Les derniers avis (37 avis)

Couverture de la série Mon ami Pierrot
Mon ami Pierrot

Très bon album ! On nous parle de magie, de rêves et d'amour. D'amour de liberté, d'amour romantique, d'amour toxique mais aussi (et surtout, j'ai envie de dire) d'amour propre. Le récit joue parfois à la frontière du réel et de l'imaginaire, glissant quelques fois des concepts anachroniques (jouant sur les flous de temporalité), jouant même avec la mise en scène propre au medium de la bande-dessinée. J'y ai ressenti une grande inspiration du Château ambulant - voire même du Château de Hurle dont il est adapté - avec cette relation amoureuse toxique et ce love interest mystérieux et immature (bien qu'ici cela se termine de manière beaucoup moins positive pour le couple, la maturation se payant à un prix plus élevé). Les dessins sont beaux, j'ai particulièrement aimé le travail des visages, avec les grands yeux souvent écarquillés des personnages, cela jouait beaucoup sur les émotions de certaines scènes (la joie comme le malaise). Les couleurs bonbons et pétantes aident beaucoup à créer l'impression de "doux rêve" que vit Cléa, contrastant très bien avec l'apparition d'éléments plus horrifiques. Je me rend compte qu'il y aurait tellement de choses à dire, je n'ose pas parler de beaucoup d'éléments intéressants que j'ai découvert à ma lecture. Je pense sincèrement que l'album fait parti de ces histoires qui gagnent a être lues sans connaissances au préalable. Une très bonne surprise pour ma part.

21/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Hiver à l'opéra
Hiver à l'opéra

Mais qui peut vraiment se résigner à la perte d’un être cher ? - Ce tome fait suite à Automne en baie de Somme (2022) qu’il vaut mieux avoir lu avant. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario, et par Alexis Chabert pour les dessins et la couleur directe. Il comprend soixante-dix pages de bande dessinée. Une jeune ballerine danse gracieusement sur un ponton, sous la neige tombante. Sur cette scène de fortune, elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute de flocons au rythme indolent de l’adage. Les planches recrues et crevassées ne semblaient pas souffrir de ses arabesques et de ses jetés, de ses chats et de ses entrechats, mais au contraire gémissaient de plaisir sous la scansion des menées. La neige elle-même, presque affectée de troubler un ballet sur lequel elle jetait son voile lilial, disparaissait instantanément au contact de cette peau de sylphide. Devant la foule des invisibles, la danseuse chutait pour se relever sans cesse, se relevait pour chuter encore, trahie par un corps qu’elle avait trop longtemps malmené. Qu’elle avait malmené quand elle virevoltait comme virevoltait la neige, accompagnant de ses mains la chute des flocons au rythme indolent de l’adage. Opéra Garnier, à Paris en février 1897. Les spectateurs continuent de s’installer. En arrivant dans la grande salle, l’une d’entre eux demande si c’est la loge du président Félix Faure, au milieu. Un homme lui répond que non, que sa loge à lui est maçonnique. Son mari leur indique de regarder la place numéro treize, c’est là qu’une femme est morte l’année dernière en mai quand un contrepoids du lustre a crevé le plafond et lui a écrasé la tête. Son épouse pousse un petit cri : c’est horrible. L’autre homme lui suggère de songer que l’opéra Garnier est le treizième opéra de Paris. L’époux ajoute que ce soir ils jouent La damnation de Faust. Dans un autre rang, ils repèrent un homme, et l’époux l’identifie : c’est Pierre Séverin, un des membres actifs de l’ancienne ligue des patriotes, de Paul Deroulède. Elle le détrompe, pas lui, l’autre. Il le reconnaît également : c’est l’inspecteur Broyan, il a été révoqué il y a quelques mois pour avoir violemment agressé Nicolas Boursaut-Choiseul, l’héritier du banquier. Il ajoute que Broyan enquêtait sur la mort d’Alexandre de Breucq, mais cela n’a rien donné du tout. Ils décident de regagner leurs places. Séverin et Broyan se demandent pour quelle raison le colonel Tréveaux ne se montre pas. Le directeur de l’opéra se pose la même question, et il demande à son assistant d’aller vérifier si le colonel ne se trouve pas au foyer de la danse. Dans la fosse, le chef d’orchestre donne le signal en levant sa baguette et les musiciens entament leur partition. Dans les cintres, le colonel Tréveaux, vêtu d’un simple pagne noué autour de sa taille, est attaché dans une position de croix. Il demande à son maître s’il va être purifié. Dans l’ombre, son interlocuteur répond qu’il va l’être au-delà de ses espérances. Un coup de poignard tranche la gorge du colonel et toujours attaché son corps va balancer au-dessus des spectateurs dans leur fauteuil. Après l’automne vient l’hiver, littéralement même puisque cette histoire s’ouvre sous les flocons de neige, en février 1897. Le malheureux inspecteur Amaury Broyan est de retour pour une nouvelle enquête qui s’annonce difficile puisqu’il a été radié de la police. D’ailleurs, le lecteur tique un peu en observant la liberté de mouvement dont jouit l’ex-inspecteur : il retourne dans les bureaux de la police pour témoigner devant l’inspecteur Jules, il a accès à des informations confidentielles, ses anciens collègues continuent de le respecter, il ne semble pas avoir de soucis de fin de mois… D’un autre côté, il est plausible que ses anciens collègues le soutiennent parce qu’ils estiment que ses actions étaient justifiées. Il n’en reste pas moins qu’il se promène avec facilité dans des lieux où il n’a rien à faire… et le scénariste apportera une explication à cette forme de liberté. D’une manière générale, les auteurs positionnent leur récit dans un registre plausible et réaliste, usant d’effets romantiques pour faire transparaître l’exaltation des personnages. Ainsi le lecteur accompagne Amaury Broyan dans ses déplacements et ses discussions, suivant ses intuitions et ses déductions. Il voit comment la police progresse de son côté, en fonction des informations qu’elle parvient à obtenir. Comme dans tout bon polar, les personnages sont amenés à côtoyer des individus de toutes les couches sociales, et cela met en lumière des aspects peu reluisants de la société de l’époque, à cet endroit du globe. Comme pour le premier tome, les auteurs ont choisi de situer très explicitement l’action : à Paris, en février 1897. Ce genre de parti pris induit que l’artiste doit se prêter au jeu de la reconstitution historique, doit investir le temps et l’énergie nécessaire pour les recherches et les représentations. Le lecteur est à la fête dès la deuxième page : une vision de l’opéra Garnier à la nuit tombante, les ors de la salle, les toilettes variées de ces dames, les costumes plus stricts de ces messieurs, les fauteuils plus ou moins confortables, les couloirs permettant d’accéder à la salle, les cintres, etc. L’artiste sait doser ce qu’il détoure avec un trait noir, ce qu’il représente en couleur directe, le niveau de détail de chaque élément entre une précision technique et une impression. En fonction de sa sensibilité et de son mode de lecture, le lecteur peut se focaliser aussi bien sur les textures (par exemple le marbre des colonnes), que sur éléments de décors, ou bien sur l’ambiance lumineuse chaude diffusée par l’éclairage. En page onze, la criminelle s’enfuit avec une légère carriole dans une case de la largeur de la page en élévation, avec une belle représentation d’un immeuble haussmannien en premier plan. En page treize, Broyan descend sur les quais bas au pied de la cathédrale Notre-Dame de Paris : il éprouve la sensation de s’y trouver, et d’avoir le privilège de pouvoir pénétrer dans un caveau accessible depuis ledit quai. Le dessinateur apporte le même soin pour les intérieurs, par exemple le bureau de l’inspecteur Jules : le feu de cheminée, le modèle de chaise, les casiers, le bureau et sa corbeille, le portemanteau, l’accessoire pour déposer les parapluies mouillés, les meubles de rangement. Le lecteur se rend compte qu’Alexis Chabert choisit ses cadrages et élabore ses structures de pages pour montrer ces lieux, c’est flagrant avec l’appartement spectaculaire de Gabriel Delanne, en pages 28 & 29. Dans le même temps, le récit met en scène des sentiments intenses, ce qui offre également la latitude à l’artiste d’emmener sa narration visuelle dans des pages plus échevelées, se teintant d’expressionnisme. Cela commence avec la première planche : Lisianne effectuant des entrechats allant librement d’une position à l’autre sans avoir à franchir des bordures de case (il n’y en a pas). La mise à mort du colonel Tréveaux bénéficie d’une mise en scène spectaculaire et morbide à souhait : le cadavre attaché se balançant à plusieurs mètres au-dessus des spectateurs, la blessure à la gorge laissant s’échapper du sang qui leur pleut dessus. Les hallucinations de Lisianne dans la caverne sous l’opéra Garnier donnent lieu à des cases aux contours irréguliers comme voletant en insert sur un dessin en pleine page. Son emprise hypnotique sur le banquier Larrey se traduit par un vol de chauve-souris qui se transforme en pantins de papier, traduisant les associations d’idées qui se produisent dans son esprit, au gré de l’emprise de la jeune femme. En page cinquante-deux, le lecteur découvre une magnifique illustration en pleine page, sans un mot : une haute silhouette drapée de rouge, maniant une gaffe pour diriger sa barque sur une eau dégageant des fumerolles, telle Charon faisant traverser deux défunts. Ensorcelant. À l’instar du premier tome, les auteurs indiquent explicitement leurs sources d’inspiration, un hommage honnête. La première citation est extraite du roman Le fantôme de l’Opéra (1910), de Gaston Leroux (1868-1927), l’intrigue s’en inspirant directement. La seconde reprend des vers de Victor Hugo (1802-1885) extraits de Le livre des tables (1853-1855), sur le spiritisme. Le scénariste fait baigner son récit dans la fascination de l’époque pour l’hypnotisme, le magnétisme et le spiritisme, évoquant les travaux du docteur Jean-Martin Charcot (1825-1893, médecin clinicien et neurologue), Franz-Anton Mesmer (1734-1815, fondateur de la théorie du magnétisme animal), Gabriel Delanne (1857-1926, spirite). Le scénariste intègre également la dimension politique de l’époque, en évoquant explicitement Paul Deroulède (1846-1914, fondateur de la Ligue des Patriotes en 1882) et président Félix Faure (1841-1899, septième président de la République française). La reconstitution historique du contexte politique et sociale s’avère aussi riche que celle visuelle. Le cœur de l’intrigue repose sur la même famille de crimes que dans le premier tome, et la soif de vengeance qu’ils engendrent, faute d’une justice adéquate dans une société qui tolère ces abus. Un second tome très réussi : la narration visuelle a gagné en densité et en élégance, en émotion et en rigueur. L’intrigue policière reste dans un registre plausible, tout en faisant ressortir les affres insupportables dans lesquelles les victimes sont plongées, les conduisant à des actes terribles. Un récit enfiévré et poignant.

