Où trouver cet art ? L'Art de notre temps ?
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Ce tome contient une biographie de l'artiste Edgar Degas (1834-1917) qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour l'apprécier, et qui dégage plus de saveurs si le lecteur est familier de ses principaux tableaux. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et pas Efa (Ricard Fernandez) pour les dessins et les couleurs. Il compte quatre-vingts pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de sept pages, rédigé par le scénariste et illustré par des tableaux de Degas. Ces deux auteurs avaient déjà réalisé ensemble Monet, nomade de la lumière (2017).
Samedi 29 septembre 1917, au cimetière de Montmartre à Paris, Mary Cassatt assiste à l'enterrement d''Edgar Degas, immobile et silencieuse, entendant les commentaires autour d'elle. Quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Il était toujours seul. Rien d'étonnant il était si intransigeant. Il ne s'est jamais remis de la faillite familiale. Ce fut pour lui, une telle humiliation. Machiste, antidreyfusard, voire antisémite, intolérable ! Et cette manie de ne peindre que des danseuses, des blanchisseuses et des prostituées, c'est bizarre non ? Pas si bizarre quand on sait que la plupart de ces ballerines étaient aussi des putains. Il ne s'est jamais marié, encore une bizarrerie. En effet, plus encore pour un homme de son rang. On ne lui a jamais connu une seule aventure ? Pas même avec l'un de ses modèles, comme ses amis impressionnistes ? Non, il était peut-être homosexuel, en tout cas beaucoup le pensaient. Ou impuissant… Il était arrogant, insolent et désagréable ! Les gens disaient qu'il y avait deux Degas : celui qui bougonne et celui qui grogne. Il était tout bonnement insupportable. Il a toujours vécu seul, pas étonnant qu'il soit mort seul.
Après l'enterrement, Mary Cassatt rentre chez elle en pensant à tous ces commentaires. Elle se dit qu'on parlera toujours de ses danseuses adorées, de ses blanchisseuses, de ses modistes. Mais quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Elle a besoin de savoir. Elle prend un volume dans sa bibliothèque et se plonge dans les carnets intimes du peintre. En 1852, 45 rue de Taibout à Paris, un jeune Edgar Degas a abordé Paul Valpinçon qui marche dans la rue, et il lui fait la leçon de manière véhémente, lui reprochant de refuser le tableau La baignade pour une exposition sur la carrière de Jean-Auguste-Dominique Ingres, allant jusqu'à l'insulter en le traitant de d'imbécile, de foi, d'idiot, de benêt, d'abruti, d'égoïste. Continuant sur sa lancée en le qualifiant de bourgeois arrogant, de personnage insignifiant, de crétin analphabète. Tout au long de ces invectives, Valpinçon a continué d'avancer et il s'arrête au 11 quai de la Seine pour sonner à la porte. Un homme lui ouvre, le reconnaît et lui demande quel bon vent l'amène. Edgar identifie Ingres au premier coup d’œil. Le riche bourgeois informe le peintre qu'il a changé d'avis et qu'il va lui prêter La baigneuse. le jeune garçon explique à l'artiste qu'il veut devenir peintre. Ingres lui conseille de se consacrer corps et âme à la peinture, de vivre pour la peinture, d'en faire sa maîtresse, sa fiancée et son épouse.
Dès les premières pages, le lecteur constate que les auteurs savent de quoi ils parlent. Le scénariste a choisi de raconter l'histoire de l'artiste du point de vue de Mary Cassatt (1844-1926), artiste peintre et graveuse américaine ayant entretenu une longue relation professionnelle avec le peintre, et le dessinateur sait citer les toiles du maître, sans essayer de les singer. le récit s'ouvre sur l'enterrement d'Edgar Degas, et sa collègue se plonge dans ses carnets intimes. Le dispositif narratif peut sembler téléphoné : dans la narration le scénariste s'en sert pour annoncer les questionnements qu'il va évoquer concernant ce peintre. Les remarques effectuées par les personnes assistant à l'enterrement constituent autant de facettes de la personnalité publique de Degas formant un portrait de l'individu. La deuxième scène indique que l'auteur va mettre en scène des moments de vie, avec la connaissance de son déroulement complet, le point de vue étant celui de sa collègue après la mort de Degas. Dès ces premières pages, la narration visuelle séduit le lecteur avec ces teintes comme apposées au crayon de couleur, des cases rectangulaires sans bordure tracée, un regard adulte sur les différents lieux, avec le comportement posé de cette dame âgée, en phase de deuil d'un ami cher qu'elle a côtoyé pendant des décennies.
Après les trois pages d'introduction, le récit reprend un ordre chronologique, à partir de 1852. En fonction de la nature des événements évoqués, les auteurs peuvent consacrer une scène à une date précise, ou bien évoquer des faits s'étant déroulés entre deux dates, ou encore une série de dates. Dans la première famille se trouvent par exemple l'année 1872 que Degas passe à la Nouvelle Orléans en Louisiane, l'année 1873 au cours de laquelle il développe l'idée d'un salon des Impressionnistes, le 15 avril 1874 pour la première exposition des Impressionnistes, les dates des sept expositions suivantes (30 mars 1876, 4 avril 1877, 10 avril 1879, 1er avril 1880, 2 avril 1881, 1er mars 1882), avril 1883 alors que Degas se rend au chevet de Manet, le 30 avril 1883 date de son décès. Dans la deuxième catégorie, ils vont développer des interactions et des faits avérés comme la fin des études scolaires de Degas, ses années d'apprentissage à l'atelier Lamothe, la première rencontre avec Édouard Manet (1832-1883), celle avec Berthe Morisot (1841-1895, artiste peintre, cofondatrice du mouvement des Impressionnistes), avec les autres impressionnistes, avec Mary Cassatt, les travaux préparatoires de la publication le Jour et la Nuit, qui ne paraîtra jamais, plusieurs échanges au cours de sa relation avec Cassatt, etc.
Le lecteur se retrouve vite pris par cette reconstitution consistante et dense, tout en se demandant si ça s'est vraiment passé comme ça. le dossier en fin d'ouvrage comporte plusieurs parties dont les titres sont les suivantes : Musique pour un menuet solitaire, Degas et Cassatt une énigme émotionnelle, le monde de Degas planche après planche, Un jeune homme en colère, le masque de l'artiste, Inspiration américaine, le ballet comme atelier, Un long adieu. Entre autres, le scénariste explicite ses partis pris : résister à la tentation d'accompagner les planches d'explication, et inclure dans ce cahier final toute une série d'informations complémentaires, de détails savoureux, de curiosités et d'anecdotes qui rendent plus agréable la lecture ou la relecture de cet album. Il apporte une précision sur la voix de monsieur Degas : ses carnets ainsi que plusieurs de ses lettres ont été conservés, tout comme une série d'anecdotes, de critiques et d'information sur sa manière de parler, de se comporter et de s'adresser à son entourage. Il a veillé à reproduire fidèlement son caractère, sa personnalité et son langage, reprenant mot pour mot ou en les adaptant, un grand nombre de ses répliques, affirmations, notes et réflexions. S'il n'est plus possible d'interviewer Edgar Degas lui-même, cette biographie colle au plus près de ce qui est connu de lui, tout en effectuant des choix pour réordonner quelques détails et se conformer à la pagination. À plusieurs reprises, le lecteur peut faire le lien avec la bande dessinée que les auteurs ont consacré à Claude Monet (1840-1926), et aux séquences relatives au Salon de peinture et de sculpture, souvent appelé juste Salon.
L'artiste a choisi de réaliser des dessins qui ne singent pas les tableaux de Degas (d'ailleurs, pas sûr qu'il soit possible de réaliser une bande dessinée avec ses tableaux), mais qui en respecte l'esprit. Pour autant, le lecteur peut identifier plusieurs reproductions de tableaux célèbres, de Degas bien sûr, mais aussi de Manet. En fonction de sa culture, il peut comparer un tableau ou un autre à l'original, et apprécier le talent du bédéiste. Il peut également être saisi par la manière dont il transcrit la puissance expressive de la sculpture La Petite Danseuse de quatorze ans (1879-1881), ou comment il détourne le déjeuner sur l'herbe (1863) de Manet, sans les femmes, avec Degas et Manet allongés sur l'herbe dans la position des messieurs du tableau. La première caractéristique réside dans le fait que la narration visuelle est traitée comme une véritable bande dessinée, et non comme un texte illustré, même quand le scénariste a beaucoup d'informations à apporter. Efa impressionne par sa capacité à représenter dans le détail de nombreux éléments. Le lecteur peut prendre son temps pour examiner les costumes et les robes, les chapeaux féminins et masculins, et bien sûr la manière dont les messieurs taillent leur barbe et leu moustache. Il peut se projeter dans chaque lieu : devant le caveau de la famille de Gas, dans plusieurs rues de Paris, dans une salle de classe du lycée Louis-le-Grand, à l'atelier Lamothe, au café Guerbois, dans plusieurs salons où se tient une réception mondaine, à l'opéra, dans l'atelier de Degas, dans un grand parc parisien, dans un hippodrome, dans les coulisses de l'opéra, dans une maison close. Le dessinateur sait donner à voir les lieux représentés par le peintre, et ceux qu'il fréquentait. L'utilisation de crayons de couleur ou équivalent aboutit à un rendu différent de celui de la peinture, tout en respectant les atmosphères des toiles, le lecteur pouvant en comparer dans le dossier de fin.
