Je n'avais pas envie de lire cette série parce que je ne suis pas du tout intéressé par tout ces mangas qui parlent de gastronomie, même si celui-ci se passe dans un univers de fantasy. Et puis j'ai lu sur internet d'excellentes critiques sur la série et j'ai fini par la lire.
Au début j'étais à moitié convaincu, les personnages sont attachants et le dessin est bon, mais le mixe entre la fantasy et la gastronomie me semblait un peu bizarre et les passages où on explique les bienfaits d'une alimentation saine ou comment préparer un bon repas sont un peu ennuyeux. Puis au fil des tomes, le scénario devient plus complexe, et à mesure que l'on a des informations sur cet univers et sur la vie passée des personnages je me suis rendu compte que l'autrice maitrisait bien son scénario. Elle a créé un monde plutôt original dans ce donjon même si elle utilise les éléments récurrents de ce genre (des elfes, des nains, des filles-chattes...). Il y a beaucoup de surprises dans ce récit qui passé les premiers tomes est très prenant et au final le mélange univers de fantasy de type RPG et la gastronomie fait plein de sens et est bien exploité dans les derniers tomes.
Contrairement à pleins d'autres séries de manga qui me lassent après quelques tomes, cette série s'améliore au fil des tomes. Une des meilleures séries de fantasy japonaise que je connaisse !
Personnellement j'ai bien apprécié cette petite série qui m'a souvent fait sourire. Un sourire crispé par moment tellement Duchazeau charge le portrait de ces jumeaux plus rednecks que nature. J'y ai lu comme un négatif des "Blues Brothers" avec certaines scènes où les amateurs de Country ne sont pas à leur avantage. Perso j'aime assez ce mélange de violon et de banjo qui procure une sonorité séduisante.
Duchazeau en grand amateur de musique US ne peut pas faire le procès de ce genre mais plutôt de la farce cruelle qui s'est jouée sur les bords de la mythique route 66 dans certains endroits où la justice était à géométrie variable. Woody et Jerry m'ont souvent fait penser à des doubles bêtes, méchants et cruels à l'extrême de nos sympathiques Dupondts. Duchazeau s'en donne à cœur joie pour faire le pamphlet cette Amérique inculte et violente. La caricature est extrême et partiale mais elle m'a souvent fait sourire. On lit certaines répliques aux second degré de bêtise crasse des personnages.
Duchazeau propose son crayonné en N&B qui rend particulièrement bien cette ambiance isolée et poussiéreuse de l'Oklahoma. Le dessin est faussement simple car il fourmille de petits détails qui donnent une ambiance parfaitement réussie. Que ce soit pour Conoco ou pour Nashville j'ai admiré la finesse des détails des bâtiments et des extérieurs.
Une lecture qui nous plonge dans une bouffonnerie cruelle qui n'est pas sans parenté avec Ubu. 3.5
La première BD de Gao Yan, une jeune taïwanaise qui s'est inspirée de son amour de l'écriture, de la musique et d'un voyage au Japon (pour acheter l'album Kasemachi Roman), pour se lancer dans ce projet graphique.
Elle avait déjà réalisé, en auto-édition, une première version de 32 pages de cette histoire. Mais c'est après avoir illustrée une couverture d'un roman de Haruki Murakami qu'elle l'étoffe pour atteindre plus de 500 pages.
J'ai dévoré ces 2 tomes en un après-midi, une lecture cocooning pour un instant suspendu.
C'est l'histoire de Lu, une jeune fille d'une vingtaine d'années qui étudie à Taipei. Une jeune fille timide et introvertie qui a un rapport viscérale avec la musique et l'écriture. Elle va faire la connaissance d'un jeune homme, Nanjun, et ils vont se découvrir des goûts communs (il est musicien dans un groupe) qui vont les rapprocher. Le début d'une belle amitié, mais Lu, doucement, va ressentir bien plus que cela.
Je vais mettre en garde de suite, si vous cherchez de l'action, passez votre chemin. Nous avons ici un récit intimiste sur les premiers émois de Lu, avec en caisse de résonance la pop culture japonaise. Un récit duveteux, tendre et amer. Lu est touchante et attachante. Mais c'est surtout l'ambiance musicale qui m'a marqué, avec la découverte de nombreux artistes de la scène japonaise (il y a plein de bonnes surprises).
Une narration globalement maîtrisée, un bémol sur certains passages un peu trop long à mon goût et sur l'apparition de l'amie providentielle. Mais rien de bien gênant.
Je lis peu de manga, la faute à un graphisme qui ne me convient pas d'ordinaire. Ce n'est pas le cas sur ces deux albums. Le trait de Gao Yan est délicat et d'une finesse extrême. Les personnages sont beaux, les décors magnifiques (en particulier ceux des concerts) et les longs moments de silence font passer les émotions.
Superbe.
Un 4 étoiles pour le dépaysement, pour la découverte de la pop culture japonaise et pour la sincérité qui émane de Lu.
Dans ces lieux coupés du monde, un univers à part fait de glace, de neige et de roc, il est impossible de préciser une date... sans doute quelque part au 19e siècle. Il fait nuit, toute la famille dort sous l'abri de leur grand igloo quand Uqsuralik se lève et sort pour constater qu'elle a ses premières règles. Au même moment, la mer se déchaine et brise la banquise, séparant la jeune femme de sa famille qui part à la dérive sur la glace. Son père a tout juste le temps de lui lancer une peau d'ours et un harpon qui malheureusement se brise à l'impact. Uqsuralik n'a plus que cela et la compagnie d'un petit groupe des chiens de traineau de sa famille pour survivre dans l'hiver qui est encore loin de se terminer. C'est le début d'un périple pour la survie puis pour son existence elle-même de cette femme inuite que l'on va suivre sur les nombreuses années durant lesquelles elle nous fera découvrir la rudesse du quotidien dans le grand Nord, face aux éléments, face aux hommes et au destin. Et à travers elle, nous découvrirons la culture Inuite, en particulier ses mythes shamaniques qui font partie intégrante de leur façon d'agir et de penser, en accord avec la Nature et les esprits.
De pierre et d'os est l'adaptation d'un roman de Bérengère Cournut, autrice dont les multiples oeuvres se focalisent souvent sur les peuples rares du monde, et leur rapport à la nature et à la spiritualité. Bien documentée, elle fait revivre de l'intérieur la culture et les traditions inuites, et nous entraine dans le conte d'une vie entière, faite de danger et d'épreuves, mais aussi de soulagements, de bonheur, d'amour, et d'un fort rapport au shamanisme et aux esprits.
Jean-Paul Krassinsky met le récit en image dans un style à l'aquarelle empreint de beauté, de réalisme et d'onirisme. Le format presque carré de l'album permet des planches qui sortent des sentiers battus, emplies d'ambiance, de décors de glace, de neige et de nuit, mais aussi de réconfort et de la chaleur des abris humains. Sa manière semi-réaliste de dessiner les humains apporte une touche de légèreté qui contrebalance l'austérité du récit et rend plus amène et fluide la lecture, l'éloignant d'un documentaire aride. Il y a une vraie intensité dans ces planches. C'est une plongée dépaysante dans un univers visuel qui rend parfaitement hommage à la beauté cruelle de l'Arctique et au monde Inuit et à sa culture.
L'album est long, son contenu souvent cruel et malheureux, mais c'est aussi le récit d'une vie, de la vie en général, avec d'innombrables moments de beauté, de bonheur simple malgré la tourmente, de force et d'émotion. Le personnage d'Uqsuralik est particulièrement judicieux car c'est à la fois une femme faible face aux éléments et à la volonté des hommes mauvais, mais aussi une personne intelligente, bonne chasseuse grâce à l'enseignement de son père, très consciente du monde qui l'entoure et de ses légendes, et compensant ses faiblesses par de la méfiance, de la méthode et beaucoup de courage et de volonté. On s'attache à elle et à travers elle à son peuple et à son monde, avec l'envie qu'elle trouve enfin le bonheur, pour elle et la famille qu'elle se construit.
J'ai été proprement transporté par ce récit, intense et beau, exotique et instructif. C'est le récit d'un parcours humain, avec des émotions fortes et qui ont su me toucher, voire me mettre la larme à l'œil, larme de bonheur comme d'amertume. Et d'ailleurs, j'aurais presque préféré que le récit s'arrête avec son épilogue car cette fin là était à mes yeux bien plus émouvante que les quelques pages d'épilogue qui la suivent.
C'est ma BD de l'année 2025 jusqu'à présent !
Personnellement j'ai apprécié ce thriller classique mais bien construit autour du personnage de Betty Page. La narration est fluide et l'enquête pas à pas des deux lieutenants n'est pas expédiée en trois planches grâce à une découverte inespérée.
La série hésite souvent entre le thriller et l'érotique avec la profusion de scènes de nues. Cela est compréhensible puisque Betty anime un spectacle de striptease. Comme au Crazy horse les canons pour participer au spectacle sont assez restrictifs et correspondent à un fantasme sexué de l'imaginaire masculin. Toutefois j'entends la réserve de certains avis car les auteurs insistent sur le sujet avec des scènes superflues de la vie familiale et intime des lieutenants de police. De même Rodolphe propose un récit soft malgré l'horreur des crimes mais ce parti pris donne une ambiance légère et pas sordide qui me convient bien.
