Les derniers avis (9058 avis)

Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Degas - La Danse de la solitude
Degas - La Danse de la solitude

Où trouver cet art ? L'Art de notre temps ? - Ce tome contient une biographie de l'artiste Edgar Degas (1834-1917) qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour l'apprécier, et qui dégage plus de saveurs si le lecteur est familier de ses principaux tableaux. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et pas Efa (Ricard Fernandez) pour les dessins et les couleurs. Il compte quatre-vingts pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de sept pages, rédigé par le scénariste et illustré par des tableaux de Degas. Ces deux auteurs avaient déjà réalisé ensemble Monet, nomade de la lumière (2017). Samedi 29 septembre 1917, au cimetière de Montmartre à Paris, Mary Cassatt assiste à l'enterrement d''Edgar Degas, immobile et silencieuse, entendant les commentaires autour d'elle. Quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Il était toujours seul. Rien d'étonnant il était si intransigeant. Il ne s'est jamais remis de la faillite familiale. Ce fut pour lui, une telle humiliation. Machiste, antidreyfusard, voire antisémite, intolérable ! Et cette manie de ne peindre que des danseuses, des blanchisseuses et des prostituées, c'est bizarre non ? Pas si bizarre quand on sait que la plupart de ces ballerines étaient aussi des putains. Il ne s'est jamais marié, encore une bizarrerie. En effet, plus encore pour un homme de son rang. On ne lui a jamais connu une seule aventure ? Pas même avec l'un de ses modèles, comme ses amis impressionnistes ? Non, il était peut-être homosexuel, en tout cas beaucoup le pensaient. Ou impuissant… Il était arrogant, insolent et désagréable ! Les gens disaient qu'il y avait deux Degas : celui qui bougonne et celui qui grogne. Il était tout bonnement insupportable. Il a toujours vécu seul, pas étonnant qu'il soit mort seul. Après l'enterrement, Mary Cassatt rentre chez elle en pensant à tous ces commentaires. Elle se dit qu'on parlera toujours de ses danseuses adorées, de ses blanchisseuses, de ses modistes. Mais quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Elle a besoin de savoir. Elle prend un volume dans sa bibliothèque et se plonge dans les carnets intimes du peintre. En 1852, 45 rue de Taibout à Paris, un jeune Edgar Degas a abordé Paul Valpinçon qui marche dans la rue, et il lui fait la leçon de manière véhémente, lui reprochant de refuser le tableau La baignade pour une exposition sur la carrière de Jean-Auguste-Dominique Ingres, allant jusqu'à l'insulter en le traitant de d'imbécile, de foi, d'idiot, de benêt, d'abruti, d'égoïste. Continuant sur sa lancée en le qualifiant de bourgeois arrogant, de personnage insignifiant, de crétin analphabète. Tout au long de ces invectives, Valpinçon a continué d'avancer et il s'arrête au 11 quai de la Seine pour sonner à la porte. Un homme lui ouvre, le reconnaît et lui demande quel bon vent l'amène. Edgar identifie Ingres au premier coup d’œil. Le riche bourgeois informe le peintre qu'il a changé d'avis et qu'il va lui prêter La baigneuse. le jeune garçon explique à l'artiste qu'il veut devenir peintre. Ingres lui conseille de se consacrer corps et âme à la peinture, de vivre pour la peinture, d'en faire sa maîtresse, sa fiancée et son épouse. Dès les premières pages, le lecteur constate que les auteurs savent de quoi ils parlent. Le scénariste a choisi de raconter l'histoire de l'artiste du point de vue de Mary Cassatt (1844-1926), artiste peintre et graveuse américaine ayant entretenu une longue relation professionnelle avec le peintre, et le dessinateur sait citer les toiles du maître, sans essayer de les singer. le récit s'ouvre sur l'enterrement d'Edgar Degas, et sa collègue se plonge dans ses carnets intimes. Le dispositif narratif peut sembler téléphoné : dans la narration le scénariste s'en sert pour annoncer les questionnements qu'il va évoquer concernant ce peintre. Les remarques effectuées par les personnes assistant à l'enterrement constituent autant de facettes de la personnalité publique de Degas formant un portrait de l'individu. La deuxième scène indique que l'auteur va mettre en scène des moments de vie, avec la connaissance de son déroulement complet, le point de vue étant celui de sa collègue après la mort de Degas. Dès ces premières pages, la narration visuelle séduit le lecteur avec ces teintes comme apposées au crayon de couleur, des cases rectangulaires sans bordure tracée, un regard adulte sur les différents lieux, avec le comportement posé de cette dame âgée, en phase de deuil d'un ami cher qu'elle a côtoyé pendant des décennies. Après les trois pages d'introduction, le récit reprend un ordre chronologique, à partir de 1852. En fonction de la nature des événements évoqués, les auteurs peuvent consacrer une scène à une date précise, ou bien évoquer des faits s'étant déroulés entre deux dates, ou encore une série de dates. Dans la première famille se trouvent par exemple l'année 1872 que Degas passe à la Nouvelle Orléans en Louisiane, l'année 1873 au cours de laquelle il développe l'idée d'un salon des Impressionnistes, le 