Les derniers avis (38740 avis)

Couverture de la série Léviathan (Ki-oon)
Léviathan (Ki-oon)

Leviathan est une réussite dans le genre du thriller psychologique spatial. Un récit intense, bien construit, qui interroge autant qu’il dérange. À recommander aux amateurs de récits sombres et nerveux, à mi-chemin entre Alien et Battle Royale

15/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Malgré tout
Malgré tout

Que celleux qui n'aiment pas les histoires n'ayant pour d'autre but que de vous faire vibrer le cœur passent leur chemin, ici le récit s'adresse aux cœurs d'artichauts et aux amoureux-ses de la vie. C'est une histoire d'amour à rebours, la quête de deux personnes s'étant cherchées inlassablement toute leur vie qui nous est racontée à reculons. Nous ne commençons l'album qu'à la conclusion de leur relation, son début officiel, le moment où enfin iels peuvent s'aimer pleinement. Enfin, "s'aimer" iels le faisaient déjà avant, c'est justement tout le sujet de leur histoire. On découvre leur vie à l'envers, on découvre progressivement ce qui les a séparé, leur profond et quasiment insensé amour qui les a animé-e-s toute leur vie. Iels s'aiment, iels se cherchent, iels souffrent de l'absence de l'autre, iels sont si différent-e-s dans leur vies de tous les jours, mais iels ne peuvent pas s'empêcher de s'aimer. C'est beau, c'est triste, ça a fait pleurer l'émotive que je suis. Alors, oui, l'œuvre n'est pas parfaite non plus, je déplore notamment un personnage typé noir dans un chapitre traité d'idiot et parlant d'une façon bien cliché du type "moi savoir beaucoup choses". Le personnage n'est pas nécessairement idiot, justement, simplement traité comme tel par l'un des autres personnages, et le but était sans doute juste de le montrer avoir des difficultés avec la langue qu'il parle à ce moment-là, mais la forme m'a faite tiquer. Certain-e-s pourraient également reprocher l'aspect un peu trop fleur bleu de certains moments, mais là j'ai envie de dire que c'est une question de goût et que si ce genre de récit ne vous attire pas je ne vous conseillerais tout simplement pas l'album. Une histoire d'amour atypique par sa forme et qui a su me toucher.

15/05/2025 (modifier)
Par Ro
Note: 4/5
Couverture de la série Mi-Mouche
Mi-Mouche

La vie de Colette a basculé suite à la mort de sa sœur jumelle, qui attirait toute l'attention et l'affection familiale. Depuis ce drame, sa mère, brisée par le deuil, devient étouffante par peur de perdre aussi sa seconde fille. Colette, de son côté, tente désespérément de combler le vide laissé par sa sœur, notamment en reprenant ses cours de danse… pour lesquels elle n'a ni talent ni goût. Entre une mère omniprésente, une solitude pesante et le harcèlement qu'elle subit à l'école à cause de sa petite taille, Colette n'a que son ombre à qui se confier car elle n'arrive pas à se rebeller contre sa situation. Jusqu'au jour où elle découvre par hasard une salle de boxe. Ce sport de combat, inattendu pour elle, devient une soudaine passion et une échappatoire. Mais comment affronter une mère terrifiée à l'idée qu'elle se mette en danger ? Et comment faire entendre son envie d'exister pour elle-même, sans trahir la mémoire de sa sœur ? Mi-Mouche est une série jeunesse à la fois délicate et lucide, qui aborde des sujets graves avec intelligence, bienveillance et optimisme. La force du récit repose sur des personnages profondément humains : Colette, bien sûr, tiraillée entre la culpabilité, le besoin de reconnaissance et l'élan d'émancipation que lui offre la boxe ; mais aussi sa mère, figure complexe, à la fois victime et obstacle, qui tente de survivre à sa douleur sans vraiment voir celle de sa fille. On aurait pu craindre un récit balisé façon Karate Kid où l'héroïne va devenir très forte et se venger de ses harceleurs, mais l'histoire reste ancrée dans une réalité sensible, où les combats sont moins spectaculaires que profondément intérieurs. Loin des clichés, Colette ne cherche pas la revanche, mais une forme de résilience et de construction personnelle. Graphiquement, c'est une vraie réussite : le dessin est expressif, vivant, chaleureux, capable de transmettre aussi bien la tendresse que la tension. Il accompagne à merveille le ton du récit, mêlant émotions à fleur de peau et énergie vitale. Et la relation active entre l'héroïne et son ombre qui l'accompagne en permanence et influe sur ses décisions, est une intéressante mise en scène des doutes et interrogations des adolescents de cet âge. On s'attache vite à cette petite héroïne, fragile mais tenace, qu'on a envie d'encourager à chaque page. Et surtout, on espère la voir trouver sa voie, imposer sa voix, et convaincre sa mère que boxer lui permettra enfin de faire le deuil et d'affirmer sa propre personnalité.

