Une série courte mais touchante.
L'histoire est celle de Momo, hébergée chez sa grand-mère en attendant que son père revienne d'un voyage en mer. C'est de la tranche de vie dans un village en bord de mer, avec les amours de jeunesses, les jeux enfantins, les rencontres, les situations familiales compliquées, les drames aussi, le tout du point de vue d'une petite fille de 5 ans. Simple mais humain.
Sans vous en dire trop, il y a un développement important à la fin du premier album et je trouve que le traitement des conséquences au second tome assez bien fichu. Touchant, vraiment, c'est le mot.
Même les personnages secondaires sont bons : la grand-mère tentant tant bien que mal de s'occuper seule de sa petite fille, le poissonnier qui s'amuse de manière un peu mesquine avec Momo mais l'apprécie sincèrement, la jeune citadine en vacances qui s'attache à Momo, le jeune loubard sympathique, l'ermite en bord de forêt, le petit garçon jouant avec Momo, ... ce petit village est vivant et attachant. Il se dégage un vrai sentiment de nostalgie à la lecture.
Le dessin est joli, le rythme est bon, la lecture agréable, ...
Bonne lecture jeunesse, recommandée à tout âge.
(Note réelle 3,5)
Même si le nom d'Eadwaerd Muybridge ne vous dit rien, vous avez sans doute déjà vu ses œuvres, ces fameuses séries de photos décomposant le galop d'un cheval, la marche d'un homme ou d'autres mouvements d'êtres vivants. Je les avais vues sans réaliser qu'elles avaient eu une telle place dans l'histoire de la photographie et du cinéma, ni qu'elles dataient d'il y a aussi longtemps.
Si cet ouvrage est une biographie, c'est aussi une vraie tranche d'histoire, aussi bien celle du monde occidental dans la seconde moitié du 19e siècle que celle de ses avancées technologiques. Nous y suivons Eadwaerd Muybridge parti s'installer aux USA en quête de la fortune, sans bagage scientifique particulier. Après plusieurs années à tenter de vivre de la vente de livres, sur la côte Est puis en Californie, les évènements vont l'amener à croiser la route de la photographie naissante qui est alors en plein essor. S'engageant dans ce métier, il se lasse vite des simples portraits figés que la technologie balbutiante permet et va devenir célèbre en parcourant la nature américaine avec son matériel pour ramener aux citadins des vues du monde qui les entoure. Faisant la rencontre du richissime Leland Stanford, ils vont s'associer pour relever un défi que la technologie photographique de l'époque ne permettait pas encore : prendre en photo sur le vif le galop d'un cheval pour prouver que ses sabots quittent tous le sol à un moment donné, ce que l'oeil humain ne permet pas de voir.
A la fois enthousiasmé par la découverte de la naissance de la photo puis du cinéma et des détails techniques et autres anecdotes qui leur ont permis de progresser, mais aussi par l'histoire de l'Amérique pionnière de cette époque et de son rapport avec une Europe alors à son apogée culturelle et scientifique, j'ai été captivé par cette BD. Elle évite tous les pièges des biographies académiques et ennuyeuses. Il faut dire que la vie de Muybridge est assez incroyable, variée et aventureuse. Même si l'homme n'est pas des plus charismatiques (il a quand même assassiné l'amant de sa femme, négligeant par ailleurs égoïstement un mariage dont il semblait bien se foutre), il a vécu tant de choses et été un tel rouage dans l'évolution de la technologie d'alors que c'en est passionnant. L'auteur fait en outre le choix d'élargir grandement le cadre de son récit en y intégrant des éléments extérieurs qui finalement auront leur impact sur la vie du personnage et sur son ouvrage. J'avais lu il y a peu de temps la biographie d'Alice Guy qui racontait les débuts du cinéma. Eh bien avec Pour une fraction de seconde, j'ai eu le sentiment d'avoir découvert la période précédente, celle qui a mené jusqu'à Alice Guy, qui est d'ailleurs mentionnée en fin d'album ainsi que tous les autres grands noms de scientifiques et d'artistes liés de près ou de loin à l'essor de la photographie et du cinéma. J'ai appris énormément de choses tout en ayant été transporté dans un récit prenant, clair et bien rythmé.
Très chouette biographie sur un homme et sur une technologie en général.
L'avis de Ro avait attiré mon attention sur ce manga que je ne connaissais pas et je suis bien content d'avoir découvert cette série.
Cela semble commencer comme une comédie romantique un peu banale mettant en vedette un triangle amoureux comme il y en a des centaines au Japon, mais très vite le lecteur s'aperçoit que le scénario est plus profond que ça. L'auteur va traiter de différents thèmes tout le long de la série qui touche les adolescents japonais qui vivent dans une société rigide qui prône le conformiste, la réussite scolaire et qui est conservateur sur le rôle des hommes et des femmes dans la société. Les personnages sont complexes et terriblement attachant. Le dessin est très bon.
Cela dit, il y a quelques longueurs je trouve, notamment dans les derniers tomes. Il y a quand même un moment où pendant plusieurs chapitres les personnages font des longs discours sur plusieurs sujets (notamment la difficulté des gars et des filles à être juste amis). J'avais rien contre les moments où les persos faisaient des monologues lorsque c'était à petite dose, mais là je commençais à trouver le temps un peu long. La fin est un peu expédiée aussi, mais bon cela reste un shonen qui sort du lot et traite de sujets qu'on voit rarement dans un shonen paru sur un support mainstream de manière mature.
Avec Sibylline, Sixtine Dano propose un récit à la fois intime et sincère, explorant le quotidien d’une jeune femme qui exerce l’activité d’escort pour financer ses études. Loin de tout voyeurisme, la BD nous plonge dans la complexité des émotions et des réflexions. Le scénario se lit comme une confidence : on y découvre les aspirations, les doutes et les moments de grâce d’une héroïne en quête de sens et d’équilibre.
Le style graphique en noir, blanc et nuances de gris confère une atmosphère sobre et délicate, qui met en valeur les expressions et les sentiments des personnages. Les planches jouent habilement avec l’ellipse et les silences, offrant un rythme contemplatif, presque poétique.
Si le sujet peut sembler délicat, l’autrice aborde la question de la sexualité et de l’intimité avec justesse, sans jugement. L’ensemble donne une BD touchante et intelligente, où la dimension humaine prime avant tout. Pour les lecteurs en quête d’une œuvre mature et sensible, Sibylline – Chroniques d’une escort girl constitue une belle découverte.
