Comment dire tout le bien que je pense de cette œuvre sans plagier honteusement mes prédécesseurs ? Pour bien faire, je n’aurais pas dû lire leurs avis. Mais si je n’avais pas lu leurs avis, je n’aurais pas acheté la bd. Vous me suivez ? Parce que le genre sagas familiales au long cours n’est d’habitude pas ma tasse de thé.
J’ai plus trouvé ici une impression d’une époque, celle de ces années où la rébellion des sixties prend lentement forme. Les jeunes veulent autre chose que le modèle patriarcal et religieux sclérosant.
Lulu, Jo et Chiara, la fille d’immigrés italiens, rêvent de liberté et d’égalité dans un lieu communautaire où tout peut être à tous, même en amitié et en amour.
C’est une époque que j’ai connue, mais d’un peu loin, avec mes yeux d’enfant, j’avais à peu près l’âge des petites sœurs de Lulu. Et tout ça me parle.
Surtout qu’au fil des tomes on voit vieillir les personnages, et on les sent évoluer au gré de leurs expériences, pas toujours heureuses, de leurs désillusions aussi. Désillusions sur le fait de changer le monde, mais aussi sur la nature humaine, car tous n’ont pas forcément les mêmes aspirations. Même si Lulu s’accroche à leurs espoirs communs.
Une belle lecture. Je les ai vu vivre, construire, pleurer, aimer, avec passion et avec une vérité dans les sentiments et les dialogues. Les auteurs n’ont pas pu tout inventer, il y a du réel là dedans !
Bien aimé aussi le dernier chapitre ajouté dans l’intégrale.
Nos héros vieillissants, qui voient ce qui reste de leur communauté en miettes et ce que le monde est devenu, sans eux ou malgré eux. Touchant.
Lisez les avis de Grogro et des autres, ils vous ont dit tout ça bien mieux que moi.
Un album réussi. Même si ça fait bizarre de parler de plaisir de lecture lorsque le sujet est aussi dur. Car il s’agit de présenter la vie dans l’une des dictatures les plus dures, un fossile stalinien anachronique qui broie les habitants de la Corée du Nord.
Le premier tiers de l’album est presque humoristique. En effet, l’absurdité des injonctions pesant sur les Nord-Coréens, et le comportement béat et quasi fanatique de Jun Sang, le gamin dont nous allons suivre le destin et qui incarne au départ l’idéal du parfait admirateur de l’œuvre du grand leader Kim Jong-Il, tout pousse le lecteur à sourire, tant le ridicule, le grotesque l’emportent.
Mais rapidement cette absurdité mène à l’horreur. L’euphorie disparait – comme les couleurs d’ailleurs – pour mettre en avant, en sus de la propagande et du culte de la personnalité (omniprésents), un appareil répressif féroce et aveugle. Les camps de concentration/rééducation, la famine institutionnalisée, transforment le pays en vaste prison. Et du coup on n’a plus envie de rire ou de sourire.
Même si c’est une histoire inventée, elle est hélas tellement crédible – en tout cas par rapport à ce que l’on sait de ce régime – qu’elle en est glaçante. Mais la lecture est recommandée.
C’est un reportage très intéressant. Les problèmes évoqués n’ont pas été résolus, et le phénomène des migrants, leur accueil (ou leur refoulement) est encore plus d’actualité, hélas.
Mais les auteurs ont réalisé là un reportage à la fois instructif et vivant. Le dessin est minimaliste, mais efficace et agréable, il fait parfaitement le travail.
Surtout, l’entièreté des aspects, des intervenants, est ici présentée aux lecteurs, qui peut se faire une idée plus précise de la situation. Sur un sujet souvent mal traité (et maltraité) par les médias.
L’autre point intéressant est que ça donne chair, figure humaine à ces migrants.
On voit donc comment « fonctionnent » les camps de migrants, l’action des forces de l’ordre, celle des associations, et les relations parfois tendues entre migrants selon leur origine. On voit aussi comment l’État se désengage souvent de ses responsabilités (envers les migrants, mais aussi envers les populations riveraines des camps).
Un très bon reportage, qui laisse quand même un goût amer, tant on se rend compte que rien n’est fait pour traiter les causes des problèmes évoqués ici.
Les romans de L'Épouvanteur sont des romans pré-adolescents que j'ai toujours un peu eu envie d'essayer étant jeune mais que je n'avais jamais vraiment pu lire.
Je découvre donc l'histoire via ce premier album, adaptant vraisemblablement le premier roman dans son intégralité.
L'histoire est bonne : on y suit Thomas, un jeune garçon apprenant les ficèles du métier d'épouvanteur, des gens chargés de protéger les gens des sorcières et des gobelins. J'ai beaucoup aimé le côté horrifique du récit, avec des sorcières à l'apparence monstrueuse, aux coutumes atroces (elles mangent de la chair humaine) et à la menace plus que réelle.
J'ai également aimé Thomas, son côté réfléchis et débrouillard mis en contraste avec son côté encore un peu naïf et immature en font un protagoniste très intéressant. J'ai bien aimé sa relation, amicale mais chaotique, avec Alice, la jeune (presque) sorcière.
Le dessin de Delaney est joli, plutôt stylisé. Ce n'est pas mon style de dessin préféré mais je trouve qu'il appui beaucoup le côté angoissant de certaines scènes (surtout de nuit, avec son jeu sur les noirs et les bleus).
Bref, une bonne découvert et un lecture sympathique. Je compte lire la suite.
(Note réelle 3,5)
N’y a-t-il donc à l’orgueil d’autre issue que l’humilité ?
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Avant d’être rassemblées en album publié par Casterman, les planches de ce récit paraissent dans les numéros un à douze de la revue (À Suivre) entre février 1978 et janvier 1979. La première édition en album date de 1979. Il a été réalisé par Jean-Claude Forest (1930-1998) pour le scénario, et par Jacques Tardi (1947-) pour les dessins. Il comprend cent soixante-trois pages de bande dessinée en noir & blanc. En ouverture, se trouve une préface de quatre pages, rédigée par le scénariste évoquant sa collaboration avec l’artiste, ainsi que la question du sens de l’œuvre.
Arthur Même se tient sur le faîte du mur de séparation, et il s’adresse aux ouvriers en train de réparer un autre mur : il leur demande s’ils veulent boire quelque chose. L’un d’eux répond par la formule de politesse : si M. Même insiste… Arthur indique qu’il ne se souvient pas d’avoir insisté et il ne se souvient pas non plus avoir jamais compris pourquoi les gens boivent tant… Il continue à voix haute : il se demande si un jour quelqu’un lui expliquera ce qu’il y a dans le vin. Pour lui, le vin et l’huile c’est pareil. Avec le vin sur la langue, les gens dérapent de la tête, comme avec l’huile sur le pavé, on dérape de la semelle. Comment discuter avec des gens qui dérapent et qui, à tort et à travers, lui attribuent de l’insistance, pourquoi pas de l’entêtement ? Tout en monologuant, il a débouché une bouteille de vin avec le tire-bouchon passé à l’anneau de son trousseau de clés, et il a servi un verre aux deux ouvriers. Celui avec la casquette s’adresse à lui : il faut qu’il lui dise une chose, une chose qui n’a pas bien d’importance, mais qui l’asticote sérieusement : Gâcher le ciment, bien gras ou maigre (c’est selon), poser une pierre sur une l’autre, etc. tout ça c’est son affaire. Et avant de toucher la truelle pour Arthur Même, il la touchait déjà pour sa pauvre mère. L’ouvrier demande alors : Pourquoi faut-il qu’Arthur soit là à lorgner tous ses gestes, comme s’il passait le plus clair de son temps à se cracher dans les mains ?