Le graphisme de Bignon donne un travail précis sur l'ambiance du NY des années 50 avec un beau rendu des costumes, des ruelles ou des bars de l'époque. Les cadrages sont bons et cela donne un visuel dynamique, seule la mise en couleur n'est pas séduisante.
Une note un peu généreuse pour un récit récréatif à mon goût.
Le cinéma est une allégorie, mon cher Léonce. L’allégorie de la condition humaine !
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario et les dialogues, épaulé par Gaël Séjouné, par ce dernier pour la mise en cases, en images et en couleurs, soutenu par le premier. Il comprend cent-cinquante-quatre pages de bande dessinée.
Prologue : à Trougnac. Au volant de sa Renault 4CV, Conrad Knapp traverse une région boisée de la campagne française. Il s’arrête devant le panneau d’entrée de la ville de Trougnac, et il interpelle Fernand et Ginette, un vieux couple de paysans, leur demandant s’il y aurait par le plus grand des hasards, une salle de cinéma dans leur village. L’homme lui répond que Trougnac est un peu plus qu’un village, presque trois mille habitants, une équipe de foot et même une pharmacie. Presque, parce que tant qu’ils n’ont pas les trois mille, ils peuvent faire une croix sur la pharmacie. À la suite de l’intervention de son épouse, il explique au conducteur que Poil est le village d’à côté, qu’ils ne s’appellent pas des Poilus, qu’ils préfèrent être appelés des Pictiens, mais ça n’empêche pas les autres de les taquiner un peu, surtout aux matchs de football. Comprenant qu’il n’obtiendra pas de réponse à sa question, Knapp les plante là, et il entre dans le village. Chapitre un : Au café. Ayant avancé un peu dans la grande rue, Conrad Knapp hèle une jeune femme dans une jolie robe à pois blancs, avec un généreux décolleté. Il lui pose la même question : y aurait-il une salle de cinéma dans son village ? Elle répond avec le sourire que oui, c’est l’Éden, à l’Est. Elle ajoute : On ne peut pas le rater, il est juste à côté de l’église, ce n’est pas une grande salle, mais on peut y voir tous les films récents. Elle cite : Le beau serge, En cas de malheur, Maigret tend un piège. Il propose : Et ta sœur ? Et il dissipe le malentendu : il parle du film avec Pierre Fresnay. Elle ajoute que l’Éden c’est le duc qui l’a fait construire. Knapp se dit que ce trou a un duc.
Conrad Knapp pénètre dans le café des Sports, et se rend au comptoir, alors que les habitués continuent leurs discussions : sur le scandale du bikini, sur le fait qu’il n’y a plus que des films avec des femmes à moitié nues, et que la télévision est plus accessible, même s’il n’y a peut-être qu’une vingtaine de postes ici. Madame Garnier estime que les films ont une influence néfaste, en particulier quand on voit cette diablesse blonde se trémousser sur la table là, cette dévergondée, cette… Knapp intervient dans la conversation pour en énoncer le nom : Brigitte Bardot. Toutes les conversations s’interrompent d’un coup. Il continue : Avec également Jean-Louis Trintignant et Curd Jürgens, tourné à Nice et à Saint Tropez, interdit aux moins de seize ans à sa sortie une heure et trente-deux minutes de plaisir. Répondant à une question, il précise qu’il était sur le tournage. Il enchaîne en commandant une autre Suze. Simone indique à son mari Maurice Garnier qu’il est temps qu’ils s’en aillent, et ils sortent accompagnés par le curé.
Quand bien même il n’aurait pas identifié la pose dans la couverture (une évocation de l’affiche de En cas de malheur), le lecteur comprend rapidement que les auteurs rendent hommage au cinéma français des années 1950. La bande dessinée se compose de douze chapitres et d’un prologue, chacun comprenant une page de titre avec un extrait de dialogue, issu d’un film de cette époque. Il est ainsi fait mention de Les Vieux de la vieille (1960) de Gilles Grangier (1911-1996), La traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Série noire (1955) de Pierre Foucaud (1908-1976), Roman d’un tricheur (1936) de Sacha Guitry (1885-1957), Un singe en hiver (1962) d’Henri Verneuil (1920-2002), Les grandes familles (1958) de Denys de la Patellière (1921-2013), Le petit monde de Don Camillo (1952) de Julien Duvivier (1896-1967), Et Dieu… créa la femme (1956) de Roger Vadim (1928-2000), L’auberge rouge (1951) de Claude Autant-Lara (1901-2000), En cas de malheur (1958) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Ascenseur pour l’échafaud (1958) de Louis Malle (1932-1995). Si Brigitte Bardot n’apparaît pas dans le récit, Jean Gabin (1904-1976) y joue un rôle le temps d’un des chapitres. Le lecteur se rend compte que les auteurs intègrent d’autres hommages, par exemple les bons mots (Knapp faisant observer que : Alors comme ça ce trou a un duc…), ou une affiche du film Ni vu ni connu (1958) d’Yves Robert (1920-2002). Petite entorse aux références françaises, un homme à la scène de la populace criant vengeance dans le film Frankenstein (1931), de James Whale (1889-1957).
En fonction de sa culture dans ce domaine, le lecteur peut relever d’autres références au cinéma de ces années-là, par exemple le nom de l’auteur du scénario du film fictif Tout est bon à prendre : Pierre Bost (1901- 1975), scénariste entre autres de Le Diable au corps (1947), La Traversée de Paris (1956), La Jument verte (1959). Ou à d’autres éléments culturels (il finit par associer le prénom de la dame stricte, Simone, au nom de famille de son époux, prononcé un peu après, Garnier). Il peut aussi considérer ce récit seulement comme une comédie romantique dans la France de la fin des années 1950, ce qui lui enlève un peu de saveur. L’intrigue repose sur l’arrivée de ce jeune homme appartenant au milieu du cinéma et expliquant qu’il vient en repérage dans le village pour un projet de film dans lequel devraient tourner Brigitte Bardot et Jean Gabin. Forcément, ça éveille l’intérêt de la plupart des notables, des commerçants et des habitants. Dans le déroulé du récit, le jeune homme rencontre une douzaine d’habitants, tous emblématiques comme le maire, le curé, le patron du café, le responsable du cinéma et sa fille magnifique, le duc, l’aubergiste et sa fille, le boulanger, et quelques personnes très alléchées par la perspective d’avoir un petit rôle dans le film à venir. Chaque chapitre porte le nom d’un endroit différent et met en scène Conrad Knapp dans ses relations avec les habitants : Au café, Au cinéma, À la mairie, Au village, Au château, au téléphone, Au stade, Au bal, Au comité, À l’église, et enfin deux titres plus révélateurs de l’intrigue.
Le lecteur s’attache donc aux pas et aux démarches du sympathique jeune homme, bien fait de sa personne et bien mis. La politesse verbale est de rigueur, avec des phrases simples, dépourvues de toute vulgarité. Même les remarques sur les qualités du postérieure de l’actrice restent très respectueuses, simplement admiratives de son anatomie, sans que ledit cliché ne soit donné à voir au lecteur (ce n’est pas ce genre de bande dessinée). Les dessins relèvent d’un registre descriptif et réaliste. L’artiste sait croquer les visages, et reproduire les ressemblances avec de acteurs célèbres de cette époque. Il donne un air sympathique à chaque personnage, des expressions de visage parfois un peu appuyées, sans aller jusqu’à la caricature, relevant plus d’un registre naturaliste. Il effectue une reconstitution historique impeccable de la France de ces années-là, depuis le célèbre modèle de voiture de la 4CV, jusqu’aux tenues vestimentaires. Chaque page se lit avec facilité, dégageant une sensation agréable de bienveillance entre les différentes personnes, même quand elles professent des idées opposées sur un sujet, par exemple sur le cinéma.
D’une certaine manière, le lecteur se laisse porter par la gentillesse de la narration visuelle, sans y prêter forcément beaucoup d’attention. De temps à autre, il sent son regard ralentir pour prendre le temps de profiter d’un décor, ou d’une mise en scène. Julie resplendissante dans sa robe, le café des Sports plus vrai que nature avec son juke-box, sa table de billard et son zinc, les habitants marchant à la suite du maire dans la rue principale de Trougnac pour se rendre au bâtiment abritant le cinéma, les motifs du papier peint au mur de la salle de réunion de la mairie, le modèle du projecteur dans la salle technique du cinéma, le superbe château et sa décoration intérieure, le match de foot opposant Trougnac à Poil, la décoration apparaissant comme vieillotte de la chambre d’hôtel, la foule vengeresse se dirigeant vers le château de monsieur le duc, etc. Tout apparaît naturel, plausible et évident.
Cette narration fluide et sympathique finit par être victime de ses propres qualités : le lecteur sent bien que l’intrigue restera inoffensive, que les comportements intéressés des habitants sont montrés comme des réactions plutôt naturelles aux opportunités que le tournage d’un film dans leur ville fait miroiter, et même à la possibilité de voir en vrai Jean Gabin, et Brigitte Bardot. Le scénariste glisse quelques indices discrets (et faciles à repérer) pour attirer l’attention du lecteur sur un questionnement légitime. Et voilà. Pas tout à fait, le récit va plus loin qu’un simple hommage élégant et fidèle à l’esprit des films de cette époque. Quelques rares voix s’élèvent pour s’opposer au tournage du film à Trougnac. Ce qui conduit Monsieur le Duc à exprimer son avis sur le cinéma, en tant que forme d’expression artistique. Il s’exprime ainsi : Mais, le cinéma ! ça, c’est stimulant ! Oui, il est universel ! Parce qu’il permet à chacun, peu importe sa condition, de s’identifier à ses héros, et de rêver d’être quelqu’un d’autre. Le cinéma possède cette intelligence de pouvoir refléter la conscience des hommes, puis de la dépasser pour s’approcher du mythe, d’arrêter le cours du temps, de le remonter, voire de le deviner, et de procurer au plus vieux des spectateurs, la douce sensation d’être redevenu un enfant, de sonder la cruauté de la création, d’indigner, d’interroger, de s’évader, de faire rire, rêver, pleurer, réfléchir. Le lecteur est alors amené à reconsidérer cette histoire en intégrant cette façon de voir les choses, ce credo.
