J'ai longtemps cru avoir déjà lu cet album, sans doute parce que je le confondais avec Katharine Cornwell du même auteur, dont le style graphique est très proche et dont l'héroïne partage une certaine ressemblance avec celle-ci. En réalité, je ne l'avais jamais ouvert, principalement à cause de son titre et de sa couverture, qui me donnaient l'impression d'une histoire pesante, trop noire, centrée sur une femme d'une grande beauté sombrant dans une folie déchirante. Une fausse impression, car même si les deux protagonistes sont psychiquement fragiles, et que la femme s'adresse à elle-même comme à une sœur jumelle, ils restent tous deux lucides, ancrés dans la réalité et conscients de leur situation. Leur rencontre a d'ailleurs quelque chose de bouleversant, presque à la manière de Sur la route de Madison... sans la romance, ou du moins, sans son évidence.
Le dessin de Marc Malès constitue le premier atout de cet ouvrage. Malgré des corps parfois trop allongés ou des poses un peu figées, il se dégage de son trait une élégance indéniable. Son noir et blanc évoque à la fois les grandes heures du comics américain de l'âge d'or et l'esthétique plus rugueuse des auteurs latins comme Hugo Pratt ou José Muñoz. Certaines planches sont de véritables compositions rétro, pleines de caractère, qui parviennent à exister sans jamais s'effacer derrière des dialogues pourtant abondants. Le visuel ne se contente pas d'illustrer : il impose une ambiance, il suggère, il soutient.
Par contre, aucune des couvertures ne m'a convaincu. Comme dit plus haut, celle de l'édition originale dans la collection Tohu-Bohu me rebutait franchement. Et celle de la réédition de 2015 n'a pas grand chose à voir avec l'essentiel du contenu et surtout représente un gros et inutile spoiler, même si celui-ci était très prévisible.
Après une introduction un peu difficile à aborder pour qui, comme moi, n'apprécie guère les récits centrés sur la folie ou les dérives mentales, le récit gagne en intensité dès l'instant où les deux héros se croisent. Leur relation se tisse avec justesse, sans détours inutiles. Les dialogues sont sobres, francs, et permettent de mieux cerner ces deux êtres cabossés qui, peu à peu, deviennent plus proches, plus humains. Le lecteur en vient à espérer quelque chose pour eux, pas forcément un amour classique, mais une forme d'apaisement, une connexion réelle entre deux solitudes qui se reconnaissent. L'intrigue, bien construite, ne dévie jamais vers le mélodrame facile et se termine sur une note à la fois douce et amère, équilibrée et juste.
Au final, cet album mérite largement d'être redécouvert, débarrassé de ses apparences trompeuses. Sous une couverture peu engageante se cache une œuvre délicate et touchante, servie par un dessin exigeant et une narration sincère. Une belle surprise.
Décidément, Benoît Collombat a le tour pour trouver des sujets d'enquêtes qui me passionnent.
Ici, c'est une enquête sur le meurtre de la militante anti-apartheid Dulcie September qui n'a jamais été élucidé et qui cacherait de gros secrets d'états. Il faut dire qu'on en va pas juste avoir une biographie de Dulcie, un résumé de l'enquête qui n'a rien trouvé et des pistes sur qui sont les responsables et les complices de cet assassinat: on va aussi voir l'hypocrisie de la France qui continuait de faire du commerce avec l'Afrique du Sud malgré l'embargo, l'historique des relations entre ses eux pays et bien plus encore !
C'est donc un documentaire un peu lourd qu'on ne peut pas lire d'une traite, à moins d'avoir plusieurs heures de libres. Je pense que certains lecteurs risquent de s'ennuyer, mais moi je trouve cela passionnant parce que cela parle d'affaires d’État, de relations internationales et des ravages du capitalisme avec toutes ces entreprises qui n'ont aucun problème pour faire des affaires avec les pires régimes. Il y a des passages qui vont choquer, quoique je ne suis pas du tout surpris par ce que j'ai lu. C'est aussi un bon rappel historique que pendant plusieurs années Nelson Mandela était vu par plusieurs que comme un terroriste et des élus (et pas seulement ceux d'extrême-droite) pouvaient vanter le régime d'Apartheid.
J'ai trouvé cet album bien complet et captivant à lire, malgré la quantité d'informations que le lecteur doit digérer.
Une société qui se lézarfe
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Ce tome comprend les épisodes 1 à 4 de la minisérie, initialement parue en 2003, formant une histoire complète, relativement indépendante (il faut connaître les caractéristiques principales du premier épisode des Fantastic Four pour l'apprécier). Le scénario est de James Sturm, les dessins et l'encrage de Guy Davis. Robert Sikoryak dessine et encre les cases consacrées au comics de Vapor Girl.
Le récit commence par deux pages de texte dans lesquelles James Sturm explique qu'il s'est rendu compte que Stan Lee et Jack Kirby avaient basé les personnages des Fantastic Four sur des membres de sa propre famille ayant réellement existé. Viennent ensuite une reproduction des pages 9 à 13 de l'épisode 1 de la série Fantastic Four, initialement paru en 1961.
L'histoire commence en 1958, alors que le professeur Reed Richard étudie le comportement de molécules étranges. Il reçoit la visite d'un groupe d'étudiant dont un certain Adrian Lampham assez critique et impertinent. Susan Sturm se conduit en épouse modèle, en veillant sur son petit frère depuis le décès de leurs parents, et en s'occupant des tâches domestiques dans le foyer de Reed Richards (même s'ils ne sont pas mariés). Johnny Sturm zone dans les rues, avec Rich Mannelman son meilleur ami. Ben Grimm est une célébrité locale dans son quartier, entraineur de boxe, apprécié de ces dames (en particulier Myrna, sa compagne du moment).
Quand le lecteur commence sa lecture, il perçoit nettement l'influence d'Alan Moore dans la forme du récit. James Sturm inscrit cette histoire dans une époque déterminée, il rédige des textes venant étoffer le concept de départ qui est que les Sturm, Richards et Grimm étaient des individus ayant vraiment existé, qui auraient servi de modèles à Jack Kirby et Stan Lee pour créer la dynamique familiale des Fantastic Four.
