Découverte et achetée un peu par hasard en librairie, voilà un achat que je ne regrette pas !
J'ai d'abord été très séduit par le dessin de Rodier, que je trouve très élégant, bien tracé sans excès de réalisme. C'est tout à fait agréable à voir, et compense légèrement la dureté du sujet.
Le sujet en question a le mérite d'être traité sous un angle original. Au lieu de nous immiscer dans une énième histoire de Shoah sans grande originalité, Cédric Apikian réussit à nous captiver pour un thème qu'on connaissait très peu. En cela, la mission est amplement réussie, et on ne décroche jamais de cette bande dessinée aussi belle que passionnante.
Restent quelques défauts relativement mineurs, mais bien existants. Notamment, j'ai eu parfois beaucoup de mal à distinguer les personnages entre eux, ou à me souvenir qui était qui, la faute à une galerie de personnages "trop" vaste. L'autre défaut étant inhérent au genre du récit choral mis en oeuvre ici. Le scénario est conçu comme un fascinant puzzle, mais il m'est arrivé occasionnellement de m'y perdre un peu. Bien sûr, rien de catastrophique, mais cela a parfois légèrement affecté ma fluidité de lecture.
Cela dit, si la fluidité en était parfois affectée, cela n'a jamais enlevé l'intérêt que j'ai porté à cette bande dessinée très intéressante qui a, en outre, le mérite de se clore sur un dossier historique franchement solide. Bref, une jolie découverte, qui suscite bien des émotions au fur et à mesure qu'on avance dans le récit.
Du fait d’une intrigue un peu plus classique, j’ai trouvé cette adaptation légèrement inférieure à « Nymphéas noirs ». Mais juste légèrement, car j’ai quand même pris beaucoup de plaisir à lire ce récit policier, dans lequel j’ai retrouvé nombre des qualités déjà évoquées pour le récit susmentionné.
Le dessin est très agréable et bien mis en valeur par une colorisation aux teintes douces. Didier Cassegrain utilise un trait assez caricatural pour ses personnages et multiplie les angles de vue (plongée, contre-plongée, gros plan, vue d’ensemble, etc…) tout en s’autorisant à fausser une perspective pour les besoins d’une mise en scène. Ce style est à la fois accessible au plus grand nombre et suffisamment original pour le sortir de la masse.
L’intrigue imaginée par Michel Bussi est prenante malgré certains aspects prévisibles et d’autres peut-être un peu trop tirés par les cheveux. L’ensemble est toutefois cohérent et le suspense demeure entier durant très longtemps.
L’adaptation de Fred Duval ne laisse pas le lecteur ressentir les inévitables coupures faite par rapport au roman d’origine. La narration est fluide, les explications claires et le rythme soutenu.
Franchement, j’ai bien aimé… mais cela demeure un petit cran en dessous de « Nymphéas noirs »
Tout ça pour dire que rien ne sert à rien. Ni la violence, ni la loi.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, de nature autobiographique. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario, les dessins et le lettrage, et par Brigitte Findakly pout la couleur. Il comporte cent-soixante-treize pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de tente-et-une pages composé de quelques textes de l’auteur (sur sa recherche de documentation après coup, la protection des personnes âgées pour Shabbat, Nice & l’extrême droite), une météorologie antijuive du 11 mai 1972 (un colis piégé au domicile des époux Klarsfeld) au 19 juin 2022 (8 sièges à l’Assemblée nationale pour le RN), des articles de presse de l’époque (la profanation du cimetière de Carpentras, la dissolution du mouvement néo-nazi FANE, l’attentat de la rue Copernic, le mitraillage de la rue des Rosiers à Paris, 64 tombes juives cassées à la masse, la violence des skinheads, les bombes dans un foyer Sonacotra à Gagnes, Le Pen à Nice, etc.), ainsi que des photographies du père de l’auteur.
Joann a dix-sept ans. Il monte la garde devant la synagogue de Nice. Enfin, au coin de la rue. Le camarade qui est devant la porte a beaucoup plus d’expérience que lui dans cette étrange discipline. Attendre un ennemi qui ne viendra jamais. Si un terroriste passe le coin de la rue Deloye, il doit lui emboîter le pas. Et au premier geste suspect, il doit se jeter sur lui quitte à crever avec lui. Pour protéger la synagogue. Il doit avertir les amateurs de récits d’action que personne ne va mourir dans cette histoire. Et qu’il y aura peu de vraies bagarres. Tout ça pour éviter d’être dans la synagogue. Il préfère passer des heures dehors, même sous la pluie. Même parfois sur le toit de la synagogue, sous l’œil légitimement étonné des habitants du meublé d’en face. Tout plutôt que de faire la prière avec les autres Juifs ! Dieu existe… La preuve que Dieu existe ? Et qu’il a de l’humour ? Et que dès qu’il le regarde, il est content de sa blague : il a pris le Juif qui a toujours tout fait pour fuir la synagogue, et il lui a offert la fortune grâce à un ouvrage intitulé Le chat du Rabbin.
Joann a 49 ans. Il vient de faillir mourir du Covid. Après trois semaines d’hospitalisation, il a le nez dans la sainte Torah. Pas par piété ! Mais pour écrire le prochain Chat du Rabbin qui est en retard. Il écrit un chat au sujet des miracles. Peut-être parce que le pneumologue qui lui téléphone tous les jours lui a dit qu’il était un miraculé. On n’a pas assez de pneumologues. Alors quand on a le Covid, un pneumologue retraité téléphone tous les soirs. C’est ce qu’ils appellent l’hospitalisation à domicile. Bizarrement, Joann a vu très peu de vrais docteurs pendant son séjour à l’hôpital. Des infirmières, des internes. Et un jour, un vrai toubib. Ce dernier précise à son patient que sa spécialité, c’est la digestion. Le bédéiste est dans un service de gastro-entérologie transformé en aile Covid. Le médecin ajoute que le patient doit se battre. Joann trouve que c’est assez inquiétant lorsqu’on lui demande de se battre.