Un road trip assez prenant entre deux femmes, toutes deux fuyant quelque chose, chacune cherchant un peu à retrouver son chemin avec l'autre. Comme souvent dans ce genre de récits, le sujet central est l'âme humaine, les propos de fond sont durs et viscéraux, on se permet de beaux moments de silence et de contemplation, et surtout on laisse une grande part à l'imagination. Ici encore davantage, d'ailleurs, car le récit prend rapidement un tournant très imagé, métaphorique et poétique, avec cet étrange chat qu'il faut ramener à une ville qui n'existe pas et ces routes semblant symboliser la liberté et les chemins de vie de manière un peu plus concrète que prévu.
La forme est fluide et agréable, les trois cents pages se lisent très vite, le texte est plutôt bien trouvé et le dessin est simple mais beau. J'aime beaucoup les jeux d'ombrages et d'éclairages dans cette mise en scène, il y a des beaux jeux de contrastes par moments.
Les road trips ne sont pas nécessairement mon genre narratif préféré et les grands espaces américains me laissent sincèrement de marbre, mais le propos de l'œuvre a su m'atteindre.
L'histoire est dure, belle et réflexive, j'ai passé une très bonne lecture, quand bien même je suis sûre qu'une partie non négligeable de la métaphore finale m'a échappée (frustration, quand tu me tiens...).
Je recommande chaudement la lecture, mais je me sens obligée de mettre en garde car je pense que ce récit ne plaira certainement pas à tout le monde.
Au travers de cette histoire, Lax rend hommage aux passeurs de connaissances. Dans les montagnes françaises au XIXème siècle, puis dans celles de l’Afghanistan au siècle suivant, nous suivons deux hommes qui luttent contre l’obscurantisme (singulièrement essentiellement religieux à chaque fois) et cherchent à émanciper les populations en apportant l’école, les livres ou les lettres, dans des régions reculées.
Le propos est noble, et Lax nous brosse le portrait d’obscurs héros, avec pour faire le lien entre ces deux personnages une femme, descendante du premier, et amie du second. Et quelque autres sujets abordés (comme le rôle de la NRA aux États-Unis).
Comme d’habitude, le dessin de Lax est beau et très agréable. Il accompagne très bien ce récit que j’ai bien aimé. Un récit qui se déroule sur un rythme assez lent. Mais on ne s’ennuie jamais.
Une lecture très recommandable ! Et qui résonne aujourd’hui plus fort, à l’heure où les Talibans rendent impossible toute émancipation par l’enseignement libre en Afghanistan. Ou alors que Donald Trump supprime des milliers de postes dans le ministère de l’éducation américain (tout en renforçant la censure de milliers d’ouvrages). Le message véhiculé par l’album de Lax est hélas encore nécessaire à défendre.
L'album nous raconte la jeunesse de son autrice, Cece Bell, qui a perdu l'audition suite à une méningite. L'histoire est celle de son rapport au monde, de ses liens avec ses proches, de son besoin affectif et de la réapropriation de l'image qu'elle renvoie aux autres.
Le récit est très personnel (normal vous me direz, il s'agit d'une autobiographie), les situations et émotions complexes que vit (subit même) Cece sont rendues de façon très facilement compréhensible et touchent. L'ostracisation presque inconsciente des gens à son égard, les questions et commentaires déplacés, les efforts et contraintes qu'elle s'impose dans le simple but de se faire accepter/de rentrer dans le moule, la peur d'être perçu-e comme différent-e et d'être rejeté-e, la grande difficulté pour trouver des ami-e-s sincères qui lui veulent du bien, la discrimination positive, ... tous ça sont des problèmes quasiment universels pour toutes les personnes étant touchées par un handicap dans nos sociétés (et facilement compréhensible par toute personne douée d'empathie basique).
L'album m'a touché. D'une part parce que, même sans être sourde, j'ai personnellement vécu des situations similaires à la jeune Cece, mon enfance et mon adolescence ayant été une successions de tentatives de relations amicales catastrophiques et d'ostracisation au mieux maladroite par mes camarades de classe (que voulez-vous, les gens n'ont qu'à naître comme tout le monde) ; d'autre part car ma sœur a été hospitalisée il y a tout juste trois mois pour une méningite et qu'elle a failli y passer, donc apprendre un peu plus sur les séquelles dramatiques que peut produire cette maladie m'intéresse et me terrifie sincèrement.
J'ai beaucoup aimé que l'album déconstruise certains mythes autour de la surdité, comme le fait que la lecture sur les lèvres n'est en réalité pas un superpouvoir mais une capacité très faillible dépendant énormément de l'articulation de la personne et surtout de la bonne visibilité des lèvres (sans oublier le fait que beaucoup de sons se ressemblent), ou encore rappelle que les appareils auditifs coûtent cher (surtout aux États-Unis) et que les personnes non-concernées devraient particulièrement en prendre soin (si l'appareil casse, c'est l'autonomie de la personne qui se retrouve impactée).
Le dessin est simple, peut-être simpliste pour certain-e-s, mais je trouve que ce style relativement enfantin marche pour illustrer cette histoire sur l'enfance.
Une lecture conseillée, surtout pour quiconque aimerait en apprendre davantage sur l'expérience au quotidien de jeunes personnes touchées par la surdité.
(Note réelle 3,5)
Europe ne comprend pas grand-chose à tout cela.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2000. Il a été réalisé par David B. (Pierre-François Beauchard) et Joann Sfar qui ont réalisé le scénario à quatre mains, ainsi que les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Brigitte Findakly & Delphine Chedru. Il compte quarante-six planches de bande dessinée.