Un hommage enamouré au cinéma français des années 1950. Les auteurs réalisent un récit dont leur admiration pour ce cinéma imprègne chaque page, avec une réelle reconnaissance, une réelle compréhension de ses spécificités. Le lecteur se retrouve transporté comme par enchantement dans une petite ville de province, aux côtés de Conrad Knapp effectuant un repérage pour le prochain film de Bardot & Gabin. Il se trouve rasséréné par l’accueil bienveillant et généreux des habitants, par les étoiles dans leurs yeux à l’idée que le cinéma vienne à leur commune. Il s’immerge dans cette évocation intelligente, qui en restitue l’esprit. Une autre époque, plus insouciante.
Cela faisait longtemps que je voulais lire cet album. La récente réédition des éditions Tanibis m’a permis d’enfin le découvrir (si la plupart du temps je salue les choix de Tanibis, je trouve que l’ancienne couverture était plus fidèle au contenu que celle choisie ici). Eh bien, malgré quelques longueurs, et un texte parfois trop abondant (mais aussi des vignettes un peu petites), c’est une lecture plaisante.
Le dessin est simple et tout mignon, la colorisation est volontairement vieillotte. Pas désagréable. D’autant plus que ça participe de l’ambiance créée par Briggs.
Si le début est un peu poussif, ça devient rapidement amusant. Pour les dialogues hors-sol du couple bien sûr. Mais aussi pour le délire survivaliste du pauvre de Monsieur.
Au travers de cette histoire loufoque, Briggs s’en prend à l’atmosphère d’hystérie qui a pu, à plusieurs reprises, faire perdre toute raison à pas mal de monde durant la guerre froide.
J’ai préféré la première partie du récit, où l’humour domine. Aux délires de monsieur, aux échanges entre monsieur et madame, s’ajoute un vocabulaire mal maîtrisé, qui accentue le ridicule de l’ensemble.
La suite escamoté l’humour au profit d’une noirceur omniprésente. J’ai moins aimé cette partie.
Note réelle 3,5/5.
Décidément Jim Bishop propose des séries originales qui invitent à une belle réflexion pour poursuivre la lecture. J'ai toutefois été un peu moins séduit que par ses Lettres perdues qui résonnaient bien plus avec mon propre vécu. Je ne connais pas Le Château ambulant ni "le Château de Hurle" dont se serait inspiré Bishop. Pour autant j'ai cru y lire d'autres pistes qui m'ont beaucoup intéressé.
Certain-es aviseur-es y lisent classiquement une histoire d'amour multiforme. Mais où se trouve cet amour puisque les relations Cléa/Pierrot ou Cléa/Berthier sont bâties sur des mensonges. De même où est la liberté de Pierrot ou de Cléa réduits à la surveillance d'un être hybride, superposé pourrait dire Schrödinger. Si l'amour est vérité alors seul l'amour de la fée pour Berthier éclaire le récit.
Par contre j'ai aimé le côté Faustien du récit même si Bishop fait l'impasse sur les origines du Pacte. Comme dans l'œuvre de Goethe, c'est la confrontation entre la pensée( Pierrot) et l'action (Berthier) qui domine. Le personnage de Cléa qui navigue de l'un à l'autre est ainsi très ambigu jusque dans un final qui ne nous dit pas si elle vole de ses propres ailes ou assujettie à un autre pacte que le pacte social souscrit avec Berthier. Le personnage de Schrödinger n'est pas superflu puisqu'il renvoie à la célèbre expérience de pensée avec son chat mort et vivant (voir Quantix).
Je trouve là un scénario d'une grande intelligence qui propose au lecteur un voyage dans une superposition d'états parfois inconciliables.
Le graphisme est très plaisant. Bishop emprunte à différents styles manga et franco-belge pour fournir un trait original et très expressif. Ses couleurs pastels et lumineuses créent un fort décalage entre cette idée de rêve de conte de fée avec un contenu d'une réalité agissante bien plus angoissante.
Une très belle lecture qui a ravi ma pensée plus que mes émotions.
Personne ne peut survivre aux tableaux. Eux, sont éternels.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, focalisée sur le musée d’Orsay. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Manuele Fior, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il compte soixante-quatre pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de quatre pages recensant les onze principales œuvres mises en scène dans l’ouvrage : le Métropolitain (1901) par Hector Guimard, Banquette de fumoir (1897) par Guimard, La gare Saint-Lazare (1877) par Claude Monet, la gare d’Orsay (construite entre 1901 et 1925), La charmeuse de serpents (1907) par Henri Rousseau, Repasseuses (entre 1884 et 1886) par Edgar Degas, Sémiramis construisant Babylone (1861) par Degas, Portrait de l’artiste au Christ jaune (1890-91) par Paul Gauguin, Romains de la décadence (1847) par Thomas Couture, La Source (1856) par Jean Auguste Dominique Ingres, Une moderne Olympia (1873-74) par Paul Cézanne.
En 1900, Gisèle sort en courant de la station de métro appelée Le Début, avec son habillage de Hector Guimard, en appelant son amie Odile. Elle pénètre dans la gare d’Orsay, en continuant à se demander où son trouve son amie. Enfin elle la repère : Odile et Gisèle tombent dans les bras l’une de l’autre, la première souhaitant un bon anniversaire à la seconde. Cette dernière fait le constat qu’il aura fallu attendre l’exposition universelle de 1900 pour faire quitter sa campagne à la première. Elles sortent, prêtes à visiter Paris, tout en estimant que la gare qu’elles quittent est la plus belle de France.
Au temps présent, les visiteurs déambulent dans le musée d’Orsay, écoutant leur audioguide. L’un évoque l’architecte italienne Gae Aulenti qui a été désigné en 1980 pour transformer le musée. Un autre présente Rousseau, peintre autodidacte et naïf qui n’a que très peu voyagé. Le commentaire continue : La plupart de ses jungles ont été réalisées au muséum national d’histoire naturelle et dans la grande serre du jardin des Plantes. Pourtant, dans cette Charmeuse de serpents, tout est nouveau. Le sujet d’abord. Une Ève noire, dans éden inquiétant… La gardienne assise à côté du tableau interpelle le visiteur, en lui rappelant de ne pas se tenir trop près du tableau. Elle explique qu’il s’agit d’une œuvre très fragile. Devant la grimace du visiteur, elle ajoute que ce n’est pas elle qui fait les règles. Il s’en va agacé. La gardienne lit la notice : Une asymétrie novatrice figée dans un étrange silence, La charmeuse de serpents annonce les rêves surréalistes à venir. En son for intérieur, elle se dit que ce tableau est trop moche, qu’on dirait la peinture d’un gamin de quatre ans. Elle ferme les yeux, et dans son esprit, une cigogne s’envole au-dessus d’une large étendue d’eau calme. Après avoir volé à l’horizontal, elle s’élève dans les airs. Assise sur un fauteuil devant le lac paisible, une femme noire se parle à elle-même. Elle est la gardienne de ce musée. Et elle connaît ce lieu depuis longtemps. Les œuvres, les coulisses, les passages interdits au public. Les codes de sécurité. Surtout, elle connait les artistes. Ils l’aiment tous. Ils sont tous à ses pieds. Henri. Claude. Auguste. Paul. Edmond. Edgar.
Voici une bande dessinée estampillée Musée d’Orsay, publiée par Futuropolis, dans le cadre d’un partenariat avec cet établissement qui comprend également L'Art d'en bas au musée d'Orsay: La fantastique collection Hippolyte de L'Apnée (2016) de Plonk & Replonk, Les Disparues d'Orsay (2017) de Stéphane Levallois, Moderne Olympia (2020) de Catherine Meurisse. L’horizon d’attente du lecteur comprend donc une déclaration d’amour à ce musée. L’auteur tient cette promesse. Il cite et incorpore les œuvres citées ci-dessus. Il met en scène des artistes, essentiellement du courant impressionniste : Edgar Degas (1834-1917), Auguste Renoir (1841-1919), Camille Pissarro (1830-1903), Berthe Morisot (1841-1895), Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867). Il met également en scène Paul Valéry (1871-1945). Il montre quelques aspects du bâtiment du musée, évoquant sa fonction de gare, et le représentant dans sa fonction de musée. Lors d’une séquence de quatre pages, le lecteur accompagne un personnage qui descend à la chaufferie, située dans le sous-sol, puis dans les réserves qui contiennent de nombreux dessins. Les images appartiennent à un registre descriptif et réaliste, avec un degré significatif de simplification, la mise en couleurs venant donner de la consistance aux éléments représentés.
