Décidément Jim Bishop propose des séries originales qui invitent à une belle réflexion pour poursuivre la lecture. J'ai toutefois été un peu moins séduit que par ses Lettres perdues qui résonnaient bien plus avec mon propre vécu. Je ne connais pas Le Château ambulant ni "le Château de Hurle" dont se serait inspiré Bishop. Pour autant j'ai cru y lire d'autres pistes qui m'ont beaucoup intéressé.
Certain-es aviseur-es y lisent classiquement une histoire d'amour multiforme. Mais où se trouve cet amour puisque les relations Cléa/Pierrot ou Cléa/Berthier sont bâties sur des mensonges. De même où est la liberté de Pierrot ou de Cléa réduits à la surveillance d'un être hybride, superposé pourrait dire Schrödinger. Si l'amour est vérité alors seul l'amour de la fée pour Berthier éclaire le récit.
Par contre j'ai aimé le côté Faustien du récit même si Bishop fait l'impasse sur les origines du Pacte. Comme dans l'œuvre de Goethe, c'est la confrontation entre la pensée( Pierrot) et l'action (Berthier) qui domine. Le personnage de Cléa qui navigue de l'un à l'autre est ainsi très ambigu jusque dans un final qui ne nous dit pas si elle vole de ses propres ailes ou assujettie à un autre pacte que le pacte social souscrit avec Berthier. Le personnage de Schrödinger n'est pas superflu puisqu'il renvoie à la célèbre expérience de pensée avec son chat mort et vivant (voir Quantix).
Je trouve là un scénario d'une grande intelligence qui propose au lecteur un voyage dans une superposition d'états parfois inconciliables.
Le graphisme est très plaisant. Bishop emprunte à différents styles manga et franco-belge pour fournir un trait original et très expressif. Ses couleurs pastels et lumineuses créent un fort décalage entre cette idée de rêve de conte de fée avec un contenu d'une réalité agissante bien plus angoissante.
Une très belle lecture qui a ravi ma pensée plus que mes émotions.
Personne ne peut survivre aux tableaux. Eux, sont éternels.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, focalisée sur le musée d’Orsay. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Manuele Fior, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il compte soixante-quatre pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de quatre pages recensant les onze principales œuvres mises en scène dans l’ouvrage : le Métropolitain (1901) par Hector Guimard, Banquette de fumoir (1897) par Guimard, La gare Saint-Lazare (1877) par Claude Monet, la gare d’Orsay (construite entre 1901 et 1925), La charmeuse de serpents (1907) par Henri Rousseau, Repasseuses (entre 1884 et 1886) par Edgar Degas, Sémiramis construisant Babylone (1861) par Degas, Portrait de l’artiste au Christ jaune (1890-91) par Paul Gauguin, Romains de la décadence (1847) par Thomas Couture, La Source (1856) par Jean Auguste Dominique Ingres, Une moderne Olympia (1873-74) par Paul Cézanne.
En 1900, Gisèle sort en courant de la station de métro appelée Le Début, avec son habillage de Hector Guimard, en appelant son amie Odile. Elle pénètre dans la gare d’Orsay, en continuant à se demander où son trouve son amie. Enfin elle la repère : Odile et Gisèle tombent dans les bras l’une de l’autre, la première souhaitant un bon anniversaire à la seconde. Cette dernière fait le constat qu’il aura fallu attendre l’exposition universelle de 1900 pour faire quitter sa campagne à la première. Elles sortent, prêtes à visiter Paris, tout en estimant que la gare qu’elles quittent est la plus belle de France.
Au temps présent, les visiteurs déambulent dans le musée d’Orsay, écoutant leur audioguide. L’un évoque l’architecte italienne Gae Aulenti qui a été désigné en 1980 pour transformer le musée. Un autre présente Rousseau, peintre autodidacte et naïf qui n’a que très peu voyagé. Le commentaire continue : La plupart de ses jungles ont été réalisées au muséum national d’histoire naturelle et dans la grande serre du jardin des Plantes. Pourtant, dans cette Charmeuse de serpents, tout est nouveau. Le sujet d’abord. Une Ève noire, dans éden inquiétant… La gardienne assise à côté du tableau interpelle le visiteur, en lui rappelant de ne pas se tenir trop près du tableau. Elle explique qu’il s’agit d’une œuvre très fragile. Devant la grimace du visiteur, elle ajoute que ce n’est pas elle qui fait les règles. Il s’en va agacé. La gardienne lit la notice : Une asymétrie novatrice figée dans un étrange silence, La charmeuse de serpents annonce les rêves surréalistes à venir. En son for intérieur, elle se dit que ce tableau est trop moche, qu’on dirait la peinture d’un gamin de quatre ans. Elle ferme les yeux, et dans son esprit, une cigogne s’envole au-dessus d’une large étendue d’eau calme. Après avoir volé à l’horizontal, elle s’élève dans les airs. Assise sur un fauteuil devant le lac paisible, une femme noire se parle à elle-même. Elle est la gardienne de ce musée. Et elle connaît ce lieu depuis longtemps. Les œuvres, les coulisses, les passages interdits au public. Les codes de sécurité. Surtout, elle connait les artistes. Ils l’aiment tous. Ils sont tous à ses pieds. Henri. Claude. Auguste. Paul. Edmond. Edgar.
Voici une bande dessinée estampillée Musée d’Orsay, publiée par Futuropolis, dans le cadre d’un partenariat avec cet établissement qui comprend également L'Art d'en bas au musée d'Orsay: La fantastique collection Hippolyte de L'Apnée (2016) de Plonk & Replonk, Les Disparues d'Orsay (2017) de Stéphane Levallois, Moderne Olympia (2020) de Catherine Meurisse. L’horizon d’attente du lecteur comprend donc une déclaration d’amour à ce musée. L’auteur tient cette promesse. Il cite et incorpore les œuvres citées ci-dessus. Il met en scène des artistes, essentiellement du courant impressionniste : Edgar Degas (1834-1917), Auguste Renoir (1841-1919), Camille Pissarro (1830-1903), Berthe Morisot (1841-1895), Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867). Il met également en scène Paul Valéry (1871-1945). Il montre quelques aspects du bâtiment du musée, évoquant sa fonction de gare, et le représentant dans sa fonction de musée. Lors d’une séquence de quatre pages, le lecteur accompagne un personnage qui descend à la chaufferie, située dans le sous-sol, puis dans les réserves qui contiennent de nombreux dessins. Les images appartiennent à un registre descriptif et réaliste, avec un degré significatif de simplification, la mise en couleurs venant donner de la consistance aux éléments représentés.
En découvrant le début, le lecteur n’est pas trop sûr du mode d’hommage dans lequel l’auteur va se situer. Indéniablement, le bédéiste connaît le musée et il affiche une préférence pour certaines œuvres. En particulier pendant plusieurs pages, son personnage central est Edgar Degas (1834-1917). La narration visuelle se révèle être assez sophistiquée, s’adaptant à la nature de chaque scène, capable de restituer l’apparence de personnages connus, de tableaux de maître et de l’architecture du musée. En fonction de sa familiarité avec eux, le lecteur peut apprécier la ressemblance d’artistes tels que Degas, Ingres, ou encore Pissarro, Renoir et Berthe Morisot, dans dessins dépourvus de trais de contour, évoquant une technique ressemblant à du crayon gras. En fonction du moment et de leurs occupations, le dessinateur peut se focaliser sur le visage des personnages en plan poitrine ou en gros plan s’ils sont en train de discuter assis ou attablés, ou bien en train de vaquer à leurs occupations. Le lecteur apprécie leur expressivité et leur naturel, sans exagération de leurs expressions. Il se rend compte que l’air de rien l’artiste sait capturer des moments fugaces ou faire ressortir un geste particulier : un homme avec l’audioguide à l’oreille, la légère lassitude de la gardienne toujours confrontée aux mêmes comportements et effectuant les mêmes rappels, un personnage jouant du pipeau, un homme paressant au lit, une jeune femme morte dans son lit après une intoxication avec un mélange d’opium et de térébenthine, le regard condescendant d’un bourgeois raillant le manque de talent d’un artiste impressionniste, un vif direct du droit, un homme mordant une femme à la cheville, Gauguin montrant ses plaies aux pieds, ou encore une jeune femme allongée vêtue uniquement de bas serrant une panthère noire contre elle, etc.
