Après la série mère développée sur 3 tomes, revoici BRZRKR ; une série spin-off qui revient sur les nombreux passés de notre immortel. Ce recueil est composé de deux récits : le premier nous narre son passé de gardien de l'Atlantide ; le second revient sur son amour pour la femme du Roi Arnak.
Dans les deux cas, on ne va pas faire dans la dentelle, mais plutôt dans le puzzle...
C'est ce petit côté "too much" assumé qui fait la saveur de cette série ; "Oui allo bonjour, ça serait pour coller une branlée à Chtullu." "Voilà c'est fait". Faut pas chercher à réfléchir, juste profiter du spectacle. Après les récits sont quand même bien amenés et construits, on est pas dans la série Z non plus. La deuxième histoire en est le meilleur exemple.
Côté dessin, idem, les auteurs ont bien bossé et se sont fait plaisir pour ces scènes de boucherie ou de batailles où l'adjectif "épique" parait bien dérisoire.
On est dans le dantesque et dans la démesure.
Une petite envie de pause gore/pop corn ? Cet série est faite pour vous !
Je ne connaissais pas cette ancienne série. Je la découvre à travers les douze premiers opus que possède ma BM. C'est de la bonne série jeunesse qui peut s'ouvrir à un public plus large. J'ai eu un peu de mal à accrocher à cet pseudo détective naïf , pataud qui tient plus du lieutenant Colombo que du Magnum excepté pour son succès auprès des très jolies filles (Babette en premier lieu). Avec son prénom impossible et son allure à la Bogart à contre emploi, il fait "idiot de service" dont on ne se méfie pas assez. Cela permet d'introduire une dose d'humour autour de ses habitudes alimentaires , sa nonchalance ou son permis de conduire. J'ai même eu quelques réserves quand sa bonhomie arrange certaines scènes où il n'est pas trop à son avantage ( jeu de trois). Les enquêtes relèvent souvent du drame familial intime mais font quelquefois appel à des thématiques assez pointues pour la jeunesse ( viol, justice, enfant illégitime…). Par contre j'ai apprécié la galerie de personnages qui gravitent autour de lui. C'est surtout Babette qui apporte avec un charme fou (parfois coquin) et des voisines hautes en couleurs. Les scénarii se renouvèlent bien avec un schéma à la Colombo efficace.
Graphiquement j'aime bien le travail de Dodier. Dans un style semi réaliste classique, l'auteur crée de très belles ambiances que ce soit à Paris, en banlieue ou dans les petites villes de province. C'est toujours très bien travaillé avec une belle précision. Dodier réussit très bien à rendre les atmosphères nocturnes ou brumeuse qui ajoutent à l'ambiance de mystère qui plane sur le récit.
Une bonne lecture récréative pour tous.
S’accorder, l’essence même d’être ensemble par volonté. L’essentiel.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa publication originale date de 2022. Il a été réalisé par Laurent Bonneau pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il compte cent-dix pages de bande dessinée.
Laurent conduit sa voiture sur une route de basse montagne avec les bas-côtés enneigés. Un panneau indique un virage un peu serré à gauche. Les glissières succèdent aux fossés sans protection. Un peu de verdure sur les côtés par moment. Un ciel entre gris et blanc, laissant parfois entrevoir un petit morceau de bleu. En son for intérieur, son flux de pensée se déroule. Il voit la route. Il sent le froid. Il respire profondément l’air glacé et il plonge dans ses songes que son dessin prolonge. Le paysage zigzague comme ses pensées. On s’enfonce dans la montagne. Recouverte par la neige, la surface de la terre s’aplanit. On continue d’avancer. Ici la lumière semble jaillir d’ailleurs. Les roches archaïques. Les arbres séculaires. Il écoute le bruit du silence qui craquèle sur cette neige immaculée. Il tente d’esquisser le profil de sa compagne. Elle est là. Elle respire. Ses soupirs l’inspirent. Il voudrait suivre le bruit de ses syllabes intimes à elle au milieu du silence extérieur. On voudrait souvent entrer en l’autre, savoir ce qu’il pense, ce qu’il veut. Âme, esprit, corps, quoi encore ? Il la dessine dans un mouvement de cœur. Trouver les mots pour parler d’elle, son aimée. On progresse dans cette nature que la neige, étonnamment, semble dissimuler. Un frémissement. Comme lorsqu’elle se penche derrière lui, ses lèvres sur son cou. Il la dessine. Il l’écrit. Il essaie, à sa manière, d’essuyer sur la buée des verres de ses pensées. Ça l’aide à la regarder et découvrir une autre figure enfouie en elle : celle, peut-être, de la première fois. La voilà arrivée. Cette vieille maison dans la nature. Il aime lorsque le paysage ne s’arrête plus. Il ne sent plus enfermé. Elle avance. Il sent un chemin se dessiner sous ses pas à elle dans l’immense lumière naissante.
Laurent est arrivé à la maison : il regarde sa compagne. Il se dit qu’il avance près d’elle, bien incapable aujourd’hui d’imaginer la vie sans sa présence auprès de lui. Un autre jour, un autre trajet en voiture sous un ciel grisâtre : Laurent se rend au centre pénitentiaire pour animer un atelier de bande dessinée. À nouveau les pensées coulent en flux dans son esprit : il se questionne sur les raisons d’entreprendre ce projet de bande dessinée. Pourquoi encore écrire et dessiner sur l’amour en plus de le vivre ? Serait-ce parce qu’une fois devenus parents, la source initiale de la famille qu’est le couple voit ses repères changer complètement ? Serait-ce une manière pour lui de prendre du recul sur ce nouvel équilibre ? Il arrête sa voiture, il éteint son téléphone et il range ses interrogations dans la boîte à gants. Là où il va tout moyen de communication autre que la parole physique est interdit. Il est amené à voir un autre monde. Un monde que l’on tient caché.
Rien que la couverture permet de savoir que cette bande dessinée adopte une approche particulière de la narration en accolant ainsi l’image d’un très gros plan sur le visage d’une femme (sans qu’il soit possible de déterminer ce qu’est l’arrière-plan) et en-dessous un mur rehaussé de barbelés, à l’évidence un mur d’enceinte soit d’un endroit à l’accès bien gardé, soit d’un endroit servant à enfermer. Le lecteur commence le premier chapitre : pas de numéro en bas de page, pas de phylactères ni de cartouches, juste un monologue intérieur et un homme qui conduit. Ce premier chapitre dure treize pages dont les onze premières sont structurées à l’identique : deux cases de la largeur de la page et un court texte entre les deux. Les deux dernières pages accueillent un dessin en double page. Sur ces vingt-trois illustrations, douze sont consacrées au paysage qui défile, ou plutôt la vision qu’en a le conducteur. Trois cases permettent de voir le buste du conducteur. Le reste correspond à ce qu’il voit en vue subjective, une fois arrivé chez lui. Les choix de technique de représentation apparaissent également assez particuliers : des contours pas tout à fait assurés, parfois avec un trait fin, parfois avec un trait plus épais, des traces de couleurs comme du crayon de couleur étalé par frottement avec un papier sur la planche, venant apporter l’impression de couleur naturelle à la surface sur laquelle elles sont appliquées, plus comme une impression, voire une sensation, que de manière naturaliste. Quant à lui, le texte évoque le sentiment amoureux de Laurent pour sa compagne, comment il appréhende cet amour.
