Les derniers avis (38051 avis)

Par Cacal69
Note: 4/5
Couverture de la série Lotus Jumeaux
Lotus Jumeaux

Zhang Xiaoyu est un scénariste/dessinateur Chinois, il nous propose cet album en mode franco-belge. Je tiens à mettre en avant le beau travail éditorial des éditions Mosquito pour leur troisième collaboration avec l'auteur. Une BD imposante de plus de 300 pages. Pour commencer, je vais reprendre les quelques mots en ouverture de cette histoire : depuis les temps anciens, les Chinois considèrent la double fleur de lotus comme un symbole d'amour et d'engagement de sentiments fidèles et heureux. Ils symbolisent aussi la fraternité et la profonde affection au sein d'une fratrie... Dans cette Chine en pleine seconde guerre sino-japonaise, il va être question d'amour avec Fan, un ingénieur qui a étudié en occident, il a perdu son épouse Mingfeng, une danseuse de théâtre traditionnel, lors d'un bombardement Japonnais. Inconsolable, il va la ressusciter sous la forme d'un automate, ça me rappelle une lecture ressente : Le Sortilège de la femme-automate. Il va être aussi question de fraternité avec ce soldat américain qui se bat au côté des Chinois, il va s'enticher d'une bande de gamins. Et enfin d'affection et de fratrie avec "Nez qui coule", un gosse de 11 ans chef d'une petite bande qui essaye de survivre. Un récit dur, violent et émouvant. L'ambiance est dépaysante, teintée d'une poésie noire et d'un soupçon de fantastique avec le deuil de Fan, jusqu'au jour où "Nez qui coule" croise un sosie de Mingfeng. Un récit qui nous dévoile la vie en temps de guerre, la misère des gens ordinaires avec des personnages attachants malgré leurs défauts. Le théâtre traditionnel Chinois tient une place importante avec les nombreux spectacles proposés dans cette Chine en pleine mutation, elle veut tourner le dos à son passé pour entrer dans le monde moderne. Une narration qui se calque sur le genre manga et qui prend son temps pour nous livrer les secrets de toutes les intrigues qui finiront par se recouper. Un dessin réaliste typé asiatique dans un superbe noir et blanc qui retranscrit parfaitement l'ambiance de cette période historique. Un dessin qui se rapprochera plus du style manga pour la représentation des enfants. Comme s'il fallait les sortir du lot avec leur perte d'innocence. La couverture est magnifique. Très beau. Une chouette lecture, elle a tantôt soufflé le yin et tantôt le yang.

08/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Wilderman
Wilderman

J’avais bien des craintes avant ma lecture mais j’en suis sorti plus que satisfait. La série est classée en jeunesse (son public prioritaire) mais s’adresse vraiment pour tous publics je trouve, j’y ai d’ailleurs pris bien plus de plaisir qu’avec El Diablo par exemple. Ce n’est encore qu’un tome introductif mais il lance de bien belle manière la série. Présentation des enjeux et parties en présence, un univers qui me plaît bien mâtiné de nombreuses références bien digérées. L’histoire ne fait pas preuve d’une grande originalité ou complexité, mais le résultat sous la patte de Gatignol (qu’on ne présente plus) m’a paru frais et plus qu’agréable à suivre. Ça va à 100 à l’heure, on ne s’ennuie pas un instant, nos deux jeunes héros sont attachants et réussis … franchement j’ai passé un super moment. Rien de sorcier (ou profond) mais il y a une certaine bonhomie qui s’en dégage qui m’a vite charmé.