Dans un premier temps, il est possible que le lecteur ne discerne pas le fil directeur du récit. D’une séquence à l’autre, l’auteur passe des visiteurs du musée au temps présent, au tableau de la Charmeuse de serpents, au personnage central de ce tableau qui soliloque au profit du lecteur, à Degas rendant visite à Ingres, au tableau Sémiramis construisant Babylone, à la femme de ménage d’Ingres qui lui présente sa fille qui va servir de modèle à La Source, à une discussion dans un café entre Degas, Renoir, Pissarro et Morisot, puis au premier salon des Impressionnistes, pour déambuler ensuite dans les sous-sols du musée. Le lecteur détecte deux personnages principaux : Edgar Degas et la Charmeuse de serpents. Il constate que l’auteur accorde une importance primordiale aux Impressionnistes, avec une poignée de cases s’inspirant de leurs toiles : par exemple Impression, soleil levant, (1872) de Claude Monet (1840-1926), ou encore le portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes (1872) d’Édouard Manet. Il consacre une séquence également à la Première exposition des peintres impressionnistes (1874), avec une bagarre entre des visiteurs et des artistes. Il revient sur l’appellation même de ce mouvement : Impressionnistes pour les dénigrer, Indépendants pour Degas, Intransigeants pour les autres peintres. Il rappelle les propos insultants proférés à l’encontre de leurs œuvres par les visiteurs, ainsi que l’hétérogénéité des différentes toiles produites sous cette appellation, montrant aussi la sculpture La petite danseuse de 14 ans, de Degas.
L’autre personnage principal surprend : il s’agit de la Charmeuse de serpents, du tableau du même nom du douanier Rousseau (Henri Rousseau, 1844-1910), représentant majeur de l’art naïf. Celle-ci annonce être la gardienne du musée. Elle assure la transition en indiquant qu’il est temps pour Edgar (Degas) de se lever. Elle revient à plusieurs reprises dans le récit. Tout d’abord pour des considérations sur la postérité de ces tableaux, contrastant avec le caractère mortel des artistes : Ces pauvres embobinés, célébrés, ridiculisés, ou bien ignorés de leur vivant, à présent empaillés dans les salles, ils sont devenus une attraction mondiale. Plus loin, elle se promène dans les sous-sols du musée pour mettre en évidence la fragilité des œuvres (obligation de la régulation de la température avec une variation inférieure à trois degrés), en la rapprochant aux souffrances physiques endurées par les artistes. Enfin, elle évoque la fin des maîtres et de l’art, des œuvres, des expositions et des salons, la fin des catalogues, des souvenirs et des audioguides. Elle établit que personne ne peut survivre aux tableaux, et que, eux, sont éternels. Insupportable n’est-ce pas ? Visuellement, un visiteur contemple un tableau de Degas : Sémiramis construisant Babylone, induisant un parallèle entre cette œuvre et la construction du musée d’Orsay, ainsi que sa fonction.
Chanter les louanges d’un musée et mettre en scène l’importance que ce lieu et les œuvres qu’il abrite ont pu avoir sur sa propre vocation artistique et sa propre pratique : Manuele Fior se prête au jeu, avec une vraie personnalité. Ces images rendent hommage aux œuvres et à l’ambiance du musée, avec sensibilité, sur la base de choix clairs, les Impressionnistes et le Douanier Rousseau. La narration semble papillonner d’une scène à une autre, agréables pouvant sembler arbitraires dans un premier temps. Progressivement il apparaît que l’ouvrage est construit pour développer deux thèmes : l’impressionnisme, et la pérennité des œuvres d’art. Enchanteur et troublant.
Malgré ce que pourrait laisser penser le résumé, « Les Météores » n’a rien du récit catastrophe, et c’est même tout l’inverse. Ici, on serait plutôt dans le registre intimiste, avec une galerie de personnages dont les vies ressemblent tellement aux nôtres… La météorite qui menace la Terre n’est là qu’en toile de fond, comme une métaphore de leurs trajectoires aussi brèves qu’imprévisibles…
Dans cette glaciale atmosphère ouatée à la « Fargo » où la neige est omniprésente, évoluent des protagonistes aux prises avec la dure réalité du quotidien. Il y a d’abord Floyd, employé comme magasinier dans l’Aeki du coin (on aura facilement reconnu l’allusion à la multinationale suédoise de l’ameublement…). Ce doux géant atteint d’un trouble cérébral qui altère sa mémoire va croiser à un arrêt de bus la route de Hollie, une infirmière itinérante qui visite des particuliers âgés et invalides. Deux personnages qui représentent le point de départ de cette histoire où, à vrai dire, il ne se passe pas grand-chose — on n’aura même pas droit au crash de la météorite, et ce n’est guère spoiler que de le dire… Mais s’il ne se passe pas grand-chose, c’est en apparence uniquement, car l’histoire expose une diversité de portraits bien dessinés psychologiquement, des personnages qui nous semblent si familiers, confrontés à la solitude ou à l’incommunicabilité, avec des préoccupations et des réflexions qui jouent comme révélateurs de leur psyché. Au fil des pages se dessinent leurs cicatrices ou leurs blessures qui ne sont jamais vraiment refermées, peut-être si profondes qu’ils ont opté pour le déni, comme ce patient raciste, arc-bouté dans une posture de provocation vis-à-vis de Hollie, qui visiblement n’a pas la bonne couleur de peau...
Rien de spectaculaire ici sur le plan de l’action, non, mais ces personnages sont si réalistes qu’ils nous touchent et nous bousculent, comme si Deveney avait voulu nous tendre une sorte de miroir, évitant toute caricature, pour mieux faire ressortir le monde dans lequel nous vivons, un monde impitoyable où l’empathie est une denrée rare, où les rapports humains, quand ils sont caractérisés par la bienveillance, s’avèrent la seule richesse de nos existences éphémères, a fortiori lorsqu’on se retrouve seul face à notre mort inéluctable. En filigrane, « Les Météores » est aussi une dénonciation d’un capitalisme insatiable, représenté par la chaîne de magasins Aeki. Celle-ci, sous couvert d’une gestion RH en mode « team building », qui n’est rien d’autre qu’une mise à jour condescendante du paternalisme d’autrefois, ne fait que calquer sa politique corporate sur de jolis graphiques excel visant à une croissance sans fin, en faisant passer au second plan le bien-être et la sécurité de ses salariés.
Très en phase avec le propos, le trait délicat et élégant de Redolfi s’accompagne d’un cadrage qui souligne avec subtilité la posture des corps et l’expressivité des visages, faisant émerger sans pathos inutile l’émotion chez le lecteur. Les couleurs sont sobres, et si elles n’ont rien de chatoyant, collent parfaitement à l’ambiance hivernale et mélancolique du récit.