Planches un et deux : Joann Sfar monte la garde devant une synagogue avec un autre camarade. Planche trois, il est intubé sur son lit d’hôpital pendant le Covid. Planche vingt-et-un, enfant, il s’est caché dans un placard pour échapper à la corvée d’aller à l’office à la synagogue. Planche vingt-huit, son père lui raconte d’où lui vient sa vocation d’avocat. Planche quarante-six, son père et lui regardent la déclaration de Raymond Barre alors premier ministre, à la suite de l’attentat de la rue de Copernic le trois octobre 1980. Le lecteur peut vite éprouver une sensation de souvenirs égrainés au fil de l’eau, comme ils viennent. Le bédéiste dessine comme à son habitude, avec des traits très fins, non jointifs, un peu tremblés, qui donnent une sensation d’esquisse, avec des éléments exagérés ou simplifiés comme les visages (en particulier les yeux, soit des gros ronds noirs, soit des petits points noirs) et les silhouettes humaines (par exemple les doigts où les phalanges ne sont pas marquées), et des zones qui peuvent sembler pas tout à fait finies, comme certaines parties de décor. Les bordures de case renforcent cette impression : tracées à main levée irrégulière, avec des coins arrondis, comme si la main du dessinateur manquait d’assurance. Le lettrage participe également de cette impression plus proche d’une réalisation amateur que professionnelle, assez irrégulier, avec l’objectif de réaliser une quantité de pages importante.
Dans le même temps, le lecteur découvre que l’auteur a explicité ses intentions, sa démarche et son mode de travail, en les intégrants dans différents passages. Concernant son objectif, il explique que : il veut bien décortiquer toutes les raisons profondes qui l’ont conduit à ce sacerdoce, à condition de ne pas omettre son besoin vital d’échapper à l’office du vendredi, de Kippour et des autres fêtes. Concernant la structure de cette bande dessinée, il détaille son processus d’écriture en milieu d’ouvrage : On n’est ni dans un jeu ni dans un film, c’est une bande dessinée, écrite par quelqu’un qui tente de ne raconter que des choses vraies. Il continue : Et qui n’a aucune idée de comment il va dessiner ça. Il indique qu’il a ses grands cahiers blancs, il rédige le texte, il accumule de petits storyboards, il regarde des photos de lui à tous les âges. Enfin pour l’approche graphique, il développe : Il fait des carnets de bande dessinée autobiographique depuis 2002. Il en existe une quinzaine de volumes. Et avant qu’un éditeur ne décide de les publier, il tenait déjà ces carnets, depuis 1991 dans son souvenir. Ici, il a deux difficultés : la première, il souhaite que ce soit vraiment mis en scène, comme pour un film. Donc il faut du décor, de la précision. Il a dit à Dargaud : ce sera dessiné comme Le chat du rabbin. Mais tout le style du chat du rabbin dépend du chat. Si on enlève ce diable gris aux yeux citron vert, ça ne marche plus. Comme si on prenait une page de Mike Mignola et qu’on enlevait le singe rouge. Il faut donc qu’il invente une nouvelle façon. Il adore ça, mais ça l’angoisse. Les planches bénéficient d’une mise en couleurs plutôt lumineuse, améliorant la lisibilité et rendant compte de la lumière de Nice.
Aussi, même s’il ne le perçoit pas de manière consciente, le lecteur ressent bien qu’il s’agit d’un récit autobiographique structuré : la remémoration linéaire et chronologique appelle des précisions, des anecdotes, des informations sur le contexte au fur et à mesure. L’auteur intervient régulièrement au temps présent pour rappeler qu’il s’agit de souvenirs, d’une reconstruction. Il évoque régulièrement son père, forcément un modèle dans la construction de sa propre personnalité. Il effectue également une reconstruction historique. De temps à autre, le lecteur remarque un petit cartouche de texte, écrit dans une taille plus petite : il s’agit régulièrement du nom du lieu où se déroule la scène, une rue ou une avenue avec le numéro, ou encore un endroit comme le carré juif du cimetière de l‘Est à Nice. Le lecteur se rend vite compte que plus de quatre-vingt-dix pourcents des cases comprennent un décor en arrière-plan, et que celui-ci est chaque fois spécifique, et conforme à la réalité du lieu et de l’époque. Derrière une apparence de traits malhabiles et vite faits, se trouve en fait une reconstruction solide et documentée, l’auteur citant ses références. Intégré à ces représentations, se trouvent également des évocations d’informations relatives à des actes antisémites datant de ces années, avec parfois une représentation des réactions d’un homme politique.
Dans le même temps, le bédéiste reconstitue également l’adolescent qu’il était, ses influences autres que son père et sa grand-mère, sa vie de lycéen, ses amitiés, la présence de skinheads, etc. En particulier, il fait intervenir le spectre de Joseph Kessel (1898-1979) avec qui il discute alors qu’il est allongé, intubé dans son lit d’hôpital, un écrivain qui l’a marqué pour son recours à la force physique. Il évoque la rencontre de l’écrivain avec Adolf Hitler (1889-1945) dans un bar en Allemagne. Il est également question de Romain Gary (1914-1980). Il parle de Jacques Médecin (1928-1998) maire de Nice de 1966 à 1990, dont André Sfar (1933-2014) fut un adjoint au conseil municipal pendant un temps. Il évoque aussi l’engagement d’Abba Kovner (1918-1987), poète, écrivain et partisan juif d'origine lituanienne. Au fur et à mesure, il rappelle les actes antisémites ayant eu un retentissement national, comme l’attentat à la bombe rue de Copernic le 3 octobre 1980, la profanation de trente-quatre sépultures du cimetière juif de Carpentras le 9 mai 1990, le moment où Jean-Marie Le Pen a fait applaudir un ancien Waffen-SS, Franz Schönhuber (1923-2005) à Nice au palais Acropolis en 1990, l’attentat au collège-lycée juif Ozar Hatorah àToulouse le 19 mars 2012, et malheureusement d’autres.
Le lecteur découvre un pan de la jeunesse de Joann Sfar, l’auteur ne portant pas de jugement sur l’adolescent et le jeune homme qu’il a été. Avec les années passées, l’auteur porte un regard à la fois autobiographique, à la fois analytique sur l’individu qu’il a été, l’époque qu’il a vécue, l’incidence de son milieu familial, de l’engagement et de la personnalité de son père, du contexte social à Nice, et bien sûr de sa forme personnelle de judéité. Il s’agit pour lui de faire œuvre de mémoire d’une époque, et aussi de voir comment se sont construites ses convictions. L’ouvrage se termine par une discussion virtuelle entre lui et Abba Kovner : il fait le constat qu’il n’est pas capable de réaliser un récit qui témoignerait du génocide de la seconde guerre mondiale. Le thème de fond de cette bande dessinée, c’est pourquoi il ne dessine pas Auschwitz. Il montre également comment s’est développé une de ses convictions profondes : il est certain que la violence ne sert à rien. Et aussi : Tout ça pour dire que rien ne sert à rien. Ni la violence, ni la loi.