08/01/2025 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Madeleine, résistante
Madeleine, résistante

J'ai emprunté cette BD à ma fille qui a eu la trilogie en cadeau (quelle bonne idée d'offrir des BD !). Madeleine, résistante nous raconte le parcours de Madeleine Riffaud (dont je ne connaissais pas l'histoire), une jeune femme qui, malgré son jeune âge, choisit de lutter contre l’occupant nazi et qui n'a clairement pas froid aux yeux ! Une plongée dans la Résistance, mais surtout dans les choix et les doutes qui forgent une existence. Le dessin de Dominique Bertail est remarquable. Les décors sont précis, sans être surchargés et cela sert vraiment bien le récit. Je me suis juste interrogé sur le choix de cette bichromie. Techniquement elle est bien réussie, mais je ne vois pas ce qu'elle apporte au récit ? Un côté sépia pour poser l'action dans le passé ? Le scénario de Jean-David Morvan, construit en collaboration avec Madeleine Riffaud, offre un témoignage précieux. C’est dense, authentique, et ça évite le pathos. On suit Madeleine avec respect et une certaine admiration pour sa détermination. Pourtant, malgré cette richesse narrative, le récit reste assez linéaire. Les événements s’enchaînent sans grande surprise, et certaines scènes manquent de profondeur pour vraiment marquer. Peut être par respect pour l'humilité de Madeleine Riffaud ? Reste qu'avec une femme de cette trempe on aurait pu s'attendre à un peu plus d'intensité dramatique dans la manière de présenter les choses, mais ce n'était peut être pas le but recherché ? Parce que du drame, il y en a énormément dans la vie de Madeleine, mais on a presque l'impression que ca lui passe un peu par dessus. En définitive, je trouve que c’est solide, mais ça manque un peu d’audace pour sortir des sentiers battus, comme les cadrages du dessin. Une œuvre importante pour ce qu’elle raconte et pour la mémoire qu’elle transmet. Un immense merci à Madeleine Riffaud pour ce qu'elle a fait et son témoignage et à Raymond Aubrac pour l'avoir convaincue de commencer à témoigner. Sans cette BD, je serais passé à côté de cette vie exceptionnelle.

08/01/2025 (modifier)
Par Emka
Note: 4/5
Couverture de la série Holmes
Holmes

On commence avec une idée audacieuse : revisiter Sherlock Holmes, mais en creusant les failles plutôt que de célébrer les exploits. Brunschwig et Cécil choisissent de suivre Watson, plus fragile et humain que jamais, dans une enquête sur la disparition et les secrets du détective. Ce qui frappe dès le départ, c’est cette volonté de démystifier Holmes, de questionner sa santé mentale, ses liens familiaux, et même sa relation à Moriarty. Le dessin de Cécil est clairement l’un des points forts de la série. Chaque case est riche en détails, avec une ambiance parfaitement restituée de l’Angleterre victorienne. Les teintes dominantes, bleu-gris ou sépia selon les flashbacks, renforcent ce côté rétro et mélancolique. On a parfois l’impression de feuilleter un album de vieilles photographies. J'ai juste une chose à reprocher, je trouve que les personnages, bien que précis, manquent par moments de dynamisme dans leurs expressions. Le scénario de Brunschwig est dense et ambitieux. La narration, ponctuée de flashbacks, déploie un mystère autour de la mort de Holmes, tout en révélant des pans de son passé qu’on n’avait jamais explorés. Ce n’est pas une enquête haletante, mais plutôt une plongée psychologique, ce qui peut frustrer ceux qui espèrent une aventure plus classique. Pour moi ca a très bien fonctionné. Je suis parti sur cette série en pensant qu'elle était finie (dernier tome en 2019), a priori il va encore falloir être patient pour la fin. En tous les cas Holmes est une série ambitieuse qui revisite le mythe avec une approche très personnelle. Une œuvre intrigante qui m'a séduit pour son côté sombre et fouillé. Vivement la suite.

08/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Nellie Bly - Dans l'antre de la folie
Nellie Bly - Dans l'antre de la folie