Récréer la vie d'un être humain, sa trajectoire de vie, mettre en lumière sa personnalité tient de la gageure, d'une construction a posteriori, d'une interprétation pour mettre en concordance les faits et gestes publics et connus d'un individu et sa vie intérieure mystérieuse et connue de lui seul. Efa & Rubio permettent de faire connaissance avec un artiste peintre singulier, de le côtoyer, d'envisager ses motivations, ses états d'esprit, ses principes (en particulier l'importance qu'il donne à son Art et à sa pratique, aux dépens de sa vie sociale et amoureuse), dans des planches magnifiques, autant descriptives que gorgées de sensations, dans le contexte du mouvement impressionniste. Un coup de maître.
Une belle pioche trouvée en brocante et que je ne connaissais pas. Le nom de René Goscinny a largement suffi pour faire affaire. Et c'est avec grand plaisir que je suis revenu à une époque où l’humour dans la BD était encore bien sage mais efficace. Sous la plume de René Goscinny, Mr Sait-Tout, ce pseudo-historien aux théories fantaisistes, s’impose comme un personnage aussi ridicule que drôle. Il nous entraîne dans des récits absurdes, jonglant avec les anachronismes et les jeux de mots qui n’appartiennent qu’à Goscinny. L’invention de l’école par Charlemagne ou les mésaventures de Richelieu deviennent des mini-épopées burlesques, au ton faussement sérieux, comme si l’Histoire se permettait enfin de respirer un bon coup.
Le dessin de Martial, bien dans la tradition du franco-belge, joue ici un rôle discret mais essentiel. Sans jamais voler la vedette, il accompagne les élucubrations de Goscinny avec une touche précise et expressive qui rend chaque personnage vivant et caricatural à souhait. Bien que Martial n’ait pas la notoriété d’Uderzo, son style apporte une vraie fraîcheur, oscillant entre la caricature et l’illustration humoristique.
Je serais très facilement passé à côté et cela aurait été dommage. Du Goscinny pur jus : humour fin et absurde, et l’ensemble laisse un petit goût de nostalgie, un retour à cette époque où la BD se permettait de jouer avec les codes, tout en restant gentiment subversive.
Décidément, il est fort ce Emmanuel Lepage. Il nous livre ici bien plus qu’une simple BD sur un phare. C’est une incursion, presque mystique, dans l’univers brut et impitoyable de la mer d’Iroise, où le phare d’Ar-Men (l’enfer des enfers) se dresse comme une sentinelle à l’écart de tout. Les premières pages font immédiatement sentir le sel, l’humidité et la solitude de ce lieu où Germain, un gardien solitaire, assure la veille. Et le talent artistique de Lepage y jour pour beaucoup avec cette intensité du bleu profond de la mer et la texture presque palpable des vagues, tantôt sereines, tantôt déchaînées.
L’histoire jongle assez habilement entre plusieurs récits : Germain, dans sa solitude, se remémore les mythes et légendes bretonnes, comme celui de la ville d’Ys, engloutie par les flots, tout en explorant la construction chaotique du phare à travers les souvenirs de Moïzez, un bâtisseur aussi tenace que les éléments qu’il affrontait. Les récits s’imbriquent, mêlant réalité historique et folklore breton, avec l’Ankou et les marins de l’île de Sein qui y font leur apparition, évoquant un passé où mythe et quotidien se confondaient. Lepage jongle avec des styles visuels différents pour rendre ces périodes et ces histoires distinctes. Ca fonctionne très bien même si les différents niveaux de récits, entre mythologie et histoire personnelle, peuvent sembler presque dispersés par moments. On passe de la solitude de Germain aux légendes de Ker-Is, avant de revenir au quotidien rude des bâtisseurs du phare. Cette superposition renforce aussi l’aspect mystique du lieu et du récit, comme si Ar-Men était le point de convergence de toutes ces histoires.
Visuellement, c’est un pur régal. Lepage capture la violence de la mer, la force brute des vagues s’écrasant sur le phare, et la lumière du fanal qui transperce la nuit noire. Chaque case est un hommage à l’immensité de la mer et à la petitesse de l’homme face à elle. Les scènes de tempête, en particulier, sont magnifiques.
Une BD qui sent la mer, au récit riche et équilibré et avec les superbes illustrations d'Emmanuel Lepage pour relever le tout. Que demander de plus ?
Une très belle surprise pour moi aussi, presque un retour aux sources, avec ce même type de plaisir que j’avais ressenti en lisant La Quête de l'Oiseau du Temps pour la première fois. Je ne suis donc pas étonné de trouver Régis Loisel signant la préface du tome 2, un clin d’œil qui renforce l’idée que cette BD s’inscrit dans la même veine.
Dès les premières pages, on comprend que le marécage n’est pas un simple décor : c’est un territoire étrange, sombre, grouillant de créatures et peuplé d’exilés. Ce lieu foisonne de détails, d’objets et de paysages à l’aura presque mystique, renforçant cette impression d’inconnu. C’est un univers qui puise ses inspirations un peu partout, empruntant des éléments mythologiques, un soupçon d'intrigues politiques, et même une touche mystique avec des créatures anthropomorphes et hybrides.
Le dessin d’Antonio Zurera ne m'a pas laissé indifférent, même si je dois dire qu’il m’a fallu quelques pages pour m’y habituer. Son trait est parfois très foisonnant, et peut sembler confus avec des hachures qui se mêlent aux couleurs sombres et saturées. Pourtant, une fois passé ce premier cap, on découvre une vraie richesse visuelle. Les couleurs, très vives, apportent une dimension onirique et presque oppressante, bien en phase avec cet univers inhospitalier. S'il fallait lui trouver un défaut, je dirais comme d'autres avant moi que la composition des cases et le positionnement des bulles ne facilitent pas toujours une lecture fluide.
L’intrigue, elle, tient bien la route. Sur une base classique de complot autour de la succession au trône, l’histoire prend une tournure inattendue, brouillant les pistes avec de multiples personnages et une succession de rebondissements. Les personnages sont bien campés, chacun avec sa propre dynamique, ses mystères et ses ambitions.
Une œuvre audacieuse, où les petites imperfections de début de série côtoient une profondeur indéniable. C’est ce genre de BD où j'accepte volontiers de me perdre un peu, pour mieux me laisser porter par une atmosphère travaillée et qui donne envie de découvrir chaque recoin de ce monde. Un univers dense et surprenant, qui mérite qu’on s’y plonge sans réserve. Un début de série très prometteur !
J'ai mis longtemps à lire Riad Sattouf, peut être échaudé par des projets que je percevais comme trop commerciaux, des sujets qui ne me touchaient pas vraiment (Les Cahiers d'Esther, les Beaux Gosses,...). Je n'étais pas trop en phase.
Et L'Arabe du futur m'est tombé dans les mains. Je ne peux pas dire autrement, je ne l'ai pas acheté, on me l'a offert.
Et j'ai découvert un auteur, puis un homme en écoutant ses interventions, ses interviews, et ça a résonné.
Je me suis lancé dans son histoire via L'Arabe du futur et j'ai été captivé par cette histoire de famille, sincère, pleine de drames, mais présenté avec un optimisme naïf qui rend le tout tolérable humainement.
Pour Moi, Fadi, le frère volé, on change d'angle, mais pas la recette.
Si comme moi, vous avez aimé L'arabe du Futur, vous plongerez dans Moi, Fadi avec le même plaisir. Si l'histoire de Riad vous a interpellé, vous ne pouvez pas laisser de côté le point de vue de Fadi. Je l'attendais même.
Graphiquement, narrativement, comme je l'ai dit, rien ne change avec L'Arabe du futur. Si le graphisme vous a arrêté sur la première série, aucune chance que Moi, Fadi trouve grâce à vos yeux.
Mais l'utilisation des couleurs par Riad Sattouf reste habile et donne une lecture des sentiments de ses personnages.