Chapitre un : le dompteur effacé. Un cirque installé sur une grande place de la ville d’Urani, capitale d’un pays des confins de l’Europe pris entre les empires allemand et russe. Le professeur Odin, en habit de dompteur, dit au revoir aux tigres dans la cage. Il leur explique que c’est fini, que les tueurs de l’Ermite ont retrouvé sa trace, il doit les quitter. Il partirait bien en leur laissant la porte ouverte, mais ça ne se fait pas. Odin retourne dans sa roulotte où se trouvent d’étranges appareils technologiques. Dans son for intérieur, il se dit qu’il n’a pas le temps de cacher tout ça. Ce n’est pas grave : personne n’arrivera jamais à faire fonctionner ses inventions, il dépasse les meilleurs savants de plusieurs cerveaux. Il a dû sacrifier un œil pour acquérir la connaissance. Il décide que le temps est venu pour lui de disparaître, littéralement. Grâce à un objet mécanique, il commence par effacer son ombre. Puis il efface son reflet dans le miroir, ce qui lui fait quand même une sale impression. Enfin, il se rend invisible et il s’en va. Dans la cage, un des tigres se redresse sur ses antérieurs, et il décide d’aller voir ce qui passe, tout en collant une mandale à un autre tigre qui est sur son passage. En humant l’air, il se rend compte que la roulotte est vide. Il voit arriver un groupe de gens louches, il se cache, et il s’en va discrètement après les avoir laissé passer. Il a reconnu les tueurs au service de l’Ermite.
Chapitre deux : Le Diable Ermite. Dans sa planque, l’Ermite converse avec son second Igor, attablé et s’apprêtant un manger un poulet. L’Ermite a compris : il ne sort plus, plus de boîtes, plus de cercle de jeu, plus de grosses voitures, ni de prostituées à chaque bras. Il occupe son temps à réfléchir. Il réfléchit sur le mal. C’est fascinant le mal. Il explore le mal. Un peu plus chaque jour et il n’en revient pas. Depuis qu’il s’est retiré du monde, les affaires tournent toutes seules. Personne ne le voit plus mais on sait qu’il est là. Il fait encore plus peur. On l’a surnommé le Diable Ermite. Un homme de main remarque qu’Europe, une grande femme à la peau jaune, est entrée dans le bar. Il la menace avec son pistolet. Elle indique à l’Ermite qu’il n’était pas bien caché, tout en avançant. Elle flanque un grand coup dans le menton du porte-flingue, lui brisant la nuque. Puis elle déchire la gorge d’Igor d’un grand coup d’ongle, et elle avance sur l’Ermite. Celui est resté calmement attablé. Il s’adresse à Europe en lui disant que si elle le voulait mort, il le serait déjà. Il se rend, elle peut appeler la police. Il plaisante : veut-elle de la monnaie pour le téléphone ? Ermite répond qu’ils sont déjà en route. Le commissaire apprend à Europe que la police a coffré une des équipes de l’Ermite au cirque de l’Est, et qu’ils ont raconté une histoire bizarre : Odin le savant se cachait au cirque dans la peau d’un dompteur.
Une couverture composite mettant en avant les deux personnages principaux, le professeur Odin et Europe, l’un avec un pistolet à la main, l’autre peut-être dépourvue de vêtement, un groupe de gugusses patibulaires, et des bâtiments d’inspiration Europe de l’est. Le lecteur peut penser à un une série richement peuplée, intitulée La ville des mauvais rêves, dont le premier tome serait Urani. Le récit est découpé en quatorze chapitres plus un interlude, de longueur variable entre deux et quatre pages. Le lecteur peut noter des différences graphiques entre des chapitres : les contours un peu plus arrondis à la fois des formes et des aplats de noir pour David B., le trait plus rugueux et nerveux de Joann Sfar donnant l’impression d’aplats de noir déchiquetés. S’il y éprouve de l’intérêt, il peut ainsi attribuer tel chapitre à tel créateur et tel autre au second. Il se dit que chaque auteur a réalisé l’ensemble de ses chapitres : dessins et scénario. Il remarque également une différence de traitement dans la mise en couleurs : Brigitte Findakly utilise plus volontiers des teintes vives avec de très forts contrastes, Delphine Chedru développe une palette de couleurs plus proches entre elles. Dans un premier temps, il apparaît que chaque auteur met en scène un personnage principalement : le professeur Odin pour David B., et Europe pour Joann Sfar, les personnages secondaires comme Le Tigre et l’Ermite pouvant passer d’un fil narratif à l’autre.
Tout commence avec un professeur inventeur de génie qui fuit un cirque dans une ville de l’Europe de l’Est, sans date précise. L’interlude présente la ville d’Urani : Capitale d’un pays des confins de l’Europe, pris entre les empires allemand et russe, impliqué dans toutes les guerres du passé. La présentation continue : Depuis que le pays a adhéré à la Communauté européenne et à l’Otan, Urani a pris une importance stratégique, la population de la ville est à dominante balte, mais il y a également beaucoup de Slaves et de Scandinaves, son port sur la baltique connaît un regain d’activités. Les auteurs évoquent ses bas-fonds, la présence d’organisations criminelles du monde entier, de nombreux services de renseignements, les souterrains qui se déroulent à infini comme les entrailles d’un organisme, et le fait que c’est la seule capitale au monde à avoir un cimetière comme centre-ville : il paraît que cela a une influence sur la mentalité de ses habitants, les mauvais rêves y seraient plus fréquents qu’ailleurs. Le lecteur se dit que les scénaristes ont conçu un cadre permettant de développer toute une série, la ville assurant le rôle de personnage récurrent. Pour autant, il s’agit d’un album contenant une histoire complète pour elle-même, sans suite. Au vu des éléments de genre de ce récit et de l’ambiance entre thriller policier et onirisme mythologique, le lecteur peut le rapprocher d’un hommage ultérieur de David B. : Nick Carter et André Breton - Une enquête surréaliste (2019).
Cette bande dessinée raconte une histoire au premier degré : un inventeur de génie qui a conçu et construit un robot humanoïde, destiné à devenir le premier d’une armée de supersoldats, et qui a décidé de disparaître lorsqu’il a compris l’usage qui en serait fait. Plusieurs groupes d’intérêts différents sont à sa poursuite pour le convaincre ou le contraindre à travailler pour eux. En parallèle, Europe, son invention, sa créature, est à sa recherche de manière indirecte. S’il s’attache à cette intrigue, le lecteur risque de rester sur sa faim car sa résolution semble être mise de côté : il se demande si les deux scénaristes ont travaillé en construisant une idée de départ, un principe pour la dynamique du récit, puis ont écrit sous une forme itérative, chacun écrivant son chapitre après avoir lu le précédent, sans plan d’ensemble préalable, en recourant pour partie à une forme d’écriture automatique déclenchée par la partie précédente et canalisée dans une forme narrative d’aventure. Il s’en trouve d’autant plus impressionné que la sensibilité narrative des deux auteurs s’avère très proche, en phase, que ce soit pour le mélange de polar et d’onirisme, ou pour la narration visuelle. À l’évidence, ils se sont coordonnés sur l’apparence des personnages qui passent d’un fil narratif à l’autre, pour les deux personnages principaux, pour l’Ermite, un peu moins pour le Gitan. La ville d’Urani dégage la même sensibilité sous le crayon de l’un comme l’autre, une belle cohérence sophistiquée, conservant des caractéristiques propres à l’un et à l’autre.