J’avais vaguement entendu parler de Nellie Bly, mais ne connaissais en fait pas grand-chose de cette dame. Et c’est bien dommage, tant elle se révèle être quelqu’un d’extraordinaire (au sens premier du terme). En tout cas cet album m’a permis de combler une lacune dommageable (trois autres BD au moins traitent du personnage, je les lirai à l’occasion pour comparer et compléter mes connaissances). J’ai vraiment bien aimé cet album, pour la façon de présenter le sujet, mais aussi pour la personnalité découverte. Car Nellie Bly est une pionnière dans bien des domaines, et elle a fait preuve de courage, d’opiniâtreté et d’intelligence dans chacun d’entre eux. L’album met en avant son enquête immersive dans un asile de la ville de New-York, où elle se fait passer pour folle pour mener une enquête digne des meilleurs reportages d’investigation (avant l’heure !). Mais, au travers de flash-backs, nous découvrons la vie et l’engagement complets de Bly, et sa personnalité est vraiment forte et avant-gardiste. Pour l’égalité hommes/femmes, mais aussi sur l’absence de libertés au Mexique. Mais son discours sur les inégalités sociales, qui transparait dans son enquête à l’asile (aucune femme riche ne subit cet enfermement inique et ces tortures), est plus que palpable lorsqu’elle dénonce les salaires bas, les conditions de travail misérables, etc. On comprend pourquoi son travail de journaliste est autant mis en avant aux États-Unis ou ailleurs, au détriment de sa critique politique et sociale. Mais tout ceci forme un tout, et Nellie Bly est une personne à connaitre. Et cet album permet de le faire de façon relativement complète et agréable (même si les auteurs auraient pu aisément développer plusieurs tomes à partir des flash-backs rappelant la vie et l’action de leur héroïne). La narration est fluide, le dessin et la colorisation sont simples, mais lisibles et agréables. Une lecture plaisante et intéressante.

08/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Monk ! - Thelonious, Pannonica... Une Amitié, Une Révolution Musicale
Monk ! - Thelonious, Pannonica... Une Amitié, Une Révolution Musicale

L’auteur est un très bon connaisseur de la vie de Thelonious Monk, mais aussi du jazz (les deux étant en grande partie intimement liés !). C’est en connaisseur donc, mais aussi en amoureux que Daoudi dresse ici un portrait croisé (ou lié) du génial compositeur et pianiste, et de son amie/muse/soutien/complice Pannonica Rothschild. Je ne connaissais que le nom de cette dame, et quelques bribes de ses liens avec Monk, et ici on sent bien la quasi fusion parfois entre les deux. En tout cas ce récit, ou cette biographie est à la fois très documenté et très intéressante – et très vivante aussi. C’est un peu décousu – mais comme la musique de Monk, une fois la surprise de certains accords passée, on est embarqué par une mélodie. C’est en écoutant quelques morceaux de Monk que je rédige cet avis (l’album m’a redonné envie de les écouter), et c’est encore un pur plaisir, inexplicable. Sa vie est à l’image de beaucoup de ses compères jazzmen noirs américains, pas linéaire, faisant face à pas mal de soucis. Ses addictions, ses problèmes comportementaux ont sans doute bridé sa carrière. Mais la présence à ses côtés de Pannonica l’a empêché de sombrer, et à sans doute permis l’apparition de quelques éclairs. Et puis, sa fortune lui a quand même permis de vivre sa passion et sa folie. Et c’est le principal intérêt de cet album – pour moi en tout cas – de me faire découvrir cette personne, qui n’a pas été une simple mécène, et qui avait une personnalité qui détonnait, sortie qu’elle était de la haute société bourgeoise. Sinon, j’aurais bien aimé être dans l’assistance de pas mal de bœufs évoqués ici, vu les pointures qui y participaient aux côtés de Monk !

08/01/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Moi je, quarantaine
Moi je, quarantaine

