Cela faisait longtemps que je voulais me plonger dans cette œuvre autobiographique. Ça n’est a priori pas un genre que j’apprécie particulièrement en BD, mais certaines œuvres du genre sont marquantes. « Journal » de Neaud se situe dans cette catégorie, comme L'Ascension du Haut Mal de David B, ou certaines œuvres de Mussat (je n’ai lu pour le moment que Carnation, mais Sainte Famille m’attire aussi).
Neaud se met totalement à nu, se livre sans concession, que ce soit pour parler de lui ou de ses proches. Il y a là une prise de risques et un naturel à saluer.
Il mêle réflexions sur la vie, les relations humaines, l’art, la construction d’une personnalité, de nombreux moments triviaux. Sa sexualité, son homosexualité (ses désirs, ses échecs, sa recherche de relations avec des inconnus, et surtout les quelques hommes dont il n’arrive pas à se détacher) occupent une grande partie de ce récit fleuve (avec une forte montée de rage, en particulier dans le troisième tome). Le tout accompagné de la lutte quotidienne contre une certaine précarité.
Rien n’est édulcoré ou mis de côté. Comme les agressions homophobes sauvages et traumatisantes qu’il subit. Mais aussi ce qu’il pense de tous ceux qu’il côtoie. Sa sincérité est louable, mais a dû faire grincer quelques dents (voir la réaction de celui qui est croqué dans son petit album « Le Doumé »), tout le monde n’étant pas prêt à tant de transparence.
Au travers de son expérience et de son récit, Neaud nous donne aussi à voir certains pans de l’éditions indépendante (ego comme X par exemple), des milieux artistiques, mais aussi de la façon dont été vue l’homosexualité dans les années 1990. L’autobiographie se pare de sociologie, sans que la partie BD et la fluidité de lecture n’en pâtisse.
Le dessin de Neaud, avec son trait réaliste et fin, usant d’un Noir et Blanc agréable, est aussi pour beaucoup dans le plaisir de lecture. Il ressemble un peu à celui de Frederik Peeters (lui aussi adepte de récits autobiographiques d’ailleurs). Se concentrant sur les personnages (les décors ne sont développés que lorsqu’ils sont au cœur du récit), Neaud use de styles différents parfois pour marquer un décalage (ou comme on utilise le signe « – » pour isoler une remarque de la phrase principale). L’effacement de certains traits de visage lui permet aussi de montrer sentiments et évolutions de relations bien mieux qu’avec des mots. Bref, le travail graphique aide à « digérer » un récit dense et parfois étouffant, mais jamais ennuyeux.
C’est une entreprise ambitieuse (que Neaud commence à prolonger avec « Le Dernier Sergent »), et exigeante envers ses lecteurs. Car c’est très dense, et ces trois albums (j’ai lu la série dans la réédition de Delcourt) nécessitent d’investir du temps (j’y ai consacré une bonne partie d’un week-end) tant le texte est abondant. Mais c’est une lecture que j’ai appréciée.
Le tome 3, de loin le plus épais (plus de 400 pages !) est aussi celui qui se révèle le plus étouffant, les frustrations de l’auteur à propos de sa relation (avortée) avec un certain Dominique occupant presque toute la place.
Le dernier album de la série est lui plus apaisé, on sent que Fabrice Neaud a passé un cap (singulièrement il commence par une longue introduction assez poétique, avec pas mal de très belles planches muettes représentant la nature du Pays Basque). Il y a certes encore des envolées assassines et sans concession sur les différences de traitement entre hétérosexualité et homosexualité, et quelques scories de l’incendie qui a brûlé son année précédente, mais on sent bien que l’auteur regarde désormais plus en avant qu’en arrière. Un déménagement, l’intégration de nouveaux cercles amicaux, la publication du premier tome du « Journal » lui donnent une assise plus stable. L’album se clôt d’ailleurs sur un départ en vacances, sur quelque chose de très positif. J’imagine que les difficultés d’Ego comme X ont interrompu la publication, et que Le Dernier Sergent reprend là où « Journal » s’était arrêté.
Enfin dans ce dernier tome (mais aussi déjà dans le précédent), les amateurs de BD découvriront un certain nombre d’auteurs que Neaud côtoyait (seuls les prénoms sont donnés) : Xavier Mussat, Denis Bajram (qui se lance dans une longue explication de l’univers Marvel avec un point de vue mystique) par exemple.
Une œuvre introspective mais accessible. Une série à découvrir.
Une série humoristique vraiment très bien faite.
Un jour, un yakuza trouve chez lui une mystérieuse fille qui a des pouvoirs psychiques et il est plus ou moins obligé de l'adopter. À partir de ce postulat, l'auteur raconte une série délirante comme je l'aime. Il y a une galerie de personnages intéressants et attachants et le fait de toujours voir de nouveaux visages permet de varier les histoires. C'est vraiment le genre de série où je ne sais jamais ce qui va se passer ensuite et cela la rend passionnante.
On retrouve un des types d'humour que j'aime le plus dans les mangas: le dessin est réaliste, mais les situations ne le sont pas du tout et c'est rempli de quiproquos qui me font bien rigoler. Il y aussi du drame par moment et là aussi c'est bien fait parce que le ton est juste et on ne tombe pas dans du mélodramatique chiant comme c'est souvent trop le cas avec les mangas.
Bon même si j'aime bien la série, je ne sais pas trop quoi écrire de plus hormis le fait que c'est marrant pour moi. En tout cas, c'est une série à essayer si vous voulez un manga qui sort de l'ordinaire.
Je vais paraître inculte mais je ne connaissais pas du tout le roman de Golding. En effet il n'était pas au programme à mon époque. J'ai donc découvert ce récit avec des yeux de néophyte. Une lecture d'un pessimiste profond à laquelle j'ai eu du mal à accrocher une grande partie de l'adaptation de Aimée De Jongh. Je ne jugerais pas la qualité de l'adaptation mais plutôt la série en soi.
Il faut reconnaître que le travail de l'artiste n'était pas facile car elle était étroitement surveillée par les ayant droits et les fans du célèbre texte comme le prouvent certains commentaires sur ses choix d'édulcorer ou de réduire ( par la force des choses) certains passages de l'œuvre originale. Une fois l'œuvre entièrement lue d'une traite , je trouve que l'autrice s'en tire vraiment bien. Les 350 pages se lisent très vite. En effet l'autrice garde une partie du texte original en voix off pour le descriptif et dans les dialogues pour l'actif. Cela donne un texte d'un excellent niveau en off, et très incisif en bulles. On peut toujours contester certains choix mais la narration textuelle est fluide et très dynamique.
De Jongh s'approprie plus particulièrement la narration visuelle avec un graphisme particulier qui ressemble à de la jeunesse. C'est tout l'art de la construction visuelle de l'autrice de nous faire découvrir à travers cette montée en puissance de l'intensité dramatique la profondeur du message de Golding. Après un début dans un genre aventure de survie à la Defoe on passe très vite à une parabole philosophique traitant de thèmes fondamentaux comme le droit et la force, le raisonnable et le fantasmé, la nature fondamentale de l'homme, bon sauvage ou ontologiquement mauvais? Golding ne peut qu'introduire une interrogation théologique puisque ce qui vient du ciel est mort , Sa Majesté des mouches n'est pas sans rappeler les anciens rites païens.
On le voit le travail de l'autrice était d'autant moins facile qu'il ne lui appartient pas de donner SA lecture d'une œuvre aussi riche mais de l'ouvrir à un large public qui ne la connaissait pas ( comme moi).
Graphiquement une difficulté supplémentaire est que tous les personnages sont des enfants assez jeunes avec des visages très ressemblants. C'est aussi une façon de montrer qu'avec un physique quasi identique, Ralph et Jack renvoient à des concepts aux antipodes du bien et du mal, via des organisations sociétales très différentes.
Je termine par cette évolution de la mise en couleur qui accompagne la montée de la sauvagerie qui s'installe dans le récit.
Une lecture très intéressante qui conduit à une profonde méditation même si je ne suis pas raccord avec ce pessimiste extrême.
Grand coup de coeur pour cette BD. Le formalisme très atypique (mélange de dessins et de photos d'époque) et le choix de l' esthétique des dessins m'ont beaucoup plu. C'est moderne, coloré, vif, beau...
Et l'aventure que représente ce château et ses occupants est tout simplement incroyable. Je suis heureux d'avoir découvert ce Michel Magne de cette manière là.
Petite traversée du monde des EHPAD et de nos vieux retraités... Sachant la misère et la solitude qu'on trouve en ces lieux déprimants, à ma très grande surprise, j'ai passé un moment joyeux, divertissant et sensible en accompagnant notre héro dans son tout nouveau travail.
