J'étais curieux de découvrir le dernier Paco Roca ; ça fait quelques années que je suis son travail et j'appréhende toujours un peu, car à mon sens il est capable du meilleur comme du très moyen (même si c'est souvent vers le haut que la balance penche). Avec "L'abîme de l'oubli", on retrouve le meilleur, Paco Roca utilisant à nouveau un de ses thèmes fétiche, la mémoire, pour déterrer le l'oubli les tragiques exécutions post guerre civile espagnole. Il s'appuie cette fois sur le savoir faire du scénariste et journaliste Rodrigo Terrasa pour faire sortir de l'oubli les milliers de victimes du franquisme délibérément vouées à l'oubli.
Car ce que je ne savais pas (ou avait oublié ?) c'est que les victimes du franquismes ne furent pas seulement celles de la période de guerre civile. Plus d'un an et semi après sa fin, des vagues d'arrestations et d'exécutions ont fait rage dans toute l'Espagne faisant des dizaines de milliers de morts. La dictature du Caudillo n'était pas du genre à oublier ni à pardonner ! De nombreuses fosses communes ont ainsi fleuri dans de nombreux cimetières sans qu'on identifie ni n'autorise cette dernière pour que l'oubli règne ; et comme le dit l'écrivain Michel Folco, "Mourir n'est rien, c'est être oublié qui est terrible."
C'est ce qu'aura vécu toute sa vie Pepica Celda ; son père sera exécuté alors qu'elle a 8 ans le 14 septembre 1940 ; plus jamais elle ne pleurera ; elle passera sa vie à chercher à retrouver le corps de son père pour l'enterrer à côté de celui de sa mère, comme elle le lui avait promis.
C'est tout ce travail de recherches, face à la volonté de tout faire pour que la mémoire de ces personnes soit effacée, qui est ici mis en valeur. C'est aussi et toujours cette omerta et cette volonté de ne pas remuer le passé de cette douloureuse période qui est mise en exergue. La société espagnole, ou du moins sa composante droitière, a tout fait pour ne surtout pas laisser ressurgir ces remugles dérangeants d'une période qu'elle peine à assumer. C'est enfin la réhabilitation de personnes qui sont de véritables "héros" à leur échelle pour permettre ce travail de souvenir : ce fossoyeur qui collecta pendant des années le moindre indice possible et les dissimula pour permettre plus tard que des familles retrouvent leur disparus et puissent leur offrir une sépulture digne est profondément marquant.
Bref, de son trait si singulier, réaliste et minimaliste tout à la fois, Paco Roca aidé de Rodigo Terrasa, rendent leur fierté et leur dignité à ces personnes qui se sont battu pour que la mémoire soit retrouvée et qu'on oubli pas ni ces gens assassinés ni les horreurs commises par le Franquisme.
Eh bien, voilà une série qui n'a pas volé son excellente réputation !
Un univers simple dans la forme mais riche dans le fond, des personnages attachants et murissant avec le récit, une aventure tout public mais qui arrive à traiter avec sérieux ses sujets lourds, des dessins magnifiques, un peuple à la culture très marquée, et un monde qui donne sincèrement envie d'être exploré. Il n'y a pas à dire, la recette est alléchante et le plat final réussi ! Une série culte, à n'en pas douter !
Le tout commence assez simplement, dans ce qui nous semble être le début d'une quête initiatique pour une jeune fille souhaitant plus que tout rejoindre l'ordre des Bergères Guerrières, une sorte de force armée exclusivement féminine fondée suite au départ des hommes du village partis il y a des années pour rejoindre la guerre. Mais voilà, cette simple histoire d'épanouissement et les rêves de gloire de notre héroïne, Molly, volent en éclat lorsqu'une terrible malebête décide d'attaquer leur village.
Le récit est vraiment prenant, mais je me garde de trop vous en dire, l'histoire mérite vraiment d'être découverte. Je vous dirais simplement que la série parle de guerre, de peur, de deuil, d'honneur et de magie. Les enfants mûrissent, la quête initiatique et épique prend rapidement des allures de tragédie, on craint pour nos personnages, le récit ne leur fait pas de cadeau et ici préparez-vous à ce que les actions aient des conséquences et que la bonté des gens ne suffise pas à leur assurer une fin heureuse.
Pas qu'elle ait besoin de moi pour aider à sa renommée, mais je conseille sincèrement la lecture de cette série.
Bon, le premier tome ne m'avait pas fait une très bonne impression : une jeune fille vient tout juste de perdre sa mère, celle-ci lui a légué une boîte à musique qui se révèle caché l'unique passage vers un monde extraordinaire appelé Pandorient, peuplé de créatures étranges et diverses, et elle se révèlera plus ou moins chargée du rôle de protectrice de cette boîte et par la même occasion des habitants de ce monde. Classique, mais peut toujours être bien tourné. Ce premier album n'y arrivait pas, rythme beaucoup trop rapide, impression de survoler l'histoire à ma lecture, pas vraiment d'attache avec les personnages, le tout n'était sauvé que par le dessin magnifique et le très beau travail de lumières.
Généralement, j'aime toujours donner sa chance jusqu'au bout à une série, me disant qu'un miracle peut toujours se produire, qu'une série peut toujours s'améliorer, qu'il faut parfois laisser le temps à une œuvre de se révéler. Bien souvent les séries que je lis, regarde ou écoute n'arrivent pas à relever la barre et je reste finalement dans mon ressenti initial. Il est bon de tomber quelques fois sur les exceptions !
Oui : dès le tome deux, la série s'améliore. Meilleur rythme, début d'une intrigue filée (qui commence à devenir intéressante dès le tome trois), introduction de personnages hauts en couleurs, meilleure caractérisations des personnages que l'on connaissait déjà, un traitement du sujet du deuil de l'héroïne plus poussé, un humour qui reste bon enfant mais parvient à être plus fin, plus juste, le tout, encore une fois, avec un dessin magnifique, vif et rayonnant (littéralement, je trouve sincèrement le travail de Gijé sur la lumière remarquable). Non contente de se révéler très bonne, cette série a même réussi à me déclencher un coup de cœur ! Comme ça, sans prévenir, au détour du troisième album !
Tout n'est pas parfait pour autant, il y a notamment une intrigue du tome quatre, liée à une discrimination des relations inter-espèces, dont j'ai trouvé la résolution beaucoup trop rapide et facile. Pas de quoi me faire lever les sourcils non plus, la série a toujours eu un petit côté candide sur les bords, mais tout de même.
J'aimerais vous parler de plusieurs choses qui m'ont plus, mais les albums étant courts et les intrigues mine de rien assez simples, je préfère tout de même vous laisser les découvrir. Mais croyez moi, même si elles sont simples, après le premier album un peu mou, ça vaut sincèrement la lecture, ne serait-ce que par curiosité.
Pas de nouvelles pour la suite de la série depuis quatre ans, je croise les doigts pour qu'elle ne soit pas abandonnée, il y a vraiment du bon potentiel dans cette série jeunesse et l'intrigue filée autours de la Pandoccident intrigue et est pour le moment laissée en suspens.
(Note réelle 3,5)
Petite note au passage, pour la blagounette, je note une légère coquille narrative au quatrième album : une pandorientale, ne connaissant rien de notre monde donc, référence à un moment Roméo.
Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu ça : finir de lire une BD avec le souffle coupée. Quelle puissance évocatrice, quelle force dans son scénario et quelle fin ! Je dois bien le dire, narrativement on est dans une solidité à toute épreuve !
Je me doutais que ça allait être pas mal, au vu de nombreux avis positifs. Mais à ce point c'était pas prévu. L'histoire est simple, mais parfaitement bien mise en scène. Le découpage en chapitres réguliers avec un narrateur différent à chaque fois, proposant une chute souvent surprenante, entraine dans l'histoire qui reste pourtant dense et chargée en thématiques. Que ce soit la question du pouvoir et des empires, de l'humanité, de la violence et des systèmes de domination, tout est analysé d'une façon ou d'une autre, tourné autour de ce singe incarnant une némésis divine. A titre purement personnel, j'y ai vu une métaphore intéressante : l'humanité se déchirant pour des futiles jeu de pouvoirs, tandis qu'une menace délétère se profile derrière, prête à les mettre tous en pièces.
La BD est servie par le dessin impeccable de Roger. Tout est parfaitement mis en scène : la colorisation, l'organisation des planches, la violence, la tension, les actions brutales et chorégraphiées ... Tout s'accorde pour rendre une ambiance désespérée de fin des temps, de monde en ruine. Le tout est aussi porté par la narration qui se fait bien souvent intérieure, privilégiant le peu de de dialogues. De fait, elle permet de parler avant tout visuellement, contrastant les discours et les attitudes, permettant de ressentir pleinement ce qui se joue.
