3.5
Des années après 'Kobane Calling', Zerocalcare retourne au Moyen-Orient et cette fois-ci il rencontre les Ézidis, une minorité religieuse méconnue vivant en Irak et qui après avoir vécu les horreurs de Daech, a réussi à créer une enclave automne en prenant exemple sur ce qu'ont fait les Kurdes. Évidemment, ce n'est pas au goût de tous, à commencer par les gouvernements irakien et turque, et donc l'existence des Ézidis est très précaire et semble avoir empiré depuis le voyage de Zerocalcare si je me fie à la postface... qui a été écrite il y a plus de 2 ans alors je n’ose imaginer c'est quoi l'état actuel de la situation.
Le début est un peu long et je m'ennuyais un peu de voir l'auteur faire les préparatifs pour le voyage, mais dès qu'on arrive en Irak cela devient intéressant. On va voir les difficultés du groupe dont fait partie l'auteur pour avoir les autorisations pour aller à l'enclave sans problèmes, des témoignages sur les atrocités commises par Daech et comment fonctionne la vie dans cette enclave. C'est vraiment passionnant à lire même si la narration manque de dynamisme. Il faut dire aussi que Zerocalcare n'est pas Joe Sacco et donc il ne faut pas s'attendre à du très grand journalisme, c'est juste le témoignage de quelqu'un qui a rencontré des gens dont le reste du monde et les médias n'ont rien à foutre (je ne savais même pas que les Ézidis existaient avant de lire ce one-shot).
À lire si on aime ce type de documentaire.
Depuis trois ans et l'"Opération spéciale" se résumant en l'invasion de l'Ukraine par les forces armées russes, et alors que peut-être une issue est proche (mais à quel prix ?), le pays vit sous les bombes. Cet album est l'un des premiers à nous venir d'Ukraine même, réalisé par un trio d'auteurs locaux. Marian Naiem a par exemple essayé d'expliquer de manière didactique et attrayante les origines du conflit séculaire entre les deux nations, un ancien empire et un ancien dominion, comme elle le dit elle-même. Depuis le Moyen-Âge l'Ukraine a en effet été la cible de ses voisins, pour ses terres fertiles, ses ressources minières considérables, ou encore sa position stratégique sur la Mer Noire. Pendant plusieurs décennies le pays a d'ailleurs fait partie de la grande Russie, puis de l'URSS, une entité que Vladimir Poutine ambitionne de recréer. Pendant cette période l'Ukraine a subi une sorte de nettoyage culturel et linguistique, les autorités tentant d'imposer le russe à la place de l'ukrainien. Mais le peuple ukrainien, fier, a fait preuve de résistance tout au long de son histoire, et plus récemment avec la Révolution orange, la Révolution de la Dignité, et depuis trois ans en faisant preuve d'une solidarité hors du commun (bien aidé par la communauté internationale également) face à l'agresseur. Constitution du Rus' de Kyiv, annexion de la Crimée, tentative de séparatisme des provinces russophones du Donbass, tout nous est expliqué, et on y voit beaucoup plus clair dans cette guerre aux portes de l'Europe.
Le duo de dessinateurs nous montre dans une bichromie aux limites de l'expressionnisme parfois, les horreurs que peuvent vivre les Ukrainiens au fil du temps. Leur style graphique est un peu naïf, peut-être hérité d'une certaine imagerie post-soviétique, mais il ne dessert absolument pas le propos, qui se veut didactique et factuel. Plusieurs pages en annexe proposent d'ailleurs une longue liste d'ouvrages permettant de compléter les faits racontés dans l'album. Le message assumé par les auteurs est qu'en temps de guerre, les images et les mots peuvent aussi devenir des armes, comme l'a prouvé par ailleurs la propagande russe lorsqu'elle contrôlait le pays.
Un album essentiel pour comprendre ce conflit déchirant.
Une trilogie rondement menée et de bonne tenue.
En tout cas, je n’ai rien à dire de méchant sur ma lecture. Ça n’atteint certes pas le niveau d’un Murena mais ce voyage dans la Rome antique reste très agréable et s’est avéré une bonne surprise.
Pour faire court, l’histoire prend un peu la tournure d’un Roméo et Juliette, amour contrarié au programme … En guise de protagonistes principaux, nous aurons une belle Romaine qui devra frayer avec les us et coutumes de la capitale, et un esclave gaulois qui devra jouer du sabre pour devenir gladiateur.
L’ambiance et l’atmosphère sont parfaitement rendues : politique, intrigues de cours, ludus … nous découvrirons de nombreux personnages sans être jamais perdu.
Trif, aux dessins, soigne sa partition. Un beau trait réaliste pour des albums très fluides et ce malgré l’ajout des passages coquins (limite soft d’ailleurs), ces derniers ne prennent jamais le dessus sur le fond et s’intègrent très bien pour l’époque.
Une conclusion tendance tragédie un peu inéducable mais réussie. Bref franchement sympa comme lecture.
J'aime beaucoup les dystopies et bien souvent les univers qui y sont accolés et que nous proposent ici les auteurs (que le futur est beau !). Dans une ambiance très sombre à la "Blade Runner" nous assistons à une guerre de pouvoir au sommet d'une dictature dont l'enjeu est le contrôle d'une drogue. Dans ce monde particulièrement sombre deux personnages principaux se démènent, sans encore se croiser dans ce tome introductif.
Le talent des auteurs et plus particulièrement de Jef au dessin est indéniable, il nous construit un monde très noir ou des humains? créatures améliorées par la machine rivalisent entre elles pour s'octroyer le plus de pouvoir possible. Le rendu est excellent, très cinématographique avec des plans assez vertigineux.
Pour ce qui est du scénario les choses se mettent en place et ce premier tome met bien en place les enjeux futurs. Puissant, sombre, visionnaire (je n'espère pas). Non ce n'est pas un avis impulsif, si la suite est du même niveau, et pour cela je fais toute confiance aux auteurs, je ne peux que conseiller l'achat de ce premier tome.