Judicieusement récompensé par le prix spécial du jury à Angoulême, « Les Météores » est un récit choral de haute qualité, d’une grande profondeur, où chaque personnage n’est jamais là par hasard, où chacun a son importance. Et pour paraphraser Maggie, cette vieille dame au seuil de la mort, c’est un livre qui ne se contente pas « de vous raconter une histoire avec un début et une fin ». C’est un livre qui s’efforce de ressembler à la vie, où « il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires », où chaque existence, si insignifiante soit-elle en apparence, est riche de sens. En ce sens, la choralité est peut-être la forme de narration la plus moderne, car aujourd’hui — on devrait commencer à s’en rendre compte —, les héros n’existent pas et les sauveurs non plus, pas davantage que le Père Noël. La solution est en nous, dans l’effort que nous fournirons pour nous mettre dans la peau de l’autre et pour faire s’épanouir notre humanité, parce qu’assurément, la réponse à nos maux ne pourra être que collective. Et sans ça, on est foutus. A moins, bien sûr, que le ciel ait décidé de nous tomber sur la tête avant…
3.5
Le truc avec les japonais est que s'ils surexploitent un peu trop un genre (comme ici les isekais), au moins il y a certains auteurs qui vont arriver avec un concept bien débile et bien l'utiliser comme c'est le cas ici.
Alors c'est l'histoire d'un homme japonais dans la cinquante banale qui après un accident se retrouve dans le jeu vidéo que sa fille otaku jouait ! Il se retrouve dans le rôle de la méchante rivale riche qui martyrise la pauvre héroïne roturière et il va agit comme il fait habituellement par accident. Du coup la méchante rivale agit comme un parent auprès de l'héroïne et elles vont vite devenir amies avec la méchante-papa qui est le mentor de la roturière. L'humour fonctionne bien et le scénario se renouvelle bien, c'est pas un manga avec le même gag répété encore et encore pendant 10 tomes. Le coté sérieux marche bien aussi.
Ce qui est vraiment génial est que si l'univers est le même univers de fantasy européen qu'on a vu dans des centaines de productions japonaises, dans le tome 2 l'auteur introduit un élément original que je n'avais jamais vu dans un scénario sur un type qui se réincarne dans un autre monde/jeu vidéo et c'est tellement évidement que je suis surpris que personne n'y a pensé avant. Aussi, ce type de récit s'adresse souvent aux otakus, les geeks japonais, et dans trop de séries j'ai l'impression qu'on flatte les aspects les plus négatives de cette culture (c'est bien de ce venger parce que tout le monde a été trop méchant avec moi, c'est bien de fantasmer sur des petites sœurs de 10 ans) et ce n'est pas le cas ici. Le héros et sa famille sont des otakus, mais ils sont sympathiques et s'aiment entre-eux alors je pense qu'ils sont une représentation positif de ce type de personnes.
Hervé Bourhis a signé pas mal de bandes dessinées autour de la musique, du rock et des Beatles. Il consacre ce nouvel album à Paul McCartney, le génial bassiste du groupe. Il fait plus précisément un focus sur la période 1969 - 1973, celle qui correspond à la fin du groupe et les premières années qui suivent cette séparation. Et si aujourd'hui McCartney est une légende incontestée, il est très interessant de se plonger sur cette période, pour voir à quel point Paul a connu une traversée du désert post Beatles.
La construction de l'album est assez simple, les faits sont racontés de manière chronologique. L'accent est mis sur les choses significatives et les évènements majeurs qui permettent de comprendre ce qui s'est passé à l'époque. Tout cela est rudement bien documenté, certains faits clés sont datés avec précisions. Mais il n'y a absolument pas la lourdeur que peuvent avoir certains documentaires très factuels. Le rythme auquel avance le récit est parfait, et tout ce qui est raconté est interessant et fait sens.
On découvre un McCartney pas en forme, et on comprend aisément son ressenti et son état d'esprit. L'album illustre bien quelle a été sa vie pendant cette période délicate. Entre conflit ouvert avec ses ex compagnons, bataille juridique par avocats interposés contre leur ancien manager, et désintérêt des fans pour son nouveau groupe, on peut dire qu'il a traversé une bonne grosse dépression. C'est juste incroyable de lire que pour la première tournée des Wings, il a collé les affiches à la main lui même, et qu'à 40 centimes la place de concert, il ne réussissait même pas à jouer dans une salle pleine. True story...
On voit aussi dans quel état d'esprit ont évolué les autres membres du groupe, les querelles, les tentatives de conciliation... Même si on sait comment s'est passé la suite de l'histoire, on ne peut pas s'empêcher d'espérer les voir se réconcilier...
Le trait de Bourhis, sans fioriture, est parfaitement adapté et finit de nous plonger dans l'ambiance. On voyage dans les années 70 pendant 90 pages. Une lecture très plaisante, un album clairement recommandé, si on aime un minimum la musique et les Beatles évidemment.
Fauve Navarre est exorciste pour le musée du Louvre. Elle utilise sa capacité à communiquer avec les œuvres d'art pour aider ces dernières a maîtriser leurs émotions, causées par leur auteur ou les visiteurs. Chapitre après chapitre, elle règle les problèmes qui se présentent à elle, et nous (re)fait découvrir l'histoire derrière une création.
Sous couvert de fantastique, Paula Andrade nous donne un petit cours d'histoire de l'art et nous permet de mieux connaître les œuvres "classiques", en nous racontant pourquoi ou comment elles ont été créées. L'exorciste calme les tableaux ou sculptures, et avec des anecdotes nous explique pourquoi ils génèrent de si grandes émotions. Chaque "problème" à traiter est court, réglé en 1 ou 2 chapitres, et c'est à nous ensuite d'approfondir si on le souhaite avec d'autres lectures, ou tout simplement, une visite au musée ! Cela peut être frustrant, mais on évite aussi un trop-plein d'informations qui pourrait nous sortir de la lecture plaisir, et cette manière de faire rend le manga plus accessible aux petits lecteurs. (je me tâte d'ailleurs à le proposer pour un prix des lecteurs lycéens)
Les personnages ont des personnalités bien marquées (fantasque, blasé, sauvage, et tous passionnés par l'art), et les touches d'humour allègent le ton. En espérant que l'autrice n'en abusera pas à l'avenir, pour garder l'histoire centrée sur les œuvres plus que sur la vie des personnages.
Un début de série qui donne envie d'en lire plus !
Il m'a été très difficile de me lancer enfin dans ces albums de Díaz Canalès et Pellejero. Car Corto Maltese est pour moi un monument de la BD mais surtout une œuvre très personnelle de Hugo Pratt, et la voir ainsi reprise tant d'années après sa mort me hérissait tant le poil qu'après avoir vaguement feuilleté le premier album au moment de sa sortie, j'ai mis près de 10 ans à enfin lire l'ensemble. Et malgré toutes mes réticences, tous mes a priori négatifs et mon envie de les détester, je dois admettre que c'est une très bonne reprise.
Oh, ce n'est pas parfait, il n'y a plus exactement le même esprit indéfinissable de Pratt, et scénarios et dessins ont ce petit quelque chose d'un peu raide, de dirigé, de fabriqué pour coller au moule de l'œuvre originale. Mais en même temps le travail est de si bonne qualité qu'on peut facilement passer outre et se laisser porter comme s'il s'agissait vraiment de nouvelles œuvres de l'auteur, de nouvelles aventures d'un personnage qu'on aime.
Le dessin de Ruben Pellejero est impeccable. Il se fond parfaitement dans le style de Pratt de la majorité de la série. Il n'a pas le côté lâché du trait de ses derniers albums, il est plus net et précis, et cela le rend aussi plus lisible. Il est dans la veine du dessin de mes albums préférés de la série originelle. Il lui manque un je ne sais quoi de cette liberté que Pratt s'autorisait ici et là, mais cela me va très bien comme ça.
Tous les albums ne m'ont pas autant plu, mais c'était déjà le cas pour la série de Pratt.
