précises, donnant à voir les lieux tels qu’ils sont perçus par le jeune Adso. Une fois passé les trois pages de prologue, le lecteur découvre une page dense de contexte historique, Louis IV et Jean XXIII, la position des Franciscains par rapport au pape, la pauvreté du Christ comme vérité de Foi. Puis la narration passe en mode direct, et le lecteur se retrouve à grimper la pente enneigée d’un chemin pour rallier l’abbaye, dans des teintes grisées, un temps de neige. Page onze : une vue en contrebas de la gigantesque abbaye, dans un dessin en pleine page à couper le souffle. Très conscient des décors exceptionnels, l’artiste s’investit dans leur représentation, dans des dessins en pleine page, ou occupant deux tiers d’une page, magnifiques. Le lecteur ralentit consciemment son rythme pour savourer une vue générale en plongée oblique sur le domaine de l’abbaye et son mur d’enceinte, la vision de l’église et de son tympan historié, un immense couloir avec une hauteur sous plafond de trois ou quatre étages, la cuisine avec tous les servants en activité, le scriptorium avec les moines au travail, l’herboristerie, etc. Comme dans le film de Jean-Jacques Annaud, l’abbaye devient un personnage à part entière, surprenant, écrasant par sa taille, tolérant l’activité des hommes en toute indifférence. L’adaptateur met en scène l’enquête en elle-même : le constat des décès, l’examen des cadavres, la recherche d’indices, les phases de déduction, dans un registre naturaliste, dont sourd une inquiétude générée par le caractère factuel des constats et l’incompréhension de ce qui motive le coupable, ainsi que l’absence d’explication rationnelle de la cause de la mort. Le lecteur ressent la mécanique du polar : à la fois la dimension ludique de comprendre comment les cadavres peuvent se retrouver à ces endroits, à la fois la dimension sociale et historique car le contexte est spécifique et les meurtres touchent aussi bien les simples moines que les responsables. Le lecteur sent bien au fond de lui-même que l’auteur se joue de lui, entre les indices insuffisants pour pouvoir anticiper les révélations, et ce mystère autour d’une bibliothèque. En effet, la présence de livres au sein d’une histoire produit automatiquement une mise en abîme. Il y a déjà ce nom très particulier de Baskerville qui fait penser à une enquête de Sherlock Holmes : Le chien des Baskerville (1902). Il y a également cette bibliothèque dont l’accès est réglementé, et une zone interdite, induisant un questionnement sur les effets produits par la lecture sur les moines. En sus du questionnement sur le rire dans la foi catholique, la contemplation des petits personnages dessinés par Adelme d’Otrante, la première victime, qui attire l’attention des moines. L’un d’eux en parle en les qualifiant d’images marginales, une formulation évoquant les Marginals de Sergio Aragonés, petits dessins fourmillant dans les marges du magazine MAD. Découvrir Le nom de la rose, par cette adaptation en bande dessinée : une bonne idée, car Milo Manara met tout son savoir-faire au service de ce récit, sans en occulter de facettes. Le lecteur commence par assimiler le contexte historique du récit, puis il se retrouve aux côtés d’Adso, jeune moine, accompagnant Guillaume de Baskerville, moine confirmé. Les pages sont magnifiques, faisant honneur tant à la reconstitution historique, qu’aux décors saisissants. Qu’il connaisse l’intrigue ou non, le lecteur prend rand plaisir à lire, bien au chaud, cette enquête dans cette abbaye sous la neige. Du grand art.

04/02/2025 (modifier)
Par Charly
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Combat ordinaire
Le Combat ordinaire