A priori, juste des souvenirs de jeunesse, une phase sortant de l’ordinaire de la vie de l’auteur quand il faisait partie des personnes assurant la sécurité devant la synagogue de Nice. A priori, des pages habituelles de ce bédéiste, avec son graphisme si personnel, entre esquisses à l’apparence mal assurée, et expressivité remarquable à la lecture. Au fur et à mesure se dessine le parcours de vie unique d’un être humain façonné par l’histoire de sa famille et de son père en particulier, par son milieu socio-culturel, par la ville dans laquelle il réside, par une volonté d’engagement, et aussi de se soustraire aux rites religieux. Au final, une évocation d’une richesse extraordinaire à la fois d’une époque, à la fois de la vie d’une jeune Juif à Nice dans la seconde moitié des années 1980, à la fois des formes ordinaires d’antisémitisme, et aussi d’un questionnement sur la manière de vivre avec cette haine, de lutter contre.
Recherché par la justice pour des meurtres commis il y a des années, Red Dust espérait finir ses jours tranquillement dans sa cabane forestière de Californie. C’était sans compter l’irruption de cette jeune femme prénommée Vivienne Bosch, qui se prétend historienne et dit vouloir collecter des témoignages de personnes toujours vivantes ayant connu l’âge d’or du Wild West. Mais comment cette dernière a-t-elle pu le retrouver ? Est-elle vraiment animée de bonnes intentions ? Le vieil irlandais vivait pourtant sous un faux nom, oubliant que les fantômes du passé finissent toujours par vous rattraper… Visiblement, Vivienne en sait plus qu’elle ne veut bien le dire en évoquant Comanche, une vieille amie de Red Dust que celui-ci avait autrefois aidé dans son ranch « Triple 6 ». La jeune femme n’ayant pas pu contacter le ranch, propose ainsi à Dust de faire la route avec elle vers le Wyoming…
Connu pour son ambitieux projet pluridisciplinaire Melvile, une BD déclinée en spectacle-concert, Romain Renard, artiste touche-à-tout, a décidé ici de rendre hommage à la saga « Comanche » d’Hermann et Greg, née quelques années avant « Jérémiah », en lui donnant une suite en forme d’hommage. Il nous gratifie même de trois titres composés pour l’occasion (Renard est aussi musicien), que l’on peut découvrir à partir du QR code figurant sur l’ouvrage.
A l’instar de Melvile, c’est d’abord l’œil qui est attiré par « Revoir Comanche ». L’univers de Romain Renard est unique, littéralement ensorcelant. L’auteur belge sait insuffler une part de mystique dans son dessin, qu’il a cette fois voulu en noir et blanc. Cette Amérique qui sert de cadre à ses histoires est ici intemporelle, antérieure à la conquête de l’Homme blanc — même si on est dans les années 1930 —, et permet à Renard d’évoquer en filigrane la situation des Amérindiens dépossédés de leurs terres et les souillures infligées par les conquérants. Créer ce « sequel » à la série culte de ses compatriotes, considérés comme des maîtres du neuvième art, apparaît ainsi presque comme une évidence.
Romain Renard nous comble de ses paysages crépusculaires en clair-obscur. L’ouvrage s’apparente à un road-movie dessiné, grouillant de références au cinéma d’avant-guerre et à la littérature US, celle des John Steinbeck ou des Jim Harrison. De la Californie au Wyoming, Red Dust et Vivienne Bosch vont traverser à bord de leur Ford A plusieurs Etats de l’Ouest sauvage, en passant par le Kansas où sévissait le Dust Bowl à cette époque, donnant lieu à des vues spectaculaires travaillées au numérique. Plus classique et réaliste pour les personnages, le dessin est élégant et les regards particulièrement expressifs. Si le concept pourrait faire un peu cliché, on ne peut nier la beauté de l’objet vis-à-vis duquel il serait difficile de faire la fine bouche. Tout au plus pourra-t-on objecter le classicisme du scénario, qui néanmoins tient la route et réserve un dénouement inattendu, précédant une fin tragique mais d’une poésie touchante.
« Revoir Comanche », c’est une histoire de vengeance, un western-thriller lent mâtiné de fantastique où les fantômes qui harcèlent Red Dust, héros sur le retour, sont aussi un peu ceux qui n’en finissent pas de hanter les États-Unis, ce pays des extrêmes qu’on admire pour ses grands espaces et ses romanciers, et que parallèlement on déteste pour son arrogance quasi puérile, échafaudée sur un déni frôlant la névrose, celle du Blanc "civilisateur". Indiscutablement une bande dessinée qui se détache dans la production de cette année.
Une très bonne bande dessinée sur la fin de l'esclavage dans l'ile de la Réunion.
Les faits historiques sont très bien montrés au travers de plusieurs personnages et principalement au travers d'Edmond Albius, un esclave qui a vraiment existé et qui a découvert le procédé de fécondation de la vanille. Évidemment, ce n'est pas lui qui profite de sa découverte, mais les riches blancs de l'ile.
Si on est un peu politisé, on ne risque pas d'être surpris par ce qui arrive dans l'ile avec les noirs toujours pauvres après leurs libérations et qui ne reçoivent aucune aide pendant que les anciens propriétaires d'esclaves riches ont droit à des indemnités.
Le récit est passionnant même si cela manque un peu d'émotions par moment et que certaines scènes donnent l'impression de suivre un cours d'histoire. Cela ne m'a pas trop dérangé parce que je suis passionné d'histoires et que le dessin est très bon.
C'est une belle surprise qui m'a procuré un agréable moment de lecture détente. C'est un peu comme la série B familiale écrite par Béranger, le héros, il y a 15 ans et sur laquelle il a bâti une notoriété qui s'effiloche. Je pousse un peu ma note mais j'ai le même ressenti que Gaston sur cette sympathique série. Je trouve que Cati Baur nous livre un récit distrayant rempli d'intelligence et de fines observations. En premier lieu, elle prend le risque de critiquer (via la population locale) certains aspects des éoliennes. Toutefois elle ne rentre pas dans les détails (sauf pour les oiseaux) et laisse ses personnages s'embrouiller et manier les amalgames dans leurs critiques. Surtout le roman intimiste s'articule autour de trois personnages très attachants avec un belle personnalité qui va à contre courant du mainstream.