Le lecteur se laisse emporter par la dynamique de la fuite en avant pour Odin, et de l’enquête pour Europe. Il apprécie cet équilibre très complexe des dessins, entre naïveté et représentations crues. Cela permet de laisser planer le doute sur la nature réelle du Tigre : vraisemblablement pas un être humain au vu de son anatomie, mais un tigre anthropomorphe, ce qui est cohérent avec la présence d’autres individus aux caractéristiques chimériques. D’ailleurs, il y a en douze autres de représentés sur la deuxième de couverture et la page en vis-à-vis. Urani semble associer des spécificités de ville de la partie Est de l’Europe centrale et des éléments romanesques tels que des repères secrets souterrains. Le récit s’apparente ainsi à un conte : une réalité fantasmagorique, peuplée d’individus chimériques, entre métaphores et allégories. Les auteurs font également des références mythologiques : le nom du professeur Odin et celui-ci explique d’ailleurs qu’il a sacrifié un œil pour acquérir la connaissance, ou encore le thème du créateur et de sa créature comme le monstre de Frankenstein. Ils jouent aussi bien avec une spécificité du pénis du tigre, qu’avec la licence artistique des contes (cette école pour filles dans les bois). Cela donne un récit très riche, déconcertant par ses rapprochements inattendus et ses éléments parfois superflus à l’intrigue, une saveur classique de conte, des situations adultes, le tout propice aussi bien à des instants poétiques, qu’à des prises de conscience métaphysiques.
Une bande dessinée particulière, associant le talent de deux créateurs singuliers : le tout s’avère être au moins égal à la somme des parties. Le lecteur plonge dans un récit entre policier et fantastique, teinté d’onirisme, la narration visuelle portant chacune de ces composantes de manière harmonieuse. Une aventure associant une trame à l’apparence cartésienne à des événements pouvant s’avérer arbitraires, surnaturels ou parfaitement logiques. Une aventure singulière.
Après avoir été littéralement envouté par le magnifique Bluebells wood, j'ai décidé de rattraper mon retard sur l'œuvre de Guillaume Sorel en m'attelant à la lecture de ce one shot.
Ma lecture m'a confirmé tout d'abord que je suis véritablement fan du trait de cet auteur. On sent que Sorel prend plaisir à dessiner les personnages, notamment féminins, et jouent des très belles courbes de l'héroïne et de la transparence de sa courte chemise. La mise en en couleurs monochrome tirant sur le brun est également très originale et colle parfaitement avec la thématique de l’œuvre.
Du point de vue du scénario, si je suis resté légèrement sur ma faim, on ne peut que saluer l'originalité et la poésie de cette histoire de fantôme bloqué dans l"hôtel qui a vu se réaliser son funeste destin. Agrémentée d'extraits de poèmes ou de romans de Rimbaud, Baudelaire ou Caroll, Sorel nous livre différentes scènes à mesure que l'héroïne passe d'un étage à l'autre et s'invite dans la vie des occupants de l'hôtel, passant de scènes tantôt coquasses (la femme et son mari voyeur) tantôt plus macabres (la voisine dévorée par les chats du quartier) voire teintées de fantastique (la jeune fille disparue prise au piège dans une pièce sans issue ou le voisin festoyant avec les personnages imaginaires des romans qu'il possède).
L'ensemble reste malgré tout cohérent, avec en fil conducteur, l'histoire du jeune peintre sans le sou dont notre héroïne s'éprend à mesure qu'elle l'observe. Cette histoire matinée de fantastique, dans la lignée de certaines nouvelles telles que le Horla (que Sorel a d'ailleurs adaptée en bande dessinée) rend ainsi un bel hommage à certains textes de poètes que l'auteur affectionne.
Une œuvre originale à lire voire à posséder si on est fan comme moi du dessin de Guillaume Sorel.
SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 7/10
GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10
NOTE GLOBALE : 16/20
Il y a un peu plus de 10 ans Max De Radiguès publiait Orignal un album racontant le quotidien d'un adolescent persécuté par des camarades de classe. Un petit album au format souple qui ne payait pas de mine, mais dont l'histoire m'avait marqué. L'auteur avait excellé dans sa façon de raconter une histoire banale, une histoire de tous les jours, et de la rendre touchante. Dix Secondes présente quelques points communs, et ne le cachons pas, c'est plutôt agréable.
Il est ici question de Marco, un adolescent qui ne fout absolument rien au lycée, ses seules préoccupations sont comment faire le mur pour sortir en douce, zoner avec ses potes et surtout trouver des trucs à fumer ou à boire pour tuer le temps. C'est ça le sujet de cette histoire : le quoditien d'un adolescent à priori sans problème, qui ne vit pas dans un quartier difficile, mais qui trompe son ennui en se défonçant la gueule. Et qui met le doigt dans un engrenage où il lui faut de moins en moins suivre ce que lui dicte les adultes, et de plus en plus de paradis artificiels pour sortir de son quotidien.
Et Max De Radigues est très fort pour raconter cela. Il ne se passe finalement pas trop de chose dans cette histoire, mais pourtant on ne s'ennuie jamais. La façon dont elle est racontée, et la façon dont elle est dessinée la rende interessante et plaisante à lire. Parfois c'est amusant, que ce soit par des dialogues ou des situations. Parfois c'est attendrissant. Souvent cela arrache un petit sourire, surtout si on a grandi dans les années 90, de nombreux clins d'oeil à cette époque sont distillés tout au long de l'album.
Tout ça fait que ce récit se lit d'une traite, juste avec la curiosité de voir où tout cela va mener Marco. La fin était prévisible mais ce n'est nullement gênant. Un album très agréable à lire, il lui manque peut être juste un coté un plus émouvant pour en faire un livre aussi marquant qu'Orignal l'avait été en son temps.
