Stern propose un western décalé, subtilement loufoque, qui ne cherche jamais à cocher mécaniquement toutes les cases du genre. Le récit avance à hauteur d’homme, porté par un héros profondément attachant, dont le destin semble s’acharner avec une ironie presque fataliste. Cette dureté permanente du contexte n’empêche jamais l’empathie : la série reste touchante, sincère.
L’écriture se distingue par une grande humanité. Les enquêtes servent surtout de prétexte à explorer des trajectoires de vie, des regrets, des zones d’ombre, dans une Amérique rude où chacun tente de survivre avec ses failles. La galerie de personnages est particulièrement soignée, tous traités avec finesse, et la diversité des lieux d’un tome à l’autre renouvelle efficacement l’intérêt sans casser la cohérence de l’ensemble.
Graphiquement, le dessin est très expressif, lisible et précis, sans démonstration inutile. Le choix de couleurs relativement soutenues pour un western apporte une identité visuelle forte et participe au ton singulier de la série. L’ensemble se lit avec un réel plaisir, dans un équilibre maîtrisé entre légèreté, gravité et intimisme.
Visuellement, l’album s’impose immédiatement : un dessin très rond, séduisant, d’une grande lisibilité, qui installe avec naturel une ambiance de conte. Cette douceur graphique contraste fortement avec un propos souvent âpre. Le récit avance comme une fable, simple en surface, mais traversée par une violence sociale et rituelle qui renvoie à quelque chose de profondément humain, et parfois tristement crédible.
Le fond est solide et maîtrisé. La vengeance y est montrée pour ce qu’elle est : un mécanisme stérile, destructeur, incapable de produire autre chose que de nouvelles souffrances. La métaphore animale fonctionne pleinement : les humains agissent comme des bêtes, tandis que les animaux incarnent une forme d’humanité plus juste, plus empathique. Le thème de la famille est également central, posé sans lourdeur : celle du sang face à celle du choix, de l’acceptation et de la protection.
La seule réserve tient à son positionnement. Trop dur et cru pour un jeune public, mais formellement et narrativement très proche du conte, l’album occupe une zone volontairement floue. Cette ambiguïté est intéressante et assumée, mais peut désarçonner certains lecteurs. Elle participe néanmoins à l’identité singulière de l’ouvrage.
4.5/5
Récit solide et nuancé sur la révolution nicaraguayenne, Muchacho adopte clairement la forme d’un carnet de voyage révolutionnaire. La romanisation du contexte historique fonctionne bien : les clivages sociaux et politiques sont lisibles, incarnés, et les personnages dégagent une réelle humanité. Sans idéaliser naïvement la révolution, l’album parvient à en transmettre l’élan, presque séduisant, tout en laissant affleurer sa dureté latente.
La première partie est la plus convaincante dans son articulation entre découverte politique, immersion sociale et regard extérieur du protagoniste. La seconde ouvre vers des thématiques plus intimes et spirituelles, en marge du strict cadre révolutionnaire. L’élargissement n’est pas incohérent et enrichit le portrait du personnage, mais n’apporte pas un gain narratif équivalent à la force du cœur politique du récit.
La dimension religieuse et sa représentation graphique constituent un axe particulièrement pertinent, à la fois symbolique et charnel. Le dessin d’Emmanuel Lepage est très expressif, chargé de matière et d’atmosphère, au service du ressenti plus que de la lisibilité stricte. On peut parfois confondre certains personnages, mais l’immersion visuelle est telle que cela n’entrave pas réellement l’expérience de lecture.
Mattéo est une œuvre dense et exigeante, qui traverse près de quarante ans d’histoire européenne sans jamais s’appesantir inutilement. Le récit avance vite, parfois brutalement, à l’image d’un monde où tout bascule tous les dix ans. Cette accélération permanente sert le propos : le lecteur ressent la perte de repères, les glissements idéologiques et les fractures intimes d’une époque qui a profondément marqué l’Occident.
