Grosse surprise de réaliser que je n'ai pas écrit d'avis sur Jean-Claude Tergal alors que j'en possède plusieurs albums et que je le lisais il y a plus de 30 ans dans Fluide Glacial. C'est la série qui a rendu célèbre Didier Tronchet et je garde une réelle affection pour ce loser (Jean-Claude, pas Didier) qui s'apparente à une version plus jeune et plus personnelle de Raymond Calbuth du même auteur.
Il incarne cette petite part de nous qui traverse les épreuves du quotidien avec une sorte de résignation pathétique, tout en restant attachant. Le ton est parfois un peu vulgaire mais c'est un peu la marque de fabrique de Fluide Glacial. Les dessins sont simples mais donnent une bouille incroyable au pauvre Jean-Claude, avec un aspect naïf qui colle au personnage. L’une des forces de la série, c’est cette capacité à parler de choses assez profondes, comme les traumatismes de jeunesse ou les relations de couple, d'une manière légère, voire caricaturale, avec un humour grinçant forçant sur l'autodérision. Toutefois la série évolue peu au fil des albums, ce qui peut lasser sur la longueur.
Jean-Claude Tergal est synonyme pour moi du anti-héros loser et pitoyable qui fait rire et auquel on s'attache, même si les gags sont parfois un peu lourds et prévisibles tant on sait à quel point tous ses espoirs vont toujours être douchés.
On a beau tout faire bien, ou au moins au mieux, il y a toujours un truc…
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Ce tome contient une histoire complète de type naturaliste. Sa parution originale date de 2024. Il a été réalisé par Sylvain Bordesoules pour le scénario et la narration visuelle. Il comprend cent-cinquante-six pages de bande dessinée en couleurs. Ce bédéaste a également réalisé L'été des charognes (2023), une adaptation du roman (2017) de Simon Johannin.
Un très beau lever de soleil sur la promenade des Anglais à Nice. Des jeunes gens effectuent leur jogging, une personne à la rue termine sa nuit allongée sur un banc, alors que sur ceux d’à côté deux autres sont déjà réveillés. Un jeune homme refait le lacet de sa basket en mettant son pied sur le banc, les rayons du soleil irisent l’écume produisant de magnifiques couleurs, le contenu d’une canette de Coca souille le trottoir, les mouettes guettent dans le ciel, un jeune homme achète son journal dans un kiosque de rue. Les premières voitures circulent, les pigeons se nourrissent, un maraicher est déjà ouvert avec ses étals chargés de fruits et légumes. Dans un modeste immeuble, Mélissa et Press sont déjà levées et prêtes à partir. La première s’assure que les chats ne sont pas sur le balcon, puis elle emmène sa conjointe au travail. Elle va en profiter également pour aller voir mère-grand. Elles descendent au garage minuscule : Press déplace le scooter, et Mélissa rentre dans la voiture par la fenêtre du fait de l’étroitesse du box. Chemin faisant, elles papotent sur les vieux déjà attablés au café, les problèmes de cheveux de Mélissa, une personne à la rue qui fait la manche. Puis elles s’inquiètent d’un pictogramme qui se met à clignoter sur le tableau de bord indiquant Set TPW, la gravité de l’anomalie, combien ça va coûter, les commérages des employées de Gros Froid quand elles vont voir Mélissa déposer Press, etc.
Après avoir déposé Press, alors qu’elle regonfle son pneu à une station-service, Mélissa se souvient de l’époque où pendant trois mois elle a dormi dans sa camionnette sur le parking du supermarché Gros Froid. Pas payer de loyer lui a permis de mettre de la thune de côté qu’elle était bien contente de trouver pour la caution du studio avec Press. Elle est restée un an en tout et pour tout dans sa camionnette. Vers la fin, elle a bossé chez Gros Froid et elle a rencontré Press. Coup de foudre au rayon Crèmerie. Après ça commençait à parler, elles ne pouvaient plus être dans la même équipe. Il y avait la cheffe qui allait se faire épiler pendant qu’elles, elles charbonnaient. Et un jour on lui a demandé de s’excuser à une vieille qui l’emboucanait parce qu’elle n’aimait pas son fromage. Là Mélissa a rendu son tablier. Depuis c’est pointage chez Pôle Emploi tous les mois, mais au moins elle s’est respectée. Pendant ce temps-là au temps présent, elle a repris la route et elle arrive au cimetière. Elle continue à se souvenir : À un moment, elle s’était calée chez sa grand-mère mais elle enfermait son chat dans la chambre, ce qui a énervé la jeune femme. Elles se sont fritées et Mélissa est partie.
Le texte de la quatrième de couverture présente la bande dessinée : Tout se gagne à l’arrachée pour Candice et Mélissa, les deux sœurs […] livrent leur quotidien, leurs galères et leurs envies […] un récit en immersion dans l’existence de deux femmes. En fonction de ses envies à lui, le lecteur peut sentir la curiosité le titiller et ouvrir la bande dessinée pour la feuilleter : il peut être surpris par la forme des images, réalisées au feutre à alcool avec un rendu évoquant une sensation d’aquarelle, essentiellement en couleur directe, avec quelques traits de contours un peu appuyés pour rendre certaines formes plus lisibles, un degré de définition de la représentation variable en fonction des besoins de la narration, très précis ou bien plus évoqué que tracé. Les six pages de la scène d’introduction sont dépourvues de mots, une promenade dans quelques rues de Nice. Au cours du récit, le lecteur accompagne Mélissa et sa sœur Candice, chacune, dans leurs déplacements, visitant ainsi un cimetière de Nice, le trajet à pied qui mène à la crèche où travaille Candice, le terrain de football d’une association scolaire, la plage de Villefranche, le McDo du quartier, etc. Il apprécie la balade offerte par deux autres séquences muettes : en suivant Mélissa en scooter dans les rues de Nice de la page quatre-vingt-quatorze à la page quatre-vingt-dix-sept, puis pendant trois pages à partir de la cent-huit. À l’évidence, le bédéaste est très sensible au charme de cette ville et il souhaite montrer l’environnement pour que le lecteur puisse en apprécier l’incidence sur la vie des personnages.
Après la sympathique entrée en matière, le lecteur fait connaissance avec Mélissa, sa situation personnelle, sa situation économique, sa vie de couple, et ses chats. Il s’agit d’une collection de petites choses de la vies, des banalités : être au chômage, avoir peur d’une panne de voiture et des dépenses que cela occasionne, essai de style de vie alternatif en habitant dans un van, découverte et exploration de son homosexualité à trente-deux ans, visite à la tombe de sa grand-mère, petit coup de main pour entretenir les fleurs y compris celles des tombes avoisinantes pour s’occuper, s’occuper des chats, se faire à manger, regarder un peu de téléréalité, etc. Très banal, très personnel, très franc, très coloré, très honnête. Une vie de prolétaire racontée avec le point de vue de la personne qui ne se voit pas comme une héroïne de quelque sorte que ce soit, capable de prise de recul sur certains aspects de sa vie. À la page trente-neuf commence un deuxième chapitre consacré à Candice la sœur de Mélissa. L’approche est identique : factuelle, la banalité du quotidien, un monde coloré sous un beau soleil sans morosité, une vie de mère séparée et de ses deux enfants Colyne et Antonin. À nouveau le pragmatisme du quotidien : laisser ses deux enfants seuls et partir au travail, agent d’entretien et un peu plus dans une crèche, travailler, subir une remarque peu agréable d’une collègue parce qu’on part un peu plus tôt pour aller chercher sa fille et la conduire au football, et en voix intérieure l’évocation de François le père de ses enfants qui se sait atteint d’un cancer, le constat de ne pas avoir eu de modèle idéal étant enfant pour savoir comment se comporter en tant que parent, la conscience d’être motivée à accompagner ses enfants dans des activités parascolaires parce que ses propres parents ne l’ont pas fait pour elle, récupérer son fils qui a été gardé par sa sœur Mélissa, etc. Candice se voit comme une femme ordinaire : elle va de l’avant du mieux qu’elle peut, tout en ayant conscience qu’elle aimerait être une meilleure mère.