Il y a 20 ans, Aude Picault publiait Moi je, deux albums autobiographiques où elle se livrait à la manière d'un blog, racontant sa vie de célibataire avec le récit de petits moments clés et autres anecdotes futiles formant le portrait de son état d'esprit, de ses petits soucis et ses pensées intimes. Pas mal d'eau a passé sous les ponts depuis et l'autrice revient avec un nouvel album spécifiquement dédié à ce que sa vie est devenue maintenant qu'elle a plus de quarante ans... et qu'elle traverse une forme de crise de la quarantaine où elle s'interroge sur sa vie désormais bien rangée mais épuisante. Graphiquement, on se rend compte que le trait d'Aude Picault a largement gagné en maturité depuis les anciens Moi je. Son trait reste fin et efficace, mais il gagne aussi en esthétisme et en expressivité. Elle colorise également ses planches désormais, ce qui leur donne encore plus d'élégance, avec même parfois un soupçon de l'esprit d'un Sempé dans ses scènes urbaines. Aude présente sans fard sa vie de quarantenaire. Vivant en couple avec un homme plus âgé qu'elle, qu'elle présente vapotant en permanence et toujours absorbé par ses écrans, ainsi qu'avec une petite fille dynamique et très demandeuse, elle est submergée par les tâches domestiques, son compagnon ne s'occupant visiblement que de la cuisine sans rien ranger derrière, et elle a du mal à faire surface entre sa vie privée qui lui pompe beaucoup d'énergie et son métier artistique où elle peine à trouver l'inspiration. Ajouté à cela une vie trop urbaine dont elle se lasse fortement, elle se pose beaucoup de questions sur ses choix de vie et sur son couple. En résumé, elle traverse une petite crise de la quarantaine. J'ai deux ans de plus qu'Aude Picault et ma propre vie de quarantenaire est bien différente de la sienne puisque je ne suis ni urbain ni artiste et que mes enfants sont bien plus âgés. Je n'ai donc pas les mêmes préoccupations qu'elle et je n'ai pas le sentiment d'avoir subi de crise de la quarantaine. Et pourtant Aude a su me parler dans cet ouvrage tant elle rend sincère et attachant son personnage. Elle transmet de superbe manière ses émotions, ses doutes mais aussi ses tentatives amusantes d'y remédier. Sa vie de couple et le portrait qu'elle fait de son compagnon sont sans concession (je suis curieux de savoir comment ce dernier a pris ça d'ailleurs) mais le ton reste léger, rythmé et parlant. Bref, elle arrive à transmettre aussi bien les émotions graves que l'humour de sa mise en scène. C'est touchant et amusant à la fois, tout en donnant un éclairage sur les possibles interrogations de la quarantaine.

08/01/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Notes
Notes

Je réalise avec surprise que je n'ai pas avisé cette série alors que je suis le blog de Boulet depuis une vingtaine d'années et que j'ai lu la majorité des albums qu'il en a extraits. Si au départ de sa carrière et de son blog, je trouvais les petites histoires de Boulet sympa mais sans plus, il a très rapidement su s'imposer comme le maître étalon du blog BD et de l'histoire courte en BD. Ses sujets fourmillent d'influences geeks, de réflexions aussi gentiment idiotes que profondément sages ou bien vues sur la vie et ses petits détails, et d'un humour impeccable, pas forcément à se rouler par terre mais toujours vraiment drôle. Et surtout il a acquis au fil des années une maîtrise de son dessin et de sa narration graphique qu'il a pu prouver à la face du monde lors de ses épreuves de 24h de la BD au cours de festivals d'Angoulême où il a su en un temps aussi réduit produire l'équivalent de BDs complètes excellemment dessinées et bien racontées, avec en plus à chaque fois de très bonnes idées pour interpréter le thème imposé. Ce sont ces histoires là ainsi que toutes celles que son imagination lui a prodiguées et qu'il a offertes à ses lecteurs en ligne de 2004 à 2017 qui sont incluses dans ces albums Notes, avec l'ajout de quelques inédits pour l'époque dont certains ont depuis été rajoutés après coup sur son blog. C'est un plaisir de pouvoir les lire et relire sur papier dans des albums souples de belle qualité, tout en ayant la possibilité d'observer l'évolution de la maîtrise graphique et narrative de Boulet tandis qu'il affirmait son style et sa maturité.

