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Par Blue boy
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Crénom, Baudelaire !
Crénom, Baudelaire !

Tome 2 : Les Fleurs du mal Dans la ligne du tome 1, cette suite ne faiblit pas et reste totalement conforme à ce qu’on pouvait en attendre. Baudelaire et ses frasques de dandy mal léché, racontés avec brio par Jean Teulé, ont décidément été une source d’inspiration pour Dominique Gelli, et cela se ressent dans la qualité narrative et visuelle de cette adaptation. Tout comme Teulé, l’auteur parvient à nous immerger dans ce Paris du XIXe siècle, un Paris qui basculait rapidement vers la modernité, avec les travaux spectaculaires du baron Haussmann qui allaient donner à la capitale un nouveau visage, se rapprochant de celui qu’on lui connaît aujourd’hui. Gelli décrit très bien ce contexte qui suscitait la grogne parmi la population, en particulier celle des classes laborieuses et des sans-grades, qui se voyaient contraints de s’exiler vers les faubourgs, ou bien celle des artistes qui assistaient impuissants à la disparition du Paris populo et gouailleur qu’ils chérissaient. Bien qu’issu d’un milieu aisé, Baudelaire en était, un peu contre son gré, lui dont la principale préoccupation en tant que poète hédoniste consistait à vivre sans contrainte tout en rejetant les codes hypocrites de la haute société. D’un point de vue graphique, on peut dire que Dominique Gelli s’est surpassé, nous offrant des scènes superbes de la vie parisienne qui évoquent les peintures de Renoir, Pissaro, Monet et j’en passe, avec des tonalités obscures faisant ressortir les vêtements colorés du poète dandy. Tino Gelli, dans sa démarche picturale plus abstraite, vient enrichir la narration en illustrant les vers de ce dernier avec des pleines pages comme autant de respirations. Tout en restant fidèle au roman de Jean Teulé, notamment par l’humour qui le traverse, Dominique Gelli est parvenu à se l’approprier totalement. Sa représentation de Baudelaire peut toutefois apparaître éloignée des photographies que l’on connaît du poète. Si son accoutrement reflète bien l’extravagance de l’homme, dont le narcissisme n’avait d’égal que la folie, son visage, ordinaire et peu séduisant sous le pinceau du dessinateur, ne joue guère à son avantage. Certes, Baudelaire était loin d’être aimable, on pouvait même légitimement le qualifier de connard arrogant et fantasque, mais indiscutablement il était conscient de la fascination qu’il pouvait exercer sur son entourage, et il en jouait. Sa force était sans doute de ne pas faire cas de ce que l’on pensait de lui et d’aller jusqu’au bout de ses désirs. En résumé, ce tome 2 est une réussite et laisse à penser que la trilogie, une fois terminée, fera partie des biographies en BD les plus marquantes dans le domaine de l’art et de la littérature. Tome 1 : Jeanne Quelques mois après la mort de Jean Teulé, la sortie de cet ouvrage prend une dimension tout à fait particulière. Cet auteur, qui avait débuté dans la bande dessinée au tournant des années 80, s’était par la suite converti au roman où il évoquait comme personne la vie de personnages illustres de l’Histoire. Et pourtant, le lien avec le neuvième art n’a jamais été véritablement rompu, beaucoup de ses romans ayant fait l’objet d’une adaptation en BD, la plus emblématique étant sans doute Charly 9, de Richard Guérineau, une fresque grandiose consacrée au roi Charles IX. Il y eut également Je, François Villon, de Luigi Critone, et Ô Verlaine, de Philippe Thirault et Olivier Deloye. « Crénom, Baudelaire ! », le roman, n’était paru qu’en 2020. Après plusieurs années d’absence, Dominique Gelli, dont c’est ici la deuxième adaptation d’un ouvrage de ce conteur hors pair qu’était Jean Teulé, après Mangez-le si vous voulez, récit incroyable d’un fait divers effrayant pendant la guerre franco-prussienne de 1870, aura eu avec cette BD l’opportunité de se remettre sur les rails tout en révélant le talent graphique dont il était capable. Et lorsqu’on découvre ce nouvel opus, on se dit que le précédent n’était en fait qu’une mise en bouche… Pour ce faire, Dominique s’est adjoint les services de son fils Tino (on est artiste dans la famille !), davantage tourné vers la peinture, « inspiré par le mysticisme et l’ésotérisme », peignant et composant « sa propre musique qui devient la bande originale de son œuvre picturale », selon les termes de l’éditeur. Ainsi, ce portrait composé à quatre mains est le fruit d’une alchimie père-fils qui semble avoir fonctionné à plein. La partition narrative au trait légèrement charbonneux, assuré par Dominique, est entrecoupée de planches le plus souvent en pleine page, dévoilant le travail du fiston, entre abstraction et symbolisme. Gelli père quant à lui, a visiblement été très inspiré par ce portrait, et sa maîtrise sur la couleur que l’on avait constatée dans Mangez-le si vous voulez donne ici sa pleine mesure. Les scènes en clair-obscur sont splendides, avec ces touches de vert fluorescent ou de rouge qui explosent sous la grisaille parisienne, sans parler des délicats effets de drapés (la robe démesurée et voluptueuse de Madame Baudelaire !). Jeanne Duval, le « soleil noir » de Baudelaire, apparaît tel une reine africaine antique, d’une flamboyance presque terrifiante à faire pâlir — et c’est le cas — tous ceux gravitant autour d’elle, d’autant qu’à l’époque les Noirs étaient extrêmement rares à Paris. Les quelques scènes sexuelles un peu crues ne contiennent aucune once de vulgarité, et en ce sens reflètent parfaitement le propos baudelairien. Si le roman a ici été très bien synthétisé dans sa narration, évitant même de reproduire les tics un brin agaçants de Teulé de recourir à des expressions modernes, surtout dans la première partie de son livre, il a été littéralement magnifié d’un point de vue graphique. On ne pourra être que subjugué par ce qui s’avère un des joyaux éditoriaux de l’année. Cette BD, premier volet d’une trilogie pour laquelle l’écrivain a dispensé ses conseils, constitue donc désormais un double hommage, dédié d’une part à un immense poète (malgré son caractère invivable) et d’autre part un talentueux conteur des temps modernes. Il va sans dire qu’on est impatient de découvrir la suite.