Le lecteur a le plaisir de (re)découvrir les dessins à l'élégance discrète de Guy Davis, dessinateur attitré de la série BPRD pendant plusieurs années, de 2003 à 2011. Ce dessinateur combine une apparence surannée (adaptée aux années 1950), avec un aspect évoquant des croquis rapides (pour une impression de spontanéité), et un degré de précision épatant. Il recrée les années 1950 avec une fidélité et une authenticité sans faille, qu'il s'agisse des vêtements, des constructions, des sous-vêtements (le soutien-gorge de Susan), des véhicules, etc.
Alors même que le lecteur éprouve l'impression donnée par des dessins vite-faits, il constate dans le même temps que le langage corporel est mesuré et expressif, que les individus ont des morphologies variées et réalistes. Guy Davis conçoit des mises en scène qui évitent les suites de têtes en train de parler, au profit de la gestuelle des individus, de leurs déplacements permettant d'avoir d'autres aperçus de leur environnement. Guy Davis est donc un metteur en scène très compétent, doublé d'un accessoiriste intelligent. La reconstitution s'avère passionnante sans être envahissante ou écrasante. La direction d'acteurs est aussi discrète que parlante, le lecteur s'attachant immédiatement à chacun des personnages.
Alors que le titre laisse présager un lien très fort avec les superhéros des Fantastic Four (les fameuses molécules instables dont sont faits leurs costumes), le lecteur constate rapidement que ce récit est plutôt l'occasion de dresser un portrait de la société des États-Unis en 1958, à l'amorce d'une évolution sociale significative.
James Sturm commence par montrer que Susan Sturm se trouve à l'étroit dans son rôle de femme au foyer. Ben Grimm ressent un malaise existentiel, en ressentant ses limites d'individu sans espoir d'évolution. Johnny Sturm ne trouve pas sa place dans l'establishment, pas plus que son ami Rich Mannelman. Reed Richards regrette déjà que Susan Sturm ne lui soit pas inféodée, comme une dépendance au service de sa propre carrière.
James Sturm évoque cette période de l'histoire des États-Unis avec habilité. Susan Sturm lit Peyton Place (1956) de Grace Metalious. Johnny rencontre Joey King qui mène une vie de beatnik et qui lit Sur la route (1957) de Jack Kerouac. Il ne s'agit pas d'une reconstitution de surface. Le scénariste met en scène des problèmes de société (style de vie alternatif, homosexualité, femme au foyer, délinquance juvénile, femme battue, main baladeuse) en montrant en quoi ces caractéristiques sont inacceptables, soit par l'establishment, soit par les victimes. Il montre comment le carcan castrateur de la société de l'époque commence à présenter des fissures, annonciatrices de bouleversements culturels majeurs. De ce point, cette reconstitution est très réussie, et parlante.
Du coup, le lecteur a du mal à comprendre pourquoi le scénariste accorde la même importance à inscrire son récit dans la mythologie Marvel. Il est donc fait référence au premier comics des Fantastic Four. Stan Lee et Jack Kirby font une apparition dans une soirée donnée par les Richards. Il est question de la place sociale des artistes de comics (et même du statut d'un lettreur). Plus pointu, Sturm intègre des références à l'histoire des comics Marvel, à l'époque où cette entreprise n'existait pas encore et portait un autre nom. C'est le cas par exemple de la référence à Patsy Walker, personnage de comics à destination d'un lectorat féminin (bien avant qu'elle ne soit intégrée à l'univers partagé Marvel, comme superhéroïne).
Le sous-texte de ces références à Marvel (Ben Grimm parle aussi de sa tante Petunia) semble insister sur le fait que les comics Marvel sont le produit de cette époque révolue. Plus pernicieux, le fait que Stan Lee ait fait des Fantastic Four une famille soudée contre vents et marées semblent signifier qu'il évoquait un âge d'or révolu, une époque bénie où la cellule familiale constituait une valeur sûre (enfin surtout pour les hommes intégrés à la société, avec des revenus suffisants).
Au final, le lecteur ressort séduit par cette reconstitution visuelle des États-Unis de la fin des années 1950, convaincu par le portrait des lézardes sociales, mais un peu décontenancé par le rattachement forcé aux personnages Marvel. Quatre étoiles si le lecteur est venu pour les Fantastic Four. Cinq étoiles si le lecteur accepte que les thèmes du récit sont assez forts pour faire oublier ce lien imposé de force entre les Sturm et les Storm.
Il y a plusieurs siècles, les géants de Thulé ont confié au peuple picte la mission de protéger l'humanité du retour des hirudinées, de sombres créatures venues d'ailleurs qui pourraient ravager la Terre. Bien des générations plus tard, les pictes, déjà affaiblis par les Gaëls, doivent faire face à une nouvelle menace : les légions romaines, menées par une sorcière carthaginoise décidée à briser le sceau protecteur pour libérer les monstres.
Les Ombres de Thulé s'inscrit pleinement dans la tradition de la Sword & Sorcery, dans la lignée d'un Conan le Cimmérien de Robert E. Howard, avec une touche moderne incluant des entités qui ne dépareraient pas dans l'univers de Lovecraft. On y retrouve tous les ingrédients du genre : guerriers farouches, sorciers et sorcières impitoyables, rituels anciens, peuples mythiques comme les Hyperboréens ou les Atlantes, le tout transposé à l'époque de l'invasion romaine du nord de la Grande-Bretagne. L'ajout d'éléments de mythologie celtique évoque également le Sláine de Pat Mills.
L'album offre un vrai plaisir de lecture, porté par une narration dynamique. La première partie, rapide et dense, installe les enjeux et développe jusqu'au bout les manipulations de la sorcière, tandis que la seconde se concentre sur une lutte acharnée pour empêcher la destruction du monde.
Graphiquement, c'est une réussite. Le dessin, très généreux, propose de vastes décors, des personnages expressifs et des créatures spectaculaires. On sent l'implication totale du dessinateur, qui livre un travail impressionnant. Dommage que la couverture trop basique dans sa mise en scène ne rende pas tellement hommage à la qualité visuelle du contenu.
Certes, l'intrigue reste simple, axée avant tout sur l'action et le suspense, mais cette simplicité est assumée et efficace. Les rebondissements fonctionnent, l'univers est riche, et l'ensemble parvient à captiver sans temps mort.