Arthur Même répond que l’entretien des murs est à sa charge. Si une pierre se détache, tue une bête ou un enfant, lui Arthur est responsable et au moindre accident, ils essaieront de le chasser des murs. Alors il ne surveille pas les ouvriers, il veille. L’ouvrier lui répond qu’à sa place, il vendrait. Même s’emporte : il est facile de faire l’intéressant lorsqu’il s’agit des affaires des autres. Il continue : Ces collines, cette campagne morcelée, découpée comme bête à l’abattoir, ces propriétés comme des escalopes et qui s’étalent du lac aux coteaux de Machepaille, sans les murs, c’est un seul et magnifique domaine : Mornemont ! Et Mornemont, au début du siècle, appartenait tout entier à sa famille. À la suite de querelles avec les voisins à propos de misérables lopins de terre, sa famille a dû entamer une ribambelle de procès, elle a perdu… Et peu à peu le domaine tout entier a changé de propriétaire !
Un homme perché sur un mur, des ouvriers qui réparent un autre bout de mur, un domaine dont les demeures et les terrains appartiennent à différentes familles, mais les murs d’enceinte appartiennent à un unique individu qui a en charge d’ouvrir et de fermer les portails qui constituent autant de péages dont encaisse l’argent. À l’évidence, une métaphore… Grossière erreur !!! Dans son introduction, Jean-Claude Forest pose clairement les choses : Mais qu’on ne vienne pas lui écrire dans le dos ce qu’il n’a pas écrit. Ni travestir par rajouts, en filigranes ou estampilles, la mise en images. Qu’on n’aille pas voir dans Ici Même un pamphlet, une satire de la société ou des représentants de son régime politique. Il n’a pas eu davantage l’intention particulière de tourner en dérision l’attachement à la propriété. […] Il veut dire qu’à la tradition, aux habitudes culturelles qui toujours poussent le lecteur à être un raisonneur s’ajoute une incitation renforcée à chercher dans la moindre idée, dans le moindre récit, la morale, l’idéologie clairement ou obscurément véhiculées. Il faut donc au lecteur une belle indépendance d’esprit pour s’accrocher au seul récit et jetant la leçon aux orties, ne tirer parti que du charme des situations et de la surprise des rebondissements, sinon du rêve offert en prime. Pourtant il lui serait malvenu de critiquer ce type de lecture orientée.
Ainsi averti, le lecteur se garde bien de passer en mode analytique et il suit la recommandation du scénariste à la lettre en restant au premier degré. Il plonge donc dans un monde en noir & blanc (non, pas d’interprétation sur ce choix) : des images avec un fort contraste. Des traits de contour fins, parfois un peu tremblé, plus comme vivants que comme mal assurés. Un usage des aplats de noir important pour le costume noir de monsieur Même, pour des chevelures, pour des ombres portées, pour le relief des objets et des décors, ce qui donnent une consistance visuelle à chaque planche. Bien sûr, le lecteur peut se demander si l’histoire d’un type qui se balade sur des murs va être visuellement intéressante… sauf s’il a déjà lu des œuvres de ce bédéiste. Indépendamment de l’interaction limitée entre scénariste et dessinateur évoquée dans l’introduction, le lecteur éprouve la sensation qu’il s’agit de pages d’une seule et même personne. Le scénariste a visiblement pensé à la dimension visuelle de son histoire, variant régulièrement les décors grâce aux séquences consacrées à des personnages secondaires, et il parvient même à introduire de la diversité dans l’arpentage des faîtes de mur grâce à des éléments inattendus. Le lecteur commence par admirer la variété des tuiles et des sommets de mur, exigeant parfois un excellent équilibre de la part de Même. Il jette régulièrement des coups d’œil aux différents jardins, pelouses et arbres, et aux demeures. Il apprécie le goût de l’artiste pour la pierre, la brique, les ferrures, les persiennes, les toitures, les portails, les colonnes, et même une serre de jardin.
Le récit s’aventure donc dans d’autres endroits, décrits avec autant de soin : un cimetière, l’intérieur de la chambre de Julie Maillard, le petit bateau à moteur de l’Épicier, le palais présidentiel, les appartements du Président, la salle du conseil des ministres, et l’intérieur de la petite guérite servant d’habitation au personnage principal. Il prend le temps de regarder les accessoires : l’antique modèle de téléphone de Même, son trousseau de clés, un chevalet de peinture, les stèles des tombes, le lustre à pendeloques dans la salle du conseil des ministres, la plante verte en pot dans la chambre du Président, le bidet dans la salle de bain de Julie, les marchandises de l’Épicier, etc. Il découvre ou il retrouve la capacité surnaturelle de Tardi à donner des trognes à chacun de ses personnages, à la limite du plausible sans jamais franchir la ligne de la carricature, des visages très expressifs, des silhouettes diversifiées, chacune en disant long sur la personnalité de l’individu. Le lecteur se dit qu’un personnage servile à sa manière comme Arthur Même ne pouvait qu’avoir une constitution longiligne, que Julie se devait d’être solidement charpentée du fait son assurance et de son indépendance, les petits yeux et les grandes oreilles de l’Épicier insensible au regard des autres, etc.
Mais voilà, cette diversité des personnages met en lumière l’ouverture vers l’extérieur : ces familles qui vivent dans toutes ces demeures (une dizaine d’évoquées même si elles n’apparaissent pas toutes : Maillard, Gandelut, Pouilleron, Sergy-Merival, Michelot, La mère Linéa, Morlebœuf, Gandelu, Maury-de-Nancelles, Clairbeaux), le Président et ses ministres (Harlan, Badinski, Debarandon, Hayouli-Hayounberg, plus quelques autres non nommés), Gisèle la première dame, Georges le valet particulier, De Barandon, le général Desgriottes, le colonel Demalpine, Harlan ministre des armées. Il faut encore ajouter les avocats (Maître Roubillard, Maître Bougreval, Maître Patelot, la secrétaire mademoiselle Mireille) et l’espion Quatre-Septembre. Alors, même s’il veut bien faire l’effort de ne tirer parti que du charme des situations et de la surprise des rebondissements, le lecteur reste incapable de s’arrêter là. Quand même, il est question de gouvernement, d’élection et de leur résultat à venir, de propriétaires qui profitent, d’une guerre même. Et puis le scénariste lui-même titille le lecteur : Qu’est-ce que c’est que ce nom de Quatre-Septembre pour l’espion ? Cela ne peut que renvoyer à la date du 4 septembre 1870, quand Léon Gambetta proclame la Troisième République, à la suite de la défaite de Sedan et de la chute du Second Empire. Puis cette reprise de la formule Aujourd’hui rien, attribuée à Louis XVI dans son journal pour le 14 juillet 1789. Mais quel rapport avec la situation d’Arthur Même ? Et aussi ce nom de pays Mornemont, quelle similitude avec l’adverbe Mornement. En outre à plusieurs reprises, la narration visuelle glisse vers la fantasmagorie : Arthur Même recouvert par des insectes, une oreille géante qui empêche le cheminement sur le mur, deux coureurs avec dossard portant au-dessus de leur tête le lit d’Arthur avec lui et Julie dedans, le macabre carnaval venant menacer Arthur. Tout cela revêt l’apparence de métaphores visuelles, et même d’allégories parfois. Sans même parler de la mise en scène de la sexualité, avec une touche d’ondinisme, ou encore de la relation à la mère. Heureusement que le scénariste accorde que pourtant il serait malvenu de de critiquer ce type de lecture orientée…
Un monsieur dégingandé qui parcourt le faîte des murs d’enceinte pour aller ouvrir des portails : assurément il s’agit d’un conte. La narration visuelle s’avère d’une justesse extraordinaire, entre description factuelle et prosaïque et éléments décalés s’intégrant parfaitement. L’histoire au premier degré se dévore comme un feuilleton, chaque chapitre bâtissant sur le suivant, avec une logique interne et une progression d’une solidité inattendue. Mais quand même, il y a matière à interprétation de ce conte, et même à interprétations multiples, et peut-être même à psychanalyse de ce conte même s’il est dépourvu de fées.
Gael Faye avait fait parler de lui avec la publication de son roman, que je n'ai pas lu, mais son adaptation en BD me faisait de l’œil depuis longtemps. Et j'ai bien fait, puisque je suis tombé sur une BD qui arrive à montrer de l'intérieur ce qu'a été cette guerre au Burundi et le génocide Rwandais.