10/06/2023 (MAJ le 01/03/2025) (modifier)
Par Spooky
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Souricia et le géant de la clairière
Souricia et le géant de la clairière

Ohhhhh mais c'est super mignon, ça ! Cette nouvelle série met donc en scène Souricia, une guerrière-enquêtrice qui protège le royaume de Poétia, menacé par une rat félon. Espérons que la suite de la série sortira de cet argument, mais il ne s'agit pour l'heure que d'un premier tome, et cela permet de poser les bases. On a en effet ce personnage central, probablement un électron libre qui a son franc-parler et ses propres méthodes, son amie la chouette qui joue le rôle de mage/magicienne/et plus si affinités, le roi qui est un peu à côté de ses pompes, ne s'intéressant a priori qu'aux sciences et aux arts, et sa fille, la princesse, beaucoup plus volontaire et les pieds sur terre. Face à eux le méchant (enfin pas tant que ça, Ludo Danjou le nuance dès ce premier tome) rat qui veut prendre le trône, et ses complices, pour l'instant seulement des voleurs ou gredins de bas étage. Nous sommes dans un décorum fantasy avec de la magie et un chouia de technologie moderne (avec cet inhalateur anti-allergie). dans ce registre Kan-j fait des merveilles, et ses planches sont magnifiques, montrant une belle maturité graphique, autant dans le style animalier que dans les décors, assez variés (même si j'aimerais qu'il aille plus loin) et dans la mise en scène. J'espère d'ailleurs que la suite de cette série, qui s'adresse aux plus jeunes, montrera des décors différents et des créatures qui permettront au dessinateur de bien s'amuser. Hélia est une complice fort efficace aux couleurs, c'est un vrai régal pour les yeux. Il y a les prémices d'un Michel Plessix chez Kan-j. Voici donc une nouvelle série jeunesse qui démarre bien. On n'a pas le temps de souffler, et même si Souricia progresse vite dans son enquête, c'est suffisamment plaisant pour qu'on aie envie de lire la suite. Ma véritable note est de 3,5/5, mais comme j'aime vraiment beaucoup, j'arrondis à 4.