Pour autant, pas de doute, il s’agit bien d’une bande dessinée : narration séquentielle & interaction entre le texte et les images, tout en étant assez éloignée d’une forme traditionnelle. Le récit est construit en dix chapitres, généralement séparés par une page blanche, entre sept et quinze pages chacun, avec une exception pour le septième composé d’un court texte sur fond blanc en une page. Le fil directeur de cet ouvrage correspond au flux de pensée du narrateur, que le lecteur a tôt fait d’assimiler à l’auteur lui-même. Tout commence avec un retour à la maison, un retour vers l’être aimé, qui aboutit au constat que Laurent est incapable d’imaginer la vie sans elle. Il ne s’agit pas d’une figure de style, mais bien d’une déclaration à prendre au premier degré : ce créateur ne dispose pas d’assez d’imagination pour pouvoir se figurer cette configuration. Ce constat l’amène à mettre en scène l’amour qu’il porte à sa compagne au travers d’abord de ce retour au foyer, puis dans une tentative de scène de dialogue au chapitre trois : de très belles images où il la suit dans la maison jusqu’à l’extérieur. Puis dans le chapitre cinq, au cours duquel il la suit et la dessine de dos alors qu’elle traverse une pelouse va se baigner nue dans un cours d’eau, une ode à la liberté et à la nature, en contraste total avec le chapitre précédent. Enfin dans le dernier chapitre où une autre déambulation le ramène à la suivre, toujours représentée de dos, réfléchissant à la notion de liberté, et à l’essentiel (dans la vie) : S’accorder, l’essence même d’être ensemble par volonté. Le lecteur partage à la fois l’intimité des pensées très personnelles de l’auteur, et à la fois ressent des émotions universelles.
Du coup, il perçoit comme un contrepoint les autres chapitres (deux, quatre et six), comme construits pour obtenir un contraste maximal. Le bédéiste intervient dans un centre de détention pour un atelier avec les prisonniers qui s’y sont inscrits. L’ambiance change radicalement, ne serait-ce qu’en passant de couleurs chaudes à une morne grisaille bien plombée. Le décor lui-même se fait plus dur : tout en lignes droites bien tracées, des formes géométriques stériles et inhospitalières. Laurent se fait la réflexion que lui entre de son plein gré dans cette prison, alors que les individus qu’il va voir ne peuvent pas sortir. Il observe les effets de la privation de liberté sur eux : la promiscuité, le silence de ce fait impossible. Il sait qu’il ne fera connaissance avec eux que superficiellement, qu’il ne pourra percevoir que ce qu’ils accepteront de lui montrer. Il est frappé par la récurrence du thème des valeurs morales, tout en en percevant la relativité. Il se pose plusieurs questions, tout en ressentant fortement la souffrance incarnée dans les fils de fer barbelés. Dans le chapitre six, la grisaille au reflet d’acier met en avant le motif des barreaux : des espaces délimités, finis, et la réflexion d’un détenu sur les effets les plus dévastateurs, à savoir être renié ou même simplement jugé par sa famille. Le chapitre huit fait coexister des images de paysages magnifiques entre figuratif et conceptuel, avec l’aboutissement de la réflexion sur l’emprisonnement, le contraste entre monde clos et horizon ouvert, entre solitude choisie dans la nature et l’absence imposée de regard de l’autre sur soi.
Le lecteur arrive au chapitre neuf, totalement sous le charme de cette réflexion déambulatoire, un flux de pensées entre ressentis et réflexions, constats et émotions, une expression très personnelle d’une rare honnêteté, transcrivant une façon de voir le monde, à la fois par la manière de le représenter en images porteuses de la sensibilité de l’artiste, à la fois par ce que ses pensées disent de sa manière d’appréhender sa relation amoureuse, ainsi que sa capacité d’empathie à percevoir le ressenti de privation de liberté des détenus. L’avant-dernier chapitre prend le lecteur au dépourvu, en relatant un accident domestique horrible, générant une culpabilité quasi insurmontable chez l’auteur. Le caractère tout relatif de la liberté apparaît alors mis à nu, ainsi que la nature de l’essentiel. Le point de vue de Laurent sur le monde s’en trouve changé, encore moins égocentré, par la prise de conscience de ce qui est essentiel pour lui. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut alors percevoir la construction littéraire de l’ouvrage, bien plus qu’un simple vagabondage de pensées, ou d’une alternance de contraste entre vie personnelle libre et vie carcérale. Pour autant, la narration conserve son goût spontané et franc, honnête et venant du cœur. Ainsi la conclusion présente une force peu commune, entre la critique sur l’hypocrisie des hauts responsables toujours plus médiocres et la profession de foi sur l’essentiel : S’accorder, l’essence même d’être ensemble par volonté.
Un coup d’œil superficiel donne l’impression d’une bande dessinée d’art et d’essai, avec des dessins à l’allure empruntée et un flux de pensée égocentré. La lecture génère une impression bien différente : une vision personnelle au travers des images, et un ressenti plein d’humanité et de gratitude envers la richesse de sa vie grâce à sa compagne et la conscience de sa liberté par comparaison avec des détenus. Avec cette narration personnelle, Laurent partage des facettes intimes de son expérience de vie, et le cheminement vers ses convictions profondes.
J’étais curieux de voir Gatignol seul à la barre après la très étonnante série Petit.
Le dessin était plutôt engageant, sinon carrément séduisant. De fait, le ramage est à l’image de son plumage. En tout cas moi, je suis tombé sous le charme de cette histoire, qui devra certes se trouver confirmée par la suite.
Mais à en juger par ce seul premier volume, on tient là une petite pépite. Graphiquement, c’est splendide, mais je ne m’étendrai pas sur le sujet car celzéceux qui connaissent Petit seront convaincus : trait fin, précis, expressif. Sur Wilder Man, l’usage de la couleur apporte tout le dynamisme qui sied à cette folle aventure. Comme pour Furieuse de Monde et Burniat, on a affaire à un truc totalement déjanté qui déboule à cent à l’heure. En outre, comme pour la BD précitée, la recette est peu ou prou la même : Gatignol fait une grosse salade avec plein d’ingrédients épars puisés dans la culture populaire. Un peu de conte traditionnel avec Le Petit Chaperon rouge, Baba Yaga, La Pomme d’Or… Du manga avec des références à Dragonball ou Pokemon. Un peu de loup-garou aussi, sans oublier un brin de références historiques (l'Inquisition, les Templiers)…
Bref ! A ce stade, on pourrait légitimement se dire qu'il y a risque d'indigestion, voire de surcharge cognitive, à l’image du personnage de Patoune qui se retrouve complètement amorphe à force d’avoir ingéré une telle quantité de nourriture. Mais bien au contraire, cette surenchère galvanise le lecteur et s'accorde parfaitement avec le caractère explosif de ce début de série. Et quand arrive la fin de ce premier tome, sa curiosité est piquée au vif.
Pour moi, ce seul premier tome est une promesse totalement jouissive, et pour peu, j'en serais presque le premier surpris. Mais je dois bien le reconnaitre, j'ai enquillé la lecture comme un mort de faim. Oui, c'est jouissif, c'est vraiment le mot. Et prometteur aussi !
Oh bah ça c’est du chouette comics !!
J’ai une petite crainte que la suite devienne plus classique mais en l’état ce premier tome est assez terrible. 6 chapitres qui m’ont tenu en haleine de la première à la dernière pages.
J’avais déjà croisé les auteurs mais sans qu’ils retiennent mon attention. Chose réparée maintenant, ils livrent ici du superbe boulot.
Ce qui saute indéniablement aux yeux, est bien sûr le talent graphique déployé. J’ai bloqué 2 secondes sur une tête du pigeon avant d’être vite emporté. C’est détaillé, magnifiquement colorié et agencé, le charac design fait le reste pour nous dépayser. Les couvertures sont toutes excellentes (comme les bonus en fin d’album). Bref du très bon à mes yeux, un plaisir de lecture décuplé.
L’histoire n’est pas en reste, je n’ai pas été vraiment surpris de la tournure des événements mais je ne l’avais pas pour autant deviné. Tout est bien amené, univers, personnages et enjeux pour une suite qui me tarde déjà de connaître.
De la bonne Fantasy, je n’en dis pas trop, le titre et la description vendant bien le bousin. En gros, notre héros/grain de sable va chambouler un petit monde bien établi.
Il y a un certain savoir faire pour faire du neuf avec du vieux. J’ai trouvé ça très cool à suivre, une excellente entame de série.
Vous avez le Sans contact ?
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2023. Il a été réalisé par André Derainne pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-six pages de bande dessinée. Cet auteur a également réalisé Un orage par jour paru en 2021.