15/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série Le Piège
Le Piège

Le plus important pour l’instant, c’est satisfaire notre sponsor, il en va de notre liberté ! - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 1998. Il a été réédité depuis avec le récit Rendez-vous fatal (Ballade en Si Bémol) dans le recueil Noirs desseins en 2006, puis en 2011. Il a été réalisé par Milo Manara pour le scénario et les dessins. Cette bande dessinée compte quarante-quatre planches, en noir & blanc. Un homme s’est connecté sur un site de webcam : en direct, il peut voir deux jeunes femmes en train de prendre leur repas, une brune et une blonde. Sur son bureau de part et d’autre de l’écran se trouve un couteau cranté à gauche, et une main coupée au poignet fixée à un cube de bois à droite. Il se fait la réflexion que : La censure est omniprésente et a même contaminé le net ! Il y a toujours quelqu’un qui décide à la place des autres ce qu’ils peuvent voir ! Sur ce genre de sites, les filles devraient se lâcher sexuellement ! Au lieu de ça, ces deux idiotes ne font que manger et discuter ! Dans l’appartement, Wilma trouve que sa copine Wendi mange salement. La blonde rétorque qu’elle fait ça pour tous les voyeurs du monde, ils adorent les cochonneries. Le téléphone sonne : c’est leur sponsor. Il leur annonce que leur site n’est plus du tout regardé. Aussi, soit elles se bougent, soit ils les virent. Il leur intime de faire preuve d’imagination, de monter leurs fesses, leurs seins, d’écarter les jambes, etc. Il continue sur un ton agressif : les gens normaux bossent un mois pour gagner ce qu’il paie à elles à la semaine. Au vu du peu qu’elles montrent, il va finir par les virer. Il termine sur une injonction supplémentaire : Elles doivent sourire, quoi qu’elles fassent. Wendi raccroche et elle commence à s’exécuter en soulevant son teeshirt face caméra pour dénuder sa poitrine. Puis elle se tourne vers sa colocataire pour lui retranscrire ce que leur sponsor vient de leur ordonner. Cette dernière refuse toute forme d’exhibitionnisme d’ordre sexuel. La blonde explique qu’elle est prête à faire beaucoup de choses plutôt que de se faire virer, y compris à utiliser des accessoires de grande taille. Elle fait remarquer qu’en fait ce n’est pas grave : il y a un paquet de filles qui se masturbent sans être aussi payées qu’elles. Elle continue : la seule différence c’est qu’elles le font devant une webcam. Wilma lui demande si ça ne la dérange pas, c’est pratiquement de la prostitution, du sexe contre de l’argent. La blonde tempère cette façon de voir : les prostituées effectuent un travail épuisant, à risque, alors qu’elle et sa copine n’ont aucun contact physique. Elles sont juste deux amies qui vivent en colocation et qui se tripotent le minou, ça n’a rien à voir. Elles sont payées pour attirer des mecs sur leur site, ce n’est pas cher payé que de se déshabiller. Wilma finit par accepter, mais elle n’ira pas plus loin que de se déshabiller, c’est déjà assez humiliant comme ça. Wendi accepte sa décision : elle pense que ça peut aller pour l’instant et qu’elle va assurer pour les deux, mais il va bien falloir que Wilma s’y mette si elle ne pas se faire virer. Une histoire complète de Milo Manara qui se faisant plaisir en dessinant deux jeunes femmes et bientôt trois en train de se toucher, de se caresser et plus, devant une caméra pour des voyeurs qui n’apparaissent jamais à l’image, sauf un dénommé Vlad. L’intrigue s’avère concise : les deux jeunes femmes se laissent un peu entrainer par leur jeu, et sont interrompues par l’arrivée de Wanda, la sœur de Wendi. Celle-ci leur demande de l’accueillir car elle fuit un amant très possessif et pervers. Les trois ont tôt fait de se remettre à l’activité qui permet de satisfaire les clients, et Vlad figure parmi eux. Il localise où se situe leur appartement et il y fait irruption peu de temps après. Une bagarre se déclenche. Au premier niveau de lecture, c’est un prétexte ténu pour dessiner des jeunes femmes minces, graciles et élancées, dans toutes les positions les plus révélatrices possibles, avec des accessoires, dans des relations saphiques de plus en plus chaudes. Elles se retrouvent rapidement toutes les trois nues, et une chose en entraînant une autre elles prennent plaisir à leur activité, sans plus penser à la webcam, ou même au lien familial entre Wendi et Wanda qui sont sœurs. Cette dernière évoque également les exhibitions forcées que Vlad lui a infligées, ce qui donne lieu à des séances de voyeurismes pervers en public, sous influence de l’alcool. Pour finir, elles font leur affaire de Vlad, pas si viril que ça, et l’abricot de Wanda se trouve placardé sur les murs de la ville, sous forme du collage d’une photographie basse définition. Visuellement, ça commence très fort avec le couteau à gauche et la main à droite dans une case de la largeur de la page et le design daté du site au milieu. Puis le lecteur se retrouve dans la pièce où se vivent les deux jeunes femmes : il peut voir la commode et dessus le clavier d’ordinateur, l’unité centrale, le gros écran et la grosse webcam (il se souvient qu’il s’agit d’un album réalisé