Je me suis laissé prendre par le récit qui est très dynamique avec un final ouvert drôle et imprévu.
J'ai eu un peu de mal à rentrer graphiquement dans le récit car je trouvais les personnages un peu disproportionnés et figés. Mais cette impression a vite disparu pour laisser place à un vrai plaisir de voie évoluer ce petit monde. Baur en profite pour s'attarder sur des thématiques actuelles: grossophobie ou standardisation de l'apparence et le rejet qui résulte de l'originalité. C'est fluide, bien construit et avec de bons dialogues.
Graphiquement l'autrice travaille sur les expressions avec des extérieurs restreints. La mise en couleur vive donne une bonne ambiance à ces extérieurs.
Une lecture agréable et rapide pour un bon moment de détente.
Ce que j'aime bien avec Julia Wertz, c’est cette honnêteté qui traverse l'ensemble de ses albums. Ici, une fois de plus, elle ne cherche pas à se donner le beau rôle, et c’est précisément ce qui rend son récit si attachant. Elle raconte son quotidien à New York avec une franchise désarmante, mêlant anecdotes drôles et moments plus sombres sans jamais tomber dans la complaisance. C’est une autobiographie qui ne triche pas, et c’est ce qui lui donne toute sa force. En tous cas c'est ce que j'apprécie souvent le plus dans une autobiographie.
Son humour est un mélange subtil de naïveté et de causticité, toujours bien dosé. On rit de ses maladresses, de ses déboires, mais on est aussi touché par sa lucidité et cette façon qu’elle a de mettre le doigt sur des vérités simples mais percutantes. Derrière les blagues, on sent une vraie sensibilité, une intelligence qui s’exprime autant dans ses réflexions que dans son regard sur les petites choses du quotidien.
Le dessin, en noir et blanc, accompagne bien le ton du récit. Sobre, presque minimaliste, je ne suis pas le plus grand fan de ses personnages tous un peu pareils mais j'aime beaucoup la manière avec laquelle elle saisit NYC. C'est ce qu'elle a continué à faire d'ailleurs dans Les Entrailles de New York en perdant ce côté personnel que j'avais aimé dans "Les imbuvables". Disons que c'est un peu comme avec Lewis Trondheim, on ne vient pas forcément chez Julia Wertz pour voir de beaux personnages dessinés.
Au final, c’est une immersion dans une vie à la fois ordinaire et unique, racontée avec une sincérité rare. C’est drôle, touchant, parfois un peu piquant, mais toujours profondément humain. J'aime beaucoup.
On a tous un rapport particulier au 13 Novembre. Cette date évoque forcément quelque chose pour chacun de nous. Ce qui m'a marqué ici, c’est la simplicité avec laquelle le récit aborde l’après, cet espace où tout continue sans jamais vraiment redevenir pareil. Les personnages naviguent dans ce vide, chacun à leur manière, avec leurs silences, leurs maladresses, leurs tentatives pour tenir debout. On sent que Sophie Parra et Davy Mourier ne cherchent pas à expliquer ou à justifier, juste à montrer.
Cet album m’a beaucoup parlé, surtout dans ces moments où il met le doigt sur ce qu’on ne regarde pas toujours. Comme quand elle raconte l’obtention de l’aide aux victimes, une scène presque banale dans sa brutalité administrative mais qui laisse un goût amer. On voit bien que, passé le choc et les grands discours, tout devient plus froid, plus mécanique. Ça interroge sur la manière dont on accompagne, sur ce qui reste pour ceux qui doivent continuer une fois les projecteurs éteints.
Le dessin est sobre et capte l'essentiel, sans insister. Pas de grands effets, pas besoin d’en rajouter, chaque trait raconte ce qu’il doit.
C’est un album pudique, mais jamais distant. Il touche parce qu’il est sincère, parce qu’il ne cherche pas à trop en faire. C’est là que ça résonne fort, quand on a soi-même vécu ce genre de perte. On se retrouve dans ces hésitations, dans ces petits gestes qui disent tout.
Ne boudons pas notre plaisir.
D'abord les points négatifs, histoire de les évacuer :
1) les scènes d'actions parfois durent à lire avec des mises en pages pas fluide (ça s'améliore à partir du tome 5)
2) on revient sur un pré-ado, une princesse à sauver-protéger et une fille ultra-sexy un peu poupée Barbie
3) des incohérences, ou des compromis, pour que l'histoire avance vite
4) des personnages pas assez travaillés psychologiquement, c'est souvent simplet
Les points positifs à présent :
1) Des dessins très beaux et des planches noir& blancs très réussies (le dessinateur excelle dans les squelettes !)
2) un univers un peu fourre-tout improbable qui pourtant fonctionne très bien (post apocalyptique, fantastique à la Lovecraft, avec une dose d'heroic-fantasy, western)
3) un rythme digne d'un bon page-turner
4) des personnages funs graphiquement (j'ai bien aimé le mercenaire emprunté à Durango de Swolfs, en version manga)
5) un côté dark fantasy très assumé avec des aspects très gores (parfois trop pour moi) qui donnent une épaisseur lugubre à l'univers. Le chapitre d'ouverture du manga donne le ton.
Un bon mélange de genres ! Allez je le redis : ne boudons pas notre plaisir !
Un road movie touchant et relativement atypique dans son déroulement.
Astucieusement les personnages croisés, et le voyage un peu erratique du héros, nous donne une certaine vision du Brésil.
Ca pourrait être une histoire scénarisée par Cosey : il y a beaucoup d'humanité qui se dégage dans les personnages ; la tendresse et la mélancolie n'étant jamais très loin. Ça m'a également fait penser a Portugal de Cyril Pedrosa, je trouve qu'il y a un lien, tant graphique que sur le fonctionnement de l'histoire.
Nous voilà vite embarqué dans ce voyage sur une partie du Brésil (que les distances sont grandes pour un français !) et les dessins, la mise en page et la colorisation y font beaucoup.
Je rejoins les 2 avis précédents dans leurs ressentis.