Le scénario ne cherche pas la démonstration ni la relecture spectaculaire de l’Histoire. Il fonctionne plutôt comme une introspection historique, portée par des personnages crédibles et attachants, souvent dépassés par les événements. La richesse du contexte et la multiplicité des enjeux peuvent parfois désorienter, mais c’est aussi ce qui donne à l’ensemble sa profondeur. C’est clairement une lecture qui gagne à être revisitée avec le temps et une certaine maturité.
Graphiquement, le dessin est élégant, réaliste sans rigidité, avec une identité forte qui évoque un vieux film d’époque. Les ambiances, les décors et les visages participent pleinement à cette fresque historique contemplative, sans jamais tomber dans la caricature ou l’emphase.
Voyage en Italie est une bande dessinée profondément introspective, qui saisit avec beaucoup de justesse une génération marquée par la fin des illusions et les cicatrices laissées par la guerre du Viêt Nam. Cosey met en scène une époque paradoxale, à la fois encore légère dans ses apparences et déjà lourdement chargée de désillusions. Art incarne parfaitement ce héros ordinaire, profondément humain, sans héroïsme forcé ni excès de bonté : un « bon type » crédible, dans lequel il est facile de se projeter.
La relation entre les personnages constitue le cœur du récit. Les non-dits, les espoirs avortés et les blessures du passé affleurent constamment sans jamais être surlignés. La guerre, omniprésente mais souvent hors champ, agit comme une fracture durable dans les trajectoires individuelles. Shirley et Ian complètent ce trio fragile, tandis que Keo apporte une dimension supplémentaire, plus silencieuse encore, sur l’exil et l’innocence déplacée.
Graphiquement, le dessin affiche aspect très rétro qui contraste avec la modernité des thèmes, du rythme et des dialogues. Ce décalage fonctionne pleinement et renforce l’ancrage temporel du récit. Les couleurs sont remarquablement exploitées, les planches très lisses et aérées accompagnant parfaitement le ton contemplatif. Peu d’action, mais une grande précision émotionnelle : une œuvre adulte, subtile et maîtrisée, qui trouve sa force dans l’introspection plutôt que dans le spectaculaire.
3,5
Une histoire terriblement actuelle alors qu'elle a plus de 30 ans !
Je pense que c'est la première fois que je lis un comics de Bryan Talbot où il est seul au scénario et le résultat est vraiment bon et me donne envie de mieux connaitre son œuvre. Il parle d'un sujet grave, l'inceste, sans tomber dans le sensationnalisme et j'aime bien comment cette partie du récit est amenée. Au début, l'héroïne ne semble pas comprendre ce que lui a fait subir son père et tout va devenir plus clair au fil de sa fugue. Les scènes-chocs sont bien écrites et sont mémorables. La fin est surprenante d'optimisme et je comprends que des services sociaux dans le monde anglophone utilisent ce comics parce que c'est très éducatif sans devenir chiant.
Cela dit, il y a quand même quelques passages au milieu de l'album qui m'ont moins intéressé que le reste. Aussi, pour ce qui est du dessin, je ne suis pas trop fan de ce style réaliste, les personnages sont un peu moches, mais les décors sont bons et la mise en scène est très bien faite. Un album choc qui frappe là où ça fait mal.
Un indispensable pour les fans de Bruce Campbell et de photoréalisme.
Plus qu’une simple adaptation, c'est expérience immersive. On ne lit pas seulement une BD, on redécouvre le rythme effréné et la narration maligne qui ont rendu culte le premier film de la trilogie de Sam Raimi.
Ce qui marque évidemment, c'est le trait de Bolton, qui parvient à capturer l'aspect "cracra" de l'œuvre originale sans jamais tomber dans le simple copier-coller. On sent l'urgence et l'énergie qui régnait dans ce chalet (repris dans "cabin in the woods", que je vous recommande chaleureusement au passage.)
L’aspect documentaire est aussi bien trouvé: c'est une BD d'horreur mais aussi une sorte de storyboard augmenté qui permet de voir d'autres angles, de plonger à fond dans la tête d'Ash, d'avoir quelques scènes bonus, que les puristes apprécieront ou pas. C'est original mais j'ai senti que le ton n'est pas exactement le même. Mais ça permet d'être surpris. Le bouquin s'adresse avant tout aux initiés. Si vous n'avez jamais vu le film, l'expérience perd un peu de sa saveur, car une grande partie du plaisir réside dans la comparaison entre les cases et les souvenirs de pellicule.