À l’aéroport Charles de Gaulle, les avions sont bien alignés, connectés chacun à leur passerelle, attendant les passagers. Une jeune femme parcourt une circulation dans la file de nombreuses personnes anonymes, l’esprit préoccupé. Les fourmis qui grimpent le long de ses jambes l’empêchent de marcher. Elle aimerait qu’elles s’en aillent. Elle aimerait accélérer le pas, répondre au téléphone qui vibre dans son sac, et aller aux toilettes. Pas nécessairement dans cet ordre. Ainsi troublée, elle éprouve l’impression de se déplacer dans une autre direction que le flux de passagers dont elle fait partie. C’est comme si elle est en décalage par rapport au flux bien ordonné, comme si les autres êtres humains se déplacent à dans un espace-temps qui n’est pas le sien. Elle s’extirpe de ce mouvement pour passer aux toilettes, puis se laver les mains, les passer dans un sèche-mains électrique à flux d’air. En sortant, elle active ses oreillettes sans fil et elle appelle son ami. Celui-ci lui l’informe que le jardin a un peu perdu de son charme, en espérant qu’elle n’est pas trop déçue : des sangliers ont mangé toutes les iris. La jeune femme répond qu’on dirait que les sangliers attendaient qu’elle s’en aille. Elle continue : il faudrait construire des barrières, inventer des pièges, elle ne se sait pas. Elle s’interroge : Pourquoi viennent-ils chez eux ? Le potager des voisins est très bien. Son compagnon indique que ce n’est pas tout : il a vu des petits aussi, il y en a sept. La jeune femme éprouve des difficultés à y croire : Sept marcassins, c’est une blague ? Elle se lamente sur son pauvre jardin.
Tout en discutant, elle a continué à marcher dans les couloirs sans fin, avec des individus qui passent autour d’elle, dans le même sens ou en sens contraire. Parmi eux, un père avec sa fille assise sur la valise à roulettes, une famille de trois personnes avec le jeune enfant tenant la main de ses parents de chaque côté. Elle s’arrête devant un panneau indicateur dont les logos signalent que les avions se trouvent vers la droite et les bagages vers la gauche. Elle se dit pour elle-même que ça se tente : à elle la France ! Elle change donc de destination et elle rappelle son compagnon. Chemin faisant d’un bon pas, elle lui fait observer qu’il a une drôle de voix depuis tout à l’heure… Il explique qu’il est resté au lit toute la journée, c’est pour ça. Elle le rassure en lui disant que ça passe vite six mois, et puis il viendra la voir. Il la détrompe : Ce n’est pas ça, lorsqu’il s’est levé, il a été pris de vertige, et depuis il a mal au ventre. Il trouve que le soleil est méchant en ce moment. Elle trouve ça inquiétant, il devrait peut-être appeler quelqu’un. Il la rassure : si demain il ne va pas mieux, il annulera le shooting et il prendra rendez-vous chez le médecin.
Mais qu’est-ce que c’est que ça ? De prime abord, ce n’est pas bien compliqué : une jeune femme qui est entre deux avions dans les couloirs impersonnels de l’aéroport Charles de Gaulle. Elle discute avec son compagnon, se promène dans cet environnement si particulier, saisissant une occasion de sortir pour humer l’air de Paris, pour s’échapper de ce lieu de transit, pour pénétrer dans un endroit identifié, un lieu avec de la personnalité. La narration visuelle repose sur des dessins aux formes simples, voire simplistes, colorées, avec des fonds de case régulièrement d’une couleur unie, et un jeu sur le positionnement des personnages, en particulier les anonymes qui se trouvent en décalage par rapport à la jeune femme, pouvant marcher aussi bien un ou deux mètres sur le côté, ou même à la verticale le long d’une bordure de case, voire dans ses cheveux en étant représentés comme minuscule. Le lecteur se rend compte que cette histoire prend fin au milieu de l’ouvrage : la seconde partie s’attache à suivre une autre jeune femme, pas nommée non plus, également en transit dans un aéroport, probablement le même. Celle-ci part d’une chambre d’hôtel, se rend à l’aéroport, et y constate que son avion est retardé de trois heures, un temps qu’elle va essayer d’occuper. Elle converse également avec un interlocuteur. Cette fois-ci, ce ne sont pas les autres passagers en transit ou en attente qui forment son environnement, mais les différents lieux de l’aéroport.
La couverture annonce explicitement les partis pris visuels de la narration : un avion représenté de manière très simplifié, une quantité de points lumineux composant une figure géométrique abstraite, tout en évoquant la complexité de la signalétique lumineuse des pistes de décollage et d’atterrissage. En effet, chacune des deux femmes est représentée de manière simple et douce : des traits de contour délicats pour la forme de leur silhouette, la seconde semblant un peu plus longiligne que la première. Les traits de visage se limitent aux yeux et sourcils, nez et lèvres, sans modelé du visage, sans ride ou grain de peau. Les chevelures sont différentes : une teinte blonde avec des reflets de gris pour la première, des cheveux noirs de jais pour la seconde. Les autres êtres humains de passage commencent par de simples silhouettes de profil avec des tenues vestimentaires différenciées, des coupes de cheveux particulières. Puis les individus marchent en parallèle de la protagoniste, éloignés de plusieurs mètres, représentés comme plaqués sur le mur, mélangeant la perspective du dessin, et la distance dans l’esprit de la jeune femme. Une poignée d’individus passent plus près d’elle et disposent de traits de visage a minima comme elle, et il en va également de même pour ceux qui croisent la deuxième protagoniste. Le lecteur ressent cette distanciation comme étant la perception et le ressenti qu’en ont l’une et l’autre.
L’autre aspect singulier de la narration visuelle apparaît également dès la première page. Celle-ci contient deux cases de la largeur de la page, et celle du dessous constitue un fond uniformément gris traversé par un tube vert en coupe, avec une petite pente dans le premier quart, puis plat, emprunté par les voyageurs, une passerelle aéroportuaire fermée, déjà de couleur verte dans la première case. Cette représentation tient à la fois de l’épure simplifiée, du schéma basique, tirant vers le pictogramme ou l’idéogramme des panneaux de signalisation et de direction. L’artiste joue également avec des associations visuelles : par exemple le reflet du disque solaire sur un mur est similaire à celui des plafonniers dans certains couloirs. Par la suite ce disque jaune peut apparaître dans une case, dissocié de tout contexte rappelant aussi bien l’un que l’autre. Devant un ascenseur, le signal lumineux indiquant une cabine arrivant à la montée devient assez flou pour être identique à l’une des balises lumineuses sur la piste. Dans la seconde partie, cette similitude visuelle fait se rapprocher les étoiles dans le ciel des points d’éclairage diffus dans certains couloirs. Cela induit, chez le lecteur, un automatisme d’association conscient ou inconscient entre différents éléments hétérogènes dont l’apparence de la représentation devient très proche.
Dans la seconde partie, l’artiste se focalise plus sur la transformation des lieux, par simplification, par rapprochement, ou encore par paréidolie. Page trente-quatre un avion part ; page trente-cinq un avion arrive. Dans les deux pages suivantes, des cases disposées en trois bandes de deux, des cases noires avec des taches de couleur et une mince ligne continue de couleur, ou discontinue en pointillés irréguliers. Le contexte permet de comprendre qu’il s’agit de l’impression visuelle des pistes de décollage la nuit. Pour les deux pages suivantes, même disposition de cases et des points blancs, d’abord un seul sur la troisième case, puis de plus en plus : il neige, sans aucun texte ou mot. En soi, rien de d’extraordinaire, à ceci près que cela installe ces motifs visuels dans l’esprit du lecteur qui va immédiatement les identifier par la suite, même si le contexte ou l’objet est différent, comprenant que ce motif est également rémanent dans l’esprit de la jeune femme, provoquant des associations d’idées ou de sensations par automatisme. Elle n’arrive pas à dormir et va déambuler dans les allées, vestibules et halls, où elle ne croise que quelques rares êtres humains. L’artiste isole un élément de décor ou un autre sur un fond vide, créant ainsi une sensation de détachement, d’irréalité, de perte de sens pour ces morceaux isolés de leur contexte.