J’ai tout de suite été pris par l’histoire. Dès les premières pages, j’avais envie de savoir ce qui allait se passer ensuite. Chaque événement arrive au bon moment, et il y a toujours quelque chose d’intéressant. Il y a du suspense, de l’émotion et même des moments drôles. Tout s’enchaîne naturellement, et je n’ai pas vu le temps passer en lisant. Cette bande dessinée parle de sujets qui me touchent. Elle évoque des sentiments forts comme l’amitié, la peur, la joie ou encore le doute. On y trouve aussi des réflexions sur la vie, sur les choix que l’on fait et sur les conséquences qui en découlent. Par moments, cela m’a fait réfléchir, et à d’autres, cela m’a ému. Tout est bien dosé, et rien ne semble exagéré. J’ai adoré suivre les personnages. Ils sont attachants et réalistes. Chacun a son caractère et ses qualités, mais aussi ses défauts, ce qui les rend crédibles. Certains m’ont fait sourire, d’autres m’ont touché. J’ai eu l’impression de les connaître pour de vrai. Leurs réactions sont naturelles, et je me suis facilement mis à leur place. Les dessins apportent une vraie ambiance à l’histoire. Les expressions des personnages sont bien faites, et chaque détail compte. Bref, cette BD m’a fait passer un excellent moment. Je la recommande à tout le monde, et je la relirai avec plaisir !

03/02/2025 (modifier)
Couverture de la série Deux Filles nues
Deux Filles nues

La responsable de ma petite BM a eu le nez fin en faisant entrer cette série début janvier. C'est en la lisant ,ce weekend, que j'ai appris sa dignité de Fauve d'Or du meilleur album à Angoulême. Personnellement je trouve ce choix très pertinent. En effet Luz nous propose une docu-fiction construite avec beaucoup d'intelligence et de justesse. Sur une période très visitée, l'auteur apporte une grande originalité de par son parti pris visuel. Ce parti pris renvoie immédiatement à l'histoire personnelle de Luz. Comme l'auteur, la peinture d'Otto Mueller a survécu à des épisodes d'une violence insensée. De la même manière le tableau assite avec sidération à l'avènement d'un monde mortifère qui détruit toute possibilité de l'élargissement de la pensée, surtout contradictoire. L'entrée en matière de la série mérite déjà les applaudissements tellement je la trouve originale et donneuse de sens à ce qui va suivre. Luz installe son lectorat dans une position privilégiée de témoins à travers les yeux des jeunes femmes. Position privilégiée mais inconfortable car elle insiste sur notre impuissance à modifier ces funestes fumées qui sortent des crématorium ou à intervenir sur les personnages omnipotents et cruels qui se penchent sur l'image d'un monde aux antipodes du leur. Le scénario est parfaitement équilibré entre un documentaire très travaillé et instructif et une fiction où l'émotion nous saisit en de nombreux endroits. Le texte est parfois rare comme il se doit dans la contemplation mais il porte toujours par sa précision et sa justesse. Enfin j'ai été conquis par la narration visuelle que propose Luz. Son trait économe va à l'essentiel pour rendre compte de cet environnement mortifère. Nous n'avons pas besoin de plus qu'un coin de fenêtre ouvert sur une cheminée , une horde vindicative aux brassards monstrueux pour être happés pour l'horreur du monde extérieur. C'est sombre mais touchant en nous renvoyant à notre responsabilité contemporaine de spectateurs passifs dans de nombreux domaines. Je renvoie à l'excellente postface de Rita Kersting , Directrice du musée de Cologne, pour une compréhension encore plus fine du travail de Luz. Une très belle lecture.

03/02/2025 (modifier)
Couverture de la série D'or et d'oreillers
D'or et d'oreillers