Pour l'ambiance, on y est, on y retrouve parfaitement ce mélange de gore généreux et d'humour noir qui caractérise la franchise.
Le bouquin s'adresse avant tout aux initiés. Si vous n'avez jamais vu le film, l'expérience perd un peu de sa saveur, car une grande partie du plaisir réside dans la comparaison entre les cases et les souvenirs de pellicule.
Un bel hommage, dynamique comme la péloche et respectueux, qui mérite sa place dans la bibliothèque, pile entre les rayons BD et documentaires ciné (si vous avez ce genre d'étagère.)
Pour marquer une pause dans ma lecture de Vinland Saga, j’ai opté pour ce conséquent one-shot, tantôt tragique tantôt comique, ayant pour similitude de se dérouler dans ces territoires austères du grand nord terrestre. Ce fut un bon choix !
Tout d’abord, j’ai apprécié le dessin : simpliste mais très évocateur.
Dès les premiers pas de notre protagoniste sur cette terre verte, le lecteur perçoit instantanément l’aspect pitoyable des colons catholiques résidant sur l’île (guenilles délabrées, armes rouillées...).
On comprend très vite par ce visuel à quelle sauce nous allons être mangés au fur et à mesure du récit : c’est une histoire de pauvreté absolue, d’inégalités de classes, de dogmes religieux et de conquête du pouvoir plus globalement.
Mention spéciale à la coloriste dont le travail est pour beaucoup dans l'appréhension d’un territoire inhospitalier, au froid mordant et à l’humidité glaciale, et qui n’a finalement de vert que le nom.
Côté scénario les divers rebondissements sont plutôt bien amenés et réalistes, les personnages secondaires assez travaillés pour ne pas totalement s’effacer face à l’omniprésence du (anti)héros et une certaine ambigüité est maintenu tout au long de l’histoire.
Ainsi, le lecteur est tenu en haleine jusqu’aux ultimes pages du récit : est-ce que notre roi autoproclamé, aux ambitions encore plus grandes que sa bosse, retournera-t-il finalement sa cape afin de prêcher la vertu à ses ouailles en perte totale de repères ou sombrera-t-il dans une folie destructrice ?
Note réelle : 3.5/5
Je n'ai lu que 5 ou 6 tomes, mais n'ayant pas spécialement l'intention de continuer tout de suite, je poste un avis maintenant, tant que c'est encore un peu à chaud.
Bob Morane représente tout ce que j'aime. De l'Aventure avec un grand A, tout simplement ! Il est évident que tout cela a vieilli, probablement un peu plus que son homologue Blake et Mortimer, par exemple. Ici, le ton est résolument pulp, et c'est ce qui rend la saga à la fois géniale et désuète. Désuète car cela a forcément vieilli, au moins pour la période des années 60 (celle que j'ai principalement lue), les débuts de la saga correspondant à une époque où les codes de l'aventure étaient moins rigoureux qu'aujourd'hui. Mais en même temps, c'est ça qui rend la saga géniale.
Voir Bob Morane voyager dans l'espace, avoir une aventure sous-marine, lutter contre des grosses bestioles et sauver une civilisation atlante en péril, le tout en 3 pages, c'est quand même particulièrement jouissif. On saute un peu du coq à l'âne et on abuse parfois un peu de deus ex machina faciles, mais le rythme est si dense qu'on pourrait adapter chacun des premiers tomes de Bob Morane en faisant 3 films à chaque fois !
Et puis la saga a évolué, et j'avoue m'y être moins confronté. Dans les années 70, il me semble qu'on se rapprocherait davantage d'un Luc Orient, par exemple, l'aspect fantastique/SF ayant pris le pas sur le côté plus axé "aventure" des premiers tomes. Il n'empêche, le charme est toujours là. Les intrigues deviennent plus originales et changent un peu de ton en même temps qu'elles changent de dessinateur, ce qui est parfait pour le renouvellement de la saga. En tous cas, c'est toujours aussi palpitant, avec une dose de mystère en plus. J'adore ! Le côté pulp est toujours là, intact, pour notre plus grand bonheur.