15 avril 1874 pour la première exposition des Impressionnistes, les dates des sept expositions suivantes (30 mars 1876, 4 avril 1877, 10 avril 1879, 1er avril 1880, 2 avril 1881, 1er mars 1882), avril 1883 alors que Degas se rend au chevet de Manet, le 30 avril 1883 date de son décès. Dans la deuxième catégorie, ils vont développer des interactions et des faits avérés comme la fin des études scolaires de Degas, ses années d'apprentissage à l'atelier Lamothe, la première rencontre avec Édouard Manet (1832-1883), celle avec Berthe Morisot (1841-1895, artiste peintre, cofondatrice du mouvement des Impressionnistes), avec les autres impressionnistes, avec Mary Cassatt, les travaux préparatoires de la publication le Jour et la Nuit, qui ne paraîtra jamais, plusieurs échanges au cours de sa relation avec Cassatt, etc. Le lecteur se retrouve vite pris par cette reconstitution consistante et dense, tout en se demandant si ça s'est vraiment passé comme ça. le dossier en fin d'ouvrage comporte plusieurs parties dont les titres sont les suivantes : Musique pour un menuet solitaire, Degas et Cassatt une énigme émotionnelle, le monde de Degas planche après planche, Un jeune homme en colère, le masque de l'artiste, Inspiration américaine, le ballet comme atelier, Un long adieu. Entre autres, le scénariste explicite ses partis pris : résister à la tentation d'accompagner les planches d'explication, et inclure dans ce cahier final toute une série d'informations complémentaires, de détails savoureux, de curiosités et d'anecdotes qui rendent plus agréable la lecture ou la relecture de cet album. Il apporte une précision sur la voix de monsieur Degas : ses carnets ainsi que plusieurs de ses lettres ont été conservés, tout comme une série d'anecdotes, de critiques et d'information sur sa manière de parler, de se comporter et de s'adresser à son entourage. Il a veillé à reproduire fidèlement son caractère, sa personnalité et son langage, reprenant mot pour mot ou en les adaptant, un grand nombre de ses répliques, affirmations, notes et réflexions. S'il n'est plus possible d'interviewer Edgar Degas lui-même, cette biographie colle au plus près de ce qui est connu de lui, tout en effectuant des choix pour réordonner quelques détails et se conformer à la pagination. À plusieurs reprises, le lecteur peut faire le lien avec la bande dessinée que les auteurs ont consacré à Claude Monet (1840-1926), et aux séquences relatives au Salon de peinture et de sculpture, souvent appelé juste Salon. L'artiste a choisi de réaliser des dessins qui ne singent pas les tableaux de Degas (d'ailleurs, pas sûr qu'il soit possible de réaliser une bande dessinée avec ses tableaux), mais qui en respecte l'esprit. Pour autant, le lecteur peut identifier plusieurs reproductions de tableaux célèbres, de Degas bien sûr, mais aussi de Manet. En fonction de sa culture, il peut comparer un tableau ou un autre à l'original, et apprécier le talent du bédéiste. Il peut également être saisi par la manière dont il transcrit la puissance expressive de la sculpture La Petite Danseuse de quatorze ans (1879-1881), ou comment il détourne le déjeuner sur l'herbe (1863) de Manet, sans les femmes, avec Degas et Manet allongés sur l'herbe dans la position des messieurs du tableau. La première caractéristique réside dans le fait que la narration visuelle est traitée comme une véritable bande dessinée, et non comme un texte illustré, même quand le scénariste a beaucoup d'informations à apporter. Efa impressionne par sa capacité à représenter dans le détail de nombreux éléments. Le lecteur peut prendre son temps pour examiner les costumes et les robes, les chapeaux féminins et masculins, et bien sûr la manière dont les messieurs taillent leur barbe et leu moustache. Il peut se projeter dans chaque lieu : devant le caveau de la famille de Gas, dans plusieurs rues de Paris, dans une salle de classe du lycée Louis-le-Grand, à l'atelier Lamothe, au café Guerbois, dans plusieurs salons où se tient une réception mondaine, à l'opéra, dans l'atelier de Degas, dans un grand parc parisien, dans un hippodrome, dans les coulisses de l'opéra, dans une maison close. Le dessinateur sait donner à voir les lieux représentés par le peintre, et ceux qu'il fréquentait. L'utilisation de crayons de couleur ou équivalent aboutit à un rendu différent de celui de la peinture, tout en respectant les atmosphères des toiles, le lecteur pouvant en comparer dans le dossier de fin. Récréer la vie d'un être humain, sa trajectoire de vie, mettre en lumière sa personnalité tient de la gageure, d'une construction a posteriori, d'une interprétation pour mettre en concordance les faits et gestes publics et connus d'un individu et sa vie intérieure mystérieuse et connue de lui seul. Efa & Rubio permettent de faire connaissance avec un artiste peintre singulier, de le côtoyer, d'envisager ses motivations, ses états d'esprit, ses principes (en particulier l'importance qu'il donne à son Art et à sa pratique, aux dépens de sa vie sociale et amoureuse), dans des planches magnifiques, autant descriptives que gorgées de sensations, dans le contexte du mouvement impressionniste. Un coup de maître.