Le premier, Sous le soleil de Minuit, mêle les esprit de Pratt et de Jack London pour une aventure dans le Grand Nord. J'ai aimé le voyage et les thématiques originales qu'il aborde, j'ai aimé la densité et le sens de l'aventure de son récit. J'ai moins aimé la profusion de personnages qu'on finit par confondre et ne plus suivre.
Le second, Equatoria, nous ramène dans l'esprit des chasses au trésor sous les Tropiques (l'Equateur ici pour être précis) rappelant l'esprit des albums Sous le signe du Capricorne et Corto Toujours un peu plus loin. Ca tombe bien, ils font partie de mes préférés et là encore j'ai pris plaisir à cette invitation au voyage et à l'aventure, même si je commençais à me dire que les auteurs aimaient décidément beaucoup emmener leur personnage dans beaucoup d'endroits successifs.
Le troisième, Le Jour de Tarowean, est osé puisqu'il s'agit ni plus ni moins que du prequel à la Ballade de la Mer Salée, le pur récit d'aventure dans les mers du Sud qui a créé le personnage de Corto. C'est un récit bien mené, respectueux des personnages et qui fait bien le raccord avec le premier tome de Corto. Encore une fois, j'ai bien aimé.
Le quatrième album, Nocturnes berlinois m'a moins plu, de la même manière que les albums Helvétiques ou Tango m'avaient moins plu. On y est dans une ambiance plus réaliste, plus moderne et plus proche de l'historique et même du politique. Je m'y suis un peu ennuyé car je n'aime pas ces thématiques.
Et retour à l'aventure exotique avec le cinquième album, La Ligne de vie, qui encore une fois m'a bien plu même si là encore on sent un côté un peu forcé des auteurs dans leur manière de ramener des personnages du passé (Bouche dorée, Raspoutine encore, et là en particulier Banshee de l'album Fables Celtiques), pour bien rappeler que leurs aventures s'inscrivent dans la continuité de celles de Pratt.
Donc tout n'est pas parfait, c'est parfois un peu guindé, un peu forcé ou bien confus, et j'aurais pu rester dans mon refus de les lire par respect pour Hugo Pratt et son œuvre si personnelle, mais la reprise est objectivement très réussie et fidèle à l'esprit de son auteur, tant dans le dessin que dans la forme des intrigues et dans l'esprit des personnages et de la narration.
Comme les aviseurs qui m'ont précédé, je suis tombé sous le charme de cette singulière série. Jim Bishop propose un récit en trompe l'œil dans cet univers merveilleux où une humaine se prend la tête avec une poisson employée de la poste . Les premières planches font croire à un univers mi enfantin mi loufoque où le jeune Iode m'a immédiatement fait penser à un petit prince isolé sur une plage paisible aux cabanons ressemblant à ceux d'Arcachon. Pourtant dès les premières planches une sorte de poésie mélancolique sourde de ce visuel inhabituel. Par petites touches l'auteur nous dévoile avec tendresse ces trois personnages qui ne trouvent pas leur place dans ce monde ensoleillé. Car derrière cette façade de station balnéaire paisible, bishop introduit des thématiques peu visitée: la rupture du lien avec la mère et ses implications psychologiques fortes, le vol de sable sur les plages et ses conséquences écologiques.
Le final est inattendu et donne à l'histoire une profonde émotion qui peut résonner fortement sur les vécus de certains ( moi par exemple) .
Le graphisme travaille sur ce décalage entre une ligne ronde et franche, une mise en couleur pastelle et lumineuse et cette ambiance de profonde solitude qui étreint les trois personnages. Les extérieurs sont créatifs et travaillés avec soin. Les personnages poissons présentent une forte originalité dans leur diversité.
Une lecture surprise vraiment inclassable mais très créative avec une belle profondeur.
C'est la première BD des sœurs Chauvin, Hosanna au scénario et Clotilde au dessin et à la couleur. Le résultat est très bon.
Hosanna a transporté la cour de Versailles dans le royaume imaginaire de Versatile, et celui-ci porte très bien son nom. Un royaume qui a une particularité, on peut gravir les échelons sociales suivant les actions réalisées (ou non réalisées), des piastres (la monnaie royale) tombent alors automatiquement dans une bourse et on peut voir où l'on se situe grâce à une sorte de montre à gousset (voir la deuxième image de la galerie), l'aiguille pointe sur la position sociale du moment. Une aiguille qui peut tout aussi bien grimper, que descendre.
On va suivre le parcours de Célimène, elle est née chiffonnière et veut devenir reine. Pour monter les échelons, il n'y a pas 36 façons de le faire, soit on travaille dur et on est méritant, soit on écrase la concurrence et tous les coups sont permis. Célimène va choisir la deuxième option, et ce choix aurait dû me la rendre antipathique, car évidemment elle sera garce, mais elle a aussi un côté désespérée qui m'a touché. Un personnage complexe qui sera amené, le long de son ascension sociale, à côtoyer son contraire, Dorval. Un duo que tout oppose, deux visions différentes de la vie et de l'amour.
Un rythme soutenu, des personnages fouillés, l'esprit XVIIIe siècle est bien rendu et le récit tient en haleine. La morale sera-t-elle sauve ? Je vous laisse le découvrir, mais vous aurez un peu votre mot à dire.
Le dessin de Clotilde est racé, il me plaît beaucoup, je lui trouve un charme fou et une texture singulière qui dégage de l'émotion.
Les couleurs sont superbes.
J'en redemande.
Un duo d'autrices que je vais suivre.
Coup de cœur.
Cette oeuvre a grandi en moi au fil des pages à un point que je n’aurais pu imaginer!
Tout commence avec des bribes d’images qui se complètent, Otto peint Mashka au milieu de la forêt puis nous suivons Otto dans les rues allemandes de 1919 avant d’arriver dans son atelier. C’est alors que j’ai compris le concept du livre, chaque case proposée par Luz est en faite le point de vue du tableau ! Et ce concept nous fais suivre toute une fresque historique de l’Allemagne du 20eme siècle du point de vue de ce tableau.
Le concept est franchement bien amené. L’auteur en joue d’ailleurs beaucoup avec une certaine poésie et un certain mystère nait autour de ce tableau car, ce tableau que tout le monde juge et observe, cette oeuvre dans laquelle certains perdent leur regard et d’autres souhaitent la voir bruler, on ne peut l’apercevoir qu’à la fin, mis face au fait accompli de tout ce qu’elle a à donner, tout ce qu’elle représente mais aussi tout ce qu’elle a vu.
Deux filles nues est une suite de bribes de vies, du peintre au collectionneur, du confiscateur à l’archiviste. C’est aussi un cours d’histoire détourné sur l’art dégénéré qui n’aura finalement jamais cessé d’être d’actualité.
En terme de style, certains diront que le dessin est trop simple ou moche. C’est moins élaboré que Vernon Subites mais tout de même plus intelligent que Catharsis. Personnellement j’ai beaucoup aimé la manière dont Luz joue avec le cadre qui bouge, la profondeur des plans (dans certains cas, l’action est dans le second ou troisième plan tandis que le premier n’est que le décor) et la profondeur des personnages qui se penchent pour observer le tableau.
Je ne pense pas avoir compris (ou essayé de comprendre) la symbolique des insectes mais Deux filles nues donne à interpréter beaucoup plus qu’au premier abord. Dans la postface, on peut aussi réaliser un parallèle sur le hasard de l’existence au milieu de la tragédie, pour ce tableau mais pour l’auteur lui-même qui était en retard le jours des attentats.
Une chouette lecture !