Dans la narration, le ton est juste. Dans ce premier tome, un bon tiers de l'histoire est déjà connue, car elle commence en Bretagne avec Riad et ses frères, mais on a fait un pas de côté, pour se rendre compte que si le cadre est le même, la perception change (un peu). Rien d'anormal, et celui ou celle qui a un frère ou une soeur, le sait bien.
Riad Sattouf, dans la position du frère, rend cependant habilement compte du point de vue de son frère, et très rapidement il s'efface pour qu'on ne retrouve que Fadi et son histoire. Terrible et captivante.
tome 1
La première chose que l'on remarque avec cette bd, c'est sa qualité éditoriale, une couverture remarquable, et un album de 135 pages qui pèse plus d'un kilo !
Certes, le prix est assez élevé, et un choix éditorial autre à un moindre coût aurait pu l'emporter mais c'est vrai que cette option, assez luxueuse, est discutable mais passons...
Ce qui frappe en ouvrant cet album, c'est le dessin de Thimothée Montaigne. J'avais découvert cet auteur avec la série Le Troisième Testament - Julius qu'il avait repris au pied levé avec un certain brio, il faut l'avouer. Certes son dessin lorgne sans ambiguïté aucune, vers celui de Mathieu Lauffray, avec lequel il avait collaboré sur Long John Silver.
Il n’y a rien à dire sur le dessin, c'est superbe, on en prend plein la vue avec quelques pleines pages ou doubles pages incroyables (je pense notamment à la découverte du Jakata, pages 22 et 23.)
En débutant la lecture, j'ai immédiatement songé au personnage de Lady Hasting de Long John Silver avec Lucretia Hans, qui veut rejoindre son époux, au delà des mers.
Je reste subjugué par la beauté des planches, malgré la noirceur de l'intrigue, au fil des pages.
Le scénario de Xavier Dorison n'est pas en reste, l'intrigue est très sombre, les personnages très tourmentés, et ce premier volume retrace avec une efficacité remarquable, l'atmosphère qui règne sur un navire où une mutinerie couve....
Parti d'un choix éditorial très discutable sur le coût, cet album rejoint, à mes yeux, un des meilleurs albums que j'ai lus cette année, bref un incontournable de cette année.
tome 2
La lecture du premier volume fut , pour moi, jubilatoire. Je ne connaissais pas du tout ce fait maritime, et je me suis fait souffrance pour ne pas aller en découvrir davantage , pour mieux appréhender ce second volume.
Je dois dire que cet album est époustouflant à tout point de vue. Un dessin de Thimothée Montaigne magnifique voire exceptionnel, les pleines pages sont d'une beauté à couper le souffle.
Mais c'est surtout le rythme du récit qui tient en haleine le lecteur, d'ailleurs je n'ai pas réussi à lâcher ce livre avant d'en connaitre le dénouement. On a du mal à imaginer tant d'atrocités dans ce récit, bien qu'il soit très fortement inspiré de faits réels. Le travail de Xavier Dorison est, une de fois de plus, remarquable dans cette adaptation.
J'ai bien évidement relu le premier volume de ce diptyque avant de me lancer dans cet album, et à mon avis, ce second tome dépasse encore le précédent, c'est dire!
Une de mes meilleures lectures de cette année.
Et je passe sous silence la qualité éditoriale de l'album,et son prix, certes élevé, mais lorsque le scénario et le dessin sont d'une telle qualité, on ne peut passer à côté d'un tel chef d’œuvre.
Décidément, les éditions du Tripode développent un catalogue des plus originaux et intéressants. J’y trouve mon compte dans leurs publications « littéraires », mais aussi dans leurs BD. C’est le quatrième album de Stanislas Moussé qu’ils publient, et c’est encore une belle réussite !
Ceux qui ont lu les trois précédents ne seront pas dépaysés. On a encore là un travail graphique unique, qui signe un auteur. Personnages et décors sont de prime abord dessinés de façon minimalistes, mais avec force détails pour « l’habillage ». Un dessin au stylo minutieux, parfois délirant sur certaines pages. Cela donne un rendu stylisé, qui convient parfaitement à l’univers médiéval fantastique (ici plutôt oriental je trouve) de Moussé. Et, comme toujours, des personnages avec un œil unique.
Mais, malgré cela, et le fait que l’album soit une nouvelle fois entièrement muet, l’ensemble est très expressif, dynamique. Et plaisant à lire. Passages guerriers, humoristiques et horrifiques se succèdent, sous les yeux d’un pauvre lapin (et sous la présence écrasante de la lune), dans un récit un peu décousu, mais qui est rythmé et agréable à suivre.
En tout cas Moussé est un auteur à découvrir, si ça n’est pas déjà fait.
Un très bon premier tome !
Non content de nous raconter une histoire aux allures de conte, nous parlant d’écologie, de spiritualité et un peu de féminisme aussi, ce premier album arrive à être plus qu’une simple introduction à son récit et à son univers. Beaucoup de choses sont développées ici et, même si beaucoup restent en suspens, on ne ressort pas en se disant d’avoir assister à la simple lecture d’un incipit.
Petit spoil le temps de ce court paragraphe (spoil sans doute peu important in fine car il s’agit d’un aspect qui définira la suite de la série mais ça reste un twist qui surgit à la moitié de cet album).
J’ai beaucoup apprécié le fait de traiter le sujet post-apocalyptique sous l’angle d’un retour à la spiritualité et à une vie plus proche de la nature. Ce n’est pas nouveau mais c’est un type de récit qui me parle tout particulièrement.
Les dessins de Stéphane Fert sont, comme toujours, magnifiques. De belles couleurs vives jouant sur des contrastes sombres, des formes rondes et un style presque crayonné.
Sans doute pas du goût de tout le monde, personnellement je trouve ses dessins pleins de charme. Le cahier de brouillons à la fin est un vrai plus pour moi.
Une série que je vais suivre avec assiduité.
C’était très bien mais j’avoue que les avis élogieux que j’avais glané ici et là m’avaient presque trop bien vendu le truc.
Le résultat reste très bon, j’insiste, mais je m’attendais presque à une révélation.
Ne laissons pas ma petite déception faire entendre que l’album est mauvais : il est loin de l’être.
Sous ses airs d’une réécriture du mythe arthurien et de simple récit d’aventure, l’album se révèle être en fait un récit d’émancipation centré sur une adolescente, puis une critique de la condition de la femme, puis un récit illustrant le fait que le pouvoir et la vengeance transforment en monstre, puis en fait un peu de tout ça à la fois.
Comme les légendes, le récit d’aventure est ici plein de sous-textes et de réflexions.
Le dessin de Burniat est bon. Pas mon style préféré mais je lui reconnais beaucoup de qualités (notamment ses expressions du visage qui jouent beaucoup dans les instants comiques).
Car oui, c’est un récit comique aussi. Beaucoup de scène drôles jouent sur les expressions des personnages, donc, mais certaines jouent aussi sur les répliques. J’ai particulièrement aimé certains échanges entre Ysabelle et l’épée.
Bref, une vraie bonne lecture.
Ignorez ma légère complainte du début.
(Note réelle 3,5)
Le désir, ça se travaille, ça s'invente.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Lauriane Chapeau pour le scénario et Loïc Verdier pour les dessins. La mise en couleurs a été réalisée par Chiara Di Francia, Arancia Studio et Loïc Verdier. Il comprend cent pages de bande dessinée.
Sur les quais de la Nouvelle-Orléans en 1917, Gustavo & Antonio deux frères métisses, discutent avec Herb derrière une palissade : ils sont en train de lui refourguer une caisse d’alcool de contrebande. L’acheteur hésite, mais les deux frères goûtent la camelote devant lui, ce qui l’incite à le faire également et il en est convaincu. L’affaire conclue, il indique que c’est la première fois qu’il vient dans cette ville et qu’il aimerait s’amuser un peu. Un copain lui a conseillé de se rendre à Storyville pour trouver des filles. Les deux frères lui recommandent l’établissement Make Love To Me. Après le départ de l’acheteur, ils rentrent chez eux, un pavillon du quartier Storyville. À l’intérieur, la mère Dolorès appelle sa fille Santa Maria Del Sol pour qu’elle vienne l’aider à la cuisine. Celle-ci interrompt ses caresses intimes, et descend rapidement. Les deux frères arrivent et tout le monde passe à table, la mère exigeant le silence pendant que chacun apprécie le repas. Après elle demande à ses fils quelle est la bonne nouvelle qu’ils voulaient annoncer. Ont-ils trouvé du travail ? L’un d’eux jettent une liasse de billets sur la table : ils ramènent de l’argent ! La mère intime à sa fille de monter dans sa chambre et elle exige ensuite que ses fils lui disent comment ils ont gagné cet argent.