L' auteur a ce talent de rendre compte en toute simplicité, avec humanité, d'un pan de notre société qui nous effraie voir nous dégoûte.
A découvrir !
Quand on voit la science, c’est que l’armée n’est pas loin.
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Ce tome contient une histoire indépendante de toute autre, qui ne nécessite pas de connaissance préalable particulière des personnages. Elle recèle plus de saveurs si le lecteur connaît les grandes lignes du Secret de l’Espadon. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Floc’h (Jean-Claude Floch) pour les dessins et les couleurs, et par Jean-Luc Fromental & José-Louis Bocquet pour le scénario. Il comprend cent-vingt pages de bande dessinée.
Vol BOAC 534 London-New York, 7:30 pm. Francis Blake se tourne vers Philip Mortimer, se plaignant que traverser l’Atlantique pour aller une fois de plus palabrer sur la paix constitue une belle perte de temps. Son ami lui répond qu’il paraît que le nouveau siège des Nations Unies est une merveille d’architecture, ça les changera de leurs vieilles pierres. Et puis il faut entretenir la flamme si fragile de la liberté. Il continue : La plume est plus forte que l’épée, ce n’est pas à Blake qu’il va rappeler ce vieil adage. Mortimer a hâte d’entendre le discours de son cher ami. L’avion atterrit à l’aéroport d’Idlewid, dans le Queens. Les deux Britanniques prennent un Yellow Cab pour se rendre au Penn Club, 44e Rue. Blake se félicite que le Penne soit une filiale de leur vieux Centaur. Au même moment, une silhouette progresse sans bruit dans la section des antiquités égyptiennes du Metropolitan Museum. S’arrêtant devant l’un des trésors exposés, l’intrus entreprend un mystérieux travail. Quand soudain un gardien en train de faire sa ronde l’interrompt dans sa besogne. L’intrus réagit avec une vivacité imprévisible, et d’un bond traverse la fenêtre. Fuyant le lieu de son forfait, l’homme se fond dans l’obscurité de Central Park. Mais… il est arrêté par des agents de police.
Siège des Nations Unies, New York, 09:00am. Ici, les nations de bonne volonté s’efforcent de maintenir l’ordre mondial dans une époque menacée par la guerre. Trois architectes, un Suisse, un Brésilien et un Américain ont uni leurs talents pour donner à cette maison des peuples l’élan et l’optimisme d’un futur radieux. L’agent Spécial O’Rourke du FBI se présente au contrôle, pendant que Black & Mortimer échangent avec Lord Bolton. Ce dernier espère que la communication de Blake mettra l’accent sur l’impérieuse nécessité d’un désarmement bilatéral. Leur discussion est interrompue par l’arrivée d’O’Rourke qui se présente car il a un mot urgent à leur dire : Cette nuit, un individu s’est introduit dans la section égyptienne du Metropolitan Museum et a vandalisé une pièce de grande valeur. Il précise qu’il s’agit de la stèle d’Horus, sur laquelle a été gravé un message inachevé, Par Horus, dem… Le conservateur du Met était au Caire lors de l’affaire de la Grande Pyramide, le graffiti l’a mis sur leur piste. O’Rourke a su qu’ils étaient à New York pour la conférence sur la paix et le voilà. Il les emmène au bureau de New York, du FBI. Derrière une glace sans tain, Blake et Mortimer observe un individu barbu et amnésique être interrogé par l’agent spécial.
En fonction de sa familiarité avec la série Blake & Mortimer, le lecteur peut s’être préparé à une lecture très dense en phylactères et en cartouches de texte, avec des dessins précis et détaillés, marque de fabrique d’Edgar Félix Pierre Jacobs (1906-1987). Il fait l’expérience d’une lecture fluide et facile, ce qui lui fait comprendre que cet album ne fasse pas partie de la continuité classique, mais qu’il ait trouvé sa place dans les albums hors-série après L’aventure immobile (1998) de Didier Convard et André Juillard, Le dernier pharaon (2019) de François Schuiten, Jaco van Dormael, Thomas Gunzig et Laurent Durieux, La fiancée du Dr Septimus (2021) de François Rivière & Jean Harambat. D’un autre côté, les références aux aventures emblématiques sont bien présentes : en particulier sont cités Razul Bezendjas, Doktor Grossgrabenstein, Guinea Pig, Basam-Damdu, mais aussi l’affaire Septimus l’onde Mega du docteur Wade, et le Centaur Club, l’Aile Rouge. Francis Blake apparaît toujours aussi chic et quelque peu raide dans son trenchcoat. Philip Mortimer sourit un tout petit peu plus, avec une personnalité plus accessible. D’un autre côté, les auteurs ont fait le choix de délocaliser les deux héros, ainsi que leur ennemi de l’autre côté de l’Atlantique. Dans les conventions du genre Blake & Mortimer, le lecteur relève également le rôle mineur des femmes : un seul personnage féminin parmi les seconds rôles. Si elle exerce une profession médicale, elle n’en reste pas moins susceptible aux élans du cœur.
Dans la mesure où le récit référence explicitement les événements du Secret de l’Espadon et du Mystère de la grande pyramide, le lecteur peut en déduire que le récit se déroule au début des années 1950. Il situe donc le contexte : la guerre froide, c’est-à-dire de fortes tensions géopolitiques entre les États-Unis et leurs alliés (le bloc de l'Ouest) et l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et alliés (le bloc de l'Est). Dans la mesure où la conférence pour la paix se tient au siège des Nations Unies à Manhattan, le lecteur peut même situer le récit après l’inauguration de ce bâtiment en 1951. L’ossature de l’intrigue s’avère assez simple : Blake doit prononcer un discours au cours de la conférence, mais la découverte de la présence d’Olrik semble pointer vers l’existence d’un acte terroriste. Le lecteur reconnaît le jeu avec l’état de conscience de l’ennemi habituel du duo : est-il en pleine possession de ses moyens ? A-t-il perdu la mémoire pour de bon ? Est-ce que la machination qu’il a ourdie ira à son terme malgré son état ? Il est certain que Blake et Mortimer vont devoir mener l’enquête, tout en respectant leurs obligations vis-à-vis de la conférence.
Dès la couverture, le lecteur apprécie l’élégance de la composition de l’image, entre l’influence d’EP Jacobs et une épure plus spécifique à Floc’h. L’artiste s’inscrit dans la tradition de la ligne claire, avec des aplats de couleur unis, des traits de contour bien nets, et une approche descriptive et réaliste. Il ne fait que quelques écarts par rapport à la forme pure de cette tradition : quelques petits traits dans les étoffes des vêtements pour figurer les plis, et de rares aplats de noir parfois pour les ombres portées. Le lecteur est séduit dès la première page, par ces cases à la lisibilité immédiate, une vision très claire de la réalité, débarrassée de tout superflu. Il laisse son regard absorber les différents décors : la statue de la Liberté, les gratte-ciels de Manhattan, l’immeuble des Nations Unies et les immeubles qui l’entourent, le sommet du Chrysler Building, une courte balade dans Central Park avec des feuillages superbes, les échelles de secours caractéristiques en façade d’immeuble, Brooklyn Bridge, une forêt du Massachussetts, une forêt du Vermont. Les intérieurs sont représentés avec la même clarté, le même art de l’essentiel : l’aile égyptienne de Metropolitan Museum, la clinique Scarsdale du docteur Rosalind Shapiro à Westchester County, la grande salle de conférence des Nations Unies, le salon du club Centaur, un Delicatessen, une tour de contrôle, etc.
Floc’h impressionne par sa capacité à donner une apparence simple et naturelle à tout ce qu’il représente, alors même qu’il joue avec des artifices. Pour peu qu’il y soit sensible, le lecteur s’en aperçoit dès la première case avec ce ciel rose dragée chaud, puis cet océan rose framboise, couleurs fort éloignées d’une approche naturaliste. Il est également frappé par les coiffures : un contour simple, quelques traits courts à l’intérieur pour évoquer les ondulations, et le coup de peigne donnant la direction des cheveux. Cela s’avère particulièrement frappant avec la chevelure totalement blanche de Rosalind Shapiro quand sa tête se trouve de profil : de courts traits noirs ondulés bien parallèle sur fond blanc, quasiment une figure abstraite. Ou encore la blancheur immaculée des grands carreaux de la salle de soin de la clinique. L’artiste prend visiblement plaisir à jouer sur les représentations avec des caractéristiques ponctuelles : quelques cases dépourvues de bordure, une scène en ombre chinoise, Olrik semblant comme tomber dans une spirale (rappelant une composition similaire dans Vertigo -1958 – d’Alfred Hitchock, la coiffure de Shapiro évoquant celle de Kim Novak), une page composée d’une alternance de têtes en train de parler, l’usage d’un rouge vif comme fond de case pour souligner la violence de manière expressionniste, etc.