Une lecture qui m'a beaucoup plu. Je pensais retrouver une biographie de grand-mère juive comme pour Idiss Badinter. En effet les points de départ sont similaires : même époque, même pogrom dans le même pays la Bessarabie (Moldavie actuelle). Le parallèle s'arrête là car si Idiss connaît un parcours de réussite et de combats à Paris, Malka se retrouve dans un environnement argentin bien plus difficile que prévu. J'ai beaucoup aimé l'ambiance créée par les auteurs en ce début de récit. J'y trouve un côté historique dans un texte qui rappelle cette migration peu connue en France avec le soutien du baron Hirsch mais aussi la difficulté de passer de l'état d'artisan à celui de paysan. Ensuite personnellement j'ai aimé cette surprenante suite avec cette rupture brutale de la narration qui nous entraine dans un récit fantastique et mystique sur fond de Golem et de croyances.
Pour ne rien gâcher la narration visuelle de Pellejero est vraiment très belle. J'ai préféré la partie chronique villageoise où l'artiste donne une véritable âme à ce groupe de déracinés. Des pratiques quotidiennes aux préparatifs du mariage tout sonne juste dans les propositions du dessinateur. Comme les couleurs appuient avec bonheur cette narration visuelle j'y ai trouvé un très agréable moment de lecture.
Une vérité qui dérange
-
Ce tome contient une histoire complète ne nécessitant qu'une connaissance superficielle de Captain America pour pouvoir être appréciée. Il contient les épisodes 1 à 7 de la minisérie, initialement parus en 2003, écrits par Robert Morales, dessinés, encrés et mis en couleurs par Kyle Baker. Ce tome comprend également la couverture variante réalisée par Joe Quesada, ainsi qu'un appendice de 4 pages rédigé par Robert Morales explicitant ses sources et les références aux événements historiques.
En 1940, Isaiah et Faith Bradley se rendent à la grande fête foraine de New York, en espérant pouvoir aller écouter un discours de William Edward Burghardt Du Bois (W. E. B. Du Bois, 1868-1963). Lors de l'accès à une attraction, ils se heurtent au racisme ordinaire qui fait des citoyens noirs, des citoyens de seconde classe. Dans un bar, Dallas Huxley retrouve son ancien sergent Lucas Evans et ils entament une partie de billard dans un bar fréquenté uniquement par les noirs. Maurice Canfield rentre chez lui, ou plutôt dans la luxueuse demeure de ses parents, les vêtements déchirés et une belle ecchymose au visage, après s'être battu contre des blancs ayant fait preuve de condescendance vis-à-vis de lui et son ami juif.
Le 07 décembre 1941, l'armée japonaise effectue une attaque sur Pearl Harbor, et les États-Unis entrent en guerre peu de temps après. Isaiah Bradley se retrouve dans la même section que Maurice Canfield, Dallas Huxley, Lucas Evans et Larsen. Peu de temps après, le commandant de leur base reçoit la visite de Tully et du docteur Reinstein (2 civils) leur indiquant qu'ils souhaitent disposer de plusieurs soldats noirs. Quelques jours plus tard, il est relevé de ses fonction par le colonel Walker Price qui l'abat froidement devant ses troupes. 200 soldats dont Bradley et les autres sont conduits dans un autre camp disposant d'un laboratoire. Ils deviennent des cobayes pour des expériences génétiques. Au temps présent, Captain America (Steve Rogers est amené à rencontrer un ancien soldat de la seconde guerre mondiale dénommé Philip Merritt, en détention pour de nombreux crimes. Il apprend qu'il n'a pas été le premier Captain America.
Le début des années 2000 fut une époque de renouveau pour Marvel, avec des projets sortant des sentiers battus de la production industrielle de comics. Truth s'inscrit dans cette veine, même s'il ne jouit pas d'une aussi grande renommée que la gamme Ultimate ou la gamme Marvel Knights. Dans des interviews, Robert Morales a déclaré qu'il avait était approché par des responsables éditoriaux pour effectuer une proposition de récit, et qu'il avait décidé d'en soumettre un le plus noir possible avec la conviction qu'il serait refusé. Non seulement Alex Alonso a accepté son projet en l'état mais a insisté pour l'inclure dans la continuité de Captain America. D'ailleurs pour les 2 éditions en recueils, le nom du superhéros a été apposé devant le titre initial. Du coup, le lecteur aborde cette histoire comme une histoire de superhéros, voire il a peut-être déjà entendu parler d'Isaiah Bradley au travers d'Elijah Bradley (Patriot, voir Young Avengers d'Allan Heinberg & Jim Cheung). Il a la surprise de découvrir un récit assez prévisible dans lequel un afro-américain reçoit le sérum de Captain America et s'en va combattre les nazis, rencontrant même Adolf Hitler le temps d'une séquence. Il trouve que les dessins sont curieusement enfantins, avec des exagérations des visages ou des morphologies qui en deviennent comiques et totalement à contretemps du récit. Il ressort de sa lecture content d'avoir découvert les origines de cette itération de Captain america, et en même temps déçu par un récit linéaire, pas si héroïque que ça, et desservi par des dessins presqu'amateurs et trop dans la caricature.