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Mon ami Pierrot
Décidément Jim Bishop propose des séries originales qui invitent à une belle réflexion pour poursuivre la lecture. J'ai toutefois été un peu moins séduit que par ses Lettres perdues qui résonnaient bien plus avec mon propre vécu. Je ne connais pas Le Château ambulant ni "le Château de Hurle" dont se serait inspiré Bishop. Pour autant j'ai cru y lire d'autres pistes qui m'ont beaucoup intéressé. Certain-es aviseur-es y lisent classiquement une histoire d'amour multiforme. Mais où se trouve cet amour puisque les relations Cléa/Pierrot ou Cléa/Berthier sont bâties sur des mensonges. De même où est la liberté de Pierrot ou de Cléa réduits à la surveillance d'un être hybride, superposé pourrait dire Schrödinger. Si l'amour est vérité alors seul l'amour de la fée pour Berthier éclaire le récit. Par contre j'ai aimé le côté Faustien du récit même si Bishop fait l'impasse sur les origines du Pacte. Comme dans l'œuvre de Goethe, c'est la confrontation entre la pensée( Pierrot) et l'action (Berthier) qui domine. Le personnage de Cléa qui navigue de l'un à l'autre est ainsi très ambigu jusque dans un final qui ne nous dit pas si elle vole de ses propres ailes ou assujettie à un autre pacte que le pacte social souscrit avec Berthier. Le personnage de Schrödinger n'est pas superflu puisqu'il renvoie à la célèbre expérience de pensée avec son chat mort et vivant (voir Quantix). Je trouve là un scénario d'une grande intelligence qui propose au lecteur un voyage dans une superposition d'états parfois inconciliables. Le graphisme est très plaisant. Bishop emprunte à différents styles manga et franco-belge pour fournir un trait original et très expressif. Ses couleurs pastels et lumineuses créent un fort décalage entre cette idée de rêve de conte de fée avec un contenu d'une réalité agissante bien plus angoissante. Une très belle lecture qui a ravi ma pensée plus que mes émotions.
Les Variations d'Orsay
Personne ne peut survivre aux tableaux. Eux, sont éternels. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, focalisée sur le musée d’Orsay. Son édition originale date de 2016. Il a été réalisé par Manuele Fior, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il compte soixante-quatre pages de bande dessinée. Il se termine par un dossier de quatre pages recensant les onze principales œuvres mises en scène dans l’ouvrage : le Métropolitain (1901) par Hector Guimard, Banquette de fumoir (1897) par Guimard, La gare Saint-Lazare (1877) par Claude Monet, la gare d’Orsay (construite entre 1901 et 1925), La charmeuse de serpents (1907) par Henri Rousseau, Repasseuses (entre 1884 et 1886) par Edgar Degas, Sémiramis construisant Babylone (1861) par Degas, Portrait de l’artiste au Christ jaune (1890-91) par Paul Gauguin, Romains de la décadence (1847) par Thomas Couture, La Source (1856) par Jean Auguste Dominique Ingres, Une moderne Olympia (1873-74) par Paul Cézanne. En 1900, Gisèle sort en courant de la station de métro appelée Le Début, avec son habillage de Hector Guimard, en appelant son amie Odile. Elle pénètre dans la gare d’Orsay, en continuant à se demander où son trouve son amie. Enfin elle la repère : Odile et Gisèle tombent dans les bras l’une de l’autre, la première souhaitant un bon anniversaire à la seconde. Cette dernière fait le constat qu’il aura fallu attendre l’exposition universelle de 1900 pour faire quitter sa campagne à la première. Elles sortent, prêtes à visiter Paris, tout en estimant que la gare qu’elles quittent est la plus belle de France. Au temps présent, les visiteurs déambulent dans le musée d’Orsay, écoutant leur audioguide. L’un évoque l’architecte italienne Gae Aulenti qui a été désigné en 1980 pour transformer le musée. Un autre présente Rousseau, peintre autodidacte et naïf qui n’a que très peu voyagé. Le commentaire continue : La plupart de ses jungles ont été réalisées au muséum national d’histoire naturelle et dans la grande serre du jardin des Plantes. Pourtant, dans cette Charmeuse de serpents, tout est nouveau. Le sujet d’abord. Une Ève noire, dans éden inquiétant… La gardienne assise à côté du tableau interpelle le visiteur, en lui rappelant de ne pas se tenir trop près du tableau. Elle explique qu’il s’agit d’une œuvre très fragile. Devant la grimace du visiteur, elle ajoute que ce n’est pas elle qui fait les règles. Il s’en va agacé. La gardienne lit la notice : Une asymétrie novatrice figée dans un étrange silence, La charmeuse de serpents annonce les rêves surréalistes à venir. En son for intérieur, elle se dit que ce tableau est trop moche, qu’on dirait la peinture d’un gamin de quatre ans. Elle ferme les yeux, et dans son esprit, une cigogne s’envole au-dessus d’une large étendue d’eau calme. Après avoir volé à l’horizontal, elle s’élève dans les airs. Assise sur un fauteuil devant le lac paisible, une femme noire se parle à elle-même. Elle est la gardienne de ce musée. Et elle connaît ce lieu depuis longtemps. Les œuvres, les coulisses, les passages interdits au public. Les codes de sécurité. Surtout, elle connait les artistes. Ils l’aiment tous. Ils sont tous à ses pieds. Henri. Claude. Auguste. Paul. Edmond. Edgar. Voici une bande dessinée estampillée Musée d’Orsay, publiée par Futuropolis, dans le cadre d’un partenariat avec cet établissement qui comprend également L'Art d'en bas au musée d'Orsay: La fantastique collection Hippolyte de L'Apnée (2016) de Plonk & Replonk, Les Disparues d'Orsay (2017) de Stéphane Levallois, Moderne Olympia (2020) de Catherine Meurisse. L’horizon d’attente du lecteur comprend donc une déclaration d’amour à ce musée. L’auteur tient cette promesse. Il cite et incorpore les œuvres citées ci-dessus. Il met en scène des artistes, essentiellement du courant impressionniste : Edgar Degas (1834-1917), Auguste Renoir (1841-1919), Camille Pissarro (1830-1903), Berthe Morisot (1841-1895), Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867). Il met également en scène Paul Valéry (1871-1945). Il montre quelques aspects du bâtiment du musée, évoquant sa fonction de gare, et le représentant dans sa fonction de musée. Lors d’une séquence de quatre pages, le lecteur accompagne un personnage qui descend à la chaufferie, située dans le sous-sol, puis dans les réserves qui contiennent de nombreux dessins. Les images appartiennent à un registre descriptif et réaliste, avec un degré significatif de simplification, la mise en couleurs venant donner de la consistance aux éléments représentés. En découvrant le début, le lecteur n’est pas trop sûr du mode d’hommage dans lequel l’auteur va se situer. Indéniablement, le bédéiste connaît le musée et il affiche une préférence pour certaines œuvres. En particulier pendant plusieurs pages, son personnage central est Edgar Degas (1834-1917). La narration visuelle se révèle être assez sophistiquée, s’adaptant à la nature de chaque scène, capable de restituer l’apparence de personnages connus, de tableaux de maître et de l’architecture du musée. En fonction de sa familiarité avec eux, le lecteur peut apprécier la ressemblance d’artistes tels que Degas, Ingres, ou encore Pissarro, Renoir et Berthe Morisot, dans dessins dépourvus de trais de contour, évoquant