Le lecteur prend plaisir à cette aventure progressant rapidement, facile à suivre, à la narration visuelle d’une accessibilité exemplaire. Alors que deux blocs géopolitiques semblent condamnés à s’affronter du fait d’idéologies incompatibles, les personnages impliqués dans le récit, britannique, russe, américain, semblent au contraire s’impliquer dans l’effort de paix, établissant ainsi un contraste entre les nations et les individus. Le titre fait référence à L’art de la guerre, de Sun Tzu (-544 à -496) dont un exemplaire est retrouvé dans l’appartement d’Olrik, et dont Mortimer lit quelques passages. Cet ouvrage s’oppose thématiquement à la volonté des héros qui, eux, œuvrent pour la paix. Alors que le lecteur vient avec l’a priori d’une confrontation, d’une opposition entre des camps, il découvre un récit qui fonctionne sur l’entraide et la bonne volonté, sans manichéisme… à l’exception d’Olrik lui-même. En cours de récit, les auteurs semblent justifier ce choix lorsque le personnage s’adresse à ses deux ennemis pour leur demander : S’il n’y a plus d’Olrik, à quoi servent Blake et Mortimer ?
Une aventure de Blake & Mortimer hors-série : les auteurs peuvent donc s’affranchir d’une partie des caractéristiques de la série, ne pas en respecter la lettre, mais en respecter l’esprit. Ils diminuent sciemment le niveau de densité de l’intrigue, des phylactères et du nombre de cases, ce qui aboutit à une narration plus digeste, plus accessible peut-être, pour une aventure bien inscrite dans son époque, avec des résonnances très actuelles sur la tentation d’être dans l’affrontement permanent. Une bande dessinée raffinée, respectueuse et intelligente.
C’est un album tout public, mais tourné avant tout vers un jeune, voire très jeune lectorat. Ceci explique sans doute que le raisonnement n’est pas poussé jusqu’au bout (je m’attendais par exemple à ce que soit aussi évoquée la surpêche et la disparition des poissons dans la morale finale).
Mais ne chipotons pas, c’est un petit album bien fichu, qui démontre plaisamment et avec une petite pirouette absurde la vacuité de la recherche effrénée du profit.
Un pêcheur – aux airs de loup de mer – affalé dans sa barque, oisif, se voit délivrer une leçon d’économie et de morale par un touriste qui l’exhorte à être plus dynamique, plus productif, plus ambitieux : il devrait rechercher davantage à s’enrichir.
Une leçon d’économie finalement battue en brèche par la bonhommie du pêcheur. La chute est gentiment jouissive.
L’album est d’autant plus plaisant à lire qu’il bénéficie du dessin toujours très agréable d’Émile Bravo, simple et fluide.
Une petite lecture très rapide, mais très sympathique aussi.
Très chouette album, vraiment.
Matz est un vieux routier des polars, et il réussit là à bâtir une histoire prenante, sans jamais trop s’éloigner du classique, sans être hyper original.
Mais c’est du travail bien fait. Et l’intrigue est bien construite. Le fil rouge est assez simple, plutôt linéaire : Joe, un ancien ponte de la mafia new-Yorkaise, bénéficiant du programme des témoins repentis, sous la protection – lointaine – du FBI, doit témoigner et enfoncer ses anciens partenaires, qui bien sûr veulent lui faire la peau et l’empêcher d’atteindre le tribunal.
Voilà pour le cœur de l’histoire. Mais des à-côtés, ou astuces scénaristiques permettent de dynamiser l’intrigue. Des flash-backs remontent jusqu’aux années 1930 (l’histoire est censée se dérouler en 1970), pour retracer l’histoire de Joe (et plus largement de la mafia). Et surtout Joe, qui se balade incognito dans un camping-car en traversant les étendues désertiques des États-Unis, a recueilli un coyote, qui devient son confident : du coup, nous écoutons avec le coyote. Ça passe bien et densifie l’intrigue.
La narration est fluide, agréable. On prend le temps de bien entrer dans l’histoire et la personnalité de Joe, les enchainements sont crédibles.
De plus, le dessin de Xavier est lui aussi aux petits oignons. Décors et personnages sont réussis, c’est visuellement très plaisant.
Un polar classique et réussi, avec une pagination importante, mais jamais on ne s’ennuie. Une réussite donc.
Comprendre qu’une œuvre soit plus investie que la vie…
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Ce tome contient une évocation d’une partie de la vie et de l’œuvre d’Unica Zürn, une artiste allemande. L’édition originale date de 2019. L’album a été réalisé par Céline Wagner, pour le scénario, le dessin et la mise en couleurs. Il comprend cent-onze pages de bande dessinée. Il comporte à la fin des notes au lecteur et des carnets ouverts, soit un dossier de vingt-cinq pages. S’y trouvent une introduction d’une page, des citations de Gilles Deleuze, Stéphane Mallarmé, Michel Foucault, Anselm Kiefer, Gregory Bateson, les libertés prises à l’égard des faits biographiques, des illustrations de l’autrice, un article sur les dessins automatiques et les poèmes anagrammes, des œuvres de Zürn, des poèmes extraits de L’homme-Jasmin, un texte sur Le camp des Mille d’Aix-en-Provence, et un sur Le palais idéal du Facteur Cheval.
Unica a imaginé un grand hypnotiseur qu’elle baptise H.M., une entité supérieure qu’elle porte aux nues. Cloué dans un fauteuil roulant, il est impossible à H.M. de la toucher. L’abstraction du corps incarne leur union spirituelle, à l’image de l’amour pur, selon elle. Elle attend ses prophéties pour accomplir son merveilleux destin. […] Elle se rappelle les émois de l’aube faits de beauté et de souillures, où il fut clair qu’ensuite, rien ne serait comme avant. La précoce conscience de la mort, les pulsions érotiques de l’enfance et avoir manqué à sa parole tant de fois, malgré l’indulgence des amis, hantent ses rêveries quotidiennes. Dans les bois, des corps de femmes nues, des robes rouges à même le sol. Un homme en fauteuil roulant s’adresse à Unica : il lui intime de ne pas se contenter de cette vie médiocre, elle mérite mieux que ça. Il se lève de son fauteuil et ramasse une femme dont le corps nu est en désordre. Il continue : Hans Bellmer la croit fragile ? Qu’elle lui montre qui elle est vraiment ! Qu’elle ne se laisse pas manipuler ! Elle était bien plus hardie quand elle était petite fille. Qu’attend-elle pour se défendre ? Lui résister ?
Unica a une certitude. Le grand hypnotiseur est sur le point de dévoiler son visage, dont chaque passant porte la trace ; il suffirait de superposer toutes ces figures pour atteindre la vérité. Elle est maintenant revêtue d’une robe blanche et elle avance de nuit dans les bois, une chandelle à la main. Le grand hypnotiseur est dans son fauteuil roulant et il avance au milieu de la chaussée dans une rue étroite. On la trait de folle. On lui reproche de se comporter comme une enfant obstinée dans sa quête de merveilles. Elle fume assise, fenêtre ouverte, dans sa chambre d’hôpital psychiatrique. Elle éprouve la sensation qu’une femme à la chevelure de serpents lui conseille de se montrer telle qu’elle est. Le grand hypnotiseur reprend ses exhortations : Tout le monde la croit fragile, pas seulement Bellmer ! Elle n’a pas besoin d’eux ! Va-t-elle se contenter de singer la vie des autres ? Devenir adulte, vieillir, mourir ? Elle se trouve maintenant dans un parc avec des arbres en fleur, elle sait que l’heure de la délivrance est venue. Elle va quitter Bellmer et épouser son grand H.M.