Bref, je comprends mieux, après lecture de ces quelques tomes, pourquoi Bob Morane est à ce point une icône de l'aventure. Si je n'irai pas forcément chercher à acheter toute la collection, je lirais toujours avec grand plaisir les tomes qui me tomberont sous la main, sans jamais oublier que cette saga est avant tout protéiforme. Ce qui signifie que la surprise sera renouvelée à la lecture de chaque tome, mais qu'on n'est jamais à l'abri qu'un ou plusieurs tomes nous déçoivent... Pour l'instant, en tous cas, c'est totalement ma came !
Une courte mais plaisante lecture pour cette BD muette retraçant l’odyssée d’un chien perdu et livré à lui-même après avoir fui son foyer au cours d’un violent orage.
On y découvre de très belles planches avec des paysages de campagne enneigés se dérobant sous la brume, des hameaux désertiques où les seules âmes y résidant sont des bêtes, des boisements hostiles et sinistres ou encore des routes effrayantes et impitoyables…
Une ambiance post-apocalyptique à certains égards ! Je ne pourrai l’expliquer mais j’y ai vu des similitudes avec le travail de Larcenet (La Route, Blast).
Il est précisé à la fin de l’histoire que l’auteur s’est inspiré de sa Bourgogne natale pour son œuvre.
Il y a également un joli travail qui est réalisé sur les ombres et les silhouettes, notamment en mouvement, de notre protagoniste à quatre pattes.
Seul bémol, les (rares) expressions faciales prêtées au bestiaire de l’histoire détonnent parfois avec le ressenti du lecteur.
Il aurait été préférable selon moi de laisser des visages informes pour coller davantage à l’environnement global du récit qui accorde une part importante au mystère et à l’imprégnation personnelle.
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Stern
Stern propose un western décalé, subtilement loufoque, qui ne cherche jamais à cocher mécaniquement toutes les cases du genre. Le récit avance à hauteur d’homme, porté par un héros profondément attachant, dont le destin semble s’acharner avec une ironie presque fataliste. Cette dureté permanente du contexte n’empêche jamais l’empathie : la série reste touchante, sincère. L’écriture se distingue par une grande humanité. Les enquêtes servent surtout de prétexte à explorer des trajectoires de vie, des regrets, des zones d’ombre, dans une Amérique rude où chacun tente de survivre avec ses failles. La galerie de personnages est particulièrement soignée, tous traités avec finesse, et la diversité des lieux d’un tome à l’autre renouvelle efficacement l’intérêt sans casser la cohérence de l’ensemble. Graphiquement, le dessin est très expressif, lisible et précis, sans démonstration inutile. Le choix de couleurs relativement soutenues pour un western apporte une identité visuelle forte et participe au ton singulier de la série. L’ensemble se lit avec un réel plaisir, dans un équilibre maîtrisé entre légèreté, gravité et intimisme.