Effectivement, il est un peu difficile de prendre cette histoire au premier degré du fait des dessins. Kyle Baker est un artiste à la très forte personnalité graphique, avec un don pour la caricature, au travers d'exagération anatomique et de d'expressions du visage exagérées. Ce choix génère une forte empathie chez le lecteur, pour les émotions éprouvées par les personnages, et ce dès la quatrième page quand Faith Bradley se moque d'un discours de W.E.B. Dubois et que son mari lui lance un regard noir. Les expressions du soldat Philip Merritt apparaissent dénuées de tout filtre développé par un individu mature, montrant sa personnalité enfantine. Les regards blasés de Tully et du docteur Reinstein attestent de leur immoralité et de leur suffisance nées d'un sentiment de supériorité. Mais dans le contexte d'un récit de superhéros, ce mode narratif fait plutôt penser à un récit pour un jeune public qu'à un récit adulte, à une narration appuyée de manière comique. Il en va de même pour les morphologies ahurissantes des soldats dépassant largement les exagérations habituelles des musculatures des superhéros classiques et même des années 1990. Kyle Baker ne recherche à aucun moment la véracité, ou même l'augmentation musculaire. Il dessine des muscles gonflés comme des ballons, des crânes déformés de manière ridicule et grotesque. Il ne dessine pas non plus avec un degré descriptif élevé. Il détoure des silhouettes à la va-vite. Il n'a que faire des textures. Il esquisse à gros traits les décors. Il recourt souvent à des cases dépourvues d'arrière-plan, qu'il remplit avec des aplats de couleurs simplistes. Si le lecteur persiste à considérer ce récit sous l'angle de vue du genre superhéros, c'est un travail à peine digne d'un amateur qui anéantit toute tension dramatique.
Un lecteur qui a déjà lu d'autres ouvrages de Kyle Baker interprète les dessins d'une manière différente. Cet artiste s'est fait connaître pour son humour dépréciateur et sarcastique perspicace et absurde : Why I hate Saturn, The Cowboy Wally show, ou encore les aventures hallucinées du Shadow écrit par Andrew Helfer. Il sait que cet auteur ne peut pas prendre les superhéros au premier degré, et glorifier bêtement leur suprématie physique et leur manière de régler tous leurs problèmes par la force. L'identité même du dessinateur lui indique qu'il ne s'agit pas d'un récit de superhéros au sens traditionnel du terme, et qu'il ne doit pas s'attendre à des prouesses physiques transformées en un spectacle pyrotechnique admirable, ou à une glorification de la virilité triomphante. Sous réserve de pouvoir recalibrer sa sensibilité en conséquence, il se rend compte que la narration visuelle de Kyle Baker apporte une dimension tragique au récit. Les exagérations des expressions des visages permettent au lecteur de ressentir le degré d'implication des personnages. Les exagérations morphologiques traduisent la souffrance physique engendrée par des expérimentations inhumaines. Même la tête d'ahuri crétin de Captain America écoutant les révélations haineuses de Philip Merritt traduit l'énormité des horreurs accomplies et l'incapacité du citoyen moyen à les appréhender. Il est vrai qu'il reste quelques moments où la force comique des dessins reprend le dessus, à contretemps de la gravité du récit.
Alors que le récit met en scène des horreurs malheureusement bien réelles et souvent représentées, ces dessins si particuliers donnent l'impression de les voir débarrassés de toute impression d'innocuité, ne permettant pas au lecteur de se retrancher derrière une attitude blasée. Il s'en rend compte à plusieurs reprises, par exemple lors de la scène se déroulant dans une chambre à gaz. Les dessins ont perdu toute dimension comique, conférant toute l'horreur abjecte de ces exécutions. Ils révèlent leur dimension expressionniste qui implique le lecteur quel que soit le nombre de fois où il a vu des représentations de ces pratiques. Le détachement émotionnel n'est pas possible du fait des dessins grotesques de l'artiste, de leur caractère brut et sans fioriture. À la lecture, il apparaît que la narration graphique de Kyle Baker se révèle plus efficace que des dessins simplement descriptifs pour transcrire les intentions du scénariste.
Le récit s'ouvre avec la semaine nègre de la fête foraine de 1940 à New York, et une évocation de W.E.B. Dubois (1868-1963), un sociologue, historien, militant pour les droits civiques, militant panafricain, éditorialiste et écrivain américain. Par la suite, le scénariste insère d'autres références à des événements historiques comme la campagne du Double V pendant la seconde guerre mondiale (débutée en 1942), les chambres à gaz, les émeutes raciales du 19 juillet 1919 (Red Summer) à Washington DC, Francis Galton (1822-1911) et les thèses de l'eugénisme, etc. Cette histoire n'est pas une étude de caractère, même s'il est facile pour le lecteur d'éprouver de l'empathie pour le personnage principal, pour Steve Rogers, et même pour l'odieux Philip Merritt. Il s'agit plus d'une mise en scène de réalités socioculturelles peu confortables dans les États-Unis du vingtième siècle. C'est avec consternation que le lecteur constate que l'origine de ce Captain America noir s'intègre parfaitement dans l'Histoire, et que qu'elle reflète une facette de l'histoire de la communauté noire. Dans l'appendice, Robert Morales prend soin d'expliciter les faits historiques réels, et ceux qu'il a adapté pour les besoins de son récit. L'expérimentation médicale sur des sujets à qui on a caché la vérité renvoie directement l'Étude de Tuskegee (1932-1972) substituant le sérum du supersoldat à la syphilis.
Avec ce point de vue en tête, le lecteur découvre ou retrouve le point de vue d'une catégorie de la population considérée comme de seconde classe, et la manière dont elle est utilisée par la nation. Captain America est effectivement estomaqué par ce qu'il découvre, et ses gros muscles ne peuvent rien pour redresser ces torts, pour apporter réparation. Les auteurs réussissent le tour de force de mettre le symbole de la nation face à la réalité d'une partie de son Histoire. Ils utilisent les conventions d'un récit de superhéros (affrontements physiques, costume chamarré, méchant symbolique) en les respectant, pour évoquer la condition des afro-américains, luttant pour défendre leur pays en prenant part à la guerre, tout en étant traité comme des sous-citoyens. À la fin du récit, le lecteur a bien compris que Steve Rogers a bénéficié des expérimentations menés sur des individus non-consentants, et qu'il a récolté toute la gloire, alors que la souffrance des cobayes a été effacée des livres d'histoire. La métaphore s'avère puissante et bien menée, sans jamais tourner à la leçon de morale désincarnée. Ils se permettent même de terminer sur une note relativement positive en rendant un hommage à plusieurs afro-américains ayant milité pour la cause des noirs. Morales n'hésite pas à se montrer pince-sans-rire en mettant en scène une femme portant la burqa, sous-entendant qu'il existe encore des formes de discriminations plus ou moins reconnues aux États-Unis.