J'avais déjà lu "La Fantaisie des Dieux" (que j'avais peu aimé) mais ici c'est plus intéressant, déjà parce que l'ensemble est vu à hauteur d'enfant qui ne comprend pas tout. Sa famille est tout autant un sujet que le génocide, montrant les difficultés de ce pays juste avant l'éclatement : les tensions ethniques, les problèmes de classes sociales et l'implication des français dans ce coin du monde (entre racisme et relent colonialiste). Lorsque tout commence à monter puis à éclater, l'enfant voit progressivement les massacres se rapprocher, la peur déborder. C'est mené encore une fois doucement, et la BD ne pose aucun regard critique sur l'ensemble. Pas de questionnement politique ou de regard tardif dessus, juste un vécu de l'intérieur et l'inquiétude, l'attente.
La Bd est une lecture qui rappelle ce que c'est que vivre une guerre. Pas juste être dans la constatation postérieure, mais bel et bien vivre la peur, les massacres, l'inquiétude, les disparitions. Vite lue, elle immerge en quelques cases et donne parfois un gros coup au cœur lorsque tombent les pages sur le massacre. C'est une BD que je recommande, elle est franchement très bonne.
Quand je vois les autres BD sorties par l'autrice, je ne suis pas surpris ni du sujet ni de son traitement. Et franchement, je ne m'attendais pas à cette fin-là, ça c'est sur ! Mais en même temps, qu'est-ce que c'est joli...
Cette BD n'est sans doute pas faite pour tout le monde, et je comprends l'avis de Ro avec ses réticences. Personnellement je ne les ai pas eues et je me suis immergé dans cette BD comme Marsu s'immerge dans ce monde virtuel. On pourrait s'attendre à une BD sur les mondes virtuels, leurs impacts et leurs dérives, mais l'histoire est bien plus personnelle et intime. Elle s'attarde sur les sentiments d'une jeune femme architecte, dont la vie bascule, partagée entre ses sentiments pour deux hommes différents. C'est lent, posé et pourtant j'ai été transporté !
Il faut dire que plusieurs choses m'ont réellement plu : déjà le personnage de Marsu, nuancée et complexe, absolument pas manichéenne. Je ne le dirais jamais assez, mais une femme bien écrite, c'est appréciable (et ça n'en fait pas "une femme forte" pour autant). Et en l'occurrence, j'étais à fond avec elle, comprenant ses doutes, ses hésitations, ses complexes. La BD peut être vue comme une apologie du polyamour, mais je trouve qu'elle parle surtout du fait d'aimer différemment chaque personne que l'on voit et ce qu'on fait ensuite. L'histoire est claire sur son point de vue et je suis totalement d'accord avec elle : on peut aimer différemment, on peut aimer plusieurs personnes, on peut ... on PEUT !
Il faut aussi que je mentionne le dessin, puisque cette dessinatrice dont j'avais déjà pu découvrir le dessin dans d'autres œuvres, à sortie le grand jeu. Non mais matez-moi ces planches ! Je vais encore être dithyrambique, mais c'est d'une beauté ! Déjà les personnages sont croqués avec une douceur dans le geste, les regards, c'est sublime. Et puis quelle utilisation des couleurs ! C'est le genre de planches qui donnent envie de rentrer dans le paysage et d'aller y habiter. J'insiste, mais l'utilisation des couleurs, la douceur qui se dégage de l'ensemble, les contrastes, l'architecture ... Tout est trop bien, j'adore !
Je ne sais pas si c'est le fait que de plus en plus de femmes s'emparent de ces sujets (je pense à Mélaka qui en parle en ce moment sur son blog) mais je trouve que ce genre de BD apporte un vent de fraicheur sur la question des relations humaines. Loin des considérations hétéronormées de base, la réduction au modèle familiale et l'injonction patriarcale pour que les femmes se reproduisent et fassent de bonnes mères/épouses, ce genre de BD propose de nouvelles façon de vivre, d'envisager la maternité, le couple, la vie ... Et pour une fois, aussi, c'est le bonheur qui prédomine au final. On peut vivre heureux en vivant différemment de cette norme que l'on nous inculque. Quel plaisir !
J'en ressors accompagné d'une vraie sensation positive, que je n'ai qu'une envie, vous partager.
Il faut exprimer les émotions que la nature inspire.
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Ce tome contient une histoire complète de nature biographique. Sa première édition date de 2019. Il a été réalisé par Sandrine Revel pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il évoque la vie de Tom Thomson (1877-1917), peintre canadien. Il comporte cent-trente-quatre pages de bande dessinée. Il se termine avec une reproduction d’un tableau du peintre, intitulé The West Wind (1917, huile sur toile120*130cm), et une postface de deux pages intitulée Tom Thompson et le Groupe des Sept. Revel est également l’autrice de Glenn Gould, une vie à contretemps (2015), Grand Silence (2021) avec Théa Rojzman, Germaine Cellier - L'audace d'une parfumeuse (2023) avec Béatrice Égémar.
Octobre 1956, le narrateur Peter Frahm pagaye sur le lac avec un ami. Les deux voyageurs le traversent à la recherche d’un endroit où faire des croquis. Ils pagayent en rythme alternativement, sans parler. Le paysage fait penser le narrateur à une esquisse de Tom Thomson : des pins, un élan en train de brouter, puis qui relève la tête. Ils arrivent à la rive nord. Ils passent devant le vieux Womat Lodge en partie reconstruit après avoir été détruit par un incendie dans les années 1920. Tout est calme. Il n’y a plus de touristes. L’automne les a fait fuir. Le narrateur demande à Peter s’il reconnaît. Ce dernier répond que rien n’a changé depuis le collège, c’est ce qu’il lui semble. Dans l’onde transparente, ils voient passer une truite. Ils finissent par accoster sur une rive. Le narrateur se rince le visage dans l’eau de la rivière. L’autre estime qu’ils seront bien là, pour dessiner. Ils s’enfoncent un peu dans la forêt. La colline est illuminée. Il fait encore chaud, ils la gravissent impatients. Ils marchent sans s’arrêter sur presque un kilomètre à travers une végétation dense. Puis ils atteignent une construction : ils y sont.
Juillet 1917, quelques oiseaux s’envolent au-dessus du fleuve. Doc est réveillé par le bec d’un oiseau tapotant sur le carreau de sa cabane. Il se lève, l’oiseau s’envole et s’éloigne. Fraser s’adresse à lui : il va falloir y aller. Doc lui demande s’il connaît l’histoire de cette truite impossible à attraper au barrage du lac Joe. Il pense à elle. Il pense à ce défi ridicule. Il continue : Tom était un mordu de l’hameçon. Il péchait avec ses propres mouches. Doc, lui, a l’habitude d’utiliser ce qu’il a sous la main mais rien à faire, elle est coriace. La dernière fois qu’il a vu Thomson, la toute dernière, il se souvient, l’artiste lançait sa ligne au barrage avec Shannon Fraser. Il lui semble que c’était lui. Il s’est même dit, cette fois-ci il va l’avoir et il va en entendre parler. Le soleil brillait comme aujourd’hui. Les hommes portent le cercueil de Tom Thomson pour le mettre en terre. Maggie, une jeune fille, semble particulièrement attristée, elle croit voir une main de femme tenant un pinceau sortir doucement de la rivière et disparaître. Une femme dans une sobre robe noire jette une poignée de terre sur le cercueil et pleure de chaudes larmes. Elle s’appelle Winnifred Trainor. Tom et elle se seraient fiancés, sa famille possède un chalet au lac Canoe. Le fossoyeur commence à pelleter la terre sur le cercueil.