Roi Ours
Visuellement, l’album s’impose immédiatement : un dessin très rond, séduisant, d’une grande lisibilité, qui installe avec naturel une ambiance de conte. Cette douceur graphique contraste fortement avec un propos souvent âpre. Le récit avance comme une fable, simple en surface, mais traversée par une violence sociale et rituelle qui renvoie à quelque chose de profondément humain, et parfois tristement crédible. Le fond est solide et maîtrisé. La vengeance y est montrée pour ce qu’elle est : un mécanisme stérile, destructeur, incapable de produire autre chose que de nouvelles souffrances. La métaphore animale fonctionne pleinement : les humains agissent comme des bêtes, tandis que les animaux incarnent une forme d’humanité plus juste, plus empathique. Le thème de la famille est également central, posé sans lourdeur : celle du sang face à celle du choix, de l’acceptation et de la protection. La seule réserve tient à son positionnement. Trop dur et cru pour un jeune public, mais formellement et narrativement très proche du conte, l’album occupe une zone volontairement floue. Cette ambiguïté est intéressante et assumée, mais peut désarçonner certains lecteurs. Elle participe néanmoins à l’identité singulière de l’ouvrage. 4.5/5
Muchacho
Récit solide et nuancé sur la révolution nicaraguayenne, Muchacho adopte clairement la forme d’un carnet de voyage révolutionnaire. La romanisation du contexte historique fonctionne bien : les clivages sociaux et politiques sont lisibles, incarnés, et les personnages dégagent une réelle humanité. Sans idéaliser naïvement la révolution, l’album parvient à en transmettre l’élan, presque séduisant, tout en laissant affleurer sa dureté latente. La première partie est la plus convaincante dans son articulation entre découverte politique, immersion sociale et regard extérieur du protagoniste. La seconde ouvre vers des thématiques plus intimes et spirituelles, en marge du strict cadre révolutionnaire. L’élargissement n’est pas incohérent et enrichit le portrait du personnage, mais n’apporte pas un gain narratif équivalent à la force du cœur politique du récit. La dimension religieuse et sa représentation graphique constituent un axe particulièrement pertinent, à la fois symbolique et charnel. Le dessin d’Emmanuel Lepage est très expressif, chargé de matière et d’atmosphère, au service du ressenti plus que de la lisibilité stricte. On peut parfois confondre certains personnages, mais l’immersion visuelle est telle que cela n’entrave pas réellement l’expérience de lecture.
Mattéo
Mattéo est une œuvre dense et exigeante, qui traverse près de quarante ans d’histoire européenne sans jamais s’appesantir inutilement. Le récit avance vite, parfois brutalement, à l’image d’un monde où tout bascule tous les dix ans. Cette accélération permanente sert le propos : le lecteur ressent la perte de repères, les glissements idéologiques et les fractures intimes d’une époque qui a profondément marqué l’Occident. Le scénario ne cherche pas la démonstration ni la relecture spectaculaire de l’Histoire. Il fonctionne plutôt comme une introspection historique, portée par des personnages crédibles et attachants, souvent dépassés par les événements. La richesse du contexte et la multiplicité des enjeux peuvent parfois désorienter, mais c’est aussi ce qui donne à l’ensemble sa profondeur. C’est clairement une lecture qui gagne à être revisitée avec le temps et une certaine maturité. Graphiquement, le dessin est élégant, réaliste sans rigidité, avec une identité forte qui évoque un vieux film d’époque. Les ambiances, les décors et les visages participent pleinement à cette fresque historique contemplative, sans jamais tomber dans la caricature ou l’emphase.
Le Voyage en Italie
Voyage en Italie est une bande dessinée profondément introspective, qui saisit avec beaucoup de justesse une génération marquée par la fin des illusions et les cicatrices laissées par la guerre du Viêt Nam. Cosey met en scène une époque paradoxale, à la fois encore légère dans ses apparences et déjà lourdement chargée de désillusions. Art incarne parfaitement ce héros ordinaire, profondément humain, sans héroïsme forcé ni excès de bonté : un « bon type » crédible, dans lequel il est facile de se projeter. La relation entre les personnages constitue le cœur du récit. Les non-dits, les espoirs avortés et les blessures du passé affleurent constamment sans jamais être surlignés. La guerre, omniprésente mais souvent hors champ, agit comme une fracture durable dans les trajectoires individuelles. Shirley et Ian complètent ce trio fragile, tandis que Keo apporte une dimension supplémentaire, plus silencieuse encore, sur l’exil et l’innocence déplacée. Graphiquement, le dessin affiche aspect très rétro qui contraste avec la modernité des thèmes, du rythme et des dialogues. Ce décalage fonctionne pleinement et renforce l’ancrage temporel du récit. Les couleurs sont remarquablement exploitées, les planches très lisses et aérées accompagnant parfaitement le ton contemplatif. Peu d’action, mais une grande précision émotionnelle : une œuvre adulte, subtile et maîtrisée, qui trouve sa force dans l’introspection plutôt que dans le spectaculaire.
