Un documentaire salutaire sur le financement occulte de la vie politique française.
Comme je m'intéresse à la politique, il y a des affaires que je connaissais déjà, surtout les grosses mettant en vedette les hommes politiques très connus, mais j'en ai appris des nouvelles mettant en cause des gens que je ne connaissais pas. Cette suite d'hypocrisies avec ces élus qui s'amnistient et qui font trainer les procédures lorsqu'ils sont inculpés, ajouté au fait que les pratiques douteuses de financement semblent généralisées dans tous les grands partis, de Mélenchon à Le Pen, donne une version vraiment cynique de la vie politique et malheureusement ceux qui sont déjà politisés ne vont pas êtres surpris par ce qu'ils vont lire dans l'album.
Le documentaire est bien fait. On balance beaucoup d'informations sans que cela devienne trop aride à lire ou inutilement compliqué. Je comprends toutefois que certains lecteurs préféreraient qu'on parle plus en profondeur de certaines affaires comme celle de Karachi dont on ne survole que les grandes lignes, mais cela ne m'a pas trop dérangé. Je vois le travail des auteurs comme une synthèse des affaires de financement politique des dernières décennies et montrer tous les petits détails aurait fini par alourdir l’album, qui aurait alors fait des centaines de pages. Le dessin est dynamique et la narration fluide. Un album à lire pour ceux qui s'intéressent à la politique !
Une très belle surprise que cette BD que j'ai achetée d'occasion à très bas prix. Je ne m'étais pourtant pas encore rendu compte que le scénariste n'était autre qu'Antoine Ozanam dont j'avais particulièrement apprécié l'excellent Temudjin.
Ici, rien à voir avec la Mongolie, mais nous sommes dans un bon vieux polar, où le héros, un flic à la vie bien rangée et quelque peu clichée, va être entrainé dans une spirale infernale dont l'issue semble inéluctable. Le scénario, particulièrement bien construit et dont l'intensité monte crescendo au fil des pages, constitue le point fort de cet ouvrage. Je me suis ainsi surpris à lire d'une traite la centaine de pages pour connaitre le fin mot de l'histoire qui reste somme toute assez crédible. Et la chute finale, quoi qu'un tantinet Hollywoodienne, reste bien amenée et surprenante.
Le seul bémol m'empêchant de mettre une note plus élevée concerne le dessin. Comme pol et Michelmichel, j'ai eu du mal au départ avec ce trait chevrotant et avec ce héros au visage simiesque. Mais le scénario est tellement bien ficelé que je m’y suis très vite habitué et ai fini par l'oublier. Et je ne peux pas continuer à critiquer les BD aseptisées aux dessins classiques assistés par ordinateur sans reconnaitre qu'au moins le trait de Mikkel Sommer est très personnel et le démarque des autres!
A recommander pour les aficionados des séries à suspense.
SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10
GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 6,5/10
NOTE GLOBALE : 15/20
Première publication de Jean Dalin je pense, cet album nous fait découvrir un auteur original et au talent certain. En particulier son travail graphique, qui justifie mon coup de cœur, et qui est très bien mis en valeur par le travail éditorial de Sarbacane (très grand format, papier épais).
J’ai bien aimé la colorisation, très tranchée. Mais c’est surtout la construction des pages qui détonne. Adieu le gaufrier traditionnel, nous entrons ici dans quelque chose de très personnel et original. Certaines pleines pages nous montrent des personnages se mouvant dans un décor faisant penser à des jeux vidéo de plates-formes, foisonnent de détails multicolores, de formes géométriques, d’autres cases sont plus sobres. Le visuel est franchement marquant. Il ne plaira sans doute pas à tout le monde, en particulier les personnages, au physique parfois improbables (voir certains nez ressemblant à une défense de narval), mais je l’ai beaucoup aimé en tout cas.
L’intrigue se laisse plus difficilement apprivoiser je trouve, et j’ai mis un temps à me faire à la narration et à l’histoire. Mais une fois entré dedans, c’est un récit lui aussi plein de qualités qui s’offre au lecteur. Pas mal d’absurde (voir les démarches administratives), de poésie, un peu de loufoque, dans des aventures qui pourtant se déroulent dans un univers pas tout rose, une sorte de dystopie, avec quelques relents de thriller.
Une série franchement inclassable, dont j’attends avec pas mal de curiosité la fin, promise dans le prochain album.
Nous suivons l’histoire de Jbara, jeune femme née dans une pauvre famille d’un trou perdu au fin fond d’un pays maghrébin (que je n’ai pas identifié). Promise à un destin misérable, soumise à une famille peu aimante et aux diktats qu’une vision rigoriste de l’islam lui impose, tout semble faire de Jbara une potiche, jouet des hommes qui l’exploitent et la violent.
Mais, une volonté de se sortir de ce cercle vicieux, et quelques petits hasards plus ou moins heureux (comme cette valise d’une touriste américaine, tombée du bus près de chez elle) vont lui faire découvrir autre chose que son bled paumé. Mais si l’horizon s’élargit, elle ne va pas moins continuer à être soumise aux desiderata des hommes. Mais ils sont plus riches, et en mettant son amour propre de côté (dans tous les sens du terme), sa prostitution assumée (à défaut d’avoir été choisie) la fait un temps sortir d’une certaine misère.
Le parti pris du récit est intéressant, puisque tout est raconté par Jbara elle-même, de façon dépassionnée, comme si elle s’auto-analysait. Et en permanence elle se confie à Allah, son témoin, à qui elle raconte tout, sans concession, ayant avec Dieu une relation finalement plus sincère que la plupart de ceux qui la prennent de haut ou qui lui reprochent sa condition de pute.
Une vision très noire d’une certaine condition féminine au Maghreb, avec une femme qui n’arrive pas à échapper à un triste destin. Une lecture intéressante, avec une narration fluide et agréable en tout cas.
Note réelle 3,5/5.
Seules les femmes sont capables de sauver les hommes de leurs démons.
-
Ce tome contient une biographie très partielle de l’artiste Gustav Klimt, correspondant à l’année 1907, qui ne nécessite pas de connaissance préalable de cet artiste. La première édition date de 2017. Il a été réalisé par Jean-Luc Cornette pour le scénario, par Marc-Renier pour les dessins, et par Mathieu Barthelemy pour les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de huit pages, intitulé Gustav Klimt (1862-1918), l’artisan aux doigts d’or, rédigé par Dimitri Joannidès. Ce dossier est structuré en sept chapitres : Un succès précoce, Vers la libération esthétique, Insaisissable style fin de siècle…, L’objet du scandale, Adèle Bloch-Bauer ou la Joconde autrichienne, Vers la peinture de chevalet, Une postérité à retardement. Il comprend également la reprographie de plusieurs œuvres de l’artiste : Judith et la tête de Holopherne (1901), Pallas Athéna déesse de la guerre, de la sagesse, des artisans et des techniques (1898), Les puissances ennemies (1902), L’attente (1905-1906), Portrait d’Adèke Bloch-Bauer (1907), Maison à Unterach (1916), Femme au chapeau et au boa de plume (1909).
À chaque époque son art, à l’art sa liberté. À Vienne en 1907, Gustav Klimt rend visite au couple Bloch-Baeur. Il sonne à la porte et il est accueilli par leur servante Rosa. Elle le reconnaît immédiatement et lui la salue par son prénom. Il ajoute que les années passent et qu’elle est toujours aussi belle, elle leur manque à l’atelier. Elle va pour l’embrasser, mais son geste est interrompu par Adèle Bloch-Bauer qui trouve que Rosa met légèrement trop de passion dans sa façon d’accueillir les invités. D’un autre côté, elle reconnaît qu’il est difficile de résister à ce cher Gustav. Celui-ci indique qu’elle l’a convié et qu’il est venu aussitôt car c’est elle qui est irrésistible. Il lui offre un gugelhupf, il est passé à la pâtisserie Demel. Il salue également le petit chat Prodigo. Le peintre prend ensuite le café avec Ferdinand Bloch-Bauer et son épouse Adèle. Ils se rappellent qu’ils ont fait connaissance il y a six ans, au moment de l’affaire de La Médecine. Le mari pense que le temps est venu pour lui de demander à Klimt de peindre sa femme. L’artiste prend congé et promet à Adèle de la couvrir d’or.
Six ans plus tôt, les critiques se déchaînent en contemplant le tableau La Médecine : Ignoble, c’est ignoble ! Tous ces corps mélangés les uns aux autres ! Qu’a-t-il voulu représenter, une orgie ? C’est censé représenter la médecine, et on dirait qu’il fait l’éloge de la maladie et de la vieillesse. C’est clairement pornographique ! Dans la salle, Gustav Klimt écoute ces commentaires désagréables. Un ami lui propose d’aller boire un coup, mais il décline car sa mère l’attend. Celle-ci lui a préparé de la soupe aux pommes de terre, comme il aime. Il lui lâche tout ce qu’il a sur le cœur, contre tous ces médecins qui ont critiqué son œuvre : c’est à Hypocrite que tous ces médecins ont prêté serment ! La nuit, il rêve qu’il est le général Holopherne que Nabuchodonosor envoie en campagne, pour assiéger Béthulie.