une technique ressemblant à du crayon gras. En fonction du moment et de leurs occupations, le dessinateur peut se focaliser sur le visage des personnages en plan poitrine ou en gros plan s’ils sont en train de discuter assis ou attablés, ou bien en train de vaquer à leurs occupations. Le lecteur apprécie leur expressivité et leur naturel, sans exagération de leurs expressions. Il se rend compte que l’air de rien l’artiste sait capturer des moments fugaces ou faire ressortir un geste particulier : un homme avec l’audioguide à l’oreille, la légère lassitude de la gardienne toujours confrontée aux mêmes comportements et effectuant les mêmes rappels, un personnage jouant du pipeau, un homme paressant au lit, une jeune femme morte dans son lit après une intoxication avec un mélange d’opium et de térébenthine, le regard condescendant d’un bourgeois raillant le manque de talent d’un artiste impressionniste, un vif direct du droit, un homme mordant une femme à la cheville, Gauguin montrant ses plaies aux pieds, ou encore une jeune femme allongée vêtue uniquement de bas serrant une panthère noire contre elle, etc. Dans un premier temps, il est possible que le lecteur ne discerne pas le fil directeur du récit. D’une séquence à l’autre, l’auteur passe des visiteurs du musée au temps présent, au tableau de la Charmeuse de serpents, au personnage central de ce tableau qui soliloque au profit du lecteur, à Degas rendant visite à Ingres, au tableau Sémiramis construisant Babylone, à la femme de ménage d’Ingres qui lui présente sa fille qui va servir de modèle à La Source, à une discussion dans un café entre Degas, Renoir, Pissarro et Morisot, puis au premier salon des Impressionnistes, pour déambuler ensuite dans les sous-sols du musée. Le lecteur détecte deux personnages principaux : Edgar Degas et la Charmeuse de serpents. Il constate que l’auteur accorde une importance primordiale aux Impressionnistes, avec une poignée de cases s’inspirant de leurs toiles : par exemple Impression, soleil levant, (1872) de Claude Monet (1840-1926), ou encore le portrait de Berthe Morisot au bouquet de violettes (1872) d’Édouard Manet. Il consacre une séquence également à la Première exposition des peintres impressionnistes (1874), avec une bagarre entre des visiteurs et des artistes. Il revient sur l’appellation même de ce mouvement : Impressionnistes pour les dénigrer, Indépendants pour Degas, Intransigeants pour les autres peintres. Il rappelle les propos insultants proférés à l’encontre de leurs œuvres par les visiteurs, ainsi que l’hétérogénéité des différentes toiles produites sous cette appellation, montrant aussi la sculpture La petite danseuse de 14 ans, de Degas. L’autre personnage principal surprend : il s’agit de la Charmeuse de serpents, du tableau du même nom du douanier Rousseau (Henri Rousseau, 1844-1910), représentant majeur de l’art naïf. Celle-ci annonce être la gardienne du musée. Elle assure la transition en indiquant qu’il est temps pour Edgar (Degas) de se lever. Elle revient à plusieurs reprises dans le récit. Tout d’abord pour des considérations sur la postérité de ces tableaux, contrastant avec le caractère mortel des artistes : Ces pauvres embobinés, célébrés, ridiculisés, ou bien ignorés de leur vivant, à présent empaillés dans les salles, ils sont devenus une attraction mondiale. Plus loin, elle se promène dans les sous-sols du musée pour mettre en évidence la fragilité des œuvres (obligation de la régulation de la température avec une variation inférieure à trois degrés), en la rapprochant aux souffrances physiques endurées par les artistes. Enfin, elle évoque la fin des maîtres et de l’art, des œuvres, des expositions et des salons, la fin des catalogues, des souvenirs et des audioguides. Elle établit que personne ne peut survivre aux tableaux, et que, eux, sont éternels. Insupportable n’est-ce pas ? Visuellement, un visiteur contemple un tableau de Degas : Sémiramis construisant Babylone, induisant un parallèle entre cette œuvre et la construction du musée d’Orsay, ainsi que sa fonction. Chanter les louanges d’un musée et mettre en scène l’importance que ce lieu et les œuvres qu’il abrite ont pu avoir sur sa propre vocation artistique et sa propre pratique : Manuele Fior se prête au jeu, avec une vraie personnalité. Ces images rendent hommage aux œuvres et à l’ambiance du musée, avec sensibilité, sur la base de choix clairs, les Impressionnistes et le Douanier Rousseau. La narration semble papillonner d’une scène à une autre, agréables pouvant sembler arbitraires dans un premier temps. Progressivement il apparaît que l’ouvrage est construit pour développer deux thèmes : l’impressionnisme, et la pérennité des œuvres d’art. Enchanteur et troublant.
Les Météores
Malgré ce que pourrait laisser penser le résumé, « Les Météores » n’a rien du récit catastrophe, et c’est même tout l’inverse. Ici, on serait plutôt dans le registre intimiste, avec une galerie de personnages dont les vies ressemblent tellement aux nôtres… La météorite qui menace la Terre n’est là qu’en toile de fond, comme une métaphore de leurs trajectoires aussi brèves qu’imprévisibles… Dans cette glaciale atmosphère ouatée à la « Fargo » où la neige est omniprésente, évoluent des protagonistes aux prises avec la dure réalité du quotidien. Il y a d’abord Floyd, employé comme magasinier dans l’Aeki du coin (on aura facilement reconnu l’allusion à la multinationale suédoise de l’ameublement…). Ce doux géant atteint d’un trouble cérébral qui altère sa mémoire va croiser à un arrêt de bus la route de Hollie, une infirmière itinérante qui visite des particuliers âgés et invalides. Deux personnages qui représentent le point de départ de cette histoire où, à vrai dire, il ne se passe pas grand-chose — on n’aura même pas droit au crash de la météorite, et ce n’est guère spoiler que de le dire… Mais s’il ne se passe pas grand-chose, c’est en apparence uniquement, car l’histoire expose une diversité de portraits bien dessinés psychologiquement, des personnages qui nous semblent si familiers, confrontés à la solitude ou à l’incommunicabilité, avec des préoccupations et des réflexions qui jouent comme révélateurs de leur psyché. Au fil des pages se dessinent leurs cicatrices ou leurs blessures qui ne sont jamais vraiment refermées, peut-être si profondes qu’ils ont opté pour le déni, comme ce patient raciste, arc-bouté dans une posture de provocation vis-à-vis de Hollie, qui visiblement n’a pas la bonne couleur de peau... Rien de spectaculaire ici sur le plan de l’action, non, mais ces personnages sont si réalistes qu’ils nous touchent et nous bousculent, comme si Deveney avait voulu nous tendre une sorte de miroir, évitant toute caricature, pour mieux faire ressortir le monde dans lequel nous vivons, un monde impitoyable où l’empathie est une denrée rare, où les rapports humains, quand ils sont caractérisés par la bienveillance, s’avèrent la seule richesse de nos existences éphémères, a fortiori lorsqu’on se retrouve seul face à notre mort inéluctable. En filigrane, « Les Météores » est aussi une dénonciation d’un capitalisme insatiable, représenté par la chaîne de magasins Aeki. Celle-ci, sous couvert d’une gestion RH en mode « team building », qui n’est