S’il y prête attention, le lecteur relève l’inscription en vis-à-vis de la première planche : C + M + S = Ensemble, à mes sœurs Candice et Mélissa. Il peut se dire qu’il s’agit d’une dédicace métaphorique : une interview de l’auteur confirme qu’il parle bien de ses propres sœurs, et qu’il a réalisé cet ouvrage avec leur consentement et leur participation, C pour Candice, M pour Mélissa et S pour lui Sylvain. En prenant un peu de recul, le lecteur voit bien la prévenance avec laquelle il les représente ainsi que les enfants et la compagne : de vrais êtres humains dans leur vie de tous les jours, sans voyeurisme, sans dramatisation ou complaisance. Il comprend mieux comment ces planches produisent un tel effet de réel : il ne s’agit pas de représentations photoréalistes, l‘ensemble des cases présente une cohérence tangible, un quotidien concret, des détails reflétant une vie véritable et personnelle, nourries par les routines des deux sœurs. Leur frère les représente avec respect, transcrivant les actions de leur quotidien. Ni l’une ni l’autre n’ont une vie extraordinaire, au contraire elles sont à l’opposé d’une instagrammeuse, profession qu’elles évoquent.
Le bédéaste met en scène deux femmes qui ne se plaignent pas, sans jamais les juger, sans donner dans le misérabilisme, deux êtres humains qui font tout ce qu’il faut pour que leurs vies aillent bien, dans un Nice différent de celui des cartes postales. Le lecteur ressent une empathie sincère pour Mélissa, sa situation de chômeuse, sa maladie (l’endométriose), ses actions pour assurer son quotidien et pour l’améliorer. Il se sent peut-être un peu plus impressionné par Candice qui élève seule ses deux enfants, qui est bénévole pour le club de football de sa fille, dont chaque journée se résume à enchaîner des actions, d’être plus un robot qu’une personne, que sa journée se résume à une liste de trucs vitaux à checker, valider que le travail soit fait, que les factures soient payées, que les petits aient à manger. Leur voix intérieure évoque leur vie, leur histoire personnelle, le fait qu’elles ont toujours vécu dans le même quartier, leur ex conjoint, etc. Elle établit également des constats et des réflexions : se respecter, les amis qui n’étaient pas des gens bien, la culpabilité de ne pas élever ses enfants comme on le voudrait, la relation avec le père des enfants, l’investissement d’une mère dans ses enfants, le comportement de certains relous à la plage, le fait de devoir compter chaque dépense (y compris un simple repas au McDo), la façon de parler à des enfants, la sensation de ne pas avoir le temps d’exister (à la fois l’absence de temps pour soi, à la fois le fait de ne pas avoir à réfléchir), le fait d’avoir toujours habité dans le même quartier, le sens de la vie. Candice se fait la réflexion que : Faut prendre le bon où il y en a. Elle estime que : Ce qui est bien c’est que les gens continuent leur vie, donc faut suivre aussi. Il n’y a pas le choix comme ça. On a beau tout faire bien, ou au moins au mieux, il y a toujours un truc… Mélissa se fait tatouer dans le coup : La vie continue.
Suivre le quotidien de Mélissa et celui de Candice, deux sœurs, dans la banalité de leur vie de tous les jours, tout en bas de l’échelle des salaires, à Nice. Ça ne fait pas forcément rêver : pourtant cette lecture est épatante. Le bédéaste raconte la vie de ses deux sœurs, avec des pages gorgées du soleil de Nice, dans un registre factuel, de leur point de vue, avec leur ressenti intérieur et leur histoire personnelle. Le lecteur accompagne ces deux femmes, jeunes trentenaires, entre débrouille du quotidien, projets et vie de famille. Une extraordinaire expérience d’empathie fraternelle.
A 3 ans d'intervalle (à un jour à dire), après Bagarre érotique - Récits d'une travailleuse du sexe, voici une nouvelle BD sur la prostitution. Et c'est encore une autrice qui prend ce sujet tabou à bras le corps. Sixtine Dano est diplômée d'un master en cinéma d'animation à Gobelins, l'école de l'image et une autrice engagée.
Pour réaliser cet album, Sixtine Dano s'est basée sur les témoignages de six jeunes femmes et d'un jeune homme, de leurs expériences de sexe tarifé durant leurs études.
Raphaëlle est une jeune femme de 19 ans, elle débarque à Paris pour suivre ses études d'architecte. Elle vient d'une famille modeste, et pour arrondir ses fins de mois elle bosse le soir dans un bar. Elle va découvrir, par hasard, un site de rencontres très particulier où des étudiantes vendent leurs charmes, les Sugar Babys. Elle va franchir le pas et se trouver un nom de scène, Sibylline : "finalement, être escort... c'est comme jouer dans une pièce de théâtre. Revêtir un costume, devenir quelqu'un d'autre".
On va suivre le quotidien de Raphaëlle, ses études, ses amitiés, ses difficultés financières, sa vie amoureuse et enfin ses escapades tarifées en tant que Sibylline.
Un récit sans voyeurisme dont j'ai aimé la sincérité, la douceur et la pudeur du ton employé, il permet d'être au plus près de l'état d'esprit de Raphaëlle. J'ai été touché par cette jeune fille qui se bat dans un monde où le patriarcat est toujours bien présent. Elle finira par trouver sa place, mais ce genre d'expérience laisse des séquelles.
Une réflexion sur notre société et un sujet d'actualité passé sous silence.
La couverture est superbe, elle en dit déjà beaucoup.
Un dessin à l'encre et au fusain, un noir et blanc très expressif avec une touche de sensualité. De nombreuses planches sans texte, elles se suffisent à elles-mêmes pour faire passer les émotions.
Une mise en page aérée.
Très beau.
Une lecture conseillée.
Et mon premier coup de cœur de l'année.
Avec Le Nirvana est ici, je pénètre enfin chez Mikael Ross, auteur allemand qui me fait de l’œil depuis longtemps. J’entends parler en bien de Ludwig et Beethoven ainsi que d’Apprendre à tomber. Sur qu’après cette lecture, je vais éplucher sa bibliographie !
J’aime son dessin. C’est ce qui m’attire en tout premier lieu. C’est de la BD après tout, hein ? Tout est bon, que ce soit les expressions des personnages et leurs attitudes, le travail sur les ombres, les scènes nocturnes, les décors en arrière-plan… Cette BD ne déroge pas à la règle, avec toutefois une petite différence : Le nirvana est en noir et blanc. Loin d’être une critique, c’est au contraire un gage de qualité pour moi. En s’affranchissant des contraintes de la colorisation, Mikael Ross donne la pleine et entière expressivité à toute cette histoire.
Et l’histoire n’est pas à la traine : l’auteur parvient à tenir en haleine le lecteur tout au long des 352 pages que constituent cet épais volume. J’étais à fond dans le récit qui commence de manière complètement anodine pour grossir au fur et à mesure et devenir une enquête, à moins que ce ne soit une cavale, on ne sait plus vraiment tant ça bouge fort et vite (un peu le principe du chasseur chassé, en gros). Les personnages sont très travaillés et bénéficie d’un background solide, ça se sent. S’il y a bien de nombreuses coïncidences, dont l’une un poil capillotractée (Boris, le père d’Alex ? Comme de par hasard !?), le scénario est parfaitement mené et resserré. Du bel ouvrage, comme on dit. Et puis – ATTENTION SPOIL POSSIBLE - j’adore que l’histoire se termine sans vraiment être résolue. Le lecteur se retrouve tout à fait dans la tête des personnages. Il est comme eux, il est eux, ce qui, après avoir vécu cette semaine chargée à leurs côtés, est tout à fait raccord avec l’esprit de cette aventure chapeauderouesque dont les adolescents sont les personnages centraux.