28/02/2025 (modifier)
Par Alix
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Nuits romaines
Nuits romaines

Je ressors bluffé de ma lecture de ce polar réalisé par deux illustres inconnus (en France en tout cas, il s’agit peut-être de super stars en Italie !) Le début de l’enquête est prenant mais un peu convenu, et au 2/3 de l’album je me voyais déjà déclarer dans mon avis que « l’intrigue est efficace mais trop prévisible ». Je dois cependant avouer ne pas avoir vu venir les retournements de situations successifs et les révélations aussi fracassantes que logiques. Le dénouement m’a également beaucoup plu. La narration est excellente et fluide, j’ai suivi l’enquête sans effort, tournant souvent avidement les pages pour découvrir la suite des évènements ! Et puis il faut dire que le graphisme de Alessandro Manzella est absolument magnifique, tout en restant très lisible. J’ai particulièrement apprécié les points de vue souvent originaux. Les planches sont un délice pour les yeux. Bref, un polar sombre qui démarre tranquillement mais finit par surprendre, et une mise en image réussie… A recommander aux amateurs du genre.

28/02/2025 (modifier)
Par Spooky
Note: 3/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Neeting Life
Neeting Life

Tiens, la nouvelle mini-série de Tsutsui, connu pour des thrillers assez malins comme Prophecy ou Poison City). Il s'est intéressé à un phénomène de société réel qui s'est développé au Japon (et ailleurs) à l'occasion de la crise sanitaire mondiale du Covid-19. La situation de confinement a exacerbé certaines envies de se couper du monde, de vivre aussi reclus que possible. Il a donc pris comme héros un individu tout à fait ordinaire, un quadragénaire qui se rendait compte que son humanité était en train de disparaître jour après jour, dans une société aliénante et un employeur enclin à humilier ses salariés, à les pressurer, ad nauseam. Il nous décrit le processus, qui commence par l'achat d'un appartement quelconque dans un bâtiment pourri, sans voisins directs, une rupture conventionnelle qui lui permet de toucher un joli pactole et l'investissement dans un certain nombre d’équipements (tente, urinol, abonnements streaming, compte premium sur une plate-forme d'e-commerce), un peu de bricolage pour arriver à ne plus avoir besoin de mettre un pas dehors. Un plan sans accroc, jusqu'au jour où Kentaro se rend compte que quelqu'un a tenté de s'introduire chez lui pendant la nuit. Peu de temps après c'est l'emménagement d'une étudiante fan de jeux video qui vient troubler sa petite routine... L'immersion dans l'esprit de Kentarô est plutôt réussi, le personnage semble un peu dérangé sans être totalement paranoïaque, et c'est assez plaisant à suivre, même s'il ne se passe franchement pas grand-chose dans le premier volume. Mais connaissant Tsutsui, on imagine que ça va bouger dans le deuxième opus, qui va probablement faire exploser le consensus dans lequel le reclus s'est installé... J'ai même ma petite idée là-dessus. Comme je l'imaginais, le deuxième volume propose une accélération de l'action, avec une intrusion qui va changer pas mal de choses chez Kentarô, et l'amener à reconsidérer sa situation. Un autre évènement, plus meta celui-là, va chambouler pas mal de choses, et un dernier, plutôt intime/infime, entraîne un changement de paradigme. Au final cette série très courte est une sorte d'exercice d'anticipation, que Tsutsui a composé en réfléchissant sur la crise de covid-19. Pas inintéressant, même si j'ai trouvé le volume deux plus "précipité" que le premier... Graphiquement c'est du classique, l'essentiel de l'action se passant dans un appartement anonyme. Tsutsui s'offre un peu d'action lorsque des rôdeurs s'approche dudit appartement, ou qu'il nous montre les parties de jeu video en ligne du célibataire.