En découvrant le début, le lecteur n’est pas trop sûr du mode d’hommage dans lequel l’auteur va se situer. Indéniablement, le bédéiste connaît le musée et il affiche une préférence pour certaines œuvres. En particulier pendant plusieurs pages, son personnage central est Edgar Degas (1834-1917). La narration visuelle se révèle être assez sophistiquée, s’adaptant à la nature de chaque scène, capable de restituer l’apparence de personnages connus, de tableaux de maître et de l’architecture du musée. En fonction de sa familiarité avec eux, le lecteur peut apprécier la ressemblance d’artistes tels que Degas, Ingres, ou encore Pissarro, Renoir et Berthe Morisot, dans dessins dépourvus de trais de contour, évoquant une technique ressemblant à du crayon gras. En fonction du moment et de leurs occupations, le dessinateur peut se focaliser sur le visage des personnages en plan poitrine ou en gros plan s’ils sont en train de discuter assis ou attablés, ou bien en train de vaquer à leurs occupations. Le lecteur apprécie leur expressivité et leur naturel, sans exagération de leurs expressions. Il se rend compte que l’air de rien l’artiste sait capturer des moments fugaces ou faire ressortir un geste particulier : un homme avec l’audioguide à l’oreille, la légère lassitude de la gardienne toujours confrontée aux mêmes comportements et effectuant les mêmes rappels, un personnage jouant du pipeau, un homme paressant au lit, une jeune femme morte dans son lit après une intoxication avec un mélange d’opium et de térébenthine, le regard condescendant d’un bourgeois raillant le manque de talent d’un artiste impressionniste, un vif direct du droit, un homme mordant une femme à la cheville, Gauguin montrant ses plaies aux pieds, ou encore une jeune femme allongée vêtue uniquement de bas serrant une panthère noire contre elle, etc.
Dans un premier temps, il est possible que le lecteur ne discerne pas le fil directeur du récit. D’une séquence à l’autre, l’auteur passe des visiteurs du musée au temps présent, au tableau de la Charmeuse de serpents, au personnage central de ce tableau qui soliloque au profit du lecteur, à Degas rendant visite à Ingres, au tableau Sémiramis construisant Babylone, à la femme de ménage d’Ingres qui lui présente sa fille qui va servir de modèle à La Source, à une discussion dans un café entre Degas, Renoir, Pissarro et Morisot, puis au premier salon des Impressionnistes, pour déambuler ensuite dans les sous-sols du musée. Le lecteur détecte deux personnages principaux : Edgar Degas et la Charmeuse de serpents. Il constate que l’auteur accorde une importance primordiale aux Impressionnistes, avec une poignée de cases s’inspirant de leurs toiles : par exemple Impression, soleil levant, (1872) de Claude Monet (1840-1926), ou encore le portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes (1872) d’Édouard Manet. Il consacre une séquence également à la Première exposition des peintres impressionnistes (1874), avec une bagarre entre des visiteurs et des artistes. Il revient sur l’appellation même de ce mouvement : Impressionnistes pour les dénigrer, Indépendants pour Degas, Intransigeants pour les autres peintres. Il rappelle les propos insultants proférés à l’encontre de leurs œuvres par les visiteurs, ainsi que l’hétérogénéité des différentes toiles produites sous cette appellation, montrant aussi la sculpture La petite danseuse de 14 ans, de Degas.
L’autre personnage principal surprend : il s’agit de la Charmeuse de serpents, du tableau du même nom du douanier Rousseau (Henri Rousseau, 1844-1910), représentant majeur de l’art naïf. Celle-ci annonce être la gardienne du musée. Elle assure la transition en indiquant qu’il est temps pour Edgar (Degas) de se lever. Elle revient à plusieurs reprises dans le récit. Tout d’abord pour des considérations sur la postérité de ces tableaux, contrastant avec le caractère mortel des artistes : Ces pauvres embobinés, célébrés, ridiculisés, ou bien ignorés de leur vivant, à présent empaillés dans les salles, ils sont devenus une attraction mondiale. Plus loin, elle se promène dans les sous-sols du musée pour mettre en évidence la fragilité des œuvres (obligation de la régulation de la température avec une variation inférieure à trois degrés), en la rapprochant aux souffrances physiques endurées par les artistes. Enfin, elle évoque la fin des maîtres et de l’art, des œuvres, des expositions et des salons, la fin des catalogues, des souvenirs et des audioguides. Elle établit que personne ne peut survivre aux tableaux, et que, eux, sont éternels. Insupportable n’est-ce pas ? Visuellement, un visiteur contemple un tableau de Degas : Sémiramis construisant Babylone, induisant un parallèle entre cette œuvre et la construction du musée d’Orsay, ainsi que sa fonction.
Chanter les louanges d’un musée et mettre en scène l’importance que ce lieu et les œuvres qu’il abrite ont pu avoir sur sa propre vocation artistique et sa propre pratique : Manuele Fior se prête au jeu, avec une vraie personnalité. Ces images rendent hommage aux œuvres et à l’ambiance du musée, avec sensibilité, sur la base de choix clairs, les Impressionnistes et le Douanier Rousseau. La narration semble papillonner d’une scène à une autre, agréables pouvant sembler arbitraires dans un premier temps. Progressivement il apparaît que l’ouvrage est construit pour développer deux thèmes : l’impressionnisme, et la pérennité des œuvres d’art. Enchanteur et troublant.
Malgré ce que pourrait laisser penser le résumé, « Les Météores » n’a rien du récit catastrophe, et c’est même tout l’inverse. Ici, on serait plutôt dans le registre intimiste, avec une galerie de personnages dont les vies ressemblent tellement aux nôtres… La météorite qui menace la Terre n’est là qu’en toile de fond, comme une métaphore de leurs trajectoires aussi brèves qu’imprévisibles…
Dans cette glaciale atmosphère ouatée à la « Fargo » où la neige est omniprésente, évoluent des protagonistes aux prises avec la dure réalité du quotidien. Il y a d’abord Floyd, employé comme magasinier dans l’Aeki du coin (on aura facilement reconnu l’allusion à la multinationale suédoise de l’ameublement…). Ce doux géant atteint d’un trouble cérébral qui altère sa mémoire va croiser à un arrêt de bus la route de Hollie, une infirmière itinérante qui visite des particuliers âgés et invalides. Deux personnages qui représentent le point de départ de cette histoire où, à vrai dire, il ne se passe pas grand-chose — on n’aura même pas droit au crash de la météorite, et ce n’est guère spoiler que de le dire… Mais s’il ne se passe pas grand-chose, c’est en apparence uniquement, car l’histoire expose une diversité de portraits bien dessinés psychologiquement, des personnages qui nous semblent si familiers, confrontés à la solitude ou à l’incommunicabilité, avec des préoccupations et des réflexions qui jouent comme révélateurs de leur psyché. Au fil des pages se dessinent leurs cicatrices ou leurs blessures qui ne sont jamais vraiment refermées, peut-être si profondes qu’ils ont opté pour le déni, comme ce patient raciste, arc-bouté dans une posture de provocation vis-à-vis de Hollie, qui visiblement n’a pas la bonne couleur de peau...
Rien de spectaculaire ici sur le plan de l’action, non, mais ces personnages sont si réalistes qu’ils nous touchent et nous bousculent, comme si Deveney avait voulu nous tendre une sorte de miroir, évitant toute caricature, pour mieux faire ressortir le monde dans lequel nous vivons, un monde impitoyable où l’empathie est une denrée rare, où les rapports humains, quand ils sont caractérisés par la bienveillance, s’avèrent la seule richesse de nos existences éphémères, a fortiori lorsqu’on se retrouve seul face à notre mort inéluctable. En filigrane, « Les Météores » est aussi une dénonciation d’un capitalisme insatiable, représenté par la chaîne de magasins Aeki. Celle-ci, sous couvert d’une gestion RH en mode « team building », qui n’est rien d’autre qu’une mise à jour condescendante du paternalisme d’autrefois, ne fait que calquer sa politique corporate sur de jolis graphiques excel visant à une croissance sans fin, en faisant passer au second plan le bien-être et la sécurité de ses salariés.
Très en phase avec le propos, le trait délicat et élégant de Redolfi s’accompagne d’un cadrage qui souligne avec subtilité la posture des corps et l’expressivité des visages, faisant émerger sans pathos inutile l’émotion chez le lecteur. Les couleurs sont sobres, et si elles n’ont rien de chatoyant, collent parfaitement à l’ambiance hivernale et mélancolique du récit.