L’intrigue passe au second plan dans l’esprit du lecteur captivé par l’expérience visuelle, quasiment hypnotique. Pour autant, la première femme découvre qu’elle a quelque chose à dire à son compagnon, et la seconde se retrouve coupée de tout contact et se parle à elle-même. L’une et l’autre font l’expérience de cette coupure du monde normal, dans cet endroit dont la seule fonction est de passer d’un avion à un autre, et d’attendre. La narration visuelle donne à voir la déréalisation que les lieux provoquent en ces deux êtres humains, l’impersonnalité et l’impermanence, deux forces destructurantes annihilant l’intime et la continuité. Dans un premier temps, il semble au lecteur que le seul point commun entre les deux parties soient les lieux. Après coup, il compare ce qui s’est opéré en chacune des deux femmes. La première a appris une information très personnelle dans ces lieux impersonnels, ce qui a changé sa vie de manière significative. La seconde est arrivée en état d’agitation irrépressible et l’étrangeté irréelle de l’aéroport en période nocturne a eu un effet inattendu sur elle. L’une et l’autre se sont adaptées chacune à leur manière à ce lieu de passage, leur propre situation les amenant à un comportement différent.
Une bande dessinée singulière. Par son intrigue très simple et très linéaire, scindée en deux parties dont le seul point commun est l’aéroport et le fait qu’il s’agisse de deux femmes. Par sa narration visuelle : des effets impressionnistes et expressionnistes, des éléments abstraits, des structures conceptuelles, vingt-et-une pages silencieuses, des pictogrammes, autant de composants qui participent à la fois à la déréalisation et à une expérience sensorielle extraordinaire. Un voyage singulier.
Un album exigeant – en termes de temps de lecture, mais aussi parce que, sans avoir un texte très abondant, il propose quelque chose de très dense. Exigeant car riche en thèmes abordés.
Le clonage, les thérapies géniques, voire l’eugénisme et donc aussi des questions d’éthique. Et la notion d’identité, de personne (et le dédoublement de personnalité). L’idée de beauté ou de laideur, etc. On le voit, des thèmes importants, qui ne peuvent laisser indifférents.
Comme le traitement graphique d’ailleurs, puisque Claytan Daniels (que je découvre avec cet album) a choisi de mettre en avant des personnages proches de freaks, que ce soit à la suite de l’expérience « d’augmentation des performances » ratée (en tout cas pour certains objectifs), ou pour la jeune Lina (c’est pour trouver une solution à ses malformations – du visage entre autres – que son père s’est lancé dans l’expérience dont les héros, Hank et Molly, ont servi de cobayes). Cela donne quelque chose de dérangeant.
Surtout que les plus laids ne sont pas toujours ceux qu’on croit. La laideur de l’âme, intérieure, ou la laideur physique ?
Il y a du Cronenberg ou du Tod Browning au niveau de certains aspects de l’histoire et du dessin. On peut aussi penser aux romans « L’ile du docteur Moreau » de Wells, ou « Le professeur Mortimer » de Boule.
Plusieurs passages sont bouleversants (comme quand Hank et Molly vieillissants et en pleine dégénérescence sont confrontés à leurs alter-egos difformes, mais aux performances intellectuelles sans limites). La pagination est conséquente, et régulièrement l’intrigue est relancée, de nouvelles questions (dans les thèmes évoqués plus haut) se posent, et jamais on ne range définitivement ou complètement les personnages dans la case « gentils » ou la case « méchants ».
Une œuvre ambitieuse (l’auteur dit avoir mis près de 20 ans à finaliser ce projet), mais qui se révèle agréable à lire. Une belle réussite, pour lecteurs curieux.
Même s’il peut éventuellement se lire comme un one-shot (pour peu qu’on ne soit pas trop regardant quant à cette fin très ouverte), White Knight est à mes yeux le premier tome d’une série qui se prolonge avec Curse of the White Knight et Beyond the White Knight. Batman –White Knight : Harley Quinn peut, lui, être vu comme un spin-off de cette série.
Ce White Knight est très réussi. Sean Murphy met en place un univers intéressant et introduit le personnage de Jack Napier, seconde personnalité d’un Joker schizophrène. Ce personnage permet à l’auteur de s’attarder à certaines incohérences du personnage même de Batman : sa violence, son immunité alors même que les résultats obtenus sont discutables, la manière dont il emploie sa fortune.
L’histoire est prenante, bien menée et agréablement dessinée. L’univers de Batman est toujours aussi sombre. Les seconds rôles sont essentiels à la construction du récit (mention spéciale à Jack Napier, bien sûr mais aussi aux Harley Quinn). L’ensemble est cohérent et jette de nouvelles bases sur l’univers de Gotham. Des bases qui seront bien plus développées dans le deuxième tome de la série (Curse of the White Knight).
Malgré cette fin trop ouverte à mon goût (mais ce n’est vraiment pas grave si on part du principe qu’il s’agit d’un tome 1), Batman – White Knight est sans doute l’album de Batman que j’ai préféré jusqu’à présent.
« Is my hobby weird ? » est un hentaï de type yuri. Il met en scène trois jeunes lesbiennes qui vont se trouver un intérêt commun et, surtout, des envies très complémentaires.
Contrairement à une grosse majorité de la production pornographique, ce récit se caractérise par le respect qui existe entre les différents personnages. Chacune s’inquiète de l’autre et cherche autant le plaisir de sa (ses) partenaire(s) que le sien. Ce qui n’empêche pas plusieurs scènes bien émoustillantes. Le récit étant relativement long, les personnages ont le temps d’évoluer et le fil narratif offre plusieurs scènes explicites dans des contextes variés (même si, très logiquement, on reste sur un certain fil conducteur puisque les personnages principaux forment un couple voyeur/exhib).
Franchement, j’ai été très agréablement surpris. Le récit est léger, parfois drôle, parfois touchant tout en étant avant tout axé sur le sexe. De plus, le dessin est tout à fait correct et ne souffre pas de la censure.
Un deuxième récit, bien moins intéressant, complète ce manga. Récit dans lequel on retrouve malheureusement le cliché de la domination d’une protagoniste sur une autre.
Le merci à Calcal se confirme. J'avais manqué l'avis de Noir Desir mais vu celui de Calcal, très justement mis en avis de la semaine. Heureusement que BDTheque existe, je serais passé à côté.
Les planches visibles ici m'avaient intrigué, si en plus le scénario suit... Et c'est le cas. C’est dense, bien ficelé, et visuellement saisissant. On suit Marv, ancien inventeur qui a tout perdu, relégué à un boulot de livreur dans une société dystopique où la frontière entre les nantis et les déclassés semble infranchissable. La mission paraît simple : remettre une lettre à Olympe, épouse du tout-puissant Carlus Traitruss. Mais ce qui devait être un simple aller-retour se transforme en un parcours du combattant dans une usine labyrinthique où chaque détour amène dans un nouvel environnement kafkaïen.
Dalin signe tout – scénario, dessin et couleurs, et ca aussi c'est impressionnant. Ce qui frappe en premier, c’est la mise en page, à la fois créative et exigeante. On est parfois un peu perdu, surtout au début : les doubles pages qui s’étirent sur plusieurs temps différents surprennent, mais ce n’est clairement pas de l’innovation pour l’innovation. Il y a du sens derrière ces choix. Chaque composition participe à l’atmosphère de cet univers mécanique et oppressant, un peu à la Horologiom. Certaines pages sont de vraies claques graphiques par la précision des détails, la créativité de l'univers et la richesse de la palette de couleurs.
Le scénario tient la route, ce qui est loin d’être toujours le cas dans ce genre d’univers visuellement ambitieux. Ici, l’histoire avance avec des révélations progressives, un mystère bien dosé et des personnages qui prennent corps. Les dialogues sont ciselés, et les non-dits entre Marv et Olympe donnent une profondeur inattendue à cette intrigue qui pourrait sembler classique sur le papier. L’usine devient presque un personnage à part entière, écrasante, hostile, et symbolique de toutes les barrières sociales que Marv n’a jamais réussi à franchir.
Jean Dalin livre une œuvre qui mélange réflexion sociale, créativité graphique et un récit prenant. L’ambiance, les surprises et cette façon de jouer avec la narration créent quelque chose de nouveau et solide à la fois. Je commence par un 4/5 en attendant le 2e tome, compliqué de dire qu'une oeuvre est culte avant d'en avoir lu l'intégrale. Bravo M. Dalin et encore merci aux précédents aviseurs.