Même si certains ressorts sont trop classiques, j'ai envie de saluer cette BD au-delà de la moyenne, pour sa sincérité et son efficacité. Elle va droit au but, en respectant les codes des récits de Sword & Sorcery et de Dark Fantasy, tout en y injectant une dose d'horreur cosmique.
J'adore l'univers proposé dans cette série, j'adorerais un JDR dans cet univers.
J'aime l'originalité des quelques pages à lire dans chaque album, les dessins, les couleurs sont vraiment immersifs et léchés.
J'aime le côté Game of Thrones où il ne faut pas trop s'attacher aux personnages qui ont souvent un destin tragique (spoilers alert).
Le lien entre les albums est subtil et on sent que l'histoire n'en est qu'à ses débuts, il y a un véritable potentiel narratif pour peu que certains personnages perdurent... Comme Yaretsi par exemple.
Bref je conseille cette série.
Elle occupe une place singulière dans mon cœur cette bd.
À chaque fois que je la parcours, j’ai l’impression d’avoir un storyboard sous les yeux avant qu’il ne se transforme en film d’animation. C’est un style de dessin qui foisonne et qui vit par ces paysages forestiers omniprésents et ces couleurs à la fois douces et vibrantes. J’aime également le trait, avec ces détails fins et cette attention si minutieuse sur certains visages. Je pense ne surprendre personne ayant commenté ici en disant que j’aime particulièrement le visage de Viviana avec ces coulées de larmes noires comme de la suie. C’est une femme qui a subi des violences et qui a perdu l’amour de sa vie, Beldie. Au delà de la douleur de lui avoir survécu et d’être désormais seule, elle portera les traces de son deuil sur son visage, une marque qui ne pourra jamais s’effacer, même après l’arrivée de Martino dans sa vie.
Dès le début de l’histoire, nous sommes happés par la composition qui se jouera en miroir via des notions au premier abord contraires mais qui se révèlent en réalité complémentaires (naissance/mort, rejet/renaissance, perte/transmission, communauté/émancipation, masculin/féminin). La figure de la sorcière jouit aussi de cette symétrie très contemporaine (femme diabolique/femme émancipée, libre). En cela, elle n’est pas aussi caricaturale qu’on pourrait le penser puisqu’elle a l’avantage de poser un cadre reconnaissable et universel (d’un point de vu occidental tout du moins), marquant une rupture forte dans notre façon de penser l’autre, ici notamment la femme et la place qu’on lui attribue. Viviana et Beldie ne sont pas punies pour être des sorcières, elle sont punies pour avoir transgressé leur place, d’avoir voulu s’exercer à la libre-pensée, loin des dogmes religieux et des injonctions de leur communauté. Elles ont voulu être des femmes plus libres, on les a enchaîné à l’image de sorcière afin de susciter la peur et le rejet.
C’est aussi une bd qui aborde la question du genre sous un angle différent, à savoir la manière dont nous façonnent les personnes importantes pour nous. En fait, la question qu’aborde cette bd serait celle-ci : quelles sont les personnes qui nous aident à nous définir ?
C’est à travers les yeux de Martino que nous aurons une réponse à cette question. Si ce petit garçon est rejeté pour ce qu’il n’a pas choisi d’être, à savoir albinos, il va alors décider de devenir une personne nouvelle auprès des personnes qui l’acceptent et le soutiennent. Pour cela, il va se reconstruire à travers les yeux bienveillants de Viviana. Cette reconstruction sera double, puisqu’elle aidera Viviana à apaiser son deuil : « On peut s’aider à vivre » lui dit-elle. C’est ainsi qu’il va aspirer à vivre comme une femme, plus précisément comme ces femmes, ces sorcières, sa nouvelle famille. Il adopte leur mode de vie, apprend d’elles l’herbologie pour se soigner, à cultiver et cuisiner pour être auto-suffisant, à s’habiller comme elles, à aimer comme elles.
Vous l’aurez compris, tout au long de l’histoire, Martino qui deviendra Rebis, n’aura pour modèle bienveillant que des femmes. Sa mère et ses sœurs tout d’abord, puis Viviana et les amies de celle-ci, mais aussi le souvenir de Beldie, personnage à part entière dont l’aura s’incarnera à travers Rebis. Comme une touche d’espoir, la perpétuation d’un cycle de tolérance et de liberté.
À me lire, on pourrait croire que la bd raconte avec un fort parti pris et sans subtilités que les femmes sont les seuls bons exemples à suivre. Je ne pense pas que le message soit aussi tranché. Si la question du genre est diluée dans le récit, c’est pour montrer que la façon dont on se définit si l’on est entouré par de bonnes personnes se fait naturellement. Face à son mal-être, Martino aspire a devenir un être au féminin, Rebis, parce que les seuls exemples aimants et bienveillants qu’il ait jamais connu sont des femmes, tout simplement. Rebis choisit cet espace de sororité avant tout parce qu’iel si sent bien. On pourrait donc reprocher au récit de ne pas introduire un personnage masculin plus empathique et compréhensif dans la balance. Pourtant ce serait oublier que parfois nous n’avons pas toujours la possibilité d’élargir nos relations, que nous sommes longtemps confrontés aux mêmes schémas néfastes (familiaux notamment) avant de pouvoir s’en extraire en allant vers ceux qui leur sont opposés.
Pour conclure, Rebis, au delà de son terme latin signifiant littéralement « chose double », désigne également un processus alchimique de transformation qui vise à unifier deux choses, autrement dit le masculin et le féminin. Comme si l’idée était de créer un parfait équilibre, se sentir en phase avec soi, avec tout ce qui nous définit en tant que femme et en tant qu’homme. En bref, posséder une juste part des deux côtés pour mieux s’accepter, se comprendre et comprendre les autres. Comme quoi, la bd ne rejette pas le masculin finalement ! :p
La forme est assez aride, et peut au départ rebuter certains lecteurs. En effet, il n’y a pas vraiment de construction romanesque, et l’album se présente formellement comme une enquête, posant des questions, et présentant quelques protagonistes, témoignages et hypothèses. Il y a très peu de décor, les pages sont souvent occupées – au milieu d’un grand blanc – par des personnages (parfois seulement leur visage). Mais voilà, j’encourage les lecteurs à dépasser ces quelques freins potentiels, car cette enquête est vraiment intéressante.