au siècle dernier, dans la deuxième moitié des années 1990), les motifs du papier peint au mur, le modèle basique de la table avec sa nappe unie, les modèles de chaise. Par la suite il découvre le canapé avec son tissu au motif imprimé, la petite salle de bain et les produits de beauté, le robinet d’un modèle spécifique, une autre commode avec quelques éléments décoratifs et un miroir rond, le rideau et la vue à l’extérieur sur une église, le lit d’un modèle également très basique. Le lecteur peut constater la cohérence spatiale d’un plan de prise de vue à l’autre. Lorsque Wanda raconte sa relation avec Vlad, l’artiste représente également dans le détail le mur avec ses lézardes, l’éclairage public en applique, la foule qui se presse autour de Wanda dans la boîte échangiste, etc. Et dans les dernières pages, le lecteur apprécie tout autant l’architecture de quelques rues de Venise avec les ponts, que le comportement des deux jeunes femmes. En outre, la mise en scène et la direction d’actrices s’avèrent très expressives, pour les contorsions révélatrices et souvent obscènes des jeunes femmes, et aussi pour rendre apparents les états d’esprit des personnages, et leurs actions. Le lecteur observe également des rendus avec une apparence différente : les ombres chinoises dans la boîte de nuit, les photographies placardées sur les murs de Venise. Une petite histoire bien perverse sur le thème du voyeurisme et de l’exhibition qui permet au lecteur de se rincer l’œil tout du long. Un regard pertinent en 1998 sur une industrie qui allait advenir : celle des camgirls, il y a de ça aussi. Dès la première planche, il est question de censure. Plus loin, Wendi et Wilma évoquent leur occupation et elles en parlent ainsi : elles gagnent leur vie en se faisant filmer à tout moment de la journée, et ces images sont disponibles dans le monde entier. Il y a également cette voix désincarnée du sponsor qui les appelle pour leur dicter ce qu’elles doivent faire. L’histoire de Wanda évoque également les jeux de soumission, et l’emprise du dominant. Le lecteur n’est pas dupe : tout cela permet à l’auteur de montrer des jeunes femmes en train de s’ébattre pour qu‘il soit titillé. L’intrigue tient en peu de mots, et certains passages exigent un niveau de suspension d’incrédulité consentie très élevée (la facilité avec laquelle Vlad trouve l’appartement des colocataires, la chute à travers la fenêtre, le collage des photographies de l’abricot, etc.). En outre, Wendi et Wanda n’éprouvent aucune retenue à l’idée de se donner du plaisir entre sœurs, et le lecteur sourit franchement quand la première saute en l’air et décoche un coup de pied en plein visage de Vlad, dans un mouvement digne d’un film de karaté à grand spectacle. Le récit en lui-même s’avère également vite dérangeant dans sa dimension exhibitionniste. Avec un peu de recul, l’histoire met en scène des comportements reposant sur l’exhibitionnisme et le voyeurisme, les fantasmes masculins, le sadomasochisme, l’appétence pour l’argent facile, la cruauté mentale, l’emprise, une relation incestuelle entre deux sœurs. Le lecteur se rend compte que ces composantes entrent en ligne de compte dans la manière dont il reçoit le récit. Il comprend le comportement vénal des deux copines, et il peut lui aussi s’interroger sur la pression économique qui leur fait se soumettre à ces actes rémunérés : elles se posent d’ailleurs la question de la nature de leurs actes par rapport à la prostitution traditionnelle. La narration prend alors une tournure déstabilisante : les trois jeunes femmes se livrent à des actes sexuels entre simulation et réalité, tout en profitant de l’absence d’audio pour échanger sur leurs préoccupations du moment (d’abord refuser la pornographie, puis comment de se débarrasser de l’intrus). Le lecteur assite à une comédie dans laquelle les actes sont sans rapport avec les préoccupations réelles des personnages. Cela lui fait penser à une sorte de conte. Puis il assiste à l’emprise de Vlad sur Wanda, qui la contraint à s’exhiber en public à des inconnus, et même à accepter des attouchements et plus. Le lecteur reconnait bien là un des thèmes fétiches de l’auteur : la mise en scène du voyeurisme comme une perversion et une obsession, la fétichisation du corps féminin. Il sourit devant le comportement de Vlad quand ce dernier est contraint de quitter sa posture de voyeur, et qu’il s’avère ne pas être à la hauteur, comme une opposition entre la durée du plaisir féminin, et l’instantanéité du plaisir masculin. Un petit récit mineur de Milo Manara avec un scénario prétexte et ridicule, une enfilade de situation invraisemblables, trop artificielles, une collection de petits fantasmes voyeuristes ? Il est possible de considérer cette bande dessinée sous cet angle, avec une narration visuelle séduisante et de haute volée. Il est également possible de considérer cette histoire comme un conte avec ses licences narratives, et une mise en scène du voyeurisme à un degré pathologique, de la déconnexion les actes et les préoccupations réelles (la comédie sociale), la fétichisation du corps féminin jusqu’à l’obsession irrationnelle. Délétère.