Judicieusement récompensé par le prix spécial du jury à Angoulême, « Les Météores » est un récit choral de haute qualité, d’une grande profondeur, où chaque personnage n’est jamais là par hasard, où chacun a son importance. Et pour paraphraser Maggie, cette vieille dame au seuil de la mort, c’est un livre qui ne se contente pas « de vous raconter une histoire avec un début et une fin ». C’est un livre qui s’efforce de ressembler à la vie, où « il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires », où chaque existence, si insignifiante soit-elle en apparence, est riche de sens. En ce sens, la choralité est peut-être la forme de narration la plus moderne, car aujourd’hui — on devrait commencer à s’en rendre compte —, les héros n’existent pas et les sauveurs non plus, pas davantage que le Père Noël. La solution est en nous, dans l’effort que nous fournirons pour nous mettre dans la peau de l’autre et pour faire s’épanouir notre humanité, parce qu’assurément, la réponse à nos maux ne pourra être que collective. Et sans ça, on est foutus. A moins, bien sûr, que le ciel ait décidé de nous tomber sur la tête avant…
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Gloutons & Dragons
Je n'avais pas envie de lire cette série parce que je ne suis pas du tout intéressé par tout ces mangas qui parlent de gastronomie, même si celui-ci se passe dans un univers de fantasy. Et puis j'ai lu sur internet d'excellentes critiques sur la série et j'ai fini par la lire. Au début j'étais à moitié convaincu, les personnages sont attachants et le dessin est bon, mais le mixe entre la fantasy et la gastronomie me semblait un peu bizarre et les passages où on explique les bienfaits d'une alimentation saine ou comment préparer un bon repas sont un peu ennuyeux. Puis au fil des tomes, le scénario devient plus complexe, et à mesure que l'on a des informations sur cet univers et sur la vie passée des personnages je me suis rendu compte que l'autrice maitrisait bien son scénario. Elle a créé un monde plutôt original dans ce donjon même si elle utilise les éléments récurrents de ce genre (des elfes, des nains, des filles-chattes...). Il y a beaucoup de surprises dans ce récit qui passé les premiers tomes est très prenant et au final le mélange univers de fantasy de type RPG et la gastronomie fait plein de sens et est bien exploité dans les derniers tomes. Contrairement à pleins d'autres séries de manga qui me lassent après quelques tomes, cette série s'améliore au fil des tomes. Une des meilleures séries de fantasy japonaise que je connaisse !
Les Jumeaux de Conoco Station
Personnellement j'ai bien apprécié cette petite série qui m'a souvent fait sourire. Un sourire crispé par moment tellement Duchazeau charge le portrait de ces jumeaux plus rednecks que nature. J'y ai lu comme un négatif des "Blues Brothers" avec certaines scènes où les amateurs de Country ne sont pas à leur avantage. Perso j'aime assez ce mélange de violon et de banjo qui procure une sonorité séduisante. Duchazeau en grand amateur de musique US ne peut pas faire le procès de ce genre mais plutôt de la farce cruelle qui s'est jouée sur les bords de la mythique route 66 dans certains endroits où la justice était à géométrie variable. Woody et Jerry m'ont souvent fait penser à des doubles bêtes, méchants et cruels à l'extrême de nos sympathiques Dupondts. Duchazeau s'en donne à cœur joie pour faire le pamphlet cette Amérique inculte et violente. La caricature est extrême et partiale mais elle m'a souvent fait sourire. On lit certaines répliques aux second degré de bêtise crasse des personnages. Duchazeau propose son crayonné en N&B qui rend particulièrement bien cette ambiance isolée et poussiéreuse de l'Oklahoma. Le dessin est faussement simple car il fourmille de petits détails qui donnent une ambiance parfaitement réussie. Que ce soit pour Conoco ou pour Nashville j'ai admiré la finesse des détails des bâtiments et des extérieurs. Une lecture qui nous plonge dans une bouffonnerie cruelle qui n'est pas sans parenté avec Ubu. 3.5
The Song about Green
La première BD de Gao Yan, une jeune taïwanaise qui s'est inspirée de son amour de l'écriture, de la musique et d'un voyage au Japon (pour acheter l'album Kasemachi Roman), pour se lancer dans ce projet graphique. Elle avait déjà réalisé, en auto-édition, une première version de 32 pages de cette histoire. Mais c'est après avoir illustrée une couverture d'un roman de Haruki Murakami qu'elle l'étoffe pour atteindre plus de 500 pages. J'ai dévoré ces 2 tomes en un après-midi, une lecture cocooning pour un instant suspendu. C'est l'histoire de Lu, une jeune fille d'une vingtaine d'années qui étudie à Taipei. Une jeune fille timide et introvertie qui a un rapport viscérale avec la musique et l'écriture. Elle va faire la connaissance d'un jeune homme, Nanjun, et ils vont se découvrir des goûts communs (il est musicien dans un groupe) qui vont les rapprocher. Le début d'une belle amitié, mais Lu, doucement, va ressentir bien plus que cela. Je vais mettre en garde de suite, si vous cherchez de l'action, passez votre chemin. Nous avons ici un récit intimiste sur les premiers émois de Lu, avec en caisse de résonance la pop culture japonaise. Un récit duveteux, tendre et amer. Lu est touchante et attachante. Mais c'est surtout l'ambiance musicale qui m'a marqué, avec la découverte de nombreux artistes de la scène japonaise (il y a plein de bonnes surprises). Une narration globalement maîtrisée, un bémol sur certains passages un peu trop long à mon goût et sur l'apparition de l'amie providentielle. Mais rien de bien gênant. Je lis peu de manga, la faute à un graphisme qui ne me convient pas d'ordinaire. Ce n'est pas le cas sur ces deux albums. Le trait de Gao Yan est délicat et d'une finesse extrême. Les personnages sont beaux, les décors magnifiques (en particulier ceux des concerts) et les longs moments de silence font passer les émotions. Superbe. Un 4 étoiles pour le dépaysement, pour la découverte de la pop culture japonaise et pour la sincérité qui émane de Lu.
De pierre et d'os
Dans ces lieux coupés du monde, un univers à part fait de glace, de neige et de roc, il est impossible de préciser une date... sans doute quelque part au 19e siècle. Il fait nuit, toute la famille dort sous l'abri de leur grand igloo quand Uqsuralik se lève et sort pour constater qu'elle a ses premières règles. Au même moment, la mer se déchaine et brise la banquise, séparant la jeune femme de sa famille qui part à la dérive sur la glace. Son père a tout juste le temps de lui lancer une peau d'ours et un harpon qui malheureusement se brise à l'impact. Uqsuralik n'a plus que cela et la compagnie d'un petit groupe des chiens de traineau de sa famille pour survivre dans l'hiver qui est encore loin de se terminer. C'est le début d'un périple pour la survie puis pour son existence elle-même de cette femme inuite que l'on va suivre sur les nombreuses années durant lesquelles elle nous fera découvrir la rudesse du quotidien dans le grand Nord, face aux éléments, face aux hommes et au destin. Et à travers elle, nous découvrirons la culture Inuite, en particulier ses mythes shamaniques qui font partie intégrante de leur façon d'agir et de penser, en accord avec la Nature et les esprits. De pierre et d'os est l'adaptation d'un roman de Bérengère Cournut, autrice dont les multiples oeuvres se focalisent souvent sur les peuples rares du monde, et leur rapport à la nature et à la spiritualité. Bien documentée, elle fait revivre de l'intérieur la culture et les traditions inuites, et nous entraine dans le conte d'une vie entière, faite de danger et d'épreuves, mais aussi de soulagements, de bonheur, d'amour, et d'un fort rapport au shamanisme et aux esprits. Jean-Paul Krassinsky met le récit en image dans un style à l'aquarelle empreint de beauté, de réalisme et d'onirisme. Le format presque carré de l'album permet des planches qui sortent des sentiers battus, emplies d'ambiance, de décors de glace, de neige et de nuit, mais aussi de réconfort et de la chaleur des abris humains. Sa manière semi-réaliste de dessiner les humains apporte une touche de légèreté qui contrebalance l'austérité du récit et rend plus amène et fluide la lecture, l'éloignant d'un documentaire aride. Il y a une vraie intensité dans ces planches. C'est une plongée dépaysante dans un univers visuel qui rend parfaitement hommage à la beauté cruelle de l'Arctique et au monde Inuit et à sa culture. L'album est long, son contenu souvent cruel et malheureux, mais c'est aussi le récit d'une vie, de la vie en général, avec d'innombrables moments de beauté, de bonheur simple malgré la tourmente, de force et d'émotion. Le personnage d'Uqsuralik est particulièrement judicieux car c'est à la fois une femme faible face aux éléments et à la volonté des hommes mauvais, mais aussi une personne intelligente, bonne chasseuse grâce à l'enseignement de son père, très consciente du monde qui l'entoure et de ses légendes, et compensant ses faiblesses par de la méfiance, de la méthode et beaucoup de courage et de volonté. On s'attache à elle et à travers elle à son peuple et à son monde, avec l'envie qu'elle trouve enfin le bonheur, pour elle et la famille qu'elle se construit. J'ai été proprement transporté par ce récit, intense et beau, exotique et instructif. C'est le récit d'un parcours humain, avec des émotions fortes et qui ont su me toucher, voire me mettre la larme à l'œil, larme de bonheur comme d'amertume. Et d'ailleurs, j'aurais presque préféré que le récit s'arrête avec son épilogue car cette fin là était à mes yeux bien plus émouvante que les quelques pages d'épilogue qui la suivent. C'est ma BD de l'année 2025 jusqu'à présent !
Les 4 morts de Betty Page
Personnellement j'ai apprécié ce thriller classique mais bien construit autour du personnage de Betty Page. La narration est fluide et l'enquête pas à pas des deux lieutenants n'est pas expédiée en trois planches grâce à une découverte inespérée. La série hésite souvent entre le thriller et l'érotique avec la profusion de scènes de nues. Cela est compréhensible puisque Betty anime un spectacle de striptease. Comme au Crazy horse les canons pour participer au spectacle sont assez restrictifs et correspondent à un fantasme sexué de l'imaginaire masculin. Toutefois j'entends la réserve de certains avis car les auteurs insistent sur le sujet avec des scènes superflues de la vie familiale et intime des lieutenants de police. De même Rodolphe propose un récit soft malgré l'horreur des crimes mais ce parti pris donne une ambiance légère et pas sordide qui me convient bien. Le graphisme de Bignon donne un travail précis sur l'ambiance du NY des années 50 avec un beau rendu des costumes, des ruelles ou des bars de l'époque. Les cadrages sont bons et cela donne un visuel dynamique, seule la mise en couleur n'est pas séduisante. Une note un peu généreuse pour un récit récréatif à mon goût.