14/11/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Ar-Men - L'Enfer des enfers
Ar-Men - L'Enfer des enfers

Décidément, il est fort ce Emmanuel Lepage. Il nous livre ici bien plus qu’une simple BD sur un phare. C’est une incursion, presque mystique, dans l’univers brut et impitoyable de la mer d’Iroise, où le phare d’Ar-Men (l’enfer des enfers) se dresse comme une sentinelle à l’écart de tout. Les premières pages font immédiatement sentir le sel, l’humidité et la solitude de ce lieu où Germain, un gardien solitaire, assure la veille. Et le talent artistique de Lepage y jour pour beaucoup avec cette intensité du bleu profond de la mer et la texture presque palpable des vagues, tantôt sereines, tantôt déchaînées. L’histoire jongle assez habilement entre plusieurs récits : Germain, dans sa solitude, se remémore les mythes et légendes bretonnes, comme celui de la ville d’Ys, engloutie par les flots, tout en explorant la construction chaotique du phare à travers les souvenirs de Moïzez, un bâtisseur aussi tenace que les éléments qu’il affrontait. Les récits s’imbriquent, mêlant réalité historique et folklore breton, avec l’Ankou et les marins de l’île de Sein qui y font leur apparition, évoquant un passé où mythe et quotidien se confondaient. Lepage jongle avec des styles visuels différents pour rendre ces périodes et ces histoires distinctes. Ca fonctionne très bien même si les différents niveaux de récits, entre mythologie et histoire personnelle, peuvent sembler presque dispersés par moments. On passe de la solitude de Germain aux légendes de Ker-Is, avant de revenir au quotidien rude des bâtisseurs du phare. Cette superposition renforce aussi l’aspect mystique du lieu et du récit, comme si Ar-Men était le point de convergence de toutes ces histoires. Visuellement, c’est un pur régal. Lepage capture la violence de la mer, la force brute des vagues s’écrasant sur le phare, et la lumière du fanal qui transperce la nuit noire. Chaque case est un hommage à l’immensité de la mer et à la petitesse de l’homme face à elle. Les scènes de tempête, en particulier, sont magnifiques. Une BD qui sent la mer, au récit riche et équilibré et avec les superbes illustrations d'Emmanuel Lepage pour relever le tout. Que demander de plus ?

14/11/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Marécage
Marécage

Une très belle surprise pour moi aussi, presque un retour aux sources, avec ce même type de plaisir que j’avais ressenti en lisant La Quête de l'Oiseau du Temps pour la première fois. Je ne suis donc pas étonné de trouver Régis Loisel signant la préface du tome 2, un clin d’œil qui renforce l’idée que cette BD s’inscrit dans la même veine. Dès les premières pages, on comprend que le marécage n’est pas un simple décor : c’est un territoire étrange, sombre, grouillant de créatures et peuplé d’exilés. Ce lieu foisonne de détails, d’objets et de paysages à l’aura presque mystique, renforçant cette impression d’inconnu. C’est un univers qui puise ses inspirations un peu partout, empruntant des éléments mythologiques, un soupçon d'intrigues politiques, et même une touche mystique avec des créatures anthropomorphes et hybrides. Le dessin d’Antonio Zurera ne m'a pas laissé indifférent, même si je dois dire qu’il m’a fallu quelques pages pour m’y habituer. Son trait est parfois très foisonnant, et peut sembler confus avec des hachures qui se mêlent aux couleurs sombres et saturées. Pourtant, une fois passé ce premier cap, on découvre une vraie richesse visuelle. Les couleurs, très vives, apportent une dimension onirique et presque oppressante, bien en phase avec cet univers inhospitalier. S'il fallait lui trouver un défaut, je dirais comme d'autres avant moi que la composition des cases et le positionnement des bulles ne facilitent pas toujours une lecture fluide. L’intrigue, elle, tient bien la route. Sur une base classique de complot autour de la succession au trône, l’histoire prend une tournure inattendue, brouillant les pistes avec de multiples personnages et une succession de rebondissements. Les personnages sont bien campés, chacun avec sa propre dynamique, ses mystères et ses ambitions. Une œuvre audacieuse, où les petites imperfections de début de série côtoient une profondeur indéniable. C’est ce genre de BD où j'accepte volontiers de me perdre un peu, pour mieux me laisser porter par une atmosphère travaillée et qui donne envie de découvrir chaque recoin de ce monde. Un univers dense et surprenant, qui mérite qu’on s’y plonge sans réserve. Un début de série très prometteur !