Une portion assez courte de la vie de Gustav Klimt (1862-1918), qui se focalise sur les affres de la création de l’un de ses tableaux les plus célèbres : Le portrait d’Adele Bloch-Bauer (également appelé La dame en or, ou La femme en or), réalisé entre 1903 et 1907. Le début déroute car un cartouche indique que la première scène se déroule en 1907, c’est-à-dire après la réalisation de ce tableau, mais au cours de la discussion Ferdinand Bloch Bauer indique qu’il est temps pour le peintre de réaliser le portrait de son épouse, mais Rosa est au service du couple, et effectivement sept ans plus tôt elle était une des muses de l’artiste dans son atelier. Et en page quatorze, Klimt se rêve en général de l’empire néo-babylonien, recevant les ordres de Nabuchodonosor II (-642 à -562), évoquant le Livre de Judith de l’Ancien Testament. Le lecteur comprend que certaines séquences sont à envisager comme teintée d’onirisme, s’inspirant de la réalité, sans pour autant relever de la reconstitution historique rigoureuse ou exacte. Dans un premier temps, la narration visuelle peut provoquer un même décalage cognitif. La première page semble fermement ancrée dans un registre descriptif, avec un savant équilibre entre ce qui est montré dans le détail (la façade de l’immeuble des Bloch-Bauer), et ce qui est suggéré (la circulation dans une large avenue). Puis le rêve se charge d’éléments visuels symboliques, les dimensions de l’escalier intérieur dépassent la réalité, certains fonds de case ne sont habillés que par des camaïeux.
Les auteurs naviguent entre des repères historiques concrets et avérés, et des interprétations personnelles ou des métaphores. Parmi les premiers, le lecteur identifie Ferdinand Bloch-Bauer (1864-1945), fabricant de sucre austro-tchèque et amateur d'art, époux d’Adele Bloch-Bauer, visiblement peu jaloux. Klimt a peint au moins deux portraits d’Adele Bloch-Bauer (1881-1925), entre 1903 et 1907, et en 1915, à la suite d’une demande adressée par courrier écrit par le mari. Lors d’une discussion avec le peintre, cette dame lui conseille de ne pas aller voir le docteur Sigmund Freud (1856-1939) s’il veut éviter d’entendre des choses ignobles sur sa mère. S’il est allé regarder les photographies de cette dame, le lecteur peut constater une bonne ressemblance des dessins, et il apprécie la sophistication de ses toilettes, ses robes comme ses chapeaux. Il relève encore la présence d’Anna Finster-Klimt (1836-1915, la mère de l’artiste), d’Emilie Louise Flöge (1874-1952, styliste et créatrice de mode), et du ministre Johannes Wilhelm Rittér von Hartel. Il est également fait mention de l’exposition du tableau La médecine (1901) au Palais de la Sécession à Vienne, sa qualité du peintre comme membre de la Sécession viennoise. Les cases nourrissent la reconstitution historique : les façades des rues de Vienne, la devanture d’une pâtisserie aux desserts aussi appétissants que viennois, l’intérieur d’un café, le superbe bâtiment du parlement autrichien, le parc du château de Schönbrunn, l’atelier de Klimt, le lac de l’Attersee, et le Palais de la Sécession, avec la devise À chaque âge son art, à chaque art sa liberté, et son magnifique dôme. Dessinateur et coloriste assument également la tâche délicate de reproduire des œuvres d’art, les peintures Klimt : ils le font avec conviction, les fac-similés reprenant une partie des intentions artistiques, entre tracé, composition et fidélité à la représentation, avec une prise de recul empreinte d’humilité.
Le lecteur observe que dessinateur et coloriste reprennent des éléments de l’œuvre picturale de Klimt, par petites touches discrètes dans un détail ou un autre d’une case, introduisant ainsi un glissement entre symbole et onirisme. Ce décalage entre réalité et rêve prend une forme explicite dans la séquence de la page douze à la page quinze. Gustav Klimt dort profondément et il est réveillé par deux de ses modèles, Edith & Margarethe, nues : elles l’enjoignent à les suivre en l’appelant général, car il est attendu. Le peintre se lève, les suit et traverse des pièces aux proportions gigantesques, évoquant aussi bien un palais qu’un tombeau, pour être mené devant Nabuchodonosor. Le lecteur voit flotter des symboles comme l’œil dans la pyramide, ou la présence de félins. Puis dans un dessin en pleine page, il assiste à une scène fantasmagorique dans laquelle Klimt est un guerrier, maniant le sabre et l’arc sur son char, donnant l’assaut à une citadelle, des cadavres d’ennemis à ses pieds. Les auteurs laissent le lecteur libre de son interprétation. Peut-être une mise en perspective de l’artiste se mesurant à grands maîtres qui l’ont précédé et qui ont eux aussi interprété cette scène biblique : Donatello (vers 1455-1460), Sandro Botticelli (trois fois, 1470, 1472, 1495), Lucas Cranach l'Ancien (vers 1530), Paolo Veronese (1581), Le Titien (1565), Rubens (vers 1616), Le Caravage (vers 1598), etc.
Il est également possible de voir en Holopherne assiégeant Béthulie, une métaphore de Klimt assiégeant l’Académisme, comme s’il était envoyé par le courant artistique La sécession de Vienne qui serait Nabuchodonosor pour anéantir ce bastion de l’art officiel. Toutefois, l’issue de ce récit biblique n’est pas à l’avantage du conquérant. Dans la décapitation d’Holopherne, le lecteur peut voir l’artiste au service de la beauté féminine, conquis par elle, et ne pouvant que s’y soumettre, le jeu avec l’ordre chronologique déroutant encore le lecteur puisque ce tableau date de 1901, vraisemblablement avant que Klimt n’ait fait la connaissance d’Adele Bloch-Bauer. Les auteurs montrent également trois modèles féminins, Rosa, Edith et Margareth, vivant dans l’atelier du peintre, très sensuelles, parfois érotiques. En fonction de sa sensibilité, il peut prendre cette représentation au premier degré, entre comportement licencieux et vieil homme libidineux, ou comme une métaphore des muses qui inspirent l’artiste que la force créatrice ne laisse jamais en repos, pour une vie en perpétuel déséquilibre. De ce point de vue, les chatons présents dans son atelier constituent cet élément perturbateur, joueur, espiègle, indifférent, épris de liberté. Le lecteur poursuit sa découverte de cet artiste avec le dossier qui contextualisent la bande dessinée dans le cours de la vie de l’artiste, le mouvement de la Sécession viennoise, la qualification de Joconde autrichienne, la longue lutte de la famille Bloch-Bauer pour récupérer la propriété du tableau après la seconde guerre mondiale, la période d’oubli de l’œuvre de Klimt après sa mort.
Évoquer la vie de Gustav Klimt lors de la création de son tableau Judith et Holopherne (1901), et aussi lors de la réalisation du portrait d’Adele Bloch-Bauer (1907), dans une intrication des deux années : cela peut déconcerter le lecteur dans un premier temps. Le dessinateur et le coloriste mettent en œuvre un équilibre sophistiqué entre description détaillée pour la reconstitution historique, pour les tableaux du maître, évocation plus impressionniste, utilisation de symboles, reprise d’éléments des tableaux de Klimt dans son quotidien. Le lecteur s‘abandonne à cette narration sophistiquée, pas toujours conventionnelle, se laissant emporter dans la métaphore du récit biblique de Judith et Holopherne, succombant à la séduction de la Joconde autrichienne. Déroutant et séduisant.
Voila une histoire très sympathique qui pose des bases qu'on aurait presque envie de voir exploitée par la suite. C'est une lecture qui fait bien écho à la situation actuelle, mais qui présente une originalité sur le monde : c'est un monde post-apocalyptique mais version plus sympa. Loin d'un univers à la Mad Max, on a plutôt un univers bouleversé par les catastrophes (notamment climatiques) qui tente de se relever et revivre. L'ensemble suit un personnage dont la mère va partir pour un programme spatial osé, voir inconscient, qui divise la population.
En le lisant, j'ai pensé à L'Héritage fossile de Philippe Valette lue récemment, et je trouve les deux œuvres complémentaires. Une sorte d'écho entre la version d'un avenir positif tandis que l'autre est cruellement négatif. Ici, c'est plus le drame familial et intimiste d'un jeune homme qui doit apprendre et comprendre le choix de sa mère, choix contestable d'ailleurs, tandis que nous explorons un monde qui a du tout faire pour ne pas disparaitre. L'idée de cet univers est intéressante, propice à des développements d'ailleurs, mais je trouve que le récit reste un peu trop dans le road-trip entre les différentes villes de ce monde, tandis que l'humanité présentée comme exsangue semble encore assez vivace. C'est le seul point qui m'a semblé un peu trop en contradiction avec l'univers présenté, mais pour le reste j'aime bien certaines idées sur le déroulement des opérations et l'humanité qui en est ressortie.