rien d’autre qu’une mise à jour condescendante du paternalisme d’autrefois, ne fait que calquer sa politique corporate sur de jolis graphiques excel visant à une croissance sans fin, en faisant passer au second plan le bien-être et la sécurité de ses salariés. Très en phase avec le propos, le trait délicat et élégant de Redolfi s’accompagne d’un cadrage qui souligne avec subtilité la posture des corps et l’expressivité des visages, faisant émerger sans pathos inutile l’émotion chez le lecteur. Les couleurs sont sobres, et si elles n’ont rien de chatoyant, collent parfaitement à l’ambiance hivernale et mélancolique du récit. Judicieusement récompensé par le prix spécial du jury à Angoulême, « Les Météores » est un récit choral de haute qualité, d’une grande profondeur, où chaque personnage n’est jamais là par hasard, où chacun a son importance. Et pour paraphraser Maggie, cette vieille dame au seuil de la mort, c’est un livre qui ne se contente pas « de vous raconter une histoire avec un début et une fin ». C’est un livre qui s’efforce de ressembler à la vie, où « il n’y a pas de personnages principaux et de personnages secondaires », où chaque existence, si insignifiante soit-elle en apparence, est riche de sens. En ce sens, la choralité est peut-être la forme de narration la plus moderne, car aujourd’hui — on devrait commencer à s’en rendre compte —, les héros n’existent pas et les sauveurs non plus, pas davantage que le Père Noël. La solution est en nous, dans l’effort que nous fournirons pour nous mettre dans la peau de l’autre et pour faire s’épanouir notre humanité, parce qu’assurément, la réponse à nos maux ne pourra être que collective. Et sans ça, on est foutus. A moins, bien sûr, que le ciel ait décidé de nous tomber sur la tête avant…
From bureaucrat to villainess
3.5 Le truc avec les japonais est que s'ils surexploitent un peu trop un genre (comme ici les isekais), au moins il y a certains auteurs qui vont arriver avec un concept bien débile et bien l'utiliser comme c'est le cas ici. Alors c'est l'histoire d'un homme japonais dans la cinquante banale qui après un accident se retrouve dans le jeu vidéo que sa fille otaku jouait ! Il se retrouve dans le rôle de la méchante rivale riche qui martyrise la pauvre héroïne roturière et il va agit comme il fait habituellement par accident. Du coup la méchante rivale agit comme un parent auprès de l'héroïne et elles vont vite devenir amies avec la méchante-papa qui est le mentor de la roturière. L'humour fonctionne bien et le scénario se renouvelle bien, c'est pas un manga avec le même gag répété encore et encore pendant 10 tomes. Le coté sérieux marche bien aussi. Ce qui est vraiment génial est que si l'univers est le même univers de fantasy européen qu'on a vu dans des centaines de productions japonaises, dans le tome 2 l'auteur introduit un élément original que je n'avais jamais vu dans un scénario sur un type qui se réincarne dans un autre monde/jeu vidéo et c'est tellement évidement que je suis surpris que personne n'y a pensé avant. Aussi, ce type de récit s'adresse souvent aux otakus, les geeks japonais, et dans trop de séries j'ai l'impression qu'on flatte les aspects les plus négatives de cette culture (c'est bien de ce venger parce que tout le monde a été trop méchant avec moi, c'est bien de fantasmer sur des petites sœurs de 10 ans) et ce n'est pas le cas ici. Le héros et sa famille sont des otakus, mais ils sont sympathiques et s'aiment entre-eux alors je pense qu'ils sont une représentation positif de ce type de personnes.
Paul
Hervé Bourhis a signé pas mal de bandes dessinées autour de la musique, du rock et des Beatles. Il consacre ce nouvel album à Paul McCartney, le génial bassiste du groupe. Il fait plus précisément un focus sur la période 1969 - 1973, celle qui correspond à la fin du groupe et les premières années qui suivent cette séparation. Et si aujourd'hui McCartney est une légende incontestée, il est très interessant de se plonger sur cette période, pour voir à quel point Paul a connu une traversée du désert post Beatles. La construction de l'album est assez simple, les faits sont racontés de manière chronologique. L'accent est mis sur les choses significatives et les évènements majeurs qui permettent de comprendre ce qui s'est passé à l'époque. Tout cela est rudement bien documenté, certains faits clés sont datés avec précisions. Mais il n'y a absolument pas la lourdeur que peuvent avoir certains documentaires très factuels. Le rythme auquel avance le récit est parfait, et tout ce qui est raconté est interessant et fait sens. On découvre un McCartney pas en forme, et on comprend aisément son ressenti et son état d'esprit. L'album illustre bien quelle a été sa vie pendant cette période délicate. Entre conflit ouvert avec ses ex compagnons, bataille juridique par avocats interposés contre leur ancien manager, et désintérêt des fans pour son nouveau groupe, on peut dire qu'il a traversé une bonne grosse dépression. C'est juste incroyable de lire que pour la première tournée des Wings, il a collé les affiches à la main lui même, et qu'à 40 centimes la place de concert, il ne réussissait même pas à jouer dans une salle pleine. True story... On voit aussi dans quel état d'esprit ont évolué les autres membres du groupe, les querelles, les tentatives de conciliation... Même si on sait comment s'est passé la suite de l'histoire, on ne peut pas s'empêcher d'espérer les voir se réconcilier... Le trait de Bourhis, sans fioriture, est parfaitement adapté et finit de nous plonger dans l'ambiance. On voyage dans les années 70 pendant 90 pages. Une lecture très plaisante, un album clairement recommandé, si on aime un minimum la musique et les Beatles évidemment.
Fauve - L'Exorciste du Louvre
Fauve Navarre est exorciste pour le musée du Louvre. Elle utilise sa capacité à communiquer avec les œuvres d'art pour aider ces dernières a maîtriser leurs émotions, causées par leur auteur ou les visiteurs. Chapitre après chapitre, elle règle les problèmes qui se présentent à elle, et nous (re)fait découvrir l'histoire derrière une création. Sous couvert de fantastique, Paula Andrade nous donne un petit cours d'histoire de l'art et nous permet de mieux connaître les œuvres "classiques", en nous racontant pourquoi ou comment elles ont été créées. L'exorciste calme les tableaux ou sculptures, et avec des anecdotes nous explique pourquoi ils génèrent de si grandes émotions. Chaque "problème" à traiter est court, réglé en 1 ou 2 chapitres, et c'est à nous ensuite d'approfondir si on le souhaite avec d'autres lectures, ou tout simplement, une visite au musée ! Cela peut être frustrant, mais on évite aussi un trop-plein d'informations qui pourrait nous sortir de la lecture plaisir, et cette manière de faire rend le manga plus accessible aux petits lecteurs. (je me tâte d'ailleurs à le proposer pour un prix des lecteurs lycéens) Les personnages ont des personnalités bien marquées (fantasque, blasé, sauvage, et tous passionnés par l'art), et les touches d'humour allègent le ton. En espérant que l'autrice n'en abusera pas à l'avenir, pour garder l'histoire centrée sur les œuvres plus que sur la vie des personnages. Un début de série qui donne envie d'en lire plus !