14/11/2024 (modifier)
Par Hervé
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série 1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta
1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta

tome 1 La première chose que l'on remarque avec cette bd, c'est sa qualité éditoriale, une couverture remarquable, et un album de 135 pages qui pèse plus d'un kilo ! Certes, le prix est assez élevé, et un choix éditorial autre à un moindre coût aurait pu l'emporter mais c'est vrai que cette option, assez luxueuse, est discutable mais passons... Ce qui frappe en ouvrant cet album, c'est le dessin de Thimothée Montaigne. J'avais découvert cet auteur avec la série Le Troisième Testament - Julius qu'il avait repris au pied levé avec un certain brio, il faut l'avouer. Certes son dessin lorgne sans ambiguïté aucune, vers celui de Mathieu Lauffray, avec lequel il avait collaboré sur Long John Silver. Il n’y a rien à dire sur le dessin, c'est superbe, on en prend plein la vue avec quelques pleines pages ou doubles pages incroyables (je pense notamment à la découverte du Jakata, pages 22 et 23.) En débutant la lecture, j'ai immédiatement songé au personnage de Lady Hasting de Long John Silver avec Lucretia Hans, qui veut rejoindre son époux, au delà des mers. Je reste subjugué par la beauté des planches, malgré la noirceur de l'intrigue, au fil des pages. Le scénario de Xavier Dorison n'est pas en reste, l'intrigue est très sombre, les personnages très tourmentés, et ce premier volume retrace avec une efficacité remarquable, l'atmosphère qui règne sur un navire où une mutinerie couve.... Parti d'un choix éditorial très discutable sur le coût, cet album rejoint, à mes yeux, un des meilleurs albums que j'ai lus cette année, bref un incontournable de cette année. tome 2 La lecture du premier volume fut , pour moi, jubilatoire. Je ne connaissais pas du tout ce fait maritime, et je me suis fait souffrance pour ne pas aller en découvrir davantage , pour mieux appréhender ce second volume. Je dois dire que cet album est époustouflant à tout point de vue. Un dessin de Thimothée Montaigne magnifique voire exceptionnel, les pleines pages sont d'une beauté à couper le souffle. Mais c'est surtout le rythme du récit qui tient en haleine le lecteur, d'ailleurs je n'ai pas réussi à lâcher ce livre avant d'en connaitre le dénouement. On a du mal à imaginer tant d'atrocités dans ce récit, bien qu'il soit très fortement inspiré de faits réels. Le travail de Xavier Dorison est, une de fois de plus, remarquable dans cette adaptation. J'ai bien évidement relu le premier volume de ce diptyque avant de me lancer dans cet album, et à mon avis, ce second tome dépasse encore le précédent, c'est dire! Une de mes meilleures lectures de cette année. Et je passe sous silence la qualité éditoriale de l'album,et son prix, certes élevé, mais lorsque le scénario et le dessin sont d'une telle qualité, on ne peut passer à côté d'un tel chef d’œuvre.

28/11/2022 (MAJ le 13/11/2024) (modifier)
Par greg
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Professeur Stratus
Professeur Stratus

Si l'on pouvait résumer le professeur Stratus et ses aventures par un seul mot, ce serait nostalgie. Le professeur Stratus est né en 1989 dans le journal de Tintin (version flamande), et a fait ses débuts dans Hello BD un an plus tard en France. Nous sommes face à un trio de héros: le professeur Stratus, un de ses amis, et son majordome. Ces trois personnages vont parcourir le monde d'abord par dirigeable, puis par sous-marin, tous inspirés d'un univers très "Vernien". Ce sont des récits d'aventure à l'ancienne, tout "hurle" les années 80, mais dans le bon sens du terme: graphisme, mais aussi scénario. Les héros sont très manichéens, à savoir sans vrai défauts, du côté du bien. Stratus se révèle être davantage un humaniste et enquêteur qu'un brillant savant (ses rares inventions servent davantage à transporter les personnages qu'autre chose), son ami fait office de Dr Watson, tandis que le majordome évoque irrésistiblement passe-partout par son à-propos, tout en plaçant son devoir au-dessus de tout. C'est un peu basique, et pourtant cela marche. On prend beaucoup de plaisir à lire ces aventures. Une histoire se déroule en France, traitant des préjugés d'autrui, mais au lieu de briser la continuité Vernienne, elle apporte une parenthèse bienvenue. Je lui met 4 étoiles, même si objectivement elle ne mérite que trois: cette série conviendra effectivement davantage à des plus jeunes...Ou des jeunes nés dans les années 70 et 80 qui sont devenus vieux. Les autres auront du mal. Mais faisant partie de la seconde catégorie, je ne boude pas mon plaisir

12/11/2024 (modifier)
Par greg
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Le Royaume sans nom
Le Royaume sans nom