Qui ça ? Il s’agit d’un récit biographique relatif à Tom Thomson (1877-1917), un peintre canadien dont la carrière a duré cinq ans. Entre autres, il a réalisé des peintures de la nature sauvage de l’Ontario. Au cours du récit, un mentor lui intime d’arrêter d’imiter la nature. Il faut exprimer les émotions qu’elle leur inspire. Ils doivent regarder en eux-mêmes. Le récit débute en 1956, c’est-à-dire trente-neuf ans après le décès de l’artiste, alors que deux hommes naviguent en canoë sur le fleuve qui va les mener vers le lieu où ils pensent que se trouve la vraie sépulture du peintre. Ce fil narratif se déroule de manière chronologique ces deux personnes, plus tard accompagnées par deux autres (soient Peter Frahm, Rick Tapes, Ben Green et le narrateur) pour rechercher la tombe de Tom Thomson, et donc son cadavre afin d’éclaircir les circonstances de son décès. Cette ligne temporelle compte dix scénettes. Dans le même temps, un deuxième fil narratif évoque des moments de la vie du peintre. Celui-ci commence en 1917, avec la découverte de son cadavre, et va se dérouler à peu près à rebours. Il comprend seize scénettes se déroulant successivement en 1917 (sept occurrences), 1916, printemps et été 1915, puis automne 1915, 1912, 17 juillet 1917 (c’est-à-dire un retour à l’année de la mort de Thomson), 1906, non précisé (peut-être début du siècle et en 1956), 1904, 1887. Chaque date figurant en ouverture de scène, le lecteur n’éprouve aucune difficulté à se repérer, et il voit comment la construction à rebours vient éclairer certaines décisions, certaines situations.
L’autrice a donc choisi une construction narrative très particulière pour évoquer la vie et l’œuvre de cet artiste majeur du début du vingtième siècle, pour le développement de l’art au Canada. La découverte à rebours de sa vie permet de ressentir d’abord les conséquences de moments où se sont cristallisés des principes ou des valeurs qui ont constitué la personnalité de Thomson, et par voie de conséquence de mieux mesurer leur importance en les découvrant ultérieurement. Ainsi ils recèlent plus de sens. Le lecteur se retrouve mieux à même de comprendre l’enjeu de sa relation avec Winnifred Trainor, puis avant sa présence au musée des Beaux-Arts de Toronto, la beauté de ses esquisses, la tentation de l’abstraction et la frustration des pieds plats, la communion avec la nature, la relation avec l’Ontario Society of Artists, l’emprise du parc Algonquin, la lettre d’Alice Lambert, l’influence du métier de son père sur sa vocation. En presque alternance, il suit la progression du narrateur et de ses amis dans leurs recherches, le parallèle de leur expérience de leur séjour dans le parc se faisant avec l’exercice du métier de garde forestier dans le parc Algonquin.
L’autrice se confronte donc à l’exercice d’évoquer la vie d’un grand peintre, de lui rendre hommage, à la fois de façon biographique, à la fois en évoquant son œuvre. En fin de tome, le lecteur dispose d’un aperçu de sa toile la plus célèbre The west wind, dans un format très réduit par rapport à l’original. S’il n’est pas familier de l’œuvre du peintre, il éprouve des difficultés à établir un lien visuel entre sa manière de s’exprimer au travers de sa peinture, la façon dont elle rend compte de sa sensibilité, dont sa personnalité s’exprime à travers ses toiles, et les choix graphiques de Sandrine Revel. S’il en est familier, il peut en relever les similitudes, et relever comment elle s’inspire du regard de Tom Thomson pour réaliser ses propres pages. Le lecteur observe rapidement quelques caractéristiques majeures : l’utilisation de cases rectangulaires sagement disposées en bande, l’absence de bordure tracée pour les cases, une palette de couleurs relativement restreinte pour chaque séquence, différente de l’une à l’autre avec quelques éléments de couleurs particuliers pour un pull, une chemise, une nappe, un bonnet, une fleur rouge, un renard, une truite, un oiseau. De ce point de vue, elle n’essaye de singer les caractéristiques des toiles du peintre.
D’un autre point de vue, elle met en œuvre le conseil de l’ami de Thomson : arrêter d’imiter la nature, exprimer les émotions qu’elle inspire à l’artiste. Au vu de la place qui est donnée à la nature dans ces pages, il se dit qu’elle s’inspire également du conseil du père de Thomson : La nature est une bonne vieille nourrice, on aime à se reposer sur son flanc. Le père continue en lui suggérant de prêter un tant soit peu l’oreille, alors la nature lui racontera des histoires merveilleuses et elle lui jouera sa musique enchanteresse. De fait, le lecteur apprécie de pouvoir voir les deux amis descendre la rivière, comme s’il les observait depuis un autre canoë et de prendre le temps de regarder les rives, représentées avec de petits traits secs. Puis il admire la présence massive et silencieuse de l’élan, la transparence de l’eau et la truite comme suspendue au-dessus du lit du fleuve, le vol de quelques oiseaux au-dessus de l’eau, le premier plan des arbres devant l’étendue d’eau, la silhouette des arbres penchées résultant de l’anémomorphose, le fin tronc des bouleaux rendus fragiles par contraste avec les flocons de neige, les longues plaines herbeuses, la zone de rapides d’un cours d’eau, etc. Dans ces pages, la nature renouvelle à chaque fois le spectacle, jamais deux fois identiques, une illustration de la maxime d’Héraclite (-544 à -480), on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
Ainsi le lecteur se sent immergé aux côtés de Tom Thomson en lisière du parc Algonquin, ressentant l’incidence de la présence de la nature sur son inspiration, sur son mode de vie, sur la nature même de ses pensées. Il prend conscience que les recherches menées en 1956 reproduise la même immersion, validant en quelque sorte la démarche du peintre, à l’instar de la postérité qui a elle aussi légitimé et même validé sa vision artistique, son interprétation d’artiste de ce qu’il contemple. La scénariste décide également de mener à bien son entreprise, de proposer sa version des causes du décès de Tom Thomson. De prime abord, le lecteur se dit qu’il aurait pu se passer de cette dernière séquence, qu’il n’attache pas beaucoup de valeur à une hypothèse que rien ne pourra jamais valider. D’un autre côté, c’est la volonté de l’autrice, c’est son intention. Et en même temps elle n’affiche pas la prétention de détenir la vérité puisque le personnage qui énonce cette explication indique que c’est que qu’elle sait, et que son interlocuteur est libre d’en douter. Elle souhaite donc donner un sens à cette mort, et apporter une sensation de fin, de clôture, de donner un point de vue sur ce que l’artiste n’a pas pu surmonter ou éviter.
Pas facile de rendre compte de la vie d’un être humain et de l’œuvre d’un artiste. Sandrine Revel a construit un récit avec deux fils temporels qui s’entremêlent, le second venant comme une réponse au premier. La narration à rebours de la vie de Tom Thomson en fait comme un destin inéluctable, et en même temps l’esprit du lecteur rétablit l’ordre chronologique par automatisme, faisant apparaître la fragilité de ce destin, son caractère ténu et pas du tout évident. La narration visuelle s’inspire de la vision du peintre en exprimant les émotions générées par sa vie, ainsi qu’en prolongeant les propres émotions exprimées par les toiles du maître, à l’aune de la sensibilité de l’autrice.
J'ai vraiment apprécié. On reprend des thèmes certes classiques, mais avec une façon de les mélanger par petites touches, sans en faire jamais trop, en utilisant la Nouvelle-Orléans comme toile de fond mais pas pour dominer l'histoire, ce qui change agréablement.
3.5
Les albums de commande sur les musées se succèdent et hormis des exceptions cela a jusqu'à présent surtout donné des albums à l'intérêt limité.
J'avais un peu peur au début que ça soit le cas avec cet album parce que c'est muet pendant un bon paquet de pages, où on voit des gens se promener dans le musée et admirer les œuvres d'arts. Le dessin de Chabouté est bon et il reproduit bien les statues, mais c'est quand même léger comme scénario et j'ai cru que cela allait être comme ça tout le long de l'album.
Heureusement, le dialogue arrive enfin et on voit enfin où l'auteur voulait en venir. Faire bouger les œuvres d'art la nuit n'est pas une idée nouvelle, mais Chabouté l'utilise très bien. Petit à petit, le récit a fini par me conquérir. Les dialogues sont bien écrits avec des moments poétiques et les œuvres d'art ont chacune leur personnalité propre.
À lire pour les amateurs d'arts.
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Pourquoi Cultura ?
La création de Cultura repose sur une vision de la culture, accessible et contributive. Nous avons ainsi considéré depuis toujours notre responsabilité sociétale, et par conviction, développé les pratiques durables et sociales. C’est maintenant au sein de notre stratégie de création de valeur et en accord avec les Objectifs de Développement Durable que nous déployons nos actions. Nous traitons avec lucidité l’impact de nos activités, avec une vision de long terme. Mais agir en responsabilité implique d’aller bien plus loin, en contribuant positivement à trois grands enjeux de développement durable.