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Momo
Une série courte mais touchante. L'histoire est celle de Momo, hébergée chez sa grand-mère en attendant que son père revienne d'un voyage en mer. C'est de la tranche de vie dans un village en bord de mer, avec les amours de jeunesses, les jeux enfantins, les rencontres, les situations familiales compliquées, les drames aussi, le tout du point de vue d'une petite fille de 5 ans. Simple mais humain. Sans vous en dire trop, il y a un développement important à la fin du premier album et je trouve que le traitement des conséquences au second tome assez bien fichu. Touchant, vraiment, c'est le mot. Même les personnages secondaires sont bons : la grand-mère tentant tant bien que mal de s'occuper seule de sa petite fille, le poissonnier qui s'amuse de manière un peu mesquine avec Momo mais l'apprécie sincèrement, la jeune citadine en vacances qui s'attache à Momo, le jeune loubard sympathique, l'ermite en bord de forêt, le petit garçon jouant avec Momo, ... ce petit village est vivant et attachant. Il se dégage un vrai sentiment de nostalgie à la lecture. Le dessin est joli, le rythme est bon, la lecture agréable, ... Bonne lecture jeunesse, recommandée à tout âge. (Note réelle 3,5)
Pour une fraction de seconde - La vie mouvementée d'Eadweard Muybridge
Même si le nom d'Eadwaerd Muybridge ne vous dit rien, vous avez sans doute déjà vu ses œuvres, ces fameuses séries de photos décomposant le galop d'un cheval, la marche d'un homme ou d'autres mouvements d'êtres vivants. Je les avais vues sans réaliser qu'elles avaient eu une telle place dans l'histoire de la photographie et du cinéma, ni qu'elles dataient d'il y a aussi longtemps. Si cet ouvrage est une biographie, c'est aussi une vraie tranche d'histoire, aussi bien celle du monde occidental dans la seconde moitié du 19e siècle que celle de ses avancées technologiques. Nous y suivons Eadwaerd Muybridge parti s'installer aux USA en quête de la fortune, sans bagage scientifique particulier. Après plusieurs années à tenter de vivre de la vente de livres, sur la côte Est puis en Californie, les évènements vont l'amener à croiser la route de la photographie naissante qui est alors en plein essor. S'engageant dans ce métier, il se lasse vite des simples portraits figés que la technologie balbutiante permet et va devenir célèbre en parcourant la nature américaine avec son matériel pour ramener aux citadins des vues du monde qui les entoure. Faisant la rencontre du richissime Leland Stanford, ils vont s'associer pour relever un défi que la technologie photographique de l'époque ne permettait pas encore : prendre en photo sur le vif le galop d'un cheval pour prouver que ses sabots quittent tous le sol à un moment donné, ce que l'oeil humain ne permet pas de voir. A la fois enthousiasmé par la découverte de la naissance de la photo puis du cinéma et des détails techniques et autres anecdotes qui leur ont permis de progresser, mais aussi par l'histoire de l'Amérique pionnière de cette époque et de son rapport avec une Europe alors à son apogée culturelle et scientifique, j'ai été captivé par cette BD. Elle évite tous les pièges des biographies académiques et ennuyeuses. Il faut dire que la vie de Muybridge est assez incroyable, variée et aventureuse. Même si l'homme n'est pas des plus charismatiques (il a quand même assassiné l'amant de sa femme, négligeant par ailleurs égoïstement un mariage dont il semblait bien se foutre), il a vécu tant de choses et été un tel rouage dans l'évolution de la technologie d'alors que c'en est passionnant. L'auteur fait en outre le choix d'élargir grandement le cadre de son récit en y intégrant des éléments extérieurs qui finalement auront leur impact sur la vie du personnage et sur son ouvrage. J'avais lu il y a peu de temps la biographie d'Alice Guy qui racontait les débuts du cinéma. Eh bien avec Pour une fraction de seconde, j'ai eu le sentiment d'avoir découvert la période précédente, celle qui a mené jusqu'à Alice Guy, qui est d'ailleurs mentionnée en fin d'album ainsi que tous les autres grands noms de scientifiques et d'artistes liés de près ou de loin à l'essor de la photographie et du cinéma. J'ai appris énormément de choses tout en ayant été transporté dans un récit prenant, clair et bien rythmé. Très chouette biographie sur un homme et sur une technologie en général.
Blue Flag
L'avis de Ro avait attiré mon attention sur ce manga que je ne connaissais pas et je suis bien content d'avoir découvert cette série. Cela semble commencer comme une comédie romantique un peu banale mettant en vedette un triangle amoureux comme il y en a des centaines au Japon, mais très vite le lecteur s'aperçoit que le scénario est plus profond que ça. L'auteur va traiter de différents thèmes tout le long de la série qui touche les adolescents japonais qui vivent dans une société rigide qui prône le conformiste, la réussite scolaire et qui est conservateur sur le rôle des hommes et des femmes dans la société. Les personnages sont complexes et terriblement attachant. Le dessin est très bon. Cela dit, il y a quelques longueurs je trouve, notamment dans les derniers tomes. Il y a quand même un moment où pendant plusieurs chapitres les personnages font des longs discours sur plusieurs sujets (notamment la difficulté des gars et des filles à être juste amis). J'avais rien contre les moments où les persos faisaient des monologues lorsque c'était à petite dose, mais là je commençais à trouver le temps un peu long. La fin est un peu expédiée aussi, mais bon cela reste un shonen qui sort du lot et traite de sujets qu'on voit rarement dans un shonen paru sur un support mainstream de manière mature.
Sibylline - Chroniques d'une escort girl
Avec Sibylline, Sixtine Dano propose un récit à la fois intime et sincère, explorant le quotidien d’une jeune femme qui exerce l’activité d’escort pour financer ses études. Loin de tout voyeurisme, la BD nous plonge dans la complexité des émotions et des réflexions. Le scénario se lit comme une confidence : on y découvre les aspirations, les doutes et les moments de grâce d’une héroïne en quête de sens et d’équilibre. Le style graphique en noir, blanc et nuances de gris confère une atmosphère sobre et délicate, qui met en valeur les expressions et les sentiments des personnages. Les planches jouent habilement avec l’ellipse et les silences, offrant un rythme contemplatif, presque poétique. Si le sujet peut sembler délicat, l’autrice aborde la question de la sexualité et de l’intimité avec justesse, sans jugement. L’ensemble donne une BD touchante et intelligente, où la dimension humaine prime avant tout. Pour les lecteurs en quête d’une œuvre mature et sensible, Sibylline – Chroniques d’une escort girl constitue une belle découverte.