Nous sommes dans un royaume anthropomorphique où le roi vieillissant (un lion, pas très original) du royaume sans nom en question se prépare à accueillir l'ambassadeur d'une alliance regroupant 2 royaumes et un empire afin d'établir de nouveaux liens commerciaux et diplomatiques. L'analogie avec les 5 terres est évidente, et certains personnages ressemblent énormément à ceux du long-métrage Disney Zootopia. Mais la comparaison s'arrête là: Zootopia est une fable sur la tolérance, les 5 terres une œuvre titanesque s'attachant à décrire en profondeur chacun des 5 royaumes en question à travers 6 tomes/royaume qui s'étirent en longueur avec un nombre incalculable de personnages, pas tous liés les uns aux autres. Ici, en tout cas pour les deux premiers tomes, on se concentre sur le Royaume sans nom, il y a de nombreux personnages, mais tous bien construits, posés bien plus rapidement, et dont les destins sont encroisés de manière étroite. L'histoire joue la part belle aux intrigues politiques et guerrières, c'est très bien construit, et surtout beaucoup plus direct. Après un tome introductif permettant de poser le cadre, le second opus va dans le vif du sujet à 100 à l'heures, petit à petit on découvre les éléments d'un grand jeu d'échec, sans aucun temps mort. Et paradoxalement, cela réussit extrêmement bien à l'intrigue, très prenante, jouant sur les faux-semblants de manière efficace. Autant j'ai très vite fatigué avec les 5 terres qui s'étire jusqu'à plus soif, autant ce Royaume sans nom réussit à parfaitement conserver son équilibre et à maintenir mon intérêt éveillé. On pourrait reprocher à la série de nous montrer assez peu de choses des peuples de l'alliance, tout en ayant une ou deux faiblesse: on ne sait pas, par exemple, par quel moyen les carnivores se nourrissent en viande rouge, alors que le royaume se pose en opposition à un rival politique qui mange ses sujets sans vergogne (mais il faut aussi dire que les 5 terres lui fait carrément totalement l'impasse sur ce sujet!!! Au moins c'est évoqué), je considère malgré tout que le plus est l'ennemi du bien. Pour le moment une très franche réussite pour moi.

12/11/2024 (modifier)
Par Brodeck
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Grand petit homme
Grand petit homme

Zanzim, qui a souvent collaboré avec le regretté et talentueux Hubert, revient tout seul aux manettes avec un ouvrage très réussi ! Difficile de classer cet album tant les genres abordés sont variés : conte moral, récit d'aventure, d'apprentissage, chronique sociale, tantôt comique, tantôt mélancolique, " Grand petit Homme ", c'est tout cela à la fois ! Employé modèle et consciencieux, Stanislas Rétif est un vendeur de chaussures qui a un coup d'oeil à nul autre pareil pour aider les jeunes femmes à trouver la paire de chaussures idéale. Hélas, sa petite taille et sa discrétion le desservent et ses collègues, jolies créatures à la silhouette élancée, l'ignorent superbement ou à l'occasion le manipulent. Sa patronne ne lui accorde que peu d'intérêt et le pauvre petit homme n'a d'autre choix que de mener une vie terne en compagnie de son chat. Jusqu'au jour où un événement va venir bouleverser la routine du petit vendeur... Zanzim nous offre pour cette fin d'année une histoire malicieuse, un récit vif et et réconfortant. En refermant l'ouvrage, j'ai pensé à des films de Noël à la Franck Capra, le côté comédie sociale attendrissante sans doute. L'auteur évoque lui l'influence de Truffaut notamment et s'inspire des traits de Charles Denner, l'acteur de " L'homme qui aimait les femmes " pour donner vie à son personnage. L'écriture soignée, les dialogues brefs mais percutants, les jeux de mots employés avec parcimonie au début du récit participent au style alerte qui plonge rapidement le lecteur dans l'univers de Stanislas. Le dessin dynamique et coloré est un régal, Les silhouettes féminines des années 60 sont ravissantes et certaines planches pleine page viennent ponctuer l'histoire et souligner l'habileté d'une narration enlevée et enjouée. Les aventures que va vivre Stanislas évoquent des scènes cultes du septième art et s'imbriquent parfaitement. Elles jalonnent le parcours de ce grand petit homme qui, sous les yeux du lecteur amusé, va mûrir, évoluer et comprendre ce qui fait la véritable grandeur de l'homme. La fin pourra peut-être paraître un peu abrupte, mais pour ma part, la conclusion logique de ce tome est également une réussite. Un coup de coeur pour l'esthétique, le plaisir de lecture à chaque page, les genres multiples. Bref, chaudement recommandé !

11/11/2024 (modifier)
Couverture de la série Alpha... directions / Beta... civilisations
Alpha... directions / Beta... civilisations

Impressionnant ! On ne peut qu’être bluffé par la somme de travail nécessaire pour produire cette œuvre plus qu’ambitieuse ! Je n’ai lu pour le moment que l’imposant premier tome, qui nous présente ni plus ni moins que la période allant de la création de l’univers jusqu’à l’apparition des hominidés. Une ambition énorme, mais qui s’appuie sur des qualités toutes aussi importantes pour nous proposer quelque chose de captivant. Car jamais le lecteur n’est mis de côté par les connaissances ou termes scientifiques (noms de période, de phénomènes, d’espèces, de réactions chimiques, etc.). C’est fluide et on n’est jamais perdu. Et on ne s’ennuie jamais non plus ! C’est en effet très rythmé, la narration mêlant didactisme et moments plus planant, laissant vagabonder l’imagination du lecteur. L’autre originalité et qualité de ce projet hors du commun, c’est son traitement graphique, que j’ai trouvé excellent, et pour une bonne part garant du plaisir de lecture. Le dessin est à la fois minutieux et agréable, dynamique et fluide. Et la colorisation, usant de diverses bichromies, accompagne très bien l’ensemble. Certaines planches illustrant les convulsions terrestres m’ont fait penser à au travail de Clément Vuillier (en particulier dans son album L'Année de la Comète). Surtout, Harder, que ce soit dans ses cases muettes ou dans celles accompagnées d’un texte – généralement placés en dessous des cases – va bien sûr dessiner de façon réaliste (et très réussi !) animaux, végétaux et matières organiques. Mais il va aussi utiliser une iconographie d’une grande richesse, puisant dans l’imagerie issue de toutes les civilisations. Européenne bien sûr – proximité oblige – mais aussi américaine, australienne, etc. Il ajoute aussi de nombreuses références issues de la BD, du cinéma. Tout ceci passe très bien et ne fait jamais artificiel, au contraire, tout fait sens et s’agrège naturellement au récit central, tout en l’aérant. Une pagination imposante, mais cela se dévore rapidement. Dès que je le pourrai, je lirai Civilisation. Même si a priori je crains que le procédé marche moins bien qu’avec ce premier album, duquel les hommes sont absents. Mais si la suite est du même acabit, je remonterai sans aucun doute ma note. Un album brillant en tout cas.