Elle s’attaque à l’un des nombreux scandales des années De Gaulle, à savoir l’enlèvement en plein Paris – et le meurtre – de l’opposant marocain Ben Barka, homme engagé auprès des mouvements indépendantistes, révolutionnaires et tiers-mondistes. C’est dire si, au milieu des années 1960, il s’était fait des ennemis partout dans le monde. En commençant par certains milieux en France, et bien sûr l’autocrate marocain (« ami de la France » Hassan II), qui a commandité l’opération. Tout cet arrière-plan, bien rappelé, est intéressant, et donne du relief à cette affaire, qui aurait pu n’être « que » sordide ».
Malgré l’acharnement et la volonté de la famille de Ben Barka et de quelques juges intègres, les auteurs – qui se sont très solidement documentés – ne peuvent avancer que des hypothèses (très crédibles), sur le déroulement des faits, et sur l’action de tous les intervenants.
Mais les policiers et autres proches des services secrets français ayant participé de près ou de loin à cette « disparition » n’ont jamais été réellement inquiétés, comme les commanditaires marocains. Et les Présidents de la République qui se sont succédé depuis De Gaulle n’ont montré aucun zèle pour faire avancer l’enquête (voir l’exemple donné par l’action d’un juge au moment d’une visite au Maroc de Sarkozy et Dati).
Il est intéressant de voir qu’autour de cette affaire tournent beaucoup de barbouzes, de policiers, mais aussi d’États différents (Maroc, CIA, mais aussi Mossad israélien). C’est aussi l’occasion de rappeler quelques à-côtés de la collaboration entre le Maroc et le Mossad (voir l’épisode que je ne connaissais pas de l’espionnage au profit d’Israël mené par le Maroc peu avant cette affaire : le Maroc a ainsi pu bénéficier de l’aide logistique du Mossad, Israël obtenant des informations cruciales lui permettant de prendre le dessus deux ans plus tard lors de la guerre des Six-Jours).
On l’a compris, sous ses dehors un peu secs, ce documentaire se révèle très riche, et donne une image peu reluisante du fonctionnement des États – les « démocraties » ne se démarquant ici pas du tout des dictatures – cela a-t-il changé ?).
Une lecture vraiment très recommandable.
Avant toute chose, je vous conseille de replonger dans The Nice House on the lake pour ne pas perdre pied avec ce second cycle "The Nice House by the Sea" par les mêmes auteurs.
Dans ce premier tome, on a un copier-coller du cycle un, avec la présentation des dix personnes dans le premier chapitre, sauf qu'ici il n'y a pas de Walter, celui-ci est remplacé par un autre extraterrestre caché sous l'enveloppe humaine de Max. Alors que Walter avait fait le choix de regrouper les personnes auxquels il tenait énormément, Max, elle, a suivi le cahier des charges, c'est à dire choisir des pontes de chaque discipline humaine.
Dès le second chapitre on va passer à la vitesse supérieure, une narration qui nous balade de la maison au bord de mer à celle au bord du lac et du présent au passé, et découvrir que Max n'est pas une inconnue pour les occupants de la maison du lac, qu'il existe une passerelle entre les deux maisons, mais surtout qu'il y a compétition entre les maisons. A la fin, il n'en restera qu'une pour représenter l'humanité.
Une intrigue palpitante centrée sur les rapports humains. Un huis-clos qui fait monter la tension au fil des planches, qui ne sera pas avare de surprises et qui donne une nouvelle dimension à cet univers post-apocalyptique où les spéculations vont animer ce récit plus gore que le précédent.
Je mets en garde, c'est aussi verbeux que sur l'arc précédent.
Je suis toujours sous le charme du dessin d'Alvaro Martinez et des couleurs de Jordie Bellaire. C'est sombre et les contours peu nets apportent un plus indéniable à ce récit fantastique. Et la mise en page non académique enfonce le clou.
Du très bon boulot.
Hâte de lire la suite.
Lison, ce sont des albums au format à l'italienne qu'on range facilement parmi les livres illustrés jeunesse, notamment grâce à un dessin très simple, en ligne claire avec de grands aplats de couleur. Pourtant, ce sont bel et bien des BD. Mieux encore, il s'agit de strips comiques : des gags en 4 cases, une par page dans les albums originaux, puis réunis chacun sur une seule page dans l'intégrale sortie en 2021.
Lison est une petite fille de 3 ou 4 ans, l'âge de la maternelle, où l'on commence à être un enfant et plus un bébé. Elle adopte parfois un ton étonnamment mature, presque blasé, mais ses réactions trahissent régulièrement sa condition de toute petite fille. C'est ce léger décalage, à la fois drôle et fidèle aux comportements classiques des enfants de son âge, qui rend les scènes savoureuses.
Tout repose sur la simplicité, l'épure du texte, ce qui rend la lecture parfaitement accessible aux jeunes, voire très jeunes lecteurs, accompagnés de leurs parents ou pas. Et en même temps, l'humour fonctionne très bien : en tant qu'adulte, j'ai souvent ri. C'est fin, bien vu, moquant gentiment aussi bien les attitudes des enfants que les réactions des adultes, avec un regard tendre et amusé sur le monde tel que le perçoivent les petits. Ce n'est pas toujours hilarant, mais ça l'est souvent, et ce fut pour moi une excellente surprise.
Une très bonne série pour les tout-petits, que leurs parents prendront plaisir à leur faire découvrir.
