La série L’Arabe du futur avait réellement propulsé Riad Sattouf comme génie français de la BD jusqu’à recevoir le grand prix de la ville d’Angoulême en 2023, j’avais moi-même adoré cette série et j’étais donc naturellement heureux de savoir que Sattouf revenait sur le devant de la scène avec un spin-off de sa série emblématique. Dans Moi, Fadi, le père volé, on suit l’histoire cette fois-ci du point de vue de Fadi (le plus jeune frère) qui se fait enlever par son père et passe du jour au lendemain des environs de Rennes aux environs de Homs en Syrie. Avec un charme similaire à la série originale, j’ai beaucoup aimé redécouvrir cette Syrie des années 80 du point de vue d’un enfant (l’école, les autres enfants, la nourriture). L’histoire est évidemment tragique et fluctue entre les détails de la découverte de la vie en Syrie et du traumatisme de perdre sa mère et ses frères. J’ai bien aimé également le côté autobiographique mais réalisé par quelqu’un d’autre (par exemple, voir Riad non plus comme le personnage principal mais cette fois-ci secondaire). Quant aux dessins il est assez similaire à ce que l’auteur a proposé au cours des dernières années, des personnages simples et emblématiques, parfois mystiques avec les grand-mères aux visages fatigués et voilés des campagnes syriennes. J’ai hâte à la suite de l’histoire !
Génie de la BD italienne, cela faisait longtemps que je n’avais pas lu d’œuvres de Gipi ! Notes pour une histoire de guerre suit trois adolescents dans un contexte de guerre sans que l’on sache vraiment où ni quand, les trois héros semblent avoir fugué et finissent par rencontrer un groupe de mafieux qui leur confient des missions avant la grande mission finale qui les amènera vers la guerre… Cette œuvre est géniale pour plusieurs raisons, tout d’abord l’histoire tient vraiment en haleine du début à la fin et j’ai beaucoup aimé les différentes techniques de narration utilisées au fil de l’œuvre (le découpage des trois parties principales ainsi que l’alternance entre rêves et réalités ou bien angle filmé et angle non-filmé qui se traduit par une alternance du style dessin). Aussi le thème de la guerre est vraiment traité subtilement, la violence guerrière n’est jamais montré, les désastres de la guerre sont seulement évoqués comme quelque chose du passé, je n’ai pas toutes les clés de compréhension mais j’ai hâte de trouver une fiche de lecture qui analyserait tout cela; enfin et ce n’est pas des moindres, Gipi maitrise parfaitement son aquarelle et j’aime bien le côté faussement approximatif de son dessin. À lire !
Daniel Clowes est souvent considéré comme un des grands auteurs de la bd américaine alternative, avec une production incroyable de courtes histoires dans son magazine Eightball dans les années 90 puis ensuite des romans graphiques plus longs et tout autant adulés depuis les années 2000; Caricature est une compilation de neuf petites histoires de Eightball que j’ai dévoré et adoré (mes préférées sont Comme une brindille Joe, et Caricature); ce recueil couvre un bel ensemble des thématiques qui Clowes couvre souvent (la solitude, l’amour perturbé, une vision pessimiste du monde) et les personnages évoluent dans des histoires toujours plus absurdes (c’est du Lynch sur papier) et c’est vraiment bien écrit (voire traduit dans le cas présent); d’un point de vue graphique l’auteur est assez fidèle à son style, jouant beaucoup avec les contrastes et des personnages aux têtes charismatiques, j’ai un peu de mal avec sa coloration (couleurs trop kitschs, mal balancées, pas très plaisantes) mais son noir et blanc transmet parfaitement l’univers qu’il veut imposer; Caricature est soit une belle introduction pour découvrir Clowes ou un complément judicieux si vous en explorer plus sa bibliographie !
Je suis sortie époustouflée de cet album. Et j'ai encore du mal à me l'expliquer !
C'est une histoire du quotidien : deux sœurs qui galèrent dans la vie de tous les jours... Deux personnages que l'on a déjà croisés, leurs conversations, leurs raisonnements sur la vie, leur humour... L'une mère solo et l'autre qui n'a pas encore trouvé sa place. Zigzagant entre parking de supermarché et plage, leur vie ensoleillée et engluée dans les difficultés économiques nous touche profondément.
Deux raisons à cela :
1. Les dialogues : tout proche du documentaire, mais sans jamais un mot de trop : une gestion des silences qui a quelque chose de cinématographique, on est dedans, c'est un miroir de nos vies ! Le flot des paroles se prolonge dans le flux de leurs pensées. Et le fait que l'auteur se soit inspiré de ses propres sœurs joue surement un rôle dans cet effet de véracité , il reconstitue les justifications qu'elles donnent à leurs choix à partir de ses souvenirs.
2. L'image : une aquarelle de banlieue qui frappe par sa couleur très bien observée et un contraste inattendu entre le flou général et la précision hyper-emouvante des visages. Jamais vu ça ! Si vous avez vu Journal Intime de Nani Moretti, où on suit une Vespa dans les rues de Rome, vous avez une idée de l'impression : tout Rome qui défile sans qu'on puisse faire la mise au point et la nuque du personnage qui reste nette. En film , ça fait mal à la tête, en BD ça nous jette dans un mouvement fictif.
Bref, je vous conseille vraiment cette expérience de lecture, tout-à-fait inédite pour ma part, qui ouvre le cœur et laisse une nostalgie étrange.
Bordesoules...Je retiendrai ce nom.
J ai acquis ce livre à petit prix dans une bourse aux livres de médiathèque municipale. Quelle bonne surprise !
Des dessins de merveilleuse qualité, un scénario qui nous tiens en haleine toute la lecture.
J’avais de nombreux aprioris sur ce livre de part son format, sa couverture, le sujet abordé mais j’ai eu tord.
Superbe récit plein d’espoir comme l’indique le titre de l’œuvre. Je ne peux que vous le conseillé.
Faire des biographies en BD sur des figures modernes controversées semble être à la mode. Ici, on a donc droit à la biographie de Recep Tayyip Erdogan qui dirige la Turquie depuis plus de deux décennies.