10/11/2024 (modifier)
Par Blue boy
Note: 3/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Modigliani (Anderle)
Modigliani (Anderle)

« Pour moi, l’art est comme une recherche continuelle, mais ce que je cherche n’est ni le réel, ni l’irréel, c’est l’inconscient… C’est comme si avec un œil je cherchais dans le monde extérieur, et qu’avec l’autre je regardais à l’intérieur des gens. » Cette citation de Modigliani résume parfaitement l’approche artistique du personnage, dont Ernesto Anderle a mis en image la biographie dans cet album homonyme à travers les yeux de la fille de « Modi » et du peintre Maurice Utrillo. L’artiste, qui avait quitté son Italie natale pour Paris, désirait vivre pleinement son art, et la ville des lumières était le seul endroit où il pensait pouvoir le faire. Mais Paris, ville des plaisirs et des excès, , où la fine fleur de la peinture moderne venait s’encanailler au début du XXe siècle, a également été le témoin de sa déchéance dans la misère et l’alcoolisme, déchéance accentuée par sa santé fragile et la guerre qui avait précipité l’Europe dans les ténèbres. Dans ce contexte difficile, le peintre connut heureusement l’amour, notamment avec Jeanne Hébuterne qui fut sa muse jusqu’à ses derniers jours. Leur amour était si fusionnel que la jeune femme se suicida deux jours après la mort de son compagnon. Ernesto Anderle nous livre ici un bel hommage à un artiste dont on connaît surtout les œuvres centrées sur les nus féminins et les portraits. Il dresse lui-même le portrait passionnant d’un homme authentique qui ne vivait que pour son art, lequel constituait le moteur principal dans sa quête d'absolu, mais dont le talent ne fut reconnu qu’après sa mort. Jeanne fut en quelque sorte la « récompense », le « graal » de cette quête, qu’Anderle restitue ici avec poésie et émotion. Ainsi, il apparaîtrait presque déplacé d’émettre des objections quant au dessin, car si celui-ci apparaît à première vue mal ficelé voire bâclé, il est parfaitement raccord avec le style de Modigliani. Proportions non respectées, mains à trois doigts, trait tremblotant au bord de l’esquisse, négligence des détails… Ernesto Anderle se contrefiche des codes du neuvième art. Réputé pour faire dialoguer la peinture et la bande dessinée (avec notamment « Caravage, l’ombre du peintre », publié également cette année chez l’éditeur Petit à petit), l’auteur multicasquette dessine d’abord comme un peintre (car en effet il est aussi sculpteur, vidéaste, et expose dans des galeries d’art), et quoiqu’on en pense, on ne peut pas le nier, il est plutôt stylé ! Sa mise en page est vivante, sa façon de cadrer parlante, les visages sont expressifs et il sait insuffler une belle poésie dans ses cases. Cas de figure typique où le fond est trop imposant pour se faire éclipser par la forme. Ce « Modigliani » raconte avant tout une très belle histoire, celle d’un amour fusionnel et tragique qui avait vu Jeanne et « Modi » devenir « une seule et même chose », un amour si fort que même les parents de la jeune femme ne purent s’opposer à ce qu’ils soient réunis dans la mort. On ne tiendra pas rigueur à l’auteur du décalage chronologique (délibéré ?) concernant la date où la dépouille de Jeanne rejoignit celle de son amant au cimetière du Père Lachaise. Ernesto Anderle a produit une biographie poignante via le regard de leur propre fille, prénommée Jeanne comme sa mère, qui donne envie d’approfondir sa connaissance de l’œuvre du peintre-sculpteur mais aussi de découvrir celle, moins connue, de « Noix de coco », le surnom de Jeanne Hébuterne, qu'elle tenait de son teint blanc laiteux contrastant avec ses cheveux châtain aux reflets roux.