J’ajoute qu’il y a d’excellents dialogues ne souffrant d’aucune critique, que l’ensemble n’est dénué ni de tragique, ni de mélancolie, pas plus que d’humour (mention spéciale au personnage de Dennis et à sa liaison avec Marina, franchement très drôle). Pour la peine, je lui colle un coup de cœur, et ce n’est pas volé !
Cosimo Ferri livre là une nouvelle série embrassant le cœur de la mythologie grecque. Comme sa précédente série mythologique sur Achille, elle va s’étaler sur 3 tomes.
Ferri est avant tout connu pour ses productions « pour adultes », mais il ne faut pas le prendre ici de haut, on sent qu’il aime vraiment son sujet, et qu’il ne fait pas n’importe quoi avec ce matériau historico-mythologique : il a fait le choix du classicisme.
D’abord en ne s’écartant pas trop (quelques rares libertés ou inventions narratives) de ce que nous savons du texte du vieil aède : de nombreuses citations en grec ancien parsèment d’ailleurs l’album. Tout au plus construit-il son histoire un peu différemment, puisque nous commençons quasiment par la fin (Ulysse quitte Calypso), et c’est par bribes et flash-backs que nous apprenons quelques détails de la fin du siège de Troie et de quelques mésaventures d’Ulysse (le tout entrecoupé de passage à Ithaque, avec Pénélope luttant contre les menaces de prétendants opportunistes et Télémaque cherchant désespérément des nouvelles de son père) . En fait l’essentiel nous sera narré dans les deux derniers albums. Ce qui promet une certaine densité, vu ce qu’il y a à raconter !
Du classique aussi au niveau du dessin, qui est très bon. Ferri a clairement choisi de s’inspirer – il le revendique – des maîtres anciens. Les personnages, masculins surtout, sont ainsi proches des peintures de Rubens (pour les corps musculeux) ou de Le Brun. Bon, ses femmes sont elles davantage bombasses et là le seul classicisme que l’on pourrait invoquer aurait trait au porno.
Comme pour « Achille », Ferri a sorti en même temps deux versions, une pornographique chez Tabou, une purement aventure chez Graph Zeppelin. Je suis juste surpris du changement de titre (pour différencier les versions j’imagine), alors que l’histoire en elle-même est exactement la même.
Dans le version Tabou, les scènes de sexe sont plutôt bien amenées, variées, et souvent courtes (puisqu’elles sont censées disparaitre dans la version Graph Zeppelin). Dans le domaine érotique, Ferri est un vieux routier, et dessine très bien ce genre de chose. La lecture est globalement agréable (visuellement et au niveau de la narration).
A noter que j’ai d’abord lu la version Graph Zeppelin, expurgée de toutes les scènes de sexe (et donc d’une quinzaine de pages). En plus de la lecture proprement dite, je m’amusais à imaginer là où ces scènes allaient s’insérer dans la version Tabou (c’était facile à deviner), et comment elles allaient pouvoir passer sans alourdir ou casser la narration. En tout cas cette version expurgée et raccourcie passe très bien, il n’y a pas de sautes dans la narration, la lecture est agréable.
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le deuxième tome confirme les qualités du précédent.
Ferri est toujours fidèle aux texte grec d'origine, qu'il cite abondamment, et le long voyage de retour d'Ulysse se poursuit, les aventures se succédant (la rencontre avec Polyphème et les cyclopes, les Lestrygons, et bien sûr la magicienne Circée.
le dessin de Ferri est toujours aussi bon. J'ai un temps cru que la version Tabou se rapprochait de celle de Graph zeppelin, tant les scènes de sexe étaient réduites à une portions très congrue durant les deux premiers tiers de l'album. Mais le passage sur l'île de Circée est l'occasion de rétablir un équilibre, car là Ferri se lâche!
Et l'apparition dans la dernière page de Pénélope nous confirme qu'elle attend avec beaucoup d'impatience son royal conjoint, cela promet des retrouvailles torrides !
Toujours est-il qu'on a là une très bonne série de cul, qui ne galvaude pas l'intrigue, et qui est respectueuse d'un texte patrimonial. une belle réussite, que devrait confirmer le troisième et dernier tome.
Pour le coup, j'arrondis ma note aux quatre étoiles.
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Un dernier tome qui conclut très bien la série, et confirme les qualités des précédents. Ferri continue à rester le plus fidèle possible au texte original (parfois cité directement). Les amateurs de l'épopée ne seront donc pas surpris, aucun "passage obligé" ne manque. Mais ils ne seront pas non plus déçus !
En effet, c'est vraiment du bel ouvrage. Peut-être parfois trop classique et respectueux du texte original, je ne sais pas. C'est en tout cas une des rares réserves que l'on peut faire à cette adaptation: un chouia "coincée" dans un genre théâtral un peu statique. Cette version hard complète très bien la version plus soft de chez Graph Zeppelin, les scènes torrides donnant plus de corps (dans tous les sens du terme) au récit, ne satisfaisant pas uniquement les amateurs d'Histoire antique, de mythes et d'aventure.
Quant au dessin, il reste efficace et agréable (avec des hommes musculeux et des femmes aux formes opulentes).
Note réelle 3,5/5.
Comme le nom de cet album l'indique, ici nous allons parlé de la jeunesse de Gisèle Halimi, grande avocate et défenseuse des droits des femmes (et des droits humains en général).
Plutôt que les faits d'arme les plus connus de Gisèle, ici on nous parle des origines, de ce qui l'a poussé à prendre tant à cœur les luttes qu'elle aura mené par la suite. Comme nous le rappelle le dossier nous résumant la suite de sa vie à la fin de l'album, sa mère est entre autre la raison pour laquelle elle s'est tant battu pour les droits des femmes, nous présenter la relation très compliquée entre les deux est donc très intéressant.
Nous assistons avec elle au climat politique houleux en Tunisie à l'époque (ségrégation, relations tendues entre juifs, arabes et français, montée du fascisme en Europe, ...). On comprend via la mise en scène comment sa volonté de se battre contre les injustices, toutes les injustices, est née.
Le seul défaut que je reconnaîtrais à cette œuvre, c'est que, ne connaissant malheureusement que les actes et la vie de Gisèle Halimi une fois sa carrière d'avocate lancée, je ne sais pas vraiment en lisant cet album quelles sont les informations véridiques et quelles sont les informations extrapolées (d'autant que je n'ai pas vu, à moins d'une erreur de ma part, de mention bibliographique et de source).
L'album reste néanmoins intéressant et permet de (re)mettre en lumière une femme très importante, et dans le cas présent une partie de sa vie mine de rien peu mise en avant.
(Note réelle 3,5)
Au vu de l'avis de la semaine, il m'a semblé que je pouvais difficilement passer à côté de cette bande dessinée. Et bien m'en a pris, car même si je suis un peu moins enthousiaste que les deux avis précédents, je confirme la réussite de l'œuvre !
Deena Mohamed signe ici une œuvre assez fascinante, tout d'abord par son ampleur, elle dure quand même 500 pages ! Dans ces 500 pages, l'autrice met en place 3 intrigues successives, qui se recroiseront un peu, mais qui sont presque complètement indépendantes les unes des autres. Dans ces trois récits différents, on trouve en outre des personnages qui, parfois, racontent leur histoire, ce qui crée des récits dans le récit, reprenant une structure assez typique des contes, notamment orientaux.