08/01/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Pieter Bruegel
Pieter Bruegel

Le mensonge marche, comme l’estropié, avec des béquilles. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, une histoire autour du peintre Pieter Bruegel (1525-1569). Son édition originale date de 2015 ; il fait partie de la collection Les grands peintres. Il a été réalisé par François Corteggiani pour le scénario, Mankho (Dominique Cèbe) pour les dessins, par Bonaventure pour les couleurs. Il comprend quarante-six pages de bande dessinée. À la fin se trouve un dossier de six pages, rédigé par Dimitri Joannidès, intitulé Philosophe du burlesque, composé de sept parties intitulées : Une inspiration flamande, Un fin observateur de son siècle, Le premier homme des tavernes, Un révolutionnaire au cœur simple, La danse pathétique des cinq mendiants, Le fondateur d’une dynastie, Une disparition prématurée. Bruxelles, le cinq juin 1568, le bourreau cagoulé de noir attend les deux condamnés à mort. Dans l’immense palais, le conseiller se permet de dire au duc d’Albe qu’il n’aurait pas dû faire ça, ce à quoi son interlocuteur répond qu’il le sait. Il ajoute que ce qu’il aurait dû faire, c’est de s’assurer de la personne de Guillaume d’Orange, et ce avant qu’il ne quitte Bruxelles pour se réfugier en Saxe, chez son beau-père. La charrette continue d’avancer lentement, tirée par un cheval, vers le gibet, scène observée discrètement par un individu barbu avec un petit chapeau, derrière la rangée de curieux. Le duc d’Albe continue : les comtes d’Egmont et de Hornes seront décapités pour l’exemple. Il répond à son conseiller : peu importe que cela horrifie la populace qu’on touche à ces personnes, du moment que cela les terrifie en premier lieu. Il espère que cette exécution calmera l’ardeur de ces calvinistes, iconoclastes et de tous les protestants. Même si ce sont des catholiques, il estime que ce sont avant tout des traitres, des opposants forcenés à la politique du bon roi Philippe II. Des gueux comme ils aiment à se nommer depuis ce bon mot de monsieur de Berlaymont. Le seigneur du Breucq, Guislain de Haynan en tua trop peu dans ces marais, l’année dernière. Les comtes d’Egmont et de Hornes ont gravi les marches, les mains attachées dans le dos. Ils se tiennent devant le bourreau. Ils s’agenouillent, et le bourreau abat son épée pour leur trancher la tête. Dans le palais, le duc d’Albe continue de marteler sa position : le duc d’Egmont était le gouverneur de la Flandre et de l’Artois, c’est du passé. Lui et les autres, tous les autres, vont regretter amèrement que ce ne soit plus Marguerite de Parme qui les gouverne. Il révèle à son conseiller que des reitres bien informés, et surtout grassement payés par ses soins, sont sur les traces du seigneur de Nassau, prince d’Orange. Le conseiller fait observer qu’il n’est pas seul, dit-on, à guider la révolte. On parle de trois hommes, peut-être cinq… Bourgeois, nobles ou paysans dont on ignore tout et d’autant moins le nom et le faciès. Le duc d’Albe en fait son affaire : un homme torturé a révélé le signe de reconnaissance utilisé par les rebelles, il s’agit un tableau de format réduit. Voilà qui est déconcertant : le lecteur tourne la dernière page sans être bien sûr que Pieter Bruegel figure dans ce récit ! Une certitude : la présence du tableau Les mendiants (1568), attribué à Pieter Brueghel l'Ancien (oui, parce que les auteurs ont préféré l’orthographe plus simple de Bruegel, plutôt que celle qui fait autorité avec un H). Pour le reste, le lecteur assiste à une opération militaire dans la répression d’un mouvement de rébellion en Belgique. D’ailleurs, il est possible qu’il perde rapidement pied s’il s’élance dans cette lecture sans quelques connaissances historiques. Le scénariste énonce bien des noms, des alliances, quelques éléments de contexte, sans les détailler. Un petit tour sur des sites de référence permet de mieux saisir ce qui se passe. Le lecteur peut commencer par le duc d’Albe : Ferdinand Alvare de Tolède y Pimentel (1507-1582), un Grand d'Espagne qui a exercé les fonctions de régent des Pays-Bas espagnols, à partir de 1567, au début de la guerre de Quatre-Vingts Ans, sous le règne de Philippe II. La scène introductive de peine capitale correspond à une décision dudit vice-roi, dans le cadre de sa mission confiée par Philippe II, en qualité de chef de la Contre-Réforme catholique, après avoir mis en place un organisme judiciaire exceptionnel, le Conseil des troubles. Lamoral, comte d'Egmont (1522-1568) est un général et un homme d’État des Pays-Bas des Habsbourg, ayant exercé la fonction de gouverneur de la Flandre et de l'Artois. Le comte de Hornes (vers 1518-1568, Philippe II de Montmorency-Nivelle) est un noble des Pays-Bas bourguignons et des Pays-Bas espagnols, parent du comte d’Egmont. Leur exécution sert de point de repère historique pour le début de Guerre de Quatre-Vingts ans qui aboutira à la reconnaissance par l'Espagne, en 1648, de l'indépendance de la République des Provinces-Unies. Pour autant, le lecteur peut se lancer dans cette histoire sans bien saisir la complexité du contexte historique, en s’attachant plutôt à l’intrigue telle qu’elle apparaît au premier degré. Les Pays-Bas sont sous le joug du gouvernement Philippe II (1527-1598), roi d’Espagne, il existe un mouvement de rébellion. Le duc d’Albe représentant de l’autorité du roi d’Espagne a mis en œuvre des actions de répression : exécutions pour trahison, réseau d’espions, interrogatoires sous la torture, action