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BRZRKR - Bloodlines
Après la série mère développée sur 3 tomes, revoici BRZRKR ; une série spin-off qui revient sur les nombreux passés de notre immortel. Ce recueil est composé de deux récits : le premier nous narre son passé de gardien de l'Atlantide ; le second revient sur son amour pour la femme du Roi Arnak. Dans les deux cas, on ne va pas faire dans la dentelle, mais plutôt dans le puzzle... C'est ce petit côté "too much" assumé qui fait la saveur de cette série ; "Oui allo bonjour, ça serait pour coller une branlée à Chtullu." "Voilà c'est fait". Faut pas chercher à réfléchir, juste profiter du spectacle. Après les récits sont quand même bien amenés et construits, on est pas dans la série Z non plus. La deuxième histoire en est le meilleur exemple. Côté dessin, idem, les auteurs ont bien bossé et se sont fait plaisir pour ces scènes de boucherie ou de batailles où l'adjectif "épique" parait bien dérisoire. On est dans le dantesque et dans la démesure. Une petite envie de pause gore/pop corn ? Cet série est faite pour vous !
Jérôme K. Jérôme Bloche
Je ne connaissais pas cette ancienne série. Je la découvre à travers les douze premiers opus que possède ma BM. C'est de la bonne série jeunesse qui peut s'ouvrir à un public plus large. J'ai eu un peu de mal à accrocher à cet pseudo détective naïf , pataud qui tient plus du lieutenant Colombo que du Magnum excepté pour son succès auprès des très jolies filles (Babette en premier lieu). Avec son prénom impossible et son allure à la Bogart à contre emploi, il fait "idiot de service" dont on ne se méfie pas assez. Cela permet d'introduire une dose d'humour autour de ses habitudes alimentaires , sa nonchalance ou son permis de conduire. J'ai même eu quelques réserves quand sa bonhomie arrange certaines scènes où il n'est pas trop à son avantage ( jeu de trois). Les enquêtes relèvent souvent du drame familial intime mais font quelquefois appel à des thématiques assez pointues pour la jeunesse ( viol, justice, enfant illégitime…). Par contre j'ai apprécié la galerie de personnages qui gravitent autour de lui. C'est surtout Babette qui apporte avec un charme fou (parfois coquin) et des voisines hautes en couleurs. Les scénarii se renouvèlent bien avec un schéma à la Colombo efficace. Graphiquement j'aime bien le travail de Dodier. Dans un style semi réaliste classique, l'auteur crée de très belles ambiances que ce soit à Paris, en banlieue ou dans les petites villes de province. C'est toujours très bien travaillé avec une belle précision. Dodier réussit très bien à rendre les atmosphères nocturnes ou brumeuse qui ajoutent à l'ambiance de mystère qui plane sur le récit. Une bonne lecture récréative pour tous.
L'Essentiel
S’accorder, l’essence même d’être ensemble par volonté. L’essentiel. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa publication originale date de 2022. Il a été réalisé par Laurent Bonneau pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il compte cent-dix pages de bande dessinée. Laurent conduit sa voiture sur une route de basse montagne avec les bas-côtés enneigés. Un panneau indique un virage un peu serré à gauche. Les glissières succèdent aux fossés sans protection. Un peu de verdure sur les côtés par moment. Un ciel entre gris et blanc, laissant parfois entrevoir un petit morceau de bleu. En son for intérieur, son flux de pensée se déroule. Il voit la route. Il sent le froid. Il respire profondément l’air glacé et il plonge dans ses songes que son dessin prolonge. Le paysage zigzague comme ses pensées. On s’enfonce dans la montagne. Recouverte par la neige, la surface de la terre s’aplanit. On continue d’avancer. Ici la lumière semble jaillir d’ailleurs. Les roches archaïques. Les arbres séculaires. Il écoute le bruit du silence qui craquèle sur cette neige immaculée. Il tente d’esquisser le profil de sa compagne. Elle est là. Elle respire. Ses soupirs l’inspirent. Il voudrait suivre le bruit de ses syllabes intimes à elle au milieu du silence extérieur. On voudrait souvent entrer en l’autre, savoir ce qu’il pense, ce qu’il veut. Âme, esprit, corps, quoi encore ? Il la dessine dans un mouvement de cœur. Trouver les mots pour parler d’elle, son aimée. On progresse dans cette nature que la neige, étonnamment, semble dissimuler. Un frémissement. Comme lorsqu’elle se penche derrière lui, ses lèvres sur son cou. Il la dessine. Il l’écrit. Il essaie, à sa manière, d’essuyer sur la buée des verres de ses pensées. Ça l’aide à la regarder et découvrir une autre figure enfouie en elle : celle, peut-être, de la première fois. La voilà arrivée. Cette vieille maison dans la nature. Il aime lorsque le paysage ne s’arrête plus. Il ne sent plus enfermé. Elle avance. Il sent un chemin se dessiner sous ses pas à elle dans l’immense lumière naissante. Laurent est arrivé à la maison : il regarde sa compagne. Il se dit qu’il avance près d’elle, bien incapable aujourd’hui d’imaginer la vie sans sa présence auprès de lui. Un autre jour, un autre trajet en voiture sous un ciel grisâtre : Laurent se rend au centre pénitentiaire pour animer un atelier de bande dessinée. À nouveau les pensées coulent en flux dans son esprit : il se questionne sur les raisons d’entreprendre ce projet de bande dessinée. Pourquoi encore écrire et dessiner sur l’amour en plus de le vivre ? Serait-ce parce qu’une fois devenus parents, la source initiale de la famille qu’est le couple voit ses repères changer complètement ? Serait-ce une manière pour lui de prendre du recul sur ce nouvel équilibre ? Il arrête sa voiture, il éteint son téléphone et il range ses interrogations dans la boîte à gants. Là où il va tout moyen de communication autre que la parole physique est interdit. Il est amené à voir un autre monde. Un monde que l’on tient caché. Rien que la couverture permet de savoir que cette bande dessinée adopte une approche particulière de la narration en accolant ainsi l’image d’un très gros plan sur le visage d’une femme (sans qu’il soit possible de déterminer ce qu’est l’arrière-plan) et en-dessous un mur rehaussé de barbelés, à l’évidence un mur d’enceinte soit d’un endroit à l’accès bien gardé, soit d’un endroit servant à enfermer. Le lecteur commence le premier chapitre : pas de numéro en bas de page, pas de phylactères ni de cartouches, juste un monologue intérieur et un homme qui conduit. Ce premier chapitre dure treize pages dont les onze premières sont structurées à l’identique : deux cases de la largeur de la page et un court texte entre les deux. Les deux dernières pages accueillent un dessin en double page. Sur ces vingt-trois illustrations, douze sont consacrées au paysage qui défile, ou plutôt la vision qu’en a le conducteur. Trois cases permettent de voir le buste du conducteur. Le reste correspond à ce qu’il voit en vue subjective, une fois arrivé chez lui. Les choix de technique de représentation apparaissent également assez particuliers : des contours pas tout à fait assurés, parfois avec un trait fin, parfois avec un trait plus épais, des traces de couleurs comme du crayon de couleur étalé par frottement avec un papier sur la planche, venant apporter l’impression de couleur naturelle à la surface sur laquelle elles sont appliquées, plus comme une impression, voire une sensation, que de manière naturaliste. Quant à lui, le texte évoque le sentiment amoureux de Laurent pour sa compagne, comment il appréhende cet amour. Pour autant, pas de doute, il s’agit bien d’une bande dessinée : narration séquentielle & interaction entre le texte et les images, tout en étant assez éloignée d’une forme traditionnelle. Le récit est construit en dix chapitres, généralement séparés par une page blanche, entre sept et quinze pages chacun, avec une exception pour le septième composé d’un court texte sur fond blanc en une page. Le fil directeur de cet ouvrage correspond au flux de pensée du narrateur, que le lecteur a tôt fait d’assimiler à l’auteur lui-même. Tout commence avec un retour à la maison, un retour