15/05/2025 (modifier)
Par Blue boy
Note: 4/5
Couverture de la série Impénétrable
Impénétrable

Avec ce titre bref et bien senti, Alix Garin nous livre un récit autobiographique pour un sujet rarement abordé parce qu’un peu tabou il faut bien le dire : la perte du désir sexuel provoqué par un trouble féminin assez méconnu (pour nous les hommes en tous cas…), le vaginisme (une contraction du vagin qui bloque l’orgasme, à ne pas confondre avec la frigidité). Elle y raconte comment, depuis le jour difficile de la révélation à son partenaire, elle a entamé un processus long et compliqué, tel un véritable chemin de croix psychique, parsemé d’échecs et de traitements inopérants, avant de trouver le salut à force de courage et de détermination. On saluera au passage la patience bienveillante de son compagnon qui a toujours été à ses côtés. Ce qui fait la force du récit, c’est la façon très « cash » et authentique avec laquelle l’autrice se livre, balayant toutes les critiques quant à une éventuelle complaisance sur un sujet tout de même assez délicat. Mais Alix Garin, consciente qu’elle marchait sur des œufs, a évité tous les pièges, reconnaissant elle-même en fin d’ouvrage la terreur qui l’habitait lorsqu’elle prit la décision de raconter son histoire. Pourtant selon elle, ce fut la seule manière d’expurger définitivement le mal, même si à ce moment elle se sentait « guérie ». Il lui fallait juste trouver « le courage »… Fort heureusement, elle possédait déjà le talent, qu’elle avait eu le loisir d’exprimer avec Ne m'oublie pas, sa première bande dessinée sortie en 2021 où elle évoquait avec délicatesse les liens entre une jeune fille et sa grand-mère atteint de la maladie d’Alzheimer. Pour « Impénétrable », Alix Garin confirme qu’elle n’a pas son pareil pour retranscrire en dessin les émotions et les sentiments, avec un sens de la métaphore et du découpage accompli. Le récit se dévore avec plaisir, avec un très bon équilibre entre le texte et l’image, évitant trop de bavardages inutiles qui, pour une telle thématique, auraient pu être tentants… Le niveau de sincérité avec lequel elle traite la question est tel qu’il arrive à nous toucher en plein cœur, en remplaçant le pathos inhérent à ce type de récit par un humour salvateur qui imprègne tout le livre. Le traitement graphique est très original, vivant et coloré, et montre bien l’approche positive de son autrice malgré le poids psychologique lié à sa souffrance. Alix Garin révèle son côté battant, refusant de céder à la fatalité d’une façon qui pourrait être inspirante non seulement dans son cas, mais pour toute autre forme de pathologie. « Impénétrable » est une très belle lecture, jamais plombante, et qui, pour un peu donnerait même une joyeuse patate à tous ceux qui souhaiteraient éviter de sombrer dans l’auto-apitoiement. Le jury ne s’y est pas trompé en lui décernant le prix du public. A ce titre, il apparaît totalement impossible de le contredire.