Le comte de champignac chez Franquin était un personnage totalement farfelu, fantaisiste à souhait. Dans cette série, il prend beaucoup plus d’épaisseur . Il est également plus jeune et on lui découvre une vie sentimentale. J’espère que cette plongée dans la psyché du Comte va se poursuivre avec le nouvel opus et 4e tome de la serie. Belle ré interprétation de ce personnage phare de la bd franco belge en tous cas. Les amateurs du champignac de Franquin seront sûrement désarçonnés. Ici le personnage est projeté de plein pied dans la réalité de la seconde guerre mondiale où les scientifiques sont courtisés par les deux camps afin de faire pencher la guerre de leur côté. Je trouve le dessin d’Etien de grande qualité, particulièrement travaillé. Les qualités qu’il avait laissé entrevoir dans la suite de « la quété de l’oiseau du temps » se confirment
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L'Autre Laideur l'Autre Folie
J'ai longtemps cru avoir déjà lu cet album, sans doute parce que je le confondais avec Katharine Cornwell du même auteur, dont le style graphique est très proche et dont l'héroïne partage une certaine ressemblance avec celle-ci. En réalité, je ne l'avais jamais ouvert, principalement à cause de son titre et de sa couverture, qui me donnaient l'impression d'une histoire pesante, trop noire, centrée sur une femme d'une grande beauté sombrant dans une folie déchirante. Une fausse impression, car même si les deux protagonistes sont psychiquement fragiles, et que la femme s'adresse à elle-même comme à une sœur jumelle, ils restent tous deux lucides, ancrés dans la réalité et conscients de leur situation. Leur rencontre a d'ailleurs quelque chose de bouleversant, presque à la manière de Sur la route de Madison... sans la romance, ou du moins, sans son évidence. Le dessin de Marc Malès constitue le premier atout de cet ouvrage. Malgré des corps parfois trop allongés ou des poses un peu figées, il se dégage de son trait une élégance indéniable. Son noir et blanc évoque à la fois les grandes heures du comics américain de l'âge d'or et l'esthétique plus rugueuse des auteurs latins comme Hugo Pratt ou José Muñoz. Certaines planches sont de véritables compositions rétro, pleines de caractère, qui parviennent à exister sans jamais s'effacer derrière des dialogues pourtant abondants. Le visuel ne se contente pas d'illustrer : il impose une ambiance, il suggère, il soutient. Par contre, aucune des couvertures ne m'a convaincu. Comme dit plus haut, celle de l'édition originale dans la collection Tohu-Bohu me rebutait franchement. Et celle de la réédition de 2015 n'a pas grand chose à voir avec l'essentiel du contenu et surtout représente un gros et inutile spoiler, même si celui-ci était très prévisible. Après une introduction un peu difficile à aborder pour qui, comme moi, n'apprécie guère les récits centrés sur la folie ou les dérives mentales, le récit gagne en intensité dès l'instant où les deux héros se croisent. Leur relation se tisse avec justesse, sans détours inutiles. Les dialogues sont sobres, francs, et permettent de mieux cerner ces deux êtres cabossés qui, peu à peu, deviennent plus proches, plus humains. Le lecteur en vient à espérer quelque chose pour eux, pas forcément un amour classique, mais une forme d'apaisement, une connexion réelle entre deux solitudes qui se reconnaissent. L'intrigue, bien construite, ne dévie jamais vers le mélodrame facile et se termine sur une note à la fois douce et amère, équilibrée et juste. Au final, cet album mérite largement d'être redécouvert, débarrassé de ses apparences trompeuses. Sous une couverture peu engageante se cache une œuvre délicate et touchante, servie par un dessin exigeant et une narration sincère. Une belle surprise.
Dulcie - Du Cap à Paris, enquête sur l'assassinat d'une militante anti-apartheid
Décidément, Benoît Collombat a le tour pour trouver des sujets d'enquêtes qui me passionnent. Ici, c'est une enquête sur le meurtre de la militante anti-apartheid Dulcie September qui n'a jamais été élucidé et qui cacherait de gros secrets d'états. Il faut dire qu'on en va pas juste avoir une biographie de Dulcie, un résumé de l'enquête qui n'a rien trouvé et des pistes sur qui sont les responsables et les complices de cet assassinat: on va aussi voir l'hypocrisie de la France qui continuait de faire du commerce avec l'Afrique du Sud malgré l'embargo, l'historique des relations entre ses eux pays et bien plus encore ! C'est donc un documentaire un peu lourd qu'on ne peut pas lire d'une traite, à moins d'avoir plusieurs heures de libres. Je pense que certains lecteurs risquent de s'ennuyer, mais moi je trouve cela passionnant parce que cela parle d'affaires d’État, de relations internationales et des ravages du capitalisme avec toutes ces entreprises qui n'ont aucun problème pour faire des affaires avec les pires régimes. Il y a des passages qui vont choquer, quoique je ne suis pas du tout surpris par ce que j'ai lu. C'est aussi un bon rappel historique que pendant plusieurs années Nelson Mandela était vu par plusieurs que comme un terroriste et des élus (et pas seulement ceux d'extrême-droite) pouvaient vanter le régime d'Apartheid. J'ai trouvé cet album bien complet et captivant à lire, malgré la quantité d'informations que le lecteur doit digérer.
Fantastic Four - Molécules instables
Une société qui se lézarfe - Ce tome comprend les épisodes 1 à 4 de la minisérie, initialement parue en 2003, formant une histoire complète, relativement indépendante (il faut connaître les caractéristiques principales du premier épisode des Fantastic Four pour l'apprécier). Le scénario est de James Sturm, les dessins et l'encrage de Guy Davis. Robert Sikoryak dessine et encre les cases consacrées au comics de Vapor Girl. Le récit commence par deux pages de texte dans lesquelles James Sturm explique qu'il s'est rendu compte que Stan Lee et Jack Kirby avaient basé les personnages des Fantastic Four sur des membres de sa propre famille ayant réellement existé. Viennent ensuite une reproduction des pages 9 à 13 de l'épisode 1 de la série Fantastic Four, initialement paru en 1961. L'histoire commence en 1958, alors que le professeur Reed Richard étudie le comportement de molécules étranges. Il reçoit la visite d'un groupe d'étudiant dont un certain Adrian Lampham assez critique et impertinent. Susan Sturm se conduit en épouse modèle, en veillant sur son petit frère depuis le décès de leurs parents, et en s'occupant des tâches domestiques dans le foyer de Reed Richards (même s'ils ne sont pas mariés). Johnny Sturm zone dans les rues, avec Rich Mannelman son meilleur ami. Ben Grimm est une célébrité locale dans son quartier, entraineur de boxe, apprécié de ces dames (en particulier Myrna, sa compagne du moment). Quand le lecteur commence sa lecture, il perçoit nettement l'influence d'Alan Moore dans la forme du récit. James Sturm inscrit cette histoire dans une époque déterminée, il