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Les Indociles
Comment dire tout le bien que je pense de cette œuvre sans plagier honteusement mes prédécesseurs ? Pour bien faire, je n’aurais pas dû lire leurs avis. Mais si je n’avais pas lu leurs avis, je n’aurais pas acheté la bd. Vous me suivez ? Parce que le genre sagas familiales au long cours n’est d’habitude pas ma tasse de thé. J’ai plus trouvé ici une impression d’une époque, celle de ces années où la rébellion des sixties prend lentement forme. Les jeunes veulent autre chose que le modèle patriarcal et religieux sclérosant. Lulu, Jo et Chiara, la fille d’immigrés italiens, rêvent de liberté et d’égalité dans un lieu communautaire où tout peut être à tous, même en amitié et en amour. C’est une époque que j’ai connue, mais d’un peu loin, avec mes yeux d’enfant, j’avais à peu près l’âge des petites sœurs de Lulu. Et tout ça me parle. Surtout qu’au fil des tomes on voit vieillir les personnages, et on les sent évoluer au gré de leurs expériences, pas toujours heureuses, de leurs désillusions aussi. Désillusions sur le fait de changer le monde, mais aussi sur la nature humaine, car tous n’ont pas forcément les mêmes aspirations. Même si Lulu s’accroche à leurs espoirs communs. Une belle lecture. Je les ai vu vivre, construire, pleurer, aimer, avec passion et avec une vérité dans les sentiments et les dialogues. Les auteurs n’ont pas pu tout inventer, il y a du réel là dedans ! Bien aimé aussi le dernier chapitre ajouté dans l’intégrale. Nos héros vieillissants, qui voient ce qui reste de leur communauté en miettes et ce que le monde est devenu, sans eux ou malgré eux. Touchant. Lisez les avis de Grogro et des autres, ils vous ont dit tout ça bien mieux que moi.
L'Anniversaire de Kim Jong-Il
Un album réussi. Même si ça fait bizarre de parler de plaisir de lecture lorsque le sujet est aussi dur. Car il s’agit de présenter la vie dans l’une des dictatures les plus dures, un fossile stalinien anachronique qui broie les habitants de la Corée du Nord. Le premier tiers de l’album est presque humoristique. En effet, l’absurdité des injonctions pesant sur les Nord-Coréens, et le comportement béat et quasi fanatique de Jun Sang, le gamin dont nous allons suivre le destin et qui incarne au départ l’idéal du parfait admirateur de l’œuvre du grand leader Kim Jong-Il, tout pousse le lecteur à sourire, tant le ridicule, le grotesque l’emportent. Mais rapidement cette absurdité mène à l’horreur. L’euphorie disparait – comme les couleurs d’ailleurs – pour mettre en avant, en sus de la propagande et du culte de la personnalité (omniprésents), un appareil répressif féroce et aveugle. Les camps de concentration/rééducation, la famine institutionnalisée, transforment le pays en vaste prison. Et du coup on n’a plus envie de rire ou de sourire. Même si c’est une histoire inventée, elle est hélas tellement crédible – en tout cas par rapport à ce que l’on sait de ce régime – qu’elle en est glaçante. Mais la lecture est recommandée.
Les Nouvelles de la jungle (de Calais)
C’est un reportage très intéressant. Les problèmes évoqués n’ont pas été résolus, et le phénomène des migrants, leur accueil (ou leur refoulement) est encore plus d’actualité, hélas. Mais les auteurs ont réalisé là un reportage à la fois instructif et vivant. Le dessin est minimaliste, mais efficace et agréable, il fait parfaitement le travail. Surtout, l’entièreté des aspects, des intervenants, est ici présentée aux lecteurs, qui peut se faire une idée plus précise de la situation. Sur un sujet souvent mal traité (et maltraité) par les médias. L’autre point intéressant est que ça donne chair, figure humaine à ces migrants. On voit donc comment « fonctionnent » les camps de migrants, l’action des forces de l’ordre, celle des associations, et les relations parfois tendues entre migrants selon leur origine. On voit aussi comment l’État se désengage souvent de ses responsabilités (envers les migrants, mais aussi envers les populations riveraines des camps). Un très bon reportage, qui laisse quand même un goût amer, tant on se rend compte que rien n’est fait pour traiter les causes des problèmes évoqués ici.
L'Épouvanteur
Les romans de L'Épouvanteur sont des romans pré-adolescents que j'ai toujours un peu eu envie d'essayer étant jeune mais que je n'avais jamais vraiment pu lire. Je découvre donc l'histoire via ce premier album, adaptant vraisemblablement le premier roman dans son intégralité. L'histoire est bonne : on y suit Thomas, un jeune garçon apprenant les ficèles du métier d'épouvanteur, des gens chargés de protéger les gens des sorcières et des gobelins. J'ai beaucoup aimé le côté horrifique du récit, avec des sorcières à l'apparence monstrueuse, aux coutumes atroces (elles mangent de la chair humaine) et à la menace plus que réelle. J'ai également aimé Thomas, son côté réfléchis et débrouillard mis en contraste avec son côté encore un peu naïf et immature en font un protagoniste très intéressant. J'ai bien aimé sa relation, amicale mais chaotique, avec Alice, la jeune (presque) sorcière. Le dessin de Delaney est joli, plutôt stylisé. Ce n'est pas mon style de dessin préféré mais je trouve qu'il appui beaucoup le côté angoissant de certaines scènes (surtout de nuit, avec son jeu sur les noirs et les bleus). Bref, une bonne découvert et un lecture sympathique. Je compte lire la suite. (Note réelle 3,5)
Ici même
N’y a-t-il donc à l’orgueil d’autre issue que l’humilité ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Avant d’être rassemblées en album publié par Casterman, les planches de ce récit paraissent dans les numéros un à douze de la revue (À Suivre) entre février 1978 et janvier 1979. La première édition en album date de 1979. Il a été réalisé par Jean-Claude Forest (1930-1998) pour le scénario, et par Jacques Tardi (1947-) pour les dessins. Il comprend cent soixante-trois pages de bande dessinée en noir & blanc. En ouverture, se trouve une préface de quatre pages, rédigée par le scénariste évoquant sa collaboration avec l’artiste, ainsi que la question du sens de l’œuvre. Arthur Même se tient sur le faîte du mur de séparation, et il s’adresse aux ouvriers en train de réparer un autre mur : il leur demande s’ils veulent boire quelque chose. L’un d’eux répond par la formule de politesse : si M. Même insiste… Arthur indique qu’il ne se souvient pas d’avoir insisté et il ne se souvient pas non plus avoir jamais compris pourquoi les gens boivent tant… Il continue à voix haute : il se demande si un jour quelqu’un lui expliquera ce qu’il y a dans le vin. Pour lui, le vin et l’huile c’est pareil. Avec le vin sur la langue, les gens dérapent de la tête, comme avec l’huile sur le pavé, on dérape de la semelle. Comment discuter avec des gens qui dérapent et qui, à tort et à travers, lui attribuent de l’insistance, pourquoi pas de l’entêtement ? Tout en monologuant, il a débouché une bouteille de vin avec le tire-bouchon passé à l’anneau de son trousseau de clés, et il a servi un verre aux deux ouvriers. Celui avec la casquette s’adresse à lui : il faut qu’il lui dise une chose, une chose qui n’a pas bien d’importance, mais qui l’asticote sérieusement : Gâcher le ciment, bien gras ou maigre (c’est selon), poser une pierre sur une l’autre, etc. tout ça c’est son affaire. Et avant de toucher la truelle pour Arthur Même, il la touchait déjà pour sa pauvre mère. L’ouvrier demande alors : Pourquoi faut-il qu’Arthur soit là à lorgner tous ses gestes, comme s’il passait le plus clair de son temps à se cracher dans les mains ? Arthur Même répond que l’entretien des murs est à sa charge. Si une pierre se détache, tue une bête ou un enfant, lui Arthur est responsable et au moindre accident, ils essaieront de le chasser des murs. Alors il ne surveille pas les ouvriers, il veille. L’ouvrier lui répond