12/09/2024 (MAJ le 28/02/2025) (modifier)
Couverture de la série La Terre verte
La Terre verte

Rencontre aux sommets entre deux éminents artistes du Neuvième art, Alain Ayroles génial scénariste qui accumule les succès critiques et publics (Garulfo, De Cape et de Crocs, etc...) et Hervé Tanquerelle dessinateur classique aux style et traits facilement identifiables, le monsieur possède d'ailleurs lui aussi une bibliographie bien fournie et jalonnée de multiples pépites (Racontars Arctiques, Le Dernier Atlas). Tout comme pour Les Indes fourbes, avec la formation d'un tel duo, les auteurs se savent attendus, le récit est ambitieux et s'étale sur plus de 250 pages. A trop vouloir en faire, en mettre, va-t-on sombrer dans la grandiloquence et le pompeux ? Alors, quid du résultat ? Eh bien, autant le dire d'entrée, et vous l'aurez vu à ma note plus haut, l'éléphant a accouché d'une ......baleine…..Et à bosse* qui plus est ! (*clin d'oeil au personnage principal!) Véritable pièce de théâtre déclinée en Bande Dessinée, "Shakespearienne" dans l'âme, cette tragédie haletante et sans fausses notes comble les attentes et rempli les attendus d'un tel exercice. Proposant donc une structure théâtrale, un découpage en cinq actes et multiples scènes, le séquençage qui en découle est de ce fait ultra rythmé et sans réel temps mort, on lit (avale) le livre avec gourmandise. D'autres codes sont empruntés avec réussite tel l’aparté quand le personnage principal Richard s’adresse directement aux lecteurs. Cette grande fresque nous conte l'histoire d'un personnage comme je les aime : Ambigus, retors, antipathique mais également parfois touchant et attachant, particulièrement révélé à travers ses multiples faiblesses dont la principale et plus évidente, son handicap physique. En parfait contrepoint d'un personnage aussi complexe et charismatique, le récit, d'une grande richesse, fourmille de formidables personnages secondaires très travaillés et tout aussi intéressants et subtils. L'écriture d'Ayroles, aussi bien dans le descriptif que dans les dialogues est de concert avec l'ambition et le propos, finement ciselé, parfaite. Le verbe, tout en équilibre et justesse, sonne fort et beau. Le scénario et l'écriture qui va avec à eux seuls auraient suffît à en faire une très grande BD mais ils sont soutenus par un dessin très détaillé, sublime et admirable tout au long des 250 pages sans signe d'essoufflement qui la transforme derechef en immense BD. Le trait de Tanquerelle est je trouve d'ailleurs, tout en gardant sa griffe, plus grand public que précédemment, me rappelant par moment Matthieu Bonhomme. Même pas besoin de mentionner que c'est un gigantesque coup de coeur. Ce sera difficile de faire mieux en 2025, la barre est placée très (trop!) haut. Lu dans sa version Noir Et Blanc, hâtez vous de vous la procurer s'il en reste en magasin, sinon, faites comme moi et ruez vous sur la version couleur disponible début Avril (Du peu entrevue des pages disponibles sur le net, le travail de colorisation semble remarquable !). Paul le Poulpe voit l'avenir, vous ne le regretterez pas (et paf, le prochain posteur mettra une étoile !). A peine sortie et déjà UN CLASSIQUE.