Corto Maltese (Diaz Canalès & Pellejero)
Il m'a été très difficile de me lancer enfin dans ces albums de Díaz Canalès et Pellejero. Car Corto Maltese est pour moi un monument de la BD mais surtout une œuvre très personnelle de Hugo Pratt, et la voir ainsi reprise tant d'années après sa mort me hérissait tant le poil qu'après avoir vaguement feuilleté le premier album au moment de sa sortie, j'ai mis près de 10 ans à enfin lire l'ensemble. Et malgré toutes mes réticences, tous mes a priori négatifs et mon envie de les détester, je dois admettre que c'est une très bonne reprise. Oh, ce n'est pas parfait, il n'y a plus exactement le même esprit indéfinissable de Pratt, et scénarios et dessins ont ce petit quelque chose d'un peu raide, de dirigé, de fabriqué pour coller au moule de l'œuvre originale. Mais en même temps le travail est de si bonne qualité qu'on peut facilement passer outre et se laisser porter comme s'il s'agissait vraiment de nouvelles œuvres de l'auteur, de nouvelles aventures d'un personnage qu'on aime. Le dessin de Ruben Pellejero est impeccable. Il se fond parfaitement dans le style de Pratt de la majorité de la série. Il n'a pas le côté lâché du trait de ses derniers albums, il est plus net et précis, et cela le rend aussi plus lisible. Il est dans la veine du dessin de mes albums préférés de la série originelle. Il lui manque un je ne sais quoi de cette liberté que Pratt s'autorisait ici et là, mais cela me va très bien comme ça. Tous les albums ne m'ont pas autant plu, mais c'était déjà le cas pour la série de Pratt. Le premier, Sous le soleil de Minuit, mêle les esprit de Pratt et de Jack London pour une aventure dans le Grand Nord. J'ai aimé le voyage et les thématiques originales qu'il aborde, j'ai aimé la densité et le sens de l'aventure de son récit. J'ai moins aimé la profusion de personnages qu'on finit par confondre et ne plus suivre. Le second, Equatoria, nous ramène dans l'esprit des chasses au trésor sous les Tropiques (l'Equateur ici pour être précis) rappelant l'esprit des albums Sous le signe du Capricorne et Corto Toujours un peu plus loin. Ca tombe bien, ils font partie de mes préférés et là encore j'ai pris plaisir à cette invitation au voyage et à l'aventure, même si je commençais à me dire que les auteurs aimaient décidément beaucoup emmener leur personnage dans beaucoup d'endroits successifs. Le troisième, Le Jour de Tarowean, est osé puisqu'il s'agit ni plus ni moins que du prequel à la Ballade de la Mer Salée, le pur récit d'aventure dans les mers du Sud qui a créé le personnage de Corto. C'est un récit bien mené, respectueux des personnages et qui fait bien le raccord avec le premier tome de Corto. Encore une fois, j'ai bien aimé. Le quatrième album, Nocturnes berlinois m'a moins plu, de la même manière que les albums Helvétiques ou Tango m'avaient moins plu. On y est dans une ambiance plus réaliste, plus moderne et plus proche de l'historique et même du politique. Je m'y suis un peu ennuyé car je n'aime pas ces thématiques. Et retour à l'aventure exotique avec le cinquième album, La Ligne de vie, qui encore une fois m'a bien plu même si là encore on sent un côté un peu forcé des auteurs dans leur manière de ramener des personnages du passé (Bouche dorée, Raspoutine encore, et là en particulier Banshee de l'album Fables Celtiques), pour bien rappeler que leurs aventures s'inscrivent dans la continuité de celles de Pratt. Donc tout n'est pas parfait, c'est parfois un peu guindé, un peu forcé ou bien confus, et j'aurais pu rester dans mon refus de les lire par respect pour Hugo Pratt et son œuvre si personnelle, mais la reprise est objectivement très réussie et fidèle à l'esprit de son auteur, tant dans le dessin que dans la forme des intrigues et dans l'esprit des personnages et de la narration.
Lettres perdues
Comme les aviseurs qui m'ont précédé, je suis tombé sous le charme de cette singulière série. Jim Bishop propose un récit en trompe l'œil dans cet univers merveilleux où une humaine se prend la tête avec une poisson employée de la poste . Les premières planches font croire à un univers mi enfantin mi loufoque où le jeune Iode m'a immédiatement fait penser à un petit prince isolé sur une plage paisible aux cabanons ressemblant à ceux d'Arcachon. Pourtant dès les premières planches une sorte de poésie mélancolique sourde de ce visuel inhabituel. Par petites touches l'auteur nous dévoile avec tendresse ces trois personnages qui ne trouvent pas leur place dans ce monde ensoleillé. Car derrière cette façade de station balnéaire paisible, bishop introduit des thématiques peu visitée: la rupture du lien avec la mère et ses implications psychologiques fortes, le vol de sable sur les plages et ses conséquences écologiques. Le final est inattendu et donne à l'histoire une profonde émotion qui peut résonner fortement sur les vécus de certains ( moi par exemple) . Le graphisme travaille sur ce décalage entre une ligne ronde et franche, une mise en couleur pastelle et lumineuse et cette ambiance de profonde solitude qui étreint les trois personnages. Les extérieurs sont créatifs et travaillés avec soin. Les personnages poissons présentent une forte originalité dans leur diversité. Une lecture surprise vraiment inclassable mais très créative avec une belle profondeur.
Versatile
C'est la première BD des sœurs Chauvin, Hosanna au scénario et Clotilde au dessin et à la couleur. Le résultat est très bon. Hosanna a transporté la cour de Versailles dans le royaume imaginaire de Versatile, et celui-ci porte très bien son nom. Un royaume qui a une particularité, on peut gravir les échelons sociales suivant les actions réalisées (ou non réalisées), des piastres (la monnaie royale) tombent alors automatiquement dans une bourse et on peut voir où l'on se situe grâce à une sorte de montre à gousset (voir la deuxième image de la galerie), l'aiguille pointe sur la position sociale du moment. Une aiguille qui peut tout aussi bien grimper, que descendre. On va suivre le parcours de Célimène, elle est née chiffonnière et veut devenir reine. Pour monter les échelons, il n'y a pas 36 façons de le faire, soit on travaille dur et on est méritant, soit on écrase la concurrence et tous les coups sont permis. Célimène va choisir la deuxième option, et ce choix aurait dû me la rendre antipathique, car évidemment elle sera garce, mais elle a aussi un côté désespérée qui m'a touché. Un personnage complexe qui sera amené, le long de son ascension sociale, à côtoyer son contraire, Dorval. Un duo que tout oppose, deux visions différentes de la vie et de l'amour. Un rythme soutenu, des personnages fouillés, l'esprit XVIIIe siècle est bien rendu et le récit tient en haleine. La morale sera-t-elle sauve ? Je vous laisse le découvrir, mais vous aurez un peu votre mot à dire. Le dessin de Clotilde est racé, il me plaît beaucoup, je lui trouve un charme fou et une texture singulière qui dégage de l'émotion. Les couleurs sont superbes. J'en redemande. Un duo d'autrices que je vais suivre. Coup de cœur.
Deux Filles nues
Cette oeuvre a grandi en moi au fil des pages à un point que je n’aurais pu imaginer! Tout commence avec des bribes d’images qui se complètent, Otto peint Mashka au milieu de la forêt puis nous suivons Otto dans les rues allemandes de 1919 avant d’arriver dans son atelier. C’est alors que j’ai compris le concept du livre, chaque case proposée par Luz est en faite le point de vue du tableau ! Et ce concept nous fais suivre toute une fresque historique de l’Allemagne du 20eme siècle du point de vue de ce tableau. Le concept est franchement bien amené. L’auteur en joue d’ailleurs beaucoup avec une certaine poésie et un certain mystère nait autour de ce tableau car, ce tableau que tout le monde juge et observe, cette oeuvre dans laquelle certains perdent leur regard et d’autres souhaitent la voir bruler, on ne peut l’apercevoir qu’à la fin, mis face au fait accompli de tout ce qu’elle a à donner, tout ce qu’elle représente mais aussi tout ce qu’elle a vu. Deux filles nues est une suite de bribes de vies, du peintre au collectionneur, du confiscateur à l’archiviste. C’est aussi un cours d’histoire détourné sur l’art dégénéré qui n’aura finalement jamais cessé d’être d’actualité. En terme de style, certains diront que le dessin est trop simple ou moche. C’est moins élaboré que Vernon Subites mais tout de même plus intelligent que Catharsis. Personnellement j’ai beaucoup aimé la manière dont Luz joue avec le cadre qui bouge, la profondeur des plans (dans certains cas, l’action est dans le second ou troisième plan tandis que le premier n’est que le décor) et la profondeur des personnages qui se penchent pour observer le tableau. Je ne pense pas avoir compris (ou essayé de comprendre) la symbolique des insectes mais Deux filles nues donne à interpréter beaucoup plus qu’au premier abord. Dans la postface, on peut aussi réaliser un parallèle sur le hasard de l’existence au milieu de la tragédie, pour ce tableau mais pour l’auteur lui-même qui était en retard le jours des attentats. Une chouette lecture !