La biographie raconte sa vie jusqu'à son ascension au pouvoir. On ne voit donc pas son règne comme premier ministre puis président de la Turquie. Cela peut-être un peu décevant, mais au moins cela permet de mieux développer l'histoire de sa vie parce que les auteurs ont en long à dire sur plus de 300 pages très complet. J'espère juste qu'il va avoir une suite qui servirait de complément à ce très bon album. On suit donc Erdogan de sa jeunesse à son ascension au pouvoir ultime après avoir subit plusieurs revers politiques. J'ai trouvé que c'était intéressant parce qu'on voit que c'est un animal politique rusé qui sait comment rebondir chaque fois qu'il est au bord du gouffre et semble fini.
À travers lui, on voit aussi la complexité de la société turque qui est pris entre la laïcité et un islam plus traditionnel et qui est aussi sujet à des coups d'états par les militaires. J'ai adoré découvrir la politique de ce pays. L'histoire d'Erdogan est malheureusement commun si on connait l'histoire de l'Islam politique: soutient du pouvoir et de l'occident qui préfère les traditionnelles à la gauche révolutionnaire, double jeu de la part d'Erdogan qui se prétend plus moderne et ouvert d'esprit en mettant en avant des femmes, il a des premiers bons résultats parce que l'opposition est divisé, lorsqu'on se rends contre que les extrémistes ont trop de pouvoir c'est un peu trop tard et dès qu'il a du pouvoir il montre son vrai visage. Le plus triste est qu'il le montre lorsqu'il a été maire d'Istanbul, mais il y avait encore des naïfs pour croire ses mensonges. Cela rappel certains politiciens d'extrême-droite occidentaux qui peuvent dire tout ce qu'ils veulent, il y aura toujours des gens pour les défendre !
Les auteurs sont deux ressortissants qui sont contre le régime d'Erdogan, mais ils essaient d'être le plus neutre possible et il y a donc des moments où Erdogan peut paraitre sympathique et comme une victime. Le dessin est vraiment plaisant à regarder, c'est le style réaliste que j'aime retrouver dans un documentaire.
Comme pour son précédent opus, « Le Jardin- Paris », Gaëlle Geniller nous emmène une fois encore dans son univers si particulier, hors du temps, et cela est fort plaisant. Après le monde des cabarets aux velours froufroutants, elle nous invite dans un immense manoir victorien aux recoins sombres où des fantômes ont élu domicile.
A la façon des spectres du récit, qu’il s’agisse des trois corneilles, des portraits ou de cette ombre un peu inquiétante, le lecteur va observer Guerlain déambuler dans les vastes pièces de la demeure, en cherchant le sommeil comme les réponses aux questions qui l’assaillent. Notamment cette amnésie sur son enfance dans les lieux, amnésie qui a fait du jeune dandy trentenaire une sorte de zombie fragile, marqué par la fatigue avant l’âge. Présence rassurante, son fils Nisse semble avoir ce don de converser avec les esprits du lieu et sera peut-être celui qui l’aidera à recomposer le puzzle d’une vie où les souvenirs se sont émiettés. Constamment en éveil, c’est le gamin qui va trouver par hasard dans un tiroir un herbier oublié par son père. Il s’avère que celui-ci l’avait fabriqué durant son enfance, en imaginant que chaque fleur correspondait à une émotion…
Et pourtant, il ne manque pas d’amour, Guerlain. Choyé par son épouse depuis le premier coup de foudre il y a douze ans, qui doit le rejoindre dès qu’elle sera moins accaparée par son boulot, admiré par son fils dont l’affection est totalement réciproque, couvé par ses trois sœurs qui l’appellent sans relâche pour savoir s’il va bien, le jeune homme *
ne trouve pas le temps d’aller mal, même si au fond de son âme, il ressent comme un manque, avec cette sensation d’être prisonnier d’un labyrinthe aux parois de verre. C’est alors une quête irréelle qui va s’engager pour lui permettre de remonter le fil de son enfance égarée…
A l’instar du « Jardin – Paris », « Minuit passé » est un pur enchantement graphique, traversé par une poésie immersive aux senteurs florales, peut-être celles des pétales déposées délicatement sur le visage de Guerlain par les trois corneilles… On a vraiment l’impression d’y être dans cette demeure, où tout n’est que calme et volupté. Le trait tout en finesse est rehaussé d’une savante mise en couleur, qui rappelle le travail de Mayalen Goust avec son récent « D’or et d’oreillers », davantage dans le registre du conte noir. Ce qui distingue Gaëlle Geniller de sa consœur, c’est clairement l’influence manga pour la représentation des visages, mais néanmoins cette autrice creuse son propre sillon, loin des codes « industriels » de la BD nipponne. C’est avec générosité qu’elle nous offre ici un travail d’orfèvre pour ravir nos pupilles gourmettes.
Avec « Minuit passé » ce n’est pas tant la narration qui marquera le lecteur que la sensation éthérée qui s’en dégage, car il faut l’avouer, les plus impatients risquent de ne point y trouver leur compte. Le livre se déguste à la façon d’un scone qu’on prendrait à l’heure du thé dans un salon anglais, et sans risque de trouver de l’arsenic dans sa tasse. Ainsi se décrit l’univers de Gaëlle Geniller, un univers aimable et chatoyant, sorte de cocon étranger à la violence du monde. Certains esprits chagrins le déploreront peut-être, mais il sera difficile pour toute âme amoureuse du beau de résister au charme de ce que l’on pourrait qualifier d'oasis graphique. On notera pour terminer le travail éditorial, assez rare faut-il le préciser, sur les tranches de l’ouvrage agrémentées de jolis motifs floraux aux tonalités vertes. Un raffinement jusqu’au bout de l’objet, et un argument de plus en faveur du livre imprimé…
J'ai acheté ce livre dans une bourse aux livres de bibliothèque municipale et donc payé un tout petit prix. Je n’en attendais rien et la couverture ne m’a pas franchement attirée mais, je ne suis pas déçue de cet ouvrage, que je trouve très optimiste.
Il se dévore rapidement et je regrette simplement l’absence de couleur de l’album (nuances de noir et blanc). Une bande dessinée qui nous éclaire sur le sens de nos vies et la perception que l’on peut avoir de la réussite.
Je recommande !
3.5
Un bon documentaire qui montre les efforts que l'historienne Rebecca Hall a faits pour retrouver des informations sur la révolte d'esclaves faite par des femmes noires.