13/05/2025 (modifier)
Par Présence
Note: 4/5
Couverture de la série L'Abbé Pierre - Un homme engagé
L'Abbé Pierre - Un homme engagé

Mais le coupable le plus grand, c’est l’inactif. - Il s’agit d’un ouvrage mêlant éléments biographiques, réflexions sur la spiritualité et ressenti de l’auteur. Son édition originale date de 1994, et il a bénéficié d’une réédition en 2024, après que la vérité ait été exposée concernant les crimes sexuels commis par l’abbé Pierre. Il a été réalisé par Edmond Baudoin, pour le scénario et les dessins. Il s’agit d’un ouvrage en noir & blanc. Il comporte cinquante-neuf pages de bande dessinée. Cet ouvrage ne fait pas état des accusations de violences sexuelles sur des femmes, y compris sur des mineurs. C’est en 1992-93 qu’Edmond Baudoin a été contacté pour faire une bande dessinée dont le héros serait l’abbé Pierre. Il était honoré et étonné. Étonné parce qu’à son avis, il était difficile de trouver plus mécréant dans le monde de la B.D. En effet, de plus loin que Baudoin se souvienne, jamais l’existence de Dieu ne l’a effleuré. À l’époque, l’abbé voulait laisser quelque chose de son testament philosophique en trois livres. L’un avec Bernard Kouchner, un livre pour le grand public. Un autre avec le professeur Albert jacquard, plus intellectuel. Et le troisième en bandes dessinées pour les enfants. Pour les enfants !!? Edmond n’était pas le bon cheval. Il était donc étonné qu’on le choisisse pour ce travail. Alors il a demandé pourquoi ? Et l’explication était : Son illustration de Théorème de Pier Paolo Pasolini, chez Futuropolis–Gallimard. Les chemins qui mènent à Dieu sont impénétrables. En 1993, dans les rues de Paris, Céline, une jeune femme accompagnée de son amie, remarque une personne à la rue allongée à même le sol sur le trottoir, face contre terre. Elle s’en approche, et s’agenouille, mais n’ose pas la toucher. Elle se relève, son amie lui demande s’il est mort, Céline ne sait pas. 1949. C’était il y a plus de quarante ans, c’était un suicidé… rescapé. C’était un assassin. Vingt ans avant, il avait tué son père dans un moment de colère désespéré. Gracié après vingt ans de bagne, la situation familiale qu’il retrouvait était atroce. Il tenta de se tuer. On appela l’abbé Pierre à l’aide. C’est alors que leur Emmaüs est né. Parce que dans la réflexion, l’abbé a agi au-delà de la bienfaisance. Au lieu de dire à l’autre qu’il était malheureux et qu’il allait lui donner un logement, du travail et de l’argent, les circonstances ont fait dire à l’abbé exactement le contraire. Il ne put dire au suicidé que ce dernier était horriblement malheureux, et que lui, l’abbé, ne pouvait rien lui donner car il n’avait que des dettes. Il a donc proposé à son interlocuteur de donner son aide pour aider les autres. Ce fut la naissance d’Emmaüs. 28 mars 1993, résultats des élections législatives françaises, l’abbé Pierre effectue un discours à la télévision. Il déclare qu’il est français, mais il est aussi européen et planétaire. Si on pouvait faire l’unanimité sur l’inventaire des souffrances de ces neuf pourcents de mal-logés et de ces trois millions de chômeurs, quatre cent mille sans-abri… C’est dingue ! Et il est malheureux que douze pourcents des Français se fassent duper par quelqu’un qui éditait des chants nazis. Il y en a marre ! Une étrange idée de rééditer cette bande dessinée, juste après la révélation au grand public des exactions commises par Henry Grouès (1912-2008), dit l’abbé Pierre. Le lecteur remarque que les noms de Georges Carpentier et d’Alain Royer ont disparu de l’ouvrage, ils ne sont plus cités comme auteurs. En revanche le texte de la quatrième couverture a été conservé en l’état, identique à la première édition, rendant hommage aux valeurs d’humilité et de partage de l’abbé Pierre, surtout ses combats pour protéger les plus démunis. Le lecteur peut s’interroger sur ce qui a motivé l’éditeur à proposer une nouvelle édition de cet ouvrage, forcément lu différemment à la lumière des agissements de l’individu dont l’auteur brosse un portrait respectueux et admiratif. En fonction de son seuil de tolérance, la tolérance du lecteur est soumise à plus ou moins grande épreuve à (re)découvrir ces déclarations et ces pensées philosophiques, en contradiction avec une partie des actes de ce monsieur, et en phase avec une autre partie de sa vie. Cela génère un effet contradictoire, entre la répulsion contre l’hypocrisie de ses propos, et l’admiration sincère d’un homme comme Edmond Baudoin, réellement en empathie avec le vieil homme, impressionné par la cohérence entre ses actes et ses valeurs, alors même que l’auteur se présente comme le premier des mécréants. Sous réserve qu’il puisse faire fi de cette contradiction, le lecteur côtoie un homme pour le moins singulier. Dès la première page, la liberté de ton narrative saute aux yeux du lecteur : du texte manuscrit avec des lettres en capitale, trois illustrations sans bordure, quatre phylactères avec du texte en lettres en minuscule. Puis une forme narrative classique : des cases rectangulaires alignées en bande. Et dans le même temps, des représentations à base de traits de contour très gras, de visages esquissés, de dessins pouvant aller vers l’expressionnisme, des