Cette BD n'a pas démérité son succès. Elle est singulière, étonnante et franchement dingue même. Tant dans son scénario sans concessions, d'une violence rare mais aussi implacable, dans son humanité qui transparait en quelques cases autour de personnages qu'on aurait imaginé bien différent, que dans son propos presque nihiliste et fataliste. Une BD sur la violence, mais qui exprime aussi tout ce dont l'être humain est capable. Une réussite indéniable, je rejoins le concert de louanges.
Rien de plus effrayant que l'inconnu, rien de plus dangereux que l'ignorance.
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Ce tome comprend une histoire complète mettant en scène Francis Blake et Philip Mortimer. La première édition date de 2019. Il a été réalisé par François Schuiten (scénario, dessins et encrage), Jaco van Dormael (scénario, réalisateur et metteur en scène belge), Thomas Gunzig (scénario, écrivain belge francophone) et Laurent Durieux (couleur).
À l'intérieur de la pyramide de Kheops, au Caire en Égypte, Francis Blake et Philip Mortimer reprennent difficilement conscience. Ils ne se souviennent plus d'où ils se trouvent. Ils finissent par comprendre qu'ils se trouvent dans la Chambre du Roi de la pyramide. Quelques années plus tard, le professeur Mortimer pénètre dans la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles. Il y retrouve son ami Henri qui évoque le taux élevé du rayonnement électromagnétique. Henri emmène Mortimer au sous-sol et lui montre une pièce récemment mise à jour : le bureau de travail de Joseph Poelaert (1817-1879), l'architecte du Palais de Justice. Il l'emmène jusqu'au fond de la pièce où il lui montre des hiéroglyphes et une représentation du dieu Seth. À la surprise de Mortimer, Henri se saisit d'une masse et en frappe le mur. de la fissure s'échappe une puissante lumière. Henri passe par la faille, mais le mur s'écroule derrière lui, empêchant Mortimer de le suivre. Mortimer remonte le plus vite possible et sort du Palais de Justice. le rayonnement s'échappe du bâtiment et irradie toute la ville.
Trois semaines plus tard, Mortimer se réveille sur un lit d'hôpital où il est venu consulter à cause de terribles cauchemars dans lequel Seth lui apparaît. À l'extérieur, l'armée a commencé à évacuer les civils. Quelques temps plus tard, Mortimer retrouve Blake devant le Palais de Justice, autour duquel ont été élevés des échafaudages pour constituer une cage de Faraday afin de contenir le rayonnement. Des années plus tard, les bâtiments ont commencé à se dégrader et quelques animaux sauvages circulent dans la rue. Non loin du Palais de Justice, un groupe de personnes prépare un acte de destruction contre le bâtiment. Leur intervention a des conséquences néfastes et Philip Mortimer est contacté par Francis Blake pour une intervention de la dernière chance, en urgence. Mortimer doit se rendre à Bruxelles.
En 1996, paraît une nouvelle aventure de Blake & Mortimer, réalisée par Jean van Hamme & Ted Benoît, 9 ans après la mort de leur créateur Edgar P. Jacobs. Entretemps, Média Participations a fait l'acquisition des Éditions Blake & Mortimer, et Jean van Hamme a défini les règles à respecter pour les albums de la reprise : rester dans les années 1950 et ne pas poursuivre après Les 3 formules du Pr Sato. Lors de l'annonce de ce tome, l'éditeur a clairement indiqué qu'il s'agit d'un projet à part, qui ne s'inscrit pas dans le cadre établi. D'une part Blake et Mortimer ont vieilli car l'aventure se déroule après Les 3 formules du Pr Sato ; d'autre part François Schuiten ne s'en tient pas aux caractéristiques graphiques de la ligne claire d'EP Jacobs. Du coup l'horizon d'attente du lecteur s'en trouve plus incertain, car il a conscience qu'il ne va pas retrouver les spécificités bien établies pour la reprise de la série.
Avec la scène d'ouverture, l'amateur de Blake & Mortimer se retrouve en terrain connu, puisqu'il s'agit d'une scène tirée de Blake et Mortimer, tome 5 : le Mystère de la Grande Pyramide, Deuxième Partie (1955). Au fur et à mesure du récit, il retrouve les éléments classiques des personnages, ainsi que le ton de la narration, et le thème d'aventure. Il suit Mortimer (et un peu Blake) enquêtant sur un phénomène physique non théorisée scientifiquement, menaçant de causer des destructions à l'échelle planétaire, devant faire preuve de courage pour surmonter les obstacles tant physiques que scientifiques. Dans des interviews, Schuiten a indiqué qu'il a développé l'intrigue (avec Dormael et Gunzig) sur la base d'une idée présente dans les carnets de Jacobs. En termes de narration visuelle, le lecteur découvre une mise en couleurs très sophistiquée qui met en jeu des techniques autres que les simples aplats de couleurs. François Schuiten réalise des images d'une minutie exquise, évoquant les gravures du dix-neuvième siècle, et les illustrations de Gustave Doré, pas du tout dans un registre ligne claire.
Le lecteur entame ce tome et se sent tout de suite en terrain familier, qu'il soit lecteur de Blake & Mortimer, ou de Schuiten. Outre la base de l'intrigue empruntée à Jacobs, il suit le professeur Mortimer dans sa difficile progression dans Bruxelles, jusqu'à atteindre la source du rayonnement électromagnétique, pour essayer de sauver le monde, pendant que Blake essaye de limiter les dégâts probables d'une intervention armée sans finesse. Les auteurs font référence à quelques éléments de la mythologie de la série, soit évidents comme la Grande Pyramide, soit plus à destination des connaisseurs comme l'apparition d'une Méganeura. Pour autant, l'histoire reste intelligible et satisfaisante, même si le lecteur n'a jamais ouvert un album de Blake & Mortimer. de la même manière, le lecteur retrouve les caractéristiques des dessins de François Schuiten : une incroyable précision, des touches romanesques et romantiques, un amour de l'architecture. Il peut aussi apprécier la narration visuelle s'il ne connaît pas cet artiste, pour la qualité de ses descriptions, l'utilisation de cadrages (gros plan sur une main en train d'agir, posture des personnages en mouvement) et de plans de prise de vue directement empruntés à Jacobs. Le lecteur familier des albums originaux retrouve ces cases très déconcertantes où la cellule de texte décrit ce que montre l'image. Par exemple page onze, le texte indique : Mais déjà le marteau s'abat contre la surface de pierre. C'est exactement ce que montre la petite case, faisant s'interroger le lecteur sur l'intérêt de doublonner ainsi l'information, si ce n'est pour un hommage.
Arrivé à la fin de l'album, le lecteur a apprécié l'aventure, observé que Dormael, Gunzig et Schuiten ont imaginé un risque technologique de type anticipation plausible dans son concept, peu réaliste dans sa mise en œuvre, mais très cohérent avec les récits d'anticipation de Jacobs. Il a bénéficié d'une narration visuelle d'une grande richesse, respectant l'esprit un peu suranné des œuvres originelles, avec des techniques de dessins et de mise en couleurs différentes de celles d'Edgar P. Jacobs. Il en ressort un peu triste. le choix de situer l'histoire plus récemment amène à voir les personnages ayant vieilli, Mortimer indiquant qu'il est à la retraite. Ils ne sont pas diminués physiquement, mais leurs remarques contiennent une part de nostalgie, et de jugement de valeur négatif sur leur présent. Dans des interviews, Schuiten a déclaré qu'il souhaitait exprimer l'état d'esprit d'Edgar P. Jacobs qui se déclarait déconnecté de son époque à la fin de sa vie, ne comprenant plus le monde qui l'entourait. Cette sensation d'obsolescence de l'individu s'exprime en toile de fond, avec le jugement de valeur de Mortimer sur les conséquences du rayonnement électromagnétique, ramenant l'humanité dans un stade technologique qu'il estime plus humain.