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La 3e Kamera
Découverte et achetée un peu par hasard en librairie, voilà un achat que je ne regrette pas ! J'ai d'abord été très séduit par le dessin de Rodier, que je trouve très élégant, bien tracé sans excès de réalisme. C'est tout à fait agréable à voir, et compense légèrement la dureté du sujet. Le sujet en question a le mérite d'être traité sous un angle original. Au lieu de nous immiscer dans une énième histoire de Shoah sans grande originalité, Cédric Apikian réussit à nous captiver pour un thème qu'on connaissait très peu. En cela, la mission est amplement réussie, et on ne décroche jamais de cette bande dessinée aussi belle que passionnante. Restent quelques défauts relativement mineurs, mais bien existants. Notamment, j'ai eu parfois beaucoup de mal à distinguer les personnages entre eux, ou à me souvenir qui était qui, la faute à une galerie de personnages "trop" vaste. L'autre défaut étant inhérent au genre du récit choral mis en oeuvre ici. Le scénario est conçu comme un fascinant puzzle, mais il m'est arrivé occasionnellement de m'y perdre un peu. Bien sûr, rien de catastrophique, mais cela a parfois légèrement affecté ma fluidité de lecture. Cela dit, si la fluidité en était parfois affectée, cela n'a jamais enlevé l'intérêt que j'ai porté à cette bande dessinée très intéressante qui a, en outre, le mérite de se clore sur un dossier historique franchement solide. Bref, une jolie découverte, qui suscite bien des émotions au fur et à mesure qu'on avance dans le récit.
Ne lâche pas ma main
Du fait d’une intrigue un peu plus classique, j’ai trouvé cette adaptation légèrement inférieure à « Nymphéas noirs ». Mais juste légèrement, car j’ai quand même pris beaucoup de plaisir à lire ce récit policier, dans lequel j’ai retrouvé nombre des qualités déjà évoquées pour le récit susmentionné. Le dessin est très agréable et bien mis en valeur par une colorisation aux teintes douces. Didier Cassegrain utilise un trait assez caricatural pour ses personnages et multiplie les angles de vue (plongée, contre-plongée, gros plan, vue d’ensemble, etc…) tout en s’autorisant à fausser une perspective pour les besoins d’une mise en scène. Ce style est à la fois accessible au plus grand nombre et suffisamment original pour le sortir de la masse. L’intrigue imaginée par Michel Bussi est prenante malgré certains aspects prévisibles et d’autres peut-être un peu trop tirés par les cheveux. L’ensemble est toutefois cohérent et le suspense demeure entier durant très longtemps. L’adaptation de Fred Duval ne laisse pas le lecteur ressentir les inévitables coupures faite par rapport au roman d’origine. La narration est fluide, les explications claires et le rythme soutenu. Franchement, j’ai bien aimé… mais cela demeure un petit cran en dessous de « Nymphéas noirs »
La Synagogue
Tout ça pour dire que rien ne sert à rien. Ni la violence, ni la loi. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, de nature autobiographique. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario, les dessins et le lettrage, et par Brigitte Findakly pout la couleur. Il comporte cent-soixante-treize pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de tente-et-une pages composé de quelques textes de l’auteur (sur sa recherche de documentation après coup, la protection des personnes âgées pour Shabbat, Nice & l’extrême droite), une météorologie antijuive du 11 mai 1972 (un colis piégé au domicile des époux Klarsfeld) au 19 juin 2022 (8 sièges à l’Assemblée nationale pour le RN), des articles de presse de l’époque (la profanation du cimetière de Carpentras, la dissolution du mouvement néo-nazi FANE, l’attentat de la rue Copernic, le mitraillage de la rue des Rosiers à Paris, 64 tombes juives cassées à la masse, la violence des skinheads, les bombes dans un foyer Sonacotra à Gagnes, Le Pen à Nice, etc.), ainsi que des photographies du père de l’auteur. Joann a dix-sept ans. Il monte la garde devant la synagogue de Nice. Enfin, au coin de la rue. Le camarade qui est devant la porte a beaucoup plus d’expérience que lui dans cette étrange discipline. Attendre un ennemi qui ne viendra jamais. Si un terroriste passe le coin de la rue Deloye, il doit lui emboîter le pas. Et au premier geste suspect, il doit se jeter sur lui quitte à crever avec lui. Pour protéger la synagogue. Il doit avertir les amateurs de récits d’action que personne ne va mourir dans cette histoire. Et qu’il y aura peu de vraies bagarres. Tout ça pour éviter d’être dans la synagogue. Il préfère passer des heures dehors, même sous la pluie. Même parfois sur le toit de la synagogue, sous l’œil légitimement étonné des habitants du meublé d’en face. Tout plutôt que de faire la prière avec les autres Juifs ! Dieu existe… La preuve que Dieu existe ? Et qu’il a de l’humour ? Et que dès qu’il le regarde, il est content de sa blague : il a pris le Juif qui a toujours tout fait pour fuir la synagogue, et il lui a offert la fortune grâce à un ouvrage intitulé Le chat du Rabbin. Joann a 49 ans. Il vient de faillir mourir du Covid. Après trois semaines d’hospitalisation, il a le nez dans la sainte Torah. Pas par piété ! Mais pour écrire le prochain Chat du Rabbin qui est en retard. Il écrit un chat au sujet des miracles. Peut-être parce que le pneumologue qui lui téléphone tous les jours lui a dit qu’il était un miraculé. On n’a pas assez de pneumologues. Alors quand on a le Covid, un pneumologue retraité téléphone tous les soirs. C’est ce qu’ils appellent l’hospitalisation à domicile. Bizarrement, Joann a vu très peu de vrais docteurs pendant son séjour à l’hôpital. Des infirmières, des internes. Et un jour, un vrai toubib. Ce dernier précise à son patient que sa spécialité, c’est la digestion. Le bédéiste est dans un service de gastro-entérologie transformé en aile Covid. Le médecin ajoute que le patient doit se battre. Joann trouve que c’est assez inquiétant lorsqu’on lui demande de se battre. Planches un et deux : Joann Sfar monte la garde devant une synagogue avec un autre camarade. Planche trois, il est intubé sur son lit d’hôpital pendant le Covid. Planche vingt-et-un, enfant, il s’est caché dans un placard pour échapper à la corvée d’aller à l’office à la synagogue. Planche vingt-huit, son père lui raconte d’où lui vient sa vocation d’avocat. Planche quarante-six, son père et lui regardent la déclaration de Raymond Barre alors premier ministre, à la suite de l’attentat de la rue de Copernic le trois octobre 1980. Le lecteur peut vite éprouver une sensation de souvenirs égrainés au fil de l’eau, comme ils viennent. Le bédéiste dessine comme à son habitude, avec des traits très fins, non jointifs, un peu tremblés, qui donnent une sensation d’esquisse, avec des éléments exagérés ou simplifiés comme les visages (en particulier les yeux, soit des gros ronds noirs, soit des petits points noirs) et les silhouettes humaines (par exemple