qu’à sa place, il vendrait. Même s’emporte : il est facile de faire l’intéressant lorsqu’il s’agit des affaires des autres. Il continue : Ces collines, cette campagne morcelée, découpée comme bête à l’abattoir, ces propriétés comme des escalopes et qui s’étalent du lac aux coteaux de Machepaille, sans les murs, c’est un seul et magnifique domaine : Mornemont ! Et Mornemont, au début du siècle, appartenait tout entier à sa famille. À la suite de querelles avec les voisins à propos de misérables lopins de terre, sa famille a dû entamer une ribambelle de procès, elle a perdu… Et peu à peu le domaine tout entier a changé de propriétaire ! Un homme perché sur un mur, des ouvriers qui réparent un autre bout de mur, un domaine dont les demeures et les terrains appartiennent à différentes familles, mais les murs d’enceinte appartiennent à un unique individu qui a en charge d’ouvrir et de fermer les portails qui constituent autant de péages dont encaisse l’argent. À l’évidence, une métaphore… Grossière erreur !!! Dans son introduction, Jean-Claude Forest pose clairement les choses : Mais qu’on ne vienne pas lui écrire dans le dos ce qu’il n’a pas écrit. Ni travestir par rajouts, en filigranes ou estampilles, la mise en images. Qu’on n’aille pas voir dans Ici Même un pamphlet, une satire de la société ou des représentants de son régime politique. Il n’a pas eu davantage l’intention particulière de tourner en dérision l’attachement à la propriété. […] Il veut dire qu’à la tradition, aux habitudes culturelles qui toujours poussent le lecteur à être un raisonneur s’ajoute une incitation renforcée à chercher dans la moindre idée, dans le moindre récit, la morale, l’idéologie clairement ou obscurément véhiculées. Il faut donc au lecteur une belle indépendance d’esprit pour s’accrocher au seul récit et jetant la leçon aux orties, ne tirer parti que du charme des situations et de la surprise des rebondissements, sinon du rêve offert en prime. Pourtant il lui serait malvenu de critiquer ce type de lecture orientée. Ainsi averti, le lecteur se garde bien de passer en mode analytique et il suit la recommandation du scénariste à la lettre en restant au premier degré. Il plonge donc dans un monde en noir & blanc (non, pas d’interprétation sur ce choix) : des images avec un fort contraste. Des traits de contour fins, parfois un peu tremblé, plus comme vivants que comme mal assurés. Un usage des aplats de noir important pour le costume noir de monsieur Même, pour des chevelures, pour des ombres portées, pour le relief des objets et des décors, ce qui donnent une consistance visuelle à chaque planche. Bien sûr, le lecteur peut se demander si l’histoire d’un type qui se balade sur des murs va être visuellement intéressante… sauf s’il a déjà lu des œuvres de ce bédéiste. Indépendamment de l’interaction limitée entre scénariste et dessinateur évoquée dans l’introduction, le lecteur éprouve la sensation qu’il s’agit de pages d’une seule et même personne. Le scénariste a visiblement pensé à la dimension visuelle de son histoire, variant régulièrement les décors grâce aux séquences consacrées à des personnages secondaires, et il parvient même à introduire de la diversité dans l’arpentage des faîtes de mur grâce à des éléments inattendus. Le lecteur commence par admirer la variété des tuiles et des sommets de mur, exigeant parfois un excellent équilibre de la part de Même. Il jette régulièrement des coups d’œil aux différents jardins, pelouses et arbres, et aux demeures. Il apprécie le goût de l’artiste pour la pierre, la brique, les ferrures, les persiennes, les toitures, les portails, les colonnes, et même une serre de jardin. Le récit s’aventure donc dans d’autres endroits, décrits avec autant de soin : un cimetière, l’intérieur de la chambre de Julie Maillard, le petit bateau à moteur de l’Épicier, le palais présidentiel, les appartements du Président, la salle du conseil des ministres, et l’intérieur de la petite guérite servant d’habitation au personnage principal. Il prend le temps de regarder les accessoires : l’antique modèle de téléphone de Même, son trousseau de clés, un chevalet de peinture, les stèles des tombes, le lustre à pendeloques dans la salle du conseil des ministres, la plante verte en pot dans la chambre du Président, le bidet dans la salle de bain de Julie, les marchandises de l’Épicier, etc. Il découvre ou il retrouve la capacité surnaturelle de Tardi à donner des trognes à chacun de ses personnages, à la limite du plausible sans jamais franchir la ligne de la carricature, des visages très expressifs, des silhouettes diversifiées, chacune en disant long sur la personnalité de l’individu. Le lecteur se dit qu’un personnage servile à sa manière comme Arthur Même ne pouvait qu’avoir une constitution longiligne, que Julie se devait d’être solidement charpentée du fait son assurance et de son indépendance, les petits yeux et les grandes oreilles de l’Épicier insensible au regard des autres, etc. Mais voilà, cette diversité des personnages met en lumière l’ouverture vers l’extérieur : ces familles qui vivent dans toutes ces demeures (une dizaine d’évoquées même si elles n’apparaissent pas toutes : Maillard, Gandelut, Pouilleron, Sergy-Merival, Michelot, La mère Linéa, Morlebœuf, Gandelu, Maury-de-Nancelles, Clairbeaux), le Président et ses ministres (Harlan, Badinski, Debarandon, Hayouli-Hayounberg, plus quelques autres non nommés), Gisèle la première dame, Georges le valet particulier, De Barandon, le général Desgriottes, le colonel Demalpine, Harlan ministre des armées. Il faut encore ajouter les avocats (Maître Roubillard, Maître Bougreval, Maître Patelot, la secrétaire mademoiselle Mireille) et l’espion Quatre-Septembre. Alors, même s’il veut bien faire l’effort de ne tirer parti que du charme des situations et de la surprise des rebondissements, le lecteur reste incapable de s’arrêter là. Quand même, il est question de gouvernement, d’élection et de leur résultat à venir, de propriétaires qui profitent, d’une guerre même. Et puis le scénariste lui-même titille le lecteur : Qu’est-ce que c’est que ce nom de Quatre-Septembre pour l’espion ? Cela ne peut que renvoyer à la date du 4 septembre 1870, quand Léon Gambetta proclame la Troisième République, à la suite de la défaite de Sedan et de la chute du Second Empire. Puis cette reprise de la formule Aujourd’hui rien, attribuée à Louis XVI dans son journal pour le 14 juillet 1789. Mais quel rapport avec la situation d’Arthur Même ? Et aussi ce nom de pays Mornemont, quelle similitude avec l’adverbe Mornement. En outre à plusieurs reprises, la narration visuelle glisse vers la fantasmagorie : Arthur Même recouvert par des insectes, une oreille géante qui empêche le cheminement sur le mur, deux coureurs avec dossard portant au-dessus de leur tête le lit d’Arthur avec lui et Julie dedans, le macabre carnaval venant menacer Arthur. Tout cela revêt l’apparence de métaphores visuelles, et même d’allégories parfois. Sans même parler de la mise en scène de la sexualité, avec une touche d’ondinisme, ou encore de la relation à la mère. Heureusement que le scénariste accorde que pourtant il serait malvenu de de critiquer ce type de lecture orientée… Un monsieur dégingandé qui parcourt le faîte des murs d’enceinte pour aller ouvrir des portails : assurément il s’agit d’un conte. La narration visuelle s’avère d’une justesse extraordinaire, entre description factuelle et prosaïque et éléments décalés s’intégrant parfaitement. L’histoire au premier degré se dévore comme un feuilleton, chaque chapitre bâtissant sur le suivant, avec une logique interne et une progression d’une solidité inattendue. Mais quand même, il y a matière à interprétation de ce conte, et même à interprétations multiples, et peut-être même à psychanalyse de ce conte même s’il est dépourvu de fées.