S'il a suivi la carrière de François Schuiten, le lecteur détecte plusieurs références à d'autres de ses œuvres. L'échafaudage englobant le Palais de Justice évoque le réseau Robick de Les Cités obscures, Tome 2 : La fièvre d'Urbicande (1985). La locomotive est un modèle 12.004 de la SNCB, celui qui figure dans La Douce (2012). le Palais de Justice de Bruxelles joue déjà un rôle central dans Les Cités obscures, Tome 6 : Brüsel (1992), et son architecte Joseph Poelaert y est évoqué. Le thème du temps qui passe, du décalage avec l'époque présente entre en résonance avec ces évocations d'une longue carrière, constituant un regard en arrière. Avec cette idée en tête, le lecteur considère d'une autre manière les références à la culture de l'Égypte antique, à la très ancienne confrérie évoquée par Henri, aux transformations induites par la technologie sur la société humaine. Dans cette optique, l'essaim de scarabées libéré par Bastet s'apparente à une plaie d'Égypte, une condamnation divine. Les cauchemars de Mortimer deviennent des signaux émanant du passé. L'utilisation d'un pigeon voyageur (Wittekop) pour communiquer est un symbole d'une communication indépendante de la technologie de pointe. Mortimer fait confiance aux chats pour le guider car l'instinct des animaux les pousse à éviter ce qui pourrait leur faire du mal : à nouveau la sagesse ne vient pas de la technologie, mais de la nature. Les soins prodigués par Lisa relèvent d'une forme de médecine alternative qui devient un savoir thérapeutique héritée de la sagesse ancienne, et plus efficace que les cachets et les pilules. Le fait que Mortimer se retrouve devant des statues égyptiennes sens dessus dessous finit par évoquer que c'est le monde moderne qui marche sur la tête. La nostalgie d'un monde plus simple, plus maîtrisé submerge alors le lecteur. Très habilement, deux personnages évoquent le syndrome chinois : hypothèse selon laquelle le matériel en fusion d'un réacteur nucléaire situé en Amérique du Nord pourrait traverser la croûte terrestre et progresser jusqu'en Chine. Là encore le lecteur peut y voir une angoisse d'applications scientifiques non maîtrisées, et qui en plus ne date pas d'hier.
En ouvrant ce tome, le lecteur sait qu'il s'agit d'un album de Blake & Mortimer qui sort de l'ordinaire, à la fois parce que les personnages principaux ont vieilli, à la fois parce que l'artiste a bénéficié de plus de libertés créatrices que les autres équipes ayant repris la série. Il plonge dans une bande dessinée d'une rare intensité, non pas parce que la narration est dense ou l'intrigue labyrinthique, mais parce qu'il s'agit d'un projet ayant mûri pendant quatre ans de durée de réalisation, parce que les phrases prononcées par les personnages portent en elles des échos des préoccupations des auteurs, parce que la narration visuelle est d'une grande beauté plastique et d'une grande minutie, parce que la mise en couleurs semble avoir été réalisée par la même personne que les dessins. En refermant cet album, le lecteur reste sous le charme de ce récit pendant de longs moments, touché par une œuvre d'auteur jetant un regard d'incompréhension sur le monde qui l'entoure, comme s'il s'était trouvé dépassé par la modernité, finissant déconnecté de son époque.
Ouh ! La pépite ! Houla la grosse affaire que voilà ! Alors là, je vais être sans retenue et sans réserve, ainsi que bref : cette BD est un chef d’œuvre.
Pourquoi ? Parce que le dessin est merveilleux et qu'il parvient à tout dire et à tout exprimer, de la beauté des paysages au curriculum historique comme psychologique des personnages. Je découvre le trait de Glen Chapron qui se fait ici charbonneux (c’est une première apparemment), aussi fumant que les cendres d’un feu de camp après la nuit. Tout est splendide, et les ambiances sont fortes, particulièrement les scènes de nuit dont l’auteur parvient à rendre toute l’intimité créée avec la nature par cette vie sauvage. Il y a de très belles planches, muettes mais emplies du bruit de la cascade ou de l’hululement de la chouette dans la nuit profonde.
Le scénario sur lequel Chapron vient s’appuyer n’est pas en reste. Ce western est une histoire de femmes fortes et ça nous change carrément des vieilles rengaines. La fin est belle et ouverte. Je l’ai lue deux fois de suite, chose rare. Le gros chef d’œuvre de ce début d’année en ce qui me concerne !
Lue entre deux lectures plus « urgentes », ce Chevalier Brayard est parvenu à me captiver de bout en bout. C’est un mélange de plein d’ingrédients qui font mouche, à commencer par un scénario à la mode rabelaisienne. Je précise que j’ai abordé ma lecture avec la certitude qu’il s’agissait d’un premier tome, alors que nenni.
J’ai d’abord aimé le dessin et les choix de colorisation qui évoquent tous deux ceux du Marquis d’Anaon. C’est d’une grande clareté, c’est dynamique et expressif. Le petit Jesus en culotte de velours.
Je me suis lancé dans cette lecture sans rien connaitre du scénario, un simple feuillettage m’ayant convaincu de faire cette escapade. Je dois dire que j’ai trouvé cette histoire surprenante, quand même ! Son côté très rocambolesque, clairement affiché, est maitrisé. Le patchwork de personnages est assez improbable, et les dialogues décalés n’ont pas oublié d’être drôles (bien que peut-être un peu systématique parfois, il est vrai). Le ton est celui du récit picaresque. On songera - un peu - aux Indes fourbes.
L’entrée dans ce road trippes médiéval, tout comme sa conclusion, emprunte beaucoup au western… ainsi que le ton qui, on ne le sent pas tellement venir le long de ce déroulé [ATTENTION : RISQUE IMPORTANT DE SPOUALE] tournera au tragique. J’avoue que sur la fin, j’étais tellement dedans que j'en fus fort bouleversé. Bref ! Le cadre est vite posé, et les personnages taillés dans le bois d’olivier millénaire avec néanmoins cette touche moderne qui lui confèrent toute son actualité.
Je trouve cette histoire riche à souhait, et bien moins anecdotique qu’il n’y parait. Le ton grivois permet de masquer l’arrivée de cette fin tragique et tellement frustr… géniale ! J’ai failli dire frustrante mais parce que j’attendais une suite !
Non, rien à redire. C’est une chouette BD, sure de son dessin, fourmillant de références et de sous-textes, et l'on pourra y trouver de nombreuses scènes susceptibles de jouer cette fonction de parabole. Dans Chevalier Brayard, il y est question de racisme, de sexualité, de religion, de la mort et bien d’autres choses encore. Je ne boude pas un tel plaisir.
Au début j'ai cru qu'il s'agissait un recueil de plusieurs récits mettant en scène Dorian Leith, ce fameux thérapeute pour fantômes vendu par la quatrième de couverture, et puis au fil de ma lecture j'ai compris qu'il s'agissait d'une seul et (assez long) récit dont effectivement Dorian est le héros. Il n'en est qu'à ses débuts, mais se retrouve face à un défi de taille, puisque l'action d'une jeune défunte, à savoir de dérober la clé de l'au-delà, a des conséquences terribles : le porte de la mort est fermée et les morts errent dans les limbes, ou plus facilement parmi les vivants, provoquant la panique...
L'album parle donc de mort, de deuil, d'anxiété, de maladie mentale, de surmenage, des sujets forts qui ont amené l'éditeur à mettre un petit avertissement destiné au jeune lectorat. Bonne idée cas le style graphique, s'il est semi-réaliste et très coloré, sert un récit aux racines sombres, mais néanmoins porteur d'espoir. L'histoire est un peu longue mais c'est plutôt bien mené, avec ces personnages tous en nuances, qu'ils soient vivants ou morts, et porteurs de vrais questionnements. Johanna Taylor évite de nombreux écueils de l'angélisme ou de la noirceur pour nous livrer un récit très plaisant, qui pourrait parler à de nombreux jeunes en proie à des questionnements existentiels importants.
A noter une ambiance victorienne que ne renierait pas Oscar Wilde, influence assumée par l'autrice.
Plutôt pas mal, malgré cette longueur qui ne se justifie pas forcément.
Un monstre, par Richard Corben
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Ce tome contient les quatre épisodes de la minisérie du même nom, parus en 2001. Le scénario est de Brian Azzarello et les illustrations de Richard Corben. Il s'agit d'un récit indépendant de la continuité du personnage. Il suffit de savoir que Bruce Banner a été exposé à des rayons suite à l'explosion d'une bombe à rayon gamma, et que depuis il se transforme en gros monstre vert chaque fois qu'il s'énerve.
Quelque part dans une petite ville du Nouveau Mexique, Hulk est déchaîné, dans une rage folle. Il casse tout ce qui est à portée de main, à commencer par les habitations. Le nombre de victimes civiles augmente rapidement au fur et à mesure de la destruction réalisée à grands coups de poing. Après coup, un détachement de l'armée arrive sur place avec à sa tête le docteur Leonard Skivorski, un autre produit des radiations gamma plus connu sous le sobriquet de Doc Samson. Il s'arrange avec le général commandant les troupes pour fabriquer une explication à base de tornade, afin de masquer les agissements de Hulk. La mission de Samson est de capturer Hulk dans les 48 heures. Pendant ce temps là, Bruce Banner reprend conscience parmi les décombres, constate l'étendue des destructions occasionnées par Hulk, et propose son aide aux services de secours. Lui aussi souhaite mettre un terme à la menace qu'est Hulk. Il dérobe un pistolet pour pouvoir mettre fin à ses jours.