rédige des textes venant étoffer le concept de départ qui est que les Sturm, Richards et Grimm étaient des individus ayant vraiment existé, qui auraient servi de modèles à Jack Kirby et Stan Lee pour créer la dynamique familiale des Fantastic Four. Le lecteur a le plaisir de (re)découvrir les dessins à l'élégance discrète de Guy Davis, dessinateur attitré de la série BPRD pendant plusieurs années, de 2003 à 2011. Ce dessinateur combine une apparence surannée (adaptée aux années 1950), avec un aspect évoquant des croquis rapides (pour une impression de spontanéité), et un degré de précision épatant. Il recrée les années 1950 avec une fidélité et une authenticité sans faille, qu'il s'agisse des vêtements, des constructions, des sous-vêtements (le soutien-gorge de Susan), des véhicules, etc. Alors même que le lecteur éprouve l'impression donnée par des dessins vite-faits, il constate dans le même temps que le langage corporel est mesuré et expressif, que les individus ont des morphologies variées et réalistes. Guy Davis conçoit des mises en scène qui évitent les suites de têtes en train de parler, au profit de la gestuelle des individus, de leurs déplacements permettant d'avoir d'autres aperçus de leur environnement. Guy Davis est donc un metteur en scène très compétent, doublé d'un accessoiriste intelligent. La reconstitution s'avère passionnante sans être envahissante ou écrasante. La direction d'acteurs est aussi discrète que parlante, le lecteur s'attachant immédiatement à chacun des personnages. Alors que le titre laisse présager un lien très fort avec les superhéros des Fantastic Four (les fameuses molécules instables dont sont faits leurs costumes), le lecteur constate rapidement que ce récit est plutôt l'occasion de dresser un portrait de la société des États-Unis en 1958, à l'amorce d'une évolution sociale significative. James Sturm commence par montrer que Susan Sturm se trouve à l'étroit dans son rôle de femme au foyer. Ben Grimm ressent un malaise existentiel, en ressentant ses limites d'individu sans espoir d'évolution. Johnny Sturm ne trouve pas sa place dans l'establishment, pas plus que son ami Rich Mannelman. Reed Richards regrette déjà que Susan Sturm ne lui soit pas inféodée, comme une dépendance au service de sa propre carrière. James Sturm évoque cette période de l'histoire des États-Unis avec habilité. Susan Sturm lit Peyton Place (1956) de Grace Metalious. Johnny rencontre Joey King qui mène une vie de beatnik et qui lit Sur la route (1957) de Jack Kerouac. Il ne s'agit pas d'une reconstitution de surface. Le scénariste met en scène des problèmes de société (style de vie alternatif, homosexualité, femme au foyer, délinquance juvénile, femme battue, main baladeuse) en montrant en quoi ces caractéristiques sont inacceptables, soit par l'establishment, soit par les victimes. Il montre comment le carcan castrateur de la société de l'époque commence à présenter des fissures, annonciatrices de bouleversements culturels majeurs. De ce point, cette reconstitution est très réussie, et parlante. Du coup, le lecteur a du mal à comprendre pourquoi le scénariste accorde la même importance à inscrire son récit dans la mythologie Marvel. Il est donc fait référence au premier comics des Fantastic Four. Stan Lee et Jack Kirby font une apparition dans une soirée donnée par les Richards. Il est question de la place sociale des artistes de comics (et même du statut d'un lettreur). Plus pointu, Sturm intègre des références à l'histoire des comics Marvel, à l'époque où cette entreprise n'existait pas encore et portait un autre nom. C'est le cas par exemple de la référence à Patsy Walker, personnage de comics à destination d'un lectorat féminin (bien avant qu'elle ne soit intégrée à l'univers partagé Marvel, comme superhéroïne). Le sous-texte de ces références à Marvel (Ben Grimm parle aussi de sa tante Petunia) semble insister sur le fait que les comics Marvel sont le produit de cette époque révolue. Plus pernicieux, le fait que Stan Lee ait fait des Fantastic Four une famille soudée contre vents et marées semblent signifier qu'il évoquait un âge d'or révolu, une époque bénie où la cellule familiale constituait une valeur sûre (enfin surtout pour les hommes intégrés à la société, avec des revenus suffisants). Au final, le lecteur ressort séduit par cette reconstitution visuelle des États-Unis de la fin des années 1950, convaincu par le portrait des lézardes sociales, mais un peu décontenancé par le rattachement forcé aux personnages Marvel. Quatre étoiles si le lecteur est venu pour les Fantastic Four. Cinq étoiles si le lecteur accepte que les thèmes du récit sont assez forts pour faire oublier ce lien imposé de force entre les Sturm et les Storm.
Les Ombres de Thulé
Il y a plusieurs siècles, les géants de Thulé ont confié au peuple picte la mission de protéger l'humanité du retour des hirudinées, de sombres créatures venues d'ailleurs qui pourraient ravager la Terre. Bien des générations plus tard, les pictes, déjà affaiblis par les Gaëls, doivent faire face à une nouvelle menace : les légions romaines, menées par une sorcière carthaginoise décidée à briser le sceau protecteur pour libérer les monstres. Les Ombres de Thulé s'inscrit pleinement dans la tradition de la Sword & Sorcery, dans la lignée d'un Conan le Cimmérien de Robert E. Howard, avec une touche moderne incluant des entités qui ne dépareraient pas dans l'univers de Lovecraft. On y retrouve tous les ingrédients du genre : guerriers farouches, sorciers et sorcières impitoyables, rituels anciens, peuples mythiques comme les Hyperboréens ou les Atlantes, le tout transposé à l'époque de l'invasion romaine du nord de la Grande-Bretagne. L'ajout d'éléments de mythologie celtique évoque également le Sláine de Pat Mills. L'album offre un vrai plaisir de lecture, porté par une narration dynamique. La première partie, rapide et dense, installe les enjeux et développe jusqu'au bout les manipulations de la sorcière, tandis que la seconde se concentre sur une lutte acharnée pour empêcher la destruction du monde. Graphiquement, c'est une réussite. Le dessin, très généreux, propose de vastes décors, des personnages expressifs et des créatures spectaculaires. On sent l'implication totale du dessinateur, qui livre un travail impressionnant. Dommage que la couverture trop basique dans sa mise en scène ne rende pas tellement hommage à la qualité visuelle du contenu. Certes, l'intrigue reste simple, axée avant tout sur l'action et le suspense, mais cette simplicité est assumée et efficace. Les rebondissements fonctionnent, l'univers est riche, et l'ensemble parvient à captiver sans temps mort. Même si certains ressorts sont trop classiques, j'ai envie de saluer cette BD au-delà de la moyenne, pour sa sincérité et son efficacité. Elle va droit au but, en respectant les codes des récits de Sword & Sorcery et de Dark Fantasy, tout en y injectant une dose d'horreur cosmique.