21/01/2025 (modifier)
Par Yann135
Note: 4/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série La Terre Vagabonde
La Terre Vagabonde

Si j’étais membre du jury à Angouleme, Christophe Bec et Stefano Raffaele recevraient une distinction méritée pour leur énormissime contribution à la BD. Vous l’avez compris je suis un fan absolu de ce duo incroyable. Je me procure leurs albums les yeux fermés. Et jamais je n’ai été déçu. Avec la terre vagabonde encore une fois nous sommes sur une véritable pépite alliant la plume brillante de Christophe Bec et les talents visuels de Stefano Raffaele. Les compères ont réussi une nouvelle fois à créer une œuvre captivante qui ne peut que vous transporter dans un univers riche et intrigant. Christophe Bec est connu pour son habileté à tisser des histoires complexes et immersives. Il ne déçoit pas avec ce scénario inspiré de l’œuvre de Liu Cixin publiée en 2000. Il mélange habilement science-fiction et aventure, tout en explorant des thèmes profonds comme la survie, l'humanité et l'inconnu. L'intrigue est fascinante dès les premières pages. Christophe réussit à maintenir une tension narrative qui va vous garder en haleine jusqu'à la fin. Les personnages sont bien développés et nuancés, offrant une profondeur émotionnelle qui résonne longtemps après la dernière page tournée. Une lecture d’une traite s’imposera naturellement à vous. En parallèle les dessins de Stefano Raffaele sont tout simplement spectaculaires. Chaque planche est un chef-d'œuvre en soi, débordant de détails et d'expressions qui donnent vie à l'histoire. Stefano maîtrise parfaitement les scènes d'action dynamiques autant que les moments de calme introspectifs. Son style visuel unique complète parfaitement le récit de Christophe Bec, créant une harmonie entre le texte et les images qui est rare dans le genre. C’est magnifique avec en bonus des posters visuels incroyables. Cerise sur le gâteau avec cet album vous pouvez intellectualiser l’histoire en vous posant des questions philosophiques … tout en divertissant bien évidemment. Le duo va vous pousser à réfléchir sur notre place dans l'univers et les implications de nos actions collectives. Ce n’est pas génial ça ? Je ne peux que recommander cette BD remarquable qui mérite une place dans votre bibliothèque. Je vous invite à courir chez votre libraire adoré pour vous la procurer.