les doigts où les phalanges ne sont pas marquées), et des zones qui peuvent sembler pas tout à fait finies, comme certaines parties de décor. Les bordures de case renforcent cette impression : tracées à main levée irrégulière, avec des coins arrondis, comme si la main du dessinateur manquait d’assurance. Le lettrage participe également de cette impression plus proche d’une réalisation amateur que professionnelle, assez irrégulier, avec l’objectif de réaliser une quantité de pages importante. Dans le même temps, le lecteur découvre que l’auteur a explicité ses intentions, sa démarche et son mode de travail, en les intégrants dans différents passages. Concernant son objectif, il explique que : il veut bien décortiquer toutes les raisons profondes qui l’ont conduit à ce sacerdoce, à condition de ne pas omettre son besoin vital d’échapper à l’office du vendredi, de Kippour et des autres fêtes. Concernant la structure de cette bande dessinée, il détaille son processus d’écriture en milieu d’ouvrage : On n’est ni dans un jeu ni dans un film, c’est une bande dessinée, écrite par quelqu’un qui tente de ne raconter que des choses vraies. Il continue : Et qui n’a aucune idée de comment il va dessiner ça. Il indique qu’il a ses grands cahiers blancs, il rédige le texte, il accumule de petits storyboards, il regarde des photos de lui à tous les âges. Enfin pour l’approche graphique, il développe : Il fait des carnets de bande dessinée autobiographique depuis 2002. Il en existe une quinzaine de volumes. Et avant qu’un éditeur ne décide de les publier, il tenait déjà ces carnets, depuis 1991 dans son souvenir. Ici, il a deux difficultés : la première, il souhaite que ce soit vraiment mis en scène, comme pour un film. Donc il faut du décor, de la précision. Il a dit à Dargaud : ce sera dessiné comme Le chat du rabbin. Mais tout le style du chat du rabbin dépend du chat. Si on enlève ce diable gris aux yeux citron vert, ça ne marche plus. Comme si on prenait une page de Mike Mignola et qu’on enlevait le singe rouge. Il faut donc qu’il invente une nouvelle façon. Il adore ça, mais ça l’angoisse. Les planches bénéficient d’une mise en couleurs plutôt lumineuse, améliorant la lisibilité et rendant compte de la lumière de Nice. Aussi, même s’il ne le perçoit pas de manière consciente, le lecteur ressent bien qu’il s’agit d’un récit autobiographique structuré : la remémoration linéaire et chronologique appelle des précisions, des anecdotes, des informations sur le contexte au fur et à mesure. L’auteur intervient régulièrement au temps présent pour rappeler qu’il s’agit de souvenirs, d’une reconstruction. Il évoque régulièrement son père, forcément un modèle dans la construction de sa propre personnalité. Il effectue également une reconstruction historique. De temps à autre, le lecteur remarque un petit cartouche de texte, écrit dans une taille plus petite : il s’agit régulièrement du nom du lieu où se déroule la scène, une rue ou une avenue avec le numéro, ou encore un endroit comme le carré juif du cimetière de l‘Est à Nice. Le lecteur se rend vite compte que plus de quatre-vingt-dix pourcents des cases comprennent un décor en arrière-plan, et que celui-ci est chaque fois spécifique, et conforme à la réalité du lieu et de l’époque. Derrière une apparence de traits malhabiles et vite faits, se trouve en fait une reconstruction solide et documentée, l’auteur citant ses références. Intégré à ces représentations, se trouvent également des évocations d’informations relatives à des actes antisémites datant de ces années, avec parfois une représentation des réactions d’un homme politique. Dans le même temps, le bédéiste reconstitue également l’adolescent qu’il était, ses influences autres que son père et sa grand-mère, sa vie de lycéen, ses amitiés, la présence de skinheads, etc. En particulier, il fait intervenir le spectre de Joseph Kessel (1898-1979) avec qui il discute alors qu’il est allongé, intubé dans son lit d’hôpital, un écrivain qui l’a marqué pour son recours à la force physique. Il évoque la rencontre de l’écrivain avec Adolf Hitler (1889-1945) dans un bar en Allemagne. Il est également question de Romain Gary (1914-1980). Il parle de Jacques Médecin (1928-1998) maire de Nice de 1966 à 1990, dont André Sfar (1933-2014) fut un adjoint au conseil municipal pendant un temps. Il évoque aussi l’engagement d’Abba Kovner (1918-1987), poète, écrivain et partisan juif d'origine lituanienne. Au fur et à mesure, il rappelle les actes antisémites ayant eu un retentissement national, comme l’attentat à la bombe rue de Copernic le 3 octobre 1980, la profanation de trente-quatre sépultures du cimetière juif de Carpentras le 9 mai 1990, le moment où Jean-Marie Le Pen a fait applaudir un ancien Waffen-SS, Franz Schönhuber (1923-2005) à Nice au palais Acropolis en 1990, l’attentat au collège-lycée juif Ozar Hatorah àToulouse le 19 mars 2012, et malheureusement d’autres. Le lecteur découvre un pan de la jeunesse de Joann Sfar, l’auteur ne portant pas de jugement sur l’adolescent et le jeune homme qu’il a été. Avec les années passées, l’auteur porte un regard à la fois autobiographique, à la fois analytique sur l’individu qu’il a été, l’époque qu’il a vécue, l’incidence de son milieu familial, de l’engagement et de la personnalité de son père, du contexte social à Nice, et bien sûr de sa forme personnelle de judéité. Il s’agit pour lui de faire œuvre de mémoire d’une époque, et aussi de voir comment se sont construites ses convictions. L’ouvrage se termine par une discussion virtuelle entre lui et Abba Kovner : il fait le constat qu’il n’est pas capable de réaliser un récit qui témoignerait du génocide de la seconde guerre mondiale. Le thème de fond de cette bande dessinée, c’est pourquoi il ne dessine pas Auschwitz. Il montre également comment s’est développé une de ses convictions profondes : il est certain que la violence ne sert à rien. Et aussi : Tout ça pour dire que rien ne sert à rien. Ni la violence, ni la loi. A priori, juste des souvenirs de jeunesse, une phase sortant de l’ordinaire de la vie de l’auteur quand il faisait partie des personnes assurant la sécurité devant la synagogue de Nice. A priori, des pages habituelles de ce bédéiste, avec son graphisme si personnel, entre esquisses à l’apparence mal assurée, et expressivité remarquable à la lecture. Au fur et à mesure se dessine le parcours de vie unique d’un être humain façonné par l’histoire de sa famille et de son père en particulier, par son milieu socio-culturel, par la ville dans laquelle il réside, par une volonté d’engagement, et aussi de se soustraire aux rites religieux. Au final, une évocation d’une richesse extraordinaire à la fois d’une époque, à la fois de la vie d’une jeune Juif à Nice dans la seconde moitié des années 1980, à la fois des formes ordinaires d’antisémitisme, et aussi d’un questionnement sur la manière de vivre avec cette haine, de lutter contre.