Les Fesses à Bardot
Le cinéma est une allégorie, mon cher Léonce. L’allégorie de la condition humaine ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Philippe Pelaez pour le scénario et les dialogues, épaulé par Gaël Séjouné, par ce dernier pour la mise en cases, en images et en couleurs, soutenu par le premier. Il comprend cent-cinquante-quatre pages de bande dessinée. Prologue : à Trougnac. Au volant de sa Renault 4CV, Conrad Knapp traverse une région boisée de la campagne française. Il s’arrête devant le panneau d’entrée de la ville de Trougnac, et il interpelle Fernand et Ginette, un vieux couple de paysans, leur demandant s’il y aurait par le plus grand des hasards, une salle de cinéma dans leur village. L’homme lui répond que Trougnac est un peu plus qu’un village, presque trois mille habitants, une équipe de foot et même une pharmacie. Presque, parce que tant qu’ils n’ont pas les trois mille, ils peuvent faire une croix sur la pharmacie. À la suite de l’intervention de son épouse, il explique au conducteur que Poil est le village d’à côté, qu’ils ne s’appellent pas des Poilus, qu’ils préfèrent être appelés des Pictiens, mais ça n’empêche pas les autres de les taquiner un peu, surtout aux matchs de football. Comprenant qu’il n’obtiendra pas de réponse à sa question, Knapp les plante là, et il entre dans le village. Chapitre un : Au café. Ayant avancé un peu dans la grande rue, Conrad Knapp hèle une jeune femme dans une jolie robe à pois blancs, avec un généreux décolleté. Il lui pose la même question : y aurait-il une salle de cinéma dans son village ? Elle répond avec le sourire que oui, c’est l’Éden, à l’Est. Elle ajoute : On ne peut pas le rater, il est juste à côté de l’église, ce n’est pas une grande salle, mais on peut y voir tous les films récents. Elle cite : Le beau serge, En cas de malheur, Maigret tend un piège. Il propose : Et ta sœur ? Et il dissipe le malentendu : il parle du film avec Pierre Fresnay. Elle ajoute que l’Éden c’est le duc qui l’a fait construire. Knapp se dit que ce trou a un duc. Conrad Knapp pénètre dans le café des Sports, et se rend au comptoir, alors que les habitués continuent leurs discussions : sur le scandale du bikini, sur le fait qu’il n’y a plus que des films avec des femmes à moitié nues, et que la télévision est plus accessible, même s’il n’y a peut-être qu’une vingtaine de postes ici. Madame Garnier estime que les films ont une influence néfaste, en particulier quand on voit cette diablesse blonde se trémousser sur la table là, cette dévergondée, cette… Knapp intervient dans la conversation pour en énoncer le nom : Brigitte Bardot. Toutes les conversations s’interrompent d’un coup. Il continue : Avec également Jean-Louis Trintignant et Curd Jürgens, tourné à Nice et à Saint Tropez, interdit aux moins de seize ans à sa sortie une heure et trente-deux minutes de plaisir. Répondant à une question, il précise qu’il était sur le tournage. Il enchaîne en commandant une autre Suze. Simone indique à son mari Maurice Garnier qu’il est temps qu’ils s’en aillent, et ils sortent accompagnés par le curé. Quand bien même il n’aurait pas identifié la pose dans la couverture (une évocation de l’affiche de En cas de malheur), le lecteur comprend rapidement que les auteurs rendent hommage au cinéma français des années 1950. La bande dessinée se compose de douze chapitres et d’un prologue, chacun comprenant une page de titre avec un extrait de dialogue, issu d’un film de cette époque. Il est ainsi fait mention de Les Vieux de la vieille (1960) de Gilles Grangier (1911-1996), La traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Série noire (1955) de Pierre Foucaud (1908-1976), Roman d’un tricheur (1936) de Sacha Guitry (1885-1957), Un singe en hiver (1962) d’Henri Verneuil (1920-2002), Les grandes familles (1958) de Denys de la Patellière (1921-2013), Le petit monde de Don Camillo (1952) de Julien Duvivier (1896-1967), Et Dieu… créa la femme (1956) de Roger Vadim (1928-2000), L’auberge rouge (1951) de Claude Autant-Lara (1901-2000), En cas de malheur (1958) de Claude Autant-Lara (1901-2000), Ascenseur pour l’échafaud (1958) de Louis Malle (1932-1995). Si Brigitte Bardot n’apparaît pas dans le récit, Jean Gabin (1904-1976) y joue un rôle le temps d’un des chapitres. Le lecteur se rend compte que les auteurs intègrent d’autres hommages, par exemple les bons mots (Knapp faisant observer que : Alors comme ça ce trou a un duc…), ou une affiche du film Ni vu ni connu (1958) d’Yves Robert (1920-2002). Petite entorse aux références françaises, un homme à la scène de la populace criant vengeance dans le film Frankenstein (1931), de James Whale (1889-1957). En fonction de sa culture dans ce domaine, le lecteur peut relever d’autres références au cinéma de ces années-là, par exemple le nom de l’auteur du scénario du film fictif Tout est bon à prendre : Pierre Bost (1901- 1975), scénariste entre autres de Le Diable au corps (1947), La Traversée de Paris (1956), La Jument verte (1959). Ou à d’autres éléments culturels (il finit par associer le prénom de la dame stricte, Simone, au nom de famille de son époux, prononcé un peu après, Garnier). Il peut aussi considérer ce récit seulement comme une comédie romantique dans la France de la fin des années 1950, ce qui lui enlève un peu de saveur. L’intrigue repose sur l’arrivée de ce jeune homme appartenant au milieu du cinéma et expliquant qu’il vient en repérage dans le village pour un projet de film dans lequel devraient tourner Brigitte Bardot et Jean Gabin. Forcément, ça éveille l’intérêt de la plupart des notables, des commerçants et des habitants. Dans le déroulé du récit, le jeune homme rencontre une douzaine d’habitants, tous emblématiques comme le maire, le curé, le patron du café, le responsable du cinéma et sa fille magnifique, le duc, l’aubergiste et sa fille, le boulanger, et quelques personnes très alléchées par la perspective d’avoir un petit rôle dans le film à venir. Chaque chapitre porte le nom d’un endroit différent et met en scène Conrad Knapp dans ses relations avec les habitants : Au café, Au cinéma, À la mairie, Au village, Au château, au téléphone, Au stade, Au bal, Au comité, À l’église, et enfin deux titres plus révélateurs de l’intrigue. Le lecteur s’attache donc aux pas et aux démarches du sympathique jeune homme, bien fait de sa personne et bien mis. La politesse verbale est de rigueur, avec des phrases simples, dépourvues de toute vulgarité. Même les remarques sur les qualités du postérieure de l’actrice restent très respectueuses, simplement admiratives de son anatomie, sans que ledit cliché ne soit donné à voir au lecteur (ce n’est pas ce genre de bande dessinée). Les dessins relèvent d’un registre descriptif et réaliste. L’artiste sait croquer les visages, et reproduire les ressemblances avec de acteurs célèbres de cette époque. Il donne un air sympathique à chaque personnage, des expressions de visage parfois un peu appuyées, sans aller jusqu’à la caricature, relevant plus d’un registre naturaliste. Il effectue une reconstitution historique impeccable de la France de ces années-là, depuis le célèbre modèle de voiture de la 4CV, jusqu’aux tenues vestimentaires. Chaque page se lit avec facilité, dégageant une sensation agréable de bienveillance entre les différentes personnes, même quand elles professent des idées opposées sur un sujet, par exemple sur le cinéma. D’une certaine manière, le lecteur se laisse porter par la gentillesse de la narration visuelle, sans y prêter forcément beaucoup d’attention. De temps à autre, il sent son regard ralentir pour prendre le temps de profiter d’un décor, ou d’une mise en scène. Julie resplendissante dans sa robe, le café des Sports plus vrai que nature avec son juke-box, sa table de billard et son zinc, les habitants marchant à la suite du maire dans la rue principale de Trougnac pour se rendre au bâtiment abritant le cinéma, les motifs du papier peint au mur de la salle de réunion de la mairie, le modèle du projecteur dans la salle technique du cinéma, le superbe château et sa décoration intérieure, le match de foot opposant Trougnac à Poil, la décoration apparaissant comme vieillotte de la chambre d’hôtel, la foule vengeresse se dirigeant vers le château de monsieur le duc, etc. Tout apparaît naturel, plausible et évident. Cette narration fluide et sympathique finit par être victime de ses propres qualités : le lecteur sent bien que l’intrigue restera inoffensive, que les comportements intéressés des habitants sont montrés comme des réactions plutôt naturelles aux opportunités que le tournage d’un film dans leur ville fait miroiter, et même à la possibilité de voir en vrai Jean Gabin, et Brigitte Bardot. Le scénariste glisse quelques indices discrets (et faciles à repérer) pour attirer l’attention du lecteur sur un questionnement légitime. Et voilà. Pas tout à fait, le récit va plus loin qu’un simple hommage élégant et fidèle à l’esprit des films de cette époque. Quelques rares voix s’élèvent pour s’opposer au tournage du film à Trougnac. Ce qui conduit Monsieur le Duc à exprimer son avis sur le cinéma, en tant que forme d’expression artistique. Il s’exprime ainsi : Mais, le cinéma ! ça, c’est stimulant ! Oui, il est universel ! Parce qu’il permet à chacun, peu importe sa condition, de s’identifier à ses héros, et de rêver d’être quelqu’un d’autre. Le cinéma possède cette intelligence de pouvoir refléter la conscience des hommes, puis de la dépasser pour s’approcher du mythe, d’arrêter le cours du temps, de le remonter, voire de le deviner, et de procurer au plus vieux des spectateurs, la douce sensation d’être redevenu un enfant, de sonder la cruauté de la création, d’indigner, d’interroger, de s’évader, de faire rire, rêver, pleurer, réfléchir. Le lecteur est alors amené à reconsidérer cette histoire en intégrant cette façon de voir les choses, ce credo. Un hommage enamouré au cinéma français des années 1950. Les auteurs réalisent un récit dont leur admiration pour ce cinéma imprègne chaque page, avec une réelle reconnaissance, une réelle compréhension de ses spécificités. Le lecteur se retrouve transporté comme par enchantement dans une petite ville de province, aux côtés de Conrad Knapp effectuant un repérage pour le prochain film de Bardot & Gabin. Il se trouve rasséréné par l’accueil bienveillant et généreux des habitants, par les étoiles dans leurs yeux à l’idée que le cinéma vienne à leur commune. Il s’immerge dans cette évocation intelligente, qui en restitue l’esprit. Une autre époque, plus insouciante.