Comme souvent lorsqu'on compile plusieurs récits différents, la comparaison entre eux s'impose, et il faut bien reconnaître que les 3 arcs narratifs principaux ne présentent pas la même force. Comme Spooky, je pense que c'est la deuxième histoire qui est la plus faible. Non qu'elle soit mauvaise, mais j'ai trouvé qu'elle tournait un peu en rond, et passait énormément de temps à dire des choses qui pouvaient être dites en beaucoup moins de temps. En revanche, le 1er arc narratif est franchement efficace, même si j'ai trouvé sa résolution un peu trop rapide. Je n'étais pas loin de me dire "tout ça pour ça ?", mais le regard qu'il porte sur les problématiques abordées et la société dans laquelle vit l'autrice est très intéressant.
Mais Deena Mohamed a eu l'élégance salvatrice de garder le meilleur arc narratif pour la fin, et c'est sans grande surprise le 3e récit qui emporte pleinement l'adhésion. On y découvre le passé du personnage principal des deux arcs précédents, et d'un autre qui restait jusque-là spectateur. A partir de là, la bande dessinée s'envole vraiment vers les cimes, et même si je trouve la conclusion de l'album très légèrement frustrante, on est tout de même passé par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel avant, en termes d'émotion.
Malgré son trait épais, le dessin de Deena Mohamed nous plonge dans un univers d'une finesse bien réelle, où les personnages sont incroyablement crédibles. Chaque ligne de dialogue est pleine de sens et de réalisme, et nous promène ainsi dans un monde auquel on croit dur comme fer. Les rapports entre les personnages sont délicatement esquissés, et nous ouvrent peu à peu leur âme. J'avoue que j'aurais quand même voulu être davantage ému, dans l'ensemble, mais encore une fois, j'ai été à peu près comblé par le 3e arc narratif, d'une efficacité assez redoutable.
Ainsi, si Shubeik Lubeik ne figure pas au rang des plus grands chefs-d'œuvre que j'ai lus, il se montre tout de même à la hauteur de ce que je pouvais en espérer. Deena Mohamed nous offre un récit plein de vie, qui nous donne quelques belles leçons sans aucun moralisme. Peut-être un ton légèrement trop tire-larmes par moments, mais vu comme on s'est attaché à ses personnages, on ne lui en veut pas.
Des coups de cœur comme ça, j'en veux plus souvent !
J'ai entendu tellement de bien de cette série pendant si longtemps, je voyais les albums être continuellement empruntés à ma bibliothèque, j'ai fini par craindre qu'avec tant d'attentes et de promesses je finirai par être déçue. Eh bien pas du tout. J'ai adoré.
L'histoire est un croisements de genres, de propos, de types d'aventures qui me plaisent, et le melting pot est ici on ne peut plus savoureux : une aventure au cœur de l'inconnu, un véritable sentiment d'exploration et de découvertes, des héros qui grandissent et mûrissent, des enjeux grandioses et humains, un propos sur le pouvoir et le colonialisme, sur la nature humaine par conséquent, le tout dans une forme qui n'est pas sans rappeler les récits de Jules Verne et le très célèbre "Voyage sur la lune" de Méliès. Et le résultat est superbe, tant dans le fond que la forme. Les dessins d'Alice que je découvre ici sont à couper le souffle, délicat et fourmillant de détails, et n'hésitent pas à nous proposer des cases où le grandiose et la contemplation sont de rigueur. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? C'est une histoire prenante qui arrive à combler de nombreuses attentes et mon amour de l'aventure, forcément que je l'ai aimée.
Et en même temps, la série n'est pas parfaite, je lui reconnais quelques petits défauts (comme par exemple Hans qui est quelques fois un peu lourd en tant que comic relief), mais ils me paraissent tellement minimes comparés aux réussites que je les ignore volontiers.
L'œuvre n'est pourtant pas universelle, et pour éviter d'autres déconvenues comme semblent l'avoir vécu Canarde et bamiléké, je préciserai que cette série ne plaira sans doute qu'aux amateur-ice-s de récits d'aventures, d'esthétique rétro-futuriste à la Méliès, et de tous les autres détails de l'œuvre dont je vous ai parlé plus haut.
Mais pour quiconque aime cela, la série est plus que vivement recommandée pour ma part.
J'aime beaucoup les contes. Leurs formes, leurs péripéties, leurs personnages évoluent au gré du temps et des cultures, muant et se transformant souvent de manière surprenante pour adapter et illustrer les morales et coutumes d'époques et lieux varié-e-s, mais leur fonction de vecteur d'informations perdure. Ils sont toujours des bases culturelles communes servant à illustrer des leçons, imbriquant subtilement des codes et des mises-en-gardes (par la peur d'un croque-mitaine, la bonté et/ou la sagesse illustrée d'un être bon ou encore la mise en situation d'actes à reproduire ou ne pas reproduire).
Cet album est sans nul doute un conte. Peut-être même l'auteur s'est il inspiré ou a adapté/transformé un conte ou une légende déjà existant-e. Qui sait ? En tout cas j'ai beaucoup ressenti cet effroi, cette déformation monstrueuse des peurs, cette singularité presque hors-norme de la protagoniste qui devient vectrice malgré elle d'une leçon à tirer. La forme de la morale est plus ou moins ouverte, laissant libre cours à l'imagination des lecteur-ice-s, mais cherchant indéniablement à parler et à transmettre quelque chose.
L'album brille incontestablement par son dessin. Je ne connaissais pas Jean-Baptiste Andreae, mais c'est à coup sûr un nom que je retiendrais à partir de maintenant. Son dessin est beau, à mi-chemin entre l'adorable et le grandiose. Quoique cette impression de grandiose du dessin me vient peut-être du travail sur les tailles dans cet album précis. Tout comme Trois-fois-morte, on se sent écrasé-e-s par ces décors et ces personnages gigantesques et monstrueux. Ce gigantisme et cette transformation horrifique de décors et milieux connus et courants (des cuisines notamment) marque et m'a vraiment charmée.
Ce gigantisme et cette horrification de la cuisine et de la faim m'a rappelé le jeu vidéo Little Nightmares (premier du nom pour le coup, le second a quant à lui une ambiance horrifique toute autre). Je le recommande chaudement d'ailleurs, un petit coup de cœur esthétique personnel.
La série L’Arabe du futur avait réellement propulsé Riad Sattouf comme génie français de la BD jusqu’à recevoir le grand prix de la ville d’Angoulême en 2023, j’avais moi-même adoré cette série et j’étais donc naturellement heureux de savoir que Sattouf revenait sur le devant de la scène avec un spin-off de sa série emblématique. Dans Moi, Fadi, le père volé, on suit l’histoire cette fois-ci du point de vue de Fadi (le plus jeune frère) qui se fait enlever par son père et passe du jour au lendemain des environs de Rennes aux environs de Homs en Syrie. Avec un charme similaire à la série originale, j’ai beaucoup aimé redécouvrir cette Syrie des années 80 du point de vue d’un enfant (l’école, les autres enfants, la nourriture). L’histoire est évidemment tragique et fluctue entre les détails de la découverte de la vie en Syrie et du traumatisme de perdre sa mère et ses frères. J’ai bien aimé également le côté autobiographique mais réalisé par quelqu’un d’autre (par exemple, voir Riad non plus comme le personnage principal mais cette fois-ci secondaire). Quant aux dessins il est assez similaire à ce que l’auteur a proposé au cours des dernières années, des personnages simples et emblématiques, parfois mystiques avec les grand-mères aux visages fatigués et voilés des campagnes syriennes. J’ai hâte à la suite de l’histoire !