Quelques instants plus tard, Gustavo et Antonio discutent sur la véranda, et Santa Maria descend discrètement par la balustrade. Elle demande à Gustavo qui est cette Nina dont il parlait. Elle finit par comprendre que cette femme travaille pour Madame Lala, au Make Love To Me, en tant que prostituée. Elle leur demande comment c’est là-bas, mais ils refusent de répondre, et elle est appelée par sa mère pour faire la vaisselle. Un peu plus tard dans la journée, elle accompagne sa mère faire les courses chez l’épicier. En chemin, elles passent devant l’église et Santa Maria discute avec Trevor en train de repeindre la clôture, pendant que sa mère continue pour aller chez l’épicier. La jeune fille demande à son ami s’il est déjà allé en maison close, s’il a déjà vu un minou, et elle finit par le traiter de puceau. Sur ces entrefaites, le révérend sort de l’église et demande à la jeune fille de laisser Trevor travailler. Elle va rejoindre sa mère, portant un panier vide à chaque main. Elle aperçoit ses deux frères sur le trottoir devant elle et elle décide de les suivre. Elle a deviné juste : ils se rendent à la maison de joie. Elle voit Quinn, une femme un peu âgée en sortir avec sa valise à la main. Elle l’aborde pour savoir si elle travaille ici. La prostituée lui répond : jusqu’à ce matin, mais ils ne veulent plus d’elle. Sa mère passe l’angle de rue et interpelle sa fille. Dans une chambre, Gustavo est persuadé d’avoir entendu la voix de sa sœur dehors.
Une histoire qui débute sur de bien étranges prémisses : une adolescente vierge de dix-sept ans qui va travailler dans une maison close. Le lecteur pense un moment à Miss Pas Touche (2006-2009) de Kerascoët & Hubert Boulard, mais ici l’héroïne assure des tâches domestiques, sans que les clients ne puissent acheter ses services. Le titre désigne un quartier historique du centre-ville de la Nouvelle-Orléans, passé à la postérité pour avoir abrité des activités liées à l’alcool, au jeu et à la prostitution. Santa Maria Del Sol appartient à une famille de métisses dont le père a disparu, il n’est même pas évoqué, avec deux frères plus âgés et une mère qui ne travaille pas. Elle éprouve une forte curiosité pour une maison close appelée Make Love To Me, tenue par Madame Lala. Cette curiosité est entretenue par le mystère des activités qui s’y déroulent à l’intérieur et par le mélange d’interdit et d’attraction qui l’entoure, ainsi que par l’évidente satisfaction de ses clients, à commencer par ses propres frères. Un concours de circonstances va l’amener à pénétrer dans cet établissement avec le projet d’assassiner Madame Lala. Elle va se heurter au principe de réalité de plein fouet, tout en générant une forme de compassion chez les prostituées et chez Madame Lala. Finalement embauchée, elle côtoie les prostituées, papote avec ces nouvelles collègues, et elle devient le témoin de quelques pratiques tarifiées. La situation se complique pour elle entre Trevor son amoureux, et le vicomte le propriétaire du clandé.
Avec un tel fil conducteur, le lecteur s’attend à une histoire assez glauque : des prostituées mal traitées, un quartier mal famé avec des trafics crapuleux, un racisme latent, une mainmise par le crime organisé, un environnement dans lequel une oie blanche n’a aucune chance. Fort heureusement, les dessins s’éloignent d’un style réaliste, avec une forme de description simplifiée, d’exagération dans la forme humaine, et un jeu d’acteurs parfois un peu surjoué pour donner plus de personnalité aux protagonistes. Dans les décors, le lecteur sent bien que l’artiste s’est inspiré de documents historiques pour reproduire le quartier de Storyville : les quais avec les bateaux à la forme caractéristique de cette époque et de cette région du monde, ainsi que l’animation pour gérer les marchandises, le quartier animé avec les constructions en dur, les immeubles de quelques étages et les balcons typiques, le quartier populaire avec ses maisons en bois et sa population métisse, le bayou avec son ponton de bois et sa végétation luxuriante, et bien sûr la maison close avec ses différentes pièces. Au vu du sujet, le lecteur est conscient de sa curiosité de voyeur : il regarde donc le monumental hall d’entrée avec ses tapis, son piano, son lustre, son ventilateur, les poutres apparentes, les canapés et les fauteuils, et ces dames qui attendent le client. Lors de la première visite de Santa Maria, il regarde comme elle plusieurs chambres avec leur décor, la forme du lit, les accessoires dont l’indispensable broc d’eau pour la toilette intime. Il regarde avec la même curiosité l’aménagement du bureau de Madame Lala. Il se rend compte en se familiarisant avec les lieux, que l’éclairage diffère d’une chambre à l’autre. Il découvre le dortoir des filles, la salle de bains commune avec ses baignoires. Il prend le temps d’apprécier la décoration particulière imaginée et réalisée par ces dames à l’occasion de Mardi Gras, à base de vulves.
L’artiste joue avec la forme humaine pour mieux faire ressortir l’état d’esprit de chaque personnage, son humeur. Ce choix se manifeste dans des visages aux traits souvent simplifiés, aux formes des yeux très malléables, aux silhouettes soient étirées, soit gonflées, aux pieds un tout petit peu trop effilés, aux gestes un tout petit peu caoutchouteux. Ces libertés par rapport à l’anatomie rigoureuse apportent un peu plus de vie dans les individus, les rendant plus sympathiques, sans être enfantins : leurs émotions sont ainsi plus apparentes et plus honnêtes, sans être infantiles ou naïves, en restant très adultes. Ce mode de représentation renforce l’empathie du lecteur pour les personnages, tout en tentant la réalité à distance, juste ce qu’il faut pour que la sensation de voyeurisme soit évitée. Les relations sexuelles sont représentées, y compris quelques pratiques moins conventionnelles, sans devenir pornographiques, l’érotisme y étant également absent, parce qu’il s’agit de personnages de papier. Le dessinateur parvient ainsi à éviter des descriptions trop réalistes qui seraient glauques, mais aussi à éviter une narration visuelle qui serait édulcorée, qui évoquerait les services des prostituées soit de manière inoffensive, soit de manière ludique.
La jeune Santa Maria Del Sol passe par une première phase de curiosité dévorante quant au plaisir dispensé dans l’établissement tenu par Madame Lala, puis par une phase de haine envers cette femme, pour enfin pénétrer dans cette entreprise et y être employée. La toute jeune femme exerce un autre métier que celui de prostituée, restant inaccessible aux clients, portant un regard différent sur ce métier, entre ingénuité et perspicacité. L’histoire devient celle de l’éveil de ces professionnelles, prenant conscience de ce qu’elles apportent à la société, et en particulier d’une facette de leur savoir-faire qu’il est possible de valoriser de façon disruptive dans la société de l’époque. Le lecteur se sent porté par cet espoir de changement, d’évolution positive. Dans le même temps, la scénariste ne donne pas dans l’angélisme. En arrivant devant l’établissement Make Love To Me, la jeune fille croise une prostituée dont la direction se sépare pour cause de date de péremption dépassée. La tolérance dont bénéficie cette maison découle des agissements de monsieur Williams surnommé le vicomte, qui dispose d’un flair politique qu’il met à profit pour se concilier les bonnes grâces, ou plutôt la protection de notables et responsables qu’il a su impliquer. Aucune des prostituées n’a choisi son métier par vocation, encore moins par plaisir. Le comportement de certains clients nécessite l’intervention de Johnny, métis à la carrure et à la musculature imposantes. Les maladies vénériennes peuvent s’avérer mortelles. Les ligues de vertu manifestent leur désapprobation publiquement dans la rue. Le risque de maltraitance de ces dames reste présent. La violence physique peut s’exercer de plusieurs manières.
Les auteurs plongent une jeune femme vierge dans la vie quotidienne d’une maison close, à une époque précise, dans un quartier identifié. La narration visuelle se tient en équilibre entre l’exagération et des éléments réalistes, tenant ainsi à distance le voyeurisme et le misérabilisme, avec des personnages expressifs, tout en montrant les contraintes sociales et le quotidien du métier. L’histoire parvient à un aussi bon équilibre entre l’entrain et l’optimisme de la jeunesse, et le principe de réalité d’une telle forme d’entreprise dans une société dont la tolérance a ses limites. Très réussi.