militaire pour exterminer les rebelles. À partir de la page dix, l’envoyé du duc d’Abe arrive à la tête de plusieurs dizaines d’hommes dans un village où se trouveraient soit les traîtres et rebelles à l’autorité du roi d’Espagne, soit le ou les auteurs du petit tableau qui sert de signe de reconnaissance. En effet, plus individus du village conspirent contre le roi d’Espagne, et ils se sont préparés à la venue des forces armées. Celles-ci sont menées par un individu masqué : Don César Blasco de Lopez, surnommé le diable rouge, ou également la main gauche du démon, et portant un masque rouge intégral orné de deux cornes de bouc. Le récit se focalise alors sur quelques heures dans une journée : les villageois résistant à la force armée. La narration visuelle s’inscrit dans un registre descriptif et détaillé, hérité de la ligne claire, engendrant une immersion tangible pour le lecteur. L’artiste a effectué un solide travail de recherche pour réaliser une reconstitution historique consistante. Après une case de la largeur de la page avec un très gros plan sur les yeux du bourreau, le lecteur bénéficie d’une autre case de la largeur de la page représentant les étages supérieurs de l’hôtel de ville de la grand-place de Bruxelles, avec une minutie impressionnante. Troisième case de la largeur de la page : le lecteur prend le temps de regarder les bâtiments en arrière-plan des deux comtes, avec un grand soin apporté aux rambardes en pierre taillée du premier étage. Il ralentit également sa lecture pour admirer les poutres apparentes de la salle où se tiennent le duc d’Albe et son conseiller, les boiseries, bancs, table et chaises. Puis il les suit alors qu’ils empruntent un escalier menant à des pièces souterraines sous voute, en jetant un coup d’œil à la lourde porte en bois avec ses ferrures, aux arches, et aux supports des bougies et des torches. Lorsque le récit passe dans le village, l’artiste apporte le même soin minutieux à la représentation des différents bâtiments, extérieur comme intérieur, aux ponts. Il remarque la grande case de la largeur de la page dans la planche onze : une déclinaison du tableau Chasseurs dans la neige (1565) du peintre. Il note également le soin apporté aux tenues vestimentaires : celles sophistiquées du duc et des citadins, celles plus simples et pratiques des paysans. Alors que le détachement militaire arrive à la ville enneigée, le lecteur peut voir la voir depuis une position en hauteur, s’étalant devant lui, y compris le fleuve et les ponts, qui joueront un rôle par la suite. Il peut suivre la progression du rebelle qui s’enfuit par les toits, il note en passant l’isolation dans un grenier. Il souffre pour le soldat recevant une pierre en pleine mâchoire. Il sourit en voyant deux paysans bloquer une des portes de la ville, grâce à une charrette coincée et l’explosion de tonnelets de poudre qu’elle transporte. Il retient son souffle alors que le fuyard traverse la rivière gelée à pied. Il suit aisément la manière dont les soldats se retrouvent regroupés dans la grande place, conformément à la stratégie des paysans. La narration visuelle raconte chaque action avec une grande clarté, le lecteur établissant inconsciemment un parallèle avec André Juillard et les tomes de la série Masquerouge, avec Patrick Cothias. Il est pris de court quand une forme de surnaturel s’immisce dans la confrontation. Mais quand même, où est passé Pieter Bruegel ? Le lecteur se souvient qu’il figure en bonne place sur la couverture : c’est cet homme qui se tient derrière le diable rouge. En y repensant, il se rend compte qu’il a vu ce visage ailleurs : dans la dernière case de la première planche. Il fait ensuite le lien avec son tableau Les mendiants, et avec le contexte politique, éventuellement après avoir effectué les recherches nécessaires. Il se lance dans le dossier en fin de tome, et il parvient aux paragraphes consacrés audit tableau. Dimitri Joannidès passe en revue les différentes interprétations qui ont pu en être formulées. Une simple scène de la vie quotidienne, avec une marque inattendue d’empathie du peintre au dos du tableau (Estropiés, courage, que vos affaires s’améliorent). Ou bien il écrit : Chacun de ces mendiants pourrait représenter une classe de cette société malsaine et corrompue courant à sa perte, c’est-à-dire la monarchie, l’armée, la bourgeoisie, les paysans et les ecclésiastiques, chacune identifiée par son couvre-chef. Ou encore les auteurs ont pu choisir une autre interprétation : le tableau serait une version déformée de la Révolte des gueux, des calvinistes essayant de mobiliser la petite noblesse et la grande bourgeoisie pour combattre la domination espagnole. Ce qui semble correspondre exactement à la présente intrigue. Dans cette collection, l’horizon d’attente implicite consiste à réaliser une biographie, parfois partielle, d’un grand peintre. Ce tome sort du lot par son parti pris. Le grand peintre ne figure que dans une case et sur la couverture : il n’est pas question de sa vie, qui est assez mal connue. En lieu et place, la narration visuelle réalise une belle reconstitution historique bien nourrie et détaillée, et raconte une histoire d’attaque de soldats espagnols contre un village flamand abritant des rebelles. Le scénariste place le tableau Les mendiants au centre de cette révolte, mettant en scène l’une des façons d’interpréter l’œuvre de Pieter Bruegel, et l’artiste y glisse des allusions visuelles comme à la toile Chasseurs dans la neige. Déconcertant, et totalement convaincant.