27/02/2025 (modifier)
Par Simili
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Blacksad
Blacksad

"Blacksad" m'aura fait de l'œil pendant très longtemps . Et s'il est sûr d'une chose, c'est que je ne regrette pas du tout d'avoir succombé à son charme. Quelle claque j'ai reçue. Il se dégage de ces polars comme une odeur des années 50-60, des clubs de jazz enfumés de NY ou de La Nouvelle Orleans. Outre des dessins magnifiques, j'ai trouvé le choix des animaux très pertinent avec une réelle corrélation entre leur caractère et leur fonction. Pour moi il s'agit clairement de la série anthropomorphiste la plus "réaliste" que j'ai pu lire. John Blacksad me fait penser à Stacy Keach dans la série TV Mike Hammer pour ceux qui connaissent (faut bien avoir 40-45 ans minimum ). Je trouve que c'est la même atmosphère qui s'en dégage. Si on devait relever un point négatif cela serait dans le dénouement des enquêtes qui peut être un peu trop rapide. Cette série à été ,à juste titre, récompensée de nombreuses fois et devrait figurer en bonne place dans toute bibliothèque qui se respecte.

27/02/2025 (modifier)
Par Simili
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Je suis au-delà de la mort !
Je suis au-delà de la mort !

Jean, 32 ans, est chanteur dans un groupe de rock. Après une petite tournée, ils doivent partir enregistrer leur tout premier album aux Etats-Unis. Pour Jean, le rêve de sa vie est sur le point de se réaliser. Malheureusement pour lui, la vie a choisi pour lui un tout autre chemin... "Je suis au-delà de la mort !" c'est certes l'histoire d'un combat, d'une colère mais c'est aussi et surtout une histoire d'amitié, d'ouverture aux autres et de nouveaux rêves à accomplir. Je suis au-delà de la mort : qu'est ce que je peux trouver ces mots puissants. Ils provoquent chez moi une résonnance particulière. J'aurais aimé les entendre, j'espère n'avoir jamais à les dire. Je suis au-delà de la mort : qu'est ce que ces mots respirent la vie. Le graphisme à la Mario, souligné par Jeïrhk, apporte une touche de légèreté. Il tranche magnifiquement bien avec la dureté du thème et évite du coup cette chappe de plomb qui viendrait gâcher la lecture. Moi j'ai versé ma larme quand ma compagne a elle littéralement fondu en larmes. Vous aurez donc compris que cet ouvrage m'a (nous a) particulièrement marqué, touché. Aussi si un jour par hasard vous avez la possibilité, la chance, de pouvoir le lire, alors ne passez pas votre chemin et saisissez cette opportunité incroyable de vous sentir VIVANT.

27/02/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Simirniakov
Simirniakov