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Degas - La Danse de la solitude
Où trouver cet art ? L'Art de notre temps ? - Ce tome contient une biographie de l'artiste Edgar Degas (1834-1917) qui ne nécessite pas de connaissance préalable pour l'apprécier, et qui dégage plus de saveurs si le lecteur est familier de ses principaux tableaux. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Salva Rubio pour le scénario et pas Efa (Ricard Fernandez) pour les dessins et les couleurs. Il compte quatre-vingts pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de sept pages, rédigé par le scénariste et illustré par des tableaux de Degas. Ces deux auteurs avaient déjà réalisé ensemble Monet, nomade de la lumière (2017). Samedi 29 septembre 1917, au cimetière de Montmartre à Paris, Mary Cassatt assiste à l'enterrement d''Edgar Degas, immobile et silencieuse, entendant les commentaires autour d'elle. Quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Il était toujours seul. Rien d'étonnant il était si intransigeant. Il ne s'est jamais remis de la faillite familiale. Ce fut pour lui, une telle humiliation. Machiste, antidreyfusard, voire antisémite, intolérable ! Et cette manie de ne peindre que des danseuses, des blanchisseuses et des prostituées, c'est bizarre non ? Pas si bizarre quand on sait que la plupart de ces ballerines étaient aussi des putains. Il ne s'est jamais marié, encore une bizarrerie. En effet, plus encore pour un homme de son rang. On ne lui a jamais connu une seule aventure ? Pas même avec l'un de ses modèles, comme ses amis impressionnistes ? Non, il était peut-être homosexuel, en tout cas beaucoup le pensaient. Ou impuissant… Il était arrogant, insolent et désagréable ! Les gens disaient qu'il y avait deux Degas : celui qui bougonne et celui qui grogne. Il était tout bonnement insupportable. Il a toujours vécu seul, pas étonnant qu'il soit mort seul. Après l'enterrement, Mary Cassatt rentre chez elle en pensant à tous ces commentaires. Elle se dit qu'on parlera toujours de ses danseuses adorées, de ses blanchisseuses, de ses modistes. Mais quelqu'un le connaissait-il vraiment ? Elle a besoin de savoir. Elle prend un volume dans sa bibliothèque et se plonge dans les carnets intimes du peintre. En 1852, 45 rue de Taibout à Paris, un jeune Edgar Degas a abordé Paul Valpinçon qui marche dans la rue, et il lui fait la leçon de manière véhémente, lui reprochant de refuser le tableau La baignade pour une exposition sur la carrière de Jean-Auguste-Dominique Ingres, allant jusqu'à l'insulter en le traitant de d'imbécile, de foi, d'idiot, de benêt, d'abruti, d'égoïste. Continuant sur sa lancée en le qualifiant de bourgeois arrogant, de personnage insignifiant, de crétin analphabète. Tout au long de ces invectives, Valpinçon a continué d'avancer et il s'arrête au 11 quai de la Seine pour sonner à la porte. Un homme lui ouvre, le reconnaît et lui demande quel bon vent l'amène. Edgar identifie Ingres au premier coup d’œil. Le riche bourgeois informe le peintre qu'il a changé d'avis et qu'il va lui prêter La baigneuse. le jeune garçon explique à l'artiste qu'il veut devenir peintre. Ingres lui conseille de se consacrer corps et âme à la peinture, de vivre pour la peinture, d'en faire sa maîtresse, sa fiancée et son épouse. Dès les premières pages, le lecteur constate que les auteurs savent de quoi ils parlent. Le scénariste a choisi de raconter l'histoire de l'artiste du point de vue de Mary Cassatt (1844-1926), artiste peintre et graveuse américaine ayant entretenu une longue relation professionnelle avec le peintre, et le dessinateur sait citer les toiles du maître, sans essayer de les singer. le récit s'ouvre sur l'enterrement d'Edgar Degas, et sa collègue se plonge dans ses carnets intimes. Le dispositif narratif peut sembler téléphoné : dans la narration le scénariste s'en sert pour annoncer les questionnements qu'il va évoquer concernant ce peintre. Les remarques effectuées par les personnes assistant à l'enterrement constituent autant de facettes de la personnalité publique de Degas formant un portrait de l'individu. La deuxième scène indique que l'auteur va mettre en scène des moments de vie, avec la connaissance de son déroulement complet, le point de vue étant celui de sa collègue après la mort de Degas. Dès ces premières pages, la narration visuelle séduit le lecteur avec ces teintes comme apposées au crayon de couleur, des cases rectangulaires sans bordure tracée, un regard adulte sur les différents lieux, avec le comportement posé de cette dame âgée, en phase de deuil d'un ami cher qu'elle a côtoyé pendant des décennies. Après les trois pages d'introduction, le récit reprend un ordre chronologique, à partir de 1852. En fonction de la nature des événements évoqués, les auteurs peuvent consacrer une scène à une date précise, ou bien évoquer des faits s'étant déroulés entre deux dates, ou encore une série de dates. Dans la première famille se trouvent par exemple l'année 1872 que Degas passe à la Nouvelle Orléans en Louisiane, l'année 1873 au cours de laquelle il développe l'idée d'un salon des Impressionnistes, le 15 avril 1874 pour la première exposition des Impressionnistes, les dates des sept expositions suivantes (30 mars 1876, 4 avril 1877, 10 avril 1879, 1er avril 1880, 2 avril 1881, 1er mars 1882), avril 1883 alors que Degas se rend au chevet de Manet, le 30 avril 1883 date de son décès. Dans la deuxième catégorie, ils vont développer des interactions et des faits avérés comme la fin des études scolaires de Degas, ses années d'apprentissage à l'atelier Lamothe, la première rencontre avec Édouard Manet (1832-1883), celle avec Berthe Morisot (1841-1895, artiste peintre, cofondatrice du mouvement des Impressionnistes), avec les autres impressionnistes, avec Mary Cassatt, les travaux préparatoires de la publication le Jour et la Nuit, qui ne paraîtra jamais, plusieurs échanges au cours de sa relation avec Cassatt, etc. Le lecteur se retrouve vite pris par cette reconstitution consistante et dense, tout en se demandant si ça s'est vraiment passé comme ça. le dossier en fin d'ouvrage comporte plusieurs parties dont les titres sont les suivantes : Musique pour un menuet solitaire, Degas et Cassatt une énigme émotionnelle, le monde de Degas planche après planche, Un jeune homme en colère, le masque de l'artiste, Inspiration américaine, le ballet comme atelier, Un long adieu. Entre autres, le scénariste explicite ses partis pris : résister à la tentation d'accompagner les planches d'explication, et inclure dans ce cahier final toute une série d'informations complémentaires, de détails savoureux, de curiosités et d'anecdotes qui rendent plus agréable la lecture ou la relecture de cet album. Il apporte une précision sur la voix de monsieur Degas : ses carnets ainsi que plusieurs de ses lettres ont été conservés, tout comme une série d'anecdotes, de critiques et d'information sur sa manière de parler, de se comporter et de s'adresser à son entourage. Il a veillé à reproduire fidèlement son caractère, sa personnalité et son langage, reprenant mot pour mot ou en les adaptant, un grand nombre de ses répliques, affirmations, notes et réflexions. S'il n'est plus possible d'interviewer Edgar Degas lui-même, cette biographie colle au plus près de ce qui est connu de lui, tout en effectuant des choix pour réordonner quelques détails et se conformer à la pagination. À plusieurs reprises, le lecteur peut faire le lien avec la bande dessinée que les auteurs ont consacré à Claude Monet (1840-1926), et aux séquences relatives au Salon de peinture et de sculpture, souvent appelé juste Salon. L'artiste a choisi de réaliser des dessins qui ne singent pas les tableaux de Degas (d'ailleurs, pas sûr qu'il soit possible de réaliser une bande dessinée avec ses tableaux), mais qui en respecte l'esprit. Pour autant, le lecteur peut identifier plusieurs reproductions de tableaux célèbres, de Degas bien sûr, mais aussi de Manet. En fonction de sa culture, il peut comparer un tableau ou un autre à l'original, et apprécier le talent du bédéiste. Il peut également être saisi par la manière dont il transcrit la puissance expressive de la sculpture La Petite Danseuse de quatorze ans (1879-1881), ou comment il détourne le déjeuner sur l'herbe (1863) de Manet, sans les femmes, avec Degas et Manet allongés sur l'herbe dans la position des messieurs du tableau. La première caractéristique réside dans le fait que la narration visuelle est traitée comme une véritable bande dessinée, et non comme un texte illustré, même quand le scénariste a beaucoup d'informations à apporter. Efa impressionne par sa capacité à représenter dans le détail de nombreux éléments. Le lecteur peut prendre son temps pour examiner les costumes et les robes, les chapeaux féminins et masculins, et bien sûr la manière dont les messieurs taillent leur barbe et leu moustache. Il peut se projeter dans chaque lieu : devant le caveau de la famille de Gas, dans plusieurs rues de Paris, dans une salle de classe du lycée Louis-le-Grand, à l'atelier Lamothe, au café Guerbois, dans plusieurs salons où se tient une réception mondaine, à l'opéra, dans l'atelier de Degas, dans un grand parc parisien, dans un hippodrome, dans les coulisses de l'opéra, dans une maison close. Le dessinateur sait donner à voir les lieux représentés par le peintre, et ceux qu'il fréquentait. L'utilisation de crayons de couleur ou équivalent aboutit à un rendu différent de celui de la peinture, tout en respectant les atmosphères des toiles, le lecteur pouvant en comparer dans le dossier de fin. Récréer la vie d'un être humain, sa trajectoire de vie, mettre en lumière sa personnalité tient de la gageure, d'une construction a posteriori, d'une interprétation pour mettre en concordance les faits et gestes publics et connus d'un individu et sa vie intérieure mystérieuse et connue de lui seul. Efa & Rubio permettent de faire connaissance avec un artiste peintre singulier, de le côtoyer, d'envisager ses motivations, ses états d'esprit, ses principes (en particulier l'importance qu'il donne à son Art et à sa pratique, aux dépens de sa vie sociale et amoureuse), dans des planches magnifiques, autant descriptives que gorgées de sensations, dans le contexte du mouvement impressionniste. Un coup de maître.