Petit pays
Gael Faye avait fait parler de lui avec la publication de son roman, que je n'ai pas lu, mais son adaptation en BD me faisait de l’œil depuis longtemps. Et j'ai bien fait, puisque je suis tombé sur une BD qui arrive à montrer de l'intérieur ce qu'a été cette guerre au Burundi et le génocide Rwandais. J'avais déjà lu "La Fantaisie des Dieux" (que j'avais peu aimé) mais ici c'est plus intéressant, déjà parce que l'ensemble est vu à hauteur d'enfant qui ne comprend pas tout. Sa famille est tout autant un sujet que le génocide, montrant les difficultés de ce pays juste avant l'éclatement : les tensions ethniques, les problèmes de classes sociales et l'implication des français dans ce coin du monde (entre racisme et relent colonialiste). Lorsque tout commence à monter puis à éclater, l'enfant voit progressivement les massacres se rapprocher, la peur déborder. C'est mené encore une fois doucement, et la BD ne pose aucun regard critique sur l'ensemble. Pas de questionnement politique ou de regard tardif dessus, juste un vécu de l'intérieur et l'inquiétude, l'attente. La Bd est une lecture qui rappelle ce que c'est que vivre une guerre. Pas juste être dans la constatation postérieure, mais bel et bien vivre la peur, les massacres, l'inquiétude, les disparitions. Vite lue, elle immerge en quelques cases et donne parfois un gros coup au cœur lorsque tombent les pages sur le massacre. C'est une BD que je recommande, elle est franchement très bonne.
Le Champ des possibles
Quand je vois les autres BD sorties par l'autrice, je ne suis pas surpris ni du sujet ni de son traitement. Et franchement, je ne m'attendais pas à cette fin-là, ça c'est sur ! Mais en même temps, qu'est-ce que c'est joli... Cette BD n'est sans doute pas faite pour tout le monde, et je comprends l'avis de Ro avec ses réticences. Personnellement je ne les ai pas eues et je me suis immergé dans cette BD comme Marsu s'immerge dans ce monde virtuel. On pourrait s'attendre à une BD sur les mondes virtuels, leurs impacts et leurs dérives, mais l'histoire est bien plus personnelle et intime. Elle s'attarde sur les sentiments d'une jeune femme architecte, dont la vie bascule, partagée entre ses sentiments pour deux hommes différents. C'est lent, posé et pourtant j'ai été transporté ! Il faut dire que plusieurs choses m'ont réellement plu : déjà le personnage de Marsu, nuancée et complexe, absolument pas manichéenne. Je ne le dirais jamais assez, mais une femme bien écrite, c'est appréciable (et ça n'en fait pas "une femme forte" pour autant). Et en l'occurrence, j'étais à fond avec elle, comprenant ses doutes, ses hésitations, ses complexes. La BD peut être vue comme une apologie du polyamour, mais je trouve qu'elle parle surtout du fait d'aimer différemment chaque personne que l'on voit et ce qu'on fait ensuite. L'histoire est claire sur son point de vue et je suis totalement d'accord avec elle : on peut aimer différemment, on peut aimer plusieurs personnes, on peut ... on PEUT ! Il faut aussi que je mentionne le dessin, puisque cette dessinatrice dont j'avais déjà pu découvrir le dessin dans d'autres œuvres, à sortie le grand jeu. Non mais matez-moi ces planches ! Je vais encore être dithyrambique, mais c'est d'une beauté ! Déjà les personnages sont croqués avec une douceur dans le geste, les regards, c'est sublime. Et puis quelle utilisation des couleurs ! C'est le genre de planches qui donnent envie de rentrer dans le paysage et d'aller y habiter. J'insiste, mais l'utilisation des couleurs, la douceur qui se dégage de l'ensemble, les contrastes, l'architecture ... Tout est trop bien, j'adore ! Je ne sais pas si c'est le fait que de plus en plus de femmes s'emparent de ces sujets (je pense à Mélaka qui en parle en ce moment sur son blog) mais je trouve que ce genre de BD apporte un vent de fraicheur sur la question des relations humaines. Loin des considérations hétéronormées de base, la réduction au modèle familiale et l'injonction patriarcale pour que les femmes se reproduisent et fassent de bonnes mères/épouses, ce genre de BD propose de nouvelles façon de vivre, d'envisager la maternité, le couple, la vie ... Et pour une fois, aussi, c'est le bonheur qui prédomine au final. On peut vivre heureux en vivant différemment de cette norme que l'on nous inculque. Quel plaisir ! J'en ressors accompagné d'une vraie sensation positive, que je n'ai qu'une envie, vous partager.
Tom Thomson - Esquisses d'un printemps
Il faut exprimer les émotions que la nature inspire. - Ce tome contient une histoire complète de nature biographique. Sa première édition date de 2019. Il a été réalisé par Sandrine Revel pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il évoque la vie de Tom Thomson (1877-1917), peintre canadien. Il comporte cent-trente-quatre pages de bande dessinée. Il se termine avec une reproduction d’un tableau du peintre, intitulé The West Wind (1917, huile sur toile120*130cm), et une postface de deux pages intitulée Tom Thompson et le Groupe des Sept. Revel est également l’autrice de Glenn Gould, une vie à contretemps (2015), Grand Silence (2021) avec Théa Rojzman, Germaine Cellier - L'audace d'une parfumeuse (2023) avec Béatrice Égémar. Octobre 1956, le narrateur Peter Frahm pagaye sur le lac avec un ami. Les deux voyageurs le traversent à la recherche d’un endroit où faire des croquis. Ils pagayent en rythme alternativement, sans parler. Le paysage fait penser le narrateur à une esquisse de Tom Thomson : des pins, un élan en train de brouter, puis qui relève la tête. Ils arrivent à la rive nord. Ils passent devant le vieux Womat Lodge en partie reconstruit après avoir été détruit par un incendie dans les années 1920. Tout est calme. Il n’y a plus de touristes. L’automne les a fait fuir. Le narrateur demande à Peter s’il reconnaît. Ce dernier répond que rien n’a changé depuis le collège, c’est ce qu’il lui semble. Dans l’onde transparente, ils voient passer une truite. Ils finissent par accoster sur une rive. Le narrateur se rince le visage dans l’eau de la rivière. L’autre estime qu’ils seront bien là, pour dessiner. Ils s’enfoncent un peu dans la forêt. La colline est illuminée. Il fait encore chaud, ils la gravissent impatients. Ils marchent sans s’arrêter sur presque un kilomètre à travers une végétation dense. Puis ils atteignent une construction : ils y sont. Juillet 1917, quelques oiseaux s’envolent au-dessus du fleuve. Doc est réveillé par le bec d’un oiseau tapotant sur le carreau de sa cabane. Il se lève, l’oiseau s’envole et s’éloigne. Fraser s’adresse à lui : il va falloir y aller. Doc lui demande s’il connaît l’histoire de cette truite impossible à attraper au barrage du lac Joe. Il pense à elle. Il pense à ce défi ridicule. Il continue : Tom était un mordu de l’hameçon. Il péchait avec ses propres mouches. Doc, lui, a l’habitude d’utiliser ce qu’il a sous la main mais rien à faire, elle est coriace. La dernière fois qu’il a vu Thomson, la toute dernière, il se souvient, l’artiste lançait sa ligne au barrage avec Shannon Fraser. Il lui semble que c’était lui. Il s’est même dit, cette fois-ci il va l’avoir et il va en entendre parler. Le soleil brillait comme aujourd’hui. Les hommes portent le cercueil de Tom Thomson pour le mettre en terre. Maggie, une jeune fille, semble particulièrement attristée, elle croit voir une main de femme tenant un pinceau sortir doucement de la rivière et disparaître. Une femme dans une sobre robe noire jette une poignée de terre sur le cercueil et pleure de chaudes larmes. Elle s’appelle Winnifred Trainor. Tom et elle se seraient fiancés, sa famille possède un chalet au lac Canoe. Le fossoyeur commence à pelleter la terre sur le cercueil. Qui ça ? Il s’agit d’un récit biographique relatif à Tom Thomson (1877-1917), un peintre canadien dont la carrière a duré cinq ans. Entre autres, il a réalisé des peintures de la nature sauvage de l’Ontario. Au cours du récit, un mentor lui intime d’arrêter d’imiter la nature. Il faut exprimer les émotions qu’elle leur inspire. Ils doivent regarder en eux-mêmes. Le récit débute en 1956, c’est-à-dire trente-neuf ans après le décès de