20/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Krull
Krull

Quel horrible individu, ennuyeux, refoulé et un peu répugnant… - Ce tome est une anthologie regroupant cinq récits indépendants autour du thème des légendes et des contes. Son édition originale française date de 2009. Il a été réalisé par Sergio Toppi (1932-2012) pour le scénario et les dessins. Ce tome comprend quarante pages de bande dessinée, chaque histoire comprenant huit pages. Krull, publié pour la première fois 1984. Le village est sombre et silencieux, les adultes sont plongés dans un sommeil pesant. Dans la chambre des enfants, la lumière tarde à s’éteindre car la peur rôde à la lueur tremblante des bougies. La nuit est profonde et c’est de nuit que Krull arrive… Rien ne vient rompre cet épais silence. Les ruelles sont désertes. Dans le village, seuls les enfants vaillent… et voici l’ogre ! Krull avec son sac et son coutelas, l’ogre qui vient enlever pour les manger… - Champignons, publié pour la première fois en 1983. Un petit gnome assis sur un champignon se plaint de sa condition : il n’en peut plus d’être assis du matin au soir sur des champignons, quel sens cela a-t-il de vivre sa vie de façon aussi grotesque ? Il a été assis sur toutes sortes de champignons. Rien que du bout des fesses, il arrive à reconnaître les chanterelles, les amanites, les pleurotes et les lépiotes. Il s’est enquiquiné sur des russules, des cèpes… Champignons, champignons jusqu’à la nausée… Le crapaud l’écoute et lui répond gentiment qu’il lui semble que c’est exactement le boulot du gnome. À quoi servent les gnomes dans les forêts si ce n’est à rester assis sur leurs petits champignons ? Son interlocuteur estime que le crapaud a beau jeu quand de temps à autre, il se transforme en beau jeune homme et il embarque de jolies princesses au lit. En son for intérieur, le crapaud se dit qu’il s’agit d’un individu ennuyeux, refoulé et un peu répugnant. Le roi et le corbeau, publié pour la première fois en 1997. Dans une plaine ondulée, marquée par des rochers, se tient une statue de roi au milieu de nulle part. Lentes s‘écoulent les années, et, comme le lichen, elles recouvrent le grand roi de pierre, héros de batailles oubliées. Les pluies ont creusé de profondes rides de mélancolie sur son visage. Plus que le souvenir de ceux qui l’ont aimé et craint, ce qui le tourmente dans la succession silencieuse des saisons, c’est la nostalgie des territoires qu’il a vaincus et conquis. Il voit voler un corbeau vers lui et il lui demande de venir alléger sa peine. - Hortruge, publié pour la première fois en 1987. De grands yeux profonds, un visage d’albâtre, une splendide chevelure… Cependant jamais un homme n’est venu dans sa maison entre les sombres falaises de rochers. En revanche, viennent lui rendre visite, le grand ours brun, le loup gris sortis des forêts profondes par des sentiers secrets. Hortruge les caresse, ses doigts courent dans la fourrure, légers comme le vent du matin avant le lever du soleil. Mais ni l’ours brun, ni le loup gris ne repasseront par la porte comme ils étaient venus… - Puppenherstellerstr. 89, publié pour la première fois en 1982. Dans son atelier, un marionnettiste s’adresse à sa dernière création, une marionnette de petite fille, en lui indiquant qu’elle n’a qu’un chose à faire : obéir, toujours lui obéir et rien d’autre ! Ce tome fait partie de la vingtaine que l’éditeur Mosquito a consacré à ce bédéiste à la très forte personnalité. Le texte de la quatrième de couverture souhaite la bienvenue dans le monde des contes gothiques de Toppi. […] Le maître milanais distille avec humour sa noire vision de l’humanité, chaque fois l’ironie est grinçante, la pointe finale du récit surprenante et acérée. Le lecteur comprend qu’il va découvrir cinq récits à la structure très cadrée : une histoire de huit pages, un élément fantastique ou un personnage de conte, dans une version avec le point de vue de l’auteur. Comme d’habitude avec ces recueils, le lecteur peut s’interroger sur la nature de ce qu’il lit, entre bande dessinée et texte illustré. D’un côté, il y a de nombreuses pages qui s’assimilent à une illustration en pleine page, ou à une composition agrégeant deux ou trois dessins en une seule image, neuf planches sur quarante, soit près du quart. De l’autre côté, l’auteur fait usage de phylactères, souvent pour un texte d’exposition, de cases, souvent des moments juxtaposés, sans mouvement, ne participant pas d’un même mouvement de caméra, Enfin les dessins sont finement ouvragés, texturés jusqu’à l’obsession, certains personnages donnent l’impression de poser, des éléments peuvent être déformés pour revêtir une qualité expressionniste, et chaque récit comprend une composante fantastique évoquant un conte. Du fait de la pagination de huit pages, chaque récit repose sur une idée principale, avec un monstre ou une créature issue des contes, et une chute qui prend la conclusion habituelle à rebours. Premier récit : un ogre qui enlève des enfants pour les manger. Il les ramène dans sa maison dans les bois pour les confier à son épouse une femme magnifique, qui les cuisine. Pas de doute, il s’agit bien d’un conte, car il est peu plausible que l’ogre ait pu se construire une maison en pierres d’une telle dimension, sans que les villageois ne parviennent à la localiser. Ou qu’il puisse enlever des enfants très régulièrement pour les manger, et qu’il en trouve encore à proximité de sa demeure après toutes ces années. Le lecteur peut relever ces formes de licences littéraires dans les autres contes : l’existence même d’un kobold (créature légendaire du folklore germanique) et un crapaud qui parle (et paraît-il se transforme occasionnellement en beau prince), une statue de pierre qui parle avec un corbeau, une femme qui vit dans une demeure isolée sans moyen de subsistance, ou encore une marionnette douée de vie. Le lecteur se rend vite compte que l’auteur sait ce qu’il fait, c’est-à-dire qu’il utilise sciemment le genre du conte pour évoquer des thèmes adultes, soit par sous-entendu, soit de manière explicite. Cet horrible ogre monstrueux ne sait pas dire non à son épouse, et est resté très attaché à sa mère. Le gnome rêve d’être quelqu’un d’autre, avec des envies qui donnent à réfléchir : un maréchal fastueux, cynique et crapuleux, un archiduc Habsbourg qui s’adonnerait aux plus ténébreuses perversions, un chef de police secrète qui s’occuperait de couper en rondelles les opposants au régime. Le gnome évoque nominativement Guenrikh Grigorievitch Iagoda (1891-1938) acteur majeur dans la mise en place des goulags, et Félix Dzerjinski (1877-1926), fondateur de la Tchéka (police politique). Le crapaud pense en lui-même que : Ça ferait le bonheur du plus tordu des disciples de Freud que de connaître les désirs des gnomes de livres pour enfants. Il devient ainsi patent que l’auteur utilise sciemment la dimension psychanalytique des contes pour enfants, en intégrant des thèmes comme l’homme adulte encore sous l’influence de sa mère qui le choie toujours comme un enfant, l’envie de devenir quelqu’un d’autre grâce à un philtre magique, la nostalgie des heures de gloire passées pour un vieil homme, la puissance et l’aveuglement de la passion amoureuse, la prise d’autonomie d’un enfant qui se conduit comme il a vu ses parents se conduire. Toutefois s’il connaît déjà cet artiste, le lecteur est plutôt venu pour sa narration visuelle si personnelle, et plus précisément pour ses dessins. Il est servi dès la couverture avec cette magnifique teinte verte, rehaussé par la touche violette, les doigts impossiblement longs du crapaud et la mine peu amène du kobold. Puis il découvre une illustration s’étalant sur deux pages, une chaumière dans la nuit, un voyageur qui s’en approche, une très belle utilisation de taches d’encre pour donner l’apparence de la nuit au paysage. Le récit Krull commence avec une illustration en pleine page, une vue de bâtiments du village avec un cadrage déstabilisant : le dernier étage et le toit de la maison en premier plan, et le toit de l’église rehaussé de deux bulbes, une architecture mixte étrange. L’artiste mélange ainsi plusieurs influences, ici avec des touches slaves marquées, et un sens du regard (la maison avec son porche et ses deux lucarnes qui font comme un visage dans la deuxième planche). Par comparaison, la maison de l’ogre et de son épouse apparaît plus grossière, et celle de sa mère plus ancienne, avec de nombreuses poutres extérieures non équarries. Le chalet en bois de Hortruge a bénéficié d’une construction rigoureuse et d’une finition très propre. Les rues de la ville où réside le marionnettiste présentent de solides constructions en pierres de deux ou trois étages et des maisons à un étage en bois ayant dû être consolidées avec des pièces rapportées. Comme il convient à des contes, certains personnages sortent de l’ordinaire : l’ogre avec sa dentition acérée, son grand couteau bien sûr, et ses chausses pointues, Dzybilyactun, halac Huinic, grand chef des Mayas Totzil, à la parure tellement chargée qu’il semble être à moitié pétrifié, la magnifique Hortruge avec sa mèche de cheveu blanc dans sa chevelure noire, le vieux marionnettiste avec son costume trois pièces, sa mèche rebelle et ses yeux enfoncés. Sans oublier cette mise en page incroyable : une narration graphique qui intègre de véritables illustrations comme gravées avec une minutie inimaginable, et des séquences plus classiques comme le vol du corbeau au-dessus de ce que fut le royaume du héros de batailles oubliées. Le lecteur éprouve la sensation de pouvoir toucher chaque élément, de sentir leur texture. Il constate que régulièrement une case ou un élément le prend par surprise : un hibou en premier plan dans la dernière case de la page 9 avec l’ogre en arrière-plan, un oiseau perché sur un pieu en bois dans une case de la hauteur de la page, un dessin en pleine page consacré aux arabesques d’un champignon, des parures mayas, un abreuvoir en train de se remplir d’une eau s’écoulant d’un tronc d’arbre évidé, une rombière dans une robe noire bouffante du plus bel effet, etc. Chaque page est un délice pour les yeux, un véritable enchantement. C’est d’ailleurs ce qui donne une ampleur peu commune à chacun de ces cinq contes. Cinq contes avec des figures assez classiques, d’une pagination assez brève, avec une chute plus ou moins originale. Oui, mais c’est raconté par Sergio Toppi, ce qui change tout. La narration visuelle plonge le lecteur dans des endroits donnant une sensation tactile par la richesse de leurs textures, elle montre des endroits plausibles tout en amalgamant des éléments venus de culture différentes. Les personnages participent à la fois du registre du conte et du registre romanesque. L’amalgame entre texte illustré et bande dessinée est parfaitement maîtrisé, l’art de conteur qui n’appartient qu’à ce créateur. Le lecteur n’est pas près d’oublier chacun de ces endroits, et les thèmes adultes mis en scène.