J'avais un peu peur au début parce que je n'aime pas trop le dessin qui est typé dans le style underground américain que je n'aime pas trop, mais j'ai fini par m'habituer parce que la quête de Hal est passionnante à lire. J'aime l'histoire et j'ai bien aimé voir comment est fait le travail de recherche d'une historienne. On voit notamment que c'est souvent difficile d'avoir accès à des archives, car certaines personnes haut placées n'ont pas trop envie qu'on rouvre le dossier sur l'esclavage transatlantique. Rebecca Hall met aussi les points sur les i sur certaines idées reçues sur l'esclavage. À travers les témoignages qu'elle réussit à retrouver, on sent la déshumanisation des noirs (les esclaves n'ont plus de noms ou de passés) et aussi le sexisme dans la société patriarcale.
Un one-shot pour ceux qui s'intéressent à des questions sociales qui sont encore d'actualité, et qui le seront malheureusement pendant encore longtemps.
Quand on a fini de scroller, on a l’impression de sortir d’une faille temporelle.
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Ce tome contient un exposé complet qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour être apprécié et compris. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Gurvan Kristanadjaja pour le scénario, et par Joseph Falzon pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-neuf pages de bande dessinée. Il se termine avec une page référençant les seize sources citées, et une photographie du chien Sirius.
Le narrateur est confortablement installé sur son lit, en train de scroller. Un jour, il s’est fait avoir. C’était en 2019, au moment où Instagram prenait une place de plus en plus importante dans les vies. Quand il s’ennuyait, il regardait des stories pour tuer le temps. Il voyait constamment la même pub pour un sac à main végan. Il était présenté par une marque assez connue sur les réseaux sociaux, qui montrait régulièrement de jolis objets. À force de le voir, il a fini par l’acheter pour sa copine. Il ignore pourquoi, il sait seulement qu’il n’avait pas d’idée cadeau et que ça lui est venu comme ça, sans réfléchir. Le jour de Noël venu, il offre le sac et sa copine lui rappelle qu’il sait bien qu’elle déteste la couleur orange. Quand elle lui a rappelé ça, il est tombé de haut. Ce sac, il pense qu’il ne l’aurait jamais acheté sans Instagram. C’est comme si quelqu’un lui avait soufflé plusieurs fois par jour au creux de l’oreille directement à son cerveau : Achète ce sac… Bref, il a réalisé qu’il avait été sous influence. Oui, il s’est fait avoir par une pub, quoi… Hé bien pas tout à fait. La publicité ça a toujours plus ou moins existé. On pourrait trouver trace du premier affichage publicitaire à Thèbes, en Égypte antique, 1000 avant Jésus-Christ. Ou dans la Rome antique. En France, les années 1960 marquent un premier tournant avec l’arrivée de la télévision dans les salons.
Dans l’hexagone, la publicité a toujours été considérée comme abrutissant, immorale. Pourtant, sous l’impulsion de ces nouveaux modes de diffusion, elle gagne du terrain. Les marques et les diffuseurs vont désormais cibler leur public. Avant un dessin animé pour enfant, ils vont vanter les mérites d’un nouveau jouet. Avant le JT, à l’heure du dîner, ceux d’un nouveau robot mixeur. À la bascule des années 2000, la publicité connaît une autre révolution. Secrètement, dans leurs open spaces, les cadres se prennent à rêver. Depuis l’avènement des réseaux sociaux, qui marque l’entrée dans une nouvelle ère de communication, ce sont des algorithmes qui font la loi. Ce sont des petits programmes informatiques qui indiquent à l’ordinateur comment effectuer une tâche. Les algorithmes vont suggérer, en fonction de nos goûts, ce que l’on doit voir ou non. Les cadres de la pub se sont servis de ces nouveaux usages pour faire de la publicité ciblée. Ils vont suggérer à Brendan et Monique d’acheter des produits proches de leurs goûts. C’est l’émergence des influenceurs, dans les années 2010 qui a bouleversé le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui. Sur Instagram, Youtube ou TikTok, des personnalités ont acquis une popularité telle qu’elles sont à même de faire bouger les foules.
La couverture très réussie montre une influenceuse suivie par une foule formant un cœur comme pour Liker, avec une zone libre pour le titre, et avec le recul, le lecteur constate qu’il peut y voir Sirius en bonne place, le chien du narrateur, l’animal de compagnie pour lequel il crée un compte Instagram au nom de sirius_lekiki. L’ouvrage est de nature didactique et vulgarisateur. Il se compose d’une introduction, et de sept chapitres dont les titres sont : 1 – À la recherche du premier influenceur, 2 – Dans l’intimité des influenceurs : derrière la vie de rêve, la pression du Like, 3 – Notre monde façonné par l’influence, 4 - -Au fait combien ça rapporte ?, 5 - Les influenceurs peuvent-ils faire élire le prochain président de la République ?, 6 – L’influence, un modèle de soft-power de l’Occident, 7 – Sommes-nous tous l’influenceur de quelqu’un d’autre ? Comme souvent dans ce genre d’ouvrage, la narration visuelle repose sur des dessins avec une saveur humoristique : une exagération des visages, de leurs expressions, des corps simplifiés, des décors représentés de manière simplifiés, des couleurs agréables à l’œil, des cases sans bordures, avec souvent un texte au-dessus (une ou deux phrases assez courtes), et l’illustration en-dessous qui vient montrer un exemple, ou qui sert à humaniser le propos avec des personnages se livrant à des pitreries, exagérant ou subissant dans une comique.