Attirée par les coups de cœurs des autres avis et la jolie couverture, j'ai décidé d'essayer la lecture de cet album un peu à l'aveugle, ne connaissant que son statut de conte et le fait qu'il s'agit d'une adaptation d'un roman lui aussi avec de bons retours (mais que je n'ai pas lu). Eh bien, ce n'est certainement pas moi qui vais faire baisser sa note : c'est très bon ! Au début, on s'attend à une réécriture de "La Princesse au petit pois" (la comparaison est même faite dans l'introduction), mais ici pas de ça, le sujet est tout autre. Pas de princesse délicate, nous suivons Sadima, une femme de chambre fière et maline qui, a défaut de se plaindre d'un petit poids, va devoir comprendre et déceler les mystères de l'étrange maison de son hôte. L'histoire m'a beaucoup surprise. En bien. La maison (et l'histoire par la même occasion) est une gigantesque métaphore sur une blessure familiale, une femme mariée de force, enfermée contre son gré, se sentant être dépecée petit à petit, morceau après morceau, et faisant souffrir son fils sans même s'en rendre compte, lui-même se sentant progressivement se perdre et tomber en lambeaux. La symbolique des morceaux de corps et de la quête pour retrouver ce qui lui manque (et le choix de l'endroit où se trouve ce morceau manquant) est vraiment intéressante et très jolie à voir. Le parallèle avec les contes et les princesses délicates qui se marient avec le beau prince est plus profonde qu'il n'y parait au premier abord, c'est bien des rapports homme-femme et du statut d'objet de désir de ces dernières aux yeux des premiers, des risques qu'elles encourent et des violences qu'elles subissent, qu'il s'agit. La souffrance de la mère, son spectre et le drame l'entourant qui hante encore la maison, le fils qui apparaît au début comme étant si étrange qu'on s'attendrait à ce qu'il y ait une mauvaise surprise là-dessous, et notre héroïne qui ne se laisse pas faire et se tient droite, ... Franchement, une histoire aux enjeux féministes très prenante. Et la forme est sans nul doute une des grandes forces de cet album. Le dessin de Mayalen Goust est magnifique, jouant sur les couleurs, les formes, les non-dits (avec de belles symboliques parfois, notamment pour l'acte sexuel), ... La représentation de la maison, symbole de cette famille au lourd passé, symbole du foyer causant la perte des jeunes femmes aussi, toujours changeante et étouffante, est très bien rendue. On la sent vivante, prédatrice, mourante aussi. La mise en scène et le découpage de l'action sont parfois assez originaux, on joue quelques fois avec les codes-mêmes de la bande-dessinée. Non, il n'y a pas à dire, en plus d'être une très belle histoire, nous avons surtout ici un très bel album !

03/02/2025 (modifier)
Par Spooky
Note: 3/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Les Porteurs d'artefacts
Les Porteurs d'artefacts

Tiens, voilà une nouvelle série signée Ludo Danjou, scénariste fan de mythologies et de fantasy qui se faisait un peu trop rare ces derniers temps. Il nous revient donc avec une série avec et pour des adolescents. les Porteurs d'artefacts sont des jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance qui se retrouvent embarqués dans de drôles d'aventures, dans des mondes différents. L'influence du jeu de rôle est très présente dans ce premier tome, avec des références assez marquées (et un glossaire en fin de tome au cas où l'on ne serait pas trop au fait du vocabulaire associé). Les personnages sont sympathiques, un brin caricaturaux, mais dans un récit de ce type, ça passe. Les origines du monde où se retrouve le groupe d'enfants sont -un peu- explicitées à la fin, mais cet épisode permet de mettre la série sur d'autres rails que la "simple" aventure pour ados. Nul doute que le scénariste va développer ça par la suite. Je suis curieux de voir comment il va développer l'évocation de l'ASE, car c'est un milieu très particulier, très dur, qui mériterait d'être exploré plus souvent dans la fiction. Dans le tome 2 nos deux héros sont rejoints par un troisième porteurs d'artefacts, et on en apprend un peu plus sur les pouvoirs de Redouane, enfin de son artefact personnel. Un nouveau personnage, lui aussi emblématique du jeu de rôle, dont on sent qu'il doit prendre de l'importance par la suite. Ce deuxième tome se place dans la droite ligne du premier, avec cet alliage entre ambiance jdr, fine observation des pensées des adolescents et un arrière-plan où la réalité des enfants placés n'est pas éludée. Il faut dire que Ludo Danjou est responsable périscolaire et a exercé au sein de l'aide sociale à l'enfance. Graphiquement l'Italienne Chiara Iacobelli fait un boulot informatisé très agréable à l’œil, même si elle me semble manquer encore de maturité dans les proportions de ses personnages, et son envie de faire des cadrages volontairement décalés. Un petit reproche : la grotte est beaucoup trop éclairée... Mais j'ai hâte de lire la suite des aventures d'Elie and co. Dans le tome 2 elle fait un très bon boulot sur ses personnages, mais aussi les monstres ; on sent qu'elle s'éclate dans l'univers de fantasy mis en place par son scénariste. C'est un peu le genre de pitch que j'aurais aimé lire ou écrire étant adolescent ou jeune adulte : des jeunes un peu libres de leurs mouvements sans être marginaux, qui vivent des trucs aussi improbables que palpitants. On note que les deux premiers tomes forment un diptyque assez plaisant.

28/12/2023 (MAJ le 03/02/2025) (modifier)