Sur la route de West
Un road trip assez prenant entre deux femmes, toutes deux fuyant quelque chose, chacune cherchant un peu à retrouver son chemin avec l'autre. Comme souvent dans ce genre de récits, le sujet central est l'âme humaine, les propos de fond sont durs et viscéraux, on se permet de beaux moments de silence et de contemplation, et surtout on laisse une grande part à l'imagination. Ici encore davantage, d'ailleurs, car le récit prend rapidement un tournant très imagé, métaphorique et poétique, avec cet étrange chat qu'il faut ramener à une ville qui n'existe pas et ces routes semblant symboliser la liberté et les chemins de vie de manière un peu plus concrète que prévu. La forme est fluide et agréable, les trois cents pages se lisent très vite, le texte est plutôt bien trouvé et le dessin est simple mais beau. J'aime beaucoup les jeux d'ombrages et d'éclairages dans cette mise en scène, il y a des beaux jeux de contrastes par moments. Les road trips ne sont pas nécessairement mon genre narratif préféré et les grands espaces américains me laissent sincèrement de marbre, mais le propos de l'œuvre a su m'atteindre. L'histoire est dure, belle et réflexive, j'ai passé une très bonne lecture, quand bien même je suis sûre qu'une partie non négligeable de la métaphore finale m'a échappée (frustration, quand tu me tiens...). Je recommande chaudement la lecture, mais je me sens obligée de mettre en garde car je pense que ce récit ne plaira certainement pas à tout le monde.
L'Université des Chèvres
Au travers de cette histoire, Lax rend hommage aux passeurs de connaissances. Dans les montagnes françaises au XIXème siècle, puis dans celles de l’Afghanistan au siècle suivant, nous suivons deux hommes qui luttent contre l’obscurantisme (singulièrement essentiellement religieux à chaque fois) et cherchent à émanciper les populations en apportant l’école, les livres ou les lettres, dans des régions reculées. Le propos est noble, et Lax nous brosse le portrait d’obscurs héros, avec pour faire le lien entre ces deux personnages une femme, descendante du premier, et amie du second. Et quelque autres sujets abordés (comme le rôle de la NRA aux États-Unis). Comme d’habitude, le dessin de Lax est beau et très agréable. Il accompagne très bien ce récit que j’ai bien aimé. Un récit qui se déroule sur un rythme assez lent. Mais on ne s’ennuie jamais. Une lecture très recommandable ! Et qui résonne aujourd’hui plus fort, à l’heure où les Talibans rendent impossible toute émancipation par l’enseignement libre en Afghanistan. Ou alors que Donald Trump supprime des milliers de postes dans le ministère de l’éducation américain (tout en renforçant la censure de milliers d’ouvrages). Le message véhiculé par l’album de Lax est hélas encore nécessaire à défendre.
Super Sourde
L'album nous raconte la jeunesse de son autrice, Cece Bell, qui a perdu l'audition suite à une méningite. L'histoire est celle de son rapport au monde, de ses liens avec ses proches, de son besoin affectif et de la réapropriation de l'image qu'elle renvoie aux autres. Le récit est très personnel (normal vous me direz, il s'agit d'une autobiographie), les situations et émotions complexes que vit (subit même) Cece sont rendues de façon très facilement compréhensible et touchent. L'ostracisation presque inconsciente des gens à son égard, les questions et commentaires déplacés, les efforts et contraintes qu'elle s'impose dans le simple but de se faire accepter/de rentrer dans le moule, la peur d'être perçu-e comme différent-e et d'être rejeté-e, la grande difficulté pour trouver des ami-e-s sincères qui lui veulent du bien, la discrimination positive, ... tous ça sont des problèmes quasiment universels pour toutes les personnes étant touchées par un handicap dans nos sociétés (et facilement compréhensible par toute personne douée d'empathie basique). L'album m'a touché. D'une part parce que, même sans être sourde, j'ai personnellement vécu des situations similaires à la jeune Cece, mon enfance et mon adolescence ayant été une successions de tentatives de relations amicales catastrophiques et d'ostracisation au mieux maladroite par mes camarades de classe (que voulez-vous, les gens n'ont qu'à naître comme tout le monde) ; d'autre part car ma sœur a été hospitalisée il y a tout juste trois mois pour une méningite et qu'elle a failli y passer, donc apprendre un peu plus sur les séquelles dramatiques que peut produire cette maladie m'intéresse et me terrifie sincèrement. J'ai beaucoup aimé que l'album déconstruise certains mythes autour de la surdité, comme le fait que la lecture sur les lèvres n'est en réalité pas un superpouvoir mais une capacité très faillible dépendant énormément de l'articulation de la personne et surtout de la bonne visibilité des lèvres (sans oublier le fait que beaucoup de sons se ressemblent), ou encore rappelle que les appareils auditifs coûtent cher (surtout aux États-Unis) et que les personnes non-concernées devraient particulièrement en prendre soin (si l'appareil casse, c'est l'autonomie de la personne qui se retrouve impactée). Le dessin est simple, peut-être simpliste pour certain-e-s, mais je trouve que ce style relativement enfantin marche pour illustrer cette histoire sur l'enfance. Une lecture conseillée, surtout pour quiconque aimerait en apprendre davantage sur l'expérience au quotidien de jeunes personnes touchées par la surdité. (Note réelle 3,5)
La Ville des mauvais rêves - Urani