La Bd est servie par le dessin de Benjamin Adam qui fonctionne plutôt bien, je trouve. Je n'ai pas encore lu d'autre ouvrages de sa main mais il a un coup de crayon agréable qui fonctionne bien, servi par une colorisation en bichromie très efficace. Si je l'ai trouvé moins percutante dans le fond que L'Héritage fossile, la BD aborde plus frontalement les questions d'écologie et de gaspillage d'énergie (et de ressources), ce qui est très sympathique aussi. Et pour une fois, la BD porte un message plus positif, ce qui n'est pas pour me déplaire !
Super!!
Vraiment sympa comme BD de zombies! Scénario atypique et dans la continuité de Zombies.
Les 4 livres sont bien, mais alors le dernier est une apothéose! Il est vraiment vraiment bien!!
Je mettrais 4 aux 3 premiers, et 4,5 au 4e.
Ça fait plaisir en tout cas d'avoir une bd de zombies différente des autres.
Allez, viens ! On va jouer !
-
Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Véro Cazot pour le scénario, et par Anaïs Bernabé pour les dessins et les couleurs. Il comporte cent-vingt-sept pages de bande dessinée. La scénariste a également réalisé Betty Boob (2017) illustré par Julie Rocheleau, et Les petites distances (2018) avec Camille Benyamina.
Quelque part sous les tropiques, sous un soleil chaleureux, en bordure d’une plage de rêve, dans une construction de plusieurs étages de forme ovoïde, l’architecte Marsu Chevalier est en train de parler à ce bâtiment qu’elle a conçue. Elle le rassure en lui indiquant qu’ils arrivent, ils viennent pour le rencontrer, des architectes comme elle, ou des bâtisseurs. Ils vont le regarder sous toutes les coutures et chercher tous ses secrets. Il n’a pas à s’inquiéter, ils vont l’adorer. Elle éprouve un petit recul quand le Cocon lui répond. Il a peur qu’ils ne s’essuient pas leurs pieds avant d’entrer, qu’ils lui trouvent des défauts, qu’ils ne le comprennent pas. Marsu comprend qu’il s’agit d’une personne en train d’imiter l’hôtel de l’autre côté de la cloison du balcon. Le monsieur se présente : Thom Robinson. Il a assisté à la présentation de son projet à Nantes, pas loin de la salle de concert qu’elle construit. Elle répond que son mari Harry parle aussi beaucoup aux objets. Il est potier, il parle à ses pots, à ses outils, il a même donné un nom à son four. Thom s’allume une cigarette, Marsu lui demande du feu et elle s’allume une cigarette imaginaire. Elle a arrêté il y a cinq ans.
Plus tard, Marsu Chevalier présente son projet aux séminaristes rassemblés dans le grand hall : Les organes vivants sont capables de développer des stratégies complexes pour s’adapter aux contraintes de leur environnement. C’est une source d’inspiration extraordinaire pour construire des villes et des habitations écorégénératrices et durables. Conçu en collaboration avec des biologistes, le Cocon s’intègre parfaitement à l’écosystème qui l’accueille. Sa forme ovoïde est l’une des plus résistantes à l’usure et aux intempéries. Composé de matériaux issus du vivant, le Cocon respire et réagit à la lumière et aux températures intérieures et extérieures. Et elle commence à se demander s’il n’est pas sensible à aux émotions humaines. Elle demande aux auditeurs du premier rang s’ils ne l’ont pas vu rougir. Puis c’est au tour de Thom Robinson d’effectuer sa présentation : il est un architecte en réalité virtuelle et créateur de l’univers Athome. Il continue : Athome propose des espaces de rencontres de la simple salle de réunion à la villa de luxe. Il souhaite développer le marché du tourisme avec des lieux de vacances virtuels, une excellente alternative pour voyager à moindre coût. Athome recherche des partenariats avec des architectes de tous horizons, pour reproduire virtuellement les plus beaux hôtels, afin qu’un maximum de vacanciers puissent en bénéficier, l’hôtel étant dupliqué à volonté. Il s’adresse à Marsu car ce serait un immense honneur d’avoir le Cocon dans leur catalogue.
L’immersion produit son plein effet dès la première page : le lecteur se retrouve dans cet endroit ensoleillé, paradisiaque, se sent immédiatement proche de Marsu Chevalier, il est en agréable compagnie. Le premier contact entre elle et Thom Robinson se déroule de manière naturelle et unique, apportant à la fois des informations sur leur personnalité et leur caractère comme lors d’une première prise de contact, un début d’information sur ce qu’ils font là, et également les prémices de leur relation. Le lecteur observe leurs postures, leurs petits gestes : leur langage corporel montre qu’ils s’entendent bien dès cette rencontre, une forme de compatibilité d’état d’esprit. La seconde séquence se déroule avec la même sensation d’évidence : un congrès réunissant différents types de bâtisseurs, à la fois la présentation à d’éventuels investisseurs ou acheteurs, à de simples curieux, mais aussi des contacts potentiels entre différents professionnels. Le lecteur déambule dans le hall monumental qui accueille les interventions des professionnels, il assiste tout naturellement à leur prise de paroles, dans ce cadre prestigieux à la lumière dorée et chaude. Il assiste en direct à la proposition de l’architecte virtuel d’intégrer la réalisation de l’architecte dans le monde réel. En trois pages, les autrices ont mis en place la dynamique du récit avec une élégance rare, une complémentarité parfaite, le lecteur étant déjà devenu l’ami et confident des deux principaux personnages, scénariste et artiste racontant comme une seule et unique personne. Du grand art.
Avant toute chose, ce récit constitue une histoire d’amour, une variation sophistiquée sur plusieurs configurations, mettant à profit les nouvelles technologies. De ce point de vue, il s’agit d’un récit d’anticipation : dans un futur proche, les mondes virtuels ont acquis une consistance et une cohérence permettant à chaque individu de s’y créer un chez soi personnalisé, voire un foyer, d’y accueillir des invités, et, pourquoi pas, de le faire évoluer à deux ou plus. Les autrices mettent en place cette évolution technologique avec une grande habileté : l’accès à ce monde virtuel se fait par l’utilisation d’un simple casque de réalité virtuel, un modèle à peine plus performant que ce qui existe déjà, plus accessible. La narration visuelle montre la facilité de s’en servir, le rendant très plausible, ainsi que l’effet d’immersion dans la réalité virtuelle : l’artiste réalise les dessins correspondant à la réalité avec un encrage au crayon et une mise en couleur numérique, ceux correspondant au virtuel sont réalisés au crayon de couleur. Le passage d’une réalité (physique) à l’autre (virtuelle) s’opère en douceur, sans contraste spectaculaire, ce qui contribue encore plus à rendre ce monde virtuel plausible et tangible, accessible, concret, un simple pas de côté par rapport à la réalité, tout en y étant très semblable, avec des éclairages différents permettant au lecteur de savoir s’il se trouve dans l’une ou l’autre.
S’il est familier des récits d’anticipation relatifs aux mondes virtuels, le lecteur apprécie à sa juste valeur la qualité de la mise en œuvre qui permet de croire à ce procédé de vie virtuel, et de concomitance avec le réel. Il peut prêter attention aux détails : le nom Athome (une combinaison entre At home, c’est-à-dire au foyer, et avec le prénom Thom), la manière de nourrir ce monde virtuel avec les créations du réel, le confort qu’il présente visible dans chaque image avec des accessoires, des meubles, des lieux des aménagements qui combinent une sensation douillette et sécurisante, détente et relaxation à l’abri des agressions quotidiennes de la réalité. Les autrices ont conçu un équilibre qui rend cette virtualité d’autant plus plausible et probable, un dosage très bien pensé. Il se retrouve vite convaincu de la pertinence de baser ce monde sur les créations du réel, que ce soient les constructions architecturales, ou les éléments de la nature (faune et flore), avec quelques adaptations. Le principe de transposer les grandes créations de la nature et de l’humanité dans le virtuel offre de fait une richesse et une diversité infinies, une familiarité rendant ce monde plus plausible et facilitant l’adaptation, limitant la déréalisation. Au cours du récit, le lecteur peut voir comment les personnages y apportent leur touche personnelle entre suppression des inconvénients (par exemple air pollué et bruits pour un fac-similé de New York), expurgeant les éléments considérés comme nuisibles ou indésirables, un monde toujours neuf et propre, nettoyé et désinfecté, assaini et édulcoré, dépourvu de besoin de maintenance, insensible aux effets de l’entropie. D’un côté, ce parti pris fait sens pour créer un monde virtuel cohérent d’une telle ampleur, restant simple à appréhender par chaque individu ; de l’autre côté le questionnement sur les attentes relatives à un tel monde est bien présent de manière sous-jacente. À chaque immersion dans ce virtuel, le lecteur éprouve un plaisir esthétique de chaque case qui lui fait, lui aussi, éprouver l’envie irrépressible d’y retourner, d’y séjourner.