Dans la postface, Axel Alonso (le responsable en charge de cette minisérie) explique que l'objectif est de cette histoire est de déterminer comment Banner pourrait supporter la responsabilité des destructions engendrées par Hulk. Donc Brian Azzarello ne s'embarrasse pas de fioritures ; il fait dans l'efficace. Il faut une scène de destruction massive ; c'est la première du récit et là il n'y a pas d'invraisemblance bienvenue. L'accès de rage destructrice de Hulk occasionne des blessures (et peut être des morts) dans la population civile. Ensuite, Banner est contraint de constater par lui-même et, sans possibilité de détourner la tête, le coût en vies humaines. La suite reprend une trame classique des histoires de Hulk : Bruce Banner est traqué par l'armée, il fuit de petite ville en petite ville en essayant de ne pas attirer l'attention et il finit par se trouver dans une situation qui provoque la transformation redoutée. La confrontation est inéluctable. Ce qui est appréciable dans ce récit complet est qu'Azzarello peut aller jusqu'au bout de cette dynamique, sans avoir à se soucier de préserver un statu quo. Le lecteur a le droit à une résolution claire, nette et tranchée à la fin du récit.
En plus du plaisir d'assister à l'aboutissement de cette traque, à la résolution du danger que constitue l'existence de Hulk, il y a les affrontements homériques et le tout est dessiné par un vétéran des comics au style très affirmé : Richard Corben. Je suis un grand admirateur de cet illustrateur hors pair, au style à la fois réaliste et exagéré, à la démesure plausible depuis que je l'ai découvert dans les deux séries initiales de Den. Dès la première scène de destruction, il est évident qu'il s'est bien amusé à combiner une description réaliste des dégâts, avec une exagération second degré tout en ironie. Corben a l'art et la manière d'exagérer une musculature avec des veines saillantes au possible, pour conférer une présence incroyable à Hulk; Il y ajoute des expressions où l'émotion est exacerbée, et Hulk apparaît comme il devrait être : massif, incapable de toute maîtrise sur ses émotions, emporté par le tourbillon de sa colère comme un enfant sans aucune maîtrise. Après coup, le survol de la ville montre un quartier de la ville en ruine où les décombres noient le reste des murs. Lorsque Banner reprend conscience, il est confronté à la vision des soldats retirant un cadavre des décombres. Corben ne s'enfonce pas dans le gore, il montre juste le corps inerte et le visage incrusté de pierraille. Il n'a rien perdu de sa capacité à représenter les textures au point que le lecteur a l'impression de pouvoir tâter les fibres des vêtements.
Le deuxième épisode s'ouvre sur une scène dans le désert, et Corben transcrit admirablement sa désolation, ainsi que les formations rocheuse. Son exagération ironique imprègne ses représentations de Hulk en tant qu'enfant incontrôlable, mais aussi l'apparence et le langage corporel de Doc Samson. Ce dernier est irrésistible en individu à la force herculéenne, ce qui lui donne une assurance peu commune. Il en impose en stratège donnant des ordres pour l'exécution des manœuvres qui doivent permettre de terrasser le monstre. Corben a l'art et la manière de représenter l'impact des coups sur les corps, la brutalité des chocs du métal contre la chair (la tête de Hulk dans les pales d'un hélicoptère). Et il sait en une case créer des personnages aussi mémorables que singuliers (les deux frères mexicains dans la station service, aussi veules que dangereux).
Ces quatre épisodes forment une histoire courte et ramassée dans laquelle le lecteur retrouve les scènes attendues de destruction et de combats brutaux à base de coups de poing primaires. La nature du récit qui est déconnecté de la continuité permet à Azzarello de dépasser cette trame convenue pour offrir une résolution à la culpabilité insoutenable de Banner quant aux actions de Hulk. Le style si particulier de Corben permet de transformer chaque scène en une démonstration de force primaire et premier degré, tout en incluant une ironie second degré mordante. Cette recette simple a été préparée par des grands chefs, et le résultat se déguste et se savoure comme un met simple à la saveur inouïe.
L'enthousiasme de notre ami Agecanonix était tel que je ne pouvais pas passer à côté de cette bande dessinée ! Après avoir découvert le merveilleux film de 1932 récemment, je me suis donc lancé dans cette suite dessinée, et indéniablement, c'est du très, très bon boulot !
Faire revivre ce personnage détestable et fascinant n'était pas chose aisée, mais Sylvain Runberg a trouvé un excellent point de départ, permettant de renouveler les bases du scénario original tout en perpétuant l'univers dans la grande continuité de ce qu'instaurait le film de Pichel et Schoedsack. Cette idée d'opposer au général Zaroff une autre psychopathe permet de mettre en scène un nouveau duel où, cette fois, il devient difficile de déterminer qui, des deux adversaires, est la proie et qui est le chasseur.
Les personnage sont très bien dessinés, et surtout très nuancés, par leurs actes et leurs dialogues, joliment écrits. Ainsi, Zaroff se découvre une âme en étant obligé de sauver la famille de sa sœur, mais pour autant, il ne devient pas un "gentil". Cela reste un psychopathe, un chasseur qui aime le goût du sang, mais au fond duquel sommeille toutefois un homme loyal. Heureusement, le scénario nous offre donc également les personnages de la sœur du général russe et de ses enfants, auxquels on aura moins de scrupules à s'attacher qu'au personnage principal.
Le second tome, avec son intrigue plus axée "guerre, espionnage", tend peut-être un peu trop à faire de Zaroff un héros dont on questionne moins régulièrement les actions, sans parler du recours assez facile (quoique logique) aux nazis comme grands méchants inexcusables du récit. Toutefois, le scénario nous rappelle toujours, de manière ponctuelle mais prenante, les horreurs dont le comte est capable, notamment dans un cliffhanger particulièrement réussi.
Le récit est raconté sur un ton très réaliste, et prend le temps de développer chacune de ses péripéties, malgré quelques raccourcis narratifs vraiment pas méchants (genre la civière qui surgit de nulle part sans précision d'une quelconque ellipse temporelle ayant permis sa confection), un défaut qui sera quelque peu exacerbé dans le deuxième tome. Dans le premier tome, la crédibilité est donc bien de mise dans ce duel entre deux esprits tout aussi tordus l'un que l'autre, à la fois terrifiants et envoûtants. Dans le second tome, il manque peut-être à opposer à Zaroff un esprit aussi brillant que lui pour que le récit soit de la même qualité.
Dans tous les cas, le récit est parfaitement servi par le dessin de François Miville-Deschênes, d'une précision ahurissante et donc d'une beauté stupéfiante. Vraiment, chaque case est un pur plaisir à regarder. Je n'aime pas toujours quand le dessin est hyper-réaliste (à la Bergèse dans les Buck Danny de 2005-2006, par exemple), mais ici, Miville-Deschênes réussit à faire quelque chose de très fluide. Notamment, l'alchimie entre les personnages et les paysages (élément essentiel dans les histoires mettant en scène le comte Zaroff) est admirable, il n'y a pas le côté trop statique qu'on trouve souvent quand le dessin essaye d'être le plus réaliste possible. Ici, pas un trait en trop, l'équilibre est parfait ! Seul (très) léger reproche : il est peut-être un peu trop propre par rapport au ton du récit. Quand ça devient vraiment sanglant, on a parfois un petit peu de peine à ressentir l'impact d'une blessure ou d'un coup de griffe. Ou encore le visage blessé du général Zaroff est bien trop lisse par rapport à ce à quoi on aurait pu s'attendre. Mais bon, ça n'entame pas la qualité incroyable du dessin.
Ainsi, alors que le pari de reprendre la nouvelle initiale et le film de 1932 avec la même intensité semblait perdu d'avance, Runberg et Miville-Deschênes réussissent pourtant à créer un résultat à la hauteur des œuvres initiales. Rien n'est édulcoré, aucun élément de base n'est trahi, et la continuité est parfaitement entretenue jusqu'à des cliffhangers de grande qualité, qui résument parfaitement l'esprit de cette bande dessinée : ne rien trahir, trouver le juste équilibre.
Clairement, c'est une mission accomplie pour les deux auteurs !