Parti avec l'a priori d'une histoire de superhéros un peu plus sophistiquée que d'habitude, le lecteur découvre d'abord un récit convenu, avec des dessins très éloignés de l'esthétique des comics Marvel. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte de la nature véritable du récit, d'envisager les enjeux sous un autre angle, et de ressentir la force des dessins. Impliqué par les émotions des personnages, il découvre un commentaire engagé sur la condition afro-américaine qui conserve la forme d'une histoire poignante et intelligente. Robert Morales a également écrit les épisodes 21 à 28 de la série Captain America.
Arf 3 ou 4* mon cœur balance, on est sur du bon blockbuster divertissant et bien réalisé. Le fameux 3,5 ;)
Un diptyque pas bien profond mais qui joue habilement avec un petit côté amoral. La lecture ne réserve pas de grandes surprises mais se révèle plaisante malgré quelques clichés, ça déroule et ça va rapidement au but.
La partie graphique est toujours très bonne, on ne présente plus le savoir faire de Sylvain Vallée. C’est parfaitement orchestré.
Un fond un peu trop léger à mon goût mais ça reste le seul vrai défaut decelé. Il faut dire que je ne suis pas archi fan d’histoires de truands à la française mais celle-ci a su me convaincre, je bonifie ma note.
Ceux qui aiment le genre se régaleront.
Chevrotine, c'est l'histoire d'une sorcière élevant seule sa marmaille, une flopée d'enfants issus de pères différents, vivant une vie très atypique, avançant et bravant les obstacles avec un flegme à toute épreuve. Ah, et aussi elle tue parfois des touristes pour les manger ensuite, et le chien parle, et il y a des histoires de voyages dans le temps, de tueurs à gages télépathes, de personnages quasiment immortels, … Vous l'aurez compris, ici le récit tend vers l'absurde.
Ici, les prospecteurs creusent pour trouver le sens de la vie, le cancer est littéralement un crabe parlant et parfaitement insupportable, la poétesse se déplace de ville en ville pour livrer ses poèmes avec l'aide de son cafard. On mélange les genres, le fantastique, la SF, le comique, le tragique, avec un brin de poésie pour la forme. C'est con, mais les dialogues assez bien construits, vraiment toniques, font marcher le tout et donnent une très belle forme à l'œuvre.
Beaucoup de jeux de mots, quelques métaphores, une pincée de références, des répliques qui s'enchaînent avec peps et rythme, une désinvolture presque absurde face aux évènements, … Il n'y a pas à dire, la formule est atypique mais marquante.
Il y a aussi le dessin de Nicolas Gaignard, que je ne connaissais pas avant cela, mais que j'ai trouvé très joli. Les personnages ont tous une apparence marquée et le joli travail de noir et blanc contrasté avec quelques touches de pastel est vraiment beau.
Allez, coup de cœur !
(Note réelle 3,5)
Une BD qui ravive en moi l'intérêt pour ces explorateurs, savants et hommes de sciences qui partirent explorer le monde sur des coques de noix, faisaient avant tout fonctionner leurs cervelles mais devaient également composer avec l'environnement naturel sauvage et hostile.
Cette BD est à la fois une sorte d'hommage à cette période et ces personnes, mais aussi un aperçu du monde colonial de l'Amérique Latine alors qu'elle n'est pas encore cartographiée. Le récit dépeint plusieurs personnages de ce voyage étrange, empreint de bonne volonté scientifique, contrarié par des intérêts privés, enrayé par des accidents, des tensions, des catastrophes. L'ensemble révèle à la fois les caractères des personnages mais aussi un peu plus ce qu'était ce Pérou, source de richesse de l'Espagne catholique mais également mouroir de milliers d'indiens, nouveauté vivante pour une Europe qui ne peut tout appréhender ... La BD découpe l'ensemble (qui s'étale sur près de dix ans) en scénettes qui permettent de saisir ce que furent ces expéditions. A la fois politiquement, socialement, scientifiquement et culturellement. Il est étonnant de voir comment chacun finira lors de ces diverses opérations, de la mort à la folie en passant par le succès et l'infortune.
Le trait de Briac m'a surpris par son utilisation des couleurs et des visages taillés, aisément reconnaissable, tandis que le trait charbonneux permet de jouer sur les aspects de la jungle, de la montagne mais aussi de la maladie et de la vie. C'est une très belle BD, le genre qui donne envie de regarder à nouveau les pages, tandis qu'elle détaille son monde.
Amateurs de récits d'exploration, curieux qui veut s'intéresser aux sciences, lecteur occasionnel, tout le monde peut se retrouver dans cette BD. Elle interroge beaucoup par des procédés habiles (considérations des personnages, dialogues mais aussi animaux qui apportent un éclairage plus contemporain), tout en restant sur l'expédition et tout ce qu'elle provoqua. Une remarquable mise en scène de ce que furent les découvertes, dans le meilleur et le pire de l'humain. Saisissant !
Joie et bonheur de retrouver Gess et ses contes de la pieuvre avec des histoires complexes mais parfaitement maitrisées ou le lecteur évolue dans un monde de fin XIXème siècle un brin fantasmé. Nous y croisons de sacrées gueules pas si caricaturales qu'un coup d’œil rapide pourrait laisser supposer. Depuis le début de ces aventures je suis un grand fan de Gess notamment grâce à la précision de son trait( son travail fait de multiples dessins en plongée dans l'album "Celestin et le cœur de Vendrezanne" est de toute beauté).
Un très bel univers, je suis déçu d'avoir déjà lu les quatre tomes de cette série, je voudrais les découvrir comme j'invite le plus grand nombre à plonger dans ce Paris de mystères rempli de talents plus surprenant les uns que les autres.