Aller de l'avant, c'est aussi prendre des risques. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2019. Il a été écrit, dessiné et encré par Vincent Vanoli, auteur de bande dessinée ayant commencé sa carrière en 1989, ayant déjà réalisé plus de 35 histoires complètes en 1 tome, dont la précédente est La Femme d'argile parue en 2018. Ce tome comprend 60 pages de bande dessinée en noir & blanc, avec des nuances de gris. En 1853; en Russie, Simirniakov se lève et ouvre les rideaux de sa grande chambre au premier étage de sa riche demeure de propriétaire terrien. Il regarde les gens s'affairer en bas : étendre le linge, s'apprêter à aller travailler aux champs. Il part faire le tour de ses terres, sur son cheval Vladimir. Toujours en selle, il écoute les informations d'Oboïeski, celui qui administre son domaine : le risque de l'abolition du servage, la possibilité de l'anticiper en créant une forme de représentativité au sein des moujiks, les travaux de réparation de clôture à programmer. Simirniakov continue son chemin et croise des paysans qui lui disent qu'il faut construire une digue pour éviter les inondations. Ils se mettent à faire des mines pour se conformer à l'allure de moujiks que le propriétaire attend, et il demande à Kolia de faire son numéro de vol dans les airs (ce qu'il fait). Simirniakov promet de demander à Oboïeski de faire construire une digue et il poursuit son chemin. Le lendemain matin, Simirniakov s'est assis sur le bord de son lit et il observe l'extérieur à travers la fenêtre. Sa femme toque à la porte pour l'exhorter à se lever et à s'occuper de son domaine qui en a bien besoin, Oboïeski ne pouvant pas s'occuper de tout. Simirniakov finit par sortir faire un tour à cheval et passer au milieu des champs où travaillent les moujiks, mais sans s'arrêter. Il rentre chez lui où il est attendu par son personnel de maison et sa femme, car il a des invités pour le repas. Au milieu des banalités échangées, sa femme lui rappelle que ses filles reviennent à la maison le lendemain, et qu'elle partira en voyage en Europe avec elles en septembre. Sitôt le repas terminé, son fils Nounourskine indique qu'il sort faire la fête ce soir même. Il sort sur le pas de la porte et appelle le cocher André pour qu'il amène le tarantass. Arrivé au village, Nounourskine demande à André d'aller chercher des tziganes pour qu'ils jouent de la musique, et il retrouve son ami Sarvoskine pour faire la fête dans une auberge, avec leurs potes. Déjà bien éméchés, ils décident de poursuivre leurs libations dans les bois. L'un d'entre eux trouve une bonne idée de mettre le feu à l'isba qu'ils viennent de quitter, ce que fait Nournourskine. Le lendemain, Siminiakov fait l'effort de se lever et d'aller jusqu'à son balcon. Il se fait héler par sa femme qui lui dit que son cheva Vladimir ne veut pas être attelé. Elle prend un autre cheval. Une fois prêt, Simirniakov sort et harnache Vladimir pour aller se promener jusqu'à la Cabane aux Corbeaux. Chemin faisant, ils discutent sur la langueur qui s'empare souvent de Simirniakov. En choisissant cette bande dessinée, le lecteur ne sait pas trop à quel genre de récit s'attendre, si ce n'est qu'il sera raconté de manière très personnelle par l'auteur. Il comprend rapidement qu'il s'agit d'une sorte de roman mettant en scène un riche propriétaire terrien, et ses relations avec sa famille, ainsi que ses états d'âme sur son existence. En termes de narration personnelle, il est servi dès la première page. Sur le plan de l'histoire, Vincent Vanoli utilise les outils classiques du roman. En termes de narration visuelle, le lecteur est tout de suite frappé par les idiosyncrasies. Il voit que l'artiste a choisi un rendu global plutôt dense, qui peut aller jusqu'à donner une impression générale de fouillis par endroit. La première case est de la largeur de la page, et il n'y a quasiment aucune surface blanche, du fait de nuances de gris appliquées sur presque toutes le surfaces pour apporter une impression de texture aux murs, au sol et aux meubles. L'avantage est que la cellule de texte à fond blanc ressort bien. La quatrième case occupe plus d'un tiers de la page et comporte elle aussi de nombreuses informations visuelles : la façade de la demeure à étage où toutes les poutres sont dessinées avec leur nervure, les 2 femmes en train d'étendre le linge, et un groupe de 8 paysans avec 2 chevaux en train de se houspiller. Le lecteur s'immerge donc dans un monde étrange. Les personnages sont affublés de nez difformes au-delà de toute plausibilité morphologique. Il suffit de regarder les nez pour s'en rendre compte. Celui de Simirniakov mesure bien 15 centimètres de long avec une extrémité enroulé comme un escargot. C'est le modèle arboré par la plupart des personnages. Le lecteur peut aussi trouver des nez bien droits dont la longueur ferait rougir Pinocchio, et des nez bien ronds empruntés à Obélix et compagnie. S'il se livre au même examen pour les visages, il découvre des formes possibles d'un point de vue morphologique, des ronds parfaits, des oreilles aussi grandes que la tête, des visages trop étroits au niveau de la mâchoire supérieure, des sourcils qui ressemblent parfois à des bouts de coton collés au-dessus des yeux, des implantations capillaires impossibles, des