Les autrices intègrent d’autres questionnements sur les mondes virtuels de manière tout aussi pragmatique. Marsu Chevalier (un autre nom chargé de sens) éprouve a priori une défiance pour cette technologie qui la coupe du réel, et elle fait l’expérience du temps qu’elle y consacre, presqu’à son insu, en tout cas contre son gré. Le lecteur y voit le principe implicite du fonctionnement des réseaux sociaux dématérialisés : capter l’attention, la retenir, pour monopoliser un temps de cerveau disponible allant toujours en augmentant. Les échanges entre personnages et les mises en situation emploient un vocabulaire et des mises en scène terre à terre, tout en fonctionnant sur les principes du système de récompense, du conditionnement opérant, du processus de renforcement. Sous la narration douce et prévenante, les thèmes de fond sont bien présents. Vu sous cet angle, les autrices mettent en œuvre un mode narratif ouvert à tous, avec la possibilité d’identifier différents éléments culturels pour ceux qui s’y sont déjà intéressés. Un exemple parlant réside dans la réparation d’une tasse par Harry : il l’a offerte à Marsu qui la laisse tomber dans un moment d’inadvertance, et il la répare avec une technique à base de laque saupoudrée de poudre d’or. L’image est très belle, servant également de métaphore pour recoller les morceaux dans une relation, et celui qui en est familier identifie l’art japonais du Kintsugi (ou Kintsukuroi).
Comme l’évoque la première scène, il s’agit également d’une histoire d’amour : Marsu et Thom partagent une même façon de penser pour ce qui est de leur mode de création, ce qui se traduit par une affinité spirituelle, et une attraction amoureuse. Le lecteur peut littéralement la voir dans leur langage corporel, les expressions passant sur leur visage, leurs petites attentions l’un envers l’autre. Il est touché par leur gentillesse respective et cette intimité d’esprit. Le champ des possibles du titre évoque celui de la virtualité, ainsi que celui des modes amoureux. Harry et Marsu forment un couple qui n’entrave pas leur liberté, l’un comme l’autre pouvant aller voir ailleurs, ce qui n’entame pas leur amour réciproque. Thom découvre même qu’il existe une forme de trouple avec leur amie Clémence. Le monde virtuel ouvre le champ des possibles à d’autres configurations amoureuses pour la relation entre Marsu et Thom. Le lecteur voit leur relation évoluer, l’attirance, les émotions positives qui en découlent et qui renforcent même les sentiments de Marsu pour son époux. Il voit et il ressent leur frustration quand le rapprochement physique ne fonctionne pas, quelles que soient leur envie et leur tendresse. La relation dématérialisée s’offre alors comme une évidence, y compris pour le lecteur, à la fois par la solidité et l’intelligence du dispositif Athome, à la fois par les dessins qui montrent ce monde virtuel, avec des touches expressionnistes discrètes et raffinées. Même s’il s’agit d’une évidence, cette relation est à construire, à développer, à faire croître en s’y impliquant, en s’adaptant à ses conséquences, pour les amoureux et pour le conjoint. Ce n’est pas du tout la même dynamique entre une relation physique et une relation dématérialisée.
Une histoire d’amour, un récit d’anticipation, une intrigue romantique non-conformiste avec des beaux dessins : tout ça et bien plus encore. Le sentiment amoureux s’avère protéiforme : les réseaux sociaux et le distantiel, la réalité virtuelle offrent de nouvelles possibilités, ou en tout cas des moyens différents, s’inscrivant ainsi dans de précédents modes alternatifs comme les relations épistolaires, les textos, les sextos, les visios, etc. Les deux autrices explorent ce potentiel, au travers d’un roman chaleureux et solaire, avec gentillesse, et sans faiblesse. Comme le dit Clémence, Marsu est toujours à fond : à la fois consciente des risques d’addiction, à la fois déterminée à rendre féconde cette nouvelle forme de relation. Ces deux créatrices réenchantent le monde, savent en mettre en valeur le merveilleux, avec un esprit ludique. Un enchantement.
Adaptation du roman éponyme de l’écrivain finlandais Arto Paasilinna, cette BD nous transporte dans un petit village du nord de la Finlande, peu après la Seconde Guerre mondiale, où un étranger, Gunnar Huttunen (dit Nanar), rachète et remet en marche le vieux moulin local. Bien que d’abord bien accueilli, Huttunen révèle une particularité troublante : une certaine propension à hurler et à l'excentricité qui va perturber la quiétude des villageois. Ces derniers, dérangés par ses frasques, n’ont dès lors qu’une idée en tête : l’envoyer à l’asile.
Dumontheuil s’approprie avec jubilation cette histoire tragique où l’humour et une certaine soif d’absolu sont de mise. J'avais déjà adoré le dessin dans de Nicolas Dumontheuil dans Qui a tué l'idiot ?, et ai retrouvé ici avec grand plaisir les traits vivants, les formes dynamiques et l’absence de rigueur géométrique qui créent un dessin assez virevoltant qui colle très bien à l'histoire. Les décors faits de paysages forestiers sombres et de bâtiments en bois aux structures imposantes finissent de poser l’atmosphère visuelle.
Le récit oscille entre drame et comédie grinçante, offrant une critique en règle d’une société régie par les préjugés et l’arbitraire. Sous les aspects d'une comédie loufoque, c'est une critique subtile et incisive des groupes humains qui se met en place. À travers le rejet dont il est victime, l’œuvre pointe du doigt les travers d’une société conformiste, méfiante envers ceux qui sortent du cadre établi. Huttunen, avec son excentricité et sa sensibilité exacerbée, devient le bouc émissaire d’un village où l’ordre social repose sur des codes implicites mais rigides.
L’histoire met en lumière le poids des normes sociales et la peur de la différence, transformant une communauté apparemment paisible en un tribunal implacablement injuste. Les villageois, au lieu d’accepter les singularités de Gunnar, s’unissent pour l’exclure, symbolisant une société qui préfère réprimer ce qu’elle ne comprend pas plutôt que de chercher à l’intégrer. La folie apparente de Gunnar est en réalité un cri de liberté, un refus des carcans imposés, tandis que la “normalité” des villageois se révèle dans toute sa petitesse et sa cruauté tant et si bien qu'on finit par se demander qui est le fou de l'histoire.
C'est très grinçant mais contrairement à canarde, je trouve que c'est une œuvre qui fait du bien, parce qu'elle a le mérite de remettre l'église au milieu du village.
Bravo Monsieur Dumontheuil, un coup de coeur pour moi.
Avec "Mémoires de Gris", Sylvain Ferret nous offre un magnifique conte médiéval, pour qui aime aller frayer avec la noirceur de l'âme humaine.
L'objet est déjà très réussit et attrayant : un grand format dos toilé présentant une couverture très engageante, tout aussi magnifique que mystérieuse. C'est ensuite le XIIe siècle qu'on nous propose de retrouver, dans toute la noirceur de son Moyen-Âge. Oubliez les paillettes et les banquets dans des châteaux façon Dysney, on est ici dans la rudesse et la survie d'une période qui ne donnait pas dans la délicatesse, que ce soit pour la populace ou les petits seigneurs en place. La guerre a un coût qui transcende les conditions sociales... Chacun paye chèrement sa survie.
C'est donc Pierre de Brume que nous allons découvrir ; fils d'un petit seigneur, il est de retour de croisade plus mort que vivant. Il ne doit sa survie qu'à Marion, son amour de jeunesse devenue guérisseuse. Mais chaque acte a un prix et se paye comptant en pays de Gris...
J'ai vraiment apprécié cet album, âpre, sombre et exigeant. Sa lecture nécessite en effet une attention soutenue pour ne pas se perdre en chemin. Car la construction du récit jouant énormément sur les flashbacks pour tisser la toile de cette histoire, il faut que le lecteur soit pleinement immergé pour suivre le fil d’Ariane, ou plutôt de Marion dans notre cas, qui nous guide. Pour autant, le travail graphique et de colorisation de Sylvain Ferret nous permet de nous y retrouver dans ces nombreux allez/retours temporels.
Si le récit proposé reste dans une ligne assez classique, c'est du côté des grands qu'il lorgne, avec un petit côté tragédie shakespearienne fort appréciable. D'autant que le graphisme de Sylvain Ferret sert parfaitement son récit. Les ambiances sont très réussies et son coup de crayon un peu sec sied parfaitement à ce Moyen-Âge implacable et sauvage ou viennent se glisser une petite touche de fantastique parfaitement dosée.
En France, les livres sont au même prix partout. C'est la loi !
Avec BDfugue, vous payez donc le même prix qu'avec les géants de la vente en ligne mais pour un meilleur service :
des promotions et des goodies en permanence
des réceptions en super état grâce à des cartons super robustes
une équipe joignable en cas de besoin
2. C'est plus avantageux pour nous
Si BDthèque est gratuit, il a un coût.
Pour financer le service et le faire évoluer, nous dépendons notamment des achats que vous effectuez depuis le site. En effet, à chaque fois que vous commencez vos achats depuis BDthèque, nous touchons une commission. Or, BDfugue est plus généreux que les géants de la vente en ligne !
3. C'est plus avantageux pour votre communauté
En choisissant BDfugue plutôt que de grandes plateformes de vente en ligne, vous faites la promotion du commerce local, spécialisé, éthique et indépendant.
Meilleur pour les emplois, meilleur pour les impôts, la librairie indépendante promeut l'émergence des nouvelles séries et donc nos futurs coups de cœur.