19/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Alpha... directions / Beta... civilisations
Alpha... directions / Beta... civilisations

Impressionnant ! On ne peut qu’être bluffé par la somme de travail nécessaire pour produire cette œuvre plus qu’ambitieuse ! Je n’ai lu pour le moment que l’imposant premier tome, ALPHA, qui nous présente ni plus ni moins que la période allant de la création de l’univers jusqu’à l’apparition des hominidés. Une ambition énorme, mais qui s’appuie sur des qualités toutes aussi importantes pour nous proposer quelque chose de captivant. Car jamais le lecteur n’est mis de côté par les connaissances ou termes scientifiques (noms de période, de phénomènes, d’espèces, de réactions chimiques, etc.). C’est fluide et on n’est jamais perdu. Et on ne s’ennuie jamais non plus ! C’est en effet très rythmé, la narration mêlant didactisme et moments plus planant, laissant vagabonder l’imagination du lecteur. L’autre originalité et qualité de ce projet hors du commun, c’est son traitement graphique, que j’ai trouvé excellent, et pour une bonne part garant du plaisir de lecture. Le dessin est à la fois minutieux et agréable, dynamique et fluide. Et la colorisation, usant de diverses bichromies, accompagne très bien l’ensemble. Certaines planches illustrant les convulsions terrestres m’ont fait penser à au travail de Clément Vuillier (en particulier dans son album L'Année de la Comète). Surtout, Harder, que ce soit dans ses cases muettes ou dans celles accompagnées d’un texte – généralement placés en dessous des cases – va bien sûr dessiner de façon réaliste (et très réussi !) animaux, végétaux et matières organiques. Mais il va aussi utiliser une iconographie d’une grande richesse, puisant dans l’imagerie issue de toutes les civilisations. Européenne bien sûr – proximité oblige – mais aussi américaine, australienne, etc. Il ajoute aussi de nombreuses références issues de la BD, du cinéma. Tout ceci passe très bien et ne fait jamais artificiel, au contraire, tout fait sens et s’agrège naturellement au récit central, tout en l’aérant. Une pagination imposante, mais cela se dévore rapidement. Dès que je le pourrai, je lirai Civilisation. Même si a priori je crains que le procédé marche moins bien qu’avec ce premier album, duquel les hommes sont absents. Mais si la suite est du même acabit, je remonterai sans aucun doute ma note. Un album brillant en tout cas. ********************************* Je poursuis ma lecture de cette œuvre fleuve avec les deux tomes de « BETA », et je suis toujours impressionné par le travail de Jens Harder. Travail de recherche des connaissances historiques et scientifiques. Mais aussi un énorme travail pour assembler la documentation qui sert d’illustration à cette histoire du monde ! Ce travail graphique est toujours aussi bluffant, captivant. Encore avec des bichromies, métallisées cette fois-ci. Le rendu est très chouette. Surtout qu’Harder mêle encore reproduction de photos, de gravures, de BD, d’encyclopédies, d’œuvres d’art, etc. C’est éclectique, il use parfois d’anachronismes, de clins d’œil en mélangeant images d’époques différentes. Mais ça fonctionne toujours aussi bien. Je suis donc toujours admiratif et conquis. Mais j’ai été un chouia moins enthousiaste que pour ma lecture d’ « Alpha ». Pour plusieurs raisons je pense. D’abord ici ont est sur du temps moins long, moins lointain. C’est-à-dire que tout s’enchaine plus rapidement, les changements sont plus brusques (à l’échelle du temps long quand même, mais finalement de moins en moins). On est aussi sans doute moins émerveillé, car BETA traite d’époque que nous connaissons mieux – voire que nous vivons pour la fin du second tome (ces deux tomes traitent des hominidés, puis des premiers hommes jusqu'à la période contemporaine). Et du coup, notre proximité avec le sujet, le fait aussi que je connaisse beaucoup plus de choses dessus (je suis professeur d’histoire) a sans doute joué pour mon ressenti. Pour finir, Harder – qui ne prétend pas faire œuvre scientifique (voir les textes de postface) – est un peu victime du fait qu’il est Européen et qu’il a sans doute eu accès davantage à des sources « occidentales ». Mais il ne tombe pas non plus dans le récit uniquement européocentré. Bref, un projet toujours aussi audacieux (et bien soutenu par l’éditeur, avec une belle maquette et des paginations importantes pour tous les albums), qui tient le pari d’informer et de divertir sur la durée. J’attends avec un peu d’appréhension – mais aussi de plaisir à venir – la dernière partie, « Gamma », où Harder se lancera un peu dans l’inconnu. Une œuvre à lire en tout cas !