Quand souffle le vent (Briggs)
Cela faisait longtemps que je voulais lire cet album. La récente réédition des éditions Tanibis m’a permis d’enfin le découvrir (si la plupart du temps je salue les choix de Tanibis, je trouve que l’ancienne couverture était plus fidèle au contenu que celle choisie ici). Eh bien, malgré quelques longueurs, et un texte parfois trop abondant (mais aussi des vignettes un peu petites), c’est une lecture plaisante. Le dessin est simple et tout mignon, la colorisation est volontairement vieillotte. Pas désagréable. D’autant plus que ça participe de l’ambiance créée par Briggs. Si le début est un peu poussif, ça devient rapidement amusant. Pour les dialogues hors-sol du couple bien sûr. Mais aussi pour le délire survivaliste du pauvre de Monsieur. Au travers de cette histoire loufoque, Briggs s’en prend à l’atmosphère d’hystérie qui a pu, à plusieurs reprises, faire perdre toute raison à pas mal de monde durant la guerre froide. J’ai préféré la première partie du récit, où l’humour domine. Aux délires de monsieur, aux échanges entre monsieur et madame, s’ajoute un vocabulaire mal maîtrisé, qui accentue le ridicule de l’ensemble. La suite escamoté l’humour au profit d’une noirceur omniprésente. J’ai moins aimé cette partie. Note réelle 3,5/5.
Mon ami Pierrot
Décidément Jim Bishop propose des séries originales qui invitent à une belle réflexion pour poursuivre la lecture. J'ai toutefois été un peu moins séduit que par ses Lettres perdues qui résonnaient bien plus avec mon propre vécu. Je ne connais pas Le Château ambulant ni "le Château de Hurle" dont se serait inspiré Bishop. Pour autant j'ai cru y lire d'autres pistes qui m'ont beaucoup intéressé. Certain-es aviseur-es y lisent classiquement une histoire d'amour multiforme. Mais où se trouve cet amour puisque les relations Cléa/Pierrot ou Cléa/Berthier sont bâties sur des mensonges. De même où est la liberté de Pierrot ou de Cléa réduits à la surveillance d'un être hybride, superposé pourrait dire Schrödinger. Si l'amour est vérité alors seul l'amour de la fée pour Berthier éclaire le récit. Par contre j'ai aimé le côté Faustien du récit même si Bishop fait l'impasse sur les origines du Pacte. Comme dans l'œuvre de Goethe, c'est la confrontation entre la pensée( Pierrot) et l'action (Berthier) qui domine. Le personnage de Cléa qui navigue de l'un à l'autre est ainsi très ambigu jusque dans un final qui ne nous dit pas si elle vole de ses propres ailes ou assujettie à un autre pacte que le pacte social souscrit avec Berthier. Le personnage de Schrödinger n'est pas superflu puisqu'il renvoie à la célèbre expérience de pensée avec son chat mort et vivant (voir Quantix). Je trouve là un scénario d'une grande intelligence qui propose au lecteur un voyage dans une superposition d'états parfois inconciliables. Le graphisme est très plaisant. Bishop emprunte à différents styles manga et franco-belge pour fournir un trait original et très expressif. Ses couleurs pastels et lumineuses créent un fort décalage entre cette idée de rêve de conte de fée avec un contenu d'une réalité agissante bien plus angoissante. Une très belle lecture qui a ravi ma pensée plus que mes émotions.
Les Variations d'Orsay
Personne ne peut survivre aux tableaux. Eux, sont éternels. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, focalisée sur le musée d’Orsay. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Manuele Fior, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il compte soixante-quatre pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de quatre pages recensant les onze principales œuvres mises en scène dans l’ouvrage : le Métropolitain (1901) par Hector Guimard, Banquette de fumoir (1897) par Guimard, La gare Saint-Lazare (1877) par Claude Monet, la gare d’Orsay (construite entre 1901 et 1925), La charmeuse de serpents (1907) par Henri Rousseau, Repasseuses (entre 1884 et 1886) par Edgar Degas, Sémiramis construisant Babylone (1861) par Degas, Portrait de l’artiste au Christ jaune (1890-91) par Paul Gauguin, Romains de la décadence (1847) par Thomas Couture, La Source (1856) par Jean Auguste Dominique Ingres, Une moderne Olympia (1873-74) par Paul Cézanne. En 1900, Gisèle sort en courant de la station de métro appelée Le Début, avec son habillage de Hector Guimard, en appelant son amie Odile. Elle pénètre dans la gare d’Orsay, en continuant à se demander où son trouve son amie. Enfin elle la repère : Odile et Gisèle tombent dans les bras l’une de l’autre, la première souhaitant un bon anniversaire à la seconde. Cette dernière fait le constat qu’il aura fallu attendre l’exposition universelle de 1900 pour faire quitter sa campagne à la première. Elles sortent, prêtes à visiter Paris, tout en estimant que la gare qu’elles quittent est la plus belle de France. Au temps présent, les visiteurs déambulent dans le musée d’Orsay, écoutant leur audioguide. L’un évoque l’architecte italienne Gae Aulenti qui a été désigné en 1980 pour transformer le musée. Un autre présente Rousseau, peintre autodidacte et naïf qui n’a que très peu voyagé. Le commentaire continue : La plupart de ses jungles ont été réalisées au muséum national d’histoire naturelle et dans la grande serre du jardin des Plantes. Pourtant, dans cette Charmeuse de serpents, tout est nouveau. Le sujet d’abord. Une Ève noire, dans éden inquiétant… La gardienne assise à côté du tableau interpelle le visiteur, en lui rappelant de ne pas se tenir trop près du tableau. Elle explique qu’il s’agit d’une œuvre très fragile. Devant la grimace du visiteur, elle ajoute que ce n’est pas elle qui fait les règles. Il s’en va agacé. La gardienne lit la notice : Une asymétrie novatrice figée dans un étrange silence, La charmeuse de serpents annonce les rêves surréalistes à venir. En son for intérieur, elle se dit que ce tableau est trop moche, qu’on dirait la peinture d’un gamin de quatre ans. Elle ferme les yeux, et dans son esprit, une cigogne s’envole au-dessus d’une large étendue d’eau calme. Après avoir volé à l’horizontal, elle s’élève dans les airs. Assise sur un fauteuil devant le lac paisible, une femme noire se parle à elle-même. Elle est la gardienne de ce musée. Et elle connaît ce lieu depuis longtemps. Les œuvres, les coulisses, les passages interdits au public. Les codes de sécurité. Surtout, elle connait les artistes. Ils l’aiment tous. Ils sont tous à ses pieds. Henri. Claude. Auguste. Paul. Edmond. Edgar. Voici une bande dessinée estampillée Musée d’Orsay, publiée par Futuropolis, dans le cadre d’un partenariat avec cet établissement qui comprend également L'Art d'en bas au musée d'Orsay: La fantastique collection Hippolyte de L'Apnée (2016) de Plonk & Replonk, Les Disparues d'Orsay (2017) de Stéphane Levallois, Moderne Olympia (2020) de Catherine Meurisse. L’horizon d’attente du lecteur comprend donc une déclaration d’amour à ce musée. L’auteur tient cette promesse. Il cite et incorpore les œuvres citées ci-dessus. Il met en scène des artistes, essentiellement du courant impressionniste : Edgar Degas (1834-1917), Auguste Renoir (1841-1919), Camille Pissarro (1830-1903), Berthe Morisot (1841-1895), Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867). Il met également en scène Paul Valéry (1871-1945). Il montre quelques aspects du bâtiment du musée, évoquant sa fonction de gare, et le représentant dans sa fonction de musée. Lors d’une séquence de quatre pages, le lecteur accompagne un personnage qui descend à la chaufferie, située dans le sous-sol, puis dans les réserves qui contiennent de nombreux dessins. Les images appartiennent à un registre descriptif et réaliste, avec un degré significatif de simplification, la mise en couleurs venant donner de la consistance aux éléments représentés. En découvrant le début, le lecteur n’est pas trop sûr du mode d’hommage dans lequel l’auteur va se situer. Indéniablement, le bédéiste connaît le musée et il affiche une préférence pour certaines œuvres. En particulier pendant plusieurs pages, son personnage central est Edgar Degas (1834-1917). La narration visuelle se révèle être assez sophistiquée, s’adaptant à la nature de chaque scène, capable de restituer l’apparence de personnages connus, de tableaux de maître et de l’architecture du musée. En fonction de sa familiarité avec eux, le lecteur peut apprécier la ressemblance d’artistes tels que Degas, Ingres, ou encore Pissarro, Renoir et Berthe Morisot, dans dessins dépourvus de trais de contour, évoquant une technique ressemblant à du crayon gras. En fonction du moment et de leurs occupations, le dessinateur peut se focaliser sur le visage des personnages en plan poitrine ou en gros plan s’ils sont en train de discuter assis ou attablés, ou bien en train de vaquer à