Chaque commande effectuée génère aussi un don à l'association Enfance & Partage qui défend et protège les enfants maltraités. Plus d'informations sur bdfugue.com
Pourquoi Cultura ?
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
Nos enjeux environnementaux
Nous sommes résolument engagés dans la réduction de notre empreinte carbone, pour prendre notre part dans la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation de la planète.
Nos enjeux culturels et sociétaux
La mission de Cultura est de faire vivre et aimer la culture. Pour cela, nous souhaitons stimuler la diversité des pratiques culturelles, sources d’éveil et d’émancipation.
Nos enjeux sociaux
Nous accordons une attention particulière au bien-être de nos collaborateurs à la diversité, l’inclusion et l’égalité des chances, mais aussi à leur épanouissement, en encourageant l’expression des talents artistiques.
Votre vote
Très chers élus - 40 ans de financement politique
Un documentaire salutaire sur le financement occulte de la vie politique française. Comme je m'intéresse à la politique, il y a des affaires que je connaissais déjà, surtout les grosses mettant en vedette les hommes politiques très connus, mais j'en ai appris des nouvelles mettant en cause des gens que je ne connaissais pas. Cette suite d'hypocrisies avec ces élus qui s'amnistient et qui font trainer les procédures lorsqu'ils sont inculpés, ajouté au fait que les pratiques douteuses de financement semblent généralisées dans tous les grands partis, de Mélenchon à Le Pen, donne une version vraiment cynique de la vie politique et malheureusement ceux qui sont déjà politisés ne vont pas êtres surpris par ce qu'ils vont lire dans l'album. Le documentaire est bien fait. On balance beaucoup d'informations sans que cela devienne trop aride à lire ou inutilement compliqué. Je comprends toutefois que certains lecteurs préféreraient qu'on parle plus en profondeur de certaines affaires comme celle de Karachi dont on ne survole que les grandes lignes, mais cela ne m'a pas trop dérangé. Je vois le travail des auteurs comme une synthèse des affaires de financement politique des dernières décennies et montrer tous les petits détails aurait fini par alourdir l’album, qui aurait alors fait des centaines de pages. Le dessin est dynamique et la narration fluide. Un album à lire pour ceux qui s'intéressent à la politique !
Burn out
Une très belle surprise que cette BD que j'ai achetée d'occasion à très bas prix. Je ne m'étais pourtant pas encore rendu compte que le scénariste n'était autre qu'Antoine Ozanam dont j'avais particulièrement apprécié l'excellent Temudjin. Ici, rien à voir avec la Mongolie, mais nous sommes dans un bon vieux polar, où le héros, un flic à la vie bien rangée et quelque peu clichée, va être entrainé dans une spirale infernale dont l'issue semble inéluctable. Le scénario, particulièrement bien construit et dont l'intensité monte crescendo au fil des pages, constitue le point fort de cet ouvrage. Je me suis ainsi surpris à lire d'une traite la centaine de pages pour connaitre le fin mot de l'histoire qui reste somme toute assez crédible. Et la chute finale, quoi qu'un tantinet Hollywoodienne, reste bien amenée et surprenante. Le seul bémol m'empêchant de mettre une note plus élevée concerne le dessin. Comme pol et Michelmichel, j'ai eu du mal au départ avec ce trait chevrotant et avec ce héros au visage simiesque. Mais le scénario est tellement bien ficelé que je m’y suis très vite habitué et ai fini par l'oublier. Et je ne peux pas continuer à critiquer les BD aseptisées aux dessins classiques assistés par ordinateur sans reconnaitre qu'au moins le trait de Mikkel Sommer est très personnel et le démarque des autres! A recommander pour les aficionados des séries à suspense. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 6,5/10 NOTE GLOBALE : 15/20
La Trahison d'Olympe
Première publication de Jean Dalin je pense, cet album nous fait découvrir un auteur original et au talent certain. En particulier son travail graphique, qui justifie mon coup de cœur, et qui est très bien mis en valeur par le travail éditorial de Sarbacane (très grand format, papier épais). J’ai bien aimé la colorisation, très tranchée. Mais c’est surtout la construction des pages qui détonne. Adieu le gaufrier traditionnel, nous entrons ici dans quelque chose de très personnel et original. Certaines pleines pages nous montrent des personnages se mouvant dans un décor faisant penser à des jeux vidéo de plates-formes, foisonnent de détails multicolores, de formes géométriques, d’autres cases sont plus sobres. Le visuel est franchement marquant. Il ne plaira sans doute pas à tout le monde, en particulier les personnages, au physique parfois improbables (voir certains nez ressemblant à une défense de narval), mais je l’ai beaucoup aimé en tout cas. L’intrigue se laisse plus difficilement apprivoiser je trouve, et j’ai mis un temps à me faire à la narration et à l’histoire. Mais une fois entré dedans, c’est un récit lui aussi plein de qualités qui s’offre au lecteur. Pas mal d’absurde (voir les démarches administratives), de poésie, un peu de loufoque, dans des aventures qui pourtant se déroulent dans un univers pas tout rose, une sorte de dystopie, avec quelques relents de thriller. Une série franchement inclassable, dont j’attends avec pas mal de curiosité la fin, promise dans le prochain album.
Confidences à Allah
Nous suivons l’histoire de Jbara, jeune femme née dans une pauvre famille d’un trou perdu au fin fond d’un pays maghrébin (que je n’ai pas identifié). Promise à un destin misérable, soumise à une famille peu aimante et aux diktats qu’une vision rigoriste de l’islam lui impose, tout semble faire de Jbara une potiche, jouet des hommes qui l’exploitent et la violent. Mais, une volonté de se sortir de ce cercle vicieux, et quelques petits hasards plus ou moins heureux (comme cette valise d’une touriste américaine, tombée du bus près de chez elle) vont lui faire découvrir autre chose que son bled paumé. Mais si l’horizon s’élargit, elle ne va pas moins continuer à être soumise aux desiderata des hommes. Mais ils sont plus riches, et en mettant son amour propre de côté (dans tous les sens du terme), sa prostitution assumée (à défaut d’avoir été choisie) la fait un temps sortir d’une certaine misère. Le parti pris du récit est intéressant, puisque tout est raconté par Jbara elle-même, de façon dépassionnée, comme si elle s’auto-analysait. Et en permanence elle se confie à Allah, son témoin, à qui elle raconte tout, sans concession, ayant avec Dieu une relation finalement plus sincère que la plupart de ceux qui la prennent de haut ou qui lui reprochent sa condition de pute. Une vision très noire d’une certaine condition féminine au Maghreb, avec une femme qui n’arrive pas à échapper à un triste destin. Une lecture intéressante, avec une narration fluide et agréable en tout cas. Note réelle 3,5/5.