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No sleep till Shengal
3.5 Des années après 'Kobane Calling', Zerocalcare retourne au Moyen-Orient et cette fois-ci il rencontre les Ézidis, une minorité religieuse méconnue vivant en Irak et qui après avoir vécu les horreurs de Daech, a réussi à créer une enclave automne en prenant exemple sur ce qu'ont fait les Kurdes. Évidemment, ce n'est pas au goût de tous, à commencer par les gouvernements irakien et turque, et donc l'existence des Ézidis est très précaire et semble avoir empiré depuis le voyage de Zerocalcare si je me fie à la postface... qui a été écrite il y a plus de 2 ans alors je n’ose imaginer c'est quoi l'état actuel de la situation. Le début est un peu long et je m'ennuyais un peu de voir l'auteur faire les préparatifs pour le voyage, mais dès qu'on arrive en Irak cela devient intéressant. On va voir les difficultés du groupe dont fait partie l'auteur pour avoir les autorisations pour aller à l'enclave sans problèmes, des témoignages sur les atrocités commises par Daech et comment fonctionne la vie dans cette enclave. C'est vraiment passionnant à lire même si la narration manque de dynamisme. Il faut dire aussi que Zerocalcare n'est pas Joe Sacco et donc il ne faut pas s'attendre à du très grand journalisme, c'est juste le témoignage de quelqu'un qui a rencontré des gens dont le reste du monde et les médias n'ont rien à foutre (je ne savais même pas que les Ézidis existaient avant de lire ce one-shot). À lire si on aime ce type de documentaire.
Ukraine
Depuis trois ans et l'"Opération spéciale" se résumant en l'invasion de l'Ukraine par les forces armées russes, et alors que peut-être une issue est proche (mais à quel prix ?), le pays vit sous les bombes. Cet album est l'un des premiers à nous venir d'Ukraine même, réalisé par un trio d'auteurs locaux. Marian Naiem a par exemple essayé d'expliquer de manière didactique et attrayante les origines du conflit séculaire entre les deux nations, un ancien empire et un ancien dominion, comme elle le dit elle-même. Depuis le Moyen-Âge l'Ukraine a en effet été la cible de ses voisins, pour ses terres fertiles, ses ressources minières considérables, ou encore sa position stratégique sur la Mer Noire. Pendant plusieurs décennies le pays a d'ailleurs fait partie de la grande Russie, puis de l'URSS, une entité que Vladimir Poutine ambitionne de recréer. Pendant cette période l'Ukraine a subi une sorte de nettoyage culturel et linguistique, les autorités tentant d'imposer le russe à la place de l'ukrainien. Mais le peuple ukrainien, fier, a fait preuve de résistance tout au long de son histoire, et plus récemment avec la Révolution orange, la Révolution de la Dignité, et depuis trois ans en faisant preuve d'une solidarité hors du commun (bien aidé par la communauté internationale également) face à l'agresseur. Constitution du Rus' de Kyiv, annexion de la Crimée, tentative de séparatisme des provinces russophones du Donbass, tout nous est expliqué, et on y voit beaucoup plus clair dans cette guerre aux portes de l'Europe. Le duo de dessinateurs nous montre dans une bichromie aux limites de l'expressionnisme parfois, les horreurs que peuvent vivre les Ukrainiens au fil du temps. Leur style graphique est un peu naïf, peut-être hérité d'une certaine imagerie post-soviétique, mais il ne dessert absolument pas le propos, qui se veut didactique et factuel. Plusieurs pages en annexe proposent d'ailleurs une longue liste d'ouvrages permettant de compléter les faits racontés dans l'album. Le message assumé par les auteurs est qu'en temps de guerre, les images et les mots peuvent aussi devenir des armes, comme l'a prouvé par ailleurs la propagande russe lorsqu'elle contrôlait le pays. Un album essentiel pour comprendre ce conflit déchirant.
Thrace (Tabou)
Une trilogie rondement menée et de bonne tenue. En tout cas, je n’ai rien à dire de méchant sur ma lecture. Ça n’atteint certes pas le niveau d’un Murena mais ce voyage dans la Rome antique reste très agréable et s’est avéré une bonne surprise. Pour faire court, l’histoire prend un peu la tournure d’un Roméo et Juliette, amour contrarié au programme … En guise de protagonistes principaux, nous aurons une belle Romaine qui devra frayer avec les us et coutumes de la capitale, et un esclave gaulois qui devra jouer du sabre pour devenir gladiateur. L’ambiance et l’atmosphère sont parfaitement rendues : politique, intrigues de cours, ludus … nous découvrirons de nombreux personnages sans être jamais perdu. Trif, aux dessins, soigne sa partition. Un beau trait réaliste pour des albums très fluides et ce malgré l’ajout des passages coquins (limite soft d’ailleurs), ces derniers ne prennent jamais le dessus sur le fond et s’intègrent très bien pour l’époque. Une conclusion tendance tragédie un peu inéducable mais réussie. Bref franchement sympa comme lecture.
La Mécanique
J'aime beaucoup les dystopies et bien souvent les univers qui y sont accolés et que nous proposent ici les auteurs (que le futur est beau !). Dans une ambiance très sombre à la "Blade Runner" nous assistons à une guerre de pouvoir au sommet d'une dictature dont l'enjeu est le contrôle d'une drogue. Dans ce monde particulièrement sombre deux personnages principaux se démènent, sans encore se croiser dans ce tome introductif. Le talent des auteurs et plus particulièrement de Jef au dessin est indéniable, il nous construit un monde très noir ou des humains? créatures améliorées par la machine rivalisent entre elles pour s'octroyer le plus de pouvoir possible. Le rendu est excellent, très cinématographique avec des plans assez vertigineux. Pour ce qui est du scénario les choses se mettent en place et ce premier tome met bien en place les enjeux futurs. Puissant, sombre, visionnaire (je n'espère pas). Non ce n'est pas un avis impulsif, si la suite est du même niveau, et pour cela je fais toute confiance aux auteurs, je ne peux que conseiller l'achat de ce premier tome.