West Fantasy
J'adore l'univers proposé dans cette série, j'adorerais un JDR dans cet univers. J'aime l'originalité des quelques pages à lire dans chaque album, les dessins, les couleurs sont vraiment immersifs et léchés. J'aime le côté Game of Thrones où il ne faut pas trop s'attacher aux personnages qui ont souvent un destin tragique (spoilers alert). Le lien entre les albums est subtil et on sent que l'histoire n'en est qu'à ses débuts, il y a un véritable potentiel narratif pour peu que certains personnages perdurent... Comme Yaretsi par exemple. Bref je conseille cette série.
Rebis
Elle occupe une place singulière dans mon cœur cette bd. À chaque fois que je la parcours, j’ai l’impression d’avoir un storyboard sous les yeux avant qu’il ne se transforme en film d’animation. C’est un style de dessin qui foisonne et qui vit par ces paysages forestiers omniprésents et ces couleurs à la fois douces et vibrantes. J’aime également le trait, avec ces détails fins et cette attention si minutieuse sur certains visages. Je pense ne surprendre personne ayant commenté ici en disant que j’aime particulièrement le visage de Viviana avec ces coulées de larmes noires comme de la suie. C’est une femme qui a subi des violences et qui a perdu l’amour de sa vie, Beldie. Au delà de la douleur de lui avoir survécu et d’être désormais seule, elle portera les traces de son deuil sur son visage, une marque qui ne pourra jamais s’effacer, même après l’arrivée de Martino dans sa vie. Dès le début de l’histoire, nous sommes happés par la composition qui se jouera en miroir via des notions au premier abord contraires mais qui se révèlent en réalité complémentaires (naissance/mort, rejet/renaissance, perte/transmission, communauté/émancipation, masculin/féminin). La figure de la sorcière jouit aussi de cette symétrie très contemporaine (femme diabolique/femme émancipée, libre). En cela, elle n’est pas aussi caricaturale qu’on pourrait le penser puisqu’elle a l’avantage de poser un cadre reconnaissable et universel (d’un point de vu occidental tout du moins), marquant une rupture forte dans notre façon de penser l’autre, ici notamment la femme et la place qu’on lui attribue. Viviana et Beldie ne sont pas punies pour être des sorcières, elle sont punies pour avoir transgressé leur place, d’avoir voulu s’exercer à la libre-pensée, loin des dogmes religieux et des injonctions de leur communauté. Elles ont voulu être des femmes plus libres, on les a enchaîné à l’image de sorcière afin de susciter la peur et le rejet. C’est aussi une bd qui aborde la question du genre sous un angle différent, à savoir la manière dont nous façonnent les personnes importantes pour nous. En fait, la question qu’aborde cette bd serait celle-ci : quelles sont les personnes qui nous aident à nous définir ? C’est à travers les yeux de Martino que nous aurons une réponse à cette question. Si ce petit garçon est rejeté pour ce qu’il n’a pas choisi d’être, à savoir albinos, il va alors décider de devenir une personne nouvelle auprès des personnes qui l’acceptent et le soutiennent. Pour cela, il va se reconstruire à travers les yeux bienveillants de Viviana. Cette reconstruction sera double, puisqu’elle aidera Viviana à apaiser son deuil : « On peut s’aider à vivre » lui dit-elle. C’est ainsi qu’il va aspirer à vivre comme une femme, plus précisément comme ces femmes, ces sorcières, sa nouvelle famille. Il adopte leur mode de vie, apprend d’elles l’herbologie pour se soigner, à cultiver et cuisiner pour être auto-suffisant, à s’habiller comme elles, à aimer comme elles. Vous l’aurez compris, tout au long de l’histoire, Martino qui deviendra Rebis, n’aura pour modèle bienveillant que des femmes. Sa mère et ses sœurs tout d’abord, puis Viviana et les amies de celle-ci, mais aussi le souvenir de Beldie, personnage à part entière dont l’aura s’incarnera à travers Rebis. Comme une touche d’espoir, la perpétuation d’un cycle de tolérance et de liberté. À me lire, on pourrait croire que la bd raconte avec un fort parti pris et sans subtilités que les femmes sont les seuls bons exemples à suivre. Je ne pense pas que le message soit aussi tranché. Si la question du genre est diluée dans le récit, c’est pour montrer que la façon dont on se définit si l’on est entouré par de bonnes personnes se fait naturellement. Face à son mal-être, Martino aspire a devenir un être au féminin, Rebis, parce que les seuls exemples aimants et bienveillants qu’il ait jamais connu sont des femmes, tout simplement. Rebis choisit cet espace de sororité avant tout parce qu’iel si sent bien. On pourrait donc reprocher au récit de ne pas introduire un personnage masculin plus empathique et compréhensif dans la balance. Pourtant ce serait oublier que parfois nous n’avons pas toujours la possibilité d’élargir nos relations, que nous sommes longtemps confrontés aux mêmes schémas néfastes (familiaux notamment) avant de pouvoir s’en extraire en allant vers ceux qui leur sont opposés. Pour conclure, Rebis, au delà de son terme latin signifiant littéralement « chose double », désigne également un processus alchimique de transformation qui vise à unifier deux choses, autrement dit le masculin et le féminin. Comme si l’idée était de créer un parfait équilibre, se sentir en phase avec soi, avec tout ce qui nous définit en tant que femme et en tant qu’homme. En bref, posséder une juste part des deux côtés pour mieux s’accepter, se comprendre et comprendre les autres. Comme quoi, la bd ne rejette pas le masculin finalement ! :p
Ben Barka - La disparition