10/11/2024 (MAJ le 18/01/2025) (modifier)
Couverture de la série De Cape et de Crocs
De Cape et de Crocs

Bon, voilà, c'est mon centième avis. Et, sans grande originalité, il portera sur "De Cape et de Crocs". Bah oui, que voulez-vous ? Comme dit dans mon avis sur Edmond, c'est grâce à cette série (et grâce à Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand) que j'ai enfin compris ce que cherchais à accomplir le langage poétique. En tout cas j'ai compris l'une des manières de comprendre la poésie : la poésie comme un langage esthétique ancré dans le réel et le vivant, et non comme le cachet ampoulé et pédant que je pensais qu'elle était. Parce que de Cape et de Croc est une série poétique dans ce sens là. On cherche le beau mais pas comme une fin en soi. Ou alors si, justement, pour le simple plaisir de jouer avec les mots, de prendre plaisir à les dire, pour trouver le beau au delà de la simple image du beau. La forme est belle pour montrer que le fond l'est tout autant. Alors ça rime, ça rythme et ça compte, mais surtout pour appuyer des dialogues vifs, percutants, cinglants parfois même. Les personnages sont pour beaucoup inspirés d'archétypes théâtraux, provenant de la Comedia Del Arte comme du répertoire néo-classique français (je pense à des archétypes très Molièriens comme celui de Cénile Spilorcio, clairement inspiré d'Harpagon). Mais l'on retrouve aussi des références aux œuvres de La Fontaine, au Roman de Renart, à un poème de Baudelaire même ! Il y a même du cinéma, parfois ! Bref, les références et inspirations fusent tout du long, tout ça, encore une fois, dans un but d'esthétisme mais surtout de connivence. On ressent tout au long de l'histoire le plaisir qu'Ayroles a eu à l'écrire. Nos protagonistes, Don Lope et Armand, sont bons. Le premier est un hidalgo sanguin, brave et orgueilleux, le second un français poète et romantique. A eux-deux, ils forment un bon duo, jonglant sans transition entre le comique et l'épique, par leurs personnalités opposées entrant en conflit ou bien s'accordant en un éclair pour asséner à grand coup d'épée et de répliques cinglantes de cuisantes défaites à leurs adversaires. Ils sont également accompagnés d'Eusèbe, gentil et doux lapin, personnage principal des deux derniers albums (en réalité une préquel). Il y a également plein d'autres personnages importants, Kader, Hermine et Séléné pour ne citer que les plus célèbres de leurs adjuvant-e-s. Voilà, ça se bat avec panache, à l'épée comme à la langue, ça part à l'aventure jusqu'au bout du monde (et même hors du monde s'il le faut), ça fait des bons mots pour le plaisir même de les faire, ça sait être drôle comme ça sait être triste, en un mot comme en cent : j'adore. Certes, l'œuvre n'est pas sans défaut. Déjà, il y a les deux derniers albums centrés sur Eusèbe évoqués plus tôt. Bien qu'ils restent très bons, leurs qualités est moindre et contraste tellement avec les dix albums précédents qu'ils en pâlissent malgré eux. Il y a aussi certaines longueurs qui sont souvent reprochées à l'arc des sélénites, mais je dois bien avoué qu'ici je parlerais vraiment d'une affaire de goût. Je comprend d'où viennent les reproches, je constate bien que le rythme devient plus lent à ce moment là, sans doute trop lent pour certain-e-s, mais moi il ne m'a pas dérangé. Pire : j'aime bien cet arc. Alors voilà, si même face aux défauts j'en viens à me dire qu'ils ne me gênent guère, je n'aurais aucun scrupule à donner la note maximale à cette série. Certes, j'ai dit que les deux derniers albums étaient moindres (ils vaudraient un solide 4 étoiles à mes yeux) et selon mes critères de notation je devrait ajuster ma note en conséquent. Mais s'il y a bien une série qui doit être mon exception, un avis où j'ai envie d'envoyer voler l'impartialité sans une once de remords, c'est bien "De Cape et de Crocs".

18/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série O.M.A.C.
O.M.A.C.