Le Silence de Malka
Une lecture qui m'a beaucoup plu. Je pensais retrouver une biographie de grand-mère juive comme pour Idiss Badinter. En effet les points de départ sont similaires : même époque, même pogrom dans le même pays la Bessarabie (Moldavie actuelle). Le parallèle s'arrête là car si Idiss connaît un parcours de réussite et de combats à Paris, Malka se retrouve dans un environnement argentin bien plus difficile que prévu. J'ai beaucoup aimé l'ambiance créée par les auteurs en ce début de récit. J'y trouve un côté historique dans un texte qui rappelle cette migration peu connue en France avec le soutien du baron Hirsch mais aussi la difficulté de passer de l'état d'artisan à celui de paysan. Ensuite personnellement j'ai aimé cette surprenante suite avec cette rupture brutale de la narration qui nous entraine dans un récit fantastique et mystique sur fond de Golem et de croyances. Pour ne rien gâcher la narration visuelle de Pellejero est vraiment très belle. J'ai préféré la partie chronique villageoise où l'artiste donne une véritable âme à ce groupe de déracinés. Des pratiques quotidiennes aux préparatifs du mariage tout sonne juste dans les propositions du dessinateur. Comme les couleurs appuient avec bonheur cette narration visuelle j'y ai trouvé un très agréable moment de lecture.
Captain America - La Vérité
Une vérité qui dérange - Ce tome contient une histoire complète ne nécessitant qu'une connaissance superficielle de Captain America pour pouvoir être appréciée. Il contient les épisodes 1 à 7 de la minisérie, initialement parus en 2003, écrits par Robert Morales, dessinés, encrés et mis en couleurs par Kyle Baker. Ce tome comprend également la couverture variante réalisée par Joe Quesada, ainsi qu'un appendice de 4 pages rédigé par Robert Morales explicitant ses sources et les références aux événements historiques. En 1940, Isaiah et Faith Bradley se rendent à la grande fête foraine de New York, en espérant pouvoir aller écouter un discours de William Edward Burghardt Du Bois (W. E. B. Du Bois, 1868-1963). Lors de l'accès à une attraction, ils se heurtent au racisme ordinaire qui fait des citoyens noirs, des citoyens de seconde classe. Dans un bar, Dallas Huxley retrouve son ancien sergent Lucas Evans et ils entament une partie de billard dans un bar fréquenté uniquement par les noirs. Maurice Canfield rentre chez lui, ou plutôt dans la luxueuse demeure de ses parents, les vêtements déchirés et une belle ecchymose au visage, après s'être battu contre des blancs ayant fait preuve de condescendance vis-à-vis de lui et son ami juif. Le 07 décembre 1941, l'armée japonaise effectue une attaque sur Pearl Harbor, et les États-Unis entrent en guerre peu de temps après. Isaiah Bradley se retrouve dans la même section que Maurice Canfield, Dallas Huxley, Lucas Evans et Larsen. Peu de temps après, le commandant de leur base reçoit la visite de Tully et du docteur Reinstein (2 civils) leur indiquant qu'ils souhaitent disposer de plusieurs soldats noirs. Quelques jours plus tard, il est relevé de ses fonction par le colonel Walker Price qui l'abat froidement devant ses troupes. 200 soldats dont Bradley et les autres sont conduits dans un autre camp disposant d'un laboratoire. Ils deviennent des cobayes pour des expériences génétiques. Au temps présent, Captain America (Steve Rogers est amené à rencontrer un ancien soldat de la seconde guerre mondiale dénommé Philip Merritt, en détention pour de nombreux crimes. Il apprend qu'il n'a pas été le premier Captain America. Le début des années 2000 fut une époque de renouveau pour Marvel, avec des projets sortant des sentiers battus de la production industrielle de comics. Truth s'inscrit dans cette veine, même s'il ne jouit pas d'une aussi grande renommée que la gamme Ultimate ou la gamme Marvel Knights. Dans des interviews, Robert Morales a déclaré qu'il avait était approché par des responsables éditoriaux pour effectuer une proposition de récit, et qu'il avait décidé d'en soumettre un le plus noir possible avec la conviction qu'il serait refusé. Non seulement Alex Alonso a accepté son projet en l'état mais a insisté pour l'inclure dans la continuité de Captain America. D'ailleurs pour les 2 éditions en recueils, le nom du superhéros a été apposé devant le titre initial. Du coup, le lecteur aborde cette histoire comme une histoire de superhéros, voire il a peut-être déjà entendu parler d'Isaiah Bradley au travers d'Elijah Bradley (Patriot, voir Young Avengers d'Allan Heinberg & Jim Cheung). Il a la surprise de découvrir un récit assez prévisible dans lequel un afro-américain reçoit le sérum de Captain America et s'en va combattre les nazis, rencontrant même Adolf Hitler le temps d'une séquence. Il trouve que les dessins sont curieusement enfantins, avec des exagérations des visages ou des morphologies qui en deviennent comiques et totalement à contretemps du récit. Il ressort de sa lecture content d'avoir découvert les origines de cette itération de Captain america, et en même temps déçu par un récit linéaire, pas si héroïque que ça, et desservi par des dessins presqu'amateurs et trop dans la caricature. Effectivement, il est un peu difficile de prendre cette histoire au premier degré du fait des dessins. Kyle Baker est un artiste à la très forte personnalité graphique, avec un don pour la caricature, au travers d'exagération anatomique et de d'expressions du visage exagérées. Ce choix génère une forte empathie chez le lecteur, pour les émotions éprouvées par les personnages, et ce dès la quatrième page quand Faith Bradley se moque d'un discours de W.E.B. Dubois et que son mari lui lance un regard noir. Les expressions du soldat Philip Merritt apparaissent dénuées de tout filtre développé par un individu mature, montrant sa personnalité enfantine. Les regards blasés de Tully et du docteur Reinstein attestent de leur immoralité et de leur suffisance nées d'un sentiment de supériorité. Mais dans le contexte d'un récit de superhéros, ce mode narratif fait plutôt penser à un récit pour un jeune public qu'à un récit adulte, à une narration appuyée de manière comique. Il en va de même pour les morphologies ahurissantes des soldats dépassant largement les exagérations habituelles des musculatures des superhéros classiques et même des années 1990. Kyle Baker ne recherche à aucun moment la véracité, ou même l'augmentation musculaire. Il dessine des muscles gonflés comme des ballons, des