Europe ne comprend pas grand-chose à tout cela. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2000. Il a été réalisé par David B. (Pierre-François Beauchard) et Joann Sfar qui ont réalisé le scénario à quatre mains, ainsi que les dessins. Les couleurs ont été réalisées par Brigitte Findakly & Delphine Chedru. Il compte quarante-six planches de bande dessinée. Chapitre un : le dompteur effacé. Un cirque installé sur une grande place de la ville d’Urani, capitale d’un pays des confins de l’Europe pris entre les empires allemand et russe. Le professeur Odin, en habit de dompteur, dit au revoir aux tigres dans la cage. Il leur explique que c’est fini, que les tueurs de l’Ermite ont retrouvé sa trace, il doit les quitter. Il partirait bien en leur laissant la porte ouverte, mais ça ne se fait pas. Odin retourne dans sa roulotte où se trouvent d’étranges appareils technologiques. Dans son for intérieur, il se dit qu’il n’a pas le temps de cacher tout ça. Ce n’est pas grave : personne n’arrivera jamais à faire fonctionner ses inventions, il dépasse les meilleurs savants de plusieurs cerveaux. Il a dû sacrifier un œil pour acquérir la connaissance. Il décide que le temps est venu pour lui de disparaître, littéralement. Grâce à un objet mécanique, il commence par effacer son ombre. Puis il efface son reflet dans le miroir, ce qui lui fait quand même une sale impression. Enfin, il se rend invisible et il s’en va. Dans la cage, un des tigres se redresse sur ses antérieurs, et il décide d’aller voir ce qui passe, tout en collant une mandale à un autre tigre qui est sur son passage. En humant l’air, il se rend compte que la roulotte est vide. Il voit arriver un groupe de gens louches, il se cache, et il s’en va discrètement après les avoir laissé passer. Il a reconnu les tueurs au service de l’Ermite. Chapitre deux : Le Diable Ermite. Dans sa planque, l’Ermite converse avec son second Igor, attablé et s’apprêtant un manger un poulet. L’Ermite a compris : il ne sort plus, plus de boîtes, plus de cercle de jeu, plus de grosses voitures, ni de prostituées à chaque bras. Il occupe son temps à réfléchir. Il réfléchit sur le mal. C’est fascinant le mal. Il explore le mal. Un peu plus chaque jour et il n’en revient pas. Depuis qu’il s’est retiré du monde, les affaires tournent toutes seules. Personne ne le voit plus mais on sait qu’il est là. Il fait encore plus peur. On l’a surnommé le Diable Ermite. Un homme de main remarque qu’Europe, une grande femme à la peau jaune, est entrée dans le bar. Il la menace avec son pistolet. Elle indique à l’Ermite qu’il n’était pas bien caché, tout en avançant. Elle flanque un grand coup dans le menton du porte-flingue, lui brisant la nuque. Puis elle déchire la gorge d’Igor d’un grand coup d’ongle, et elle avance sur l’Ermite. Celui est resté calmement attablé. Il s’adresse à Europe en lui disant que si elle le voulait mort, il le serait déjà. Il se rend, elle peut appeler la police. Il plaisante : veut-elle de la monnaie pour le téléphone ? Ermite répond qu’ils sont déjà en route. Le commissaire apprend à Europe que la police a coffré une des équipes de l’Ermite au cirque de l’Est, et qu’ils ont raconté une histoire bizarre : Odin le savant se cachait au cirque dans la peau d’un dompteur. Une couverture composite mettant en avant les deux personnages principaux, le professeur Odin et Europe, l’un avec un pistolet à la main, l’autre peut-être dépourvue de vêtement, un groupe de gugusses patibulaires, et des bâtiments d’inspiration Europe de l’est. Le lecteur peut penser à un une série richement peuplée, intitulée La ville des mauvais rêves, dont le premier tome serait Urani. Le récit est découpé en quatorze chapitres plus un interlude, de longueur variable entre deux et quatre pages. Le lecteur peut noter des différences graphiques entre des chapitres : les contours un peu plus arrondis à la fois des formes et des aplats de noir pour David B., le trait plus rugueux et nerveux de Joann Sfar donnant l’impression d’aplats de noir déchiquetés. S’il y éprouve de l’intérêt, il peut ainsi attribuer tel chapitre à tel créateur et tel autre au second. Il se dit que chaque auteur a réalisé l’ensemble de ses chapitres : dessins et scénario. Il remarque également une différence de traitement dans la mise en couleurs : Brigitte Findakly utilise plus volontiers des teintes vives avec de très forts contrastes, Delphine Chedru développe une palette de couleurs plus proches entre elles. Dans un premier temps, il apparaît que chaque auteur met en scène un personnage principalement : le professeur Odin pour David B., et Europe pour Joann Sfar, les personnages secondaires comme Le Tigre et l’Ermite pouvant passer d’un fil narratif à l’autre. Tout commence avec un professeur inventeur de génie qui fuit un cirque dans une ville de l’Europe de l’Est, sans date précise. L’interlude présente la ville d’Urani : Capitale d’un pays des confins de l’Europe, pris entre les empires allemand et russe, impliqué dans toutes les guerres du passé. La présentation continue : Depuis que le pays a adhéré à la Communauté européenne et à l’Otan, Urani a pris une importance stratégique, la population de la ville est à dominante balte, mais il y a également beaucoup de Slaves et de Scandinaves, son port sur la baltique connaît un regain d’activités. Les auteurs évoquent ses bas-fonds, la présence d’organisations criminelles du monde entier, de nombreux services de renseignements, les souterrains qui se déroulent à infini comme les entrailles d’un organisme, et le fait que c’est la seule capitale au monde à avoir un cimetière comme centre-ville : il paraît que cela a une influence sur la mentalité de ses habitants, les mauvais rêves y seraient plus fréquents qu’ailleurs. Le lecteur se dit que les scénaristes ont conçu un cadre permettant de développer toute une série, la ville assurant le rôle de personnage récurrent. Pour autant, il s’agit d’un album contenant une histoire complète pour elle-même, sans suite. Au vu des éléments de genre de ce récit et de l’ambiance entre thriller policier et onirisme mythologique, le lecteur peut le rapprocher d’un hommage ultérieur de David B. : Nick Carter et André Breton - Une enquête surréaliste (2019). Cette bande dessinée raconte une histoire au premier degré : un inventeur de génie qui a conçu et construit un robot humanoïde, destiné à devenir le premier d’une armée de supersoldats, et qui a décidé de disparaître lorsqu’il a compris l’usage qui en serait fait. Plusieurs groupes d’intérêts différents sont à sa poursuite pour le convaincre ou le contraindre à travailler pour eux. En parallèle, Europe, son invention, sa créature, est à sa recherche de manière indirecte. S’il s’attache à cette intrigue, le lecteur risque de rester sur sa faim car sa résolution semble être mise de côté : il se demande si les deux scénaristes ont travaillé en construisant une idée de départ, un principe pour la dynamique du récit, puis ont écrit sous une forme itérative, chacun écrivant son chapitre après avoir lu le précédent, sans plan d’ensemble préalable, en recourant pour partie à une forme d’écriture automatique déclenchée par la partie précédente et canalisée dans une forme narrative d’aventure. Il s’en trouve d’autant plus impressionné que la sensibilité narrative des