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Jean-Claude Tergal
Grosse surprise de réaliser que je n'ai pas écrit d'avis sur Jean-Claude Tergal alors que j'en possède plusieurs albums et que je le lisais il y a plus de 30 ans dans Fluide Glacial. C'est la série qui a rendu célèbre Didier Tronchet et je garde une réelle affection pour ce loser (Jean-Claude, pas Didier) qui s'apparente à une version plus jeune et plus personnelle de Raymond Calbuth du même auteur. Il incarne cette petite part de nous qui traverse les épreuves du quotidien avec une sorte de résignation pathétique, tout en restant attachant. Le ton est parfois un peu vulgaire mais c'est un peu la marque de fabrique de Fluide Glacial. Les dessins sont simples mais donnent une bouille incroyable au pauvre Jean-Claude, avec un aspect naïf qui colle au personnage. L’une des forces de la série, c’est cette capacité à parler de choses assez profondes, comme les traumatismes de jeunesse ou les relations de couple, d'une manière légère, voire caricaturale, avec un humour grinçant forçant sur l'autodérision. Toutefois la série évolue peu au fil des albums, ce qui peut lasser sur la longueur. Jean-Claude Tergal est synonyme pour moi du anti-héros loser et pitoyable qui fait rire et auquel on s'attache, même si les gags sont parfois un peu lourds et prévisibles tant on sait à quel point tous ses espoirs vont toujours être douchés.
Azur Asphalte
On a beau tout faire bien, ou au moins au mieux, il y a toujours un truc… - Ce tome contient une histoire complète de type naturaliste. Sa parution originale date de 2024. Il a été réalisé par Sylvain Bordesoules pour le scénario et la narration visuelle. Il comprend cent-cinquante-six pages de bande dessinée en couleurs. Ce bédéaste a également réalisé L'été des charognes (2023), une adaptation du roman (2017) de Simon Johannin. Un très beau lever de soleil sur la promenade des Anglais à Nice. Des jeunes gens effectuent leur jogging, une personne à la rue termine sa nuit allongée sur un banc, alors que sur ceux d’à côté deux autres sont déjà réveillés. Un jeune homme refait le lacet de sa basket en mettant son pied sur le banc, les rayons du soleil irisent l’écume produisant de magnifiques couleurs, le contenu d’une canette de Coca souille le trottoir, les mouettes guettent dans le ciel, un jeune homme achète son journal dans un kiosque de rue. Les premières voitures circulent, les pigeons se nourrissent, un maraicher est déjà ouvert avec ses étals chargés de fruits et légumes. Dans un modeste immeuble, Mélissa et Press sont déjà levées et prêtes à partir. La première s’assure que les chats ne sont pas sur le balcon, puis elle emmène sa conjointe au travail. Elle va en profiter également pour aller voir mère-grand. Elles descendent au garage minuscule : Press déplace le scooter, et Mélissa rentre dans la voiture par la fenêtre du fait de l’étroitesse du box. Chemin faisant, elles papotent sur les vieux déjà attablés au café, les problèmes de cheveux de Mélissa, une personne à la rue qui fait la manche. Puis elles s’inquiètent d’un pictogramme qui se met à clignoter sur le tableau de bord indiquant Set TPW, la gravité de l’anomalie, combien ça va coûter, les commérages des employées de Gros Froid quand elles vont voir Mélissa déposer Press, etc. Après avoir déposé Press, alors qu’elle regonfle son pneu à une station-service, Mélissa se souvient de l’époque où pendant trois mois elle a dormi dans sa camionnette sur le parking du supermarché Gros Froid. Pas payer de loyer lui a permis de mettre de la thune de côté qu’elle était bien contente de trouver pour la caution du studio avec Press. Elle est restée un an en tout et pour tout dans sa camionnette. Vers la fin, elle a bossé chez Gros Froid et elle a rencontré Press. Coup de foudre au rayon Crèmerie. Après ça commençait à parler, elles ne pouvaient plus être dans la même équipe. Il y avait la cheffe qui allait se faire épiler pendant qu’elles, elles charbonnaient. Et un jour on lui a demandé de s’excuser à une vieille qui l’emboucanait parce qu’elle n’aimait pas son fromage. Là Mélissa a rendu son tablier. Depuis c’est pointage chez Pôle Emploi tous les mois, mais au moins elle s’est respectée. Pendant ce temps-là au temps présent, elle a repris la route et elle arrive au cimetière. Elle continue à se souvenir : À un moment, elle s’était calée chez sa grand-mère mais elle enfermait son chat dans la chambre, ce qui a énervé la jeune femme. Elles se sont fritées et Mélissa est partie. Le texte de la quatrième de couverture présente la bande dessinée : Tout se gagne à l’arrachée pour Candice et Mélissa, les deux sœurs […] livrent leur quotidien, leurs galères et leurs envies […] un récit en immersion dans l’existence de deux femmes. En fonction de ses envies à lui, le lecteur peut sentir la curiosité le titiller et ouvrir la bande dessinée pour la feuilleter : il peut être surpris par la forme des images, réalisées au feutre à alcool avec un rendu évoquant une sensation d’aquarelle, essentiellement en couleur directe, avec quelques traits de contours un peu appuyés pour rendre certaines formes plus lisibles, un degré de définition de la représentation variable en fonction des besoins de la narration, très précis ou bien plus évoqué que tracé. Les six pages de la scène d’introduction sont dépourvues de mots, une promenade dans quelques rues de Nice. Au cours du récit, le lecteur accompagne Mélissa et sa sœur Candice, chacune, dans leurs déplacements, visitant ainsi un cimetière de Nice, le trajet à pied qui mène à la crèche où travaille Candice, le terrain de football d’une association scolaire, la plage de Villefranche, le McDo du quartier, etc. Il apprécie la balade offerte par deux autres séquences muettes : en suivant Mélissa en scooter dans les rues de Nice de la page quatre-vingt-quatorze à la page quatre-vingt-dix-sept, puis pendant trois pages à partir de la cent-huit. À l’évidence, le bédéaste est très sensible au charme de cette ville et il souhaite montrer l’environnement pour que le lecteur puisse en apprécier l’incidence sur la vie des personnages. Après la sympathique entrée en matière, le lecteur fait connaissance avec Mélissa, sa situation personnelle, sa situation économique, sa vie de couple, et ses chats. Il s’agit d’une collection de petites choses de la vies, des banalités : être au chômage, avoir peur d’une panne de voiture et des dépenses que cela occasionne, essai de style de vie alternatif en habitant dans un van, découverte et exploration de son homosexualité à trente-deux ans, visite à la tombe de sa grand-mère, petit coup de main pour entretenir les fleurs y compris celles des tombes avoisinantes pour s’occuper, s’occuper des chats, se faire à manger, regarder un peu de téléréalité, etc. Très banal, très personnel, très franc, très coloré, très honnête. Une vie de prolétaire racontée avec le point de vue de la personne qui ne se voit pas comme une héroïne de quelque sorte que ce soit, capable de prise de recul sur certains aspects de sa vie. À la page trente-neuf commence un deuxième chapitre consacré à Candice la sœur de Mélissa. L’approche est identique : factuelle, la banalité du quotidien, un monde coloré sous un beau soleil sans morosité, une vie de mère séparée et de ses deux enfants Colyne et Antonin. À nouveau le pragmatisme du quotidien : laisser ses deux enfants seuls et partir au travail, agent d’entretien et un peu plus dans une crèche, travailler, subir une remarque peu agréable d’une collègue parce qu’on part un peu plus tôt pour aller chercher sa fille et la conduire au football, et en voix intérieure l’évocation de François le père de ses enfants qui se sait atteint d’un cancer, le constat de ne pas avoir eu de modèle idéal étant enfant pour savoir comment se comporter en tant que parent, la conscience d’être motivée à accompagner ses enfants dans des activités parascolaires parce que ses propres parents ne l’ont pas fait pour elle, récupérer son fils qui a été gardé par sa sœur Mélissa, etc. Candice se voit comme une femme