Les Divagations de Mr Sait-Tout
Une belle pioche trouvée en brocante et que je ne connaissais pas. Le nom de René Goscinny a largement suffi pour faire affaire. Et c'est avec grand plaisir que je suis revenu à une époque où l’humour dans la BD était encore bien sage mais efficace. Sous la plume de René Goscinny, Mr Sait-Tout, ce pseudo-historien aux théories fantaisistes, s’impose comme un personnage aussi ridicule que drôle. Il nous entraîne dans des récits absurdes, jonglant avec les anachronismes et les jeux de mots qui n’appartiennent qu’à Goscinny. L’invention de l’école par Charlemagne ou les mésaventures de Richelieu deviennent des mini-épopées burlesques, au ton faussement sérieux, comme si l’Histoire se permettait enfin de respirer un bon coup. Le dessin de Martial, bien dans la tradition du franco-belge, joue ici un rôle discret mais essentiel. Sans jamais voler la vedette, il accompagne les élucubrations de Goscinny avec une touche précise et expressive qui rend chaque personnage vivant et caricatural à souhait. Bien que Martial n’ait pas la notoriété d’Uderzo, son style apporte une vraie fraîcheur, oscillant entre la caricature et l’illustration humoristique. Je serais très facilement passé à côté et cela aurait été dommage. Du Goscinny pur jus : humour fin et absurde, et l’ensemble laisse un petit goût de nostalgie, un retour à cette époque où la BD se permettait de jouer avec les codes, tout en restant gentiment subversive.
Ar-Men - L'Enfer des enfers
Décidément, il est fort ce Emmanuel Lepage. Il nous livre ici bien plus qu’une simple BD sur un phare. C’est une incursion, presque mystique, dans l’univers brut et impitoyable de la mer d’Iroise, où le phare d’Ar-Men (l’enfer des enfers) se dresse comme une sentinelle à l’écart de tout. Les premières pages font immédiatement sentir le sel, l’humidité et la solitude de ce lieu où Germain, un gardien solitaire, assure la veille. Et le talent artistique de Lepage y jour pour beaucoup avec cette intensité du bleu profond de la mer et la texture presque palpable des vagues, tantôt sereines, tantôt déchaînées. L’histoire jongle assez habilement entre plusieurs récits : Germain, dans sa solitude, se remémore les mythes et légendes bretonnes, comme celui de la ville d’Ys, engloutie par les flots, tout en explorant la construction chaotique du phare à travers les souvenirs de Moïzez, un bâtisseur aussi tenace que les éléments qu’il affrontait. Les récits s’imbriquent, mêlant réalité historique et folklore breton, avec l’Ankou et les marins de l’île de Sein qui y font leur apparition, évoquant un passé où mythe et quotidien se confondaient. Lepage jongle avec des styles visuels différents pour rendre ces périodes et ces histoires distinctes. Ca fonctionne très bien même si les différents niveaux de récits, entre mythologie et histoire personnelle, peuvent sembler presque dispersés par moments. On passe de la solitude de Germain aux légendes de Ker-Is, avant de revenir au quotidien rude des bâtisseurs du phare. Cette superposition renforce aussi l’aspect mystique du lieu et du récit, comme si Ar-Men était le point de convergence de toutes ces histoires. Visuellement, c’est un pur régal. Lepage capture la violence de la mer, la force brute des vagues s’écrasant sur le phare, et la lumière du fanal qui transperce la nuit noire. Chaque case est un hommage à l’immensité de la mer et à la petitesse de l’homme face à elle. Les scènes de tempête, en particulier, sont magnifiques. Une BD qui sent la mer, au récit riche et équilibré et avec les superbes illustrations d'Emmanuel Lepage pour relever le tout. Que demander de plus ?
Marécage
Une très belle surprise pour moi aussi, presque un retour aux sources, avec ce même type de plaisir que j’avais ressenti en lisant La Quête de l'Oiseau du Temps pour la première fois. Je ne suis donc pas étonné de trouver Régis Loisel signant la préface du tome 2, un clin d’œil qui renforce l’idée que cette BD s’inscrit dans la même veine. Dès les premières pages, on comprend que le marécage n’est pas un simple décor : c’est un territoire étrange, sombre, grouillant de créatures et peuplé d’exilés. Ce lieu foisonne de détails, d’objets et de paysages à l’aura presque mystique, renforçant cette impression d’inconnu. C’est un univers qui puise ses inspirations un peu partout, empruntant des éléments mythologiques, un soupçon d'intrigues politiques, et même une touche mystique avec des créatures anthropomorphes et hybrides. Le dessin d’Antonio Zurera ne m'a pas laissé indifférent, même si je dois dire qu’il m’a fallu quelques pages pour m’y habituer. Son trait est parfois très foisonnant, et peut sembler confus avec des hachures qui se mêlent aux couleurs sombres et saturées. Pourtant, une fois passé ce premier cap, on découvre une vraie richesse visuelle. Les couleurs, très vives, apportent une dimension onirique et presque oppressante, bien en phase avec cet univers inhospitalier. S'il fallait lui trouver un défaut, je dirais comme d'autres avant moi que la composition des cases et le positionnement des bulles ne facilitent pas toujours une lecture fluide. L’intrigue, elle, tient bien la route. Sur une base classique de complot autour de la succession au trône, l’histoire prend une tournure inattendue, brouillant les pistes avec de multiples personnages et une succession de rebondissements. Les personnages sont bien campés, chacun avec sa propre dynamique, ses mystères et ses ambitions. Une œuvre audacieuse, où les petites imperfections de début de série côtoient une profondeur indéniable. C’est ce genre de BD où j'accepte volontiers de me perdre un peu, pour mieux me laisser porter par une atmosphère travaillée et qui donne envie de découvrir chaque recoin de ce monde. Un univers dense et surprenant, qui mérite qu’on s’y plonge sans réserve. Un début de série très prometteur !
Moi, Fadi - Le Frère volé
J'ai mis longtemps à lire Riad Sattouf, peut être échaudé par des projets que je percevais comme trop commerciaux, des sujets qui ne me touchaient pas vraiment (Les Cahiers d'Esther, les Beaux Gosses,...). Je n'étais pas trop en phase. Et L'Arabe du futur m'est tombé dans les mains. Je ne peux pas dire autrement, je ne l'ai pas acheté, on me l'a offert. Et j'ai découvert un auteur, puis un homme en écoutant ses interventions, ses interviews, et ça a résonné. Je me suis lancé dans son histoire via L'Arabe du futur et j'ai été captivé par cette histoire de famille, sincère, pleine de drames, mais présenté avec un optimisme naïf qui rend le tout tolérable humainement. Pour Moi, Fadi, le frère volé, on change d'angle, mais pas la recette. Si comme moi, vous avez aimé L'arabe du Futur, vous plongerez dans Moi, Fadi avec le même plaisir. Si l'histoire de Riad vous a interpellé, vous ne pouvez pas laisser de côté le point de vue de Fadi. Je l'attendais même. Graphiquement, narrativement, comme je l'ai dit, rien ne change avec L'Arabe du futur. Si le graphisme vous a arrêté sur la première série, aucune chance que Moi, Fadi trouve grâce à vos yeux. Mais l'utilisation des couleurs par Riad Sattouf reste habile et donne une lecture des sentiments de ses personnages. Dans la narration, le ton est juste. Dans ce premier tome, un bon tiers de l'histoire est déjà connue, car elle commence en Bretagne avec Riad et ses frères, mais on a fait un pas de côté, pour se rendre compte que si le cadre est le même, la perception change (un peu). Rien d'anormal, et celui ou celle qui a un frère ou une soeur, le sait bien. Riad Sattouf, dans la position du frère, rend cependant habilement compte du point de vue de son frère, et très rapidement il s'efface pour qu'on ne retrouve que Fadi et son histoire. Terrible et captivante.