Sur le rabat intérieur, le scénariste se présente en tant que journaliste, publiant depuis plus de dix ans des enquêtes et des reportages sur la vie numérique et ses effets sur les vies. L’entrée en la matière de la bande dessinée laisse deviner une position assez claire : le pouvoir pernicieux des influenceurs capables de faire fléchir la volonté du premier venu, à des fins commerciales, vendus au grand capital. Le premier chapitre se positionne à l’identique : créer un compte Instagram pour son chien participe de la dérision, toutefois dépourvue de méchanceté. Les auteurs soulignent le mélange des genres entre influenceurs, célébrités, artistes, posts insignifiants et navrants de banalité, cette même banalité qui est très humaine. Le deuxième chapitre continue dans la même veine : les influenceurs vivent d’accords commerciaux avec des marques pour des placements produits, et enfoncent encore un peu le clou. En pages quarante-deux et quarante-trois, les auteurs y vont franchement : Beaucoup de jeunes qui grandissent dans un quartier pauvre veulent devenir footballeurs ou influenceurs parce qu’il y a une quête de réussite et d’amour et que ça leur permet de réussir rapidement, explique le psychanalyste Michaël Stora. Ils continuent : Pour beaucoup d’apprentis influenceurs, le virtuel est devenu la seule échappatoire à la réalité du monde. Plus un être est heureux dans le monde réel, moins il aura besoin d’aller s’épanouir dans le monde virtuel. La course aux Like permet à certaines personnes de combler une faille narcissique. Arrivé à ce stade le lecteur craint que la suite aligne les clichés et les jugements réducteurs.
Le lecteur remarque également que régulièrement la lecture provoque des sensations similaires à la un exposé agrémenté d’illustrations. D’un côté, la forme relève bien de celle d’une bande dessinée : des cases disposées en bande, des personnages et des décors, des cartouches de texte (sans bordure le plus souvent), des phylactères. D’un autre côté, de temps à autre, il suffit de lire le texte dans les cartouches pour disposer des éléments d’analyse et de réflexion. Pour autant, la narration visuelle s’avère agréable : l’idée de mettre en scène un jeune homme avec son chien présente une vraie originalité, avec le principe de lui créer un compte Instagram ce qui constitue une mise en pratique et une illustration. Le dessinateur opte pour l’exagération ce qui donne une allure particulièrement ordinaire au personnage principal : oreilles décollées, mèche lui tombant sur les yeux, réactions émotionnelles amplifiées. Les autres personnages participent de la même approche, y compris le chien Sirius. Le lecteur se rend compte que le traitement des décors s’inscrit dans un registre un peu différent : plus réaliste, décalage qui rend les personnages plus vivants et plus expressifs.
Au fur et à mesure des séquences, le lecteur prend conscience de l’interaction entre le texte et les images, nettement plus élaborées que de simples illustrations conçues à partir d’un texte déjà finalisé : les images sur l’écran du téléphone du narrateur, les évocations historiques (Égypte ancienne, Rome antique), une forme anthropomorphe pour incarner un algorithme, une promenade dans le parc pour le chien Sirius et son maître, une visite touristique des endroits instagrammables de Dubaï, les pitreries du président Macron pour séduire l’électorat des moins de trente ans, la reproduction de l’Origine du Monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877), etc. D’ailleurs, à partir de ce dernier exemple, il se rend compte que l’artiste met à profit les possibilités de la bande dessinée pour composer des planches fonctionnant de manière diversifiée : une image centrale avec des images en médaillons (illustrant le scrolling du narrateur), des dessins en pleine page, des compositions conceptuelles (une rue où chaque espace est occupée par des enseignes de marques, sur le trottoir, la chaussée, les immeubles, partout), un marionnettiste géant avec des anonymes au bout de ses fils, une case aspirée par le trou noir d’Internet, des individus tous identiques avec le logo d’Instagram à la place de la tête, des émoticons, des fac-similés de photographie, des métaphores visuelles, etc.
En fait, le discours lui aussi s’aventure plus loin qu’une collection de clichés, ou qu’une vulgarisation basique. De chapitre en chapitre, les auteurs passent en revue de nombreuses facettes de la notion d’influenceurs. Après les bases de l’inscription et de la création de posts réguliers, ils expliquent des notions techniques comme la pratique du dropshipping, ou la distinction entre l’envie de partage (par exemple une mamie mettant en avant son chien) et une pratique professionnelle (générer des revenus à partir des posts sur son chien) sans oublier le côté addictif (consulter incessamment l’évolution du nombre de Like). Une facette psychologique : des personnes se créent une forme d’injonction à publier souvent. Le rôle de l’influenceur renverrait à la petite enfance, quand bébé naît et que tout le monde le trouve trop mignon mais qu’on ne s’intéresse pas vraiment à son discours parce qu’on l’estime dénué d’intérêt. Et son corollaire : Quand une femme poste une nouvelle photo, on lui parle comme à une enfant avec un corps sexualisé. C’est son image qu’on valorise, pas elle. La nature d’Internet : un média comme les autres avec ses codes, et le développement d’une forme d’immunisation contre la propagande spécifique des réseaux sociaux, comme elle s’est développée également vis-à-vis de la télévision. Une professionnalisation : influenceur considéré comme un métier, des compétences à développer pour trouver le bon dosage entre actions commerciales (partenariats) pour disposer d’une autonomie financière et authenticité pour continuer à intéresser sa communauté. Une industrialisation avec l’envers du décor : Dubaï et ses décors instagrammables au prix d’une main d’œuvre maltraitée. Jusqu’aux enjeux culturels sous-jacents : Instagram, Facebook ou Snapchat participent au puissant soft-power des États-Unis, TikTok et ses règles portent en lui la culture chinoise. Ainsi, des pièces se mettent en place pour le lecteur, entre notions et conséquences évidentes pour lui, et prises de conscience formalisées. Par exemple, en page soixante-treize, deux gigantesques yachts sont à quai, un instagrammeur sur un pont supérieur sur chaque, et une foule de followers occupant toute la place sur le quai. Un instagrammeur crie qu’il doit tout à la foule, qui lui répond qu’il n’est rien sans eux : une illustration magistrale de la fortune financière d’un unique individu faite sur le dos de dizaines de milliers d’anonymes.
Une BD de type Les influenceurs pour les nuls ? Dans un premier temps, le lecteur peut ressentir certains passages ainsi, avec l’impression également de découvrir un texte complet qui a été confié, clé en main, à un dessinateur. Or rapidement, il prend goût au principe d’un narrateur ouvrant un compte Instagram pour son chien, il découvre des visuels variés et inventifs. Il perçoit comment les auteurs présentent des facettes variées du phénomène, y compris certaines auxquelles il ne s’attendait pas, avec une analyse plus profonde et révélatrice du système.