leurs occupations. Le lecteur apprécie leur expressivité et leur naturel, sans exagération de leurs expressions. Il se rend compte que l’air de rien l’artiste sait capturer des moments fugaces ou faire ressortir un geste particulier : un homme avec l’audioguide à l’oreille, la légère lassitude de la gardienne toujours confrontée aux mêmes comportements et effectuant les mêmes rappels, un personnage jouant du pipeau, un homme paressant au lit, une jeune femme morte dans son lit après une intoxication avec un mélange d’opium et de térébenthine, le regard condescendant d’un bourgeois raillant le manque de talent d’un artiste impressionniste, un vif direct du droit, un homme mordant une femme à la cheville, Gauguin montrant ses plaies aux pieds, ou encore une jeune femme allongée vêtue uniquement de bas serrant une panthère noire contre elle, etc. Dans un premier temps, il est possible que le lecteur ne discerne pas le fil directeur du récit. D’une séquence à l’autre, l’auteur passe des visiteurs du musée au temps présent, au tableau de la Charmeuse de serpents, au personnage central de ce tableau qui soliloque au profit du lecteur, à Degas rendant visite à Ingres, au tableau Sémiramis construisant Babylone, à la femme de ménage d’Ingres qui lui présente sa fille qui va servir de modèle à La Source, à une discussion dans un café entre Degas, Renoir, Pissarro et Morisot, puis au premier salon des Impressionnistes, pour déambuler ensuite dans les sous-sols du musée. Le lecteur détecte deux personnages principaux : Edgar Degas et la Charmeuse de serpents. Il constate que l’auteur accorde une importance primordiale aux Impressionnistes, avec une poignée de cases s’inspirant de leurs toiles : par exemple Impression, soleil levant, (1872) de Claude Monet (1840-1926), ou encore le portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes (1872) d’Édouard Manet. Il consacre une séquence également à la Première exposition des peintres impressionnistes (1874), avec une bagarre entre des visiteurs et des artistes. Il revient sur l’appellation même de ce mouvement : Impressionnistes pour les dénigrer, Indépendants pour Degas, Intransigeants pour les autres peintres. Il rappelle les propos insultants proférés à l’encontre de leurs œuvres par les visiteurs, ainsi que l’hétérogénéité des différentes toiles produites sous cette appellation, montrant aussi la sculpture La petite danseuse de 14 ans, de Degas. L’autre personnage principal surprend : il s’agit de la Charmeuse de serpents, du tableau du même nom du douanier Rousseau (Henri Rousseau, 1844-1910), représentant majeur de l’art naïf. Celle-ci annonce être la gardienne du musée. Elle assure la transition en indiquant qu’il est temps pour Edgar (Degas) de se lever. Elle revient à plusieurs reprises dans le récit. Tout d’abord pour des considérations sur la postérité de ces tableaux, contrastant avec le caractère mortel des artistes : Ces pauvres embobinés, célébrés, ridiculisés, ou bien ignorés de leur vivant, à présent empaillés dans les salles, ils sont devenus une attraction mondiale. Plus loin, elle se promène dans les sous-sols du musée pour mettre en évidence la fragilité des œuvres (obligation de la régulation de la température avec une variation inférieure à trois degrés), en la rapprochant aux souffrances physiques endurées par les artistes. Enfin, elle évoque la fin des maîtres et de l’art, des œuvres, des expositions et des salons, la fin des catalogues, des souvenirs et des audioguides. Elle établit que personne ne peut survivre aux tableaux, et que, eux, sont éternels. Insupportable n’est-ce pas ? Visuellement, un visiteur contemple un tableau de Degas : Sémiramis construisant Babylone, induisant un parallèle entre cette œuvre et la construction du musée d’Orsay, ainsi que sa fonction. Chanter les louanges d’un musée et mettre en scène l’importance que ce lieu et les œuvres qu’il abrite ont pu avoir sur sa propre vocation artistique et sa propre pratique : Manuele Fior se prête au jeu, avec une vraie personnalité. Ces images rendent hommage aux œuvres et à l’ambiance du musée, avec sensibilité, sur la base de choix clairs, les Impressionnistes et le Douanier Rousseau. La narration semble papillonner d’une scène à une autre, agréables pouvant sembler arbitraires dans un premier temps. Progressivement il apparaît que l’ouvrage est construit pour développer deux thèmes : l’impressionnisme, et la pérennité des œuvres d’art. Enchanteur et troublant.
Les Météores
Malgré ce que pourrait laisser penser le résumé, « Les Météores » n’a rien du récit catastrophe, et c’est même tout l’inverse. Ici, on serait plutôt dans le registre intimiste, avec une galerie de personnages dont les vies ressemblent tellement aux nôtres… La météorite qui menace la Terre n’est là qu’en toile de fond, comme une métaphore de leurs trajectoires aussi brèves qu’imprévisibles… Dans cette glaciale atmosphère ouatée à la « Fargo » où la neige est omniprésente, évoluent des protagonistes aux prises avec la dure réalité du quotidien. Il y a d’abord Floyd, employé comme magasinier dans l’Aeki du coin (on aura facilement reconnu l’allusion à la multinationale suédoise de l’ameublement…). Ce doux géant atteint d’un trouble cérébral qui altère sa mémoire va croiser à un arrêt de bus la route de Hollie, une infirmière itinérante qui visite des particuliers âgés et invalides. Deux personnages qui représentent le point de départ de cette histoire où, à vrai dire, il ne se passe pas grand-chose — on n’aura même pas droit au crash de la météorite, et ce n’est guère spoiler que de le dire… Mais s’il ne se passe pas grand-chose, c’est en apparence uniquement, car l’histoire expose une diversité de portraits bien dessinés psychologiquement, des personnages qui nous semblent si familiers, confrontés à la solitude ou à l’incommunicabilité, avec des préoccupations et des réflexions qui jouent comme révélateurs de leur psyché. Au fil des pages se dessinent leurs cicatrices ou leurs blessures qui ne sont jamais vraiment refermées, peut-être si profondes qu’ils ont opté pour le déni, comme ce patient raciste, arc-bouté dans une posture de provocation vis-à-vis de Hollie, qui visiblement n’a pas la bonne couleur de peau... Rien de spectaculaire ici sur le plan de l’action, non, mais ces personnages sont si réalistes qu’ils nous touchent et nous bousculent, comme si Deveney avait voulu nous tendre une sorte de miroir, évitant toute caricature, pour mieux faire ressortir le monde dans lequel nous vivons, un monde impitoyable où l’empathie est une denrée rare, où les rapports humains, quand ils sont caractérisés par la bienveillance, s’avèrent la seule richesse de nos existences éphémères, a fortiori lorsqu’on se retrouve seul face à notre mort inéluctable. En filigrane, « Les Météores » est aussi une dénonciation d’un capitalisme insatiable, représenté par la chaîne de magasins Aeki. Celle-ci, sous couvert d’une gestion RH en mode « team building », qui n’est rien d’autre qu’une mise à jour condescendante du paternalisme d’autrefois, ne fait que calquer sa politique corporate sur de jolis graphiques excel visant à une croissance sans fin, en faisant passer au second plan le bien-être et la sécurité de ses salariés. Très en phase avec le propos, le trait délicat et élégant de Redolfi s’accompagne d’un cadrage qui souligne avec subtilité la posture des corps et l’expressivité des visages, faisant émerger sans pathos inutile l’émotion chez le lecteur. Les couleurs sont sobres, et si elles n’ont rien de chatoyant, collent parfaitement à l’ambiance hivernale et mélancolique du récit. Judicieusement récompensé par le prix spécial du jury à Angoulême, « Les Météores » est un récit choral de haute qualité, d’une grande profondeur, où chaque personnage n’est jamais là par hasard, où chacun a son importance. Et pour paraphraser Maggie, cette vieille dame au seuil de la mort, c’est un livre qui ne se contente pas « de vous raconter une histoire avec un début et une fin ». C’est un livre qui s’efforce de ressembler à la vie, où « il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires », où chaque existence, si insignifiante soit-elle en apparence, est riche de sens. En ce sens, la choralité est peut-être la forme de narration la plus moderne, car aujourd’hui — on devrait commencer à s’en rendre compte —, les héros n’existent pas et les sauveurs non plus, pas davantage que le Père Noël. La solution est en nous, dans l’effort que nous fournirons pour nous mettre dans la peau de l’autre et pour faire s’épanouir notre humanité, parce qu’assurément, la réponse à nos maux ne pourra être que collective. Et sans ça, on est foutus. A moins, bien sûr, que le ciel ait décidé de nous tomber sur la tête avant…