Pas sûr que le lecteur soit familier d’Unica Zürn (1916-1970) et de son travail, ou de son importance au sein du mouvement surréaliste, et vraisemblablement pas non plus de sa vie personnelle, en particulier sa schizophrénie. Dès la première page, la narration le prend également au dépourvu : comme six cases par bande de deux, des images d’arbres dans une forêt en bleu et rouge sur fond blanc, avec la tête d’un cadavre couché au sol. Comme apposé sur ces cases, se trouve un cartouche de texte sur fond blanc sans ligne de bordure évoquant H.M. cette entité supérieure qu’elle s’est inventée. La deuxième planche est constituée d’une image en pleine page, majoritairement réalisée à l’aquarelle, ce mystérieux H.M. s’adressant à Unica que le lecteur ne voit pas. Après deux pages de narration visuelle à base de bandes et de cases, vient une autre planche de six cases avec un texte apposé par-dessus. En page quinze, une composition de trois bandes de chacune deux cases, dont quatre sont réalisées au stylo, des dessins réalisés par l’autrice à la manière d’une partie des œuvres d’art de l’artiste. Le lecteur va être régulièrement surpris par des changements de mise en page ou de technique de dessin et de peinture. Une peinture en pleine page dont la partie de gauche montre Unica assise par terre dans des teintes mordorées, et la partie de droite Hans dans des teintes bleues. Le lecteur ressent cette diversité qui s’adapte à l’état d’esprit de l’artiste faisant usage d’éléments hétéroclites en toute liberté : des taches d’encre sur un phylactère, le début d’article de dictionnaire sur Zürn, des silhouettes indistinctes dans une pièce avec leur nom dessus, d’autres dessins automatiques à la manière de l’artiste, des lettres de Bellmer, des poèmes anagrammes, etc.
L'autrice montre donc différents passages de la vie de l’artiste, avec une approche subjective, adoptant la sensibilité de cette dernière. D’un côté, le lecteur découvre une suite d’événements déformés par le désordre mental, tout en étant parfaitement intelligibles. Une phase d’internement, une autre de vie en couple avec Hans Bellmer, un rendez-vous avec un galeriste important en 1957, des moments de création en fumant une cigarette, un café en terrasse à Paris avec André Breton (1896-1966), Hans Bellmer et Max Ernst (1891-1976), une promenade nocturne dans les rues d’une ville, un acte pyromane dans une chambre de l’hôtel Jasmin, un nouvel internement où elle côtoie plusieurs autres femmes, le retour à la vie en couple avec Hans Bellmer. De ce point de vue, les dessins remplissent une fonction descriptive, avec un degré un peu simplifié dans la représentation, des inspirations tirées de différents courants picturaux du vingtième siècle. Dans le même temps, chaque moment est vécu par le biais des émotions et des états d’esprit d’Unica Zürn, ce qui apparaît dans ses remarques, dans les courts textes créés par l’autrice, dans le glissement des représentations. Le registre des images fluctue parfois insensiblement, avec des détails (H.M. qui n’a pas de bouche dans son visage), parfois dans la palette de couleurs (la deuxième séquence qui est rouge), d’autres fois avec l’intégration d’un élément mythologique (la gorgone), dans le comportement de Zürn qui se met à danser, le retour d’une forme particulière ou d’une couleur qui renvoie alors à une scène précédente, etc.
L’autrice épate le lecteur en lui faisant ressentir le monde comme Unica Zürn, ou en tout cas avec une interprétation très personnelle et peu conventionnelle de la réalité. Le lecteur éprouve une étrange sensation de dédoublement : à la fois il éprouve le réel à travers les convictions et les prismes de l’artiste, à la fois il ne peut pas se départir de sa rationalité. Il se rend compte que la narration forme un tout cohérent qui intègre ces deux aspects en un récit fluide, que les œuvres à la manière de Zürn y trouvent leur place, avec ce paradoxe de percevoir d’où vient son inspiration et en même temps de faire l’expérience de textes (poèmes anagrammes) et de visuels (dessins automatiques) qui ne lui seraient jamais venus à l’esprit. Une sorte de pas de côté, de capacité à envisager son environnement avec un regard original. L’autrice parvient ainsi à la fois à mettre en lumière ce qui engendre une vision différente, et à montrer une artiste qui sait se détacher des modes de pensée traditionnels pour produire une œuvre originale, un Graal pour bien des artistes.
La vie d’Unica Zürn parvient à son terme, et la curiosité du lecteur le pousse à regarder l’iconographie du dossier qui suit, à lire quelques légendes, et finalement à tenter les premiers paragraphes de texte. Il découvre alors les notes ou des extraits de carnets de l’autrice, mis en forme. L’introduction, la première partie, relate ses questionnements sur la façon de rendre compte de la vie d’un être humain, en l’occurrence d’une artiste. Céline Wagner évoque le fait que : L’image, le portrait et plus généralement la représentation, attribuent une fausse identité à un personnage – Ici, une artiste insaisissable et son œuvre, source d’interprétation et d’inspiration intarissable pour elle. Cette identité, qu’elle soit peinte ou dessinée, relève nécessairement du fantasme, non moins que la photographie, obsolète dès la seconde suivant sa prise. Aussi faudrait-il considérer toute imagerie comme un leurre. […] Elle évoque le choix fait par la plupart des biographes d’aborder la vie de l’artiste par le prisme de la folie, angle qui lui paraît insuffisant. Elle a préféré préserver au mieux le mystère d’un esprit créateur qui se tient en marge de la normalité.
Le lecteur se plonge dans ces paragraphes qui prolongent la bande dessinée, qui lui donnent à voir la réflexion de l’autrice, ses questionnements, explicitant ainsi ses choix. Sur la représentation pour commencer, qui est forcément interprétation tronquée, sur le mystère d’un esprit créateur qui se tient en marge de la normalité, sur comment rendre à Unica Zürn ce qui lui est dû (l’acceptation de son imaginaire comme réalité et la reconnaissance de son choix d’appuyer sa pensée sur des signes plutôt que sur des faits), sur le fait de ses propres poèmes anagrammes et dessins automatiques afin de respecter le choix de départ de ne pas raconter la vie d’Unica Zürn, mais de faire l’expérience de sa pensée sur son travail, sur l’expérience de l’internement dans un contexte différent, à quinze ans d’intervalle. Le récit porte alors en lui une image du malade schizophrène écarté de la machine sociale et maintenu dans le réseau de l’hôpital, sous la surveillance de la médecine et la vigilance de leurs proches, c’est-à-dire une logique de contrôle qui, au-delà du domaine de la maladie et de la folie, s’étend à l’ensemble de la population, et conforte dans l’idée qu’on peut se prémunir des dérives de la normalité, sur la place de l’art brut dans la société et sa reconnaissance.
Pas sûr que le lecteur puisse être très investi dans une artiste dont il n’a peut-être jamais entendu parler, ou qu’il souhaite s’intéresser à l’art d’une schizophrène. En même temps, la couverture impressionne par sa composition, et un rapide feuilletage suffit à prendre conscience d’une œuvre d’autrice. La narration visuelle séduit immédiatement, par son originalité, sa forte personnalité et sa prévenance inattendue, rendant immédiatement accessible un récit basé sur plusieurs visions ou interprétations de la réalité, une variété de modes de rendu, et une unité cohérente sans solution de continuité. Le lecteur ressent la réalité par les perceptions d’Unica Zürn, sans jugement de valeur, une expérience remarquable. La forte impression réalisée par cette lecture le conduit à la prolonger par les carnets ouverts de l’autrice, une deuxième expérience remarquable d’honnêteté et de réflexion. Magique. L’autrice explicité que le sujet de cet album pourrait être : comprendre qu’une œuvre soit plus investie que la vie…
Cet album est une pépite !
Hé oui, vous allez encore lire un avis enthousiaste !
Un album de grande taille qui permet de mettre en valeur le travail titanesque de Jean Dalin. Vous allez en prendre plein les mirettes !
Un dessin original, fluide et d'une froide beauté. Je suis resté bouche bée devant l'inventivité des mondes visités et du soin méticuleux apporté à chaque détail. Des doubles pages à couper le souffle.
Un plaisir des yeux qui doit beaucoup aux choix des couleurs, elles vont suivre les pérégrinations de nos personnages et évoluer au fil de leurs aventures. Des couleurs intenses aux contrastes saisissants !
L'agencement des planches est très varié et facile à suivre, il peut aller d'une pleine page à une quarantaine de cases sur une même planche.
N'hésitez pas à feuilletter l'album en librairie.
Du grand art !
Un monde futuriste où une lettre doit être remise en main propre à sa destinataire. Une intrigue qui se met en place sur fond d'amitié, d'amour, de trahison et de hiérarchisation.
Un récit abstrait, drôle, absurde, labyrinthique et touchant. Les dialogues sont savoureux, les situations cocasses sont nombreuses, mais une certaine noirceur demeure malgré tout.
Vivement le second volume pour en connaître la conclusion.
Un album novateur. Bravo à Jean Dalin pour ce premier coup d'essai.
Gros coup de cœur graphique.