phylactères en cartouche de textes tapés à la machine à écrire, avec des modifications apportées à l’écriture manuscrite, et quelques panoramas prenant la forme de dessins en double page. La personnalité d’Edmond Baudoin exsude de chaque case, de chaque trait, et de chaque phrase, aussi bien dans la forme que dans le contenu. Pour autant, il se plie à l’exercice biographique, réalisant des segments intégrés dans d’autres composantes de la narration. Ainsi le lecteur voit apparaître l’abbé Pierre en planche quatre pour sa déclaration à l’issue des élections législatives françaises de 1993, puis le premier entretien entre lui et l’auteur en août 1993 à Esteville jusqu’à la prière devant un autel improvisé avec une lampe de poche, l’été 1942 en Suisse et l’aide apportée à deux Juifs pour fuir, l’engagement dans la Résistance, le travail dans la maison de retraite d’Esteville en 1993, l'appel du premier février 1954. Dans chaque situation, le lecteur y regarde à deux fois tellement la ressemblance de l’abbé Pierre est frappante : lorsqu’il s’y arrête il voit un assemblage de traits de pinceau donnant une sensation d’esquisse, et dans le même temps un tout d’une incroyable justesse, tellement vivant. De la même manière, les éléments visuels faisant œuvre de reconstitution historique semblent épars, parfois dissociés, parfois fondus ensemble, et pris dans leur ensemble ils deviennent un lieu singulier et une autre époque. L’auteur l’annonce dès la première page : il est vraisemblablement le plus grand des mécréants des bédéastes. Il enfonce le clou quelques pages plus lors d’un dialogue avec l’abbé : l’idée de l’existence de Dieu ne l’a jamais effleuré, même enfant. Plus loin il écrit qu’il n’aime pas beaucoup les religions, qu’il les déteste même quelquefois. Or il converse avec un homme qui a prononcé ses vœux, et qui croit en Dieu. Baudoin respecte cet aspect de la personnalité de celui dont il brosse le portrait, et il l’inclut dans sa bande dessinée, tout en conservant sa propre sensibilité. Il rend donc compte de la spiritualité de l’abbé Pierre, dans la mesure de ce dont il perçoit, en effet Baudoin n’éprouve pas de doute sur la sincérité de son interlocuteur lors de leurs entretiens. Il est donc question de religion : la prière à genou devant l’hostie pour une demi-heure quotidienne d’adoration, les sept années passées chez les Capucins, le fait que l’abbé emploie rarement le mot de Dieu, parlant plutôt de l’éternel qui est amour, l’esprit (Spiritus) qu’il voit comme le vent (Le vent, c’est ce qui n’est rien s’il cesse de bouger, s’il cesse d’aller.), la possibilité d’un vrai œcuménisme, etc. À nouveau, la narration visuelle reste à un niveau pragmatique, descriptif, parfois avec de simples têtes en train de parler. Dans le même temps, les dessins contiennent en eux la sensibilité d’Edmond Baudoin, son empathie pour ses interlocuteurs qui lui permet d’en saisir la personnalité, son regard sur le monde et sa propre personnalité. Le récit contient également l’exposé de valeurs, celles de la morale chrétienne bien sûr, exprimées par l’abbé Pierre. Aussi, cela dépasse les simples notions de partage et d’amour. L’abbé raconte cette rencontre avec une personne ayant tenté de se suicider, à qui il n’a rien à donner, et à qui il propose d’aider plus démuni que lui. Cette forme d’entraide constitue le cœur de ses valeurs (celles qu’il affiche), une démarche ultime qui fonde sa démarche publique. L’abbé évoque également sa conviction que l’humain va vers du Un. Bien sûr, Edmond Baudoin, étant ce qu’il est, raconte, lui aussi à sa manière, intégrant un exemple très actuel (à la date de réalisation de la bande dessinée) d’entraide. Au travers de Céline et de ses amis, il commence par opposer la vie aliénante dans les cités de béton, et la sérénité générée par la contemplation de la mer, dans un milieu naturel. Il devient beaucoup plus simple d’être aimant dans ce cadre apaisant. Pour autant, les sentiments de Céline vont l’amener plus loin que cette amélioration procurée par le changement d’environnement. La narration comprend encore d’autres expressions très personnelles de la sensibilité de l’auteur, de sa façon d’habiter le monde, de la forme de relation qu’il lie avec autrui. Le lecteur peut être déconcerté par une page dans laquelle Baudoin parle à une vache, pour autant un moment révélateur de sa relation au monde, tout comme il peut être enchanté par ces dessins en double page où l’abbé marche dans un paysage de campagne, illustrations magnifiques de naturel et d’évidence. Si sa sensibilité lui permet de lire un ouvrage non critique sur l’abbé Pierre, le lecteur peut garder à l’esprit les crimes qu’il a commis et prendre cette bande dessinée comme un témoignage de l’engagement public de cet homme et de ce qu’il irradiait. Il découvre alors un récit qui comprend des composantes biographiques, religieuses, spirituelles, d’engagement, philosophiques, dans une narration visuelle qui est l’expression même de la personnalité d’Edmond Baudoin, d’une justesse et d’une force incroyables. Une expérience de lecture très étrange, entre voyage spirituel pragmatique et effarement de la dichotomie entre personnage public et individu méprisable. Choquant.