Klimt
Seules les femmes sont capables de sauver les hommes de leurs démons. - Ce tome contient une biographie très partielle de l’artiste Gustav Klimt, correspondant à l’année 1907, qui ne nécessite pas de connaissance préalable de cet artiste. La première édition date de 2017. Il a été réalisé par Jean-Luc Cornette pour le scénario, par Marc-Renier pour les dessins, et par Mathieu Barthelemy pour les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de huit pages, intitulé Gustav Klimt (1862-1918), l’artisan aux doigts d’or, rédigé par Dimitri Joannidès. Ce dossier est structuré en sept chapitres : Un succès précoce, Vers la libération esthétique, Insaisissable style fin de siècle…, L’objet du scandale, Adèle Bloch-Bauer ou la Joconde autrichienne, Vers la peinture de chevalet, Une postérité à retardement. Il comprend également la reprographie de plusieurs œuvres de l’artiste : Judith et la tête de Holopherne (1901), Pallas Athéna déesse de la guerre, de la sagesse, des artisans et des techniques (1898), Les puissances ennemies (1902), L’attente (1905-1906), Portrait d’Adèke Bloch-Bauer (1907), Maison à Unterach (1916), Femme au chapeau et au boa de plume (1909). À chaque époque son art, à l’art sa liberté. À Vienne en 1907, Gustav Klimt rend visite au couple Bloch-Baeur. Il sonne à la porte et il est accueilli par leur servante Rosa. Elle le reconnaît immédiatement et lui la salue par son prénom. Il ajoute que les années passent et qu’elle est toujours aussi belle, elle leur manque à l’atelier. Elle va pour l’embrasser, mais son geste est interrompu par Adèle Bloch-Bauer qui trouve que Rosa met légèrement trop de passion dans sa façon d’accueillir les invités. D’un autre côté, elle reconnaît qu’il est difficile de résister à ce cher Gustav. Celui-ci indique qu’elle l’a convié et qu’il est venu aussitôt car c’est elle qui est irrésistible. Il lui offre un gugelhupf, il est passé à la pâtisserie Demel. Il salue également le petit chat Prodigo. Le peintre prend ensuite le café avec Ferdinand Bloch-Bauer et son épouse Adèle. Ils se rappellent qu’ils ont fait connaissance il y a six ans, au moment de l’affaire de La Médecine. Le mari pense que le temps est venu pour lui de demander à Klimt de peindre sa femme. L’artiste prend congé et promet à Adèle de la couvrir d’or. Six ans plus tôt, les critiques se déchaînent en contemplant le tableau La Médecine : Ignoble, c’est ignoble ! Tous ces corps mélangés les uns aux autres ! Qu’a-t-il voulu représenter, une orgie ? C’est censé représenter la médecine, et on dirait qu’il fait l’éloge de la maladie et de la vieillesse. C’est clairement pornographique ! Dans la salle, Gustav Klimt écoute ces commentaires désagréables. Un ami lui propose d’aller boire un coup, mais il décline car sa mère l’attend. Celle-ci lui a préparé de la soupe aux pommes de terre, comme il aime. Il lui lâche tout ce qu’il a sur le cœur, contre tous ces médecins qui ont critiqué son œuvre : c’est à Hypocrite que tous ces médecins ont prêté serment ! La nuit, il rêve qu’il est le général Holopherne que Nabuchodonosor envoie en campagne, pour assiéger Béthulie. Une portion assez courte de la vie de Gustav Klimt (1862-1918), qui se focalise sur les affres de la création de l’un de ses tableaux les plus célèbres : Le portrait d’Adele Bloch-Bauer (également appelé La dame en or, ou La femme en or), réalisé entre 1903 et 1907. Le début déroute car un cartouche indique que la première scène se déroule en 1907, c’est-à-dire après la réalisation de ce tableau, mais au cours de la discussion Ferdinand Bloch Bauer indique qu’il est temps pour le peintre de réaliser le portrait de son épouse, mais Rosa est au service du couple, et effectivement sept ans plus tôt elle était une des muses de l’artiste dans son atelier. Et en page quatorze, Klimt se rêve en général de l’empire néo-babylonien, recevant les ordres de Nabuchodonosor II (-642 à -562), évoquant le Livre de Judith de l’Ancien Testament. Le lecteur comprend que certaines séquences sont à envisager comme teintée d’onirisme, s’inspirant de la réalité, sans pour autant relever de la reconstitution historique rigoureuse ou exacte. Dans un premier temps, la narration visuelle peut provoquer un même décalage cognitif. La première page semble fermement ancrée dans un registre descriptif, avec un savant équilibre entre ce qui est montré dans le détail (la façade de l’immeuble des Bloch-Bauer), et ce qui est suggéré (la circulation dans une large avenue). Puis le rêve se charge d’éléments visuels symboliques, les dimensions de l’escalier intérieur dépassent la réalité, certains fonds de case ne sont habillés que par des camaïeux. Les auteurs naviguent entre des repères historiques concrets et avérés, et des interprétations personnelles ou des métaphores. Parmi les premiers, le lecteur identifie Ferdinand Bloch-Bauer (1864-1945), fabricant de sucre austro-tchèque et amateur d'art, époux d’Adele Bloch-Bauer, visiblement peu jaloux. Klimt a peint au moins deux portraits d’Adele Bloch-Bauer (1881-1925), entre 1903 et 1907, et en 1915, à la suite d’une demande adressée par courrier écrit par le mari. Lors d’une discussion avec le peintre, cette dame lui conseille de ne pas aller voir le docteur Sigmund Freud (1856-1939) s’il veut éviter d’entendre des choses ignobles sur sa mère. S’il est allé regarder les photographies de cette dame, le lecteur peut constater une bonne ressemblance des dessins, et il apprécie la sophistication de ses toilettes, ses robes comme ses chapeaux. Il relève encore la présence d’Anna Finster-Klimt (1836-1915, la mère de l’artiste), d’Emilie Louise Flöge (1874-1952, styliste et créatrice de mode), et du ministre Johannes Wilhelm Rittér von Hartel. Il est également fait mention de l’exposition du tableau La médecine (1901) au Palais de la Sécession à Vienne, sa qualité du peintre comme membre de la Sécession viennoise. Les cases nourrissent la reconstitution historique : les façades des rues de Vienne, la devanture d’une pâtisserie aux desserts aussi appétissants que viennois, l’intérieur d’un café, le superbe bâtiment du parlement autrichien, le parc du château de Schönbrunn, l’atelier de Klimt, le lac de l’Attersee, et le Palais de la Sécession, avec la devise À chaque âge son art, à chaque art sa liberté, et son magnifique dôme. Dessinateur et coloriste assument également la tâche délicate de reproduire des œuvres d’art, les peintures Klimt : ils le font avec conviction, les fac-similés reprenant une partie des intentions artistiques, entre tracé, composition et fidélité à la représentation, avec une prise de recul empreinte d’humilité. Le lecteur observe que dessinateur et coloriste reprennent des éléments de l’œuvre picturale de Klimt, par petites touches discrètes dans un détail ou un autre d’une case, introduisant ainsi un glissement entre symbole et onirisme. Ce décalage entre réalité et rêve prend une forme explicite dans la séquence de la page douze à la page quinze. Gustav Klimt dort profondément et il est réveillé par deux de ses modèles, Edith & Margarethe, nues : elles l’enjoignent à les suivre en l’appelant général, car il est attendu. Le peintre se lève, les suit et traverse des pièces aux proportions gigantesques, évoquant aussi bien un palais qu’un tombeau, pour être mené devant Nabuchodonosor. Le lecteur voit flotter des symboles comme l’œil dans la pyramide, ou la présence de félins. Puis dans un dessin en pleine page, il assiste à une scène fantasmagorique dans laquelle Klimt est un guerrier, maniant le sabre et l’arc sur son char, donnant l’assaut à une citadelle, des cadavres d’ennemis à ses pieds. Les auteurs laissent le lecteur libre de son interprétation. Peut-être une mise en perspective de l’artiste se mesurant à grands maîtres qui l’ont précédé et qui ont eux aussi interprété cette scène biblique : Donatello (vers 1455-1460), Sandro Botticelli (trois fois, 1470, 1472, 1495), Lucas Cranach l'Ancien (vers 1530), Paolo Veronese (1581), Le Titien (1565), Rubens (vers 1616), Le Caravage (vers 1598), etc. Il est également possible de voir en Holopherne assiégeant Béthulie, une métaphore de Klimt assiégeant l’Académisme, comme s’il était envoyé par le courant artistique La sécession de Vienne qui serait Nabuchodonosor pour anéantir ce bastion de l’art officiel. Toutefois, l’issue de ce récit biblique n’est pas à l’avantage du conquérant. Dans la décapitation d’Holopherne, le lecteur peut voir l’artiste au service de la beauté féminine, conquis par elle, et ne pouvant que s’y soumettre, le jeu avec l’ordre chronologique déroutant encore le lecteur puisque ce tableau date de 1901, vraisemblablement avant que Klimt n’ait fait la connaissance d’Adele Bloch-Bauer. Les auteurs montrent également trois modèles féminins, Rosa, Edith et Margareth, vivant dans l’atelier du peintre, très sensuelles, parfois érotiques. En fonction de sa sensibilité, il peut prendre cette représentation au premier degré, entre comportement licencieux et vieil homme libidineux, ou comme une métaphore des muses qui inspirent l’artiste que la force créatrice ne laisse jamais en repos, pour une vie en perpétuel déséquilibre. De ce point de vue, les chatons présents dans son atelier constituent cet élément perturbateur, joueur, espiègle, indifférent, épris de liberté. Le lecteur poursuit sa découverte de cet artiste avec le dossier qui contextualisent la bande dessinée dans le cours de la vie de l’artiste, le mouvement de la Sécession viennoise, la qualification de Joconde autrichienne, la longue lutte de la famille Bloch-Bauer pour récupérer la propriété du tableau après la seconde guerre mondiale, la période d’oubli de l’œuvre de Klimt après sa mort. Évoquer la vie de Gustav Klimt lors de la création de son tableau Judith et Holopherne (1901), et aussi lors de la réalisation du portrait d’Adele Bloch-Bauer (1907), dans une intrication des deux années : cela peut déconcerter le lecteur dans un premier temps. Le dessinateur et le coloriste mettent en œuvre un équilibre sophistiqué entre description détaillée pour la reconstitution historique, pour les tableaux du maître, évocation plus impressionniste, utilisation de symboles, reprise d’éléments des tableaux de Klimt dans son quotidien. Le lecteur s‘abandonne à cette narration sophistiquée, pas toujours conventionnelle, se laissant emporter dans la métaphore du récit biblique de Judith et Holopherne, succombant à la séduction de la Joconde autrichienne. Déroutant et séduisant.