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Journal
Cela faisait longtemps que je voulais me plonger dans cette œuvre autobiographique. Ça n’est a priori pas un genre que j’apprécie particulièrement en BD, mais certaines œuvres du genre sont marquantes. « Journal » de Neaud se situe dans cette catégorie, comme L'Ascension du Haut Mal de David B, ou certaines œuvres de Mussat (je n’ai lu pour le moment que Carnation, mais Sainte Famille m’attire aussi). Neaud se met totalement à nu, se livre sans concession, que ce soit pour parler de lui ou de ses proches. Il y a là une prise de risques et un naturel à saluer. Il mêle réflexions sur la vie, les relations humaines, l’art, la construction d’une personnalité, de nombreux moments triviaux. Sa sexualité, son homosexualité (ses désirs, ses échecs, sa recherche de relations avec des inconnus, et surtout les quelques hommes dont il n’arrive pas à se détacher) occupent une grande partie de ce récit fleuve (avec une forte montée de rage, en particulier dans le troisième tome). Le tout accompagné de la lutte quotidienne contre une certaine précarité. Rien n’est édulcoré ou mis de côté. Comme les agressions homophobes sauvages et traumatisantes qu’il subit. Mais aussi ce qu’il pense de tous ceux qu’il côtoie. Sa sincérité est louable, mais a dû faire grincer quelques dents (voir la réaction de celui qui est croqué dans son petit album « Le Doumé »), tout le monde n’étant pas prêt à tant de transparence. Au travers de son expérience et de son récit, Neaud nous donne aussi à voir certains pans de l’éditions indépendante (ego comme X par exemple), des milieux artistiques, mais aussi de la façon dont été vue l’homosexualité dans les années 1990. L’autobiographie se pare de sociologie, sans que la partie BD et la fluidité de lecture n’en pâtisse. Le dessin de Neaud, avec son trait réaliste et fin, usant d’un Noir et Blanc agréable, est aussi pour beaucoup dans le plaisir de lecture. Il ressemble un peu à celui de Frederik Peeters (lui aussi adepte de récits autobiographiques d’ailleurs). Se concentrant sur les personnages (les décors ne sont développés que lorsqu’ils sont au cœur du récit), Neaud use de styles différents parfois pour marquer un décalage (ou comme on utilise le signe « – » pour isoler une remarque de la phrase principale). L’effacement de certains traits de visage lui permet aussi de montrer sentiments et évolutions de relations bien mieux qu’avec des mots. Bref, le travail graphique aide à « digérer » un récit dense et parfois étouffant, mais jamais ennuyeux. C’est une entreprise ambitieuse (que Neaud commence à prolonger avec « Le Dernier Sergent »), et exigeante envers ses lecteurs. Car c’est très dense, et ces trois albums (j’ai lu la série dans la réédition de Delcourt) nécessitent d’investir du temps (j’y ai consacré une bonne partie d’un week-end) tant le texte est abondant. Mais c’est une lecture que j’ai appréciée. Le tome 3, de loin le plus épais (plus de 400 pages !) est aussi celui qui se révèle le plus étouffant, les frustrations de l’auteur à propos de sa relation (avortée) avec un certain Dominique occupant presque toute la place. Le dernier album de la série est lui plus apaisé, on sent que Fabrice Neaud a passé un cap (singulièrement il commence par une longue introduction assez poétique, avec pas mal de très belles planches muettes représentant la nature du Pays Basque). Il y a certes encore des envolées assassines et sans concession sur les différences de traitement entre hétérosexualité et homosexualité, et quelques scories de l’incendie qui a brûlé son année précédente, mais on sent bien que l’auteur regarde désormais plus en avant qu’en arrière. Un déménagement, l’intégration de nouveaux cercles amicaux, la publication du premier tome du « Journal » lui donnent une assise plus stable. L’album se clôt d’ailleurs sur un départ en vacances, sur quelque chose de très positif. J’imagine que les difficultés d’Ego comme X ont interrompu la publication, et que Le Dernier Sergent reprend là où « Journal » s’était arrêté. Enfin dans ce dernier tome (mais aussi déjà dans le précédent), les amateurs de BD découvriront un certain nombre d’auteurs que Neaud côtoyait (seuls les prénoms sont donnés) : Xavier Mussat, Denis Bajram (qui se lance dans une longue explication de l’univers Marvel avec un point de vue mystique) par exemple. Une œuvre introspective mais accessible. Une série à découvrir.
Hinamatsuri
Une série humoristique vraiment très bien faite. Un jour, un yakuza trouve chez lui une mystérieuse fille qui a des pouvoirs psychiques et il est plus ou moins obligé de l'adopter. À partir de ce postulat, l'auteur raconte une série délirante comme je l'aime. Il y a une galerie de personnages intéressants et attachants et le fait de toujours voir de nouveaux visages permet de varier les histoires. C'est vraiment le genre de série où je ne sais jamais ce qui va se passer ensuite et cela la rend passionnante. On retrouve un des types d'humour que j'aime le plus dans les mangas: le dessin est réaliste, mais les situations ne le sont pas du tout et c'est rempli de quiproquos qui me font bien rigoler. Il y aussi du drame par moment et là aussi c'est bien fait parce que le ton est juste et on ne tombe pas dans du mélodramatique chiant comme c'est souvent trop le cas avec les mangas. Bon même si j'aime bien la série, je ne sais pas trop quoi écrire de plus hormis le fait que c'est marrant pour moi. En tout cas, c'est une série à essayer si vous voulez un manga qui sort de l'ordinaire.
Sa Majesté des Mouches
Je vais paraître inculte mais je ne connaissais pas du tout le roman de Golding. En effet il n'était pas au programme à mon époque. J'ai donc découvert ce récit avec des yeux de néophyte. Une lecture d'un pessimiste profond à laquelle j'ai eu du mal à accrocher une grande partie de l'adaptation de Aimée De Jongh. Je ne jugerais pas la qualité de l'adaptation mais plutôt la série en soi. Il faut reconnaître que le travail de l'artiste n'était pas facile car elle était étroitement surveillée par les ayant droits et les fans du célèbre texte comme le prouvent certains commentaires sur ses choix d'édulcorer ou de réduire ( par la force des choses) certains passages de l'œuvre originale. Une fois l'œuvre entièrement lue d'une traite , je trouve que l'autrice s'en tire vraiment bien. Les 350 pages se lisent très vite. En effet l'autrice garde une partie du texte original en voix off pour le descriptif et dans les dialogues pour l'actif. Cela donne un texte d'un excellent niveau en off, et très incisif en bulles. On peut toujours contester certains choix mais la narration textuelle est fluide et très dynamique. De Jongh s'approprie plus particulièrement la narration visuelle avec un graphisme particulier qui ressemble à de la jeunesse. C'est tout l'art de la construction visuelle de l'autrice de nous faire découvrir à travers cette montée en puissance de l'intensité dramatique la profondeur du message de Golding. Après un début dans un genre aventure de survie à la Defoe on passe très vite à une parabole philosophique traitant de thèmes fondamentaux comme le droit et la force, le raisonnable et le fantasmé, la nature fondamentale de l'homme, bon sauvage ou ontologiquement mauvais? Golding ne peut qu'introduire une interrogation théologique puisque ce qui vient du ciel est mort , Sa Majesté des mouches n'est pas sans rappeler les anciens rites païens. On le voit le travail de l'autrice était d'autant moins facile qu'il ne lui appartient pas de donner SA lecture d'une œuvre aussi riche mais de l'ouvrir à un large public qui ne la connaissait pas ( comme moi). Graphiquement une difficulté supplémentaire est que tous les personnages sont des enfants assez jeunes avec des visages très ressemblants. C'est aussi une façon de montrer qu'avec un physique quasi identique, Ralph et Jack renvoient à des concepts aux antipodes du bien et du mal, via des organisations sociétales très différentes. Je termine par cette évolution de la mise en couleur qui accompagne la montée de la sauvagerie qui s'installe dans le récit. Une lecture très intéressante qui conduit à une profonde méditation même si je ne suis pas raccord avec ce pessimiste extrême.
Les Amants d'Hérouville - Une histoire vraie
Grand coup de coeur pour cette BD. Le formalisme très atypique (mélange de dessins et de photos d'époque) et le choix de l' esthétique des dessins m'ont beaucoup plu. C'est moderne, coloré, vif, beau... Et l'aventure que représente ce château et ses occupants est tout simplement incroyable. Je suis heureux d'avoir découvert ce Michel Magne de cette manière là.