l’artiste, alors que deux hommes naviguent en canoë sur le fleuve qui va les mener vers le lieu où ils pensent que se trouve la vraie sépulture du peintre. Ce fil narratif se déroule de manière chronologique ces deux personnes, plus tard accompagnées par deux autres (soient Peter Frahm, Rick Tapes, Ben Green et le narrateur) pour rechercher la tombe de Tom Thomson, et donc son cadavre afin d’éclaircir les circonstances de son décès. Cette ligne temporelle compte dix scénettes. Dans le même temps, un deuxième fil narratif évoque des moments de la vie du peintre. Celui-ci commence en 1917, avec la découverte de son cadavre, et va se dérouler à peu près à rebours. Il comprend seize scénettes se déroulant successivement en 1917 (sept occurrences), 1916, printemps et été 1915, puis automne 1915, 1912, 17 juillet 1917 (c’est-à-dire un retour à l’année de la mort de Thomson), 1906, non précisé (peut-être début du siècle et en 1956), 1904, 1887. Chaque date figurant en ouverture de scène, le lecteur n’éprouve aucune difficulté à se repérer, et il voit comment la construction à rebours vient éclairer certaines décisions, certaines situations. L’autrice a donc choisi une construction narrative très particulière pour évoquer la vie et l’œuvre de cet artiste majeur du début du vingtième siècle, pour le développement de l’art au Canada. La découverte à rebours de sa vie permet de ressentir d’abord les conséquences de moments où se sont cristallisés des principes ou des valeurs qui ont constitué la personnalité de Thomson, et par voie de conséquence de mieux mesurer leur importance en les découvrant ultérieurement. Ainsi ils recèlent plus de sens. Le lecteur se retrouve mieux à même de comprendre l’enjeu de sa relation avec Winnifred Trainor, puis avant sa présence au musée des Beaux-Arts de Toronto, la beauté de ses esquisses, la tentation de l’abstraction et la frustration des pieds plats, la communion avec la nature, la relation avec l’Ontario Society of Artists, l’emprise du parc Algonquin, la lettre d’Alice Lambert, l’influence du métier de son père sur sa vocation. En presque alternance, il suit la progression du narrateur et de ses amis dans leurs recherches, le parallèle de leur expérience de leur séjour dans le parc se faisant avec l’exercice du métier de garde forestier dans le parc Algonquin. L’autrice se confronte donc à l’exercice d’évoquer la vie d’un grand peintre, de lui rendre hommage, à la fois de façon biographique, à la fois en évoquant son œuvre. En fin de tome, le lecteur dispose d’un aperçu de sa toile la plus célèbre The west wind, dans un format très réduit par rapport à l’original. S’il n’est pas familier de l’œuvre du peintre, il éprouve des difficultés à établir un lien visuel entre sa manière de s’exprimer au travers de sa peinture, la façon dont elle rend compte de sa sensibilité, dont sa personnalité s’exprime à travers ses toiles, et les choix graphiques de Sandrine Revel. S’il en est familier, il peut en relever les similitudes, et relever comment elle s’inspire du regard de Tom Thomson pour réaliser ses propres pages. Le lecteur observe rapidement quelques caractéristiques majeures : l’utilisation de cases rectangulaires sagement disposées en bande, l’absence de bordure tracée pour les cases, une palette de couleurs relativement restreinte pour chaque séquence, différente de l’une à l’autre avec quelques éléments de couleurs particuliers pour un pull, une chemise, une nappe, un bonnet, une fleur rouge, un renard, une truite, un oiseau. De ce point de vue, elle n’essaye de singer les caractéristiques des toiles du peintre. D’un autre point de vue, elle met en œuvre le conseil de l’ami de Thomson : arrêter d’imiter la nature, exprimer les émotions qu’elle inspire à l’artiste. Au vu de la place qui est donnée à la nature dans ces pages, il se dit qu’elle s’inspire également du conseil du père de Thomson : La nature est une bonne vieille nourrice, on aime à se reposer sur son flanc. Le père continue en lui suggérant de prêter un tant soit peu l’oreille, alors la nature lui racontera des histoires merveilleuses et elle lui jouera sa musique enchanteresse. De fait, le lecteur apprécie de pouvoir voir les deux amis descendre la rivière, comme s’il les observait depuis un autre canoë et de prendre le temps de regarder les rives, représentées avec de petits traits secs. Puis il admire la présence massive et silencieuse de l’élan, la transparence de l’eau et la truite comme suspendue au-dessus du lit du fleuve, le vol de quelques oiseaux au-dessus de l’eau, le premier plan des arbres devant l’étendue d’eau, la silhouette des arbres penchées résultant de l’anémomorphose, le fin tronc des bouleaux rendus fragiles par contraste avec les flocons de neige, les longues plaines herbeuses, la zone de rapides d’un cours d’eau, etc. Dans ces pages, la nature renouvelle à chaque fois le spectacle, jamais deux fois identiques, une illustration de la maxime d’Héraclite (-544 à -480), on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Ainsi le lecteur se sent immergé aux côtés de Tom Thomson en lisière du parc Algonquin, ressentant l’incidence de la présence de la nature sur son inspiration, sur son mode de vie, sur la nature même de ses pensées. Il prend conscience que les recherches menées en 1956 reproduise la même immersion, validant en quelque sorte la démarche du peintre, à l’instar de la postérité qui a elle aussi légitimé et même validé sa vision artistique, son interprétation d’artiste de ce qu’il contemple. La scénariste décide également de mener à bien son entreprise, de proposer sa version des causes du décès de Tom Thomson. De prime abord, le lecteur se dit qu’il aurait pu se passer de cette dernière séquence, qu’il n’attache pas beaucoup de valeur à une hypothèse que rien ne pourra jamais valider. D’un autre côté, c’est la volonté de l’autrice, c’est son intention. Et en même temps elle n’affiche pas la prétention de détenir la vérité puisque le personnage qui énonce cette explication indique que c’est que qu’elle sait, et que son interlocuteur est libre d’en douter. Elle souhaite donc donner un sens à cette mort, et apporter une sensation de fin, de clôture, de donner un point de vue sur ce que l’artiste n’a pas pu surmonter ou éviter. Pas facile de rendre compte de la vie d’un être humain et de l’œuvre d’un artiste. Sandrine Revel a construit un récit avec deux fils temporels qui s’entremêlent, le second venant comme une réponse au premier. La narration à rebours de la vie de Tom Thomson en fait comme un destin inéluctable, et en même temps l’esprit du lecteur rétablit l’ordre chronologique par automatisme, faisant apparaître la fragilité de ce destin, son caractère ténu et pas du tout évident. La narration visuelle s’inspire de la vision du peintre en exprimant les émotions générées par sa vie, ainsi qu’en prolongeant les propres émotions exprimées par les toiles du maître, à l’aune de la sensibilité de l’autrice.
Holly Ann
J'ai vraiment apprécié. On reprend des thèmes certes classiques, mais avec une façon de les mélanger par petites touches, sans en faire jamais trop, en utilisant la Nouvelle-Orléans comme toile de fond mais pas pour dominer l'histoire, ce qui change agréablement.
Musée
3.5 Les albums de commande sur les musées se succèdent et hormis des exceptions cela a jusqu'à présent surtout donné des albums à l'intérêt limité. J'avais un peu peur au début que ça soit le cas avec cet album parce que c'est muet pendant un bon paquet de pages, où on voit des gens se promener dans le musée et admirer les œuvres d'arts. Le dessin de Chabouté est bon et il reproduit bien les statues, mais c'est quand même léger comme scénario et j'ai cru que cela allait être comme ça tout le long de l'album. Heureusement, le dialogue arrive enfin et on voit enfin où l'auteur voulait en venir. Faire bouger les œuvres d'art la nuit n'est pas une idée nouvelle, mais Chabouté l'utilise très bien. Petit à petit, le récit a fini par me conquérir. Les dialogues sont bien écrits avec des moments poétiques et les œuvres d'art ont chacune leur personnalité propre. À lire pour les amateurs d'arts.