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L'abîme de l'oubli
J'étais curieux de découvrir le dernier Paco Roca ; ça fait quelques années que je suis son travail et j'appréhende toujours un peu, car à mon sens il est capable du meilleur comme du très moyen (même si c'est souvent vers le haut que la balance penche). Avec "L'abîme de l'oubli", on retrouve le meilleur, Paco Roca utilisant à nouveau un de ses thèmes fétiche, la mémoire, pour déterrer le l'oubli les tragiques exécutions post guerre civile espagnole. Il s'appuie cette fois sur le savoir faire du scénariste et journaliste Rodrigo Terrasa pour faire sortir de l'oubli les milliers de victimes du franquisme délibérément vouées à l'oubli. Car ce que je ne savais pas (ou avait oublié ?) c'est que les victimes du franquismes ne furent pas seulement celles de la période de guerre civile. Plus d'un an et semi après sa fin, des vagues d'arrestations et d'exécutions ont fait rage dans toute l'Espagne faisant des dizaines de milliers de morts. La dictature du Caudillo n'était pas du genre à oublier ni à pardonner ! De nombreuses fosses communes ont ainsi fleuri dans de nombreux cimetières sans qu'on identifie ni n'autorise cette dernière pour que l'oubli règne ; et comme le dit l'écrivain Michel Folco, "Mourir n'est rien, c'est être oublié qui est terrible." C'est ce qu'aura vécu toute sa vie Pepica Celda ; son père sera exécuté alors qu'elle a 8 ans le 14 septembre 1940 ; plus jamais elle ne pleurera ; elle passera sa vie à chercher à retrouver le corps de son père pour l'enterrer à côté de celui de sa mère, comme elle le lui avait promis. C'est tout ce travail de recherches, face à la volonté de tout faire pour que la mémoire de ces personnes soit effacée, qui est ici mis en valeur. C'est aussi et toujours cette omerta et cette volonté de ne pas remuer le passé de cette douloureuse période qui est mise en exergue. La société espagnole, ou du moins sa composante droitière, a tout fait pour ne surtout pas laisser ressurgir ces remugles dérangeants d'une période qu'elle peine à assumer. C'est enfin la réhabilitation de personnes qui sont de véritables "héros" à leur échelle pour permettre ce travail de souvenir : ce fossoyeur qui collecta pendant des années le moindre indice possible et les dissimula pour permettre plus tard que des familles retrouvent leur disparus et puissent leur offrir une sépulture digne est profondément marquant. Bref, de son trait si singulier, réaliste et minimaliste tout à la fois, Paco Roca aidé de Rodigo Terrasa, rendent leur fierté et leur dignité à ces personnes qui se sont battu pour que la mémoire soit retrouvée et qu'on oubli pas ni ces gens assassinés ni les horreurs commises par le Franquisme.
Bergères Guerrières
Eh bien, voilà une série qui n'a pas volé son excellente réputation ! Un univers simple dans la forme mais riche dans le fond, des personnages attachants et murissant avec le récit, une aventure tout public mais qui arrive à traiter avec sérieux ses sujets lourds, des dessins magnifiques, un peuple à la culture très marquée, et un monde qui donne sincèrement envie d'être exploré. Il n'y a pas à dire, la recette est alléchante et le plat final réussi ! Une série culte, à n'en pas douter ! Le tout commence assez simplement, dans ce qui nous semble être le début d'une quête initiatique pour une jeune fille souhaitant plus que tout rejoindre l'ordre des Bergères Guerrières, une sorte de force armée exclusivement féminine fondée suite au départ des hommes du village partis il y a des années pour rejoindre la guerre. Mais voilà, cette simple histoire d'épanouissement et les rêves de gloire de notre héroïne, Molly, volent en éclat lorsqu'une terrible malebête décide d'attaquer leur village. Le récit est vraiment prenant, mais je me garde de trop vous en dire, l'histoire mérite vraiment d'être découverte. Je vous dirais simplement que la série parle de guerre, de peur, de deuil, d'honneur et de magie. Les enfants mûrissent, la quête initiatique et épique prend rapidement des allures de tragédie, on craint pour nos personnages, le récit ne leur fait pas de cadeau et ici préparez-vous à ce que les actions aient des conséquences et que la bonté des gens ne suffise pas à leur assurer une fin heureuse. Pas qu'elle ait besoin de moi pour aider à sa renommée, mais je conseille sincèrement la lecture de cette série.
La Boite à musique
Bon, le premier tome ne m'avait pas fait une très bonne impression : une jeune fille vient tout juste de perdre sa mère, celle-ci lui a légué une boîte à musique qui se révèle caché l'unique passage vers un monde extraordinaire appelé Pandorient, peuplé de créatures étranges et diverses, et elle se révèlera plus ou moins chargée du rôle de protectrice de cette boîte et par la même occasion des habitants de ce monde. Classique, mais peut toujours être bien tourné. Ce premier album n'y arrivait pas, rythme beaucoup trop rapide, impression de survoler l'histoire à ma lecture, pas vraiment d'attache avec les personnages, le tout n'était sauvé que par le dessin magnifique et le très beau travail de lumières. Généralement, j'aime toujours donner sa chance jusqu'au bout à une série, me disant qu'un miracle peut toujours se produire, qu'une série peut toujours s'améliorer, qu'il faut parfois laisser le temps à une œuvre de se révéler. Bien souvent les séries que je lis, regarde ou écoute n'arrivent pas à relever la barre et je reste finalement dans mon ressenti initial. Il est bon de tomber quelques fois sur les exceptions ! Oui : dès le tome deux, la série s'améliore. Meilleur rythme, début d'une intrigue filée (qui commence à devenir intéressante dès le tome trois), introduction de personnages hauts en couleurs, meilleure caractérisations des personnages que l'on connaissait déjà, un traitement du sujet du deuil de l'héroïne plus poussé, un humour qui reste bon enfant mais parvient à être plus fin, plus juste, le tout, encore une fois, avec un dessin magnifique, vif et rayonnant (littéralement, je trouve sincèrement le travail de Gijé sur la lumière remarquable). Non contente de se révéler très bonne, cette série a même réussi à me déclencher un coup de cœur ! Comme ça, sans prévenir, au détour du troisième album ! Tout n'est pas parfait pour autant, il y a notamment une intrigue du tome quatre, liée à une discrimination des relations inter-espèces, dont j'ai trouvé la résolution beaucoup trop rapide et facile. Pas de quoi me faire lever les sourcils non plus, la série a toujours eu un petit côté candide sur les bords, mais tout de même. J'aimerais vous parler de plusieurs choses qui m'ont plus, mais les albums étant courts et les intrigues mine de rien assez simples, je préfère tout de même vous laisser les découvrir. Mais croyez moi, même si elles sont simples, après le premier album un peu mou, ça vaut sincèrement la lecture, ne serait-ce que par curiosité. Pas de nouvelles pour la suite de la série depuis quatre ans, je croise les doigts pour qu'elle ne soit pas abandonnée, il y a vraiment du bon potentiel dans cette série jeunesse et l'intrigue filée autours de la Pandoccident intrigue et est pour le moment laissée en suspens. (Note réelle 3,5) Petite note au passage, pour la blagounette, je note une légère coquille narrative au quatrième album : une pandorientale, ne connaissant rien de notre monde donc, référence à un moment Roméo.
Le Dieu-Fauve
Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu ça : finir de lire une BD avec le souffle coupée. Quelle puissance évocatrice, quelle force dans son scénario et quelle fin ! Je dois bien le dire, narrativement on est dans une solidité à toute épreuve ! Je me doutais que ça allait être pas mal, au vu de nombreux avis positifs. Mais à ce point c'était pas prévu. L'histoire est simple, mais parfaitement bien mise en scène. Le découpage en chapitres réguliers avec un narrateur différent à chaque fois, proposant une chute souvent surprenante, entraine dans l'histoire qui reste pourtant dense et chargée en thématiques. Que ce soit la question du pouvoir et des empires, de l'humanité, de la violence et des systèmes de domination, tout est analysé d'une façon ou d'une autre, tourné autour de ce singe incarnant une némésis divine. A titre purement personnel, j'y ai vu une métaphore intéressante : l'humanité se déchirant pour des futiles jeu de pouvoirs, tandis qu'une menace délétère se profile derrière, prête à les mettre tous en pièces. La BD est servie par le dessin impeccable de Roger. Tout est parfaitement mis en scène : la colorisation, l'organisation des planches, la violence, la tension, les actions brutales et chorégraphiées ... Tout s'accorde pour rendre une ambiance désespérée de fin des temps, de monde en ruine. Le tout est aussi porté par la narration qui se fait bien souvent intérieure, privilégiant le peu de de dialogues. De fait, elle permet de parler avant tout visuellement, contrastant les discours et les attitudes, permettant de ressentir pleinement ce qui se joue. Cette BD n'a pas démérité son succès. Elle est singulière, étonnante et franchement dingue même. Tant dans son scénario sans concessions, d'une violence rare mais aussi implacable, dans son humanité qui transparait en quelques cases autour de personnages qu'on aurait imaginé bien différent, que dans son propos presque nihiliste et fataliste. Une BD sur la violence, mais qui exprime aussi tout ce dont l'être humain est capable. Une réussite indéniable, je rejoins le concert de louanges.