10/11/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série La Menace venue du cosmos - La Croisière de l'art
La Menace venue du cosmos - La Croisière de l'art

Écraser les autres pour se retrouver sur la plus haute marche du podium ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, racontée sous la forme d’un roman-photo. Sa parution date de 2023. Il a été réalisé par Nicole Augereau pour le scénario, la direction d’acteurs, le montage. Elle joue le rôle principal, celui d’Amélie. La page de crédit fait état de vingt-six acteurs, et de sept personnes ayant accepté de prendre l’appareil photo que l’autrice leur tendait. Elle remercie également tous les participants et organisateurs-rices de La croisière de l’art, qui ont accepté de poser sous son objectif. Enfin, une page est dédiée à lister les œuvres présentes dans ce livre, c’est-à-dire des œuvres d’art contemporain. Amélie se tient au beau milieu d’une zone totalement dégagée d’une forêt, tous les arbres étant couchés à même le sol. Elle se lance dans un long monologue, commençant par enjoindre à regarder ce désastre ! Depuis qu’une météorite est venue s’écraser dans la forêt, les habitants sont tous témoins d’étranges phénomènes. Elle ne parle pas de l’internet coupé et de tous les accès bloqués, elle parle des gens ! Une voisine employée de hot line qui plaque tout pour apprendre l’opéra. Un ami conseiller bancaire qui démissionne brutalement pour faire des sculptures en fil de fer. Le rapport avec la météorite ? Elle ramasse un morceau d’écorce à même le sol et elle le brandit à bout de bras. Et ça c’est quoi peut-être ? Ce bout d’écorce déchiqueté est complètement infesté. Elle s’écrit : Oh non, ils me montent sur le bras ! Saleté d’aliens ! Ils vont transformer tout le monde ! Yeeeerk ! Elle va prouver au monde entier qu’en plus du réchauffement climatique, de l’arrivée des fascistes au pouvoir, des virus mortels et des guerres nucléaires, un nouveau péril menace ! Elle est une lanceuse d’alerte ! Ils ne l’auront pas ! Amélie se tient sur un pont en pierre, avec un village derrière elle. Elle explique : Ici, on est dans son petit village si typique, avec sa forêt, son lac et son château. Typique ? Plus pour longtemps. Elle emmène le lecteur dans un rassemblement d’individus qui se sont fait retourner la cervelle par les amis venus de l’espace. À juger par soi-même… Un homme est assis à une table en extérieur, sous un parasol avec une demi-douzaine de personnes assises sur des chaises, en train de l’écouter. Il se présente : avant, il était ingénieur électronicien dans l’armée. Tout était secret défense, il ne devait rien dévoiler de ses activités, même à sa femme. Il travaillait sur des appareils qui permettaient de repérer un type armé d’un couteau à huit kilomètres de distance. À cinquante-neuf ans, il a tout arrêté et il s’est mis au dessin. Il continue : On peut se mettre à dessiner à n’importe quel âge et n’importe où, sur des bouts de carnets, des boîtes, des pots de yaourt. Il faut être décomplexé, spontané. Ne pas se juger, accepter les imperfections. Le dessin, c’est une interprétation du réel, il faut dessiner ce qui vous inspire, n’importe quoi. Le dessin qu’on faîtes ne plaît pas, le voisin l’aimera peut-être. L’éditeur FLBLB continue de publier régulièrement des romans-photos, dans des genres différents : ici, le lecteur découvre une histoire d’anticipation. Une femme, Amélie, est persuadée d’avoir détectée une invasion extraterrestre sournoise : des sortes de micro-organismes dont elle est la seule à avoir conscience de la présence. Les personnes dont le cerveau est infecté abandonnent leur travail pour se consacrer à la création artistique. C’est une catastrophe : une vague de démissions impacte tous les domaines de l’activité économique et administrative. Le personnage effectue ses remarques à haute voix sur ce qu’elle observe, comme si elle s’adressait en direct au lecteur. Ce dernier l’accompagne alors qu’elle rencontre des individus s’étant reconverti : un ingénieur électronicien en dessinateur, une femme et un homme ayant dessiné une faille dans un mur qui part d’en haut et qui descend jusqu’en bas, si on la fixe, on finit par ne voir plus qu’elle, la responsable du planning à l’agence d’intérim en personne écoutant les plantes et consignant leur histoire sur un carton, la dame qui fait visiter les maisons à l’agence immobilière en créatrice de toile faite avec le suc des plantes, l’employée au garage Renault en artiste dans une démarche artistico-médico-globale, etc. L’intrigue prend la forme d’une enquête au cours de laquelle Amélie rencontre des habitants qu’elle a l’habitude de côtoyer, avec des séquences oniriques, la visite d’une exposition d’art contemporain, et une sortie en kayak. Ce roman-photo met en œuvre les formes narratives d’une bande dessinée : chaque photographie correspond à une case, celles-ci sont disposées en bande. Majoritairement, les pages comprennent deux bandes, avec régulièrement une disposition de deux bandes de deux cases chacune. L’autrice utilise une fois une photographie en double page ; elle a recours à une photographie en pleine page à onze occasions. Elle a conservé la forme carrée ou rectangulaire de chaque photographie, avec des bordures ondulées lors des séquences de rêve. Elle ne semble pas avoir usage d’effet spéciaux pour modifier les photographies, sauf pour