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Moi, Fadi - Le Frère volé
La série L’Arabe du futur avait réellement propulsé Riad Sattouf comme génie français de la BD jusqu’à recevoir le grand prix de la ville d’Angoulême en 2023, j’avais moi-même adoré cette série et j’étais donc naturellement heureux de savoir que Sattouf revenait sur le devant de la scène avec un spin-off de sa série emblématique. Dans Moi, Fadi, le père volé, on suit l’histoire cette fois-ci du point de vue de Fadi (le plus jeune frère) qui se fait enlever par son père et passe du jour au lendemain des environs de Rennes aux environs de Homs en Syrie. Avec un charme similaire à la série originale, j’ai beaucoup aimé redécouvrir cette Syrie des années 80 du point de vue d’un enfant (l’école, les autres enfants, la nourriture). L’histoire est évidemment tragique et fluctue entre les détails de la découverte de la vie en Syrie et du traumatisme de perdre sa mère et ses frères. J’ai bien aimé également le côté autobiographique mais réalisé par quelqu’un d’autre (par exemple, voir Riad non plus comme le personnage principal mais cette fois-ci secondaire). Quant aux dessins il est assez similaire à ce que l’auteur a proposé au cours des dernières années, des personnages simples et emblématiques, parfois mystiques avec les grand-mères aux visages fatigués et voilés des campagnes syriennes. J’ai hâte à la suite de l’histoire !
Notes pour une histoire de guerre
Génie de la BD italienne, cela faisait longtemps que je n’avais pas lu d’œuvres de Gipi ! Notes pour une histoire de guerre suit trois adolescents dans un contexte de guerre sans que l’on sache vraiment où ni quand, les trois héros semblent avoir fugué et finissent par rencontrer un groupe de mafieux qui leur confient des missions avant la grande mission finale qui les amènera vers la guerre… Cette œuvre est géniale pour plusieurs raisons, tout d’abord l’histoire tient vraiment en haleine du début à la fin et j’ai beaucoup aimé les différentes techniques de narration utilisées au fil de l’œuvre (le découpage des trois parties principales ainsi que l’alternance entre rêves et réalités ou bien angle filmé et angle non-filmé qui se traduit par une alternance du style dessin). Aussi le thème de la guerre est vraiment traité subtilement, la violence guerrière n’est jamais montré, les désastres de la guerre sont seulement évoqués comme quelque chose du passé, je n’ai pas toutes les clés de compréhension mais j’ai hâte de trouver une fiche de lecture qui analyserait tout cela; enfin et ce n’est pas des moindres, Gipi maitrise parfaitement son aquarelle et j’aime bien le côté faussement approximatif de son dessin. À lire !
Caricature
Daniel Clowes est souvent considéré comme un des grands auteurs de la bd américaine alternative, avec une production incroyable de courtes histoires dans son magazine Eightball dans les années 90 puis ensuite des romans graphiques plus longs et tout autant adulés depuis les années 2000; Caricature est une compilation de neuf petites histoires de Eightball que j’ai dévoré et adoré (mes préférées sont Comme une brindille Joe, et Caricature); ce recueil couvre un bel ensemble des thématiques qui Clowes couvre souvent (la solitude, l’amour perturbé, une vision pessimiste du monde) et les personnages évoluent dans des histoires toujours plus absurdes (c’est du Lynch sur papier) et c’est vraiment bien écrit (voire traduit dans le cas présent); d’un point de vue graphique l’auteur est assez fidèle à son style, jouant beaucoup avec les contrastes et des personnages aux têtes charismatiques, j’ai un peu de mal avec sa coloration (couleurs trop kitschs, mal balancées, pas très plaisantes) mais son noir et blanc transmet parfaitement l’univers qu’il veut imposer; Caricature est soit une belle introduction pour découvrir Clowes ou un complément judicieux si vous en explorer plus sa bibliographie !
Azur Asphalte
Je suis sortie époustouflée de cet album. Et j'ai encore du mal à me l'expliquer ! C'est une histoire du quotidien : deux sœurs qui galèrent dans la vie de tous les jours... Deux personnages que l'on a déjà croisés, leurs conversations, leurs raisonnements sur la vie, leur humour... L'une mère solo et l'autre qui n'a pas encore trouvé sa place. Zigzagant entre parking de supermarché et plage, leur vie ensoleillée et engluée dans les difficultés économiques nous touche profondément. Deux raisons à cela : 1. Les dialogues : tout proche du documentaire, mais sans jamais un mot de trop : une gestion des silences qui a quelque chose de cinématographique, on est dedans, c'est un miroir de nos vies ! Le flot des paroles se prolonge dans le flux de leurs pensées. Et le fait que l'auteur se soit inspiré de ses propres sœurs joue surement un rôle dans cet effet de véracité , il reconstitue les justifications qu'elles donnent à leurs choix à partir de ses souvenirs. 2. L'image : une aquarelle de banlieue qui frappe par sa couleur très bien observée et un contraste inattendu entre le flou général et la précision hyper-emouvante des visages. Jamais vu ça ! Si vous avez vu Journal Intime de Nani Moretti, où on suit une Vespa dans les rues de Rome, vous avez une idée de l'impression : tout Rome qui défile sans qu'on puisse faire la mise au point et la nuque du personnage qui reste nette. En film , ça fait mal à la tête, en BD ça nous jette dans un mouvement fictif. Bref, je vous conseille vraiment cette expérience de lecture, tout-à-fait inédite pour ma part, qui ouvre le cœur et laisse une nostalgie étrange. Bordesoules...Je retiendrai ce nom.
Lucy - L'Espoir
J ai acquis ce livre à petit prix dans une bourse aux livres de médiathèque municipale. Quelle bonne surprise ! Des dessins de merveilleuse qualité, un scénario qui nous tiens en haleine toute la lecture. J’avais de nombreux aprioris sur ce livre de part son format, sa couverture, le sujet abordé mais j’ai eu tord. Superbe récit plein d’espoir comme l’indique le titre de l’œuvre. Je ne peux que vous le conseillé.