Résidence Autonomie
Petite traversée du monde des EHPAD et de nos vieux retraités... Sachant la misère et la solitude qu'on trouve en ces lieux déprimants, à ma très grande surprise, j'ai passé un moment joyeux, divertissant et sensible en accompagnant notre héro dans son tout nouveau travail. L' auteur a ce talent de rendre compte en toute simplicité, avec humanité, d'un pan de notre société qui nous effraie voir nous dégoûte. A découvrir !
Blake et Mortimer - L'Art de la guerre
Quand on voit la science, c’est que l’armée n’est pas loin. - Ce tome contient une histoire indépendante de toute autre, qui ne nécessite pas de connaissance préalable particulière des personnages. Elle recèle plus de saveurs si le lecteur connaît les grandes lignes du Secret de l’Espadon. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Floc’h (Jean-Claude Floch) pour les dessins et les couleurs, et par Jean-Luc Fromental & José-Louis Bocquet pour le scénario. Il comprend cent-vingt pages de bande dessinée. Vol BOAC 534 London-New York, 7:30 pm. Francis Blake se tourne vers Philip Mortimer, se plaignant que traverser l’Atlantique pour aller une fois de plus palabrer sur la paix constitue une belle perte de temps. Son ami lui répond qu’il paraît que le nouveau siège des Nations Unies est une merveille d’architecture, ça les changera de leurs vieilles pierres. Et puis il faut entretenir la flamme si fragile de la liberté. Il continue : La plume est plus forte que l’épée, ce n’est pas à Blake qu’il va rappeler ce vieil adage. Mortimer a hâte d’entendre le discours de son cher ami. L’avion atterrit à l’aéroport d’Idlewid, dans le Queens. Les deux Britanniques prennent un Yellow Cab pour se rendre au Penn Club, 44e Rue. Blake se félicite que le Penne soit une filiale de leur vieux Centaur. Au même moment, une silhouette progresse sans bruit dans la section des antiquités égyptiennes du Metropolitan Museum. S’arrêtant devant l’un des trésors exposés, l’intrus entreprend un mystérieux travail. Quand soudain un gardien en train de faire sa ronde l’interrompt dans sa besogne. L’intrus réagit avec une vivacité imprévisible, et d’un bond traverse la fenêtre. Fuyant le lieu de son forfait, l’homme se fond dans l’obscurité de Central Park. Mais… il est arrêté par des agents de police. Siège des Nations Unies, New York, 09:00am. Ici, les nations de bonne volonté s’efforcent de maintenir l’ordre mondial dans une époque menacée par la guerre. Trois architectes, un Suisse, un Brésilien et un Américain ont uni leurs talents pour donner à cette maison des peuples l’élan et l’optimisme d’un futur radieux. L’agent Spécial O’Rourke du FBI se présente au contrôle, pendant que Black & Mortimer échangent avec Lord Bolton. Ce dernier espère que la communication de Blake mettra l’accent sur l’impérieuse nécessité d’un désarmement bilatéral. Leur discussion est interrompue par l’arrivée d’O’Rourke qui se présente car il a un mot urgent à leur dire : Cette nuit, un individu s’est introduit dans la section égyptienne du Metropolitan Museum et a vandalisé une pièce de grande valeur. Il précise qu’il s’agit de la stèle d’Horus, sur laquelle a été gravé un message inachevé, Par Horus, dem… Le conservateur du Met était au Caire lors de l’affaire de la Grande Pyramide, le graffiti l’a mis sur leur piste. O’Rourke a su qu’ils étaient à New York pour la conférence sur la paix et le voilà. Il les emmène au bureau de New York, du FBI. Derrière une glace sans tain, Blake et Mortimer observe un individu barbu et amnésique être interrogé par l’agent spécial. En fonction de sa familiarité avec la série Blake & Mortimer, le lecteur peut s’être préparé à une lecture très dense en phylactères et en cartouches de texte, avec des dessins précis et détaillés, marque de fabrique d’Edgar Félix Pierre Jacobs (1906-1987). Il fait l’expérience d’une lecture fluide et facile, ce qui lui fait comprendre que cet album ne fasse pas partie de la continuité classique, mais qu’il ait trouvé sa place dans les albums hors-série après L’aventure immobile (1998) de Didier Convard et André Juillard, Le dernier pharaon (2019) de François Schuiten, Jaco van Dormael, Thomas Gunzig et Laurent Durieux, La fiancée du Dr Septimus (2021) de François Rivière & Jean Harambat. D’un autre côté, les références aux aventures emblématiques sont bien présentes : en particulier sont cités Razul Bezendjas, Doktor Grossgrabenstein, Guinea Pig, Basam-Damdu, mais aussi l’affaire Septimus l’onde Mega du docteur Wade, et le Centaur Club, l’Aile Rouge. Francis Blake apparaît toujours aussi chic et quelque peu raide dans son trenchcoat. Philip Mortimer sourit un tout petit peu plus, avec une personnalité plus accessible. D’un autre côté, les auteurs ont fait le choix de délocaliser les deux héros, ainsi que leur ennemi de l’autre côté de l’Atlantique. Dans les conventions du genre Blake & Mortimer, le lecteur relève également le rôle mineur des femmes : un seul personnage féminin parmi les seconds rôles. Si elle exerce une profession médicale, elle n’en reste pas moins susceptible aux élans du cœur. Dans la mesure où le récit référence explicitement les événements du Secret de l’Espadon et du Mystère de la grande pyramide, le lecteur peut en déduire que le récit se déroule au début des années 1950. Il situe donc le contexte : la guerre froide, c’est-à-dire de fortes tensions géopolitiques entre les États-Unis et leurs alliés (le bloc de l'Ouest) et l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) et alliés (le bloc de l'Est). Dans la mesure où la conférence pour la paix se tient au siège des Nations Unies à Manhattan, le lecteur peut même situer le récit après l’inauguration de ce bâtiment en 1951. L’ossature de l’intrigue s’avère assez simple : Blake doit prononcer un discours au cours de la conférence, mais la découverte de la présence d’Olrik semble pointer vers l’existence d’un acte terroriste. Le lecteur reconnaît le jeu avec l’état de conscience de l’ennemi habituel du duo : est-il en pleine possession de ses moyens ? A-t-il perdu la mémoire pour de bon ? Est-ce que la machination qu’il a ourdie ira à son terme malgré son état ? Il est certain que Blake et Mortimer vont devoir mener l’enquête, tout en respectant leurs obligations vis-à-vis de la conférence. Dès la couverture, le lecteur apprécie l’élégance de la composition de l’image, entre l’influence d’EP Jacobs et une épure plus spécifique à Floc’h. L’artiste s’inscrit dans la tradition de la ligne claire, avec des aplats de couleur unis, des traits de contour bien nets, et une approche descriptive et réaliste. Il ne fait que quelques écarts par rapport à la forme pure de cette tradition : quelques petits traits dans les étoffes des vêtements pour figurer les plis, et de rares aplats de noir parfois pour les ombres portées. Le lecteur est séduit dès la première page, par ces cases à la lisibilité immédiate, une vision très claire de la réalité, débarrassée de tout superflu. Il laisse son regard absorber les différents décors : la statue de la Liberté, les gratte-ciels de Manhattan, l’immeuble des Nations Unies et les immeubles qui l’entourent, le sommet du Chrysler Building, une courte balade dans Central Park avec des feuillages superbes, les échelles de secours caractéristiques en façade d’immeuble, Brooklyn Bridge, une forêt du Massachussetts, une forêt du Vermont. Les intérieurs sont représentés avec la même clarté, le même art de l’essentiel : l’aile égyptienne de Metropolitan Museum, la clinique Scarsdale du docteur Rosalind Shapiro à Westchester County, la grande salle de conférence des Nations Unies, le salon du club Centaur, un Delicatessen, une tour de contrôle, etc. Floc’h impressionne par sa capacité à donner une apparence simple et naturelle à tout ce qu’il représente, alors même qu’il joue avec des artifices. Pour peu qu’il y soit sensible, le lecteur s’en aperçoit dès la première case avec ce ciel rose dragée chaud, puis cet océan rose framboise, couleurs fort éloignées d’une approche naturaliste. Il est également frappé par les coiffures : un contour simple, quelques traits courts à l’intérieur pour évoquer les ondulations, et le coup de peigne donnant la direction des cheveux. Cela s’avère particulièrement frappant avec la chevelure totalement blanche de Rosalind Shapiro quand sa tête se trouve de profil : de courts traits noirs ondulés bien parallèle sur fond blanc, quasiment une figure abstraite. Ou encore la blancheur immaculée des grands carreaux de la salle de soin de la clinique. L’artiste prend visiblement plaisir à jouer sur les représentations avec des caractéristiques ponctuelles : quelques cases dépourvues de bordure, une scène en ombre chinoise, Olrik semblant comme tomber dans une spirale (rappelant une composition similaire dans Vertigo -1958 – d’Alfred Hitchock, la coiffure de Shapiro évoquant celle de Kim Novak), une page composée d’une alternance de têtes en train de parler, l’usage d’un rouge vif comme fond de case pour souligner la violence de manière expressionniste, etc. Le lecteur prend plaisir à cette aventure progressant rapidement, facile à suivre, à la narration visuelle d’une accessibilité exemplaire. Alors que deux blocs géopolitiques semblent condamnés à s’affronter du fait d’idéologies incompatibles, les personnages impliqués dans le récit, britannique, russe, américain, semblent au contraire s’impliquer dans l’effort de paix, établissant ainsi un contraste entre les nations et les individus. Le titre fait référence à L’art de la guerre, de Sun Tzu (-544 à -496) dont un exemplaire est retrouvé dans l’appartement d’Olrik, et dont Mortimer lit quelques passages. Cet ouvrage s’oppose thématiquement à la volonté des héros qui, eux, œuvrent pour la paix. Alors que le lecteur vient avec l’a priori d’une confrontation, d’une opposition entre des camps, il découvre un récit qui fonctionne sur l’entraide et la bonne volonté, sans manichéisme… à l’exception d’Olrik lui-même. En cours de récit, les auteurs semblent justifier ce choix lorsque le personnage s’adresse à ses deux ennemis pour leur demander : S’il n’y a plus d’Olrik, à quoi servent Blake et Mortimer ? Une aventure de Blake & Mortimer hors-série : les auteurs peuvent donc s’affranchir d’une partie des caractéristiques de la série, ne pas en respecter la lettre, mais en respecter l’esprit. Ils diminuent sciemment le niveau de densité de l’intrigue, des phylactères et du nombre de cases, ce qui aboutit à une narration plus digeste, plus accessible peut-être, pour une aventure bien inscrite dans son époque, avec des résonnances très actuelles sur la tentation d’être dans l’affrontement permanent. Une bande dessinée raffinée, respectueuse et intelligente.