ordinaire : elle va de l’avant du mieux qu’elle peut, tout en ayant conscience qu’elle aimerait être une meilleure mère. S’il y prête attention, le lecteur relève l’inscription en vis-à-vis de la première planche : C + M + S = Ensemble, à mes sœurs Candice et Mélissa. Il peut se dire qu’il s’agit d’une dédicace métaphorique : une interview de l’auteur confirme qu’il parle bien de ses propres sœurs, et qu’il a réalisé cet ouvrage avec leur consentement et leur participation, C pour Candice, M pour Mélissa et S pour lui Sylvain. En prenant un peu de recul, le lecteur voit bien la prévenance avec laquelle il les représente ainsi que les enfants et la compagne : de vrais êtres humains dans leur vie de tous les jours, sans voyeurisme, sans dramatisation ou complaisance. Il comprend mieux comment ces planches produisent un tel effet de réel : il ne s’agit pas de représentations photoréalistes, l‘ensemble des cases présente une cohérence tangible, un quotidien concret, des détails reflétant une vie véritable et personnelle, nourries par les routines des deux sœurs. Leur frère les représente avec respect, transcrivant les actions de leur quotidien. Ni l’une ni l’autre n’ont une vie extraordinaire, au contraire elles sont à l’opposé d’une instagrammeuse, profession qu’elles évoquent. Le bédéaste met en scène deux femmes qui ne se plaignent pas, sans jamais les juger, sans donner dans le misérabilisme, deux êtres humains qui font tout ce qu’il faut pour que leurs vies aillent bien, dans un Nice différent de celui des cartes postales. Le lecteur ressent une empathie sincère pour Mélissa, sa situation de chômeuse, sa maladie (l’endométriose), ses actions pour assurer son quotidien et pour l’améliorer. Il se sent peut-être un peu plus impressionné par Candice qui élève seule ses deux enfants, qui est bénévole pour le club de football de sa fille, dont chaque journée se résume à enchaîner des actions, d’être plus un robot qu’une personne, que sa journée se résume à une liste de trucs vitaux à checker, valider que le travail soit fait, que les factures soient payées, que les petits aient à manger. Leur voix intérieure évoque leur vie, leur histoire personnelle, le fait qu’elles ont toujours vécu dans le même quartier, leur ex conjoint, etc. Elle établit également des constats et des réflexions : se respecter, les amis qui n’étaient pas des gens bien, la culpabilité de ne pas élever ses enfants comme on le voudrait, la relation avec le père des enfants, l’investissement d’une mère dans ses enfants, le comportement de certains relous à la plage, le fait de devoir compter chaque dépense (y compris un simple repas au McDo), la façon de parler à des enfants, la sensation de ne pas avoir le temps d’exister (à la fois l’absence de temps pour soi, à la fois le fait de ne pas avoir à réfléchir), le fait d’avoir toujours habité dans le même quartier, le sens de la vie. Candice se fait la réflexion que : Faut prendre le bon où il y en a. Elle estime que : Ce qui est bien c’est que les gens continuent leur vie, donc faut suivre aussi. Il n’y a pas le choix comme ça. On a beau tout faire bien, ou au moins au mieux, il y a toujours un truc… Mélissa se fait tatouer dans le coup : La vie continue. Suivre le quotidien de Mélissa et celui de Candice, deux sœurs, dans la banalité de leur vie de tous les jours, tout en bas de l’échelle des salaires, à Nice. Ça ne fait pas forcément rêver : pourtant cette lecture est épatante. Le bédéaste raconte la vie de ses deux sœurs, avec des pages gorgées du soleil de Nice, dans un registre factuel, de leur point de vue, avec leur ressenti intérieur et leur histoire personnelle. Le lecteur accompagne ces deux femmes, jeunes trentenaires, entre débrouille du quotidien, projets et vie de famille. Une extraordinaire expérience d’empathie fraternelle.
Sibylline - Chroniques d'une escort girl
A 3 ans d'intervalle (à un jour à dire), après Bagarre érotique - Récits d'une travailleuse du sexe, voici une nouvelle BD sur la prostitution. Et c'est encore une autrice qui prend ce sujet tabou à bras le corps. Sixtine Dano est diplômée d'un master en cinéma d'animation à Gobelins, l'école de l'image et une autrice engagée. Pour réaliser cet album, Sixtine Dano s'est basée sur les témoignages de six jeunes femmes et d'un jeune homme, de leurs expériences de sexe tarifé durant leurs études. Raphaëlle est une jeune femme de 19 ans, elle débarque à Paris pour suivre ses études d'architecte. Elle vient d'une famille modeste, et pour arrondir ses fins de mois elle bosse le soir dans un bar. Elle va découvrir, par hasard, un site de rencontres très particulier où des étudiantes vendent leurs charmes, les Sugar Babys. Elle va franchir le pas et se trouver un nom de scène, Sibylline : "finalement, être escort... c'est comme jouer dans une pièce de théâtre. Revêtir un costume, devenir quelqu'un d'autre". On va suivre le quotidien de Raphaëlle, ses études, ses amitiés, ses difficultés financières, sa vie amoureuse et enfin ses escapades tarifées en tant que Sibylline. Un récit sans voyeurisme dont j'ai aimé la sincérité, la douceur et la pudeur du ton employé, il permet d'être au plus près de l'état d'esprit de Raphaëlle. J'ai été touché par cette jeune fille qui se bat dans un monde où le patriarcat est toujours bien présent. Elle finira par trouver sa place, mais ce genre d'expérience laisse des séquelles. Une réflexion sur notre société et un sujet d'actualité passé sous silence. La couverture est superbe, elle en dit déjà beaucoup. Un dessin à l'encre et au fusain, un noir et blanc très expressif avec une touche de sensualité. De nombreuses planches sans texte, elles se suffisent à elles-mêmes pour faire passer les émotions. Une mise en page aérée. Très beau. Une lecture conseillée. Et mon premier coup de cœur de l'année.
Le nirvana est ici
Avec Le Nirvana est ici, je pénètre enfin chez Mikael Ross, auteur allemand qui me fait de l’œil depuis longtemps. J’entends parler en bien de Ludwig et Beethoven ainsi que d’Apprendre à tomber. Sur qu’après cette lecture, je vais éplucher sa bibliographie ! J’aime son dessin. C’est ce qui m’attire en tout premier lieu. C’est de la BD après tout, hein ? Tout est bon, que ce soit les expressions des personnages et leurs attitudes, le travail sur les ombres, les scènes nocturnes, les décors en arrière-plan… Cette BD ne déroge pas à la règle, avec toutefois une petite différence : Le nirvana est en noir et blanc. Loin d’être une critique, c’est au contraire un gage de qualité pour moi. En s’affranchissant des contraintes de la colorisation, Mikael Ross donne la pleine et entière expressivité à toute cette histoire. Et l’histoire n’est pas à la traine : l’auteur parvient à tenir en haleine le lecteur tout au long des 352 pages que constituent cet épais volume. J’étais à fond dans le récit qui commence de manière complètement anodine pour grossir au fur et à mesure et devenir une enquête, à moins que ce ne soit une cavale, on ne sait plus vraiment tant ça bouge fort et vite (un peu le principe du chasseur chassé, en gros). Les personnages sont très travaillés et bénéficie d’un background solide, ça se sent. S’il y a bien de nombreuses coïncidences, dont l’une un poil capillotractée (Boris, le père d’Alex ? Comme de par hasard !?), le scénario est parfaitement mené et resserré. Du bel ouvrage, comme on dit. Et puis – ATTENTION SPOIL POSSIBLE - j’adore que l’histoire se termine sans vraiment être résolue. Le lecteur se retrouve tout à fait dans la tête des personnages. Il est comme eux, il est eux, ce qui, après avoir vécu cette semaine chargée à leurs côtés, est tout à fait raccord avec l’esprit de cette aventure chapeauderouesque dont les adolescents sont les personnages centraux. J’ajoute qu’il y a d’excellents dialogues ne souffrant d’aucune critique, que l’ensemble n’est dénué ni de tragique, ni de mélancolie, pas plus que d’humour (mention spéciale au personnage de Dennis et à sa liaison avec Marina, franchement très drôle). Pour la peine, je lui colle un coup de cœur, et ce n’est pas volé !