Revoir Comanche
Recherché par la justice pour des meurtres commis il y a des années, Red Dust espérait finir ses jours tranquillement dans sa cabane forestière de Californie. C’était sans compter l’irruption de cette jeune femme prénommée Vivienne Bosch, qui se prétend historienne et dit vouloir collecter des témoignages de personnes toujours vivantes ayant connu l’âge d’or du Wild West. Mais comment cette dernière a-t-elle pu le retrouver ? Est-elle vraiment animée de bonnes intentions ? Le vieil irlandais vivait pourtant sous un faux nom, oubliant que les fantômes du passé finissent toujours par vous rattraper… Visiblement, Vivienne en sait plus qu’elle ne veut bien le dire en évoquant Comanche, une vieille amie de Red Dust que celui-ci avait autrefois aidé dans son ranch « Triple 6 ». La jeune femme n’ayant pas pu contacter le ranch, propose ainsi à Dust de faire la route avec elle vers le Wyoming… Connu pour son ambitieux projet pluridisciplinaire Melvile, une BD déclinée en spectacle-concert, Romain Renard, artiste touche-à-tout, a décidé ici de rendre hommage à la saga « Comanche » d’Hermann et Greg, née quelques années avant « Jérémiah », en lui donnant une suite en forme d’hommage. Il nous gratifie même de trois titres composés pour l’occasion (Renard est aussi musicien), que l’on peut découvrir à partir du QR code figurant sur l’ouvrage. A l’instar de Melvile, c’est d’abord l’œil qui est attiré par « Revoir Comanche ». L’univers de Romain Renard est unique, littéralement ensorcelant. L’auteur belge sait insuffler une part de mystique dans son dessin, qu’il a cette fois voulu en noir et blanc. Cette Amérique qui sert de cadre à ses histoires est ici intemporelle, antérieure à la conquête de l’Homme blanc — même si on est dans les années 1930 —, et permet à Renard d’évoquer en filigrane la situation des Amérindiens dépossédés de leurs terres et les souillures infligées par les conquérants. Créer ce « sequel » à la série culte de ses compatriotes, considérés comme des maîtres du neuvième art, apparaît ainsi presque comme une évidence. Romain Renard nous comble de ses paysages crépusculaires en clair-obscur. L’ouvrage s’apparente à un road-movie dessiné, grouillant de références au cinéma d’avant-guerre et à la littérature US, celle des John Steinbeck ou des Jim Harrison. De la Californie au Wyoming, Red Dust et Vivienne Bosch vont traverser à bord de leur Ford A plusieurs Etats de l’Ouest sauvage, en passant par le Kansas où sévissait le Dust Bowl à cette époque, donnant lieu à des vues spectaculaires travaillées au numérique. Plus classique et réaliste pour les personnages, le dessin est élégant et les regards particulièrement expressifs. Si le concept pourrait faire un peu cliché, on ne peut nier la beauté de l’objet vis-à-vis duquel il serait difficile de faire la fine bouche. Tout au plus pourra-t-on objecter le classicisme du scénario, qui néanmoins tient la route et réserve un dénouement inattendu, précédant une fin tragique mais d’une poésie touchante. « Revoir Comanche », c’est une histoire de vengeance, un western-thriller lent mâtiné de fantastique où les fantômes qui harcèlent Red Dust, héros sur le retour, sont aussi un peu ceux qui n’en finissent pas de hanter les États-Unis, ce pays des extrêmes qu’on admire pour ses grands espaces et ses romanciers, et que parallèlement on déteste pour son arrogance quasi puérile, échafaudée sur un déni frôlant la névrose, celle du Blanc "civilisateur". Indiscutablement une bande dessinée qui se détache dans la production de cette année.
Vingt-décembre - Chronique de l'abolition
Une très bonne bande dessinée sur la fin de l'esclavage dans l'ile de la Réunion. Les faits historiques sont très bien montrés au travers de plusieurs personnages et principalement au travers d'Edmond Albius, un esclave qui a vraiment existé et qui a découvert le procédé de fécondation de la vanille. Évidemment, ce n'est pas lui qui profite de sa découverte, mais les riches blancs de l'ile. Si on est un peu politisé, on ne risque pas d'être surpris par ce qui arrive dans l'ile avec les noirs toujours pauvres après leurs libérations et qui ne reçoivent aucune aide pendant que les anciens propriétaires d'esclaves riches ont droit à des indemnités. Le récit est passionnant même si cela manque un peu d'émotions par moment et que certaines scènes donnent l'impression de suivre un cours d'histoire. Cela ne m'a pas trop dérangé parce que je suis passionné d'histoires et que le dessin est très bon.