08/01/2025 (modifier)
Couverture de la série Traversées - La Route de l'aventure
Traversées - La Route de l'aventure

Lucas Vallerie traite ici – et très bien – d’un sujet tristement d’actualité (à défaut d’être réellement et correctement traité par les grands médias), à savoir les migrants fuyant la misère (et la guerre parfois) de l’Afrique, pour tenter de rejoindre l’Europe à partir de la Libye. Et plus particulièrement, il a accompagné une mission du navire de sauvetage de MSF en Méditerranée, rencontrant ainsi une des parts douloureuses de cette réalité (les nombreux morts noyés), mais aussi parmi les « sauvés » des personnes lui racontant leur parcours. L’album m’a fait penser à celui d’Hippolyte Le Murmure de la mer, album quasi équivalent (l’auteur ayant lui accompagné une opération de l’ONG SOS Méditerranée – mais j’ai aussi penser à À bord de l'Aquarius qui s’intéresse à une autre mission de cette même ONG). On retrouve en grande partie les mêmes problématiques et mêmes observations. Mais Vallerie développe lui en parallèle le parcours de quelques migrants recueillis sur son navire, de leur départ d’un pays d’Afrique subsaharienne à leur arrivée en Libye, où ils sont tous maltraités, volés, exploités, parfois violés, jusqu’au départ et leur « sauvetage ». La narration est fluide, le sujet est traité en profondeur et de façon factuel, j’ai bien aimé cette lecture. Comme dans les albums précédents (mais j’ai aussi lu des articles dans le monde diplomatique à ce sujet), on peut encore s’étonner de l’hypocrisie de l’UE face au traitement subi par les migrants en Libye…

07/01/2025 (modifier)