Ulysse (Tabou)
Cosimo Ferri livre là une nouvelle série embrassant le cœur de la mythologie grecque. Comme sa précédente série mythologique sur Achille, elle va s’étaler sur 3 tomes. Ferri est avant tout connu pour ses productions « pour adultes », mais il ne faut pas le prendre ici de haut, on sent qu’il aime vraiment son sujet, et qu’il ne fait pas n’importe quoi avec ce matériau historico-mythologique : il a fait le choix du classicisme. D’abord en ne s’écartant pas trop (quelques rares libertés ou inventions narratives) de ce que nous savons du texte du vieil aède : de nombreuses citations en grec ancien parsèment d’ailleurs l’album. Tout au plus construit-il son histoire un peu différemment, puisque nous commençons quasiment par la fin (Ulysse quitte Calypso), et c’est par bribes et flash-backs que nous apprenons quelques détails de la fin du siège de Troie et de quelques mésaventures d’Ulysse (le tout entrecoupé de passage à Ithaque, avec Pénélope luttant contre les menaces de prétendants opportunistes et Télémaque cherchant désespérément des nouvelles de son père) . En fait l’essentiel nous sera narré dans les deux derniers albums. Ce qui promet une certaine densité, vu ce qu’il y a à raconter ! Du classique aussi au niveau du dessin, qui est très bon. Ferri a clairement choisi de s’inspirer – il le revendique – des maîtres anciens. Les personnages, masculins surtout, sont ainsi proches des peintures de Rubens (pour les corps musculeux) ou de Le Brun. Bon, ses femmes sont elles davantage bombasses et là le seul classicisme que l’on pourrait invoquer aurait trait au porno. Comme pour « Achille », Ferri a sorti en même temps deux versions, une pornographique chez Tabou, une purement aventure chez Graph Zeppelin. Je suis juste surpris du changement de titre (pour différencier les versions j’imagine), alors que l’histoire en elle-même est exactement la même. Dans le version Tabou, les scènes de sexe sont plutôt bien amenées, variées, et souvent courtes (puisqu’elles sont censées disparaitre dans la version Graph Zeppelin). Dans le domaine érotique, Ferri est un vieux routier, et dessine très bien ce genre de chose. La lecture est globalement agréable (visuellement et au niveau de la narration). A noter que j’ai d’abord lu la version Graph Zeppelin, expurgée de toutes les scènes de sexe (et donc d’une quinzaine de pages). En plus de la lecture proprement dite, je m’amusais à imaginer là où ces scènes allaient s’insérer dans la version Tabou (c’était facile à deviner), et comment elles allaient pouvoir passer sans alourdir ou casser la narration. En tout cas cette version expurgée et raccourcie passe très bien, il n’y a pas de sautes dans la narration, la lecture est agréable. ********************** le deuxième tome confirme les qualités du précédent. Ferri est toujours fidèle aux texte grec d'origine, qu'il cite abondamment, et le long voyage de retour d'Ulysse se poursuit, les aventures se succédant (la rencontre avec Polyphème et les cyclopes, les Lestrygons, et bien sûr la magicienne Circée. le dessin de Ferri est toujours aussi bon. J'ai un temps cru que la version Tabou se rapprochait de celle de Graph zeppelin, tant les scènes de sexe étaient réduites à une portions très congrue durant les deux premiers tiers de l'album. Mais le passage sur l'île de Circée est l'occasion de rétablir un équilibre, car là Ferri se lâche! Et l'apparition dans la dernière page de Pénélope nous confirme qu'elle attend avec beaucoup d'impatience son royal conjoint, cela promet des retrouvailles torrides ! Toujours est-il qu'on a là une très bonne série de cul, qui ne galvaude pas l'intrigue, et qui est respectueuse d'un texte patrimonial. une belle réussite, que devrait confirmer le troisième et dernier tome. Pour le coup, j'arrondis ma note aux quatre étoiles. ************************************** Un dernier tome qui conclut très bien la série, et confirme les qualités des précédents. Ferri continue à rester le plus fidèle possible au texte original (parfois cité directement). Les amateurs de l'épopée ne seront donc pas surpris, aucun "passage obligé" ne manque. Mais ils ne seront pas non plus déçus ! En effet, c'est vraiment du bel ouvrage. Peut-être parfois trop classique et respectueux du texte original, je ne sais pas. C'est en tout cas une des rares réserves que l'on peut faire à cette adaptation: un chouia "coincée" dans un genre théâtral un peu statique. Cette version hard complète très bien la version plus soft de chez Graph Zeppelin, les scènes torrides donnant plus de corps (dans tous les sens du terme) au récit, ne satisfaisant pas uniquement les amateurs d'Histoire antique, de mythes et d'aventure. Quant au dessin, il reste efficace et agréable (avec des hommes musculeux et des femmes aux formes opulentes). Note réelle 3,5/5.