La Leçon de Pêche
C’est un album tout public, mais tourné avant tout vers un jeune, voire très jeune lectorat. Ceci explique sans doute que le raisonnement n’est pas poussé jusqu’au bout (je m’attendais par exemple à ce que soit aussi évoquée la surpêche et la disparition des poissons dans la morale finale). Mais ne chipotons pas, c’est un petit album bien fichu, qui démontre plaisamment et avec une petite pirouette absurde la vacuité de la recherche effrénée du profit. Un pêcheur – aux airs de loup de mer – affalé dans sa barque, oisif, se voit délivrer une leçon d’économie et de morale par un touriste qui l’exhorte à être plus dynamique, plus productif, plus ambitieux : il devrait rechercher davantage à s’enrichir. Une leçon d’économie finalement battue en brèche par la bonhommie du pêcheur. La chute est gentiment jouissive. L’album est d’autant plus plaisant à lire qu’il bénéficie du dessin toujours très agréable d’Émile Bravo, simple et fluide. Une petite lecture très rapide, mais très sympathique aussi.
Le Serpent et le Coyote
Très chouette album, vraiment. Matz est un vieux routier des polars, et il réussit là à bâtir une histoire prenante, sans jamais trop s’éloigner du classique, sans être hyper original. Mais c’est du travail bien fait. Et l’intrigue est bien construite. Le fil rouge est assez simple, plutôt linéaire : Joe, un ancien ponte de la mafia new-Yorkaise, bénéficiant du programme des témoins repentis, sous la protection – lointaine – du FBI, doit témoigner et enfoncer ses anciens partenaires, qui bien sûr veulent lui faire la peau et l’empêcher d’atteindre le tribunal. Voilà pour le cœur de l’histoire. Mais des à-côtés, ou astuces scénaristiques permettent de dynamiser l’intrigue. Des flash-backs remontent jusqu’aux années 1930 (l’histoire est censée se dérouler en 1970), pour retracer l’histoire de Joe (et plus largement de la mafia). Et surtout Joe, qui se balade incognito dans un camping-car en traversant les étendues désertiques des États-Unis, a recueilli un coyote, qui devient son confident : du coup, nous écoutons avec le coyote. Ça passe bien et densifie l’intrigue. La narration est fluide, agréable. On prend le temps de bien entrer dans l’histoire et la personnalité de Joe, les enchainements sont crédibles. De plus, le dessin de Xavier est lui aussi aux petits oignons. Décors et personnages sont réussis, c’est visuellement très plaisant. Un polar classique et réussi, avec une pagination importante, mais jamais on ne s’ennuie. Une réussite donc.
La Trahison du Réel
Comprendre qu’une œuvre soit plus investie que la vie… - Ce tome contient une évocation d’une partie de la vie et de l’œuvre d’Unica Zürn, une artiste allemande. L’édition originale date de 2019. L’album a été réalisé par Céline Wagner, pour le scénario, le dessin et la mise en couleurs. Il comprend cent-onze pages de bande dessinée. Il comporte à la fin des notes au lecteur et des carnets ouverts, soit un dossier de vingt-cinq pages. S’y trouvent une introduction d’une page, des citations de Gilles Deleuze, Stéphane Mallarmé, Michel Foucault, Anselm Kiefer, Gregory Bateson, les libertés prises à l’égard des faits biographiques, des illustrations de l’autrice, un article sur les dessins automatiques et les poèmes anagrammes, des œuvres de Zürn, des poèmes extraits de L’homme-Jasmin, un texte sur Le camp des Mille d’Aix-en-Provence, et un sur Le palais idéal du Facteur Cheval. Unica a imaginé un grand hypnotiseur qu’elle baptise H.M., une entité supérieure qu’elle porte aux nues. Cloué dans un fauteuil roulant, il est impossible à H.M. de la toucher. L’abstraction du corps incarne leur union spirituelle, à l’image de l’amour pur, selon elle. Elle attend ses prophéties pour accomplir son merveilleux destin. […] Elle se rappelle les émois de l’aube faits de beauté et de souillures, où il fut clair qu’ensuite, rien ne serait comme avant. La précoce conscience de la mort, les pulsions érotiques de l’enfance et avoir manqué à sa parole tant de fois, malgré l’indulgence des amis, hantent ses rêveries quotidiennes. Dans les bois, des corps de femmes nues, des robes rouges à même le sol. Un homme en fauteuil roulant s’adresse à Unica : il lui intime de ne pas se contenter de cette vie médiocre, elle mérite mieux que ça. Il se lève de son fauteuil et ramasse une femme dont le corps nu est en désordre. Il continue : Hans Bellmer la croit fragile ? Qu’elle lui montre qui elle est vraiment ! Qu’elle ne se laisse pas manipuler ! Elle était bien plus hardie quand elle était petite fille. Qu’attend-elle pour se défendre ? Lui résister ? Unica a une certitude. Le grand hypnotiseur est sur le point de dévoiler son visage, dont chaque passant porte la trace ; il suffirait de superposer toutes ces figures pour atteindre la vérité. Elle est maintenant revêtue d’une robe blanche et elle avance de nuit dans les bois, une chandelle à la main. Le grand hypnotiseur est dans son fauteuil roulant et il avance au milieu de la chaussée dans une rue étroite. On la trait de folle. On lui reproche de se comporter comme une enfant obstinée dans sa quête de merveilles. Elle fume assise, fenêtre ouverte, dans sa chambre d’hôpital psychiatrique. Elle éprouve la sensation qu’une femme à la chevelure de serpents lui conseille de se montrer telle qu’elle est. Le grand hypnotiseur reprend ses exhortations : Tout le monde la croit fragile, pas seulement Bellmer ! Elle n’a pas besoin d’eux ! Va-t-elle se contenter de singer la vie des autres ? Devenir adulte, vieillir, mourir ? Elle se trouve maintenant dans un parc avec des arbres en fleur, elle sait que l’heure de la délivrance est venue. Elle va quitter Bellmer et épouser son grand H.M. Pas sûr que le lecteur soit familier d’Unica Zürn (1916-1970) et de son travail, ou de son importance au sein du mouvement surréaliste, et vraisemblablement pas non plus de sa vie personnelle, en particulier sa schizophrénie. Dès la première page, la narration le prend également au dépourvu : comme six cases par bande de deux, des images d’arbres dans une forêt en bleu et rouge sur fond blanc, avec la tête d’un cadavre couché au sol. Comme apposé sur ces cases, se trouve un cartouche de texte sur fond blanc sans ligne de bordure évoquant H.M. cette entité supérieure qu’elle s’est inventée. La deuxième planche est constituée d’une image en pleine page, majoritairement réalisée à l’aquarelle, ce mystérieux H.M. s’adressant à Unica que le lecteur ne voit pas. Après deux pages de narration visuelle à base de bandes et de cases, vient une autre planche de six cases avec un texte apposé par-dessus. En page quinze, une composition de trois bandes de chacune deux cases, dont quatre sont réalisées au stylo, des dessins réalisés par l’autrice à la manière d’une partie des œuvres d’art de l’artiste. Le lecteur va être régulièrement surpris par des changements de mise en page ou de technique de dessin et de peinture. Une peinture en pleine page dont la partie de gauche montre Unica assise par terre dans des teintes mordorées, et la partie de droite Hans dans des teintes bleues. Le lecteur ressent cette diversité qui s’adapte à l’état d’esprit de l’artiste faisant usage d’éléments hétéroclites en toute liberté : des taches d’encre sur un phylactère, le début d’article de dictionnaire sur Zürn, des silhouettes indistinctes dans une pièce avec leur nom dessus, d’autres dessins automatiques à la manière de l’artiste, des lettres de Bellmer, des poèmes anagrammes, etc. L'autrice montre donc différents