1629 ou l'effrayante histoire des naufragés du Jakarta
tome 1 La première chose que l'on remarque avec cette bd, c'est sa qualité éditoriale, une couverture remarquable, et un album de 135 pages qui pèse plus d'un kilo ! Certes, le prix est assez élevé, et un choix éditorial autre à un moindre coût aurait pu l'emporter mais c'est vrai que cette option, assez luxueuse, est discutable mais passons... Ce qui frappe en ouvrant cet album, c'est le dessin de Thimothée Montaigne. J'avais découvert cet auteur avec la série Le Troisième Testament - Julius qu'il avait repris au pied levé avec un certain brio, il faut l'avouer. Certes son dessin lorgne sans ambiguïté aucune, vers celui de Mathieu Lauffray, avec lequel il avait collaboré sur Long John Silver. Il n’y a rien à dire sur le dessin, c'est superbe, on en prend plein la vue avec quelques pleines pages ou doubles pages incroyables (je pense notamment à la découverte du Jakata, pages 22 et 23.) En débutant la lecture, j'ai immédiatement songé au personnage de Lady Hasting de Long John Silver avec Lucretia Hans, qui veut rejoindre son époux, au delà des mers. Je reste subjugué par la beauté des planches, malgré la noirceur de l'intrigue, au fil des pages. Le scénario de Xavier Dorison n'est pas en reste, l'intrigue est très sombre, les personnages très tourmentés, et ce premier volume retrace avec une efficacité remarquable, l'atmosphère qui règne sur un navire où une mutinerie couve.... Parti d'un choix éditorial très discutable sur le coût, cet album rejoint, à mes yeux, un des meilleurs albums que j'ai lus cette année, bref un incontournable de cette année. tome 2 La lecture du premier volume fut , pour moi, jubilatoire. Je ne connaissais pas du tout ce fait maritime, et je me suis fait souffrance pour ne pas aller en découvrir davantage , pour mieux appréhender ce second volume. Je dois dire que cet album est époustouflant à tout point de vue. Un dessin de Thimothée Montaigne magnifique voire exceptionnel, les pleines pages sont d'une beauté à couper le souffle. Mais c'est surtout le rythme du récit qui tient en haleine le lecteur, d'ailleurs je n'ai pas réussi à lâcher ce livre avant d'en connaitre le dénouement. On a du mal à imaginer tant d'atrocités dans ce récit, bien qu'il soit très fortement inspiré de faits réels. Le travail de Xavier Dorison est, une de fois de plus, remarquable dans cette adaptation. J'ai bien évidement relu le premier volume de ce diptyque avant de me lancer dans cet album, et à mon avis, ce second tome dépasse encore le précédent, c'est dire! Une de mes meilleures lectures de cette année. Et je passe sous silence la qualité éditoriale de l'album,et son prix, certes élevé, mais lorsque le scénario et le dessin sont d'une telle qualité, on ne peut passer à côté d'un tel chef d’œuvre.
Pleine lune (Moussé)
Décidément, les éditions du Tripode développent un catalogue des plus originaux et intéressants. J’y trouve mon compte dans leurs publications « littéraires », mais aussi dans leurs BD. C’est le quatrième album de Stanislas Moussé qu’ils publient, et c’est encore une belle réussite ! Ceux qui ont lu les trois précédents ne seront pas dépaysés. On a encore là un travail graphique unique, qui signe un auteur. Personnages et décors sont de prime abord dessinés de façon minimalistes, mais avec force détails pour « l’habillage ». Un dessin au stylo minutieux, parfois délirant sur certaines pages. Cela donne un rendu stylisé, qui convient parfaitement à l’univers médiéval fantastique (ici plutôt oriental je trouve) de Moussé. Et, comme toujours, des personnages avec un œil unique. Mais, malgré cela, et le fait que l’album soit une nouvelle fois entièrement muet, l’ensemble est très expressif, dynamique. Et plaisant à lire. Passages guerriers, humoristiques et horrifiques se succèdent, sous les yeux d’un pauvre lapin (et sous la présence écrasante de la lune), dans un récit un peu décousu, mais qui est rythmé et agréable à suivre. En tout cas Moussé est un auteur à découvrir, si ça n’est pas déjà fait.
La Marche Brume
Un très bon premier tome ! Non content de nous raconter une histoire aux allures de conte, nous parlant d’écologie, de spiritualité et un peu de féminisme aussi, ce premier album arrive à être plus qu’une simple introduction à son récit et à son univers. Beaucoup de choses sont développées ici et, même si beaucoup restent en suspens, on ne ressort pas en se disant d’avoir assister à la simple lecture d’un incipit. Petit spoil le temps de ce court paragraphe (spoil sans doute peu important in fine car il s’agit d’un aspect qui définira la suite de la série mais ça reste un twist qui surgit à la moitié de cet album). J’ai beaucoup apprécié le fait de traiter le sujet post-apocalyptique sous l’angle d’un retour à la spiritualité et à une vie plus proche de la nature. Ce n’est pas nouveau mais c’est un type de récit qui me parle tout particulièrement. Les dessins de Stéphane Fert sont, comme toujours, magnifiques. De belles couleurs vives jouant sur des contrastes sombres, des formes rondes et un style presque crayonné. Sans doute pas du goût de tout le monde, personnellement je trouve ses dessins pleins de charme. Le cahier de brouillons à la fin est un vrai plus pour moi. Une série que je vais suivre avec assiduité.