crânes déformés de manière ridicule et grotesque. Il ne dessine pas non plus avec un degré descriptif élevé. Il détoure des silhouettes à la va-vite. Il n'a que faire des textures. Il esquisse à gros traits les décors. Il recourt souvent à des cases dépourvues d'arrière-plan, qu'il remplit avec des aplats de couleurs simplistes. Si le lecteur persiste à considérer ce récit sous l'angle de vue du genre superhéros, c'est un travail à peine digne d'un amateur qui anéantit toute tension dramatique. Un lecteur qui a déjà lu d'autres ouvrages de Kyle Baker interprète les dessins d'une manière différente. Cet artiste s'est fait connaître pour son humour dépréciateur et sarcastique perspicace et absurde : Why I hate Saturn, The Cowboy Wally show, ou encore les aventures hallucinées du Shadow écrit par Andrew Helfer. Il sait que cet auteur ne peut pas prendre les superhéros au premier degré, et glorifier bêtement leur suprématie physique et leur manière de régler tous leurs problèmes par la force. L'identité même du dessinateur lui indique qu'il ne s'agit pas d'un récit de superhéros au sens traditionnel du terme, et qu'il ne doit pas s'attendre à des prouesses physiques transformées en un spectacle pyrotechnique admirable, ou à une glorification de la virilité triomphante. Sous réserve de pouvoir recalibrer sa sensibilité en conséquence, il se rend compte que la narration visuelle de Kyle Baker apporte une dimension tragique au récit. Les exagérations des expressions des visages permettent au lecteur de ressentir le degré d'implication des personnages. Les exagérations morphologiques traduisent la souffrance physique engendrée par des expérimentations inhumaines. Même la tête d'ahuri crétin de Captain America écoutant les révélations haineuses de Philip Merritt traduit l'énormité des horreurs accomplies et l'incapacité du citoyen moyen à les appréhender. Il est vrai qu'il reste quelques moments où la force comique des dessins reprend le dessus, à contretemps de la gravité du récit. Alors que le récit met en scène des horreurs malheureusement bien réelles et souvent représentées, ces dessins si particuliers donnent l'impression de les voir débarrassés de toute impression d'innocuité, ne permettant pas au lecteur de se retrancher derrière une attitude blasée. Il s'en rend compte à plusieurs reprises, par exemple lors de la scène se déroulant dans une chambre à gaz. Les dessins ont perdu toute dimension comique, conférant toute l'horreur abjecte de ces exécutions. Ils révèlent leur dimension expressionniste qui implique le lecteur quel que soit le nombre de fois où il a vu des représentations de ces pratiques. Le détachement émotionnel n'est pas possible du fait des dessins grotesques de l'artiste, de leur caractère brut et sans fioriture. À la lecture, il apparaît que la narration graphique de Kyle Baker se révèle plus efficace que des dessins simplement descriptifs pour transcrire les intentions du scénariste. Le récit s'ouvre avec la semaine nègre de la fête foraine de 1940 à New York, et une évocation de W.E.B. Dubois (1868-1963), un sociologue, historien, militant pour les droits civiques, militant panafricain, éditorialiste et écrivain américain. Par la suite, le scénariste insère d'autres références à des événements historiques comme la campagne du Double V pendant la seconde guerre mondiale (débutée en 1942), les chambres à gaz, les émeutes raciales du 19 juillet 1919 (Red Summer) à Washington DC, Francis Galton (1822-1911) et les thèses de l'eugénisme, etc. Cette histoire n'est pas une étude de caractère, même s'il est facile pour le lecteur d'éprouver de l'empathie pour le personnage principal, pour Steve Rogers, et même pour l'odieux Philip Merritt. Il s'agit plus d'une mise en scène de réalités socioculturelles peu confortables dans les États-Unis du vingtième siècle. C'est avec consternation que le lecteur constate que l'origine de ce Captain America noir s'intègre parfaitement dans l'Histoire, et que qu'elle reflète une facette de l'histoire de la communauté noire. Dans l'appendice, Robert Morales prend soin d'expliciter les faits historiques réels, et ceux qu'il a adapté pour les besoins de son récit. L'expérimentation médicale sur des sujets à qui on a caché la vérité renvoie directement l'Étude de Tuskegee (1932-1972) substituant le sérum du supersoldat à la syphilis. Avec ce point de vue en tête, le lecteur découvre ou retrouve le point de vue d'une catégorie de la population considérée comme de seconde classe, et la manière dont elle est utilisée par la nation. Captain America est effectivement estomaqué par ce qu'il découvre, et ses gros muscles ne peuvent rien pour redresser ces torts, pour apporter réparation. Les auteurs réussissent le tour de force de mettre le symbole de la nation face à la réalité d'une partie de son Histoire. Ils utilisent les conventions d'un récit de superhéros (affrontements physiques, costume chamarré, méchant symbolique) en les respectant, pour évoquer la condition des afro-américains, luttant pour défendre leur pays en prenant part à la guerre, tout en étant traité comme des sous-citoyens. À la fin du récit, le lecteur a bien compris que Steve Rogers a bénéficié des expérimentations menés sur des individus non-consentants, et qu'il a récolté toute la gloire, alors que la souffrance des cobayes a été effacée des livres d'histoire. La métaphore s'avère puissante et bien menée, sans jamais tourner à la leçon de morale désincarnée. Ils se permettent même de terminer sur une note relativement positive en rendant un hommage à plusieurs afro-américains ayant milité pour la cause des noirs. Morales n'hésite pas à se montrer pince-sans-rire en mettant en scène une femme portant la burqa, sous-entendant qu'il existe encore des formes de discriminations plus ou moins reconnues aux États-Unis. Parti avec l'a priori d'une histoire de superhéros un peu plus sophistiquée que d'habitude, le lecteur découvre d'abord un récit convenu, avec des dessins très éloignés de l'esthétique des comics Marvel. Il lui faut un peu de temps pour se rendre compte de la nature véritable du récit, d'envisager les enjeux sous un autre angle, et de ressentir la force des dessins. Impliqué par les émotions des personnages, il découvre un commentaire engagé sur la condition afro-américaine qui conserve la forme d'une histoire poignante et intelligente. Robert Morales a également écrit les épisodes 21 à 28 de la série Captain America.