L'Histoire d'un vilain rat
3,5 Une histoire terriblement actuelle alors qu'elle a plus de 30 ans ! Je pense que c'est la première fois que je lis un comics de Bryan Talbot où il est seul au scénario et le résultat est vraiment bon et me donne envie de mieux connaitre son œuvre. Il parle d'un sujet grave, l'inceste, sans tomber dans le sensationnalisme et j'aime bien comment cette partie du récit est amenée. Au début, l'héroïne ne semble pas comprendre ce que lui a fait subir son père et tout va devenir plus clair au fil de sa fugue. Les scènes-chocs sont bien écrites et sont mémorables. La fin est surprenante d'optimisme et je comprends que des services sociaux dans le monde anglophone utilisent ce comics parce que c'est très éducatif sans devenir chiant. Cela dit, il y a quand même quelques passages au milieu de l'album qui m'ont moins intéressé que le reste. Aussi, pour ce qui est du dessin, je ne suis pas trop fan de ce style réaliste, les personnages sont un peu moches, mais les décors sont bons et la mise en scène est très bien faite. Un album choc qui frappe là où ça fait mal.
The Evil Dead - Le Scénario réanimé
Un indispensable pour les fans de Bruce Campbell et de photoréalisme. Plus qu’une simple adaptation, c'est expérience immersive. On ne lit pas seulement une BD, on redécouvre le rythme effréné et la narration maligne qui ont rendu culte le premier film de la trilogie de Sam Raimi. Ce qui marque évidemment, c'est le trait de Bolton, qui parvient à capturer l'aspect "cracra" de l'œuvre originale sans jamais tomber dans le simple copier-coller. On sent l'urgence et l'énergie qui régnait dans ce chalet (repris dans "cabin in the woods", que je vous recommande chaleureusement au passage.) L’aspect documentaire est aussi bien trouvé: c'est une BD d'horreur mais aussi une sorte de storyboard augmenté qui permet de voir d'autres angles, de plonger à fond dans la tête d'Ash, d'avoir quelques scènes bonus, que les puristes apprécieront ou pas. C'est original mais j'ai senti que le ton n'est pas exactement le même. Mais ça permet d'être surpris. Le bouquin s'adresse avant tout aux initiés. Si vous n'avez jamais vu le film, l'expérience perd un peu de sa saveur, car une grande partie du plaisir réside dans la comparaison entre les cases et les souvenirs de pellicule. Pour l'ambiance, on y est, on y retrouve parfaitement ce mélange de gore généreux et d'humour noir qui caractérise la franchise. Le bouquin s'adresse avant tout aux initiés. Si vous n'avez jamais vu le film, l'expérience perd un peu de sa saveur, car une grande partie du plaisir réside dans la comparaison entre les cases et les souvenirs de pellicule. Un bel hommage, dynamique comme la péloche et respectueux, qui mérite sa place dans la bibliothèque, pile entre les rayons BD et documentaires ciné (si vous avez ce genre d'étagère.)