Gisèle Halimi - Une jeunesse tunisienne
Comme le nom de cet album l'indique, ici nous allons parlé de la jeunesse de Gisèle Halimi, grande avocate et défenseuse des droits des femmes (et des droits humains en général). Plutôt que les faits d'arme les plus connus de Gisèle, ici on nous parle des origines, de ce qui l'a poussé à prendre tant à cœur les luttes qu'elle aura mené par la suite. Comme nous le rappelle le dossier nous résumant la suite de sa vie à la fin de l'album, sa mère est entre autre la raison pour laquelle elle s'est tant battu pour les droits des femmes, nous présenter la relation très compliquée entre les deux est donc très intéressant. Nous assistons avec elle au climat politique houleux en Tunisie à l'époque (ségrégation, relations tendues entre juifs, arabes et français, montée du fascisme en Europe, ...). On comprend via la mise en scène comment sa volonté de se battre contre les injustices, toutes les injustices, est née. Le seul défaut que je reconnaîtrais à cette œuvre, c'est que, ne connaissant malheureusement que les actes et la vie de Gisèle Halimi une fois sa carrière d'avocate lancée, je ne sais pas vraiment en lisant cet album quelles sont les informations véridiques et quelles sont les informations extrapolées (d'autant que je n'ai pas vu, à moins d'une erreur de ma part, de mention bibliographique et de source). L'album reste néanmoins intéressant et permet de (re)mettre en lumière une femme très importante, et dans le cas présent une partie de sa vie mine de rien peu mise en avant. (Note réelle 3,5)
Shubeik Lubeik
Au vu de l'avis de la semaine, il m'a semblé que je pouvais difficilement passer à côté de cette bande dessinée. Et bien m'en a pris, car même si je suis un peu moins enthousiaste que les deux avis précédents, je confirme la réussite de l'œuvre ! Deena Mohamed signe ici une œuvre assez fascinante, tout d'abord par son ampleur, elle dure quand même 500 pages ! Dans ces 500 pages, l'autrice met en place 3 intrigues successives, qui se recroiseront un peu, mais qui sont presque complètement indépendantes les unes des autres. Dans ces trois récits différents, on trouve en outre des personnages qui, parfois, racontent leur histoire, ce qui crée des récits dans le récit, reprenant une structure assez typique des contes, notamment orientaux. Comme souvent lorsqu'on compile plusieurs récits différents, la comparaison entre eux s'impose, et il faut bien reconnaître que les 3 arcs narratifs principaux ne présentent pas la même force. Comme Spooky, je pense que c'est la deuxième histoire qui est la plus faible. Non qu'elle soit mauvaise, mais j'ai trouvé qu'elle tournait un peu en rond, et passait énormément de temps à dire des choses qui pouvaient être dites en beaucoup moins de temps. En revanche, le 1er arc narratif est franchement efficace, même si j'ai trouvé sa résolution un peu trop rapide. Je n'étais pas loin de me dire "tout ça pour ça ?", mais le regard qu'il porte sur les problématiques abordées et la société dans laquelle vit l'autrice est très intéressant. Mais Deena Mohamed a eu l'élégance salvatrice de garder le meilleur arc narratif pour la fin, et c'est sans grande surprise le 3e récit qui emporte pleinement l'adhésion. On y découvre le passé du personnage principal des deux arcs précédents, et d'un autre qui restait jusque-là spectateur. A partir de là, la bande dessinée s'envole vraiment vers les cimes, et même si je trouve la conclusion de l'album très légèrement frustrante, on est tout de même passé par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel avant, en termes d'émotion. Malgré son trait épais, le dessin de Deena Mohamed nous plonge dans un univers d'une finesse bien réelle, où les personnages sont incroyablement crédibles. Chaque ligne de dialogue est pleine de sens et de réalisme, et nous promène ainsi dans un monde auquel on croit dur comme fer. Les rapports entre les personnages sont délicatement esquissés, et nous ouvrent peu à peu leur âme. J'avoue que j'aurais quand même voulu être davantage ému, dans l'ensemble, mais encore une fois, j'ai été à peu près comblé par le 3e arc narratif, d'une efficacité assez redoutable. Ainsi, si Shubeik Lubeik ne figure pas au rang des plus grands chefs-d'œuvre que j'ai lus, il se montre tout de même à la hauteur de ce que je pouvais en espérer. Deena Mohamed nous offre un récit plein de vie, qui nous donne quelques belles leçons sans aucun moralisme. Peut-être un ton légèrement trop tire-larmes par moments, mais vu comme on s'est attaché à ses personnages, on ne lui en veut pas.
Le Château des étoiles
Des coups de cœur comme ça, j'en veux plus souvent ! J'ai entendu tellement de bien de cette série pendant si longtemps, je voyais les albums être continuellement empruntés à ma bibliothèque, j'ai fini par craindre qu'avec tant d'attentes et de promesses je finirai par être déçue. Eh bien pas du tout. J'ai adoré. L'histoire est un croisements de genres, de propos, de types d'aventures qui me plaisent, et le melting pot est ici on ne peut plus savoureux : une aventure au cœur de l'inconnu, un véritable sentiment d'exploration et de découvertes, des héros qui grandissent et mûrissent, des enjeux grandioses et humains, un propos sur le pouvoir et le colonialisme, sur la nature humaine par conséquent, le tout dans une forme qui n'est pas sans rappeler les récits de Jules Verne et le très célèbre "Voyage sur la lune" de Méliès. Et le résultat est superbe, tant dans le fond que la forme. Les dessins d'Alice que je découvre ici sont à couper le souffle, délicat et fourmillant de détails, et n'hésitent pas à nous proposer des cases où le grandiose et la contemplation sont de rigueur. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? C'est une histoire prenante qui arrive à combler de nombreuses attentes et mon amour de l'aventure, forcément que je l'ai aimée. Et en même temps, la série n'est pas parfaite, je lui reconnais quelques petits défauts (comme par exemple Hans qui est quelques fois un peu lourd en tant que comic relief), mais ils me paraissent tellement minimes comparés aux réussites que je les ignore volontiers. L'œuvre n'est pourtant pas universelle, et pour éviter d'autres déconvenues comme semblent l'avoir vécu Canarde et bamiléké, je préciserai que cette série ne plaira sans doute qu'aux amateur-ice-s de récits d'aventures, d'esthétique rétro-futuriste à la Méliès, et de tous les autres détails de l'œuvre dont je vous ai parlé plus haut. Mais pour quiconque aime cela, la série est plus que vivement recommandée pour ma part.
La Cuisine des ogres
J'aime beaucoup les contes. Leurs formes, leurs péripéties, leurs personnages évoluent au gré du temps et des cultures, muant et se transformant souvent de manière surprenante pour adapter et illustrer les morales et coutumes d'époques et lieux varié-e-s, mais leur fonction de vecteur d'informations perdure. Ils sont toujours des bases culturelles communes servant à illustrer des leçons, imbriquant subtilement des codes et des mises-en-gardes (par la peur d'un croque-mitaine, la bonté et/ou la sagesse illustrée d'un être bon ou encore la mise en situation d'actes à reproduire ou ne pas reproduire). Cet album est sans nul doute un conte. Peut-être même l'auteur s'est il inspiré ou a adapté/transformé un conte ou une légende déjà existant-e. Qui sait ? En tout cas j'ai beaucoup ressenti cet effroi, cette déformation monstrueuse des peurs, cette singularité presque hors-norme de la protagoniste qui devient vectrice malgré elle d'une leçon à tirer. La forme de la morale est plus ou moins ouverte, laissant libre cours à l'imagination des lecteur-ice-s, mais cherchant indéniablement à parler et à transmettre quelque chose. L'album brille incontestablement par son dessin. Je ne connaissais pas Jean-Baptiste Andreae, mais c'est à coup sûr un nom que je retiendrais à partir de maintenant. Son dessin est beau, à mi-chemin entre l'adorable et le grandiose. Quoique cette impression de grandiose du dessin me vient peut-être du travail sur les tailles dans cet album précis. Tout comme Trois-fois-morte, on se sent écrasé-e-s par ces décors et ces personnages gigantesques et monstrueux. Ce gigantisme et cette transformation horrifique de décors et milieux connus et courants (des cuisines notamment) marque et m'a vraiment charmée. Ce gigantisme et cette horrification de la cuisine et de la faim m'a rappelé le jeu vidéo Little Nightmares (premier du nom pour le coup, le second a quant à lui une ambiance horrifique toute autre). Je le recommande chaudement d'ailleurs, un petit coup de cœur esthétique personnel.
Moi, Fadi - Le Frère volé
La série L’Arabe du futur avait réellement propulsé Riad Sattouf comme génie français de la BD jusqu’à recevoir le grand prix de la ville d’Angoulême en 2023, j’avais moi-même adoré cette série et j’étais donc naturellement heureux de savoir que Sattouf revenait sur le devant de la scène avec un spin-off de sa série emblématique. Dans Moi, Fadi, le père volé, on suit l’histoire cette fois-ci du point de vue de Fadi (le plus jeune frère) qui se fait enlever par son père et passe du jour au lendemain des environs de Rennes aux environs de Homs en Syrie. Avec un charme similaire à la série originale, j’ai beaucoup aimé redécouvrir cette Syrie des années 80 du point de vue d’un enfant (l’école, les autres enfants, la nourriture). L’histoire est évidemment tragique et fluctue entre les détails de la découverte de la vie en Syrie et du traumatisme de perdre sa mère et ses frères. J’ai bien aimé également le côté autobiographique mais réalisé par quelqu’un d’autre (par exemple, voir Riad non plus comme le personnage principal mais cette fois-ci secondaire). Quant aux dessins il est assez similaire à ce que l’auteur a proposé au cours des dernières années, des personnages simples et emblématiques, parfois mystiques avec les grand-mères aux visages fatigués et voilés des campagnes syriennes. J’ai hâte à la suite de l’histoire !