Erdogan - Le nouveau sultan
Faire des biographies en BD sur des figures modernes controversées semble être à la mode. Ici, on a donc droit à la biographie de Recep Tayyip Erdogan qui dirige la Turquie depuis plus de deux décennies. La biographie raconte sa vie jusqu'à son ascension au pouvoir. On ne voit donc pas son règne comme premier ministre puis président de la Turquie. Cela peut-être un peu décevant, mais au moins cela permet de mieux développer l'histoire de sa vie parce que les auteurs ont en long à dire sur plus de 300 pages très complet. J'espère juste qu'il va avoir une suite qui servirait de complément à ce très bon album. On suit donc Erdogan de sa jeunesse à son ascension au pouvoir ultime après avoir subit plusieurs revers politiques. J'ai trouvé que c'était intéressant parce qu'on voit que c'est un animal politique rusé qui sait comment rebondir chaque fois qu'il est au bord du gouffre et semble fini. À travers lui, on voit aussi la complexité de la société turque qui est pris entre la laïcité et un islam plus traditionnel et qui est aussi sujet à des coups d'états par les militaires. J'ai adoré découvrir la politique de ce pays. L'histoire d'Erdogan est malheureusement commun si on connait l'histoire de l'Islam politique: soutient du pouvoir et de l'occident qui préfère les traditionnelles à la gauche révolutionnaire, double jeu de la part d'Erdogan qui se prétend plus moderne et ouvert d'esprit en mettant en avant des femmes, il a des premiers bons résultats parce que l'opposition est divisé, lorsqu'on se rends contre que les extrémistes ont trop de pouvoir c'est un peu trop tard et dès qu'il a du pouvoir il montre son vrai visage. Le plus triste est qu'il le montre lorsqu'il a été maire d'Istanbul, mais il y avait encore des naïfs pour croire ses mensonges. Cela rappel certains politiciens d'extrême-droite occidentaux qui peuvent dire tout ce qu'ils veulent, il y aura toujours des gens pour les défendre ! Les auteurs sont deux ressortissants qui sont contre le régime d'Erdogan, mais ils essaient d'être le plus neutre possible et il y a donc des moments où Erdogan peut paraitre sympathique et comme une victime. Le dessin est vraiment plaisant à regarder, c'est le style réaliste que j'aime retrouver dans un documentaire.
Minuit Passé
Comme pour son précédent opus, « Le Jardin- Paris », Gaëlle Geniller nous emmène une fois encore dans son univers si particulier, hors du temps, et cela est fort plaisant. Après le monde des cabarets aux velours froufroutants, elle nous invite dans un immense manoir victorien aux recoins sombres où des fantômes ont élu domicile. A la façon des spectres du récit, qu’il s’agisse des trois corneilles, des portraits ou de cette ombre un peu inquiétante, le lecteur va observer Guerlain déambuler dans les vastes pièces de la demeure, en cherchant le sommeil comme les réponses aux questions qui l’assaillent. Notamment cette amnésie sur son enfance dans les lieux, amnésie qui a fait du jeune dandy trentenaire une sorte de zombie fragile, marqué par la fatigue avant l’âge. Présence rassurante, son fils Nisse semble avoir ce don de converser avec les esprits du lieu et sera peut-être celui qui l’aidera à recomposer le puzzle d’une vie où les souvenirs se sont émiettés. Constamment en éveil, c’est le gamin qui va trouver par hasard dans un tiroir un herbier oublié par son père. Il s’avère que celui-ci l’avait fabriqué durant son enfance, en imaginant que chaque fleur correspondait à une émotion… Et pourtant, il ne manque pas d’amour, Guerlain. Choyé par son épouse depuis le premier coup de foudre il y a douze ans, qui doit le rejoindre dès qu’elle sera moins accaparée par son boulot, admiré par son fils dont l’affection est totalement réciproque, couvé par ses trois sœurs qui l’appellent sans relâche pour savoir s’il va bien, le jeune homme * ne trouve pas le temps d’aller mal, même si au fond de son âme, il ressent comme un manque, avec cette sensation d’être prisonnier d’un labyrinthe aux parois de verre. C’est alors une quête irréelle qui va s’engager pour lui permettre de remonter le fil de son enfance égarée… A l’instar du « Jardin – Paris », « Minuit passé » est un pur enchantement graphique, traversé par une poésie immersive aux senteurs florales, peut-être celles des pétales déposées délicatement sur le visage de Guerlain par les trois corneilles… On a vraiment l’impression d’y être dans cette demeure, où tout n’est que calme et volupté. Le trait tout en finesse est rehaussé d’une savante mise en couleur, qui rappelle le travail de Mayalen Goust avec son récent « D’or et d’oreillers », davantage dans le registre du conte noir. Ce qui distingue Gaëlle Geniller de sa consœur, c’est clairement l’influence manga pour la représentation des visages, mais néanmoins cette autrice creuse son propre sillon, loin des codes « industriels » de la BD nipponne. C’est avec générosité qu’elle nous offre ici un travail d’orfèvre pour ravir nos pupilles gourmettes. Avec « Minuit passé » ce n’est pas tant la narration qui marquera le lecteur que la sensation éthérée qui s’en dégage, car il faut l’avouer, les plus impatients risquent de ne point y trouver leur compte. Le livre se déguste à la façon d’un scone qu’on prendrait à l’heure du thé dans un salon anglais, et sans risque de trouver de l’arsenic dans sa tasse. Ainsi se décrit l’univers de Gaëlle Geniller, un univers aimable et chatoyant, sorte de cocon étranger à la violence du monde. Certains esprits chagrins le déploreront peut-être, mais il sera difficile pour toute âme amoureuse du beau de résister au charme de ce que l’on pourrait qualifier d'oasis graphique. On notera pour terminer le travail éditorial, assez rare faut-il le préciser, sur les tranches de l’ouvrage agrémentées de jolis motifs floraux aux tonalités vertes. Un raffinement jusqu’au bout de l’objet, et un argument de plus en faveur du livre imprimé…
L'Echangeur
J'ai acheté ce livre dans une bourse aux livres de bibliothèque municipale et donc payé un tout petit prix. Je n’en attendais rien et la couverture ne m’a pas franchement attirée mais, je ne suis pas déçue de cet ouvrage, que je trouve très optimiste. Il se dévore rapidement et je regrette simplement l’absence de couleur de l’album (nuances de noir et blanc). Une bande dessinée qui nous éclaire sur le sens de nos vies et la perception que l’on peut avoir de la réussite. Je recommande !