barbes défiant la gravité, des vêtements souvent informes (sorte de grande robe unisexe très évasée vers le bas). Le lecteur sent que le dessinateur s'amuse bien à donner une apparence incongrue à ses personnages, avec un degré d'investissement incroyable au vu du nombre de personnages qu'il dessine, étant tous différents. Avec les deux premières scènes, le lecteur s'immerge dans une forme de conte : l'enjeu n'est pas une reconstitution historique visuellement authentique (même si l'année est précisée : 1853) et il y a quelques remarques qui introduisent des éléments anachroniques. Il s'agit donc plus d'un regard décalé sur l'histoire d'un riche propriétaire terrien lassé de jouer son rôle. L'auteur promène le lecteur dans différents endroits : la demeure de Simirniakov, les champs, un bar, les écuries, le monastère du starets, une gare, un quartier populaire urbain, une maison servant de salle de réunion pour l'agitateur. À chaque fois, l'artiste effectue des représentations minutieuses pas forcément exactes, bourrées de détails, et s'amuse même avec un effet fish-eye. Dans un entretien, Vincent Vanoli a indiqué qu'il s'était inspiré des tableaux de Pieter Brueghel l'Ancien (1529-1565) pour la composition de certaines pages. Un peu dérouté au départ, le lecteur s'adapte rapidement aux idiosyncrasies visuelles de la narration, et n'en fait qu'à sa guise : consacrant plus de temps à telle case ou telle page pour en apprécier les facéties visuelles, passant moins de temps sur d'autres trop accaparé par l'intrigue ou la comédie. Vincent Vanoli introduit également des références littéraires explicites, un personnage nommant Ivan Tourgueniev (1818-1883), Anton Tchekov (1860-1904), Léon (Lev Nikolaïevitch) Tolstoï (19828-1910), immédiatement suivi par une touche de dérision : mon préféré Tostoïevski. De la même manière, l'auteur incorpore également des références à de vrais faits historiques comme la guerre de Crimée (1853-1856). Certains personnages font également référence à des événements pas encore survenus comme l'abolition du servage en Russie en 1861, ou encore la révolution russe en 1917. D'autres se mettent à fredonner des chansons des Beatles. Le lecteur comprend que l'intention de l'auteur est de composer une histoire à la manière d'un roman russe, tout en y incorporant une bonne dose d'absurde et des facéties tant visuelles que dialoguées, ramenant au principe d'un conte haut en couleurs, à la vraisemblance malmenée, mais à la logique interne rigoureuse. Effectivement, cette bande dessinée peut se lire comme un roman russe (ou une parodie de roman russe) : une riche famille, un père à l'âme tourmentée par une remise en question, des paysans sous le joug du servage, une épouse uniquement préoccupée par ses obligations sociales, un fils aîné uniquement préoccupé de jouir de la vie sans égard pour les conséquences de ses actes, trois filles dont la présence réchauffe le cœur du père… et un cheval qui parle pour permettre au père d'énoncer tout haut ses états d'âme et à l'auteur de rabrouer son personnage principal par la voix de son cheval. Vincent Vanoli réalise également le portrait d'une société, ou d'un système économique avec un regard moqueur : le riche propriétaire qui souhaite se libérer du fardeau de diriger son exploitation, le régisseur qui qui fait son travail consciencieusement et pallie les manquements de son maître sans chercher à le supplanter, les moujiks conscients de la forme d'exploitation qu'ils subissent sans chercher à se révolter pour autant. Au travers de ces 3 positions sociales, l'auteur en profite pour évoquer l'âme russe, en tournant en dérision ce mélange de résignation et d'envie de changement. Vincent Vanoli ne s'en tient pas à une simple fable caustique sur un système social : à plusieurs reprises, il pousse la réflexion plus loin que le simple constat. Le lecteur se rend compte que l'évocation anachronique des bouleversements sociaux à venir fait ressortir avec force l'obsolescence du modèle en place, mais aussi le manque de discernement des protagonistes persuadés de l'immuabilité de ce modèle et de sa pérennité. Avec un regard pénétrant, Vanoli décortique aussi bien l'avantage pour les patrons de mettre en place la libre concurrence entre les individus qui s'écharpent entre eux pour des miettes plutôt que de s'unir contre les patrons, que la docilité et la tiédeur des ouvriers qui préfèrent la sécurité d'un système de classes éprouvé plutôt que l'incertitude de l'inconnu, l'arnaque sans nom de la théorie du ruissellement (passage très savoureux), le lyrisme romantique de Simirniakov à l'abri du besoin matériel, ou encore discrètement la religion en tant qu'opium du peuple, tout ça avec une verve sarcastique piquante, sans être cynique. S'il connaît déjà cet auteur, le lecteur est assuré de découvrir une bande dessinée atypique, et ce n'est rien de le dire. Sous des dehors de roman russe, Vincent Vanoli effectue la description d'une société de manière facétieuse que ce soit par les dessins comprenant diverses exagérations et déformations tout en conservant la priorité à la narration visuelle, ou par l'usage d'anachronismes choisis avec soin pour leur capacité révélatrice. Le tout forme un récit cohérent et savoureux, drôle et critique, intelligent atypique.