Furieuse
C’était très bien mais j’avoue que les avis élogieux que j’avais glané ici et là m’avaient presque trop bien vendu le truc. Le résultat reste très bon, j’insiste, mais je m’attendais presque à une révélation. Ne laissons pas ma petite déception faire entendre que l’album est mauvais : il est loin de l’être. Sous ses airs d’une réécriture du mythe arthurien et de simple récit d’aventure, l’album se révèle être en fait un récit d’émancipation centré sur une adolescente, puis une critique de la condition de la femme, puis un récit illustrant le fait que le pouvoir et la vengeance transforment en monstre, puis en fait un peu de tout ça à la fois. Comme les légendes, le récit d’aventure est ici plein de sous-textes et de réflexions. Le dessin de Burniat est bon. Pas mon style préféré mais je lui reconnais beaucoup de qualités (notamment ses expressions du visage qui jouent beaucoup dans les instants comiques). Car oui, c’est un récit comique aussi. Beaucoup de scène drôles jouent sur les expressions des personnages, donc, mais certaines jouent aussi sur les répliques. J’ai particulièrement aimé certains échanges entre Ysabelle et l’épée. Bref, une vraie bonne lecture. Ignorez ma légère complainte du début. (Note réelle 3,5)
Storyville - L'École du plaisir
Le désir, ça se travaille, ça s'invente. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Lauriane Chapeau pour le scénario et Loïc Verdier pour les dessins. La mise en couleurs a été réalisée par Chiara Di Francia, Arancia Studio et Loïc Verdier. Il comprend cent pages de bande dessinée. Sur les quais de la Nouvelle-Orléans en 1917, Gustavo & Antonio deux frères métisses, discutent avec Herb derrière une palissade : ils sont en train de lui refourguer une caisse d’alcool de contrebande. L’acheteur hésite, mais les deux frères goûtent la camelote devant lui, ce qui l’incite à le faire également et il en est convaincu. L’affaire conclue, il indique que c’est la première fois qu’il vient dans cette ville et qu’il aimerait s’amuser un peu. Un copain lui a conseillé de se rendre à Storyville pour trouver des filles. Les deux frères lui recommandent l’établissement Make Love To Me. Après le départ de l’acheteur, ils rentrent chez eux, un pavillon du quartier Storyville. À l’intérieur, la mère Dolorès appelle sa fille Santa Maria Del Sol pour qu’elle vienne l’aider à la cuisine. Celle-ci interrompt ses caresses intimes, et descend rapidement. Les deux frères arrivent et tout le monde passe à table, la mère exigeant le silence pendant que chacun apprécie le repas. Après elle demande à ses fils quelle est la bonne nouvelle qu’ils voulaient annoncer. Ont-ils trouvé du travail ? L’un d’eux jettent une liasse de billets sur la table : ils ramènent de l’argent ! La mère intime à sa fille de monter dans sa chambre et elle exige ensuite que ses fils lui disent comment ils ont gagné cet argent. Quelques instants plus tard, Gustavo et Antonio discutent sur la véranda, et Santa Maria descend discrètement par la balustrade. Elle demande à Gustavo qui est cette Nina dont il parlait. Elle finit par comprendre que cette femme travaille pour Madame Lala, au Make Love To Me, en tant que prostituée. Elle leur demande comment c’est là-bas, mais ils refusent de répondre, et elle est appelée par sa mère pour faire la vaisselle. Un peu plus tard dans la journée, elle accompagne sa mère faire les courses chez l’épicier. En chemin, elles passent devant l’église et Santa Maria discute avec Trevor en train de repeindre la clôture, pendant que sa mère continue pour aller chez l’épicier. La jeune fille demande à son ami s’il est déjà allé en maison close, s’il a déjà vu un minou, et elle finit par le traiter de puceau. Sur ces entrefaites, le révérend sort de l’église et demande à la jeune fille de laisser Trevor travailler. Elle va rejoindre sa mère, portant un panier vide à chaque main. Elle aperçoit ses deux frères sur le trottoir devant elle et elle décide de les suivre. Elle a deviné juste : ils se rendent à la maison de joie. Elle voit Quinn, une femme un peu âgée en sortir avec sa valise à la main. Elle l’aborde pour savoir si elle travaille ici. La prostituée lui répond : jusqu’à ce matin, mais ils ne veulent plus d’elle. Sa mère passe l’angle de rue et interpelle sa fille. Dans une chambre, Gustavo est persuadé d’avoir entendu la voix de sa sœur dehors. Une histoire qui débute sur de bien étranges prémisses : une adolescente vierge de dix-sept ans qui va travailler dans une maison close. Le lecteur pense un moment à Miss Pas Touche (2006-2009) de Kerascoët & Hubert Boulard, mais ici l’héroïne assure des tâches domestiques, sans que les clients ne puissent acheter ses services. Le titre désigne un quartier historique du centre-ville de la Nouvelle-Orléans, passé à la postérité pour avoir abrité des activités liées à l’alcool, au jeu et à la prostitution. Santa Maria Del Sol appartient à une famille de métisses dont le père a disparu, il n’est même pas évoqué, avec deux frères plus âgés et une mère qui ne travaille pas. Elle éprouve une forte curiosité pour une maison close appelée Make Love To Me, tenue par Madame Lala. Cette curiosité est entretenue par le mystère des activités qui s’y déroulent à l’intérieur et par le mélange d’interdit et d’attraction qui l’entoure, ainsi que par l’évidente satisfaction de ses clients, à commencer par ses propres frères. Un concours de circonstances va l’amener à pénétrer dans cet établissement avec le projet d’assassiner Madame Lala. Elle va se heurter au principe de réalité de plein fouet, tout en générant une forme de compassion chez les prostituées et chez Madame Lala. Finalement embauchée, elle côtoie les prostituées, papote avec ces nouvelles collègues, et elle devient le témoin de quelques pratiques tarifiées. La situation se complique pour elle entre Trevor son amoureux, et le vicomte le propriétaire du clandé. Avec un tel fil conducteur, le lecteur s’attend à une histoire assez glauque : des prostituées mal traitées, un quartier mal famé avec des trafics crapuleux, un racisme latent, une mainmise par le crime organisé, un environnement dans lequel une oie blanche n’a aucune chance. Fort heureusement, les dessins s’éloignent d’un style réaliste, avec une forme de description simplifiée, d’exagération dans la forme humaine, et un jeu d’acteurs parfois un peu surjoué pour donner plus de personnalité aux protagonistes. Dans les décors, le lecteur sent bien que l’artiste s’est inspiré de documents historiques pour reproduire le quartier de Storyville : les quais avec les bateaux à la forme caractéristique de cette époque et de cette région du monde, ainsi que l’animation pour gérer les marchandises, le quartier animé avec les constructions en dur, les immeubles de quelques étages et les balcons typiques, le quartier populaire avec ses maisons en bois et sa population métisse, le bayou avec son ponton de bois et sa végétation luxuriante, et bien sûr la maison close avec ses différentes pièces. Au vu du sujet, le lecteur est conscient de sa curiosité de voyeur : il regarde donc le monumental hall d’entrée avec ses tapis, son piano, son lustre, son ventilateur, les poutres apparentes, les canapés et les fauteuils, et ces dames qui attendent le client. Lors de la première visite de Santa Maria, il regarde comme elle plusieurs chambres avec leur décor, la forme du lit, les accessoires dont l’indispensable broc d’eau pour la toilette intime. Il regarde avec la même curiosité l’aménagement du bureau de Madame Lala. Il se rend compte en se familiarisant avec les lieux, que l’éclairage diffère d’une chambre à l’autre. Il découvre le dortoir des filles, la salle de bains commune avec ses baignoires. Il prend le temps d’apprécier la décoration particulière imaginée et réalisée par ces dames à l’occasion de Mardi Gras, à base de vulves. L’artiste joue avec la forme humaine pour mieux faire ressortir l’état d’esprit de chaque personnage, son humeur. Ce choix se manifeste dans des visages aux traits souvent simplifiés, aux formes des yeux très malléables, aux silhouettes soient étirées, soit gonflées, aux pieds un tout petit peu trop effilés, aux gestes un tout petit peu caoutchouteux. Ces libertés par rapport à l’anatomie rigoureuse apportent un peu plus de vie dans les individus, les rendant plus sympathiques, sans être enfantins : leurs émotions sont ainsi plus apparentes et plus honnêtes, sans être infantiles ou naïves, en restant très adultes. Ce mode de représentation renforce l’empathie du lecteur pour les personnages, tout en tentant la réalité à distance, juste ce qu’il faut pour que la sensation de voyeurisme soit évitée. Les relations sexuelles sont représentées, y compris quelques pratiques moins conventionnelles, sans devenir pornographiques, l’érotisme y étant également absent, parce qu’il s’agit de personnages de papier. Le dessinateur parvient ainsi à éviter des descriptions trop réalistes qui seraient glauques, mais aussi à éviter une narration visuelle qui serait édulcorée, qui évoquerait les services des prostituées soit de manière inoffensive, soit de manière ludique. La jeune Santa Maria Del Sol passe par une première phase de curiosité dévorante quant au plaisir dispensé dans l’établissement tenu par Madame Lala, puis par une phase de haine envers cette femme, pour enfin pénétrer dans cette entreprise et y être employée. La toute jeune femme exerce un autre métier que celui de prostituée, restant inaccessible aux clients, portant un regard différent sur ce métier, entre ingénuité et perspicacité. L’histoire devient celle de l’éveil de ces professionnelles, prenant conscience de ce qu’elles apportent à la société, et en particulier d’une facette de leur savoir-faire qu’il est possible de valoriser de façon disruptive dans la société de l’époque. Le lecteur se sent porté par cet espoir de changement, d’évolution positive. Dans le même temps, la scénariste ne donne pas dans l’angélisme. En arrivant devant l’établissement Make Love To Me, la jeune fille croise une prostituée dont la direction se sépare pour cause de date de péremption dépassée. La tolérance dont bénéficie cette maison découle des agissements de monsieur Williams surnommé le vicomte, qui dispose d’un flair politique qu’il met à profit pour se concilier les bonnes grâces, ou plutôt la protection de notables et responsables qu’il a su impliquer. Aucune des prostituées n’a choisi son métier par vocation, encore moins par plaisir. Le comportement de certains clients nécessite l’intervention de Johnny, métis à la carrure et à la musculature imposantes. Les maladies vénériennes peuvent s’avérer mortelles. Les ligues de vertu manifestent leur désapprobation publiquement dans la rue. Le risque de maltraitance de ces dames reste présent. La violence physique peut s’exercer de plusieurs manières. Les auteurs plongent une jeune femme vierge dans la vie quotidienne d’une maison close, à une époque précise, dans un quartier identifié. La narration visuelle se tient en équilibre entre l’exagération et des éléments réalistes, tenant ainsi à distance le voyeurisme et le misérabilisme, avec des personnages expressifs, tout en montrant les contraintes sociales et le quotidien du métier. L’histoire parvient à un aussi bon équilibre entre l’entrain et l’optimisme de la jeunesse, et le principe de réalité d’une telle forme d’entreprise dans une société dont la tolérance a ses limites. Très réussi.