Soon
Voila une histoire très sympathique qui pose des bases qu'on aurait presque envie de voir exploitée par la suite. C'est une lecture qui fait bien écho à la situation actuelle, mais qui présente une originalité sur le monde : c'est un monde post-apocalyptique mais version plus sympa. Loin d'un univers à la Mad Max, on a plutôt un univers bouleversé par les catastrophes (notamment climatiques) qui tente de se relever et revivre. L'ensemble suit un personnage dont la mère va partir pour un programme spatial osé, voir inconscient, qui divise la population. En le lisant, j'ai pensé à L'Héritage fossile de Philippe Valette lue récemment, et je trouve les deux œuvres complémentaires. Une sorte d'écho entre la version d'un avenir positif tandis que l'autre est cruellement négatif. Ici, c'est plus le drame familial et intimiste d'un jeune homme qui doit apprendre et comprendre le choix de sa mère, choix contestable d'ailleurs, tandis que nous explorons un monde qui a du tout faire pour ne pas disparaitre. L'idée de cet univers est intéressante, propice à des développements d'ailleurs, mais je trouve que le récit reste un peu trop dans le road-trip entre les différentes villes de ce monde, tandis que l'humanité présentée comme exsangue semble encore assez vivace. C'est le seul point qui m'a semblé un peu trop en contradiction avec l'univers présenté, mais pour le reste j'aime bien certaines idées sur le déroulement des opérations et l'humanité qui en est ressortie. La Bd est servie par le dessin de Benjamin Adam qui fonctionne plutôt bien, je trouve. Je n'ai pas encore lu d'autre ouvrages de sa main mais il a un coup de crayon agréable qui fonctionne bien, servi par une colorisation en bichromie très efficace. Si je l'ai trouvé moins percutante dans le fond que L'Héritage fossile, la BD aborde plus frontalement les questions d'écologie et de gaspillage d'énergie (et de ressources), ce qui est très sympathique aussi. Et pour une fois, la BD porte un message plus positif, ce qui n'est pas pour me déplaire !
No Zombies
Super!! Vraiment sympa comme BD de zombies! Scénario atypique et dans la continuité de Zombies. Les 4 livres sont bien, mais alors le dernier est une apothéose! Il est vraiment vraiment bien!! Je mettrais 4 aux 3 premiers, et 4,5 au 4e. Ça fait plaisir en tout cas d'avoir une bd de zombies différente des autres.
Le Champ des possibles
Allez, viens ! On va jouer ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Véro Cazot pour le scénario, et par Anaïs Bernabé pour les dessins et les couleurs. Il comporte cent-vingt-sept pages de bande dessinée. La scénariste a également réalisé Betty Boob (2017) illustré par Julie Rocheleau, et Les petites distances (2018) avec Camille Benyamina. Quelque part sous les tropiques, sous un soleil chaleureux, en bordure d’une plage de rêve, dans une construction de plusieurs étages de forme ovoïde, l’architecte Marsu Chevalier est en train de parler à ce bâtiment qu’elle a conçue. Elle le rassure en lui indiquant qu’ils arrivent, ils viennent pour le rencontrer, des architectes comme elle, ou des bâtisseurs. Ils vont le regarder sous toutes les coutures et chercher tous ses secrets. Il n’a pas à s’inquiéter, ils vont l’adorer. Elle éprouve un petit recul quand le Cocon lui répond. Il a peur qu’ils ne s’essuient pas leurs pieds avant d’entrer, qu’ils lui trouvent des défauts, qu’ils ne le comprennent pas. Marsu comprend qu’il s’agit d’une personne en train d’imiter l’hôtel de l’autre côté de la cloison du balcon. Le monsieur se présente : Thom Robinson. Il a assisté à la présentation de son projet à Nantes, pas loin de la salle de concert qu’elle construit. Elle répond que son mari Harry parle aussi beaucoup aux objets. Il est potier, il parle à ses pots, à ses outils, il a même donné un nom à son four. Thom s’allume une cigarette, Marsu lui demande du feu et elle s’allume une cigarette imaginaire. Elle a arrêté il y a cinq ans. Plus tard, Marsu Chevalier présente son projet aux séminaristes rassemblés dans le grand hall : Les organes vivants sont capables de développer des stratégies complexes pour s’adapter aux contraintes de leur environnement. C’est une source d’inspiration extraordinaire pour construire des villes et des habitations écorégénératrices et durables. Conçu en collaboration avec des biologistes, le Cocon s’intègre parfaitement à l’écosystème qui l’accueille. Sa forme ovoïde est l’une des plus résistantes à l’usure et aux intempéries. Composé de matériaux issus du vivant, le Cocon respire et réagit à la lumière et aux températures intérieures et extérieures. Et elle commence à se demander s’il n’est pas sensible à aux émotions humaines. Elle demande aux auditeurs du premier rang s’ils ne l’ont pas vu rougir. Puis c’est au tour de Thom Robinson d’effectuer sa présentation : il est un architecte en réalité virtuelle et créateur de l’univers Athome. Il continue : Athome propose des espaces de rencontres de la simple salle de réunion à la villa de luxe. Il souhaite développer le marché du tourisme avec des lieux de vacances virtuels, une excellente alternative pour voyager à moindre coût. Athome recherche des partenariats avec des architectes de tous horizons, pour reproduire virtuellement les plus beaux hôtels, afin qu’un maximum de vacanciers puissent en bénéficier, l’hôtel étant dupliqué à volonté. Il s’adresse à Marsu car ce serait un immense honneur d’avoir le Cocon dans leur catalogue. L’immersion produit son plein effet dès la première page : le lecteur se retrouve dans cet endroit ensoleillé, paradisiaque, se sent immédiatement proche de Marsu Chevalier, il est en agréable compagnie. Le premier contact entre elle et Thom Robinson se déroule de manière naturelle et unique, apportant à la fois des informations sur leur personnalité et leur caractère comme lors d’une première prise de contact, un début d’information sur ce qu’ils font là, et également les prémices de leur relation. Le lecteur observe leurs postures, leurs petits gestes : leur langage corporel montre qu’ils s’entendent bien dès cette rencontre, une forme de compatibilité d’état d’esprit. La seconde séquence se déroule avec la même sensation d’évidence : un congrès réunissant différents types de bâtisseurs, à la fois la présentation à d’éventuels investisseurs ou acheteurs, à de simples curieux, mais aussi des contacts potentiels entre différents professionnels. Le lecteur déambule dans le hall monumental qui accueille les interventions des professionnels, il assiste tout naturellement à leur prise de paroles, dans ce cadre prestigieux à la lumière dorée et chaude. Il assiste en direct à la proposition de l’architecte virtuel d’intégrer la réalisation de l’architecte dans le monde réel. En trois pages, les autrices ont mis en place la dynamique du récit avec une élégance rare, une complémentarité parfaite, le lecteur étant déjà devenu l’ami et confident des deux principaux personnages, scénariste et artiste racontant comme une seule et unique personne. Du grand art. Avant toute chose, ce récit constitue une histoire d’amour, une variation sophistiquée sur plusieurs configurations, mettant à profit les nouvelles technologies. De ce point de vue, il s’agit d’un récit d’anticipation : dans un futur proche, les mondes virtuels ont acquis une consistance et une cohérence permettant à chaque individu de s’y créer un chez soi personnalisé, voire un foyer, d’y accueillir des invités, et, pourquoi pas, de le faire évoluer à deux ou plus. Les autrices mettent en place cette évolution technologique avec une grande habileté : l’accès à ce monde virtuel se fait par l’utilisation d’un simple casque de réalité virtuel, un modèle à peine plus performant que ce qui existe déjà, plus accessible. La narration visuelle montre la facilité de s’en servir, le rendant très plausible, ainsi que l’effet d’immersion dans la réalité virtuelle : l’artiste réalise les dessins correspondant à la réalité avec un encrage au crayon et une mise en couleur numérique, ceux correspondant au virtuel sont réalisés au crayon de couleur. Le passage d’une réalité (physique) à l’autre (virtuelle) s’opère en douceur, sans contraste spectaculaire, ce qui contribue encore plus à rendre ce monde virtuel plausible et tangible, accessible, concret, un simple pas de côté par rapport à la réalité, tout en y étant très semblable, avec des éclairages différents permettant au lecteur de savoir s’il se trouve dans l’une ou l’autre. S’il est familier des récits d’anticipation relatifs aux mondes virtuels, le lecteur apprécie à sa juste valeur la qualité de la mise en œuvre qui permet de croire à ce procédé de vie virtuel, et de concomitance avec le réel. Il peut prêter attention aux détails : le nom Athome (une combinaison entre At home, c’est-à-dire au foyer, et avec le prénom Thom), la manière de nourrir ce monde virtuel avec les créations du réel, le confort qu’il présente visible dans chaque image avec des accessoires, des meubles, des lieux des aménagements qui combinent une sensation douillette et sécurisante, détente et relaxation à l’abri des agressions quotidiennes de la réalité. Les autrices ont conçu un équilibre qui rend cette virtualité d’autant plus plausible et probable, un dosage très bien pensé. Il se retrouve vite convaincu de la pertinence de baser ce monde sur les créations du réel, que ce soient les constructions architecturales, ou les éléments de la nature (faune et flore), avec quelques adaptations. Le principe de transposer les grandes créations de la nature et de l’humanité dans le virtuel offre de fait une