Blake et Mortimer - Le Dernier Pharaon
Rien de plus effrayant que l'inconnu, rien de plus dangereux que l'ignorance. - Ce tome comprend une histoire complète mettant en scène Francis Blake et Philip Mortimer. La première édition date de 2019. Il a été réalisé par François Schuiten (scénario, dessins et encrage), Jaco van Dormael (scénario, réalisateur et metteur en scène belge), Thomas Gunzig (scénario, écrivain belge francophone) et Laurent Durieux (couleur). À l'intérieur de la pyramide de Kheops, au Caire en Égypte, Francis Blake et Philip Mortimer reprennent difficilement conscience. Ils ne se souviennent plus d'où ils se trouvent. Ils finissent par comprendre qu'ils se trouvent dans la Chambre du Roi de la pyramide. Quelques années plus tard, le professeur Mortimer pénètre dans la salle des pas perdus du Palais de Justice de Bruxelles. Il y retrouve son ami Henri qui évoque le taux élevé du rayonnement électromagnétique. Henri emmène Mortimer au sous-sol et lui montre une pièce récemment mise à jour : le bureau de travail de Joseph Poelaert (1817-1879), l'architecte du Palais de Justice. Il l'emmène jusqu'au fond de la pièce où il lui montre des hiéroglyphes et une représentation du dieu Seth. À la surprise de Mortimer, Henri se saisit d'une masse et en frappe le mur. de la fissure s'échappe une puissante lumière. Henri passe par la faille, mais le mur s'écroule derrière lui, empêchant Mortimer de le suivre. Mortimer remonte le plus vite possible et sort du Palais de Justice. le rayonnement s'échappe du bâtiment et irradie toute la ville. Trois semaines plus tard, Mortimer se réveille sur un lit d'hôpital où il est venu consulter à cause de terribles cauchemars dans lequel Seth lui apparaît. À l'extérieur, l'armée a commencé à évacuer les civils. Quelques temps plus tard, Mortimer retrouve Blake devant le Palais de Justice, autour duquel ont été élevés des échafaudages pour constituer une cage de Faraday afin de contenir le rayonnement. Des années plus tard, les bâtiments ont commencé à se dégrader et quelques animaux sauvages circulent dans la rue. Non loin du Palais de Justice, un groupe de personnes prépare un acte de destruction contre le bâtiment. Leur intervention a des conséquences néfastes et Philip Mortimer est contacté par Francis Blake pour une intervention de la dernière chance, en urgence. Mortimer doit se rendre à Bruxelles. En 1996, paraît une nouvelle aventure de Blake & Mortimer, réalisée par Jean van Hamme & Ted Benoît, 9 ans après la mort de leur créateur Edgar P. Jacobs. Entretemps, Média Participations a fait l'acquisition des Éditions Blake & Mortimer, et Jean van Hamme a défini les règles à respecter pour les albums de la reprise : rester dans les années 1950 et ne pas poursuivre après Les 3 formules du Pr Sato. Lors de l'annonce de ce tome, l'éditeur a clairement indiqué qu'il s'agit d'un projet à part, qui ne s'inscrit pas dans le cadre établi. D'une part Blake et Mortimer ont vieilli car l'aventure se déroule après Les 3 formules du Pr Sato ; d'autre part François Schuiten ne s'en tient pas aux caractéristiques graphiques de la ligne claire d'EP Jacobs. Du coup l'horizon d'attente du lecteur s'en trouve plus incertain, car il a conscience qu'il ne va pas retrouver les spécificités bien établies pour la reprise de la série. Avec la scène d'ouverture, l'amateur de Blake & Mortimer se retrouve en terrain connu, puisqu'il s'agit d'une scène tirée de Blake et Mortimer, tome 5 : le Mystère de la Grande Pyramide, Deuxième Partie (1955). Au fur et à mesure du récit, il retrouve les éléments classiques des personnages, ainsi que le ton de la narration, et le thème d'aventure. Il suit Mortimer (et un peu Blake) enquêtant sur un phénomène physique non théorisée scientifiquement, menaçant de causer des destructions à l'échelle planétaire, devant faire preuve de courage pour surmonter les obstacles tant physiques que scientifiques. Dans des interviews, Schuiten a indiqué qu'il a développé l'intrigue (avec Dormael et Gunzig) sur la base d'une idée présente dans les carnets de Jacobs. En termes de narration visuelle, le lecteur découvre une mise en couleurs très sophistiquée qui met en jeu des techniques autres que les simples aplats de couleurs. François Schuiten réalise des images d'une minutie exquise, évoquant les gravures du dix-neuvième siècle, et les illustrations de Gustave Doré, pas du tout dans un registre ligne claire. Le lecteur entame ce tome et se sent tout de suite en terrain familier, qu'il soit lecteur de Blake & Mortimer, ou de Schuiten. Outre la base de l'intrigue empruntée à Jacobs, il suit le professeur Mortimer dans sa difficile progression dans Bruxelles, jusqu'à atteindre la source du rayonnement électromagnétique, pour essayer de sauver le monde, pendant que Blake essaye de limiter les dégâts probables d'une intervention armée sans finesse. Les auteurs font référence à quelques éléments de la mythologie de la série, soit évidents comme la Grande Pyramide, soit plus à destination des connaisseurs comme l'apparition d'une Méganeura. Pour autant, l'histoire reste intelligible et satisfaisante, même si le lecteur n'a jamais ouvert un album de Blake & Mortimer. de la même manière, le lecteur retrouve les caractéristiques des dessins de François Schuiten : une incroyable précision, des touches romanesques et romantiques, un amour de l'architecture. Il peut aussi apprécier la narration visuelle s'il ne connaît pas cet artiste, pour la qualité de ses descriptions, l'utilisation de cadrages (gros plan sur une main en train d'agir, posture des personnages en mouvement) et de plans de prise de vue directement empruntés à Jacobs. Le lecteur familier des albums originaux retrouve ces cases très déconcertantes où la cellule de texte décrit ce que montre l'image. Par exemple page onze, le texte indique : Mais déjà le marteau s'abat contre la surface de pierre. C'est exactement ce que montre la petite case, faisant s'interroger le lecteur sur l'intérêt de doublonner ainsi l'information, si ce n'est pour un hommage. Arrivé à la fin de l'album, le lecteur a apprécié l'aventure, observé que Dormael, Gunzig et Schuiten ont imaginé un risque technologique de type anticipation plausible dans son concept, peu réaliste dans sa mise en œuvre, mais très cohérent avec les récits d'anticipation de Jacobs. Il a bénéficié d'une narration visuelle d'une grande richesse, respectant l'esprit un peu suranné des œuvres originelles, avec des techniques de dessins et de mise en couleurs différentes de celles d'Edgar P. Jacobs. Il en ressort un peu triste. le choix de situer l'histoire plus récemment amène à voir les personnages ayant vieilli, Mortimer indiquant qu'il est à la retraite. Ils ne sont pas diminués physiquement, mais leurs remarques contiennent une part de nostalgie, et de jugement de valeur négatif sur leur présent. Dans des interviews, Schuiten a déclaré qu'il souhaitait exprimer l'état d'esprit d'Edgar P. Jacobs qui se déclarait déconnecté de son époque à la fin de sa vie, ne comprenant plus le monde qui l'entourait. Cette sensation d'obsolescence de l'individu s'exprime en toile de fond, avec le jugement de valeur de Mortimer sur les conséquences du rayonnement électromagnétique, ramenant l'humanité dans un stade technologique qu'il estime plus humain. S'il a suivi la carrière de François Schuiten, le lecteur détecte plusieurs références à d'autres de ses œuvres. L'échafaudage englobant le Palais de Justice évoque le réseau Robick de Les Cités obscures, Tome 2 : La fièvre d'Urbicande (1985). La locomotive est un modèle 12.004 de la SNCB, celui qui figure dans La Douce (2012). le Palais de Justice de Bruxelles joue déjà