vers l’être aimé, qui aboutit au constat que Laurent est incapable d’imaginer la vie sans elle. Il ne s’agit pas d’une figure de style, mais bien d’une déclaration à prendre au premier degré : ce créateur ne dispose pas d’assez d’imagination pour pouvoir se figurer cette configuration. Ce constat l’amène à mettre en scène l’amour qu’il porte à sa compagne au travers d’abord de ce retour au foyer, puis dans une tentative de scène de dialogue au chapitre trois : de très belles images où il la suit dans la maison jusqu’à l’extérieur. Puis dans le chapitre cinq, au cours duquel il la suit et la dessine de dos alors qu’elle traverse une pelouse va se baigner nue dans un cours d’eau, une ode à la liberté et à la nature, en contraste total avec le chapitre précédent. Enfin dans le dernier chapitre où une autre déambulation le ramène à la suivre, toujours représentée de dos, réfléchissant à la notion de liberté, et à l’essentiel (dans la vie) : S’accorder, l’essence même d’être ensemble par volonté. Le lecteur partage à la fois l’intimité des pensées très personnelles de l’auteur, et à la fois ressent des émotions universelles. Du coup, il perçoit comme un contrepoint les autres chapitres (deux, quatre et six), comme construits pour obtenir un contraste maximal. Le bédéiste intervient dans un centre de détention pour un atelier avec les prisonniers qui s’y sont inscrits. L’ambiance change radicalement, ne serait-ce qu’en passant de couleurs chaudes à une morne grisaille bien plombée. Le décor lui-même se fait plus dur : tout en lignes droites bien tracées, des formes géométriques stériles et inhospitalières. Laurent se fait la réflexion que lui entre de son plein gré dans cette prison, alors que les individus qu’il va voir ne peuvent pas sortir. Il observe les effets de la privation de liberté sur eux : la promiscuité, le silence de ce fait impossible. Il sait qu’il ne fera connaissance avec eux que superficiellement, qu’il ne pourra percevoir que ce qu’ils accepteront de lui montrer. Il est frappé par la récurrence du thème des valeurs morales, tout en en percevant la relativité. Il se pose plusieurs questions, tout en ressentant fortement la souffrance incarnée dans les fils de fer barbelés. Dans le chapitre six, la grisaille au reflet d’acier met en avant le motif des barreaux : des espaces délimités, finis, et la réflexion d’un détenu sur les effets les plus dévastateurs, à savoir être renié ou même simplement jugé par sa famille. Le chapitre huit fait coexister des images de paysages magnifiques entre figuratif et conceptuel, avec l’aboutissement de la réflexion sur l’emprisonnement, le contraste entre monde clos et horizon ouvert, entre solitude choisie dans la nature et l’absence imposée de regard de l’autre sur soi. Le lecteur arrive au chapitre neuf, totalement sous le charme de cette réflexion déambulatoire, un flux de pensées entre ressentis et réflexions, constats et émotions, une expression très personnelle d’une rare honnêteté, transcrivant une façon de voir le monde, à la fois par la manière de le représenter en images porteuses de la sensibilité de l’artiste, à la fois par ce que ses pensées disent de sa manière d’appréhender sa relation amoureuse, ainsi que sa capacité d’empathie à percevoir le ressenti de privation de liberté des détenus. L’avant-dernier chapitre prend le lecteur au dépourvu, en relatant un accident domestique horrible, générant une culpabilité quasi insurmontable chez l’auteur. Le caractère tout relatif de la liberté apparaît alors mis à nu, ainsi que la nature de l’essentiel. Le point de vue de Laurent sur le monde s’en trouve changé, encore moins égocentré, par la prise de conscience de ce qui est essentiel pour lui. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut alors percevoir la construction littéraire de l’ouvrage, bien plus qu’un simple vagabondage de pensées, ou d’une alternance de contraste entre vie personnelle libre et vie carcérale. Pour autant, la narration conserve son goût spontané et franc, honnête et venant du cœur. Ainsi la conclusion présente une force peu commune, entre la critique sur l’hypocrisie des hauts responsables toujours plus médiocres et la profession de foi sur l’essentiel : S’accorder, l’essence même d’être ensemble par volonté. Un coup d’œil superficiel donne l’impression d’une bande dessinée d’art et d’essai, avec des dessins à l’allure empruntée et un flux de pensée égocentré. La lecture génère une impression bien différente : une vision personnelle au travers des images, et un ressenti plein d’humanité et de gratitude envers la richesse de sa vie grâce à sa compagne et la conscience de sa liberté par comparaison avec des détenus. Avec cette narration personnelle, Laurent partage des facettes intimes de son expérience de vie, et le cheminement vers ses convictions profondes.
Wilderman
J’étais curieux de voir Gatignol seul à la barre après la très étonnante série Petit. Le dessin était plutôt engageant, sinon carrément séduisant. De fait, le ramage est à l’image de son plumage. En tout cas moi, je suis tombé sous le charme de cette histoire, qui devra certes se trouver confirmée par la suite. Mais à en juger par ce seul premier volume, on tient là une petite pépite. Graphiquement, c’est splendide, mais je ne m’étendrai pas sur le sujet car celzéceux qui connaissent Petit seront convaincus : trait fin, précis, expressif. Sur Wilder Man, l’usage de la couleur apporte tout le dynamisme qui sied à cette folle aventure. Comme pour Furieuse de Monde et Burniat, on a affaire à un truc totalement déjanté qui déboule à cent à l’heure. En outre, comme pour la BD précitée, la recette est peu ou prou la même : Gatignol fait une grosse salade avec plein d’ingrédients épars puisés dans la culture populaire. Un peu de conte traditionnel avec Le Petit Chaperon rouge, Baba Yaga, La Pomme d’Or… Du manga avec des références à Dragonball ou Pokemon. Un peu de loup-garou aussi, sans oublier un brin de références historiques (l'Inquisition, les Templiers)… Bref ! A ce stade, on pourrait légitimement se dire qu'il y a risque d'indigestion, voire de surcharge cognitive, à l’image du personnage de Patoune qui se retrouve complètement amorphe à force d’avoir ingéré une telle quantité de nourriture. Mais bien au contraire, cette surenchère galvanise le lecteur et s'accorde parfaitement avec le caractère explosif de ce début de série. Et quand arrive la fin de ce premier tome, sa curiosité est piquée au vif. Pour moi, ce seul premier tome est une promesse totalement jouissive, et pour peu, j'en serais presque le premier surpris. Mais je dois bien le reconnaitre, j'ai enquillé la lecture comme un mort de faim. Oui, c'est jouissif, c'est vraiment le mot. Et prometteur aussi !
Sacrifice
Oh bah ça c’est du chouette comics !! J’ai une petite crainte que la suite devienne plus classique mais en l’état ce premier tome est assez terrible. 6 chapitres qui m’ont tenu en haleine de la première à la dernière pages. J’avais déjà croisé les auteurs mais sans qu’ils retiennent mon attention. Chose réparée maintenant, ils livrent ici du superbe boulot. Ce qui saute indéniablement aux yeux, est bien sûr le talent graphique déployé. J’ai bloqué 2 secondes sur une tête du pigeon avant d’être vite emporté. C’est détaillé, magnifiquement colorié et agencé, le charac design fait le reste pour nous dépayser. Les couvertures sont toutes excellentes (comme les bonus en fin d’album). Bref du très bon à mes yeux, un plaisir de lecture décuplé. L’histoire n’est pas en reste, je n’ai pas été vraiment surpris de la tournure des événements mais je ne l’avais pas pour autant deviné. Tout est bien amené, univers, personnages et enjeux pour une suite qui me tarde déjà de connaître. De la bonne Fantasy, je n’en dis pas trop, le titre et la description vendant bien le bousin. En gros, notre héros/grain de sable va chambouler un petit monde bien établi. Il y a un certain savoir faire pour faire du neuf avec du vieux. J’ai trouvé ça très cool à suivre, une excellente entame de série.