deux auteurs s’avère très proche, en phase, que ce soit pour le mélange de polar et d’onirisme, ou pour la narration visuelle. À l’évidence, ils se sont coordonnés sur l’apparence des personnages qui passent d’un fil narratif à l’autre, pour les deux personnages principaux, pour l’Ermite, un peu moins pour le Gitan. La ville d’Urani dégage la même sensibilité sous le crayon de l’un comme l’autre, une belle cohérence sophistiquée, conservant des caractéristiques propres à l’un et à l’autre. Le lecteur se laisse emporter par la dynamique de la fuite en avant pour Odin, et de l’enquête pour Europe. Il apprécie cet équilibre très complexe des dessins, entre naïveté et représentations crues. Cela permet de laisser planer le doute sur la nature réelle du Tigre : vraisemblablement pas un être humain au vu de son anatomie, mais un tigre anthropomorphe, ce qui est cohérent avec la présence d’autres individus aux caractéristiques chimériques. D’ailleurs, il y a en douze autres de représentés sur la deuxième de couverture et la page en vis-à-vis. Urani semble associer des spécificités de ville de la partie Est de l’Europe centrale et des éléments romanesques tels que des repères secrets souterrains. Le récit s’apparente ainsi à un conte : une réalité fantasmagorique, peuplée d’individus chimériques, entre métaphores et allégories. Les auteurs font également des références mythologiques : le nom du professeur Odin et celui-ci explique d’ailleurs qu’il a sacrifié un œil pour acquérir la connaissance, ou encore le thème du créateur et de sa créature comme le monstre de Frankenstein. Ils jouent aussi bien avec une spécificité du pénis du tigre, qu’avec la licence artistique des contes (cette école pour filles dans les bois). Cela donne un récit très riche, déconcertant par ses rapprochements inattendus et ses éléments parfois superflus à l’intrigue, une saveur classique de conte, des situations adultes, le tout propice aussi bien à des instants poétiques, qu’à des prises de conscience métaphysiques. Une bande dessinée particulière, associant le talent de deux créateurs singuliers : le tout s’avère être au moins égal à la somme des parties. Le lecteur plonge dans un récit entre policier et fantastique, teinté d’onirisme, la narration visuelle portant chacune de ces composantes de manière harmonieuse. Une aventure associant une trame à l’apparence cartésienne à des événements pouvant s’avérer arbitraires, surnaturels ou parfaitement logiques. Une aventure singulière.
Hotel Particulier
Après avoir été littéralement envouté par le magnifique Bluebells wood, j'ai décidé de rattraper mon retard sur l'œuvre de Guillaume Sorel en m'attelant à la lecture de ce one shot. Ma lecture m'a confirmé tout d'abord que je suis véritablement fan du trait de cet auteur. On sent que Sorel prend plaisir à dessiner les personnages, notamment féminins, et jouent des très belles courbes de l'héroïne et de la transparence de sa courte chemise. La mise en en couleurs monochrome tirant sur le brun est également très originale et colle parfaitement avec la thématique de l’œuvre. Du point de vue du scénario, si je suis resté légèrement sur ma faim, on ne peut que saluer l'originalité et la poésie de cette histoire de fantôme bloqué dans l"hôtel qui a vu se réaliser son funeste destin. Agrémentée d'extraits de poèmes ou de romans de Rimbaud, Baudelaire ou Caroll, Sorel nous livre différentes scènes à mesure que l'héroïne passe d'un étage à l'autre et s'invite dans la vie des occupants de l'hôtel, passant de scènes tantôt coquasses (la femme et son mari voyeur) tantôt plus macabres (la voisine dévorée par les chats du quartier) voire teintées de fantastique (la jeune fille disparue prise au piège dans une pièce sans issue ou le voisin festoyant avec les personnages imaginaires des romans qu'il possède). L'ensemble reste malgré tout cohérent, avec en fil conducteur, l'histoire du jeune peintre sans le sou dont notre héroïne s'éprend à mesure qu'elle l'observe. Cette histoire matinée de fantastique, dans la lignée de certaines nouvelles telles que le Horla (que Sorel a d'ailleurs adaptée en bande dessinée) rend ainsi un bel hommage à certains textes de poètes que l'auteur affectionne. Une œuvre originale à lire voire à posséder si on est fan comme moi du dessin de Guillaume Sorel. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 7/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10 NOTE GLOBALE : 16/20
Dix Secondes
Il y a un peu plus de 10 ans Max De Radiguès publiait Orignal un album racontant le quotidien d'un adolescent persécuté par des camarades de classe. Un petit album au format souple qui ne payait pas de mine, mais dont l'histoire m'avait marqué. L'auteur avait excellé dans sa façon de raconter une histoire banale, une histoire de tous les jours, et de la rendre touchante. Dix Secondes présente quelques points communs, et ne le cachons pas, c'est plutôt agréable. Il est ici question de Marco, un adolescent qui ne fout absolument rien au lycée, ses seules préoccupations sont comment faire le mur pour sortir en douce, zoner avec ses potes et surtout trouver des trucs à fumer ou à boire pour tuer le temps. C'est ça le sujet de cette histoire : le quoditien d'un adolescent à priori sans problème, qui ne vit pas dans un quartier difficile, mais qui trompe son ennui en se défonçant la gueule. Et qui met le doigt dans un engrenage où il lui faut de moins en moins suivre ce que lui dicte les adultes, et de plus en plus de paradis artificiels pour sortir de son quotidien. Et Max De Radigues est très fort pour raconter cela. Il ne se passe finalement pas trop de chose dans cette histoire, mais pourtant on ne s'ennuie jamais. La façon dont elle est racontée, et la façon dont elle est dessinée la rende interessante et plaisante à lire. Parfois c'est amusant, que ce soit par des dialogues ou des situations. Parfois c'est attendrissant. Souvent cela arrache un petit sourire, surtout si on a grandi dans les années 90, de nombreux clins d'oeil à cette époque sont distillés tout au long de l'album. Tout ça fait que ce récit se lit d'une traite, juste avec la curiosité de voir où tout cela va mener Marco. La fin était prévisible mais ce n'est nullement gênant. Un album très agréable à lire, il lui manque peut être juste un coté un plus émouvant pour en faire un livre aussi marquant qu'Orignal l'avait été en son temps.