13/05/2025 (modifier)
Par Josq
Note: 4/5
Couverture de la série Alex - Gentleman détective
Alex - Gentleman détective

Un petit one shot tout à fait désuet, et pourtant si agréable à lire ! Dimberton s'essaye ici au récit policier type Gil Jourdan et c'est vraiment très réussi. L'album souffre probablement un peu de son aspect "comme Tillieux", qui tend parfois à s'approcher trop de son modèle, et à en perdre nécessairement un peu de personnalité. Malgré tout, ça se lit très agréablement, et quand on aime comme moi la bande dessinée policière typique des années 60, c'est un vrai plaisir de voir un auteur reprendre avec un tel succès les codes de ce genre de récit. Les personnages sont très typés, les dialogues et les péripéties semblent toutes droit sorties d'un Gil Jourdan ou assimilé, c'est parfois légèrement plombé par quelques facilités, mais l'ensemble tient bien debout. Et le dessin achève de nous ramener à cette époque bénie de la BD policière et humoristique à la Tillieux. Donc oui, c'est certes une habile reprise de Gil Jourdan qui ne dit pas son nom, mais la reprise est très fidèle à l'original, et ça se lit tellement agréablement que je ne saurais le reprocher vraiment à Dimberton. En tous cas, c'est frais, enlevé et plutôt bien ficelé. Quel que soit le degré de copie, on déguste ça sans retenue, avec un immense plaisir !

13/05/2025 (modifier)
Couverture de la série Alerte
Alerte

On est là dans un polar/thriller très classique, autour d’un scandale lié à l’expérimentation menée par un grand laboratoire pharmaceutique. Par le plus grand des hasards, Cathy, l’une de ses meilleures chercheuses se trouve informée d’un gros problème, que le laboratoire cherche à étouffer. Elle se transforme peu à peu en enquêtrice, et va devenir une lanceuse d’alerte. Difficile de ne pas penser à l’affaire Mediator/Servier, et au rôle joué par Irène Frachon, qui a sans aucun doute dû inspirer Johan Massez pour son personnage de Cathy – et pour une partie de l’intrigue générale. Intrigue qui, sans être hyper originale ni trop rythmée, se révèle très plaisante à suivre. Le dessin est plutôt minimaliste et un peu stylisé, le tout accompagné d’une colorisation tranchée et un peu froide (presque bichromique). Là aussi, j’ai plutôt bien aimé ce travail, qui donne un ensemble très fluide et agréable. C’est un diptyque, donc la conclusion viendra rapidement. En l’état, c’est une série dont la lecture est recommandée. ************************* Après lecture du second tome, j'arrondis au niveau supérieur. En effet, si l'album est dans la lancée du précédent, il est aussi plus rythmé (presque trop parfois - voir la course poursuite sur la fin où notre héroïne s'en sort quand même un peu facilement). La lutte de cette lanceuse d'alerte contre un gros laboratoire pharmaceutique qui manque plus de scrupules que de moyens est intense, doublée d'une scission familiale: on ne s'ennuie vraiment pas (le scénario était au départ prévu pour un téléfilm). J'ai bien aimé la conclusion relativement ouverte - et inquiétante, qui évite le traditionnel happy end artificiel. Et on montre bien ici le danger, les risques encourus par les lanceurs d'alerte (il n'y a qu'à voir les cas célèbres - d'ailleurs évoqués par la journaliste d'investigation qui accompagne notre héroïne - qui ont dû tout sacrifier, pour ne jamais être sûrs d'obtenir des résultats). En tout cas c'est un thriller sans esbroufe mais bien mené, avec un dessin ligne clair simple et une colorisation tranchés au rendu plutôt agréable (même s'il est un peu statique). Note réelle 3,5/5.