Wake - L'histoire cachée des femmes meneuses de révoltes d'esclaves
3.5 Un bon documentaire qui montre les efforts que l'historienne Rebecca Hall a faits pour retrouver des informations sur la révolte d'esclaves faite par des femmes noires. J'avais un peu peur au début parce que je n'aime pas trop le dessin qui est typé dans le style underground américain que je n'aime pas trop, mais j'ai fini par m'habituer parce que la quête de Hal est passionnante à lire. J'aime l'histoire et j'ai bien aimé voir comment est fait le travail de recherche d'une historienne. On voit notamment que c'est souvent difficile d'avoir accès à des archives, car certaines personnes haut placées n'ont pas trop envie qu'on rouvre le dossier sur l'esclavage transatlantique. Rebecca Hall met aussi les points sur les i sur certaines idées reçues sur l'esclavage. À travers les témoignages qu'elle réussit à retrouver, on sent la déshumanisation des noirs (les esclaves n'ont plus de noms ou de passés) et aussi le sexisme dans la société patriarcale. Un one-shot pour ceux qui s'intéressent à des questions sociales qui sont encore d'actualité, et qui le seront malheureusement pendant encore longtemps.
Qui m'aime me suive - Bienvenue dans le monde des influenceurs
Quand on a fini de scroller, on a l’impression de sortir d’une faille temporelle. - Ce tome contient un exposé complet qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour être apprécié et compris. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Gurvan Kristanadjaja pour le scénario, et par Joseph Falzon pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-neuf pages de bande dessinée. Il se termine avec une page référençant les seize sources citées, et une photographie du chien Sirius. Le narrateur est confortablement installé sur son lit, en train de scroller. Un jour, il s’est fait avoir. C’était en 2019, au moment où Instagram prenait une place de plus en plus importante dans les vies. Quand il s’ennuyait, il regardait des stories pour tuer le temps. Il voyait constamment la même pub pour un sac à main végan. Il était présenté par une marque assez connue sur les réseaux sociaux, qui montrait régulièrement de jolis objets. À force de le voir, il a fini par l’acheter pour sa copine. Il ignore pourquoi, il sait seulement qu’il n’avait pas d’idée cadeau et que ça lui est venu comme ça, sans réfléchir. Le jour de Noël venu, il offre le sac et sa copine lui rappelle qu’il sait bien qu’elle déteste la couleur orange. Quand elle lui a rappelé ça, il est tombé de haut. Ce sac, il pense qu’il ne l’aurait jamais acheté sans Instagram. C’est comme si quelqu’un lui avait soufflé plusieurs fois par jour au creux de l’oreille directement à son cerveau : Achète ce sac… Bref, il a réalisé qu’il avait été sous influence. Oui, il s’est fait avoir par une pub, quoi… Hé bien pas tout à fait. La publicité ça a toujours plus ou moins existé. On pourrait trouver trace du premier affichage publicitaire à Thèbes, en Égypte antique, 1000 avant Jésus-Christ. Ou dans la Rome antique. En France, les années 1960 marquent un premier tournant avec l’arrivée de la télévision dans les salons. Dans l’hexagone, la publicité a toujours été considérée comme abrutissant, immorale. Pourtant, sous l’impulsion de ces nouveaux modes de diffusion, elle gagne du terrain. Les marques et les diffuseurs vont désormais cibler leur public. Avant un dessin animé pour enfant, ils vont vanter les mérites d’un nouveau jouet. Avant le JT, à l’heure du dîner, ceux d’un nouveau robot mixeur. À la bascule des années 2000, la publicité connaît une autre révolution. Secrètement, dans leurs open spaces, les cadres se prennent à rêver. Depuis l’avènement des réseaux sociaux, qui marque l’entrée dans une nouvelle ère de communication, ce sont des algorithmes qui font la loi. Ce sont des petits programmes informatiques qui indiquent à l’ordinateur comment effectuer une tâche. Les algorithmes vont suggérer, en fonction de nos goûts, ce que l’on doit voir ou non. Les cadres de la pub se sont servis de ces nouveaux usages pour faire de la publicité ciblée. Ils vont suggérer à Brendan et Monique d’acheter des produits proches de leurs goûts. C’est l’émergence des influenceurs, dans les années 2010 qui a bouleversé le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui. Sur Instagram, Youtube ou TikTok, des personnalités ont acquis une popularité telle qu’elles sont à même de faire bouger les foules. La couverture très réussie montre une influenceuse suivie par une foule formant un cœur comme pour Liker, avec une zone libre pour le titre, et avec le recul, le lecteur constate qu’il peut y voir Sirius en bonne place, le chien du narrateur, l’animal de compagnie pour lequel il crée un compte Instagram au nom de sirius_lekiki. L’ouvrage est de nature didactique et vulgarisateur. Il se compose d’une introduction, et de sept chapitres dont les titres sont : 1 – À la recherche du premier influenceur, 2 – Dans l’intimité des influenceurs : derrière la vie de rêve, la pression du Like, 3 – Notre monde façonné par l’influence, 4 - -Au fait combien ça rapporte ?, 5 - Les influenceurs peuvent-ils faire élire le prochain président de la République ?, 6 – L’influence, un modèle de soft-power de l’Occident, 7 – Sommes-nous tous l’influenceur de quelqu’un d’autre ? Comme souvent dans ce genre d’ouvrage, la narration visuelle repose sur des dessins avec une saveur humoristique : une exagération des visages, de leurs expressions, des corps simplifiés, des décors représentés de manière simplifiés, des couleurs agréables à l’œil, des cases sans bordures, avec souvent un texte au-dessus (une ou deux phrases assez courtes), et l’illustration en-dessous qui vient montrer un exemple, ou qui sert à humaniser le propos avec des personnages se livrant à des pitreries, exagérant ou subissant dans une comique. Sur le rabat intérieur, le scénariste se présente en tant que journaliste, publiant depuis plus de dix ans des enquêtes et des reportages sur la vie numérique et ses effets sur les vies. L’entrée en la matière de la bande dessinée laisse deviner une position assez claire : le pouvoir pernicieux des influenceurs capables de faire fléchir la volonté du premier venu, à des fins commerciales, vendus au grand capital. Le premier chapitre se positionne à l’identique : créer un compte Instagram pour son chien participe de la dérision, toutefois dépourvue de méchanceté. Les auteurs soulignent le mélange des genres entre influenceurs, célébrités, artistes, posts insignifiants et navrants