Anticipation pertinente & festin graphique - Ce recueil regroupe les huit épisodes de la série (arrêtée brutalement faute de ventes suffisantes), parus en 1974/1975. Jack Kirby réalise tous les scénarios et les dessins. L'encrage est assuré par Mike Royer pour les épisodes 1 et 8 ; les épisodes 2 à 7 sont encrés par Bruce Berry. Dans un futur proche, une organisation mondiale (Global Peace Agency, en abrégé GPA) a établi la paix à l'échelle de la planète. Les armées sont proscrites sur Terre. Les agents de a GPA n'utilisent que des armes défensives. Pour toutes les opérations de police requérant l'usage de la force ou d'armes, la GPA fait intervenir OMAC (One Man Army Corps). Il s'agit d'un être surhumain qui est assisté par une intelligence artificielle logée dans un satellite en orbite autour de la Terre et dénommé Brother Eye. Le premier épisode est consacré à l'origine d'OMAC, comment Buddy Blank, un petit employé de bureau, est devenu ce soldat exceptionnel. Par la suite OMAC est dépêché sur des missions impliquant une résurgence du crime organisé, un dictateur ayant organisé une armée illégale, un trafic d'organes à grande échelle, et un vol à grande échelle des ressources en eau de la planète. Il s'agit donc d'une série de science-fiction de Jack Kirby, avec un parfum de superhéros lié au costume d'OMAC et à sa force gigantesque. Toutefois les situations conflictuelles imaginées par Kirby prennent avant tout leur source dans l'anticipation et une projection des risques éthiques générés par les avancées scientifiques. Dès la première page, Jack Kirby le scénariste et Jack Kirby le dessinateur en donnent pour leur argent aux lecteurs. Cette image de femme encadrée par ses deux jambes nues forme une composition aussi troublante que dérangeante et étonnement sensuelle. Le trafic d'organe propose également une forte probabilité de dérive des applications scientifiques et génétiques au profit de la couche de population qui dispose des plus forts revenus. Le scénariste joue le jeu de l'anticipation pour aborder des thématiques qui restent encore d'actualité de nos jours. La série reprend des codes de superhéros : les conflits réglés par la force physique, le héros courageux et désintéressé (presque dépourvu de personnalité après son remodelage en OMAC), les criminels commettant des actes définitivement répréhensibles, etc. Kirby utilise également Brother Eye à la manière d'un deus ex machina, un peu trop voyant. D'un coté il y a cette superbe idée de placer l'intelligence artificielle comme un œil ayant vu sur la terre entière (l'œil de Dieu). De l'autre il s'en sert pour donner plus de pouvoir à OMAC ou pour envoyer un rayon destructeur afin de faire basculer le rapport des forces en présence et de donner la victoire facilement à OMAC. Il y a également quelques passages dans lesquels les principes de base de la science sont accommodés à la sauce comics pour les besoins de l'intrigue. Coté graphique, Jack Kirby est en grande forme. Les scénarios donnent l'impression qu'il peut enfin parler de choses qui lui tiennent à cœur, les dessins possèdent l'énergie légendaire du King, avec des scènes inventives et marquantes. Outre cette première pleine page d'une totale étrangeté, le lecteur retrouve la capacité de Kirby à aller vers l'épure, et même vers l'abstraction. Pour l'épure, il y a cet œil artificiel en orbite qui flotte tel un disque géométrique au milieu d'énergies cosmiques impossibles. Kirby ne représente pas la réalité, il l'interprète, il la transforme en une source de merveilleux. Brother Eye a droit à une double page dans l'épisode quatre qui exprime à la fois la naïveté du concept (des rayons d'énergie multi-usage transmis à OMAC sur terre, une myriade de corps spatiaux impossibles (de simples ronds de couleurs), et à la fois l'essence même de cette présence omnipotente. L'arrière plan cosmique se transforme en un tableau d'art abstrait exprimant l'idée du vide spatiale et des merveilles inconnues qu'il recèle. Et du coup Brother Eye apparaît pour ce qu'il est : un deus ex machina, l'incarnation même du créateur Jack Kirby dans son comics. Cette façon de dessiner les décors comme un élément pictural renforçant l'ambiance, débarrassé de toute obligation de réalisme (une spécialité de Kirby) imprègne les premiers épisodes et se généralise à partir de l'épisode 6 pour des pages magnifiques où la technologie d'anticipation, mais aussi les murs de maçonnerie, les bâtiments, les armes futuristes sont habitées par une vision conceptuelle suggérant qu'une dimension inconnue et ancienne est là sous nos yeux. L'environnement regorge de points de passage vers cet ailleurs. Ce mode de représentation qui accentue les figures géométriques et les ombrages déconnectés des sources de lumière va jusqu'à transfigurer la nature également : une double page hallucinée des fonds sous-marins privé d'eau dans l'épisode 7. Pour le plus grand plaisir du lecteur, Bruce Berry encre de manière respectueuse les crayonnés de Kirby (il y a quelques pages crayonnées sans encrage dans le volume, en plus des épisodes), même s'il manque un peu de sensibilité. Les deux épisodes (1 & 8) encrés par Mike Royer sont parfaits : il parachève les dessins de Kirby en respectant ses traits et en les épurant discrètement. Bien sûr cette manière de transformer les décors en composants artistiques proches de l'abstraction n'est pas spécifique à la série OMAC, il est possible de l'observer dans d'autres séries de Kirby. Mais ce tome en contient un exemple remarquable. Cette approche graphique plus sophistiquée qu'il n'y paraît (peu de dessinateurs de comics maîtrisent cette technique d'abstraction) est encore renforcée par une imagination visuelle exceptionnelle. Jack Kirby (le scénariste) concocte des situations à fort potentiel visuel, magnifiées par Jack Kirby le dessinateur : ces femmes objets à monter soi même, des mannequins à tabasser pour employés de bureau stressés, deux tueurs costumés pour mardi gras, un monstre fantasmagorique dans une réalité virtuelle (double page inoubliable, avec une texture à mi-chemin entre la peau et la pierre), un camion démesuré porte-hélicoptères, une batterie de tank congelés, des cœlacanthes antédiluviens, etc. L'imagination de Kirby ne connaît aucune limite et il marie avec brio une anticipation perspicace avec des archétypes jungiens. Malheureusement OMAC s'est arrêté en cours d'histoire et il aurait fallu un épisode pour boucler la dernière intrigue. Toutefois, ne vous laissez pas arrêter par ce détail de peu d'importance au regard du plaisir exceptionnel de lecture que procure cette œuvre d'anticipation adulte, aux illustrations en prise directe avec une réalité fantastique, ce qui fait facilement oublier quelques facilités naïves du scénario.