Habemus Bastard
Arf 3 ou 4* mon cœur balance, on est sur du bon blockbuster divertissant et bien réalisé. Le fameux 3,5 ;) Un diptyque pas bien profond mais qui joue habilement avec un petit côté amoral. La lecture ne réserve pas de grandes surprises mais se révèle plaisante malgré quelques clichés, ça déroule et ça va rapidement au but. La partie graphique est toujours très bonne, on ne présente plus le savoir faire de Sylvain Vallée. C’est parfaitement orchestré. Un fond un peu trop léger à mon goût mais ça reste le seul vrai défaut decelé. Il faut dire que je ne suis pas archi fan d’histoires de truands à la française mais celle-ci a su me convaincre, je bonifie ma note. Ceux qui aiment le genre se régaleront.
Chevrotine
Chevrotine, c'est l'histoire d'une sorcière élevant seule sa marmaille, une flopée d'enfants issus de pères différents, vivant une vie très atypique, avançant et bravant les obstacles avec un flegme à toute épreuve. Ah, et aussi elle tue parfois des touristes pour les manger ensuite, et le chien parle, et il y a des histoires de voyages dans le temps, de tueurs à gages télépathes, de personnages quasiment immortels, … Vous l'aurez compris, ici le récit tend vers l'absurde. Ici, les prospecteurs creusent pour trouver le sens de la vie, le cancer est littéralement un crabe parlant et parfaitement insupportable, la poétesse se déplace de ville en ville pour livrer ses poèmes avec l'aide de son cafard. On mélange les genres, le fantastique, la SF, le comique, le tragique, avec un brin de poésie pour la forme. C'est con, mais les dialogues assez bien construits, vraiment toniques, font marcher le tout et donnent une très belle forme à l'œuvre. Beaucoup de jeux de mots, quelques métaphores, une pincée de références, des répliques qui s'enchaînent avec peps et rythme, une désinvolture presque absurde face aux évènements, … Il n'y a pas à dire, la formule est atypique mais marquante. Il y a aussi le dessin de Nicolas Gaignard, que je ne connaissais pas avant cela, mais que j'ai trouvé très joli. Les personnages ont tous une apparence marquée et le joli travail de noir et blanc contrasté avec quelques touches de pastel est vraiment beau. Allez, coup de cœur ! (Note réelle 3,5)
Méridien
Une BD qui ravive en moi l'intérêt pour ces explorateurs, savants et hommes de sciences qui partirent explorer le monde sur des coques de noix, faisaient avant tout fonctionner leurs cervelles mais devaient également composer avec l'environnement naturel sauvage et hostile. Cette BD est à la fois une sorte d'hommage à cette période et ces personnes, mais aussi un aperçu du monde colonial de l'Amérique Latine alors qu'elle n'est pas encore cartographiée. Le récit dépeint plusieurs personnages de ce voyage étrange, empreint de bonne volonté scientifique, contrarié par des intérêts privés, enrayé par des accidents, des tensions, des catastrophes. L'ensemble révèle à la fois les caractères des personnages mais aussi un peu plus ce qu'était ce Pérou, source de richesse de l'Espagne catholique mais également mouroir de milliers d'indiens, nouveauté vivante pour une Europe qui ne peut tout appréhender ... La BD découpe l'ensemble (qui s'étale sur près de dix ans) en scénettes qui permettent de saisir ce que furent ces expéditions. A la fois politiquement, socialement, scientifiquement et culturellement. Il est étonnant de voir comment chacun finira lors de ces diverses opérations, de la mort à la folie en passant par le succès et l'infortune. Le trait de Briac m'a surpris par son utilisation des couleurs et des visages taillés, aisément reconnaissable, tandis que le trait charbonneux permet de jouer sur les aspects de la jungle, de la montagne mais aussi de la maladie et de la vie. C'est une très belle BD, le genre qui donne envie de regarder à nouveau les pages, tandis qu'elle détaille son monde. Amateurs de récits d'exploration, curieux qui veut s'intéresser aux sciences, lecteur occasionnel, tout le monde peut se retrouver dans cette BD. Elle interroge beaucoup par des procédés habiles (considérations des personnages, dialogues mais aussi animaux qui apportent un éclairage plus contemporain), tout en restant sur l'expédition et tout ce qu'elle provoqua. Une remarquable mise en scène de ce que furent les découvertes, dans le meilleur et le pire de l'humain. Saisissant !
Fannie la renoueuse
Joie et bonheur de retrouver Gess et ses contes de la pieuvre avec des histoires complexes mais parfaitement maitrisées ou le lecteur évolue dans un monde de fin XIXème siècle un brin fantasmé. Nous y croisons de sacrées gueules pas si caricaturales qu'un coup d’œil rapide pourrait laisser supposer. Depuis le début de ces aventures je suis un grand fan de Gess notamment grâce à la précision de son trait( son travail fait de multiples dessins en plongée dans l'album "Celestin et le cœur de Vendrezanne" est de toute beauté). Un très bel univers, je suis déçu d'avoir déjà lu les quatre tomes de cette série, je voudrais les découvrir comme j'invite le plus grand nombre à plonger dans ce Paris de mystères rempli de talents plus surprenant les uns que les autres.