10/06/2024 (MAJ le 13/05/2025) (modifier)
Par Gaston
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
Couverture de la série Shubeik Lubeik
Shubeik Lubeik

Un excellent album qui donne vraiment envie de connaitre le travail d'autre auteurs et autrices arabes ! L'autrice imagine un monde où les vœux existent et sont très règlementés. À travers le parcours de trois personnages différents, elle dénonce les travers de la société égyptienne d'hier et aujourd'hui et aussi un peu de la civilisation occidentale. On va donc voir des protagonistes souvent prisonniers d'un univers très traditionaliste et ne savent pas comment s'en sortir. J'ai bien aimé suivre leurs parcours et les bonus à la fin des chapitres qui développent plus cet univers sont bien fait. Tout semble crédible et bien pensé de manière intelligente. Certes, il y a quelques longueurs et parfois j'ai eu l'impression que l'autrice tournait parfois en rond, mais je pense que c'est du en parti au fait que c'est paru en français en intégrale alors qu'originalement c'était publié en 3 tomes. J'imagine que c'était plus digeste lorsque les chapitres étaient séparés. J'avoue que j'ai parfois hésité sur mon ressentiment et ce qui m'a fait définitivement basculé dans le camp qui ont adoré l'album est la dernière partie qui est la meilleur et qui développe deux personnages qu'on croise depuis les premières pages. Il y a des scènes dans cette partie qui m'ont grandement émue et c'était passionnant à lire. Une BD riche qui traite de beaucoup de thèmes servit par un dessin magnifique.

13/05/2025 (modifier)
Par Brodeck
Note: 4/5
Couverture de la série Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement
Champs de Bataille - L'histoire enfouie du remembrement

C'est franchement difficile de passer après ces excellents avis ! C'est un peu comme si les 4 fantastiques se réunissaient pour parler BD ;-). On entre sur cette page en mettant les patins, mais je me lance quand même. Si le dessin est selon moi sans grand intérêt, cette BD documentaire (pas vraiment ce que j'aime de prime abord) est particulièrement instructive sur une période comme il est dit en préambule peu documentée et l'on comprend rapidement pourquoi... Ses auteurs s'appuient sur des témoignages et des reproductions d'archives qui montrent factuellement comment les petits paysans ont été victimes du remembrement décidé par l'état (politique mise en place au milieu du XXème siècle qui consiste à former des champs immenses en absorbant les petites parcelles des fermiers, en détruisant les bocages, les haies pour rendre les terres carrossables, en drainant les zones humides, en redessinant les cours d'eau...). Ces petits paysans sont la plupart du temps spoliés au profit de quelques grands exploitants et des agents de l'état qui s'enrichissent sur leur dos. Cette redistribution des terres est souvent le fruit du népotisme, les petits fermiers qui ont perdu les terres familiales sont contraints de cultiver de grandes surfaces peu fertiles. A l'arrivée, catastrophe environnementale, mal-être profond des paysans et vie qui se retire peu à peu des villages (plus besoin de main-d'œuvre remplacée par le tracteur, disparition des commerces, endettement colossal et recours massif aux engrais industriels et pesticides, exode des fermiers qui aimaient leur métier et qui se voient contraints de devenir ouvriers dans les grandes villes). Le constat est évidemment sans appel et c'est navrant. C'est clair, pédagogique (le dossier final est très complet) et édifiant. Mais il n'y a pas, selon moi, de qualités artistiques notables, ce qui est dommage pour une BD, à la différence par exemple de Saison brune qui reste dans le genre une oeuvre très importante dans laquelle Squarzoni parvient à tirer je trouve le meilleur de ce que peut offrir ce medium en alliant fond et forme avec un grand talent. En conclusion, " Champs de bataille " n'est pas une grande bd, mais cela reste une très bonne lecture. Un peu sonné en refermant le bouquin... Note réelle : 3,5 /5. 4/5 si vous aimez particulièrement ce genre de BD avec un contenu didactique.

13/05/2025 (modifier)