Des fourmis dans les jambes (André Derainne)
Vous avez le Sans contact ? - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première édition date de 2023. Il a été réalisé par André Derainne pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend soixante-six pages de bande dessinée. Cet auteur a également réalisé Un orage par jour paru en 2021. À l’aéroport Charles de Gaulle, les avions sont bien alignés, connectés chacun à leur passerelle, attendant les passagers. Une jeune femme parcourt une circulation dans la file de nombreuses personnes anonymes, l’esprit préoccupé. Les fourmis qui grimpent le long de ses jambes l’empêchent de marcher. Elle aimerait qu’elles s’en aillent. Elle aimerait accélérer le pas, répondre au téléphone qui vibre dans son sac, et aller aux toilettes. Pas nécessairement dans cet ordre. Ainsi troublée, elle éprouve l’impression de se déplacer dans une autre direction que le flux de passagers dont elle fait partie. C’est comme si elle est en décalage par rapport au flux bien ordonné, comme si les autres êtres humains se déplacent à dans un espace-temps qui n’est pas le sien. Elle s’extirpe de ce mouvement pour passer aux toilettes, puis se laver les mains, les passer dans un sèche-mains électrique à flux d’air. En sortant, elle active ses oreillettes sans fil et elle appelle son ami. Celui-ci lui l’informe que le jardin a un peu perdu de son charme, en espérant qu’elle n’est pas trop déçue : des sangliers ont mangé toutes les iris. La jeune femme répond qu’on dirait que les sangliers attendaient qu’elle s’en aille. Elle continue : il faudrait construire des barrières, inventer des pièges, elle ne se sait pas. Elle s’interroge : Pourquoi viennent-ils chez eux ? Le potager des voisins est très bien. Son compagnon indique que ce n’est pas tout : il a vu des petits aussi, il y en a sept. La jeune femme éprouve des difficultés à y croire : Sept marcassins, c’est une blague ? Elle se lamente sur son pauvre jardin. Tout en discutant, elle a continué à marcher dans les couloirs sans fin, avec des individus qui passent autour d’elle, dans le même sens ou en sens contraire. Parmi eux, un père avec sa fille assise sur la valise à roulettes, une famille de trois personnes avec le jeune enfant tenant la main de ses parents de chaque côté. Elle s’arrête devant un panneau indicateur dont les logos signalent que les avions se trouvent vers la droite et les bagages vers la gauche. Elle se dit pour elle-même que ça se tente : à elle la France ! Elle change donc de destination et elle rappelle son compagnon. Chemin faisant d’un bon pas, elle lui fait observer qu’il a une drôle de voix depuis tout à l’heure… Il explique qu’il est resté au lit toute la journée, c’est pour ça. Elle le rassure en lui disant que ça passe vite six mois, et puis il viendra la voir. Il la détrompe : Ce n’est pas ça, lorsqu’il s’est levé, il a été pris de vertige, et depuis il a mal au ventre. Il trouve que le soleil est méchant en ce moment. Elle trouve ça inquiétant, il devrait peut-être appeler quelqu’un. Il la rassure : si demain il ne va pas mieux, il annulera le shooting et il prendra rendez-vous chez le médecin. Mais qu’est-ce que c’est que ça ? De prime abord, ce n’est pas bien compliqué : une jeune femme qui est entre deux avions dans les couloirs impersonnels de l’aéroport Charles de Gaulle. Elle discute avec son compagnon, se promène dans cet environnement si particulier, saisissant une occasion de sortir pour humer l’air de Paris, pour s’échapper de ce lieu de transit, pour pénétrer dans un endroit identifié, un lieu avec de la personnalité. La narration visuelle repose sur des dessins aux formes simples, voire simplistes, colorées, avec des fonds de case régulièrement d’une couleur unie, et un jeu sur le positionnement des personnages, en particulier les anonymes qui se trouvent en décalage par rapport à la jeune femme, pouvant marcher aussi bien un ou deux mètres sur le côté, ou même à la verticale le long d’une bordure de case, voire dans ses cheveux en étant représentés comme minuscule. Le lecteur se rend compte que cette histoire prend fin au milieu de l’ouvrage : la seconde partie s’attache à suivre une autre jeune femme, pas nommée non plus, également en transit dans un aéroport, probablement le même. Celle-ci part d’une chambre d’hôtel, se rend à l’aéroport, et y constate que son avion est retardé de trois heures, un temps qu’elle va essayer d’occuper. Elle converse également avec un interlocuteur. Cette fois-ci, ce ne sont pas les autres passagers en transit ou en attente qui forment son environnement, mais les différents lieux de l’aéroport. La couverture annonce explicitement les partis pris visuels de la narration : un avion représenté de manière très simplifié, une quantité de points lumineux composant une figure géométrique abstraite, tout en évoquant la complexité de la signalétique lumineuse des pistes de décollage et d’atterrissage. En effet, chacune des deux femmes est représentée de manière simple et douce : des traits de contour délicats pour la forme de leur silhouette, la seconde semblant un peu plus longiligne que la première. Les traits de visage se limitent aux yeux et sourcils, nez et lèvres, sans modelé du visage, sans ride ou grain de peau. Les chevelures sont différentes : une teinte blonde avec des reflets de gris pour la première, des cheveux noirs de jais pour la seconde. Les autres êtres humains de passage commencent par de simples silhouettes de profil avec des tenues vestimentaires différenciées, des coupes de cheveux particulières. Puis les individus marchent en parallèle de la protagoniste, éloignés de plusieurs mètres, représentés comme plaqués sur le mur, mélangeant la perspective du dessin, et la distance dans l’esprit de la jeune femme. Une poignée d’individus passent plus près d’elle et disposent de traits de visage a minima comme elle, et il en va également de même pour ceux qui croisent la deuxième protagoniste. Le lecteur ressent cette distanciation comme étant la perception et le ressenti qu’en ont l’une et l’autre. L’autre aspect singulier de la narration visuelle apparaît également dès la première page. Celle-ci contient deux cases de la largeur de la page, et celle du dessous constitue un fond uniformément gris traversé par un tube vert en coupe, avec une petite pente dans le premier quart, puis plat, emprunté par les voyageurs, une passerelle aéroportuaire fermée, déjà de couleur verte dans la première case. Cette représentation tient à la fois de l’épure simplifiée, du schéma basique, tirant vers le pictogramme ou l’idéogramme des panneaux de signalisation et de direction. L’artiste joue également avec des associations visuelles : par exemple le reflet du disque solaire sur un mur est similaire à celui des plafonniers dans certains couloirs. Par la suite ce disque jaune peut apparaître dans une case, dissocié de tout contexte rappelant aussi bien l’un que l’autre. Devant un ascenseur, le signal lumineux indiquant une cabine arrivant à la montée devient assez flou pour être identique à l’une des balises lumineuses sur la piste. Dans la seconde partie, cette similitude visuelle fait se rapprocher les étoiles dans le ciel des points d’éclairage diffus dans certains couloirs. Cela induit, chez le lecteur, un automatisme d’association conscient ou inconscient entre différents éléments hétérogènes dont l’apparence de la représentation devient très proche. Dans la seconde partie, l’artiste se focalise plus sur la transformation des lieux, par simplification, par rapprochement, ou encore par paréidolie. Page trente-quatre un avion part ; page trente-cinq un avion arrive. Dans les deux pages suivantes, des cases disposées en trois bandes de deux, des cases noires avec des taches de couleur et une mince ligne continue de couleur, ou discontinue en pointillés irréguliers. Le contexte permet de comprendre qu’il s’agit de l’impression visuelle des pistes de décollage la nuit. Pour les deux pages suivantes, même disposition de cases et des points blancs, d’abord un seul sur la troisième case, puis de plus en plus : il neige, sans aucun texte ou mot. En soi, rien de d’extraordinaire, à ceci près que cela installe ces motifs visuels dans l’esprit du lecteur qui va immédiatement les identifier par la suite, même si le contexte ou l’objet est différent, comprenant que ce motif est également rémanent dans l’esprit de la jeune femme, provoquant des associations d’idées ou de sensations par automatisme. Elle n’arrive pas à dormir et va déambuler dans les allées, vestibules et halls, où elle ne croise que quelques rares êtres humains. L’artiste isole un élément de décor ou un autre sur un fond vide, créant ainsi une sensation de détachement, d’irréalité, de perte de sens pour ces morceaux isolés de leur contexte. L’intrigue passe au second plan dans l’esprit du lecteur captivé par l’expérience visuelle, quasiment hypnotique. Pour autant, la première femme découvre qu’elle a quelque chose à dire à son compagnon, et la seconde se retrouve coupée de tout contact et se parle à elle-même. L’une et l’autre font l’expérience de cette coupure du monde normal, dans cet endroit dont la seule fonction est de passer d’un avion à un autre, et d’attendre. La narration visuelle donne à voir la déréalisation que les lieux provoquent en ces deux êtres humains, l’impersonnalité et l’impermanence, deux forces destructurantes annihilant l’intime et la continuité. Dans un premier temps, il semble au lecteur que le seul point commun entre les deux parties soient les lieux. Après coup, il compare ce qui s’est opéré en chacune des deux femmes. La première a appris une information très personnelle dans ces lieux impersonnels, ce qui a changé sa vie de manière significative. La seconde est arrivée en état d’agitation irrépressible et l’étrangeté irréelle de l’aéroport en période nocturne a eu un effet inattendu sur elle. L’une et l’autre se sont adaptées chacune à leur manière à ce lieu de passage, leur propre situation les amenant à un comportement différent. Une bande dessinée singulière. Par son intrigue très simple et très linéaire, scindée en deux parties dont le seul point commun est l’aéroport et le fait qu’il s’agisse de deux femmes. Par sa narration visuelle : des effets impressionnistes et expressionnistes, des éléments abstraits, des structures conceptuelles, vingt-et-une pages silencieuses, des pictogrammes, autant de composants qui participent à la fois à la déréalisation et à une expérience sensorielle extraordinaire. Un voyage singulier.