richesse et une diversité infinies, une familiarité rendant ce monde plus plausible et facilitant l’adaptation, limitant la déréalisation. Au cours du récit, le lecteur peut voir comment les personnages y apportent leur touche personnelle entre suppression des inconvénients (par exemple air pollué et bruits pour un fac-similé de New York), expurgeant les éléments considérés comme nuisibles ou indésirables, un monde toujours neuf et propre, nettoyé et désinfecté, assaini et édulcoré, dépourvu de besoin de maintenance, insensible aux effets de l’entropie. D’un côté, ce parti pris fait sens pour créer un monde virtuel cohérent d’une telle ampleur, restant simple à appréhender par chaque individu ; de l’autre côté le questionnement sur les attentes relatives à un tel monde est bien présent de manière sous-jacente. À chaque immersion dans ce virtuel, le lecteur éprouve un plaisir esthétique de chaque case qui lui fait, lui aussi, éprouver l’envie irrépressible d’y retourner, d’y séjourner. Les autrices intègrent d’autres questionnements sur les mondes virtuels de manière tout aussi pragmatique. Marsu Chevalier (un autre nom chargé de sens) éprouve a priori une défiance pour cette technologie qui la coupe du réel, et elle fait l’expérience du temps qu’elle y consacre, presqu’à son insu, en tout cas contre son gré. Le lecteur y voit le principe implicite du fonctionnement des réseaux sociaux dématérialisés : capter l’attention, la retenir, pour monopoliser un temps de cerveau disponible allant toujours en augmentant. Les échanges entre personnages et les mises en situation emploient un vocabulaire et des mises en scène terre à terre, tout en fonctionnant sur les principes du système de récompense, du conditionnement opérant, du processus de renforcement. Sous la narration douce et prévenante, les thèmes de fond sont bien présents. Vu sous cet angle, les autrices mettent en œuvre un mode narratif ouvert à tous, avec la possibilité d’identifier différents éléments culturels pour ceux qui s’y sont déjà intéressés. Un exemple parlant réside dans la réparation d’une tasse par Harry : il l’a offerte à Marsu qui la laisse tomber dans un moment d’inadvertance, et il la répare avec une technique à base de laque saupoudrée de poudre d’or. L’image est très belle, servant également de métaphore pour recoller les morceaux dans une relation, et celui qui en est familier identifie l’art japonais du Kintsugi (ou Kintsukuroi). Comme l’évoque la première scène, il s’agit également d’une histoire d’amour : Marsu et Thom partagent une même façon de penser pour ce qui est de leur mode de création, ce qui se traduit par une affinité spirituelle, et une attraction amoureuse. Le lecteur peut littéralement la voir dans leur langage corporel, les expressions passant sur leur visage, leurs petites attentions l’un envers l’autre. Il est touché par leur gentillesse respective et cette intimité d’esprit. Le champ des possibles du titre évoque celui de la virtualité, ainsi que celui des modes amoureux. Harry et Marsu forment un couple qui n’entrave pas leur liberté, l’un comme l’autre pouvant aller voir ailleurs, ce qui n’entame pas leur amour réciproque. Thom découvre même qu’il existe une forme de trouple avec leur amie Clémence. Le monde virtuel ouvre le champ des possibles à d’autres configurations amoureuses pour la relation entre Marsu et Thom. Le lecteur voit leur relation évoluer, l’attirance, les émotions positives qui en découlent et qui renforcent même les sentiments de Marsu pour son époux. Il voit et il ressent leur frustration quand le rapprochement physique ne fonctionne pas, quelles que soient leur envie et leur tendresse. La relation dématérialisée s’offre alors comme une évidence, y compris pour le lecteur, à la fois par la solidité et l’intelligence du dispositif Athome, à la fois par les dessins qui montrent ce monde virtuel, avec des touches expressionnistes discrètes et raffinées. Même s’il s’agit d’une évidence, cette relation est à construire, à développer, à faire croître en s’y impliquant, en s’adaptant à ses conséquences, pour les amoureux et pour le conjoint. Ce n’est pas du tout la même dynamique entre une relation physique et une relation dématérialisée. Une histoire d’amour, un récit d’anticipation, une intrigue romantique non-conformiste avec des beaux dessins : tout ça et bien plus encore. Le sentiment amoureux s’avère protéiforme : les réseaux sociaux et le distantiel, la réalité virtuelle offrent de nouvelles possibilités, ou en tout cas des moyens différents, s’inscrivant ainsi dans de précédents modes alternatifs comme les relations épistolaires, les textos, les sextos, les visios, etc. Les deux autrices explorent ce potentiel, au travers d’un roman chaleureux et solaire, avec gentillesse, et sans faiblesse. Comme le dit Clémence, Marsu est toujours à fond : à la fois consciente des risques d’addiction, à la fois déterminée à rendre féconde cette nouvelle forme de relation. Ces deux créatrices réenchantent le monde, savent en mettre en valeur le merveilleux, avec un esprit ludique. Un enchantement.
Le Meunier hurlant
Adaptation du roman éponyme de l’écrivain finlandais Arto Paasilinna, cette BD nous transporte dans un petit village du nord de la Finlande, peu après la Seconde Guerre mondiale, où un étranger, Gunnar Huttunen (dit Nanar), rachète et remet en marche le vieux moulin local. Bien que d’abord bien accueilli, Huttunen révèle une particularité troublante : une certaine propension à hurler et à l'excentricité qui va perturber la quiétude des villageois. Ces derniers, dérangés par ses frasques, n’ont dès lors qu’une idée en tête : l’envoyer à l’asile. Dumontheuil s’approprie avec jubilation cette histoire tragique où l’humour et une certaine soif d’absolu sont de mise. J'avais déjà adoré le dessin dans de Nicolas Dumontheuil dans Qui a tué l'idiot ?, et ai retrouvé ici avec grand plaisir les traits vivants, les formes dynamiques et l’absence de rigueur géométrique qui créent un dessin assez virevoltant qui colle très bien à l'histoire. Les décors faits de paysages forestiers sombres et de bâtiments en bois aux structures imposantes finissent de poser l’atmosphère visuelle. Le récit oscille entre drame et comédie grinçante, offrant une critique en règle d’une société régie par les préjugés et l’arbitraire. Sous les aspects d'une comédie loufoque, c'est une critique subtile et incisive des groupes humains qui se met en place. À travers le rejet dont il est victime, l’œuvre pointe du doigt les travers d’une société conformiste, méfiante envers ceux qui sortent du cadre établi. Huttunen, avec son excentricité et sa sensibilité exacerbée, devient le bouc émissaire d’un village où l’ordre social repose sur des codes implicites mais rigides. L’histoire met en lumière le poids des normes sociales et la peur de la différence, transformant une communauté apparemment paisible en un tribunal implacablement injuste. Les villageois, au lieu d’accepter les singularités de Gunnar, s’unissent pour l’exclure, symbolisant une société qui préfère réprimer ce qu’elle ne comprend pas plutôt que de chercher à l’intégrer. La folie apparente de Gunnar est en réalité un cri de liberté, un refus des carcans imposés, tandis que la “normalité” des villageois se révèle dans toute sa petitesse et sa cruauté tant et si bien qu'on finit par se demander qui est le fou de l'histoire. C'est très grinçant mais contrairement à canarde, je trouve que c'est une œuvre qui fait du bien, parce qu'elle a le mérite de remettre l'église au milieu du village. Bravo Monsieur Dumontheuil, un coup de coeur pour moi.
Mémoires de Gris
Avec "Mémoires de Gris", Sylvain Ferret nous offre un magnifique conte médiéval, pour qui aime aller frayer avec la noirceur de l'âme humaine. L'objet est déjà très réussit et attrayant : un grand format dos toilé présentant une couverture très engageante, tout aussi magnifique que mystérieuse. C'est ensuite le XIIe siècle qu'on nous propose de retrouver, dans toute la noirceur de son Moyen-Âge. Oubliez les paillettes et les banquets dans des châteaux façon Dysney, on est ici dans la rudesse et la survie d'une période qui ne donnait pas dans la délicatesse, que ce soit pour la populace ou les petits seigneurs en place. La guerre a un coût qui transcende les conditions sociales... Chacun paye chèrement sa survie. C'est donc Pierre de Brume que nous allons découvrir ; fils d'un petit seigneur, il est de retour de croisade plus mort que vivant. Il ne doit sa survie qu'à Marion, son amour de jeunesse devenue guérisseuse. Mais chaque acte a un prix et se paye comptant en pays de Gris... J'ai vraiment apprécié cet album, âpre, sombre et exigeant. Sa lecture nécessite en effet une attention soutenue pour ne pas se perdre en chemin. Car la construction du récit jouant énormément sur les flashbacks pour tisser la toile de cette histoire, il faut que le lecteur soit pleinement immergé pour suivre le fil d’Ariane, ou plutôt de Marion dans notre cas, qui nous guide. Pour autant, le travail graphique et de colorisation de Sylvain Ferret nous permet de nous y retrouver dans ces nombreux allez/retours temporels. Si le récit proposé reste dans une ligne assez classique, c'est du côté des grands qu'il lorgne, avec un petit côté tragédie shakespearienne fort appréciable. D'autant que le graphisme de Sylvain Ferret sert parfaitement son récit. Les ambiances sont très réussies et son coup de crayon un peu sec sied parfaitement à ce Moyen-Âge implacable et sauvage ou viennent se glisser une petite touche de fantastique parfaitement dosée.