de banalité, cette même banalité qui est très humaine. Le deuxième chapitre continue dans la même veine : les influenceurs vivent d’accords commerciaux avec des marques pour des placements produits, et enfoncent encore un peu le clou. En pages quarante-deux et quarante-trois, les auteurs y vont franchement : Beaucoup de jeunes qui grandissent dans un quartier pauvre veulent devenir footballeurs ou influenceurs parce qu’il y a une quête de réussite et d’amour et que ça leur permet de réussir rapidement, explique le psychanalyste Michaël Stora. Ils continuent : Pour beaucoup d’apprentis influenceurs, le virtuel est devenu la seule échappatoire à la réalité du monde. Plus un être est heureux dans le monde réel, moins il aura besoin d’aller s’épanouir dans le monde virtuel. La course aux Like permet à certaines personnes de combler une faille narcissique. Arrivé à ce stade le lecteur craint que la suite aligne les clichés et les jugements réducteurs. Le lecteur remarque également que régulièrement la lecture provoque des sensations similaires à la un exposé agrémenté d’illustrations. D’un côté, la forme relève bien de celle d’une bande dessinée : des cases disposées en bande, des personnages et des décors, des cartouches de texte (sans bordure le plus souvent), des phylactères. D’un autre côté, de temps à autre, il suffit de lire le texte dans les cartouches pour disposer des éléments d’analyse et de réflexion. Pour autant, la narration visuelle s’avère agréable : l’idée de mettre en scène un jeune homme avec son chien présente une vraie originalité, avec le principe de lui créer un compte Instagram ce qui constitue une mise en pratique et une illustration. Le dessinateur opte pour l’exagération ce qui donne une allure particulièrement ordinaire au personnage principal : oreilles décollées, mèche lui tombant sur les yeux, réactions émotionnelles amplifiées. Les autres personnages participent de la même approche, y compris le chien Sirius. Le lecteur se rend compte que le traitement des décors s’inscrit dans un registre un peu différent : plus réaliste, décalage qui rend les personnages plus vivants et plus expressifs. Au fur et à mesure des séquences, le lecteur prend conscience de l’interaction entre le texte et les images, nettement plus élaborées que de simples illustrations conçues à partir d’un texte déjà finalisé : les images sur l’écran du téléphone du narrateur, les évocations historiques (Égypte ancienne, Rome antique), une forme anthropomorphe pour incarner un algorithme, une promenade dans le parc pour le chien Sirius et son maître, une visite touristique des endroits instagrammables de Dubaï, les pitreries du président Macron pour séduire l’électorat des moins de trente ans, la reproduction de l’Origine du Monde (1866) de Gustave Courbet (1819-1877), etc. D’ailleurs, à partir de ce dernier exemple, il se rend compte que l’artiste met à profit les possibilités de la bande dessinée pour composer des planches fonctionnant de manière diversifiée : une image centrale avec des images en médaillons (illustrant le scrolling du narrateur), des dessins en pleine page, des compositions conceptuelles (une rue où chaque espace est occupée par des enseignes de marques, sur le trottoir, la chaussée, les immeubles, partout), un marionnettiste géant avec des anonymes au bout de ses fils, une case aspirée par le trou noir d’Internet, des individus tous identiques avec le logo d’Instagram à la place de la tête, des émoticons, des fac-similés de photographie, des métaphores visuelles, etc. En fait, le discours lui aussi s’aventure plus loin qu’une collection de clichés, ou qu’une vulgarisation basique. De chapitre en chapitre, les auteurs passent en revue de nombreuses facettes de la notion d’influenceurs. Après les bases de l’inscription et de la création de posts réguliers, ils expliquent des notions techniques comme la pratique du dropshipping, ou la distinction entre l’envie de partage (par exemple une mamie mettant en avant son chien) et une pratique professionnelle (générer des revenus à partir des posts sur son chien) sans oublier le côté addictif (consulter incessamment l’évolution du nombre de Like). Une facette psychologique : des personnes se créent une forme d’injonction à publier souvent. Le rôle de l’influenceur renverrait à la petite enfance, quand bébé naît et que tout le monde le trouve trop mignon mais qu’on ne s’intéresse pas vraiment à son discours parce qu’on l’estime dénué d’intérêt. Et son corollaire : Quand une femme poste une nouvelle photo, on lui parle comme à une enfant avec un corps sexualisé. C’est son image qu’on valorise, pas elle. La nature d’Internet : un média comme les autres avec ses codes, et le développement d’une forme d’immunisation contre la propagande spécifique des réseaux sociaux, comme elle s’est développée également vis-à-vis de la télévision. Une professionnalisation : influenceur considéré comme un métier, des compétences à développer pour trouver le bon dosage entre actions commerciales (partenariats) pour disposer d’une autonomie financière et authenticité pour continuer à intéresser sa communauté. Une industrialisation avec l’envers du décor : Dubaï et ses décors instagrammables au prix d’une main d’œuvre maltraitée. Jusqu’aux enjeux culturels sous-jacents : Instagram, Facebook ou Snapchat participent au puissant soft-power des États-Unis, TikTok et ses règles portent en lui la culture chinoise. Ainsi, des pièces se mettent en place pour le lecteur, entre notions et conséquences évidentes pour lui, et prises de conscience formalisées. Par exemple, en page soixante-treize, deux gigantesques yachts sont à quai, un instagrammeur sur un pont supérieur sur chaque, et une foule de followers occupant toute la place sur le quai. Un instagrammeur crie qu’il doit tout à la foule, qui lui répond qu’il n’est rien sans eux : une illustration magistrale de la fortune financière d’un unique individu faite sur le dos de dizaines de milliers d’anonymes. Une BD de type Les influenceurs pour les nuls ? Dans un premier temps, le lecteur peut ressentir certains passages ainsi, avec l’impression également de découvrir un texte complet qui a été confié, clé en main, à un dessinateur. Or rapidement, il prend goût au principe d’un narrateur ouvrant un compte Instagram pour son chien, il découvre des visuels variés et inventifs. Il perçoit comment les auteurs présentent des facettes variées du phénomène, y compris certaines auxquelles il ne s’attendait pas, avec une analyse plus profonde et révélatrice du système.