Âme Augmentée
Un album exigeant – en termes de temps de lecture, mais aussi parce que, sans avoir un texte très abondant, il propose quelque chose de très dense. Exigeant car riche en thèmes abordés. Le clonage, les thérapies géniques, voire l’eugénisme et donc aussi des questions d’éthique. Et la notion d’identité, de personne (et le dédoublement de personnalité). L’idée de beauté ou de laideur, etc. On le voit, des thèmes importants, qui ne peuvent laisser indifférents. Comme le traitement graphique d’ailleurs, puisque Claytan Daniels (que je découvre avec cet album) a choisi de mettre en avant des personnages proches de freaks, que ce soit à la suite de l’expérience « d’augmentation des performances » ratée (en tout cas pour certains objectifs), ou pour la jeune Lina (c’est pour trouver une solution à ses malformations – du visage entre autres – que son père s’est lancé dans l’expérience dont les héros, Hank et Molly, ont servi de cobayes). Cela donne quelque chose de dérangeant. Surtout que les plus laids ne sont pas toujours ceux qu’on croit. La laideur de l’âme, intérieure, ou la laideur physique ? Il y a du Cronenberg ou du Tod Browning au niveau de certains aspects de l’histoire et du dessin. On peut aussi penser aux romans « L’ile du docteur Moreau » de Wells, ou « Le professeur Mortimer » de Boule. Plusieurs passages sont bouleversants (comme quand Hank et Molly vieillissants et en pleine dégénérescence sont confrontés à leurs alter-egos difformes, mais aux performances intellectuelles sans limites). La pagination est conséquente, et régulièrement l’intrigue est relancée, de nouvelles questions (dans les thèmes évoqués plus haut) se posent, et jamais on ne range définitivement ou complètement les personnages dans la case « gentils » ou la case « méchants ». Une œuvre ambitieuse (l’auteur dit avoir mis près de 20 ans à finaliser ce projet), mais qui se révèle agréable à lire. Une belle réussite, pour lecteurs curieux.
Batman - White Knight
Même s’il peut éventuellement se lire comme un one-shot (pour peu qu’on ne soit pas trop regardant quant à cette fin très ouverte), White Knight est à mes yeux le premier tome d’une série qui se prolonge avec Curse of the White Knight et Beyond the White Knight. Batman –White Knight : Harley Quinn peut, lui, être vu comme un spin-off de cette série. Ce White Knight est très réussi. Sean Murphy met en place un univers intéressant et introduit le personnage de Jack Napier, seconde personnalité d’un Joker schizophrène. Ce personnage permet à l’auteur de s’attarder à certaines incohérences du personnage même de Batman : sa violence, son immunité alors même que les résultats obtenus sont discutables, la manière dont il emploie sa fortune. L’histoire est prenante, bien menée et agréablement dessinée. L’univers de Batman est toujours aussi sombre. Les seconds rôles sont essentiels à la construction du récit (mention spéciale à Jack Napier, bien sûr mais aussi aux Harley Quinn). L’ensemble est cohérent et jette de nouvelles bases sur l’univers de Gotham. Des bases qui seront bien plus développées dans le deuxième tome de la série (Curse of the White Knight). Malgré cette fin trop ouverte à mon goût (mais ce n’est vraiment pas grave si on part du principe qu’il s’agit d’un tome 1), Batman – White Knight est sans doute l’album de Batman que j’ai préféré jusqu’à présent.
Is my hobby weird ?
« Is my hobby weird ? » est un hentaï de type yuri. Il met en scène trois jeunes lesbiennes qui vont se trouver un intérêt commun et, surtout, des envies très complémentaires. Contrairement à une grosse majorité de la production pornographique, ce récit se caractérise par le respect qui existe entre les différents personnages. Chacune s’inquiète de l’autre et cherche autant le plaisir de sa (ses) partenaire(s) que le sien. Ce qui n’empêche pas plusieurs scènes bien émoustillantes. Le récit étant relativement long, les personnages ont le temps d’évoluer et le fil narratif offre plusieurs scènes explicites dans des contextes variés (même si, très logiquement, on reste sur un certain fil conducteur puisque les personnages principaux forment un couple voyeur/exhib). Franchement, j’ai été très agréablement surpris. Le récit est léger, parfois drôle, parfois touchant tout en étant avant tout axé sur le sexe. De plus, le dessin est tout à fait correct et ne souffre pas de la censure. Un deuxième récit, bien moins intéressant, complète ce manga. Récit dans lequel on retrouve malheureusement le cliché de la domination d’une protagoniste sur une autre.
La Trahison d'Olympe
Le merci à Calcal se confirme. J'avais manqué l'avis de Noir Desir mais vu celui de Calcal, très justement mis en avis de la semaine. Heureusement que BDTheque existe, je serais passé à côté. Les planches visibles ici m'avaient intrigué, si en plus le scénario suit... Et c'est le cas. C’est dense, bien ficelé, et visuellement saisissant. On suit Marv, ancien inventeur qui a tout perdu, relégué à un boulot de livreur dans une société dystopique où la frontière entre les nantis et les déclassés semble infranchissable. La mission paraît simple : remettre une lettre à Olympe, épouse du tout-puissant Carlus Traitruss. Mais ce qui devait être un simple aller-retour se transforme en un parcours du combattant dans une usine labyrinthique où chaque détour amène dans un nouvel environnement kafkaïen. Dalin signe tout – scénario, dessin et couleurs, et ca aussi c'est impressionnant. Ce qui frappe en premier, c’est la mise en page, à la fois créative et exigeante. On est parfois un peu perdu, surtout au début : les doubles pages qui s’étirent sur plusieurs temps différents surprennent, mais ce n’est clairement pas de l’innovation pour l’innovation. Il y a du sens derrière ces choix. Chaque composition participe à l’atmosphère de cet univers mécanique et oppressant, un peu à la Horologiom. Certaines pages sont de vraies claques graphiques par la précision des détails, la créativité de l'univers et la richesse de la palette de couleurs. Le scénario tient la route, ce qui est loin d’être toujours le cas dans ce genre d’univers visuellement ambitieux. Ici, l’histoire avance avec des révélations progressives, un mystère bien dosé et des personnages qui prennent corps. Les dialogues sont ciselés, et les non-dits entre Marv et Olympe donnent une profondeur inattendue à cette intrigue qui pourrait sembler classique sur le papier. L’usine devient presque un personnage à part entière, écrasante, hostile, et symbolique de toutes les barrières sociales que Marv n’a jamais réussi à franchir. Jean Dalin livre une œuvre qui mélange réflexion sociale, créativité graphique et un récit prenant. L’ambiance, les surprises et cette façon de jouer avec la narration créent quelque chose de nouveau et solide à la fois. Je commence par un 4/5 en attendant le 2e tome, compliqué de dire qu'une oeuvre est culte avant d'en avoir lu l'intégrale. Bravo M. Dalin et encore merci aux précédents aviseurs.