18/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Foudroyants
Foudroyants

J’étais très intriguée par cette série depuis que Ro l’a postée sur le site il y a de cela presque dix jours. Les jolis décors à l’esthétique grecque, les personnages aux bouilles adorables, la promesse d’aventure(s), … Tout ça titille des cordes sensibles chez moi. Et puis, c’est Kerascoët au dessin. J’adore Kerascoët ! Facilement parmi mes dessinateur-ice-s préféré-e-s du medium. Leurs personnages ont toujours des designs sobres et élégants, des visages très expressifs et charmants, je trouve leur trait sincèrement très chiadés, … Ouais, les voir au dessin, ça m’annonce du bon, ne serait-ce que visuellement. Fort heureusement, l’histoire est elle aussi intéressante. Elle commence sur l’île de l’Atlantide, visiblement coupée du reste du monde depuis la disparition il y a fort longtemps de l’électricité (pardon, "l’élektricité"), l’énergie que les habitant-e-s étaient les seul-e-s à maîtriser et qui leur permettait d’alimenter des machines très complexes. Mais aujourd’hui, c'est dommage, l’élektricité à disparu. Tout du moins, c’est ce que l’on pense, car un jeune garçon du nom d’Icare découvre un beau jour qu’il est un "élu", quelqu’un capable de produire et de contrôler l’élektricité. Mauvaise surprise en réalité, car on raconte qu’un mystérieux peuple venu des mers aurait par le passé enlevé tous-tes les élu-e-s atlantes. Voilà, une base simple mais très prometteuse. Et l’exécution est plus que bonne. Icare, le jeune garçon timide et un peu gringalet, et Kalio, la jeune fille sage et autoritaire qui l’accompagne et pour qui il a le béguin, sont très attachant-e-s. Les personnages secondaires sont tout aussi charmants (tout spécialement la sœur de Kalio et la grand-mère d’Icare). Et, comme dit Ro, il se dégage déjà dès ce premier album une ambiance qui n’est pas sans rappeler les Mystérieuses Cités d’Or. Franchement, c’est un très bon départ de série. J’attend déjà le second tome avec impatience. Le coup de cœur pour un premier tome de 48 pages est peut-être risqué, mais je suis honnêtement charmée par les promesses de cette histoire. Et puis, si ça peut aider à la visibilité de la série et assurer qu’elle puisse être menée à terme, j’ai envie de dire qu’elle le mérite bien. On n’a qu’à dire que c’était un coup de foudre.

17/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur du moment
Couverture de la série Dirty Rose
Dirty Rose