un rôle central dans Les Cités obscures, Tome 6 : Brüsel (1992), et son architecte Joseph Poelaert y est évoqué. Le thème du temps qui passe, du décalage avec l'époque présente entre en résonance avec ces évocations d'une longue carrière, constituant un regard en arrière. Avec cette idée en tête, le lecteur considère d'une autre manière les références à la culture de l'Égypte antique, à la très ancienne confrérie évoquée par Henri, aux transformations induites par la technologie sur la société humaine. Dans cette optique, l'essaim de scarabées libéré par Bastet s'apparente à une plaie d'Égypte, une condamnation divine. Les cauchemars de Mortimer deviennent des signaux émanant du passé. L'utilisation d'un pigeon voyageur (Wittekop) pour communiquer est un symbole d'une communication indépendante de la technologie de pointe. Mortimer fait confiance aux chats pour le guider car l'instinct des animaux les pousse à éviter ce qui pourrait leur faire du mal : à nouveau la sagesse ne vient pas de la technologie, mais de la nature. Les soins prodigués par Lisa relèvent d'une forme de médecine alternative qui devient un savoir thérapeutique héritée de la sagesse ancienne, et plus efficace que les cachets et les pilules. Le fait que Mortimer se retrouve devant des statues égyptiennes sens dessus dessous finit par évoquer que c'est le monde moderne qui marche sur la tête. La nostalgie d'un monde plus simple, plus maîtrisé submerge alors le lecteur. Très habilement, deux personnages évoquent le syndrome chinois : hypothèse selon laquelle le matériel en fusion d'un réacteur nucléaire situé en Amérique du Nord pourrait traverser la croûte terrestre et progresser jusqu'en Chine. Là encore le lecteur peut y voir une angoisse d'applications scientifiques non maîtrisées, et qui en plus ne date pas d'hier. En ouvrant ce tome, le lecteur sait qu'il s'agit d'un album de Blake & Mortimer qui sort de l'ordinaire, à la fois parce que les personnages principaux ont vieilli, à la fois parce que l'artiste a bénéficié de plus de libertés créatrices que les autres équipes ayant repris la série. Il plonge dans une bande dessinée d'une rare intensité, non pas parce que la narration est dense ou l'intrigue labyrinthique, mais parce qu'il s'agit d'un projet ayant mûri pendant quatre ans de durée de réalisation, parce que les phrases prononcées par les personnages portent en elles des échos des préoccupations des auteurs, parce que la narration visuelle est d'une grande beauté plastique et d'une grande minutie, parce que la mise en couleurs semble avoir été réalisée par la même personne que les dessins. En refermant cet album, le lecteur reste sous le charme de ce récit pendant de longs moments, touché par une œuvre d'auteur jetant un regard d'incompréhension sur le monde qui l'entoure, comme s'il s'était trouvé dépassé par la modernité, finissant déconnecté de son époque.
La Veuve
Ouh ! La pépite ! Houla la grosse affaire que voilà ! Alors là, je vais être sans retenue et sans réserve, ainsi que bref : cette BD est un chef d’œuvre. Pourquoi ? Parce que le dessin est merveilleux et qu'il parvient à tout dire et à tout exprimer, de la beauté des paysages au curriculum historique comme psychologique des personnages. Je découvre le trait de Glen Chapron qui se fait ici charbonneux (c’est une première apparemment), aussi fumant que les cendres d’un feu de camp après la nuit. Tout est splendide, et les ambiances sont fortes, particulièrement les scènes de nuit dont l’auteur parvient à rendre toute l’intimité créée avec la nature par cette vie sauvage. Il y a de très belles planches, muettes mais emplies du bruit de la cascade ou de l’hululement de la chouette dans la nuit profonde. Le scénario sur lequel Chapron vient s’appuyer n’est pas en reste. Ce western est une histoire de femmes fortes et ça nous change carrément des vieilles rengaines. La fin est belle et ouverte. Je l’ai lue deux fois de suite, chose rare. Le gros chef d’œuvre de ce début d’année en ce qui me concerne !
Chevalier Brayard
Lue entre deux lectures plus « urgentes », ce Chevalier Brayard est parvenu à me captiver de bout en bout. C’est un mélange de plein d’ingrédients qui font mouche, à commencer par un scénario à la mode rabelaisienne. Je précise que j’ai abordé ma lecture avec la certitude qu’il s’agissait d’un premier tome, alors que nenni. J’ai d’abord aimé le dessin et les choix de colorisation qui évoquent tous deux ceux du Marquis d’Anaon. C’est d’une grande clareté, c’est dynamique et expressif. Le petit Jesus en culotte de velours. Je me suis lancé dans cette lecture sans rien connaitre du scénario, un simple feuillettage m’ayant convaincu de faire cette escapade. Je dois dire que j’ai trouvé cette histoire surprenante, quand même ! Son côté très rocambolesque, clairement affiché, est maitrisé. Le patchwork de personnages est assez improbable, et les dialogues décalés n’ont pas oublié d’être drôles (bien que peut-être un peu systématique parfois, il est vrai). Le ton est celui du récit picaresque. On songera - un peu - aux Indes fourbes. L’entrée dans ce road trippes médiéval, tout comme sa conclusion, emprunte beaucoup au western… ainsi que le ton qui, on ne le sent pas tellement venir le long de ce déroulé [ATTENTION : RISQUE IMPORTANT DE SPOUALE] tournera au tragique. J’avoue que sur la fin, j’étais tellement dedans que j'en fus fort bouleversé. Bref ! Le cadre est vite posé, et les personnages taillés dans le bois d’olivier millénaire avec néanmoins cette touche moderne qui lui confèrent toute son actualité. Je trouve cette histoire riche à souhait, et bien moins anecdotique qu’il n’y parait. Le ton grivois permet de masquer l’arrivée de cette fin tragique et tellement frustr… géniale ! J’ai failli dire frustrante mais parce que j’attendais une suite ! Non, rien à redire. C’est une chouette BD, sure de son dessin, fourmillant de références et de sous-textes, et l'on pourra y trouver de nombreuses scènes susceptibles de jouer cette fonction de parabole. Dans Chevalier Brayard, il y est question de racisme, de sexualité, de religion, de la mort et bien d’autres choses encore. Je ne boude pas un tel plaisir.
Le Passeur d'âmes (Taylor)
Au début j'ai cru qu'il s'agissait un recueil de plusieurs récits mettant en scène Dorian Leith, ce fameux thérapeute pour fantômes vendu par la quatrième de couverture, et puis au fil de ma lecture j'ai compris qu'il s'agissait d'une seul et (assez long) récit dont effectivement Dorian est le héros. Il n'en est qu'à ses débuts, mais se retrouve face à un défi de taille, puisque l'action d'une jeune défunte, à savoir de dérober la clé de l'au-delà, a des conséquences terribles : le porte de la mort est fermée et les morts errent dans les limbes, ou plus facilement parmi les vivants, provoquant la panique... L'album parle donc de mort, de deuil, d'anxiété, de maladie mentale, de surmenage, des sujets forts qui ont amené l'éditeur à mettre un petit avertissement destiné au jeune lectorat. Bonne idée cas le style graphique, s'il est semi-réaliste et très coloré, sert un récit aux racines sombres, mais néanmoins porteur d'espoir. L'histoire est un peu longue mais c'est plutôt bien mené, avec ces personnages tous en nuances, qu'ils soient vivants ou morts, et porteurs de vrais questionnements. Johanna Taylor évite de nombreux écueils de l'angélisme ou de la noirceur pour nous livrer un récit très plaisant, qui pourrait parler à de nombreux jeunes en proie à des questionnements existentiels importants. A noter une ambiance victorienne que ne renierait pas Oscar Wilde, influence assumée par l'autrice. Plutôt pas mal, malgré cette longueur qui ne se justifie pas forcément.