passages de la vie de l’artiste, avec une approche subjective, adoptant la sensibilité de cette dernière. D’un côté, le lecteur découvre une suite d’événements déformés par le désordre mental, tout en étant parfaitement intelligibles. Une phase d’internement, une autre de vie en couple avec Hans Bellmer, un rendez-vous avec un galeriste important en 1957, des moments de création en fumant une cigarette, un café en terrasse à Paris avec André Breton (1896-1966), Hans Bellmer et Max Ernst (1891-1976), une promenade nocturne dans les rues d’une ville, un acte pyromane dans une chambre de l’hôtel Jasmin, un nouvel internement où elle côtoie plusieurs autres femmes, le retour à la vie en couple avec Hans Bellmer. De ce point de vue, les dessins remplissent une fonction descriptive, avec un degré un peu simplifié dans la représentation, des inspirations tirées de différents courants picturaux du vingtième siècle. Dans le même temps, chaque moment est vécu par le biais des émotions et des états d’esprit d’Unica Zürn, ce qui apparaît dans ses remarques, dans les courts textes créés par l’autrice, dans le glissement des représentations. Le registre des images fluctue parfois insensiblement, avec des détails (H.M. qui n’a pas de bouche dans son visage), parfois dans la palette de couleurs (la deuxième séquence qui est rouge), d’autres fois avec l’intégration d’un élément mythologique (la gorgone), dans le comportement de Zürn qui se met à danser, le retour d’une forme particulière ou d’une couleur qui renvoie alors à une scène précédente, etc. L’autrice épate le lecteur en lui faisant ressentir le monde comme Unica Zürn, ou en tout cas avec une interprétation très personnelle et peu conventionnelle de la réalité. Le lecteur éprouve une étrange sensation de dédoublement : à la fois il éprouve le réel à travers les convictions et les prismes de l’artiste, à la fois il ne peut pas se départir de sa rationalité. Il se rend compte que la narration forme un tout cohérent qui intègre ces deux aspects en un récit fluide, que les œuvres à la manière de Zürn y trouvent leur place, avec ce paradoxe de percevoir d’où vient son inspiration et en même temps de faire l’expérience de textes (poèmes anagrammes) et de visuels (dessins automatiques) qui ne lui seraient jamais venus à l’esprit. Une sorte de pas de côté, de capacité à envisager son environnement avec un regard original. L’autrice parvient ainsi à la fois à mettre en lumière ce qui engendre une vision différente, et à montrer une artiste qui sait se détacher des modes de pensée traditionnels pour produire une œuvre originale, un Graal pour bien des artistes. La vie d’Unica Zürn parvient à son terme, et la curiosité du lecteur le pousse à regarder l’iconographie du dossier qui suit, à lire quelques légendes, et finalement à tenter les premiers paragraphes de texte. Il découvre alors les notes ou des extraits de carnets de l’autrice, mis en forme. L’introduction, la première partie, relate ses questionnements sur la façon de rendre compte de la vie d’un être humain, en l’occurrence d’une artiste. Céline Wagner évoque le fait que : L’image, le portrait et plus généralement la représentation, attribuent une fausse identité à un personnage – Ici, une artiste insaisissable et son œuvre, source d’interprétation et d’inspiration intarissable pour elle. Cette identité, qu’elle soit peinte ou dessinée, relève nécessairement du fantasme, non moins que la photographie, obsolète dès la seconde suivant sa prise. Aussi faudrait-il considérer toute imagerie comme un leurre. […] Elle évoque le choix fait par la plupart des biographes d’aborder la vie de l’artiste par le prisme de la folie, angle qui lui paraît insuffisant. Elle a préféré préserver au mieux le mystère d’un esprit créateur qui se tient en marge de la normalité. Le lecteur se plonge dans ces paragraphes qui prolongent la bande dessinée, qui lui donnent à voir la réflexion de l’autrice, ses questionnements, explicitant ainsi ses choix. Sur la représentation pour commencer, qui est forcément interprétation tronquée, sur le mystère d’un esprit créateur qui se tient en marge de la normalité, sur comment rendre à Unica Zürn ce qui lui est dû (l’acceptation de son imaginaire comme réalité et la reconnaissance de son choix d’appuyer sa pensée sur des signes plutôt que sur des faits), sur le fait de ses propres poèmes anagrammes et dessins automatiques afin de respecter le choix de départ de ne pas raconter la vie d’Unica Zürn, mais de faire l’expérience de sa pensée sur son travail, sur l’expérience de l’internement dans un contexte différent, à quinze ans d’intervalle. Le récit porte alors en lui une image du malade schizophrène écarté de la machine sociale et maintenu dans le réseau de l’hôpital, sous la surveillance de la médecine et la vigilance de leurs proches, c’est-à-dire une logique de contrôle qui, au-delà du domaine de la maladie et de la folie, s’étend à l’ensemble de la population, et conforte dans l’idée qu’on peut se prémunir des dérives de la normalité, sur la place de l’art brut dans la société et sa reconnaissance. Pas sûr que le lecteur puisse être très investi dans une artiste dont il n’a peut-être jamais entendu parler, ou qu’il souhaite s’intéresser à l’art d’une schizophrène. En même temps, la couverture impressionne par sa composition, et un rapide feuilletage suffit à prendre conscience d’une œuvre d’autrice. La narration visuelle séduit immédiatement, par son originalité, sa forte personnalité et sa prévenance inattendue, rendant immédiatement accessible un récit basé sur plusieurs visions ou interprétations de la réalité, une variété de modes de rendu, et une unité cohérente sans solution de continuité. Le lecteur ressent la réalité par les perceptions d’Unica Zürn, sans jugement de valeur, une expérience remarquable. La forte impression réalisée par cette lecture le conduit à la prolonger par les carnets ouverts de l’autrice, une deuxième expérience remarquable d’honnêteté et de réflexion. Magique. L’autrice explicité que le sujet de cet album pourrait être : comprendre qu’une œuvre soit plus investie que la vie…
La Trahison d'Olympe
Cet album est une pépite ! Hé oui, vous allez encore lire un avis enthousiaste ! Un album de grande taille qui permet de mettre en valeur le travail titanesque de Jean Dalin. Vous allez en prendre plein les mirettes ! Un dessin original, fluide et d'une froide beauté. Je suis resté bouche bée devant l'inventivité des mondes visités et du soin méticuleux apporté à chaque détail. Des doubles pages à couper le souffle. Un plaisir des yeux qui doit beaucoup aux choix des couleurs, elles vont suivre les pérégrinations de nos personnages et évoluer au fil de leurs aventures. Des couleurs intenses aux contrastes saisissants ! L'agencement des planches est très varié et facile à suivre, il peut aller d'une pleine page à une quarantaine de cases sur une même planche. N'hésitez pas à feuilletter l'album en librairie. Du grand art ! Un monde futuriste où une lettre doit être remise en main propre à sa destinataire. Une intrigue qui se met en place sur fond d'amitié, d'amour, de trahison et de hiérarchisation. Un récit abstrait, drôle, absurde, labyrinthique et touchant. Les dialogues sont savoureux, les situations cocasses sont nombreuses, mais une certaine noirceur demeure malgré tout. Vivement le second volume pour en connaître la conclusion. Un album novateur. Bravo à Jean Dalin pour ce premier coup d'essai. Gros coup de cœur graphique.