Sache qu’il y a des choses qui se règlent en dehors des dossiers. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2024. Il a été réalisé par Marzena Sowa pour le scénario, et par Benoît Blary pour les dessins et la mise en couleurs. Il comprend quatre-vingt-six pages de bande dessinée. Dans une zone désertique du Wyoming, une maison très isolée au bout du chemin, avec quelques bêtes en pâturage. Tom Brodowski regarde par la fenêtre, réchauffé par le soleil, avec un mug dans la main. Dans cette petite maison sans étage, un matelas au sol, des cartons non déballés, une valise encore fermée. Le téléphone diffuse une chanson, alors que le jeune homme prend sa douche. Puis la sonnerie retentit et Tom se précipite pour décrocher, et il éprouve un moment de déception. C’est Edith, la cheffe du commissariat qui l’appelle. Elle lui demande poliment comment s’est passée cette première nuit chez lui et elle lui explique sa première mission. Ils vont l’envoyer direct sur le terrain, il ne faut pas qu’il s’attende à débarquer dans un western. Il s’agit d’une femme un peu spéciale, elle habite pas trop loin de chez lui. Il y a une plainte au commissariat : une association qui défend les animaux, des tarés mais dans un autre genre. Apparemment, elle garde des chèvres dans sa caravane. Edith continue : il faudrait que Tom lui dise qu’il y a une plainte, mais qu’on ne veut pas l’accabler avec ça, mais que ce serait bien si elle relâchait les pauvres bêtes dans le pâturage. Il faut qu’il dise que c’est illégal et barbare, et tout le tralala, on ne fait pas ça aux animaux. Pour finir, Edith lui envoie les coordonnées GPS. Dans le commissariat, Reynold, le mari d’Edith, également policier, rassure un père et son fils, sur le fait qu’avec les photos qu’ils ont collées partout, il est sûr qu’on retrouvera leur chien. William, un autre policier, ironise sur la manière dont Edith a présenté la mission : une femme un peu spéciale, une tarée de première plutôt. Quand il est arrivé, on ne l’a pas envoyé chez elle au premier feu, mais lui est d’ici, aussi c’est différent. Il la connait depuis gamin, elle avait un corbeau apprivoisé sur l’épaule, il avait peur de lui aussi. Il se rappelle qu’un jour elle est venue chercher Jean à l’école, elle était seins nus, elle venait chercher sa fille à poil, même si elle n’est pas sortie de sa voiture. Edith reprend la parole : le jeune arrive de Chicago, s’il ne se débrouille pas ici, il est fait pour nulle part. Bob fait observer qu’ici, ils sont au far-west, pas le même monde, pas les mêmes règles. Edith conclut qu’il faut le laisser faire, ce n’est qu’une femme après tout, cette dernière phrase lui attirant des regards chargés de sous-entendus. Tom Brodowski se présente devant la clôture et il hèle pour attirer l’attention. À l’intérieur de sa caravane, Rose Shaw fume tranquillement sa cigarette et son chien Boo aboie sans discontinuer. Elle finit par le laisser sortir, toujours sans se montrer. Le chien se précipite à la clôture, empli de curiosité, sans plus aboyer. Tom finit par renoncer. Dans une maison distante de trois cents mètres, un couple âgé observe, mécontent qu’Edith ait envoyé le nouveau. Une vague promesse contenue dans le titre, d’une femme jugée peu recommandable par les autres, vivant visiblement avec un chien dans une caravane ou un mobil-home, laissant les déchets s’accumuler autour. Une histoire qui commence avec un jeune policier, récemment arrivé (arrivé de la veille même) dans un vrai patelin au fin fond du Wyoming, où tout le monde se connaît, et connaît Rose Shaw. Une simple enquête de voisinage ? Un secret honteux, ou peut-être criminel ? Une histoire d’amour improbable entre un jeune homme et une femme âgée ? Des rancœurs accumulées pendant des dizaines d’années ne demandant qu’à alimenter des actes de violence ? Le lecteur ne sait pas trop sur quel pied danser, qu’attendre du récit, ce qui le rend plus attentif à ce qu’il voit. Tout commence par une belle aquarelle mettant en valeur la profondeur de champ de cette plaine s’étendant jusqu’au pied de lointaines montagnes, sous un ciel d’un beau bleu rehaussé par quelques nuages. L’artiste a-t-il séjourné dans le Wyoming ? Quoi qu’il en soit, il donne à voir ce coin d’Amérique rurale. La maison de Tom apparaît toute simple et peu onéreuse, en préfabriquée, de plain-pied, avec une rangée de poteaux électriques pour le long de l’allée qui y mène, pour rejoindre la route. De près, la parcelle de Rose Shaw semble jonchée de carcasses de voitures, de mobilier abandonné, avec assez d’espace entre chaque pour que ce ne soit pas encore un dépotoir ou une décharge. Un peu plus loin, la parcelle des époux Connie & Boyle apparaît comme un modèle de propreté et de terrain entretenu avec soin. Vues d’un peu plus loin encore, les deux parcelles ne diffèrent quasiment plus. Plus tard, lorsque Tom revient chez lui en marchant le long de la route, l’obscurité semble comme écraser les espaces, à l’exception du ruban de la route qui donne l’impression d’être sans fin. À la lumière du soleil le lendemain au petit matin, le paysage a retrouvé toute son ampleur, son horizon sans fin. Cette sensation de grand espace ouvert se retrouve en page cinquante-sept avec une case de la largeur de la page consacrée à la plaine ondoyante. De manière surprenante, ce même paysage donne l’impression d’avoir repris une dimension un peu plus petite plus en relation avec les deux chevaux qui portent chacun leur cavalier. Enfin la fin du récit emmène le lecteur dans une forêt à proximité d’une mesa de grande hauteur, avec une très belle case de la largeur de la page (en page 78), une vue de dessus, avec des rapaces dans le ciel au premier plan. Si les grands espaces de ce coin du Wyoming sont bien présents, les personnages évoluent également dans d’autres environnements. Le lecteur commence par avoir droit à une vue globale de l’intérieur de la petite maison de Tom. Puis vient la salle principale du commissariat : un espace de travail accueillant trois ou quatre bureaux avec leurs tiroirs, le poste informatique avec sa souris sans fil, les casiers pour les dossiers, la lampe de bureau, le petit matériel de type stylos, bloc-notes et papillons adhésifs, sans oublier les mugs, et bien sûr un gros photocopieur, un réfrigérateur, une machine à café. Par la suite, le lecteur accompagne Tom chez ses voisins, dans le meilleur bar-restaurant du coin, dans un bar plus lointain où se tient un concert de musique Country, à l’intérieur de la caravane de Rose, dans un supermarché impersonnel, dans une pizzeria à emporter, dans un ranch avec sa douche à l’extérieur, et même dans une cellule du commissariat. L’artiste dépeint une petite ville de l’Amérique profonde, dans la banalité de son quotidien, un environnement où il fait bon vivre, pensé pour faciliter la vie de consommateur tout en présentant des endroits accueillant où il fait bon se retrouver et papoter. Le lecteur constate rapidement que la distribution de personnages s’articule autour de Tom Brodowski et Rose Shaw, avec une poignée de seconds rôles : quatre policiers dont le couple d’Edith & Reynold, Connie & Boyle le couple voisin de Rose, Jena la fille de Rose, Boo son chien, Chumani une jeune femme et bien sûr Helen la fiancée de Tom. Les dessins montrent des personnages adultes, avec des gestes d’adulte, des comportements en conséquence, et des physiques normaux et banals, tout en étant individualisés. Tom est un beau jeune homme blond, avec une implantation de cheveux qui lui est propre, une forme de visage un peu allongée. Edith, Reynold et Bob portent les marques de l’âge. Le lecteur peut noter que William est plus jeune, que les autres, avec une coiffure plus soignée. Il apprécie l’expressivité plus marquée de Jean, que ce soit quand elle fait des mimiques parce qu’elle trouve que Tom a déjà des goûts de vieux, ou sa colère face à sa mère. Il apparaît que Rose Shaw s’est vue affublée de cet adjectif péjoratif du fait de son style de vie, qu’une autre femme résume ainsi : Elle n’avait peur de rien ni de personne, elle faisait tout comme elle le sentait, elle aimait l’alcool et les hommes et la fête et les armes, la totale. Il apparaît vite que Rose Shaw ne se conforme pas aux valeurs implicites de la société dans laquelle elle se trouve. Son anticonformisme atteste du fait qu’il est possible de vivre autrement, qu’un individu peut prendre la liberté d’agir différemment. Par voie de conséquence, les règles de vie tacites des uns et des autres se trouvent remises en cause : la fidélité entre époux, l’élimination des objets et des véhicules usagés, l’acceptation des règles de vie en société à commencer par la soumission à l’autorité de la police, le respect de la pudeur, l’acceptation des responsabilités de la parentalité, le respect de l’intimité des autres, etc. Bien évidemment, ce comportement ne peut qu’entrer en conflit avec les valeurs d’un jeune policier, même intelligent. Hé bien non, pas tout à fait. La curiosité de Tom Brodowski s’accompagne d’une empathie, ou d’une absence de préjugé, et aussi d’un sens de la justice. Dans une scène étrange, deux dessins en pleine page, la première avec une case, et le monologue d’un personnage, le lecteur découvre quelqu’un pour qui Rose a représenté bien autre chose, des valeurs différentes et des plaisirs honnêtes. Puis, dans la deuxième page, un événement traumatisant qui permet d’entrevoir ce qui conduit Rose Shaw à arrêter de jouer en respectant des règles dépourvues de sens. La conclusion en deux temps met en scène deux facettes de la liberté, et laisse augurer de l’avenir de Tom Brodowski à moyen ou long terme. Au vu de la couverture, une histoire courue d’avance, d’une femme vivant une vie de marginale dans sa caravane. À la lecture plutôt l’histoire d’un jeune policier qui effectue son travail, sans pour autant accepter les choses comme elles sont, en particulier le consensus général contre Rose Shaw, une femme qui s’est mise à l’écart de la société, qui n’y a plus sa place, qui en paye le prix. Mais aussi Rose et son mauvais caractère. La narration visuelle qui transporte le lecteur dans un petit patelin tranquille du Wyoming, avec de beaux paysages, des endroits accueillants en ville, des habitants normaux et plutôt sympathiques. Des incidents pas si graves que ça, le temps de vivre, une femme complexe dont l’excentricité empêche la normalité des autres, contraints d’accepter l’existence de choix différents, suscitant des interrogations irrépressibles.

16/01/2025 (modifier)
Couverture de la série La Famille Vieillepierre
La Famille Vieillepierre

Oh, c'est mignon tout plein ! Chaque album raconte l'histoire d'un-e ancêtre de la famille Vieillepierre, illustre famille de grands héros. Tous racontent et apprennent une morale aux jeunes lecteur-ice-s : vaincre ses peurs, faire ce qui nous semble juste, choisir de changer lorsque l'on se comporte mal, ... Tous, aussi, se basent sur une mythologie existante : nordique, égyptienne, taoïste, grecque et aztèque pour les cinq albums sortis à ce jour. Les histoires sont courtes mais très divertissantes. Les dessins, sans doute l'une des plus belles forces de cette série, sont adorables, tout en rondeurs et pleins de couleurs. Vraiment, c'est du bonbon pour les yeux. Et les textes, simples mais jolis, servent bien les histoires. Histoires qui d'ailleurs sont toujours très positives, même le cinquième album se centrant sur "la plus maléfique des Vieillepierre" reste dans une ambiance bienveillante. J'aurais presque envie de dire que le tout fait très chaleureux. Ce sont des histoires chaleureuses, à lire sous la couette. La lecture n'est pas désagréable, même quand on a passé l'âge du public cible. Une très bonne série jeunesse. (Note réelle 3,5)

15/01/2025 (modifier)