l’éclairage bleuté d’une séquence. Le lecteur suit Amélie dans différents lieux du village : tout d’abord dans la forêt en extérieur, puis sur cette terrasse publique ombragée, dans un grand parc, dans une chambre à l’étage, devant une maison sur pieux, à l’intérieur d’un bâtiment public abritant une exposition d’art contemporain, dans une zone ombragée au bord d’un lac, et enfin sur le lac lui-même en kayak. Le lecteur apprécie la belle lumière de l’été, la douce chaleur qu’il ressent en regardant les tenues estivales des personnages. Il se rend compte qu’il rencontre beaucoup de monde, vingt-six personnes recensées dans les crédits, tout cela donnant une sensation de grande liberté, à l’opposé d’une impression de production étriquée faute d’un budget riquiqui. Dans cette narration naturaliste, le lecteur voit Amélie brandir un morceau d’écorce en page cinq et s’alarmer du fait qu’ils lui montent sur le bras. En prenant le temps d’examiner la photographie, il constate qu’il ne distingue rien qui pourrait le renseigner sur ces Ils. En page huit, l’ingénieur reconverti en dessinateur expose ses convictions : On peut se mettre à dessiner à n’importe quel âge et n’importe où, sur des bouts de carnets, des boîtes, des pots de yaourt. Il continue : Il faut être décomplexé, spontané, ne pas se juger, accepter les imperfections, le dessin, c’est une interprétation du réel, il faut dessiner ce qui vous inspire, n’importe quoi. Le lecteur ne détecte pas de manipulation mentale d’un organisme extraterrestre qui ferait dire n’importe quoi à cet être humain. Il se rend compte qu’il a mordu à l’hameçon : par pur automatisme, il a adopté le point de vue d’Amélie, la réalité d’une menace venue du cosmos, et il essaye d’identifier des schémas, de détecter ce qui cloche, ce qui confirme cette hypothèse. Il se retrouve hésitant car les images ne montrent rien que de très normal. Tout au plus, il peut exprimer des doutes sur les qualités artistiques des productions qui sont montrées à Amélie : le dessin d’une faille dans un mur, une dame qui écrit ce que lui raconte des plantes, des feuilles imbibées par le suc de plantes pressées et tapotées avec un marteau, un brownie décoré avec des fleurs de géranium, ou encore une sculpture inspirée de coraux marins. Dans le même temps, il fait la visite de l’exposition intitulée Nous sommes des extraterrestres, hésitant également entre le canular inventé de toute pièce, et la possibilité de son authenticité. La liste d’œuvres d’art moderne en fin d’ouvrage explicite le titre et l’artiste de chacune, ainsi que la page où elle se trouve dans le roman-photo. Il apprend qu’il s’agit de la collection du musée d’art contemporain de la Haute-Vienne, dans le château de Rochechouart. Finalement, l’intrigue n’est peut-être pas aussi fantaisiste que ça, ou bien sa fantaisie s’exprime dans d’autres facettes. Alors que l’enquête progresse, le lecteur se sent balloté entre loufoque (la dame qui repère des plantes avec un cornet de papier, qui s’en approche, la saisit délicatement, entend sa petite voix si douce qui lui raconte une histoire, qu’elle consigne sur un carton qu’elle plante juste à côté), et entre remarques anodines en passant. Il y a le discours de l’ex-ingénieur sur le dessin : une forme de profession de foi sur la puissance de cette expression. Il y a cette femme qui écoute les plantes, en ayant quitté un emploi sans âme. Il écoute la sculptrice évoquer son précédent métier : Avant, elle était semi-marathonienne professionnelle, elle visait le titre de championne de France. Elle a fini par se poser des questions : Mais courir, courir, tout ça pour quoi ? Être la meilleure ? Écraser les autres pour se retrouver sur la plus haute marche du podium ? Il relève également le terme de Démissionnaire, terme apparu après les confinements conséquences de la pandémie de COVID-19, appliqué aux personnes quittant des emplois professionnels alimentaires. En pages cinquante-quatre à cinquante-neuf, Amélie discute avec l’œuvre d’art Hades (2014) de Martin Kersels, évoquant la fonction des hémisphères gauche et droit du cerveau, orientant l’interprétation de la menace venue du cosmos vers une dichotomie analytique et motrice. La fin suggère que la fonction analytique du cerveau mène vers la folie, alors que les individus étant dans l’expression de leurs émotions, de leur ressenti sont plus équilibrés. De publication en publication, les éditions FLBLB prouvent que le roman-photo peut rivaliser avec d’autres moyens d’expression dans différents genres littéraires, et peut aborder des thèmes très complexes avec nuance et subtilité. Nicole Augereau raconte une histoire d’anticipation, avec un personnage principal qui enquête sur cette menace venue du cosmos. Le mode narratif se calque sur celui de la bande dessinée, tout en mettant à profit les possibilités d’un reportage photographique dans un village et ses environs pour aboutir à une grande variété de lieux et de situations, ayant ainsi dépassé les limites inhérentes à la question de budget. Le lecteur plonge dans une intrigue à la dynamique classique, étant sûr de son interprétation, et faisant progressivement l’expérience de la réflexion sous-jacente, adulte et sophistiquée, sur l’importance relative à donner au train-train professionnel, en partie grâce à un jeu avec des créations d’art contemporain. Élégant et ambitieux.

10/11/2024 (modifier)