La Terre verte
Pour marquer une pause dans ma lecture de Vinland Saga, j’ai opté pour ce conséquent one-shot, tantôt tragique tantôt comique, ayant pour similitude de se dérouler dans ces territoires austères du grand nord terrestre. Ce fut un bon choix ! Tout d’abord, j’ai apprécié le dessin : simpliste mais très évocateur. Dès les premiers pas de notre protagoniste sur cette terre verte, le lecteur perçoit instantanément l’aspect pitoyable des colons catholiques résidant sur l’île (guenilles délabrées, armes rouillées...). On comprend très vite par ce visuel à quelle sauce nous allons être mangés au fur et à mesure du récit : c’est une histoire de pauvreté absolue, d’inégalités de classes, de dogmes religieux et de conquête du pouvoir plus globalement. Mention spéciale à la coloriste dont le travail est pour beaucoup dans l'appréhension d’un territoire inhospitalier, au froid mordant et à l’humidité glaciale, et qui n’a finalement de vert que le nom. Côté scénario les divers rebondissements sont plutôt bien amenés et réalistes, les personnages secondaires assez travaillés pour ne pas totalement s’effacer face à l’omniprésence du (anti)héros et une certaine ambigüité est maintenu tout au long de l’histoire. Ainsi, le lecteur est tenu en haleine jusqu’aux ultimes pages du récit : est-ce que notre roi autoproclamé, aux ambitions encore plus grandes que sa bosse, retournera-t-il finalement sa cape afin de prêcher la vertu à ses ouailles en perte totale de repères ou sombrera-t-il dans une folie destructrice ? Note réelle : 3.5/5
Bob Morane
Je n'ai lu que 5 ou 6 tomes, mais n'ayant pas spécialement l'intention de continuer tout de suite, je poste un avis maintenant, tant que c'est encore un peu à chaud. Bob Morane représente tout ce que j'aime. De l'Aventure avec un grand A, tout simplement ! Il est évident que tout cela a vieilli, probablement un peu plus que son homologue Blake et Mortimer, par exemple. Ici, le ton est résolument pulp, et c'est ce qui rend la saga à la fois géniale et désuète. Désuète car cela a forcément vieilli, au moins pour la période des années 60 (celle que j'ai principalement lue), les débuts de la saga correspondant à une époque où les codes de l'aventure étaient moins rigoureux qu'aujourd'hui. Mais en même temps, c'est ça qui rend la saga géniale. Voir Bob Morane voyager dans l'espace, avoir une aventure sous-marine, lutter contre des grosses bestioles et sauver une civilisation atlante en péril, le tout en 3 pages, c'est quand même particulièrement jouissif. On saute un peu du coq à l'âne et on abuse parfois un peu de deus ex machina faciles, mais le rythme est si dense qu'on pourrait adapter chacun des premiers tomes de Bob Morane en faisant 3 films à chaque fois ! Et puis la saga a évolué, et j'avoue m'y être moins confronté. Dans les années 70, il me semble qu'on se rapprocherait davantage d'un Luc Orient, par exemple, l'aspect fantastique/SF ayant pris le pas sur le côté plus axé "aventure" des premiers tomes. Il n'empêche, le charme est toujours là. Les intrigues deviennent plus originales et changent un peu de ton en même temps qu'elles changent de dessinateur, ce qui est parfait pour le renouvellement de la saga. En tous cas, c'est toujours aussi palpitant, avec une dose de mystère en plus. J'adore ! Le côté pulp est toujours là, intact, pour notre plus grand bonheur. Bref, je comprends mieux, après lecture de ces quelques tomes, pourquoi Bob Morane est à ce point une icône de l'aventure. Si je n'irai pas forcément chercher à acheter toute la collection, je lirais toujours avec grand plaisir les tomes qui me tomberont sous la main, sans jamais oublier que cette saga est avant tout protéiforme. Ce qui signifie que la surprise sera renouvelée à la lecture de chaque tome, mais qu'on n'est jamais à l'abri qu'un ou plusieurs tomes nous déçoivent... Pour l'instant, en tous cas, c'est totalement ma came !
Otto (par Charles Nogier)
Une courte mais plaisante lecture pour cette BD muette retraçant l’odyssée d’un chien perdu et livré à lui-même après avoir fui son foyer au cours d’un violent orage. On y découvre de très belles planches avec des paysages de campagne enneigés se dérobant sous la brume, des hameaux désertiques où les seules âmes y résidant sont des bêtes, des boisements hostiles et sinistres ou encore des routes effrayantes et impitoyables… Une ambiance post-apocalyptique à certains égards ! Je ne pourrai l’expliquer mais j’y ai vu des similitudes avec le travail de Larcenet (La Route, Blast). Il est précisé à la fin de l’histoire que l’auteur s’est inspiré de sa Bourgogne natale pour son œuvre. Il y a également un joli travail qui est réalisé sur les ombres et les silhouettes, notamment en mouvement, de notre protagoniste à quatre pattes. Seul bémol, les (rares) expressions faciales prêtées au bestiaire de l’histoire détonnent parfois avec le ressenti du lecteur. Il aurait été préférable selon moi de laisser des visages informes pour coller davantage à l’environnement global du récit qui accorde une part importante au mystère et à l’imprégnation personnelle.