27/02/2025 (modifier)
Couverture de la série Soeurs d'Ys - La malédiction du royaume englouti
Soeurs d'Ys - La malédiction du royaume englouti

Je ne connais la légende d'Ys que de très loin (en tout cas suffisamment pour reconnaître des points clés), mais je dois dire que cet album m'a vraiment plu. Déjà, le dessin est beau. Il colle parfaitement au cadre celte du récit, le côté très "crayonné" donne un cachet à l'aspect "légende ancienne". Ensuite, il y a l'histoire. Simple dans sa forme, complexe dans ses enjeux (comme le sont souvent les mythes et légendes). La séparation des sœurs, leur lien qui les unis malgré tout, ce père autrefois aimant qui se révèle cruel, un sordide secret, des pouvoirs et des contrats, le tout prenant rapidement des aspects de tragédie. L'histoire est prenante, la narration vive et agréable, les personnages plus complexes qu'il n'y paraît, … C'est du bon, vraiment. L'album était rangé au rayon enfants de ma bibliothèque, j'avoue que je conseillerais quand même la lecture à des pré-ados au minimum. Après cela, évidemment, j'invite toute personne de tout âge à tenter la lecture. (Note réelle 3,5)

26/02/2025 (modifier)
Couverture de la série Kali
Kali

Si vous cherchez dans cet album une profonde réflexion, passez votre chemin : ici, c'est un pur plaisir d'action. Kali, c'est un album que l'on pourrait presque comparer à un film de série B (une BD de série B, ça se dit ?), le scénario n'est qu'un prétexte pour un enchaînement de scènes d'actions dantesques où l'on suit notre protagoniste dans sa mission de vengeance quasi-suicidaire. Tout ce que l'on sait d'elle à l'origine, c'est qu'elle s'est faite trahir par son ancien gang, a été laissée pour morte, et cherche aujourd'hui à tuer chacune de ses anciennes camarades. On apprendra bien deux petits détails sur son passé, dont un se voulant être un twist, mais j'insiste : le scénario n'est presque qu'un prétexte. Bon, il y a tout de même un sous-texte, à savoir le besoin de liberté contre la sécurité qu'apportent les systèmes autoritaires en temps de crise, mais je maintiens que l'album cherche surtout à enchaîner les scènes d'actions dans des décors de fin du monde. Oui, j'ai oublié de le dire, ici c'est un peu la fin du monde. On l'oublierai presque avec toutes ces explosions et ces pétarades. Le dessin, mêlant les personnages trop propres sur soi pour le cadre post-apocalyptique et les pétages de gueules et giclées de sang gratuit-e-s, colle parfaitement à l'ambiance série B dont je vous parlais plus haut. L'action est parfaitement fluide et lisible, la mise en scène est parfois assez cinématographique, vraiment le dessin rend la lecture très agréable. Vraiment, du très bon dans son genre. Je conseille surtout la lecture aux amateur-ice-s d'histoires à la Mad Max où au film d'actions bourrin mais joliment chorégraphiés. Honnêtement, j'ai hésité à aller jusqu'à quatre étoiles car j'ai vraiment passé un bon moment, mais le petit twist de fin m'a semblé assez mal amené et m'a fait un chouïa baisser ma note. Un coup de cœur tout de même.

26/02/2025 (modifier)