Vent mauvais
C'est une belle surprise qui m'a procuré un agréable moment de lecture détente. C'est un peu comme la série B familiale écrite par Béranger, le héros, il y a 15 ans et sur laquelle il a bâti une notoriété qui s'effiloche. Je pousse un peu ma note mais j'ai le même ressenti que Gaston sur cette sympathique série. Je trouve que Cati Baur nous livre un récit distrayant rempli d'intelligence et de fines observations. En premier lieu, elle prend le risque de critiquer (via la population locale) certains aspects des éoliennes. Toutefois elle ne rentre pas dans les détails (sauf pour les oiseaux) et laisse ses personnages s'embrouiller et manier les amalgames dans leurs critiques. Surtout le roman intimiste s'articule autour de trois personnages très attachants avec un belle personnalité qui va à contre courant du mainstream. Je me suis laissé prendre par le récit qui est très dynamique avec un final ouvert drôle et imprévu. J'ai eu un peu de mal à rentrer graphiquement dans le récit car je trouvais les personnages un peu disproportionnés et figés. Mais cette impression a vite disparu pour laisser place à un vrai plaisir de voie évoluer ce petit monde. Baur en profite pour s'attarder sur des thématiques actuelles: grossophobie ou standardisation de l'apparence et le rejet qui résulte de l'originalité. C'est fluide, bien construit et avec de bons dialogues. Graphiquement l'autrice travaille sur les expressions avec des extérieurs restreints. La mise en couleur vive donne une bonne ambiance à ces extérieurs. Une lecture agréable et rapide pour un bon moment de détente.
Whiskey & New-York
Ce que j'aime bien avec Julia Wertz, c’est cette honnêteté qui traverse l'ensemble de ses albums. Ici, une fois de plus, elle ne cherche pas à se donner le beau rôle, et c’est précisément ce qui rend son récit si attachant. Elle raconte son quotidien à New York avec une franchise désarmante, mêlant anecdotes drôles et moments plus sombres sans jamais tomber dans la complaisance. C’est une autobiographie qui ne triche pas, et c’est ce qui lui donne toute sa force. En tous cas c'est ce que j'apprécie souvent le plus dans une autobiographie. Son humour est un mélange subtil de naïveté et de causticité, toujours bien dosé. On rit de ses maladresses, de ses déboires, mais on est aussi touché par sa lucidité et cette façon qu’elle a de mettre le doigt sur des vérités simples mais percutantes. Derrière les blagues, on sent une vraie sensibilité, une intelligence qui s’exprime autant dans ses réflexions que dans son regard sur les petites choses du quotidien. Le dessin, en noir et blanc, accompagne bien le ton du récit. Sobre, presque minimaliste, je ne suis pas le plus grand fan de ses personnages tous un peu pareils mais j'aime beaucoup la manière avec laquelle elle saisit NYC. C'est ce qu'elle a continué à faire d'ailleurs dans Les Entrailles de New York en perdant ce côté personnel que j'avais aimé dans "Les imbuvables". Disons que c'est un peu comme avec Lewis Trondheim, on ne vient pas forcément chez Julia Wertz pour voir de beaux personnages dessinés. Au final, c’est une immersion dans une vie à la fois ordinaire et unique, racontée avec une sincérité rare. C’est drôle, touchant, parfois un peu piquant, mais toujours profondément humain. J'aime beaucoup.
Après le 13 novembre
On a tous un rapport particulier au 13 Novembre. Cette date évoque forcément quelque chose pour chacun de nous. Ce qui m'a marqué ici, c’est la simplicité avec laquelle le récit aborde l’après, cet espace où tout continue sans jamais vraiment redevenir pareil. Les personnages naviguent dans ce vide, chacun à leur manière, avec leurs silences, leurs maladresses, leurs tentatives pour tenir debout. On sent que Sophie Parra et Davy Mourier ne cherchent pas à expliquer ou à justifier, juste à montrer. Cet album m’a beaucoup parlé, surtout dans ces moments où il met le doigt sur ce qu’on ne regarde pas toujours. Comme quand elle raconte l’obtention de l’aide aux victimes, une scène presque banale dans sa brutalité administrative mais qui laisse un goût amer. On voit bien que, passé le choc et les grands discours, tout devient plus froid, plus mécanique. Ça interroge sur la manière dont on accompagne, sur ce qui reste pour ceux qui doivent continuer une fois les projecteurs éteints. Le dessin est sobre et capte l'essentiel, sans insister. Pas de grands effets, pas besoin d’en rajouter, chaque trait raconte ce qu’il doit. C’est un album pudique, mais jamais distant. Il touche parce qu’il est sincère, parce qu’il ne cherche pas à trop en faire. C’est là que ça résonne fort, quand on a soi-même vécu ce genre de perte. On se retrouve dans ces hésitations, dans ces petits gestes qui disent tout.
The Arms Peddler
Ne boudons pas notre plaisir. D'abord les points négatifs, histoire de les évacuer : 1) les scènes d'actions parfois durent à lire avec des mises en pages pas fluide (ça s'améliore à partir du tome 5) 2) on revient sur un pré-ado, une princesse à sauver-protéger et une fille ultra-sexy un peu poupée Barbie 3) des incohérences, ou des compromis, pour que l'histoire avance vite 4) des personnages pas assez travaillés psychologiquement, c'est souvent simplet Les points positifs à présent : 1) Des dessins très beaux et des planches noir& blancs très réussies (le dessinateur excelle dans les squelettes !) 2) un univers un peu fourre-tout improbable qui pourtant fonctionne très bien (post apocalyptique, fantastique à la Lovecraft, avec une dose d'heroic-fantasy, western) 3) un rythme digne d'un bon page-turner 4) des personnages funs graphiquement (j'ai bien aimé le mercenaire emprunté à Durango de Swolfs, en version manga) 5) un côté dark fantasy très assumé avec des aspects très gores (parfois trop pour moi) qui donnent une épaisseur lugubre à l'univers. Le chapitre d'ouverture du manga donne le ton. Un bon mélange de genres ! Allez je le redis : ne boudons pas notre plaisir !
Ivo a mis les voiles
Un road movie touchant et relativement atypique dans son déroulement. Astucieusement les personnages croisés, et le voyage un peu erratique du héros, nous donne une certaine vision du Brésil. Ca pourrait être une histoire scénarisée par Cosey : il y a beaucoup d'humanité qui se dégage dans les personnages ; la tendresse et la mélancolie n'étant jamais très loin. Ça m'a également fait penser a Portugal de Cyril Pedrosa, je trouve qu'il y a un lien, tant graphique que sur le fonctionnement de l'histoire. Nous voilà vite embarqué dans ce voyage sur une partie du Brésil (que les distances sont grandes pour un français !) et les dessins, la mise en page et la colorisation y font beaucoup. Je rejoins les 2 avis précédents dans leurs ressentis.