La forme est assez aride, et peut au départ rebuter certains lecteurs. En effet, il n’y a pas vraiment de construction romanesque, et l’album se présente formellement comme une enquête, posant des questions, et présentant quelques protagonistes, témoignages et hypothèses. Il y a très peu de décor, les pages sont souvent occupées – au milieu d’un grand blanc – par des personnages (parfois seulement leur visage). Mais voilà, j’encourage les lecteurs à dépasser ces quelques freins potentiels, car cette enquête est vraiment intéressante. Elle s’attaque à l’un des nombreux scandales des années De Gaulle, à savoir l’enlèvement en plein Paris – et le meurtre – de l’opposant marocain Ben Barka, homme engagé auprès des mouvements indépendantistes, révolutionnaires et tiers-mondistes. C’est dire si, au milieu des années 1960, il s’était fait des ennemis partout dans le monde. En commençant par certains milieux en France, et bien sûr l’autocrate marocain (« ami de la France » Hassan II), qui a commandité l’opération. Tout cet arrière-plan, bien rappelé, est intéressant, et donne du relief à cette affaire, qui aurait pu n’être « que » sordide ». Malgré l’acharnement et la volonté de la famille de Ben Barka et de quelques juges intègres, les auteurs – qui se sont très solidement documentés – ne peuvent avancer que des hypothèses (très crédibles), sur le déroulement des faits, et sur l’action de tous les intervenants. Mais les policiers et autres proches des services secrets français ayant participé de près ou de loin à cette « disparition » n’ont jamais été réellement inquiétés, comme les commanditaires marocains. Et les Présidents de la République qui se sont succédé depuis De Gaulle n’ont montré aucun zèle pour faire avancer l’enquête (voir l’exemple donné par l’action d’un juge au moment d’une visite au Maroc de Sarkozy et Dati). Il est intéressant de voir qu’autour de cette affaire tournent beaucoup de barbouzes, de policiers, mais aussi d’États différents (Maroc, CIA, mais aussi Mossad israélien). C’est aussi l’occasion de rappeler quelques à-côtés de la collaboration entre le Maroc et le Mossad (voir l’épisode que je ne connaissais pas de l’espionnage au profit d’Israël mené par le Maroc peu avant cette affaire : le Maroc a ainsi pu bénéficier de l’aide logistique du Mossad, Israël obtenant des informations cruciales lui permettant de prendre le dessus deux ans plus tard lors de la guerre des Six-Jours). On l’a compris, sous ses dehors un peu secs, ce documentaire se révèle très riche, et donne une image peu reluisante du fonctionnement des États – les « démocraties » ne se démarquant ici pas du tout des dictatures – cela a-t-il changé ?). Une lecture vraiment très recommandable.
The Nice House by the Sea
Avant toute chose, je vous conseille de replonger dans The Nice House on the lake pour ne pas perdre pied avec ce second cycle "The Nice House by the Sea" par les mêmes auteurs. Dans ce premier tome, on a un copier-coller du cycle un, avec la présentation des dix personnes dans le premier chapitre, sauf qu'ici il n'y a pas de Walter, celui-ci est remplacé par un autre extraterrestre caché sous l'enveloppe humaine de Max. Alors que Walter avait fait le choix de regrouper les personnes auxquels il tenait énormément, Max, elle, a suivi le cahier des charges, c'est à dire choisir des pontes de chaque discipline humaine. Dès le second chapitre on va passer à la vitesse supérieure, une narration qui nous balade de la maison au bord de mer à celle au bord du lac et du présent au passé, et découvrir que Max n'est pas une inconnue pour les occupants de la maison du lac, qu'il existe une passerelle entre les deux maisons, mais surtout qu'il y a compétition entre les maisons. A la fin, il n'en restera qu'une pour représenter l'humanité. Une intrigue palpitante centrée sur les rapports humains. Un huis-clos qui fait monter la tension au fil des planches, qui ne sera pas avare de surprises et qui donne une nouvelle dimension à cet univers post-apocalyptique où les spéculations vont animer ce récit plus gore que le précédent. Je mets en garde, c'est aussi verbeux que sur l'arc précédent. Je suis toujours sous le charme du dessin d'Alvaro Martinez et des couleurs de Jordie Bellaire. C'est sombre et les contours peu nets apportent un plus indéniable à ce récit fantastique. Et la mise en page non académique enfonce le clou. Du très bon boulot. Hâte de lire la suite.
Lison
Lison, ce sont des albums au format à l'italienne qu'on range facilement parmi les livres illustrés jeunesse, notamment grâce à un dessin très simple, en ligne claire avec de grands aplats de couleur. Pourtant, ce sont bel et bien des BD. Mieux encore, il s'agit de strips comiques : des gags en 4 cases, une par page dans les albums originaux, puis réunis chacun sur une seule page dans l'intégrale sortie en 2021. Lison est une petite fille de 3 ou 4 ans, l'âge de la maternelle, où l'on commence à être un enfant et plus un bébé. Elle adopte parfois un ton étonnamment mature, presque blasé, mais ses réactions trahissent régulièrement sa condition de toute petite fille. C'est ce léger décalage, à la fois drôle et fidèle aux comportements classiques des enfants de son âge, qui rend les scènes savoureuses. Tout repose sur la simplicité, l'épure du texte, ce qui rend la lecture parfaitement accessible aux jeunes, voire très jeunes lecteurs, accompagnés de leurs parents ou pas. Et en même temps, l'humour fonctionne très bien : en tant qu'adulte, j'ai souvent ri. C'est fin, bien vu, moquant gentiment aussi bien les attitudes des enfants que les réactions des adultes, avec un regard tendre et amusé sur le monde tel que le perçoivent les petits. Ce n'est pas toujours hilarant, mais ça l'est souvent, et ce fut pour moi une excellente surprise. Une très bonne série pour les tout-petits, que leurs parents prendront plaisir à leur faire découvrir.
Champignac
Le comte de champignac chez Franquin était un personnage totalement farfelu, fantaisiste à souhait. Dans cette série, il prend beaucoup plus d’épaisseur . Il est également plus jeune et on lui découvre une vie sentimentale. J’espère que cette plongée dans la psyché du Comte va se poursuivre avec le nouvel opus et 4e tome de la serie. Belle ré interprétation de ce personnage phare de la bd franco belge en tous cas. Les amateurs du champignac de Franquin seront sûrement désarçonnés. Ici le personnage est projeté de plein pied dans la réalité de la seconde guerre mondiale où les scientifiques sont courtisés par les deux camps afin de faire pencher la guerre de leur côté. Je trouve le dessin d’Etien de grande qualité, particulièrement travaillé. Les qualités qu’il avait laissé entrevoir dans la suite de « la quété de l’oiseau du temps » se confirment