Hulk - Banner
Un monstre, par Richard Corben - Ce tome contient les quatre épisodes de la minisérie du même nom, parus en 2001. Le scénario est de Brian Azzarello et les illustrations de Richard Corben. Il s'agit d'un récit indépendant de la continuité du personnage. Il suffit de savoir que Bruce Banner a été exposé à des rayons suite à l'explosion d'une bombe à rayon gamma, et que depuis il se transforme en gros monstre vert chaque fois qu'il s'énerve. Quelque part dans une petite ville du Nouveau Mexique, Hulk est déchaîné, dans une rage folle. Il casse tout ce qui est à portée de main, à commencer par les habitations. Le nombre de victimes civiles augmente rapidement au fur et à mesure de la destruction réalisée à grands coups de poing. Après coup, un détachement de l'armée arrive sur place avec à sa tête le docteur Leonard Skivorski, un autre produit des radiations gamma plus connu sous le sobriquet de Doc Samson. Il s'arrange avec le général commandant les troupes pour fabriquer une explication à base de tornade, afin de masquer les agissements de Hulk. La mission de Samson est de capturer Hulk dans les 48 heures. Pendant ce temps là, Bruce Banner reprend conscience parmi les décombres, constate l'étendue des destructions occasionnées par Hulk, et propose son aide aux services de secours. Lui aussi souhaite mettre un terme à la menace qu'est Hulk. Il dérobe un pistolet pour pouvoir mettre fin à ses jours. Dans la postface, Axel Alonso (le responsable en charge de cette minisérie) explique que l'objectif est de cette histoire est de déterminer comment Banner pourrait supporter la responsabilité des destructions engendrées par Hulk. Donc Brian Azzarello ne s'embarrasse pas de fioritures ; il fait dans l'efficace. Il faut une scène de destruction massive ; c'est la première du récit et là il n'y a pas d'invraisemblance bienvenue. L'accès de rage destructrice de Hulk occasionne des blessures (et peut être des morts) dans la population civile. Ensuite, Banner est contraint de constater par lui-même et, sans possibilité de détourner la tête, le coût en vies humaines. La suite reprend une trame classique des histoires de Hulk : Bruce Banner est traqué par l'armée, il fuit de petite ville en petite ville en essayant de ne pas attirer l'attention et il finit par se trouver dans une situation qui provoque la transformation redoutée. La confrontation est inéluctable. Ce qui est appréciable dans ce récit complet est qu'Azzarello peut aller jusqu'au bout de cette dynamique, sans avoir à se soucier de préserver un statu quo. Le lecteur a le droit à une résolution claire, nette et tranchée à la fin du récit. En plus du plaisir d'assister à l'aboutissement de cette traque, à la résolution du danger que constitue l'existence de Hulk, il y a les affrontements homériques et le tout est dessiné par un vétéran des comics au style très affirmé : Richard Corben. Je suis un grand admirateur de cet illustrateur hors pair, au style à la fois réaliste et exagéré, à la démesure plausible depuis que je l'ai découvert dans les deux séries initiales de Den. Dès la première scène de destruction, il est évident qu'il s'est bien amusé à combiner une description réaliste des dégâts, avec une exagération second degré tout en ironie. Corben a l'art et la manière d'exagérer une musculature avec des veines saillantes au possible, pour conférer une présence incroyable à Hulk; Il y ajoute des expressions où l'émotion est exacerbée, et Hulk apparaît comme il devrait être : massif, incapable de toute maîtrise sur ses émotions, emporté par le tourbillon de sa colère comme un enfant sans aucune maîtrise. Après coup, le survol de la ville montre un quartier de la ville en ruine où les décombres noient le reste des murs. Lorsque Banner reprend conscience, il est confronté à la vision des soldats retirant un cadavre des décombres. Corben ne s'enfonce pas dans le gore, il montre juste le corps inerte et le visage incrusté de pierraille. Il n'a rien perdu de sa capacité à représenter les textures au point que le lecteur a l'impression de pouvoir tâter les fibres des vêtements. Le deuxième épisode s'ouvre sur une scène dans le désert, et Corben transcrit admirablement sa désolation, ainsi que les formations rocheuse. Son exagération ironique imprègne ses représentations de Hulk en tant qu'enfant incontrôlable, mais aussi l'apparence et le langage corporel de Doc Samson. Ce dernier est irrésistible en individu à la force herculéenne, ce qui lui donne une assurance peu commune. Il en impose en stratège donnant des ordres pour l'exécution des manœuvres qui doivent permettre de terrasser le monstre. Corben a l'art et la manière de représenter l'impact des coups sur les corps, la brutalité des chocs du métal contre la chair (la tête de Hulk dans les pales d'un hélicoptère). Et il sait en une case créer des personnages aussi mémorables que singuliers (les deux frères mexicains dans la station service, aussi veules que dangereux). Ces quatre épisodes forment une histoire courte et ramassée dans laquelle le lecteur retrouve les scènes attendues de destruction et de combats brutaux à base de coups de poing primaires. La nature du récit qui est déconnecté de la continuité permet à Azzarello de dépasser cette trame convenue pour offrir une résolution à la culpabilité insoutenable de Banner quant aux actions de Hulk. Le style si particulier de Corben permet de transformer chaque scène en une démonstration de force primaire et premier degré, tout en incluant une ironie second degré mordante. Cette recette simple a été préparée par des grands chefs, et le résultat se déguste et se savoure comme un met simple à la saveur inouïe.
Zaroff
L'enthousiasme de notre ami Agecanonix était tel que je ne pouvais pas passer à côté de cette bande dessinée ! Après avoir découvert le merveilleux film de 1932 récemment, je me suis donc lancé dans cette suite dessinée, et indéniablement, c'est du très, très bon boulot ! Faire revivre ce personnage détestable et fascinant n'était pas chose aisée, mais Sylvain Runberg a trouvé un excellent point de départ, permettant de renouveler les bases du scénario original tout en perpétuant l'univers dans la grande continuité de ce qu'instaurait le film de Pichel et Schoedsack. Cette idée d'opposer au général Zaroff une autre psychopathe permet de mettre en scène un nouveau duel où, cette fois, il devient difficile de déterminer qui, des deux adversaires, est la proie et qui est le chasseur. Les personnage sont très bien dessinés, et surtout très nuancés, par leurs actes et leurs dialogues, joliment écrits. Ainsi, Zaroff se découvre une âme en étant obligé de sauver la famille de sa sœur, mais pour autant, il ne devient pas un "gentil". Cela reste un psychopathe, un chasseur qui aime le goût du sang, mais au fond duquel sommeille toutefois un homme loyal. Heureusement, le scénario nous offre donc également les personnages de la sœur du général russe et de ses enfants, auxquels on aura moins de scrupules à s'attacher qu'au personnage principal. Le second tome, avec son intrigue plus axée "guerre, espionnage", tend peut-être un peu trop à faire de Zaroff un héros dont on questionne moins régulièrement les actions, sans parler du recours assez facile (quoique logique) aux nazis comme grands méchants inexcusables du récit. Toutefois, le scénario nous rappelle toujours, de manière ponctuelle mais prenante, les horreurs dont le comte est capable, notamment dans un cliffhanger particulièrement réussi. Le récit est raconté sur un ton très réaliste, et prend le temps de développer chacune de ses péripéties, malgré quelques raccourcis narratifs vraiment pas méchants (genre la civière qui surgit de nulle part sans précision d'une quelconque ellipse temporelle ayant permis sa confection), un défaut qui sera quelque peu exacerbé dans le deuxième tome. Dans le premier tome, la crédibilité est donc bien de mise dans ce duel entre deux esprits tout aussi tordus l'un que l'autre, à la fois terrifiants et envoûtants. Dans le second tome, il manque peut-être à opposer à Zaroff un esprit aussi brillant que lui pour que le récit soit de la même qualité. Dans tous les cas, le récit est parfaitement servi par le dessin de François Miville-Deschênes, d'une précision ahurissante et donc d'une beauté stupéfiante. Vraiment, chaque case est un pur plaisir à regarder. Je n'aime pas toujours quand le dessin est hyper-réaliste (à la Bergèse dans les Buck Danny de 2005-2006, par exemple), mais ici, Miville-Deschênes réussit à faire quelque chose de très fluide. Notamment, l'alchimie entre les personnages et les paysages (élément essentiel dans les histoires mettant en scène le comte Zaroff) est admirable, il n'y a pas le côté trop statique qu'on trouve souvent quand le dessin essaye d'être le plus réaliste possible. Ici, pas un trait en trop, l'équilibre est parfait ! Seul (très) léger reproche : il est peut-être un peu trop propre par rapport au ton du récit. Quand ça devient vraiment sanglant, on a parfois un petit peu de peine à ressentir l'impact d'une blessure ou d'un coup de griffe. Ou encore le visage blessé du général Zaroff est bien trop lisse par rapport à ce à quoi on aurait pu s'attendre. Mais bon, ça n'entame pas la qualité incroyable du dessin. Ainsi, alors que le pari de reprendre la nouvelle initiale et le film de 1932 avec la même intensité semblait perdu d'avance, Runberg et Miville-Deschênes réussissent pourtant à créer un résultat à la hauteur des œuvres initiales. Rien n'est édulcoré, aucun élément de base n'est trahi, et la continuité est parfaitement entretenue jusqu'à des cliffhangers de grande qualité, qui résument parfaitement l'esprit de cette bande dessinée : ne rien trahir, trouver le juste équilibre. Clairement, c'est une mission accomplie pour les deux auteurs !